Après Endormi(e), le Projet Mû entame un nouveau cycle avec Beauté, chaleur et mort : celui de la perte. C’est l’histoire de deux êtres plongés dans l’abîme du deuil. Deux individus qui ont connu la beauté de la naissance, la chaleur de l’amour et la mort d’un enfant. L’histoire de Nini Bélanger, metteure en scène et créatrice du Projet Mû, et de son compagnon Pascal Brullemans, dramaturge.
Les temporalités –conception, naissance, mort, après-mort– et les différents lieux –maison, hôpital, bureau– prennent vie grâce à des jeux de lumière et des accessoires qui changent de fonction au gré du lieu et du temps : une desserte devient berceau, une distributrice à sandwichs nous transporte tour à tour de l’hôpital au bureau de Pascal, la couverture du nourrisson à l’hôpital sert ensuite de nappe à la maison. L’ambiance se construit également grâce à divers sons, comme le sifflement rappelant la respiration difficile du nourrisson et la minuterie qui entame le compte à rebours vers la destination finale. Des sons et des lumières qui témoignent de l’appel de la mort, car on ne peut inculquer « la vie de force » malgré tous les efforts effectués.
Avant de pénétrer dans la salle, nous sommes prévenus : le spectacle sera intime. Un couple (Nini et Pascal) et leurs deux enfants, une fillette et un adolescent, sont sur scène. Ils sont assis dans leur « salon» ; c’est un portrait familial. Les enfants vont se coucher. En guise de didascalie, Nini et Pascal se présentent : je suis metteure en scène, je suis dramaturge, ceci est notre véritable histoire. La frontière entre le jeu et le réel est floue. Il est d’ailleurs difficile de savoir quand la pièce commence véritablement. Probablement lorsque Nini interpelle Pascal : « Tu es prêt ? » et que les lumières s’éteignent. Pascal lance une phrase-choc : « J’ai trois enfants : un de quinze, une de huit et une qui est morte ». Silence. Un sujet tabou. Un mot qui dérange. Le deuil est abordé de manière directe, sans compromis. Évoquer la mort provoque un malaise. Un malaise dont se sont nourris Nini et Pascal pour concevoir Beauté, chaleur et mort. Ils expliquent : « Ce fut notre point de départ, ce malaise. Celui d’inviter des gens à assister, impuissants, à la véritable douleur d’autrui. » Pour eux, la douleur est trop souvent délaissée dans la société, alors que c’est un état connu de tous. Cependant, malgré la noirceur du sujet traité, Beauté, chaleur et mort ne sombre pas dans le mélodrame. Il y a aussi de beaux moments, ponctués de rire et de joie.
Jouer sa vie ?
Pendant quatre-vingt minutes, nous devons surmonter notre embarras et plonger corps et âme dans l’histoire émouvante de nos deux « protagonistes ».
Le sujet de la pièce nous pose cette question : mettre en scène sa propre vie, avec des « non-acteurs » (dont son compagnon), ne serait-ce pas comme une thérapie ? La fin de la pièce nous laisse perplexe sur ce point. Nini et Pascal sont là pour parler du deuil. La pièce s’achève sur ces paroles : « Je suis contente d’être ici ». Étaler sa vie privée n’a aucun intérêt pour la metteure en scène. C’est la démarche que cela sous-tend qui est intéressante. Nini Bélanger explique : « C’est plutôt de vouloir dire quels sont les tabous qui sont encore bien présents dans ma société, comment faire pour les briser, ou du moins, les nommer ». La vie doit alors reprendre son cours. Pascal retourne au bureau, Nini prépare des sandwichs aux œufs. La douleur est cachée dans le tiroir de la desserte. On y range la couverture du bébé, le polaroïd (témoin de la perte) et la minuterie (éternel signal de l’appel de la mort).
Dans Beauté, chaleur et mort, il ne s’agit pas d’impudeur, ni de voyeurisme, mais bien de théâtre. Un témoignage de courage, une expérience de l’intime, une réflexion profonde, des émotions bouleversantes. Une étrange expérience théâtrale, mais profondément intéressante et enrichissante. Une démarche artistique réfléchie, où, privilégiant l’hyperréalisme, Nini Bélanger poursuit toujours plus loin l’expérience de l’intime. Avec Beauté, chaleur et mort, elle explore et repousse ainsi la limite entre scène et réalité.