Mes questionnements se multiplient à mesure que les échéances pour les candidatures aux maîtrises approchent. Au lieu de laisser l’anxiété qui émane de toutes mes inquiétudes non-répondues me ronger, je pense qu’au contraire, il faut en parler. Parce que l’expérience que je vis est celle de milliers d’autres étudiant·e·s à McGill et ailleurs. Parce qu’en parlant à mes ami·e·s, j’ai vite réalisé que je n’étais pas la seule à avoir des doutes, à m’inquiéter et à être stressée. Cet article est dédié à toutes ces personnes qui se sentent comme moi. Ce sont mes mots, des phrases simples et des réflexions banales mais qui, je l’espère, feront sentir certain·e·s de mes lecteur·rice·s moins seul·e·s.
Je suis maintenant dans ma troisième année d’études dans le programme de littérature anglaise. Bien que je sois passionnée par la lecture et l’écriture en anglais, le simple fait de poursuivre un diplôme dans une langue qui ne m’est pas maternelle est source de questionnements. Évidemment, je ne suis pas la seule dans cette situation. Les étudiant·e·s internationaux·ales représentent près de 30% de l’effectif total de McGill, ce qui veut dire qu’une grande partie de ces 12 000 personnes sont, tout comme moi, en train de prendre des cours au niveau universitaire dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle. Bien sûr, le niveau de langue anglaise de toutes ces personnes, moi comprise, est techniquement élevé, puisque c’est une condition à remplir pour être admis·e à McGill. Cependant, « avoir le niveau » ne veut pas forcément dire être constamment confiant·e, surtout dans un programme comme le mien, où la langue est au coeur des discussions. J’ai récemment ressenti ce qu’on appelle communément le « syndrome de l’imposteur ». Selon l’Association médicale canadienne, c’est « une tendance psychologique à la peur et à la remise en question ». Ainsi, la personne atteinte doute de ses réussites et ressent une « peur persistante et internalisée d’être présentée comme un escroc, et ce, malgré ses capacités démontrées ». C’est ainsi que je me sens en ce moment : j’ai l’impression de ne pas être à ma place et de ne pas avoir atteint le niveau, que ce soit en anglais ou académiquement.
D’où vient le stress ?
Les causes de ce problème me semblent évidentes : la comparaison – ou l’absence de comparaison directe. À première vue, l’université semble être un endroit où la comparaison n’est pas un problème. Chacun étudie des choses différentes, et à part la GPA (Moyenne Pondérée Cumulative), il n’y a pas de moyenne générale par devoir ou par groupe dans mon programme, donc pas de compétition. Pourtant, toutes ces choses sont paradoxalement ce qui me cause de l’anxiété. Je trouvais cela rassurant de partager le même emploi du temps que mes camarades au secondaire, d’avoir les mêmes cours, les mêmes devoirs, les mêmes notes à comparer. Maintenant, lorsque j’entends mes ami·e·s dans une autre faculté s’exclamer qu’ils·elles sont tristes d’avoir obtenu un B, je me dis que je dois mal faire quelque chose dans mes propres devoirs, où un B me paraît déjà satisfaisant. Pourtant, nos programmes sont bien différents, les exigences sont différentes, et c’est quelque chose que j’apprends à accepter.
« Parfois, j’ai l’impression d’avoir tant à faire que je ne peux rien faire »
Cette année, au sein de mon programme, la chose qui me fait le plus douter de moi-même sont les publications de discussions (discussion posts). La majorité de mes professeur·e·s de littérature me demandent de publier chaque semaine un court texte sur les livres que nous étudions. En théorie, c’est une bonne idée : ça permet d’échanger avec ses camarades, de découvrir d’autres perspectives et de nous inciter à ne pas accumuler de retard sur nos lectures. Cependant, depuis que ce mode d’évaluation m’a été introduit, je me sens particulièrement stressée. Chaque semaine, je lis des dizaines de messages postés par des personnes qui semblent savoir mieux analyser et mieux réfléchir que moi.
En plus des exigences personnelles que nous nous imposons, la surcharge de travail et la difficulté à trouver un équilibre entre vie personnelle, travail et études présentent aussi une source d’anxiété. Parfois, j’ai l’impression d’avoir tant à faire que je ne peux rien faire. Je n’arrive pas à être productive et, démoralisée, je finis par passer ma journée dans mon lit. Cette culpabilité me ronge : c’est comme être dans un cycle sans fin.
Exigences académiques
Dans une université comme McGill, ce stress de comparaison est encore plus élevé. On nous le répète sans cesse : « c’est une université réputée », « tout le monde est intelligent. » Tous ces discours ne font que nourrir les doutes qui grandissent en moi. Nous avons beau savoir que nous avons été acceptés pour une raison, cela ne nous empêche pas de douter de nos capacités.
En plus de cela, après avoir pris un cours de poésie canadienne, j’ai aussi réalisé que de nombreuses personnalités dans le monde de la littérature ont fréquenté les couloirs de McGill. Chaque fois que je me rends dans le bâtiment des Arts (Arts Building), je m’imagine A.M. Klein, Irving Layton, ou encore Leonard Cohen se diriger vers les mêmes salles que moi. Je trouve cela passionnant, de me dire que, des années auparavant, ces personnes ont elles-aussi publié dans le McGill Daily. Par ailleurs, cela produit une pression inconsciente vis-à-vis de mon travail. Je ressens le devoir de rendre hommage à ces artistes, de révolutionner la littérature comme ils·elles sont parvenu·e·s à le faire à mon âge.
Des solutions à adopter ?
Malgré ce stress et l’apparence négative de mes réflexions, je reste convaincue qu’il existe des solutions. Je vais recevoir mon diplôme à la fin de la session prochaine, c’est donc une période charnière qui s’avère intense émotionnellement. Pourtant, je continue de rester optimiste. Personnellement, je trouve refuge dans ma cuisine. Prendre le temps de me préparer un bon repas le soir après une journée chargée est ma façon de me relâcher. Une playlist jazz en fond, je découpe consciencieusement mes légumes, je regarde l’eau bouillir et je profite des bonnes odeurs de mes plats. Je trouve qu’il y a un côté réconfortant dans les routines. Chaque soir, je prends soin d’allumer une bougie, de mettre des vêtements confortables après ma douche et de me préparer une tisane pour étudier à mon bureau. Ce sont des petites choses qui paraissent insignifiantes pour certain·e·s, mais qui me détendent considérablement. Ce sont aussi ces choses qui rendent la vie étudiante plus facile à vivre ; ces choses qui me font apprécier le fait de vivre seule, bien que loin de ma famille. Je suis convaincue qu’il est essentiel pour chacun·e d’avoir un échappatoire. Que ce soit la cuisine, la musique, le dessin, l’écriture d’un journal, ou les jeux vidéos, notre seule façon de récupérer physiquement et mentalement est le repos. Ce repos, qui paraît parfois impossible à envisager, est pourtant bel et bien nécessaire.