Peuplé de huit millions de francophones, le Québec se présente aujourd’hui comme le bastion de la francophonie en Amérique du Nord, notamment à travers ses politiques de promotion du patrimoine linguistique. Cultivant son image de province accueillante, le Québec offre une tarification préférentielle pour les études supérieures aux francophones, mais seulement aux étudiants originaires de France et de la communauté francophone de Belgique.
Au cours des cinq dernières années, 865 millions de dollars (soit en moyenne 173 millions de dollars par an) ont été alloués aux étudiants français inscrits dans les universités et cégeps du Québec sous forme de subventions. Ces fonds permettent aux étudiants de premier cycle de payer des frais de scolarité environ deux fois moins élevés que ceux imposés aux autres étudiants internationaux, et même inférieurs à ceux des Canadiens non-résidents du Québec, en raison des récentes augmentations tarifaires les visant. Pour les cycles supérieurs, l’écart est encore plus marqué : lorsqu’ils sont inscrits en maîtrise ou au doctorat, les étudiants français et belges paient les mêmes frais que les résidents québécois, un privilège qui n’est pas même accordé aux Canadiens nonrésidents du Québec.
Cet effort financier a indéniablement fait croître la présence d’étudiants français et belges — et par extension, celle de la francophonie — dans les institutions universitaires québécoises, les intégrant comme des partenaires clés du projet linguistique de la province. Cependant, il soulève des questions sur l’inclusion, l’équité ou encore le sentiment d’appartenance qu’il induit. Qui peut vraiment se sentir chez soi au Québec ? Et que révèle cette générosité sélective sur la vision québécoise de la francophonie ?
Vers une francophonie à tout prix
Au Québec, les frais de scolarité dépassent la question financière : ils dessinent une frontière nette entre ceux auxquels on permet de s’intégrer et ceux qui sont forcés à rester en marge. Les résidents du Québec, qui bénéficient des tarifs les plus bas, incarnent le cœur battant de la province. Les Canadiens non résidents deviennent quant à eux déjà des « presque-étrangers » en étant sommés de payer des frais deux fois plus élevés que les résidents de la province. L’addition reste considérablement inférieure à celle imposée aux étudiants internationaux, qui se voient ainsi relégués au statut d’appartenance le plus limité.
Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.
La préférence tarifaire accordée aux étudiants français et belges, au-delà de constituer une anomalie chez les étudiants internationaux, agit comme un rapprochement symbolique avec les résidents québécois. Elle les invite à se sentir chez eux, à la différence des autres étudiants francophones et des Canadiens originaires d’autres provinces. En favorisant des étrangers plutôt que leurs concitoyens anglophones ou francophones d’ailleurs au Canada, le projet de la francophonie du Québec réaffirme une distinction identitaire qui transcende alors le cadre national et valorise davantage le partage de la langue que celui de la nationalité.
Ce projet de retrouvailles et d’accueil par l’idiome répond toutefois à une logique sélective qui privilégie certaines nations, plutôt que de faire du Québec un espace universel de connexion pour les francophones des quatre coins du monde. Ainsi, les étudiants français et belges, issus de pays plus riches et dotés d’institutions académiques prestigieuses, bénéficient d’un accueil chaleureux dans les établissements universitaires, qui deviennent le lieu tangible de leurs privilèges et de leur appartenance. Les étudiants francophones d’Afrique et du Moyen-Orient, malgré leur contribution à la vitalité de la langue française, se heurtent quant à eux à des barrières économiques et symboliques qui les marginalisent dans ce projet de francophonie à deux vitesses.
Une francophonie conditionnelle : entre privilège et exclusion
Ces politiques soulèvent des interrogations légitimes quant à la hiérarchie culturelle implicite qu’elles révèlent. Les nations perçues comme « compatibles » — riches, blanches et européennes — sont favorisées au détriment des pays du Sud. Bien qu’il existe des accords avec des États comme la Tunisie, Djibouti et la République démocratique du Congo, où le français est parlé respectivement par 52,47%, 50% et 51,37% de la population, ces partenariats restent largement symboliques. Ils profitent seulement à une poignée d’étudiants — souvent moins d’une douzaine par pays chaque année. En comparaison, des milliers d’étudiants français et belges bénéficient de ces ententes à la seule échelle de McGill.
Ce déséquilibre entre les nations du Nord et du Sud n’est pas anodin. Il reflète une logique utilitariste dont les accords sont conclus exclusivement avec des nations présentant des intérêts économiques stratégiques pour le Québec. En faisant de la maîtrise du français un critère d’immigration, ces politiques sélectionnent une population étudiante alignée avec ces mêmes intérêts. Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.
L’exemple de l’entente avec la Belgique, qui ne repose pas sur un lien historique particulier avec le Québec, illustre bien ce privilège accordé aux pays du Nord et la dissonance du projet québécois. Paradoxalement, des pays culturellement proches comme la Suisse et le Luxembourg, où le français est parlé par 67,13% et 91,99% de la population, sont exclus de ces tarifs préférentiels. Si cette situation diffère des logiques néocoloniales qui excluent les nations africaines, elle met néanmoins en lumière une politique de « minimum convenable », où certains pays francophones sont négligés faute d’intérêts économiques immédiats.
Ces tendances révèlent une absence de vision idéologique forte autour de la langue française dans les politiques québécoises. Au lieu de devenir une force unificatrice, la francophonie au Québec semble s’enfermer dans un projet utilitariste dicté par des alliances à court terme, et éloigné des idéaux d’universalité et de fraternité historiquement liés à la langue française.
Étendre le sentiment de chez-soi
Si le Québec aspire véritablement à protéger et promouvoir son patrimoine francophone, il devra repenser son approche qui, dans sa forme actuelle, perpétue des exclusions. L’élargissement de la tarification préférentielle à l’ensemble des nations francophones renforcerait un sentiment d’appartenance universel, tout en répondant aux idéaux de solidarité linguistique. Cela offrirait également de nouvelles perspectives académiques et culturelles pour la francophonie, au moyen de mesures alignées sur les objectifs économiques et diplomatiques de la province.
Une politique véritablement inclusive permettrait au Québec de s’affirmer comme un acteur clé de la justice culturelle et linguistique. En s’inspirant de l’homoglosson d’Hérodote, qui définit l’appartenance par la langue partagée plutôt que par l’origine, le Québec pourrait repenser la francophonie comme un espace véritablement ouvert et inclusif. Elle cesserait d’être un cercle exclusif pour devenir un lieu d’échanges, où chaque francophone pourrait se sentir pleinement « chez lui ».
Pour concrétiser cette vision, le Québec doit élargir ses politiques préférentielles afin d’inclure tous les francophones, transformant ainsi la langue française en une véritable force unificatrice. Il renforcerait alors son rôle de foyer pour une francophonie mondiale, où chaque individu, quelle que soit son origine, serait reconnu et valorisé comme membre d’une communauté vraiment inclusive.