Aller au contenu

Comment représenter la crise climatique ?

Entrevue avec le bédéiste Martin Patenaude-Monette.

Martin Patenaude-Monette

Si les requins ont si mauvaise réputation dans la culture populaire, c’est en partie à cause de la représentation qu’en ont fait à l’écran des films comme Les Dents de la mer de Spielberg. L’image de monstres terrifiants qui leur a été attribuée a suscité un manque d’empathie et de protection pour cette espèce pourtant menacée. Que ce soit à travers le cinéma, la photographie, le dessin de presse ou de bande dessinée, les images façonnent notre manière de percevoir le monde qui nous entoure et orientent nos opinions. Ainsi, ceux qui véhiculent de l’information et des messages à travers les images, qu’elles soient sous forme artistique, médiatique ou de propagande politique, ont un pouvoir d’influence incommensurable. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, nous consommons des images en lien avec le changement climatique toujours plus effroyables : l’embrasement des forêts canadiennes, les ravages causés par les ouragans aux États-Unis, et plus récemment les inondations meurtrières en Espagne. Mais comment représenter la crise climatique sans provoquer le désarroi ?

J’aime vraiment le fait de raconter des histoires en images. 

Martin Patenaude-Monette

Le Délit s’est entretenu avec l’illustrateur québécois Martin Patenaude-Monette qui a publié cette année une nouvelle bande dessinée intitulée Un sacrifice tout naturel. Au cours de cette rencontre, l’illustrateur et biologiste nous a parlé des avantages de la bande dessinée et de ses choix dans la manière de représenter les questions environnementales par ce médium.

Pourquoi la bande dessinée ?

La particularité de la bande dessinée, contrairement à d’autres médiums visuels ou textuels, est qu’elle s’immisce dans une sphère intime. Elle se lit en vacances sur la plage ou lors d’une pause, pour occuper son temps libre. Dans Un sacrifice tout naturel, Martin PM (son nom de plume) a cherché à être au plus proche de ses lecteurs, en suivant et documentant le combat administratif de citoyens à l’encontre des projets de chantiers dans le Sud du Québec. Parmi ceux-ci, on retrouve entre autres un projet d’écoquartier menaçant la forêt du Lac Jérôme et la construction d’un lotissement à Notre-Dame-de‑l’Île-Perrot, dans le secteur du boisé Saint-Alexis. Le bédéiste permet de rendre les questions environnementales plus concrètes à ses lecteurs, en s’intéressant à ces grands dossiers qui affectent directement leur quotidien.

« J’aime vraiment le fait de raconter des histoires en images », nous confie l’illustrateur. Dans son enfance, Martin PM aimait réaliser des montages vidéos et il retrouve le même plaisir de l’assemblage de scènes dans le dessin de vignettes de bande dessinée. Dans les deux cas, il explique qu’il s’agit de « prendre des segments qu’on met bout à bout, qui créent des enchaînements, tant dans la narration que dans le mouvement ». Cela permet de « plonger le lecteur et de le transporter facilement dans le lieu ». Toutefois, la bande dessinée a ses avantages propres. Contrairement au cinéma, l’équipement est très léger, il suffit d’un carnet et d’un crayon. « On peut reproduire visuellement beaucoup de scènes du passé ou des endroits où on n’a même pas été à partir d’informations », témoigne Martin PM, « mais avec des moyens hyper accessibles et de manière beaucoup plus facile ». D’ailleurs, un dessinateur est nettement moins intimidant qu’un réalisateur doté d’une armée de caméramans, ce qui lui permet d’approcher plus facilement les habitants des lieux dont il souhaite raconter l’histoire. Enfin, la principale différence avec un film ou un documentaire, dans lesquels les images deviennent parfois accessoires et servent de support à la narration, c’est « la complémentarité entre le texte et l’image » qui est fondamentale dans la bande dessinée. Elle permet « une danse entre le texte et l’image », car certaines choses sont plus faciles à représenter par l’image que par le texte.

Il est nécessaire de trouver le juste équilibre entre la représentation d’une réalité préoccupante et les messages d’espoir.

Vulgariser pour mieux éduquer

Il est difficile de ranger l’œuvre de Martin PM dans une catégorie fixe. Est-ce une enquête citoyenne ? Du journalisme militant ? L’illustrateur lui-même est incapable de le dire : « je considère que mon travail est relativement rigoureux et repose sur des documents, des faits, et des entrevues que j’ai menées », déclaret-il. Son ouvrage est une bande dessinée documentaire qui a pour but principal « d’informer en critiquant et en alertant ». Son rôle est ainsi pédagogique. Dans chaque grand dossier qu’il a suivi, Martin a constaté le manque de connaissance du public quant au mode de délivrance des autorisations environnementales pour les projets de développement. C’est le ministère de l’environnement qui a le pouvoir d’approuver ou non les demandes de nouveaux chantiers, qu’il refuse rarement. Comprendre la procédure juridique est crucial pour pouvoir bloquer un projet qui met en danger un milieu naturel. De la même manière, il s’est rendu compte des lacunes gouvernementales en matière de compréhension des mécanismes de protection de la biodiversité et des écosystèmes. Un sacrifice tout naturel cherche à combler ce manque d’éducation et à faire le lien entre les différentes sphères citoyenne, scientifique et politique.

Bien souvent, il s’agit simplement d’un problème de communication, qui nous empêche de nous comprendre. Afin de devenir ce pont pour la connaissance, l’enjeu de la représentation devient crucial. Comment rendre l’information accessible et intéressante pour tous ?

Traiter des questions environnementales dans une bande dessinée demande un travail important de vulgarisation. Parce que la crise climatique est un problème complexe mêlant enjeux politiques, économiques, sociaux, et scientifiques, il n’existe pas de solution unique, ce qui peut souvent sembler décourageant. Le rôle du vulgarisateur est de simplifier l’information pour que le plus grand nombre y soit réceptif. « Quand tu fais de la vulgarisation, tu ne veux pas perdre les gens dans tous les détails. Mais en même temps, je ne voulais pas rester trop en superficie », nous expliquet-il. Pour atteindre le public le plus large possible, il agrémente le récit de multiples anecdotes qui exposent des cas concrets et permettent « d’humaniser le sujet, et de rejoindre les gens ». L’usage de la satire apporte une « petite touche d’humour qui peut aider à canaliser un peu la frustration de l’auteur et peut-être des lecteurs et des lectrices [vis à vis du manque d’action gouvernementale dans la protection de l’environnement, ndlr] », précise Martin PM.

Trouver le juste équilibre

Dans la représentation artistique comme pour la communication médiatique, il n’est pas toujours facile de parler de l’environnement sans adopter un ton alarmiste et évoquer les nouvelles négatives liées aux ravages causés par le changement climatique. Toutefois, il est nécessaire de trouver le juste équilibre entre la représentation d’une réalité préoccupante et les messages d’espoir. Si les deux approches sont primordiales pour susciter une prise de conscience et le partage de l’information, l’une ne doit pas déborder sur l’autre. L’espoir motive à agir contrairement à l’absence de perspective future et le sentiment de fatalité inspiré par trop de pessimisme. De même, l’excès de positivité et la certitude d’une issue heureuse peuvent aussi conduire à la passivité et faire oublier la notion d’urgence. Trouver la juste nuance a été la mission que s’est donnée la section Environnement au cours de cette dernière année en intégrant pistes de solutions à mettre en place au quotidien, bonnes nouvelles environnementales et réflexions sur des sujets complexes nécessitant plus de détails et de profondeur.


Dans la même édition