Aller au contenu

Solidarité sans logement

Un point sur l’itinérance à Montréal avant l’arrivée de l’hiver.

Margaux Thomas | Le Délit

Le 18 novembre, un avis d’éviction a été envoyé à quelques individus logeant dans un campement de sans-abris de la rue Notre-Dame, dans le quartier d’Hochelaga. Le jeudi suivant, le ministère des Transports devait procéder au démantèlement d’une partie du campement, une décision déplorée par certains, compte tenu du manque de place dans les refuges de la ville, particulièrement en hiver.

Margaux Thomas | Le Délit

À la suite de l’appel de la mairesse, Valérie Plante, la ville de Montréal a mis à jour son plan hivernal pour les personnes itinérantes. Ce plan inclut la création de comités d’aide et l’établissement de centres d’hébergement temporaires, ainsi que la distribution de 500 000$ aux organismes de la ville offrant du soutien et des services aux personnes en situation d’itinérance. Malgré ces mesures, les défis auxquels se heurtent les itinérants de la ville restent importants. Un recensement datant de 2022 révèle que Montréal compte plus de 4 500 sans-abris, mais malgré les infrastructures d’hébergement de la ville, près de 1 000 personnes dorment dans l’espace public chaque nuit. Avec des risques particulièrement élevés durant les mois d’hiver et des ressources insuffisantes, comprendre et réparer les failles du système de bien-être social est essentiel. 

Ce sont des gens très seuls qui ont besoin d’accompagnement. Cette solidarité ne remplace pas le sentiment d’un vrai chez- soi.

Communauté et logement

Le Délit a discuté avec Matthieu*, qui est en situation d’itinérance à Montréal depuis près de quatre ans. Après s’être fait licencié et avoir quitté Chicoutimi pour trouver un emploi à Montréal, il s’est retrouvé à la rue. « J’ai pas trouvé [d’emploi, ndlr] à temps. Au début, je dormais chez des gens que je connaissais, mais ça n’a pas duré. Je ne parle plus à ma famille, donc je ne peux pas rentrer, mais je suis mieux dans une grande ville comme Montréal qu’ailleurs. » Plusieurs se rendent vers les centres urbains de la province en espérant trouver un emploi, ou encore pour avoir accès à des services sociaux plus développés. 

En parallèle, un processus d’aliénation et d’isolement s’installe progressivement, affirme Emma Cyr, étudiante à la maîtrise en travail social et intervenante dans une clinique pour les personnes ayant des problèmes de dépendance – une population dont la majorité se trouve en situation d’itinérance. Selon elle, « certains se retrouvent dans la rue par concours de circonstances, ils commencent à consommer [de la drogue, ndlr], et sans téléphone, ils perdent la connexion avec leurs proches. Ils finissent par vouloir avoir assez d’argent pour continuer à consommer, ce qui fait souvent en sorte qu’ils se retournent contre leur propre famille, et deviennent très isolés ». 

Emma constate la présence d’une communauté solidaire entre les personnes en situation d’itinérance, mais clarifie que « ce sont des gens très seuls qui ont besoin d’accompagnement. Cette solidarité ne remplace pas le sentiment d’un vrai chez-soi. Ils veulent une communauté qui n’est pas juste entre personnes itinérantes, cette communauté là n’est pas suffisante. Elle ne comble pas les besoins fondamentaux ». 

Malheureusement, ces besoins restent inaccessibles pour beaucoup. Les temps d’attente pour l’obtention de logements à loyer modique à Montréal varient, mais en fonction des circonstances individuelles, ils peuvent aller jusqu’à plusieurs années. La crise du logement dans les grandes villes a exacerbé cette pénurie de logements accessibles, et Emma explique avoir dû annoncer à plusieurs personnes qu’ils auraient à attendre près de 10 ans pour y accéder : « Quand j’ajoute des gens à la liste pour accéder à ces logements [subventionnés, ndlr] je suis dans l’obligation de leur déclarer le temps d’attente. Ces gens survivent au jour le jour, ils sont découragés d’entendre qu’ils devront attendre aussi longtemps. » 

L’hiver à l’approche

L’arrivée de l’hiver est redoutée par beaucoup, et la pression sur les services de logement et d’aides aux personnes sans-abri augmente. Matthieu explique certains des problèmes présentés par les refuges : « Il y a pas mal d’endroits qui ne te permettent pas de rentrer avec tes affaires, mais pour moi, au début, mes affaires c’est tout ce que j’avais. C’était mes vêtements, mes chaussures, les choses que j’avais amenées avec moi. J’avais rien d’autre, je pouvais pas m’en débarrasser, alors je dormais dans la rue. Mais quand l’hiver s’en est arrivé, je n’avais plus vraiment le choix, il faisait trop froid pour rester dehors. » En effet, certains refuges interdisent à ceux qui les fréquentent d’y rentrer avec des biens personnels, généralement pour des questions sanitaires. Cependant, ces critères d’admissibilité empêchent plusieurs personnes d’avoir accès aux logements d’urgence de la ville, d’autant plus que posséder des biens matériaux est un défi en soi. Matthieu raconte s’être fait voler certains de ses biens, et conclut que « le moins de choses t’as, le moins t’es ciblé ». 

Le manque de ressources et de financement peut être tenu responsable de l’insuffisance des services, surtout l’hiver. Matthieu raconte lui-même avoir des difficultés d’accès à ces services : « des fois, il y a des refuges qui ont de la place et des fois ils n’en ont pas. Quand j’ai assez de sous, je fais la file pendant longtemps pour m’assurer d’avoir une place, mais j’arrive pas tout le temps. Il n’y a pas la place pour tout le monde, donc il y a des périodes où je dors dehors. » 

Il n’y a pas d’argent pour la création de logements à loyer modique, et quand les personnes en situation d’itinérance finissent par avoir un logement, il faut qu’elles continuent d’être accompagnées.

« Quand il commence à faire froid, ça se sent dans les organismes », explique Emma. « Autour du mois de novembre, des centres de répit ouvrent dans des églises, des centres communautaires, et des arénas, mais ce n’est pas tout le temps des endroits pour dormir, » poursuit-elle. Beaucoup de ces refuges sont des logements à court-terme, et n’offrent finalement pas de solution permanente.

Un secteur sous-financé

Plus tôt cet automne, Québec a alloué 4,2 millions de dollars pour lutter contre l’itinérance à Montréal, une somme visant spécifiquement à gérer des profils plus complexes. Malgré cela, plusieurs acteurs dans le secteur communautaire déplorent les subventions insuffisantes de la part du gouvernement. Selon Emma, le financement manque à tous les niveaux : « Il n’y a pas d’argent pour la création de logements à loyer modique, et quand les personnes en situation d’itinérance finissent par avoir un logement, il faut qu’elles continuent d’être accompagnées. Ce n’est pas juste avoir un logement, c’est être capable de le garder. C’est facile d’oublier de payer son loyer, ou de laisser d’autres gens rentrer. » 

Cet accompagnement social, explique-t-elle, est sous-financé. Les salaires bas et les conditions de travail difficiles des intervenants et des travailleurs sociaux y sont pour beaucoup. « Il y a tellement de retournement d’employés, c’est difficile de garder des gens dans ce milieu-là. C’est un secteur qui ne reçoit pas beaucoup d’attention dans le domaine politique, » conclut-elle. 

*Nom fictif


Dans la même édition