Ce lundi 6 janvier, Justin Trudeau a annoncé qu’il quitterait ses fonctions de premier ministre du Canada à la suite de près de 10 ans à la tête du pays. Toutefois, il continuera d’assumer son rôle de premier ministre et de chef du Parti libéral jusqu’à ce que son successeur soit désigné, à l’issue d’une course à la chefferie qui se conclura le 9 mars. Entre-temps, Trudeau a réussi à obtenir de la gouverneure générale Mary Simon une prorogation de la session parlementaire jusqu’au 24 mars. Cette décision met un terme à la session parlementaire en cours, suspendant les travaux de la Chambre et du Sénat jusqu’au mois de mars. Selon Trudeau, cette pause permettra au Parti libéral de se réorganiser et de recentrer ses priorités.
« Dès la fin de son premier mandat, on a senti un essoufflement. L’esprit de changement qu’il incarnait s’est vite dissipé »
Éric Bélanger, professeur de science politique à McGill
Dans son discours de démission, il a exprimé son regret de devoir quitter ses fonctions, mais a aussi souligné l’importance d’offrir un « choix clair et réel » aux Canadiens lors des prochaines élections. « Depuis 2015, je me suis battu pour ce pays, pour vous. Pour renforcer la classe moyenne. Pour faire progresser la réconciliation. Pour défendre le libre-échange. Pour notre soutien inébranlable à l’Ukraine. Pour lutter contre les changements climatiques », a‑t-il déclaré.
Liberal McGill, l’association officielle du Parti libéral du Canada à McGill, a salué le premier ministre pour son engagement et les actions menées en faveur de la jeunesse. Quinn Porter, président de l’association, a qualifié l’élection d’un nouveau chef du parti de « formidable opportunité pour les membres de Liberal McGill (tdlr) ». Une réunion ouverte a d’ailleurs été organisée pour permettre aux membres de débattre des enjeux de cette course à la chefferie.
Un bilan mitigé
Justin Trudeau, fils de l’ancien premier ministre Pierre Elliott Trudeau, a fait ses débuts en politique en octobre 2008, en remportant un siège de député dans la circonscription de Papineau, à Montréal. Rapidement, il a gravi les échelons au sein du Parti libéral du Canada (PLC). En 2011, dans un contexte où le parti venait de vivre une défaite historique, Trudeau s’est lancé dans la course à la chefferie. Il a remporté celle-ci en 2013 avec une majorité écrasante. Deux ans plus tard, en 2015, il accédait au poste de 23e premier ministre du Canada, amorçant ainsi un premier mandat marqué par de grandes promesses de changement.
Au début de sa carrière, Justin Trudeau jouit d’une grande popularité, particulièrement auprès des jeunes générations. Les magazines Vogue et Rolling Stone lui consacrent des couvertures, et son style décontracté allié à son ouverture d’esprit séduisent la population canadienne. « Il a su tirer parti des réseaux sociaux dès 2015, un outil que ses adversaires n’avaient pas pleinement intégré dans leurs stratégies », souligne Éric Bélanger, professeur de science politique et spécialiste du Canada à l’Université McGill. Cette maîtrise des nouveaux moyens de communication renforce son image de leader moderne et accessible.
« Alors que le Parti libéral s’apprête à lancer un processus d’élection pour choisir son prochain chef, la tâche s’annonce ardue pour celui ou celle qui héritera de la direction du parti »
Cependant, sa popularité s’est progressivement érodée au fil des années. Selon l’Institut Angus Reid, alors que son taux d’approbation s’élevait à 63% en décembre 2015, celui-ci a chuté à 41% en avril 2021 et à 22%
fin 2024. Bien que son premier mandat ait été marqué par des réussites notables, telles que la légalisation du cannabis ou encore une approche progressiste sur la scène internationale, le désenchantement a commencé à s’installer. « Dès la fin de son premier mandat, on a senti un essoufflement. L’esprit de changement qu’il incarnait s’est vite dissipé », explique Bélanger. Plusieurs promesses électorales clés, comme la réforme du mode de scrutin, sont restées lettre morte, affectant la crédibilité de Trudeau auprès de nombreux Canadiens. Cette promesse a d’ailleurs été relevée dans le discours de démission du premier ministre comme étant son plus grand regret. Réélu en 2019 et en 2021, il a néanmoins dû composer avec des gouvernements minoritaires, une situation qui limitait sa marge de manœuvre. Son bilan, après trois mandats, demeure mitigé. S’il est souvent crédité de réussites marquantes, telles que la renégociation de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) ou sa gestion de la pandémie, son héritage divise toujours l’opinion publique.
Un dirigeant usé ?
La démission de Justin Trudeau intervient après plusieurs mois de tensions politiques à Ottawa. La situation a pris un tournant décisif le 16 décembre 2024, lorsque la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a annoncé son départ, une décision perçue comme un point de non-retour pour le gouvernement. « J’ai l’impression qu’il se croyait encore capable de renverser la vapeur lors des prochaines élections », note Bélanger. « Il l’avait déjà fait en 2015 : il était troisième dans les sondages au début de la campagne, mais il avait réussi à décrocher un gouvernement majoritaire. » Cependant, la situation politique actuelle est bien différente de celle de 2015. Depuis plusieurs mois, les signes d’une crise profonde sont visibles, notamment au sein d’un Parlement paralysé par les affrontements partisans. Dans son discours de démission, Trudeau a pointé du doigt l’impasse institutionnelle dans laquelle se trouvait son gouvernement. « Le Parlement ne fonctionne plus depuis plusieurs mois. Il y a des motions d’obstruction constantes, et on a pu accomplir très peu pendant les derniers mois. Le Parlement a besoin d’un reset, a besoin de se calmer un peu les pompons […] », a‑t-il déclaré.
Par ailleurs, Trudeau se heurte à un phénomène plus large : l’usure du pouvoir. Après plus de neuf ans à la tête du Canada, une part importante de la population est désireuse de changement. « La population constate que le gouvernement qui a été élu il y a une dizaine d’années a accompli certaines choses, mais pas tout. On veut donner la chance à l’opposition d’essayer de faire mieux », explique Éric Bélanger.
Un avenir politique incertain
Alors que le Parti libéral s’apprête à lancer un processus d’élection pour choisir son prochain chef, la tâche s’annonce ardue pour celui ou celle qui héritera de la direction du parti. Selon Éric Bélanger, le défi est de taille : « Cela ne laisse pas beaucoup de temps à son successeur pour se définir vis-à-vis de la population canadienne et se positionner comme une véritable alternative à Pierre Poilievre. »
Le chef du Parti conservateur, Pierre Poilievre, a su imposer sa présence sur la scène politique ces derniers mois, galvanisant son électorat tout en attirant une partie des Canadiens désenchantés par le gouvernement libéral. Face à une telle opposition, le futur chef libéral devra non seulement restaurer la confiance des électeurs traditionnels du parti, mais aussi séduire les indécis et contrer l’élan des conservateurs.
Alors que le Parti libéral amorce cette transition, une question demeure : son prochain dirigeant parviendra-t-il à rétablir l’élan du parti en cette période charnière ou sera-t-il confronté à une opposition trop forte pour inverser la tendance ? Les prochains mois seront déterminants pour l’avenir politique du Parti libéral.