En s’attaquant à Nosferatu, Robert Eggers relève l’épineux défi de réinventer un chef‑d’œuvre mythique de l’expressionnisme allemand. Près de 100 ans après la sortie de l’original de Friedrich Murnau, cette adaptation de 2024 promettait une relecture moderne de l’oeuvre, tout en rendant hommage aux racines gothiques du genre. Mais si le film impressionne par sa maîtrise technique et ses images somptueuses, il laisse planer un sentiment d’inachevé, à mi-chemin entre hommage révérencieux et exercice de style dépourvu de souffle.
Une âme tourmentée
Ellen Hutter (interprétée avec une intensité désarmante par Lily-Rose Depp) est une jeune femme hantée par des visions cauchemardesques et un profond sentiment de mélancolie. Récemment unie à Thomas (Nicholas Hoult), elle le voit contraint de partir pour une mission en Transylvanie : finaliser la vente d’une propriété au riche et sinistre comte Orlok. Mais ce dernier, plus qu’un simple acquéreur, nourrit une obsession troublante pour Ellen. Lorsqu’Orlok quitte son château lugubre pour s’installer dans le village où réside le jeune couple, il y apporte une peste dévastatrice aux conséquences funestes.
Des performances captivantes
Lily-Rose Depp livre ici une interprétation bouleversante, incarnant une Ellen à la fois fragile et sinistre, déchirée entre la honte et la rédemption, que la caméra d’Eggers capte avec une précision presque clinique. Bill Skarsgård, quant à lui, est méconnaissable en comte Orlok. Son jeu subtil et glaçant, soutenu par un maquillage impressionnant, le consacre comme l’une des incarnations les plus terrifiantes du personnage. Mention honorifique à sa moustache fournie, qui bien qu’elle soit sans doute un hommage à Vlad l’Empaleur – le personnage historique ayant inspiré le célèbre Dracula –, n’inspire pas exactement la terreur. Et pourtant, il manque à ces performances une étincelle, un fil narratif capable de transcender leur isolement dans une succession de scènes visuellement saisissantes, mais souvent dépourvues d’un fil narratif concluant.
Une terreur à contre-courant
Avec Nosferatu, Eggers pousse à son paroxysme sa tendance à la composition picturale. Les plans symétriques, les jeux d’ombres et de lumières, et la photographie de Jarin Blaschke composent un tableau d’une beauté envoûtante. Cette recherche obsessionnelle de la perfection visuelle finit toutefois par étouffer le récit. Les scènes au château d’Orlock, bien que magistralement mises en scène, semblent dépourvues d’urgence dramatique. L’histoire avance sans élan, prisonnière d’une précision formelle qui frôle parfois la stérilité.
« Eggers semble pris entre deux aspirations […] sans réussir à unifier les deux »
Eggers s’éloigne ici des codes du cinéma d’horreur contemporain pour s’inscrire dans une tradition plus atmosphérique, en hommage aux premiers films de vampires, dont le Nosferatu de Murnau fait partie. Loin des jumpscares et du gore démesuré, Nosferatu mise sur une lenteur calculée, une esthétique soigneusement composée, et une bande-son oppressante pour façonner une ambiance lugubre et hypnotique. Si cette démarche séduit par son authenticité, elle risque de dérouter une audience habituée à un rythme plus effréné.
Une œuvre imparfaite
Avec Nosferatu, Robert Eggers livre un exercice de style aussi ambitieux qu’inefficace. Si le film impressionne par sa beauté visuelle et la qualité de ses interprétations, il lui manque cette étincelle narrative capable de résonner pleinement. Eggers semble pris entre deux aspirations – rendre hommage au passé et imposer sa propre vision – sans réussir à unifier les deux. Ce qui en résulte est une symphonie gothique fascinante, mais trop révérencieuse pour être totalement vibrante, un film qui hésite entre l’éclat du chef‑d’œuvre et la retenue du pastiche.