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Tarifs douaniers : Donald Trump à l’offensive

Quand l’ambiguïté devient un levier politique.

Eileen Davidson

Depuis sa victoire aux élections présidentielles américaines du 5 novembre 2024, Donald Trump a été l’un des sujets principaux de l’actualité mondiale, et non sans raison. Le futur président n’a cessé de choquer la communauté internationale avec ses projets de politique étrangère. Entre les menaces d’une augmentation radicale des droits de douanes et une rhétorique expansionniste agressive vis-à-vis d’autres États souverains (Canada, Panama, Groenland, Danemark), Donald Trump semble imposer son rythme, face à des partenaires incertains, vulnérables, et dépendants des décisions américaines. Parmi les nombreuses annonces de Trump, lesquelles devraient-on réellement prendre au sérieux ?

Fin novembre, Le Délit s’est entretenu avec Mark Brawley, professeur de science politique à McGill et spécialiste en économie politique, afin de mieux comprendre les futures décisions en matière de politique étrangère que Trump insufflera après son arrivée au pouvoir, le 20 janvier prochain.

Des menaces économiques

Sur le plan économique, Donald Trump a présenté des ambitions très agressives à l’encontre des pays étrangers. Il considère que les accords commerciaux actuels ne sont pas « justes » vis-à-vis des États-Unis, et souhaite donc rétablir un équilibre plus favorable pour le pays. Donald Trump a mentionné l’idée d’augmenter de 10% les tarifs douaniers pour tout produit importé aux États-Unis. Il a aussi menacé plus sévèrement le Canada et le Mexique de mettre en place des tarifs douaniers de 25% sur les produits provenant de ces pays, si ces derniers ne réajustent pas, entre autres, leurs politiques migratoires et anti-drogues.

Selon le professeur Brawley, il est difficile de savoir précisément quels droits de douane seront mis en place par Trump. Il estime qu’il y aura certainement des exceptions pour les pays que Trump considère comme « amis ». Une deuxième chose à prendre en compte sera l’agenda individuel des personnalités entourant le président. Ces derniers risquent de réaliser des accords parallèles les avantageant. Prenant l’exemple du milliardaire Elon Musk, nommé à la tête d’un futur « ministère de l’efficacité gouvernementale », Brawley considère qu’ « il est probable que des droits de douane soient appliqués sur des pièces provenant de pays étrangers, à l’exception des pièces dont Tesla a besoin, (tdlr)». Ce type d’accord a déjà eu lieu entre les deux hommes, notamment lorsque Donald Trump, connu pour ses positions anti-véhicules électriques, avait radicalement changé sa position vis-à-vis de ces derniers pour obtenir le soutien du milliardaire, propriétaire de Tesla, lors des élections présidentielles.

Quelles conséquences ?

Donald Trump veut donc utiliser la puissance économique américaine pour favoriser les États-Unis, quel qu’en soit le prix pour les partenaires économiques du pays. Brawley assure néanmoins que si les États-Unis sont depuis plusieurs décennies dans une position hégémonique à l’échelle internationale, c’est en partie grâce à la libéralisation du commerce international ainsi qu’à la réduction des droits de douane : « Les États-Unis sont dans une très bonne position parce qu’ils ont été au centre de ce nouvel ordre économique libéral. » Brawley ajoute qu’en voulant utiliser la position dominante américaine pour faire pression sur le reste du monde, Trump risque de compromettre l’équilibre qui a lui-même permis l’hégémonie américaine en utilisant la menace économique, Brawley considère que Trump « se tire une balle dans le pied ».

En effet, selon Brawley, « l’économie américaine reste très intégrée au reste du monde, elle a besoin des marchés étrangers. Dans le passé, à chaque fois qu’un pays a décidé d’ignorer le reste du monde au niveau commercial en mettant en place des droits de douane de manière unilatérale, les autres pays ont répondu ». Si la simple imposition de droits de douane crée déjà une inflation et ne bénéficie pas aux consommateurs américains, les réponses des pays étrangers risquent de diminuer la capacité des entreprises américaines à faire concurrence sur les marchés étrangers. Ce sera donc à la fois les processus de production qui seront impactés et la demande internationale elle-même. 

Le 9 janvier 2025, le premier ministre Justin Trudeau a soutenu dans une entrevue pour CNN que le partenariat commercial entre le Canada et les États-Unis (encadré par l’Accord Canada-États-UnisMexique de 2020) est « gagnant-gagnant », mais a ajouté que si Washington imposait des tarifs douaniers de 25%, le Canada répondrait en conséquence.

Une administration imprévisible 

Selon le Professeur, « Donald Trump n’est pas particulièrement lié à des principes ou à une idéologie, ce qui rend ses objectifs et décisions difficiles à prédire ». Si la personnalité de Donald Trump est par nature impulsive et imprévisible, le professeur Brawley souligne que la situation politique entre le premier mandat de Donald Trump et son second mandat est complètement différente. Trump dispose désormais d’une plus grande capacité d’action. « Lorsqu’il est entré en fonction en 2017, il avait de nombreux conseillers très expérimentés autour de lui, en particulier sur l’aspect sécuritaire de la politique étrangère. Plusieurs d’entre eux étaient des anciens militaires, qui avaient prêté serment de défendre la Constitution. Ainsi, lorsque Trump leur demandait de faire quelque chose qui allait à l’encontre des normes ou de la Constitution, ils devaient lui répondre : “Non, vous ne pouvez pas faire ça”. » Désormais, la situation est différente : d’après Brawley, ce ne sera « certainement pas des officiers militaires. Trump va s’entourer principalement par des “yes-men”, afin d’éviter les contraintes auxquelles il a dû faire face lors de son premier mandat ». Quelques jours après notre entrevue avec le professeur Brawley, Donald Trump a par exemple nommé Pete Hegseth, un animateur de Fox News, comme secrétaire à la Défense. Ce dernier passera donc des plateaux télévisés au Pentagone, pour diriger l’armée la plus puissante du monde.

Brawley considère que les institutions donneront elles aussi plus de liberté à Trump. En plus de diriger l’exécutif, Trump dispose d’une nouvelle majorité républicaine au congrès, ce qui lui facilitera la mise en place de son programme. Brawley ajoute que son pouvoir au sein du parti républicain s’est aussi renforcé depuis son premier mandat : « si vous regardez les personnes à la tête du Parti républicain au Congrès en 2017, ils n’étaient pas des Trumpistes, tandis qu’aujourd’hui, ils le sont. » Il y a moins de chances que le Congrès s’oppose à ses projets. Finalement, en raison de la décision de la Cour suprême sur l’immunité présidentielle, il pense également qu’il a le feu vert des tribunaux, même s’il est peu probable que ce soit le cas.

A la suite de notre entrevue avec le professeur Brawley, Donald Trump a multiplié les annonces expansionnistes, mentionnant l’idée d’annexer le canal de Panama, le Groenland, et même de faire du Canada le 51e état américain. Recontacté depuis, Brawley considère que ces annonces sont principalement des moyens de pression, tout comme les tarifs douaniers, pour pousser ces pays à ajuster leur politique aux ambitions de la nouvelle administration américaine. L’imprévisibilité et l’ambiguïté des intentions du personnage font partie intégrante de sa stratégie, visant à obtenir des concessions par la menace de répercussions économiques : le 20 janvier prochain marquera donc le début d’un second mandat pour Donald Trump, ainsi qu’un retour à la diplomatie du rapport de force.


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