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Café et cartes postales

C’est autour d’un café que Le Délit a rencontré l’écrivaine, traductrice littéraire et éditrice Jo-Anne Elder lors de son passage dans la métropole. Portrait d’une femme inspirante qui fonce dans la vie avec douceur et dont la philosophie ne peut que vous charmer.

Partie intégrante de la littérature canadienne, Jo-Anne Elder s’est illustrée dans plusieurs sphères de la vie culturelle, de sorte que sa réputation n’est plus à faire. Native de l’Ontario, elle entreprend des études en littérature comparée à l’Université de Sherbrooke pour ensuite s’établir à Fredericton. C’est dans les Maritimes, où elle est maintenant surtout reconnue en tant que traductrice littéraire, qu’elle construit sa vie. Ayant notamment traduit vers l’anglais les œuvres du poète acadien Herménégilde Chiasson, elle s’est vu attribuer le titre de finaliste au Prix littéraire du Gouverneur Général en 2008 pour sa traduction du recueil Béatitudes. Elle a également participé à diverses publications, en plus d’avoir fait paraître un ouvrage de fiction publié en 2005 : Postcards From Ex-Lovers.

Les concours d’écriture à thème ont toujours inspiré Jo-Anne Elder ; l’idée de devoir créer en respectant des contraintes ne la rebutait pas mais la poussait à créer. C’est d’ailleurs lors d’un de ces concours littéraires que Jo-Anne Elder allait découvrir ce qui deviendrait son genre littéraire de prédilection, la carte postale, qui permet d’écrire un court récit et qui n’a pour seule contrainte que de se plier au format de la carte. Une carte postale griffonnée en quelques minutes –tout en gardant un œil sur ses enfants– lui fit remporter le premier prix du concours. Cet événement ne resta pas sans conséquences. En effet, Jo-Anne Elder fut par la suite invitée à faire des lectures de ses cartes postales. Comme elle n’en avait alors écrit qu’une seule, elle se mit à rédiger d’autres cartes pour en faire la lecture, découvrant par le fait même ce qui devint son art : un genre flexible qui se mariait à merveille avec sa vie mouvementée de mère d’une famille nombreuse, un avantage que ne pouvait lui offrir la fiction sous d’autres formes. Au fil des années, des histoires prenaient vie, avec pour support autant de véritables cartes que de simples serviettes en papier. La spontanéité de la carte postale a ainsi permis à Jo-Anne Elder d’écrire sur sa vie qui, comme elle le dit bien, a été marquée par une série d’imprévus. Et pourtant, le but de l’écrivaine n’est clairement pas de se lamenter, mais plutôt d’utiliser ses expériences difficiles pour enrichir son écriture, une valeur qui se transmet dans son style.

Après une décennie à rédiger des cartes postales qui relatent ses souvenirs –voyages, déménagements et autres épisodes de sa vie–, Jo-Anne Elder est encouragée par ses amis à les rassembler pour former un recueil. C’est ainsi que Postcards From Ex-Lovers voit finalement le jour en 2005, rassemblant en un recueil des cartes postales qui font voyager entre fiction et réalité, d’une ville à l’autre. La délicieuse fiction que l’on retrouve dans le recueil d’Elder prend ses racines dans l’observation des gens au quotidien, une activité dans laquelle l’auteure laisse libre cours à son imagination et se permet d’inventer des vies et des histoires à de parfaits inconnus, rencontrés au hasard dans des cafés ou dans des lieux de passage, comme les gares et les aéroports. C’est d’ailleurs après avoir vu un homme et une femme utiliser leur carte de visite comme moyen de séduction que Elder eut l’idée d’utiliser la très conventionnelle business card à des fins créatives, un genre qu’elle est la première à avoir introduit. Peu importe la forme, Jo-Anne Elder s’amuse à donner de l’importance à des éléments qui passent généralement inaperçus, à calculer ce que l’on cherche généralement à taire –tel le nombre de défaites ou de relations amoureuses vouées à l’échec– et à conter ce qu’on oublie trop souvent, comme l’histoire familiale. Elle recense les éléments qui font d’une personne ce qu’elle est, en montrant clairement que l’on se trouve bien souvent enrichi des expériences qui ne comptent pas aux yeux de la société.

Les talents de Jo-Anne Elder ne se limitent toutefois pas à la rédaction de cartes de toutes sortes, loin de là. Si l’écrivaine est également traductrice littéraire spécialisée dans le domaine des arts –elle s’intéresse elle-même aux arts visuels et à la photographie–, elle est aussi éditrice pour la revue Ellipse, une publication qui se donne pour mission de traduire des textes littéraires canadiens dans les deux langues officielles. L’un des objectifs de l’artiste est d’inclure certaines langues amérindiennes au champ d’action de la revue, un projet qui lui tient à cœur. La traduction est, selon Jo-Anne Elder, une contribution à la société, puisqu’elle permet la compréhension de la réalité des autres. C’est dans cette même optique que l’auteure organise annuellement l’événement Côte à côte, le seul festival de traduction littéraire au Canada.

Jo-Anne Elder porte également un vif intérêt pour les études de la femme, dénonçant la rigidité du domaine académique envers les femmes. Bien qu’elle enseigne aujourd’hui à l’Université de Moncton et à l’Université de Fredericton, elle reconnaît que le système académique n’accommode en rien les femmes désireuses d’avoir une famille nombreuse, puisqu’il n’excuse pas les années passées à élever les enfants. L’intérêt de Jo-Anne Elder pour la condition féminine se prolonge jusqu’à la sphère spirituelle, ce qui a donné lieu à un recueil de textes portant sur la spiritualité, écrits par des femmes canadiennes de provenances diverses et fait sous sa direction.

On peut être surpris, lorsqu’on rencontre Jo-Anne Elder, de constater le degré d’implication qu’elle porte à toutes les sphères dans lesquelles elle s’implique. Elle perçoit son dévouement comme la clef d’une vie remplie par ses passions, même si sa plus grande richesse, l’artiste vous le dira elle-même, est sa nombreuse famille, pour laquelle elle a donné plusieurs années et continue aujourd’hui de se dévouer. C’est bien la preuve que, même dans un domaine aussi difficile que celui de la littérature, il est possible de faire son chemin, à coup d’efforts.


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