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Babygirl

Domination et déceptions.

Eileen Davidson | Le Délit

Déroutée, seule ou presque dans la salle, je regarde le générique de fin défiler. Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas : tous de grands noms du cinéma actuel. Pourtant, un sentiment de malaise – voire de dégoût – m’habite et ne me quitte pas dans les heures qui suivent mon visionnement de Babygirl, la dernière production de la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn, aussi connue pour Bodies Bodies Bodies (2022).

Le scénario suit le personnage de Romy, une puissante femme d’affaires à la tête d’une entreprise de robotique qui, à l’arrivée de leur nouvelle cohorte de stagiaires, s’éprend de l’un d’entre eux, Samuel. Le film débute avec une scène où Romy et son mari font l’amour, rien de plus ordinaire. Malgré l’apparente normalité de la scène, nous savons dès lors que l’histoire prendra une tournure des plus particulières, puisque Romy, dès que l’acte est terminé, quitte le lit conjugal pour aller regarder de la pornographie en cachette. Ce détail semble vouloir semer les graines d’un récit centré sur les désirs cachés et la transgression. Cependant, ce qui aurait pu être une exploration audacieuse de la psyché humaine se transforme rapidement en une histoire sordide et, à bien des égards, réductrice.

Alors qu’on aurait pu croire que ce film porte sur l’amour fougueux et interdit naissant entre deux collègues, c’est plutôt une histoire de domination caricaturale que nous offre Babygirl. Bien que les visuels et la musique soient corrects – sans être particulièrement mémorables –, c’est le manque flagrant d’exploration de la psychologie des deux personnages principaux qui rend le visionnement de Babygirl réellement pénible. Ce qui rend les kinks intéressants, c’est souvent l’aspect psychologique sous-jacent, les conflits intérieurs, les tensions entre le pouvoir et la vulnérabilité. Ici, tout est traité de manière simpliste, comme si les choix des personnages étaient dictés par un scénario plus préoccupé par le choc que par la profondeur. La superficialité du traitement offert aux deux personnages principaux ne laisse que très peu d’indices sur leurs motivations respectives. Romy, censée incarner une femme complexe, est dépeinte mécaniquement, comme si ses actions ne suivaient qu’une pulsion unidimensionnelle. De son côté, Samuel reste vide et ne semble exister que pour interpréter le rôle d’objet de désir et de figure de domination.

Ce qui aurait pu être une étude sur les relations de pouvoir se réduit finalement à une reconstitution stérile des mêmes structures patriarcales que le film semble vouloir dénoncer. Le récit n’offre aucune nuance : Romy, pourtant présentée comme une figure puissante et influente, une femme ayant réussi à abattre les standards sociétaux genrés, est réduite à celle qui, au plus profond d’elle, cherche désespérément à être dominée par un homme. Ainsi, le film semble vouloir nous dire que la femme, bien qu’elle puisse en apparence s’émanciper de la domination masculine dans le milieu professionnel, est tout de même désireuse de se soumettre à l’homme dans sa vie intime, constat qui me semble des plus caricaturaux. Le film reproduit donc les clichés les plus éculés sur la soumission féminine : plutôt que de défier ces dynamiques, le film les perpétue, les glorifiant presque.

En quittant la salle, j’ai ressenti un vide important, comme lorsqu’on a été témoin d’une opportunité gâchée. Babygirl aurait pu être une réflexion profonde sur le désir, le pouvoir et la complexité des relations humaines. Le film n’est finalement qu’une représentation bancale de la liaison amoureuse, en rien audacieux, et par dessus tout, inapte à traiter ses sujets avec la nuance qu’ils méritaient.


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