Toasts au beurre d’arachides, hamburger-frites de A&W, conserve de petits pois, voilà à quoi ressemblent les repas des étudiants en semaine lorsqu’il leur manque le temps et l’énergie pour enfiler le tablier et se mettre à cuisiner. En quittant le foyer familial pour aller à l’université, beaucoup d’étudiants qui avaient l’habitude de mettre les pieds sous la table après une journée d’école, se retrouvent à devoir faire les courses et cuisiner, ce qui prend du temps. Manquant d’expérience, ou avec un budget limité, les repas peuvent devenir un vrai casse-tête, une charge mentale additionnelle, et sont souvent relégués au second plan ; certains étudiants préfèrent sauter des repas parce que le frigo est vide ou pour ne pas perdre une heure de révision. Or, bien s’alimenter est fondamental pour pouvoir se concentrer et être plus efficace dans son travail. Alors, comment combiner alimentation saine et régulière avec le quotidien contraignant d’un étudiant ?
Sandrine Geoffrion, diplômée d’une maîtrise à l’Université de Montréal en nutrition et membre de l’Ordre des diététistes-nutritionnistes du Québec (ODNQ), a accepté de répondre à mes questions. Elle est également la fondatrice du Club Sandwitch, un site internet qui vise à aider les jeunes (et moins jeunes) à trouver la motivation nécessaire pour adopter une alimentation équilibrée.
Un besoin vital
Dès notre plus jeune âge, on apprend à l’école les mathématiques, le français, la science, et même le sport, mais on ne reçoit que rarement une éducation sur la nourriture et l’impact de son régime alimentaire sur la santé physique et mentale. Or, sans nourriture, aucune activité humaine ne serait possible. Beaucoup d’étudiants négligent leur alimentation, ce qui peut avoir des conséquences importantes sur leur capacité à effectuer des tâches au quotidien et menacer leur bien-être. Alors pourquoi est-il primordial de savoir bien manger ?
Lorsqu’on saute un repas, « c’est comme si on partait faire un voyage de Montréal jusqu’à Québec, sans faire le plein avant de partir : ce sera difficile de se rendre jusqu’au bout ». Par cette métaphore, Sandrine Geoffrion nous rappelle le rôle essentiel que joue la nourriture comme carburant qu’« on met dans notre corps et qui va nous permettre d’accomplir nos activités de la journée. » Bien que l’on puisse avoir l’impression à court terme d’avoir plus d’énergie si on saute un repas, les effets du manque de nourriture apparaissent brutalement plus tard dans la journée. Le cerveau, qui n’est plus alimenté, subit un « crash » et on perd toute notre concentration. La diététiste explique qu’il peut arriver qu’« on ne se rende pas compte qu’on a faim pendant la journée si on est habitué à étouffer nos signaux de faim puis de satiété, ce qui peut mener à des rages alimentaires en fin de journée ». En effet, quand on a excessivement faim, « on veut manger là tout de suite, alors on se tourne vers des aliments gras, sucrés, riches en énergie, souvent ultra-transformés, et moins intéressants d’un point de vue nutritif ».
En outre, les bénéfices d’une bonne alimentation sont multiples. En plus d’avoir un effet positif sur notre santé physique et mentale, les repas sont des moments de partage conviviaux, qu’ils soient utilisés comme prétexte pour une réunion entre amis, de pause au travail avec les collègues ou de retrouvailles familiales lors des fêtes de fin d’année. Ils permettent également de découvrir d’autres cultures à travers leurs spécialités culinaires. Par ailleurs, les repas rythment nos journées et participent à une routine réconfortante, c’est le moment idéal pour s’aérer l’esprit et se consacrer au plaisir de savourer la nourriture.
Selon la nutritionniste, il est crucial d’apprendre à bien s’alimenter le plus tôt possible, particulièrement lorsqu’on est étudiant, pour « construire de bonnes habitudes sur le long terme ». Arrivé à l’âge adulte, si l’on s’est accoutumé à sauter des repas régulièrement, cela peut causer « des problèmes de santé comme des maladies chroniques, le diabète de type 2, la dyslipidémie [anomalie dans la répartition des lipides, ndlr], ou des problèmes de cholestérol ».
Pas de règles
Vous est-il déjà arrivé d’être réveillé à deux heures du matin parce que votre colocataire avait décidé d’utiliser le mixeur pour préparer son dîner ? Vous êtes-vous alors demandés s’il était vraiment raisonnable de manger à des horaires pareils ? Sandrine Geoffrion explique qu’en nutrition, il n’y a pas de règles fixes, « parce qu’on n’est pas des robots ». Tout comme les besoins en calories varient d’une personne à une autre, en fonction de notre sexe, notre âge, notre taille ou encore notre niveau d’activité physique, notre emploi du temps ne nous permet pas toujours de manger à des horaires fixes, et vouloir s’y tenir à tout prix peut même se révéler être une mauvaise idée. Selon la diététiste, il faut savoir adapter l’heure de ses repas à ses contraintes professionnelles ou scolaires et on peut consulter un nutritionniste qui pourra nous guider au besoin. Trop vouloir contrôler son alimentation peut aussi s’avérer néfaste pour sa santé mentale. Bien qu’il existe des calculs indiquant nos besoins énergétiques quotidiens, il n’est pas toujours pertinent de le savoir, car « cela peut mener à une envie de compter nos calories. Puis cela enlève le côté amusant de l’alimentation et peut l’amener à prendre de plus en plus de place dans notre tête ». Lorsque la nourriture devient obsessionnelle, elle peut générer des troubles alimentaires aux conséquences graves.
« En nutrition, il n’y a pas de règles fixes, « parce qu’on n’est pas des robots » »
Sandrine Geoffrion, nutritionniste
Sandrine Geoffrion met en garde contre les nombreux mythes et la désinformation qui circulent dans le domaine de la nutrition tels que : « ne mange pas après 20 heures, tu vas grossir. » Elle signale l’importance de « toujours s’assurer que l’information qu’on consomme provient de professionnels de la santé », ainsi que de « développer son esprit critique à ce sujet ». Finalement, la seule « règle » valable est que « si tu as faim, il faut que tu manges ». Il faut se fier à nos signaux de satiété. La faim est un mécanisme naturel du corps qui demande de la nourriture pour fonctionner. Certains utilisent l’alimentation intuitive qui consiste à écouter son corps plutôt que de suivre un régime drastique. Néanmoins, la nutritionniste reconnaît les bienfaits de respecter l’adage de trois repas par jour et de collations au besoin entre les repas, qui peut nous servir comme guide à adapter en fonction des particularités de notre rythme de vie et de nos préférences. Ce modèle peut donc être suivi avec flexibilité, car si on n’a pas faim le matin, mieux vaut ne pas se forcer mais prendre un petite casse-croûte plus tard dans la journée.
L’assiette équilibrée
On est tous d’accord pour reconnaître que les repas que l’on mange en restauration rapide ne sont pas bons pour notre santé. Mais alors à quoi ressemble le repas idéal pour faire le plein d’énergie ? Le site du gouvernement canadien propose l’assiette équilibrée comme outil de référence. La moitié de l’assiette doit contenir une part de fruits, mais surtout des légumes, puis un quart est occupé d’aliments à grains entiers du type riz, pâtes, pain. Enfin, le dernier quart devrait être composé de protéines, qu’elles soient végétales ou animales. Sandrine Geoffrion indique qu’il s’agit « d’une base que l’on accompagne avec de l’eau ». Cela ne nous empêche pas de nous en écarter, par exemple certains préférant diviser l’assiette en trois tiers égaux. Cette assiette reste selon elle un bon indicateur pour s’assurer « qu’on comble tous nos besoins en différents macro et micronutriments, sans trop se compliquer la vie ».
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Beaucoup d’étudiants sont réticents à consommer des légumes. Souvent parce qu’ils trouvent que ces derniers coûtent trop cher et que cela ne semble pas rassasiant. D’autres fois, c’est simplement parce qu’ils ne savent pas comment les cuisiner ou qu’ils y vouent une aversion impérissable du temps de leur enfance lorsqu’ils étaient forcés à en manger. La nutritionniste rappelle leur rôle essentiel : « C’est sûr que ce n’est pas les légumes qui vont combler une grande faim, puisqu’ils sont peu caloriques en raison de leur faible teneur en macronutriments (ces derniers fournissent de l’énergie comme les glucides, les lipides, les protéines). Mais il y a bien d’autres bonnes raisons de consommer des légumes : ils apportent des vitamines, des minéraux et des fibres, qui eux contribuent au bon fonctionnement de notre corps, mais aussi de la texture, de la saveur, du croquant et de la couleur qui contribuent au plaisir de manger. » Ils sont également riches en eau et participent à sublimer les plats gastronomiques. Ils contiennent d’autres molécules essentielles à la santé, dont certaines dont nous n’avons pas encore connaissance. Les légumes permettent de diversifier notre alimentation et ainsi d’éviter les carences alimentaires.
« Dans le meilleur des mondes, on cuisinerait tout nous-mêmes. Mais on n’est pas dans un monde idéal, on est des étudiants, et notre priorité, c’est d’étudier »
Sandrine Geoffrion, nutritionniste
Il faut également se rappeller qu’avoir une alimentation équilibrée ne se mesure pas seulement sur un repas mais à l’échelle de la semaine. Ainsi, ce n’est pas grave de dévier du modèle recommandé de temps en temps tant que la moyenne reste saine. « Notre corps a quand même un métabolisme assez adaptatif. Si jamais on a des repas qui sont moins équilibrés, ce n’est pas la fin du monde non plus » rassure la diététiste. Il est néamoins possible d’améliorer ses collations pour les rendre plus saines. Il vaut mieux privilégier des aliments riches en protéines que l’on peut trouver dans le yaourt ou les noix par exemple, et en glucides comme les fruits et les crudités. Une telle collation peut permettre d’assurer une continuité d’énergie lorsque nos repas sont très espacés.
Petit à petit
« Dans le meilleur des mondes, on cuisinerait tout nous-mêmes. Mais on n’est pas dans un monde idéal, on est des étudiants, et notre priorité, c’est d’étudier » remarque Sandrine Geoffrion. Cela ne nous empêche toutefois pas de faire des efforts pour contourner l’alimentation ultra-transformée et intégrer davantage de vert et de frais à nos repas. Modifier son alimentation se fait par étapes. Il faut « commencer en prenant quelque chose qui est facile pour nous, comme des petites carottes qui sont déjà coupées dans un sac, que l’on peut accompagner avec des trempettes, » suggère la nutritionniste. Mettre en évidence des fruits « prêt-à-consommer » comme des pommes, des bananes ou des clémentines dans un saladier ou des légumes qu’on a déjà portionnés dans le frigo peut les rendre plus attrayants et facilement accessibles. On peut aussi passer en revue les aliments ultra-transformés que l’on achète en magasin et réfléchir à comment les remplacer ou les faire maison. En prenant l’exemple des barres tendres, « on peut comparer les options disponibles sur le marché ». Certaines marques proposent des produits plus intéressants sur le plan nutritif. Lorsqu’on hésite entre différents produits en magasin, il peut être utile de comparer leur teneur en sucres ajoutés, sel, et gras saturés ou de choisir des options avec une courte liste d’ingrédients.
Il existe des ressources pour les étudiants qui manquent d’idées pour diversifier leur alimentation. L’Université de Montréal a développé le guide alimentaire Viens manger et sa version végétarienne, que l’on peut consulter gratuitement en ligne. Sandrine Geoffrion conseille aussi d’autres livres de recettes : La bible des collations, La croûte cassée, ou encore Beau bon pas cher. On peut aussi s’inspirer des comptes culinaires sur les réseaux sociaux comme celui de Geneviève O’Gleman ou du site internet Ricardo. Il n’est jamais trop tard pour prendre des bonnes habitudes, et prendre soin de soi commence par ce que l’on met dans notre assiette !