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Parler de sexualité en toute sérénité

Le service de sexologie disponible pour les étudiant·e·s de McGill.

Toscane Ralaimongo | Le Délit

L a Saint-Valentin, qui célèbre l’amour le 14 février, sert de prétexte idéal pour un dîner en amoureux·ses, une soirée pyjama entre ami·e·s, ou encore un moment privilégié pour se consacrer à soi. Néanmoins, cette fête apporte aussi son lot d’angoisses liées aux nombreuses attentes sociales qui lui sont associées. Quand on est en couple, l’organisation de la soirée s’avère une tâche complexe : choisir un restaurant, préparer une activité, acheter un cadeau… D’ailleurs, les conventions sociales ne s’arrêtent pas là et pénètrent même la sphère intime, une fois qu’arrive l’heure de se glisser dans les draps. Et si je suis trop fatigué·e pour faire l’amour ce soir ? Pour certain·e·s étudiant·e·s, cette date fatidique marque l’anniversaire d’une nouvelle année de célibat, et peut raviver la frustration de ne pas avoir encore connu leur première fois ; il est parfois difficile de faire abstraction du discours dominant et de l’injonction au couple et à la sexualité.

« L’Université McGill a ainsi été la première université canadienne à proposer un soutien sexologique à ses étudiant·e·s »

À l’occasion de la Saint-Valentin, le Pôle bien-être étudiant de McGill a organisé un atelier de conversation, animé par deux sexologues, Maga-Li Monteilhet-Labossière et Gabrielle Petrucci, pour répondre aux questions des étudiant·e·s sur la sexualité, « une expérience humaine commune, dont on parle peu (tdlr) », selon Monteilhet-Labossière.

Parler d’intimité

Au troisième étage du Pavillon Brown, situé sur la rue McTavish, The Healthy Living Annex est un refuge chaleureux sur le campus. Assis·e·s en cercle autour d’une table jonchée de crayons feutres et de cartes de Saint-Valentin à colorier, enveloppées par les vapeurs échappant des tasses de thé, c’est avec timidité et curiosité que quelques étudiant·e·s sont venu·e·s participer à l’atelier. Sur une seconde table, des jouets sexuels ont été disposés à côté d’une ancienne boîte de biscuits désormais remplie de morceaux de papier comportant diverses questions pour amorcer la discussion.

Le service de sexologie de McGill a été créé en 2021 à l’initiative des sexologues Maga-Li Monteilhet- Labossière et Julie Marceau. L’Université McGill a ainsi été la première université canadienne à proposer un soutien sexologique à ses étudiant·e·s. Depuis sa création, la demande n’a cessé d’augmenter, démontrant le caractère indispensable d’un tel service, alors que de nombreux·ses étudiant·e·s ont besoin de consulter un·e professionnel·le pour parler de leur intimité. Les raisons qui peuvent pousser à prendre un rendez-vous avec une sexologue sont multiples : discuter des questionnements sur son orientation sexuelle ou son identité de genre, parler d’une expérience de violence sexuelle, évoquer des problèmes liés à la sexualité, comme les infections sexuellement transmissibles, ou aborder tout autre sujet en lien aux rapports intimes.

Une étudiante pioche un premier papier dans la boîte ronde qui révèle le mot « affection ». Qu’est-ce que cela évoque ? La discussion débouche sur les langages de l’amour et comment faire face aux défis que peuvent entraîner une différence de langage affectif entre deux partenaires. Les tirages s’enchaînent et de nombreux thèmes sont abordés : comment naviguer le consentement pendant un rapport sexuel ? Comment partager ses préférences érotiques avec son·sa partenaire ? Qu’est-ce que la vulnérabilité ? Tous ces sujets peuvent sembler intimidants pour ceux·celles qui nagent encore dans l’inconnu, mais le rôle des sexologues est précisément d’accompagner les étudiant·e·s dans la découverte de leur sexualité et de répondre à toutes leurs questions, sans tabous.

Défaire les mythes

Les minutes défilent et de nouvelles personnes rejoignent la conversation ; les cartes auparavant vierges affichent maintenant une palette de couleurs. Julie Marceau, avec qui j’ai pu m’entretenir dans son cabinet, m’a confié recevoir des étudiant·e·s de tous genres. Le plus souvent, les personnes qui la consultent souffrent d’anxiété, provoquée par le sentiment de ne pas correspondre à la norme. « Certains sont inquiets de ne pas avoir d’expérience, d’autres d’en avoir trop à leur âge », m’a expliqué la sexologue.

« Y a‑t-il un âge pour la première fois ? » dévoile un nouveau papier de la boîte à biscuit. Les animatrices de l’atelier insistent sur l’importance de déconstruire les nombreux mythes qui entourent la sexualité et s’interrogent sur la définition même de la « première fois ». Celle-ci varie en fonction de chacun·e, tout comme les besoins en matière de sexualité sont différents pour tous·toutes. Il n’y a pas d’âge pour avoir ses premiers rapports sexuels et chacun doit suivre son propre rythme.

« Les mythes entourant la sexualité ont pour conséquence de générer une pression de performance lors d’un rapport intime, qui empêche de vivre pleinement le moment »

De nombreuses idées fausses sont renforcées par les images véhiculées par les films et la culture populaire. Julie Marceau en souligne quelques-unes : l’obligation d’avoir des rapports sexuels à une fréquence pré-établie quand on est en couple, devoir endurer de la douleur lors de la première relation sexuelle, ou encore se sentir obligé·e·s d’avoir des relations sexuelles pénétratives. Pourtant, les études démontrent que « seulement 17% des femmes ont des orgasmes de cette façon. » De la même manière, le désir n’est pas forcément physique, mais peut également être émotionnel. Il fluctue au cours du temps, et peut être absent pendant des périodes de stress et de fatigue, par exemple. Les mythes entourant la sexualité ont pour conséquence de générer une pression de performance lors d’un rapport intime, qui empêche de vivre pleinement le moment. Pourtant, « il y a quelque chose de très ancrant dans le toucher physique », remarque Monteilhet-Labossière, « qui permet de se sentir dans l’instant présent. »

Communiquer

Le service de sexologie offert par McGill permet aussi de combler le manque d’éducation sexuelle, notamment pour les étudiant·e·s qui viennent de pays étrangers aux normes et cultures différentes. Une des étudiantes participant à l’atelier explique que dans son pays d’origine au Moyen-Orient, on ne reçoit aucune éducation sexuelle et exprimer son désir n’est pas accepté. Julie Marceau m’a raconté avoir souvent été confrontée à des étudiant·e·s internationaux·les en proie à des dilemmes moraux déclenchés par le décalage entre les normes de leur pays d’origine et celles qu’ils·elles découvrent au Québec. Dans certains pays, les rapports sexuels ne sont pas autorisés avant le mariage. Ainsi, les étudiant·e·s ont recours à son aide pour apprendre à gérer leur désir et rester fidèles à leurs valeurs. D’autres sont inquiet·ète·s de devoir se réadapter à la culture sexuelle de leur pays d’origine après l’obtention de leur diplôme.

Toutefois, même si l’on a reçu une bonne éducation sexuelle, cela ne nous empêche pas d’avoir de nombreuses choses à apprendre et à découvrir sur nous-mêmes en matière de sexualité. Les sexologues peuvent ainsi nous aider à comprendre quels sont nos désirs, et nous donner des pistes pour explorer notre corps. Les sexologues rappellent également que la sexualité est une danse à deux. C’est pourquoi, pour tout rapport intime, la clé est de bien communiquer avec son·sa partenaire, bien que cela ne soit pas toujours facile.

Après deux heures de discussion animées et des cartes de Saint-Valentin bien décorées, l’atelier d’éducation sexuelle prend fin. Monteilhet-Labossière conclut que les questions qui y ont été abordées sont universelles, et qu’il n’y a pas de honte à se les poser. Alors si la sexualité vous rend anxieux·se, n’hésitez pas à prendre un rendez-vous au Pôle bien-être étudiant de McGill pour rencontrer une sexologue. En attendant, pour toute question urgente en lien à ce sujet, vous pouvez consulter le site Sex & U, recommandé par la sexologue Julie Marceau. 


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