Aller au contenu

Le brutalisme : appréciable ou détestable ?

Critique du film The Brutalist de Brady Corbet.

Stu Doré | Le Délit

Le 2 mars dernier, le film The Brutalist (Le brutaliste) du réalisateur Brady Corbet a remporté trois Oscars : meilleur acteur pour Adrien Brody, meilleure musique de film ainsi que meilleure photographie. Avec ses 3 heures 45 minutes, entre le scandale d’intelligence artificielle et son choix audacieux d’un tournage en 70 mm, The Brutalist a su provoquer la discussion à Hollywood et marquer les esprits – ainsi que la saison des Oscars.

Renouveau à Hollywood

L’œuvre de Brady Corbet s’empare d’un sujet déjà largement traité à Hollywood, abordant le sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et les migrations forcées qui ont suivi. Bien que The Brutalist n’innove pas en matière de récit, il apporte un angle inédit avec le thème du rêve américain. Le film raconte l’histoire de László Tóth, incarné par Adrien Brody, un architecte renommé d’origine juive hongroise, qui immigre à New York après la Seconde Guerre mondiale. Il travaille dans un premier temps dans un magasin de meubles, puis dans les mines de charbon, avant de refaire son prestige dans l’architecture en adoptant le style brutaliste des années 1950. L’œuvre est divisée en deux parties, chacune correspondant à une tranche d’années. La première (1947- 1952) offre un aperçu réel et brut de la réalité des immigrants des années 40 : de New York à Philadelphie, les tensions familiales, les banques alimentaires et la dépendance à l’héroïne sont tous des thèmes qui offrent un aperçu cru et sombre des réalités du « rêve américain ».

La deuxième partie (1953–1958) suit László Tóth dans son nouveau projet architectural : l’Institut Van Buren, financé par le riche homme d’affaires Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce). Ce dernier souhaite construire un centre communautaire à l’architecture grandiose en Pennsylvanie, en l’honneur de sa mère. Au fil des années, les retrouvailles familiales, les tensions professionnelles entre László et Harrison Lee, ainsi que les traumatismes passés se croisent et s’entrelacent. Cette deuxième partie met en lumière l’exceptionnelle performance d’Adrien Brody, qui incarne un homme déchiré entre ses ambitions de grandeur et son identité d’immigrant, un conflit qui entrave son intégration dans la société américaine. Entre les retrouvailles familiales, les difficultés liées à l’identité et les luttes personnelles, tant physiques qu’émotionnelles, les traumatismes et le désir de renouveau se mêlent et se confrontent tout au long de l’histoire.

D’entrée de jeu, la qualité cinématographique de The Brutalist est évidente. L’oeuvre a été filmée avec une caméra 70 mm, un choix que le directeur Brady Corbet justifie : « La meilleure façon d’accéder [aux années 1950] était de filmer quelque chose qui avait été conçu dans la même décennie (tdlr) ». Cette décision artistique s’avère un franc succès. Dès le premier plan, l’immersion est parfaite : le protagoniste est dans un train, en route vers ce que l’on croit être un camp de concentration. Mais dès l’ouverture des portes, un plan sublime révèle la Statue de la Liberté, symbole d’espoir pour les immigrants. Grâce au format 70 mm, nous sommes instantanément projetés dans l’atmosphère des années 50. Tout au long de l’œuvre, les plans statiques (mines de charbon, chantiers de construction, carrières de Carrare en Italie, maisons grandiose de Pennsylvanie, ou encore plans d’architecture illuminés) se dotent d’une dimension sublime grâce au style de caméra et au travail du cinématographe Lol Crawley. Composée par le compositeur Daniel Blumberg, la bande originale de The Brutalist est aussi une partie clé de sa réussite. Les 10 premières minutes du film sont accompagnées d’une musique ininterrompue, qui établit l’atmosphère pour le reste de l’œuvre.

Un prix mérité ?

Les qualités esthétiques du film ne l’ont pourtant pas exemptées de scandale. En effet, en janvier dernier, l’éditeur de The Brutalist Dávid Jancsó a révélé que les voix d’Adrien Brody (László) et de Felicity Jones (Erzsébet) avaient été modifiées avec l’intelligence artificielle afin de peaufiner l’accent hongrois dans quelques scènes. Si certains ont critiqué cet usage, arguant qu’il diminue le talent du jeu d’acteur, d’autres y ont simplement vu une campagne de diffamation avant la saison des Oscars. Bien que cela n’altère en rien le travail des acteurs ni la beauté du film, nombreux sont ceux qui sont restés perplexes lorsque Adrien Brody a remporté l’Oscar du meilleur acteur, considérant que d’autres nominés, dont la performance n’avait pas été enrichie par l’intelligence artificielle, l’auraient davantage mérité.

Ce film comporte des scènes de violence sexuelle.


Dans la même édition