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Les maladies tropicales au radar

Les maladies tropicales sont négligées par les chercheurs. Entrevue avec Timothy Geary.

L’Institut de parasitologie de McGill, avec le Dr Timothy Geary à sa tête, a reçu une subvention d’un million de dollars pour lutter contre les maladies tropicales, et principalement contre celles causées par les helminthes, qui affectent plus d’un milliard de personnes dans les régions à faibles ressources.

Le Délit : En quoi consistent vos recherches sur les helminthes ?
Dr. Timothy Geary : Notre objectif est de découvrir de nouveaux médicaments (antihelminthiques) pour traiter les infections causées par des nématodes parasites. Ce genre d’infections se propage dans le tractus gastro-intestinal ou dans les autres tissus humains et engendre des maladies comme la cécité des rivières (onchocercose) et l’éléphantiasis (filariose lymphatique). Bien que nous possédions déjà certains médicaments très utiles contre ces infections, nous avons besoin de remèdes à long terme afin de mieux faire face à ces maladies issues des pays pauvres.

Owen Egan

LD : Comment comptez-vous utiliser le montant qu’on vous a alloué ?
TG : L’argent sera en partie utilisé à Montréal, mais l’objectif principal est de procéder à la découverte de médicaments dans les laboratoires de l’Université du Botswana et de l’Université du Cap, en Afrique du Sud. La plus grande somme d’argent sera utilisée pour la formation de personnes compétentes, le transfert d’outils technologiques et le développement de programmes de dépistage en Afrique.

LD : Les médicaments commercialisés seront-ils faciles d’accès ?
TG : La recherche et le développement de médicaments constituent un processus d’une dizaine d’années en général. L’un des avantages de notre projet est que nous allons mettre les résultats des essais directement entre les mains des scientifiques locaux. Nous ferons en sorte que les droits de propriété intellectuelle restent sur place, afin d’appuyer et de soutenir le développement d’une nouvelle entreprise commerciale qui se concentrera sur la recherche et le développement de médicaments. Nous ne voyons aucun problème à ce qu’un bénéfice raisonnable dérive finalement de ce travail, tant que cela reste en Afrique et que ce soit utilisé pour renforcer les capacités scientifiques et technologiques locales. Aucun profit tiré de nos recherches ne nous reviendra.

LD : Dans combien de temps pensez-vous voir les fruits de vos recherches ?
TG : Il s’agit d’un projet à long terme. Pour nous, il s’agira d’abord d’identifier des molécules actives (« hits ») potentiellement utiles au développement de nouveaux médicaments. Nous essaierons ensuite d’attirer des sources de financement supplémentaires pour soutenir et étendre le projet en Afrique. Enfin, la réussite sera complète si nous parvenons à identifier, à recruter et à former des scientifiques africains prêts à assumer un rôle de leadership dans le projet.

LD : Pourquoi la recherche sur ces maladies tropicales est-elle subitement subventionnée ?
TG : Les infections par les vers ne sont pas glamour, elles ne causent pas de létalité aiguë et ne sont donc pas sous les « radars d’urgence » des donateurs et des gouvernements. Cependant, nous savons que ces infections contribuent grandement au cycle de la pauvreté. Ils réduisent la fréquentation scolaire et la performance, contribuent à une baisse de productivité et provoquent des pathologies débilitantes. Le monde occidental a pris conscience des conséquences dévastatrices de ces maladies tropicales, y compris de celles qui, comme les infections aux helminthes, sont appelées « maladies tropicales négligées ».

LD : Que veut dire « traitement issu de la biodiversité africaine » ?
TG : La plupart des antibiotiques, des antifongiques et des médicaments anticancéreux proviennent de ce qu’on appelle les produits naturels ; ce sont des produits chimiques créés par des microbes ou par des plantes. Cela est également vrai pour de nombreux médicaments antiparasites. Le continent africain possède une flore très riche et est l’hôte d’une énorme faune microbiologique encore inexplorée. En Afrique, un grand nombre de chimistes de talent se concentrent sur la caractérisation des produits chimiques issus des plantes. Notre objectif est d’exploiter ces ressources chimiques pour trouver de nouveaux composés pouvant potentiellement donner naissance à de nouveaux médicaments contre les infections helminthiques de l’homme.

LD : Pourquoi ce partenariat avec des scientifiques africains ?
TG : Nos partenaires en Afrique sont nécessaires à la réussite. Sans eux, il n’y aurait pas de projet. Les scientifiques avec lesquels nous travaillons, principalement les Drs. Kelly Chibale, Berhanu Abegaz et Kerstin Marobela, sont des leaders mondiaux dans leur domaine. Nous sommes extrêmement chanceux qu’ils veuillent participer au projet et ils seront mis au premier plan de la recherche.

Owen Egan
LD : Comment choisissez-vous les priorités dans la lutte contre les maladies tropicales négligées ?
TG : Il y a tant de besoins dans ce domaine qu’il est difficile de choisir. Nous nous sommes concentrés sur les helminthes parce que j’ai travaillé dans ce domaine pendant de nombreuses années dans l’industrie pharmaceutique américaine. Mon groupe du Michigan (The Upjohn Company, qui a été acquis par Pfizer) a inventé une technologie très sophistiquée de recherche de médicaments dans les milieux à faibles ressources. Pfizer nous a généreusement fait don de ce programme technologique, sans exiger de droits à la propriété intellectuelle. Nous avons également la chance de profiter de la coopération de Cadus, Inc. Cela nous permet d’utiliser la technologie que nous avons mise au point, en Afrique. Je tiens également à mentionner le soutien essentiel que les parasitologues du Québec reçoivent du gouvernement provincial ; le FQRNT soutient généreusement un réseau de scientifiques d’ici à travers le Centre de recherche sur les interactions hôte-parasite. Ce genre de recherches de base est essentiel pour nous permettre de comprendre comment créer de nouveaux médicaments contre ces agents pathogènes envahissants et pernicieux.

Propos recueillis et traduits par Annie Li.


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