Emma Lavigne est conservatrice au centre Pompidou de Paris. Elle était co-commissaire de l’exposition Warhol Live et revient au Musée des beaux-arts de Montréal en tant que commissaire de l’exposition Imagine : La ballade pour la paix de John & Yoko.
Lorsque l’on demande à Emma Lavigne s’il aurait été possible de concevoir une exposition semblable à New York, elle répond qu’elle ne l’aurait pas fait. « C’est ici qu’a été enregistré “Give Peace a Chance”.» Le bed-in de John et Yoko a été fait à Montréal en 1969. Croyant que leur lune de miel saurait attirer l’attention médiatique comme a su le faire leur mariage, le couple a choisi de profiter de leur union toute fraîche pour diffuser un message trop cher pour être vendu : celui de la paix.
Exil montréalais
Même s’ils l’avaient souhaité, les nouveaux époux n’auraient pu rentrer aux États-Unis en raison d’une condamnation judiciaire du membre des Beatles pour possession de cannabis. « Montréal, souligne Mme Lavigne, c’était d’abord une position stratégique, déjà presque une terre d’asile pour Yoko et John. Le fait qu’ils ne soient pas autorisés à poser les pieds sur le territoire américain, alors que Yoko vivait à New York depuis le début des années cinquante, a permis aux gens de comprendre avec beaucoup plus de clarté le fait que les États-Unis était un pays à l’intérieur duquel la liberté d’expression était extrêmement contrôlée, du moins en ce qui a trait à la promotion de la paix. Montréal a permis de constater à quel point la guerre du Viêt-Nam s’enlisait de façon catastrophique. » C’est ainsi que dans la suite 1742 de l’hôtel Reine Elizabeth, du 26 mai au 2 juin 1969, les deux amants s’armaient de leur pyjama pour lutter contre la guerre.
« L’ exposition n’est pas une commémoration du bed-in, précise la commissaire. Le public participera au message », qui se veut un message d’amour et de paix. Les visiteurs pourront notamment s’allonger dans un lit blanc et surdimensionné pour expérimenter l’action de faire « d’un espace d’intimité une sorte de tribune politique ». Le public pourra aussi jouer le morceau « Imagine » de Lennon sur un piano blanc, suspendre une étiquette calligraphiée d’un souhait pacifique et exprimer sur des cartes du monde leur espoir par l’apposition d’une estampille sur laquelle ils pourront lire « Imagine la paix ». Surtout, on peut espérer s’entretenir pendant une heure avec Mme Ono par l’entremise d’un téléphone installé dans une des salles de montre. Il y aura de la place pour tous les vœux.
Pour Yoko Ono et Emma Lavigne qui ont travaillé de concert à ce projet, l’idée qui se cache derrière l’exposition est de remettre le rêve d’un monde meilleur là où il devrait être, c’est-à-dire au cœur des préoccupations politiques. Ce rêve n’est pas exclusivement réservé aux baby-boomers qui y étaient en 1969 et qui « connaissent leur histoire ». Il est accessible à tous ceux qui ont un cœur et qui entretiennent l’espoir d’un monde paisible, aussi ténu soit-il. « 99 p. cent des personnes souhaitent la paix », a insisté Yoko Ono en conférence de presse au Musée des beaux-arts. C’est justement à cette majorité importante que le Musée offre l’exposition temporaire.
Pas à vendre
« Les expositions sont très chères à produire, et la décision qu’a endossé le Musée en rendant celle-ci gratuite est exceptionnelle », s’enthousiasme Mme Lavigne. « Imagine est rendu possible –lire financé – d’une manière collective. On n’essaie en rien de faire des bénéfices. » En fait, « le seul bénéfice est de propager le message d’un pacifisme accessible », a renchéri Nathalie Bondil, directrice du Musée des beaux-arts, lors de la conférence de presse du 31 mars. « Cette fois, a‑t-elle ajouté métaphoriquement, on ne vend pas de catalogues. On distribue des tracts. »
Le message dont l’exposition se porte garante est toujours véhiculé par l’artiste d’origine japonaise, partout à travers le monde. Elle a notamment inauguré une tour de lumière pour la paix en Islande et a abandonné tous les droits de la chanson « Imagine » pour le bénéfice d’Amnistie International. Selon Mme Lavigne, Yoko Ono « est très cohérente par rapport à son message de paix, en tant qu’artiste et citoyenne du monde ». Quoiqu’elle soit veuve, il n’en reste pas moins qu’elle se voit encore accoler l’étiquette de Mme La Paix, toujours complémentaire au regretté Lennon, M. La Paix. Le couple est d’ailleurs omniprésent dans les grandes salles d’exposition.
Les arts plastiques et sonores seront au rendez-vous, grâce à la volonté de Thierry Planelle, directeur artistique et planificateur sonore. Il s’agissait de recréer des jeux de pistes en utilisant des enregistrements de la vie privée du couple. On les entendra, promet-il, s’interpeller. « Les œuvres d’art vont dialoguer avec la musique de John Lennon », l’idée étant de montrer cette dernière dans ce qu’elle a « de plus cru, de plus nu. » M. Planelle n’a pas manqué de rappeler que le Beatle disposait des instruments les plus sophistiqués, mais il avait choisi, pour l’enregistrement de « Give Peace a Chance », de prêter le microphone à ceux qui l’avaient rejoint dans le lit. Tout cela donne à la musicalité de l’exposition une sonorité proche de celle de l’univers du mouvement Fluxus, dont Yoko Ono était partie intégrante.
Sexe et paix
L’exposition ne manque pas d’exhiber la passion du duo. Sur fond blanc ou dans le décor d’une chambre à coucher, on les retrouve portant comme seuls vêtements l’expression de leurs visages. Les quelques photographies sur lesquelles on retrouve John and Yoko nus peuvent peut-être froisser les visiteurs les plus pudibonds. Pourtant, elles s’insèrent dans un tout autre contexte, celui d’une révolution sexuelle bien tangible au sud du 49e parallèle. À vue de nez, les vêtements y tombaient aussi progressivement que les tabous. « L’amour libre » sans le rejet du mariage, l’égalité de l’homme et de la femme, c’est également ce qu’on trouve au Musée des beaux-arts. Une réponse à un conservatisme trop rustre ou au puritanisme affermi par l’intensification des batailles au Viêt-Nam ? Peut-être. Il n’en reste pourtant pas moins que l’histoire d’amour entre John et Yoko, aussi polémique était-elle, demeurait une source d’inspiration pour certains altermondialistes de l’époque.
Finalement, Emma Lavigne rappelle que l’exposition est une « collaboration exceptionnelle concoctée pour vous » qu’il ne faudrait pas manquer. Depuis le 6 avril, un message de Yoko à l’attention des Montréalais est également diffusé en boucle. La ville s’habillera aussi de nombreuses affiches colorées remplies de slogans pacifistes. Peut-être devrions-nous considérer de prendre part à cette campagne publicitaire globale à l’intérieur de laquelle offre, demande, nuances culturelles, poètes, fleurs, revendicateurs, et utopistes de ce monde se retrouvent simultanément dans un même lit.
« Cher Monde, je pense que nous devrions avoir la paix, pourquoi ne pouvons-nous l’avoir ? J’aimerais l’avoir aujourd’hui, et ma femme aussi », écrivait John Lennon dans ses cahiers.