Certains crient déjà au génie, d’autres parlent du moins de l’événement culturel de la saison. Même si tout cela tient de l’exagération pure, il n’en reste pas moins que la nouvelle création de Simoniaques théâtre (qui nous avait offert Sauce Brune en 2009) est un objet théâtral novateur et fort intéressant.
Le spectateur assiste à Soupers comme il se rend au restaurant. Il présente son billet à une hôtesse qui l’installe à une table en compagnie d’autres convives, puis deux personnages se présentent, demandant à leur tour d’être installés. Tous se taisent et écoutent leur conversation, et voilà que la nouvelle pièce de Simon Boudreault commence, soulignant au passage cette curiosité malsaine qui habite chacun d’entre nous, intrigué par les bribes de conversation que nous soutirons de la table d’à côté.
Nous assistons aux dîners et soupers de Marc-Antoine (Alexandre Daneau), un trentenaire obèse qui gagne sa vie en concevant des jeux vidéo. Taciturne et esseulé, on le trouve tantôt avec sa mère (Sophie Clément), tantôt avec sa sœur (Caroline Lavigne), qui tiennent toutes deux à souligner son trente troisième anniversaire séparément, leur relation étant ponctuée de conflits. La clientèle des restaurants, à laquelle se substitue le public, est aussi témoin des nombreuses tentatives infructueuses de Marc-Antoine pour conquérir Josée (Catherine Ruel), une nouvelle collègue de travail pour laquelle il développe une véritable obsession. Enfin, on assiste aussi aux repas que le protagoniste partage avec son chat, Guy, le seul être qui le comprenne, et auquel il confie ses angoisses, sa déception de ne pas retrouver dans son quotidien la simplicité de la vie qu’il mène dans l’univers des jeux vidéo. Soupers est une comédie grinçante sur la difficulté de tisser de véritables liens avec autrui, même avec sa propre famille, et sur ses repas, servant de prétexte pour les entretenir.
Malgré quelques longueurs, le texte de Simon Boudreault, porté par une distribution très adroite, est d’un humour percutant et saura être apprécié pour l’aspect presque réaliste de ses dialogues. En « adulescent » mal dans sa peau, déprimé et sensible qui se réfugie dans la nourriture, Alexandre Daneau est on ne peut plus crédible, et ce dans tous les aspects de son jeu. Difficile, aussi, de ne pas tomber sous le charme du personnage de la mère de Marc-Antoine que tous pourront sans doute associer de près ou de loin à quelqu’un dans leur entourage. Trop curieuse, manipulatrice, à la fois égocentrique et bienveillante, elle interroge son fils sur sa vie sexuelle, déplore qu’il soit gros tout en lui assurant qu’il est beau, le somme de se trouver un véritable emploi et joue constamment la carte du chantage affectif. Pour son anniversaire, elle lui offre même un voyage en sa compagnie à Amsterdam, destination dont elle a toujours rêvé, lui mentionnant au passage que sa mère pourra même l’aider à se choisir une prostituée pendant leur visite du red light. La pièce vaut d’être vue ne serait-ce que pour la performance sans faille de Sophie Clément, dans la peau de ce personnage on ne peut plus comique.
Bien que le rapprochement qu’elle crée avec l’univers virtuel soit quelque peu incomplet ou maladroit, Soupers est une oeuvre véritablement drôle offrant une réflexion très lucide sur ces thèmes inépuisables que sont les relations avec autrui et l’inadéquation au monde. Tous pourront dire, du moins, qu’une soirée au restaurant n’aura jamais été aussi divertissante.