En effet, tous portaient la même tenue armée qui leur couvrait presque entièrement le visage et n’aidait en rien le risque de frapper un compagnon d’armes. Les princes, puis les riches seigneurs, adoptèrent peu à peu leurs propres ornements, permettant une identification rapide du porteur, mais aussi créant une marque de propriété. Transmis d’une génération à une autre, ils devinrent rapidement le signe d’appartenance à une famille ou une terre, de nouveaux blasons naissant au gré de l’évolution sociale d’une famille ou par accolement lorsqu’un seigneur sans fils mariait sa fille à une autre famille, réunissant ainsi les deux blasons. Au fil des siècles, les styles et les goûts évoluèrent selon les modes, mais toujours en suivant certaines règles bien précises, dont la science se nomme l’héraldique.
Le but étant d’être vu et reconnu, on utilise des couleurs vives ; il en existe sept : deux métaux, l’or et l’argent, et cinq émaux, azur ou bleu, gueules ou rouge, sable ou noir, sinople ou vert, pourpre ou violet, ainsi que l’hermine et le vair, inspirés de la texture d’une fourrure. Surmontant et entourant le blason, on retrouve les timbres, c’est-à-dire les ornements extérieurs de l’écu, qui font la beauté des armoiries par la richesse des détails symboliques et l’imposante effervescence d’attributs dont certaines font preuve. Le blason est divisé par des traits horizontaux, verticaux ou obliques, appelés partitions, selon des dizaines de combinaisons possibles. Les symboles sont appelées meubles et représentent le porteur. Par exemple, François 1er avait la salamandre, un animal légendaire réputé pour vivre dans le feu, dont elle est le symbole en alchimie, que l’on dit « sans âme » et représentant la foi qui ne peut être vaincue. Louis XIV choisit le soleil, symbole païen de l’ordre et de la vie, illustrant à merveille le théâtre du quotidien du roi que celui-ci imposait à la cour. Napoléon prit l’aigle, emblème de la Rome impériale et de Charlemagne, ainsi que les abeilles. Ces dernières, symboles d’immortalité, sont aussi liées à une mystérieuse histoire de tombeau de Childeric 1er, fondateur de la dynastie des Mérovingiens et plus ancien souverain de France, que l’on aurait trouvé enterré en 1653 avec trois cents abeilles en or, une tête de cheval coupée, une tête de taureau en or ainsi qu’une boule de cristal. Symboles de royauté et de sorcellerie semblent étrangement liés dans l’héraldique française.
Les armes royales de la couronne d’Angleterre racontent une toute autre histoire. Le blason contient les armoiries d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande. Sur les côtés, il est supporté à droite par le lion d’Angleterre et à gauche par la licorne d’Écosse et reposent tous sur une terrasse de roses pour l’Angleterre, de chardons pour l’Écosse et de trèfles pour l’Irlande. Le lion, qui habituellement est vu comme un symbole royal de force, cache ici autre chose. En héraldique, le lion et le léopard sont représentés de manière identique, excepté que le premier est de profil et le second de face. Une autre différence est que le lion est généralement rampant, c’est-à-dire debout, et le léopard est passant, c’est-à-dire allongé. Il faut savoir qu’à l’époque médiévale, le léopard trouve son origine dans une contraction de « lion-panthère-bâtard ». Le lion, « roi des animaux » par sa réputation, a forcément séduit de nombreux seigneurs en quête de blason, notamment en Normandie, et, celui-ci devant être unique, il fallut trouver des variantes. L’héraldique anglaise choisissant d’ignorer ce détail créa le « lion passant regardant ». Ainsi, ce qui est fièrement porté comme symbole de royauté chez les Anglais est vu comme mauvais chez leurs voisins. Notez aussi la devise en français « Dieu et mon droit » datant de Richard 1er, avant la bataille de Gisors. Il s’agissait d’un mot de passe, signifiant la volonté de celui-ci de ne pas être vassal du roi de France. Les Français perdirent la bataille et le mot de passe devint devise.
Qu’en est-il de notre chère université ? Les armoiries de l’Université McGill sont directement inspirées des armoiries du fondateur, James McGill. Traditionnellement, les trois merlettes, petits oiseaux mythiques, lorsqu’elles sont rouges symbolisent l’ennemi tué sur le champ de bataille. En héraldique, elles sont habituellement représentées sans bec ni pattes pour illustrer les blessures reçues. Le livre ouvert, symbole académique, contient la devise de James McGill « En Dieu j’ai mon abri ». Les couronnes font allusion au nom royal de la ville et prennent une forme de fleur de lys en hommage aux origines françaises de Montréal. Voilà un blason qui, malgré un certain aspect sanglant, illustre bien les épreuves que l’on traverse.