L’UQAM devra avoir beaucoup de souffle pour éteindre les quarante bougies de son gâteau d’anniversaire. Si l’on peut craindre qu’elle en manque, on devrait plutôt se réjouir du fait que tous les invités auront de quoi discuter autour du dessert : cette année, le gouvernement révise sa Loi sur les établissements de niveau universitaire et la Loi sur l’Université du Québec en matière de gouvernance. La page couverture de la plus récente parution du Montréal Campus, le journal étudiant de l’Université du Québec à Montréal, suggère que « les festivités du 40e anniversaire de l’UQAM sont réduites à une peau de chagrin ». Il n’y aura pas de concert de l’orchestre symphonique de Montréal comme à ses quinze ans. Et il n’y aura pas eu de grandes célébrations le 9 avril 2008 ‑date officielle de son anniversaire- puisque ses professeurs étaient dans la rue. On les a remises à plus tard, mais elles semblent toujours se faire attendre. Qui devrait recevoir la juste part du gâteau ? Le Délit vous invite cette semaine à prendre le dessert, et à vous faire votre propre opinion sur la santé de l’UQAM et du réseau universitaire québécois.
La naissance de « L’Université nouvelle »
La création de l’Université du Québec à Montréal, comme le souligne Roland Côté, président du syndicat des employés-es de l’UQAM, s’inscrit dans un contexte socio-historique « explosif ». Contexte global dans lequel les affaires académiques se remuaient, où des mouvements estudiantins cherchaient à rendre le savoir accessible. Et ce, pas seulement au Québec. Alexandre Leduc, étudiant à la maîtrise en histoire à l’UQAM, souligne d’ailleurs qu’ici, tout particulièrement, « le milieu universitaire était très élitiste jusqu’à la moitié du XXe siècle ». La plupart des ex-colonies africaines avaient, à ce moment-là, leur Ministère de l’Éducation, mais pas le Québec.
Cette deuxième moitié du XXe siècle n’a pas pour autant révisé sa position. « Plus précisément, en 1964, en vertu des recommandations du fameux rapport de la Commission Parent, se crée l’UGEQ, l’Union générale étudiante québécoise, en même temps que le Ministère de l’éducation du Québec. « Les étudiants cherchaient alors à se constituer en acteur crédible face au gouvernement et ses nouvelles méthodes de consultations », rappelle Alexandre Leduc.
Il faut savoir qu’à l’époque, il y avait autant d’étudiants anglophones que de francophones à Montréal, alors que le dernier groupe linguistique était en forte majorité sur l’île. « C’était complètement disproportionné ! » s’exclame M. Côté. Et la situation est d’autant plus problématique que les baby-boomers se pressaient aux portes des universités. En effet, on a créé le réseau des CÉGEPs (en remplacement des collèges classiques) en prévoyant que le deux-tiers de ses étudiants se dirigerait vers les programmes techniques. C’est pourtant l’opposé qui s’est produit, expliquant du coup l’urgence qu’il y avait à rendre disponibles de nombreux bancs d’école au premier cycle universitaire. Finalement, en 1968, le gouvernement prend l’engagement d’ouvrir les portes d’une nouvelle université francophone… à automne 1969 ! Les associations étudiantes, après avoir revendiqué pendant de longs mois, y voient un vœu pieu, une promesse qui ne sera pas tenue, surtout que les délais semblent presque relever de la science-fiction.
Parallèlement, l’Université de Montréal, seule institution francophone sur l’île, atteignait déjà sa limite en termes d’effectif étudiant et ne pouvait conséquemment pas pallier à l’insuffisance. L’Université McGill, quant à elle, comptait seulement parmi ses étudiants 5% de francophones. Si on ne croit plus à la création d’une nouvelle université de langue française, on voit en McGill une porte d’entrée potentielle pour les francophones qui peinent à faire leur place au niveau universitaire. Les francophones fraîchement diplômés du CÉGEP veulent prendre la place qui leur revient, et voient en McGill un symbole de l’impérialisme anglo-saxon en plein cœur de leur ville. Il n’en faut pas moins pour réunir socialistes, étudiants et syndicalistes sur la rue Sherbrooke. À son apogée, l’opération « McGill Français » et quelques milliers de jeunes militants gauchistes et nationalistes, scandait des slogans tels que « McGill au peuple » et « le Québec aux Québécois » sur la rue Sherbrooke. Bien que le mouvement McGill Français n’ait pas atteint son objectif principal, quelques modifications ont tout de même été apportées afin de faciliter l’intégration des francophones à l’institution, notamment le droit de remettre des travaux en français et le bilinguisme à la Faculté de droit.
Tel que promis, le gouvernement va de l’avant dès décembre 1968 avec la mise sur pied du réseau des Universités du Québec à travers la province. Cette annonce rompt avec la tradition scolaire québécoise : elle fera naître une université d’État, par opposition aux universités à charte pontificale (c’est-à-dire construites sur la commande du pape, comme c’est le cas pour l’Université Laval) et celles commandés par la Couronne (comme l’Université McGill.) L’UQAM sera donc étatique, mais jouira tout de même, comme le mentionne Alexandre Leduc, « d’une personnalité juridique particulière » qui lui confère une autonomie significative.
Le contexte dans lequel on choisit de créer l’UQAM lui donnera du coup une mission sociale bien circonscrite : maintenir l’équilibre démographique et linguistique de la fréquentation universitaire de Montréal. Roland Côté rappelle également qu’on exigera d’elle qu’elle « rende l’éducation supérieure accessible non seulement aux francophones, mais aussi aux filles ». Les missions spécifiques de ce nouveau réseau sont clairement explicitées : il s’agit de permettre aux francophones d’avoir accès à l’éducation supérieure en français ; de stimuler la recherche universitaire et la production de savoirs en français. C’est nouveau pour l’époque d’avoir cette mission aussi explicitement stipulée, ce pourquoi on surnomme alors l’UQAM « l’Université nouvelle » : elle est en plein centre-ville, accessible financièrement, et promeut une nouvelle approche pédagogique participative. Ce concept « d’université nouvelle » était même utilisé par l’administration afin d’en faire un marketing qui attirait les jeunes. « L’UQAM représente la synthèse du Québec moderne qui s’est constitué dans les années soixante », résume Alexandre Leduc.
Dans le rapide élan de construction, on engageait des professeurs relativement « plus jeunes, moins scolarisés, plus actifs, et plus progressistes. On a notamment dû recruter à l’Université de Montréal et, essentiellement, ce sont les professeurs les plus dynamiques, les plus critiques qui ont répondu à l’appel. »
L’UQAM a beaucoup évolué depuis sa construction : « ses départements de sciences humaines, et celui des beaux-arts sont très bien reconnus » commente M. Côté. Il ajoute sur le même ton que le département de sociologie est l’un des plus en vue au Canada. Depuis vingt ans, il estime que l’université s’est, de beaucoup, « démarginalisée, standardisée » et ne voit pas la chose d’un mauvais œil. Seulement, plusieurs autres défis continuent de l’attendre…
Problème de porte-feuille
L’UQAM connait présentement d’importants problèmes financiers, qui sont néanmoins loin de lui être exclusifs. «[La situation à l’UQAM] n’est que la pointe de l’iceberg », indique Roland Côté. Selon lui, « la situation déficitaire de l’université du peuple a fait l’affaire des autres universités québécoises », puisqu’elle a servi de prétexte pour relancer le débat du sous-financement chronique du réseau universitaire. « Les autres universités n’avaient ainsi plus à évoquer leurs problèmes respectifs. » Peut-être ont-elles les reins plus solides –notamment grâce à de généreuses contributions privées– mais souhaitent toutes avoir un meilleur financement.
L’UQAM, pourtant, a ceci de particulier qu’elle n’a pas de faculté ni d’école spécialisées, et ne se situe pas en région. Par rapport à ce dernier critère, Charlotte Guay-Dussault, membre-étudiante du Conseil d’administration de l’UQAM, indique que les autres universités du réseau des Universités du Québec (UQ) disposent des sources de revenus supplémentaires du gouvernement québécois afin de former des étudiants en région. « Le système de financement des universités est créé pour sous-financer l’UQAM », affirme-t-elle.
Si les problèmes budgétaires de l’UQAM sont étroitement reliés au manque de fonds gouvernementaux auquel Mme Guay-Dussault et M. Côté font référence, ils sont aussi causés par le gouffre financier que représentent les constructions de deux nouveaux pavillons, celui du Complexe des Sciences et de l’Îlot Voyageur. Le premier a déjà vu sa construction s’achever, mais le dernier reste en chantier. « Ça fait cinq ans qu’ils sont dans les cartons, et ca fait trois ans que l’on sait que c’est une catastrophe financière », indique Charlotte Guay-Dussault.
Pour remonter la pente, le Conseil d’administration de l’UQAM s’est récemment doté d’un plan de relance quinquennal, d’une part basé sur l’augmentation des coûts afférents, et de l’autre, sur l’augmentation des frais de scolarité. Le gouvernement du Québec a récemment adopté une loi plafonnant les frais afférents, et Charlotte précise que le plan de relance prévoit leur progression jusqu’à ce qu’ils atteignent ce plafond. En ce qui a trait aux droits de scolarité, l’UQAM présuppose que l’augmentation des frais de scolarité sur une période de cinq ans –qui devrait normalement prendre fin pendant l’année scolaire 2011–2012– se prolongera jusqu’en 2014. Le Ministère de l’Éducation, des Loisirs et des Sports (MELS), ayant appuyé les grandes lignes de ce plan de relance, entérine du coup l’augmentation des frais, et ce, au-delà des cinq années prévues par le dégel. On compte aussi augmenter l’effectif étudiant des deuxième et troisième cycles.
Selon Alexandre Leduc, l’histoire de l’UQAM n’est que l’histoire du long démantèlement de son originalité et de sa mission initiale. Le plan de relance n’en serait que le symbole le plus visible puisqu’on on y a oblitéré la mission de l’institution, voire révisé cette dernière sans autre forme de consultation. « On y a effacé toute référence à la langue française, on y soutient les hausses de frais de scolarité comme une source de revenu permettant de boucler le budget au détriment de la mission d’accessibilité, on parle de modifier l’horaire des cours pour rendre l’utilisation des locaux plus rentables au détriment de la vitalité sociale, culturelle et politique UQAMienne », déplore Leduc d’un même souffle. L’argument massue : « les autres le font ! »
Combattre le feu… par l’huile
Bien que l’UQAM soit le symbole le plus visible de la dérive des universités québécoises, c’est tout le réseau qui est affecté par les déficits et les réorientations de missions. Le scandale financier uqamien a néanmoins eu tant de résonnance que le MELS a réagit en introduisant les projets de loi numéro 38 et 44 sur la gouvernance des établissements postsecondaires. Actuellement étudiés en commission parlementaire à l’Assemblée nationale, ces projets de lois cherchent à répondre aux problématiques financières que vit l’UQAM –et le réseau universitaire en général– sans envisager de renflouer les coffres. M. Côté, avec déception, mentionnait à ce sujet que le MELS tenait d’abord à assainir la gouvernance universitaire et ne traiter qu’ensuite de la révision du financement global du réseau. Il suggère que ce n’est pas l’ordre dans lequel les choses doivent être faites.
Trois visées de la loi sont particulièrement controversées, à commencer par l’augmentation de la proportion de membres externes qui siègent sur le Conseil d’administration. En effet, le projet de loi prévoit que 60% des membres des CA doivent être externes à l’université. Cécile Sabourin, présidente de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université, dans un article publié dans la revue À Bâbord !, soutient que ces membres externes ne sauraient faire mieux que les internes : « les droits de décision, d’action et de contrôle doivent revenir aux professeurs parce que ce sont eux qui sont préparés à prendre ces décisions et qui sont en position de les prendre parce qu’ils sont au cœur de l’action et des communautés de savoir ». Charlotte Guay-Dussault abonde dans le même sens : « Par le passé, ce sont les gens de l’interne qui voyaient venir les problèmes, ils ont l’instinct de l’université ». Elle ajoute que, pendant les débats entourant la construction de l’Îlot Voyageur, les membres de l’externe votaient systématiquement avec la direction, alors que ce sont les étudiants, professeurs et employés qui ont tiré la sonnette d’alarme. « Les membres externes sont, par ailleurs, deux fois plus absents aux réunions que les membres internes », renchérit Roland Côté.
Il conclue en ajoutant que, à sa connaissance, « mis à part le Ministère de l’éducation et le Conseil du Patronat, tous les intervenants concernées ont des réticences par rapport au projet de loi ».
Un pour tous, tous contre la loi
Si la critique envers la loi proposée est généralement sévère, les moyens d’assurer une saine gouvernance n’en sont pas plus évidents. Plusieurs groupes se succèdent ainsi en commission parlementaire pour présenter leur point de vue sur la question. Le 29 septembre, ce sera au tour des principaux dirigeants des universités québécoises de s’exprimer, par l’intermédiaire de l’organisme privé qu’est la Conférence des recteurs et principaux des universités du Québec (CRÉPUQ), avec à sa tête notre rectrice Heather Monroe-Blum.
Si les universités y prennent position conjointement, elles ont toutefois chacune une position particulière. Victoria Meikle, conseillère senior en politique au bureau de la principale, se fait porte-parole de celle de McGill. « Nous sommes tout à fait en faveur des principes de bonne gouvernance, de transparence et d’imputabilité sur lesquels le projet de loi met l’accent, indique-t-elle. Pourtant, nous ne considérons pas qu’il faille pour autant institutionnaliser les principes, par le détail et l’autorité de la loi. Une telle loi ne serait pas cohérente avec les valeurs et traditions de toutes les universités du Québec, alors qu’il est primordial d’en respecter la diversité. » Elle mentionne également que le conseil d’administration de McGill compte déjà plus de 60% de membres externes.
Si la CRÉPUQ cherche surtout à préserver l’autonomie de ses membres, l’ensemble des acteurs syndicaux du milieu de l’éducation voit plus large. Ils réclament, pour leur part, la tenue d’États généraux sur les universités qui permettraient aux acteurs institutionnels, politiques et à la société civile de mettre en commun leurs analyses afin de dégager les contours d’un projet commun pour les universités québécoises et les repères pour leur saine administration.
L’UQAM saura-t-elle survivre à la crise financière actuelle qui remet en question l’intégralité de son mandat ? La question permet non seulement de remettre sur la table toutes les conceptions qu’ont les Québécois de leur réseau universitaire, mais aussi de redéfinir le rôle de l’Université du Québec à Montréal, qui s’est toujours voulue accessible, francophone, publique et laïque. C’est la « gestion de colonnes de chiffres », comme la désigne Mme Guay-Dussault, qui semble guider les membres externes du conseil d’administration. C’est aussi « d’avoir comme visée de boucler son budget, et non d’offrir une éducation intéressante ». Elle propose, comme d’autres le feront bientôt en commission parlementaire, d’évaluer la performance de l’université en fonction de ses missions sociales plutôt qu’en terme de bilan financier.