On a l’impression étrange d’avoir assisté à une conversation intime entre deux individus désemparés devant la catastrophe économique et personnelle auxquelles ils font face. La pièce s’ouvre sur la scène d’un magnat de la finance new-yorkais détruisant avec fougue son ordinateur Macintosh à l’aide d’une batte de baseball, à l’aube du 15 septembre 2008, soit quelques heures avant que la banque américaine Lehman Brothers annonce sa faillite. Jason, homme d’affaires vorace et caricatural dans son agressivité, son égoïsme et son avarice, peine à comprendre l’éminente crise économique qui le guette, persuadé qu’elle mènera son entreprise vers le gouffre. Entre alors Cass, sa jeune analyste financière, un génie mathématique surdoué pour qui toute interaction sociale provoque une angoisse, puisqu’elle est non quantifiable.
On devient alors témoin d’une discussion asymétrique entre les deux protagonistes : alors que l’un tente de trouver sans succès une solution à la crise qui l’attend, l’autre semble vouloir exprimer quelque chose sans en parler explicitement, en faisant sans cesse allusion à un certain « épisode » qui a eu lieu des mois auparavant. Cass multiplie les métaphores, les monologues, les explications mathématiques et les anecdotes familiales sur Noël dans le but d’exaspérer Jason qui n’a guère le temps de se consacrer à ces balivernes, le tout selon la méthode apprise en thérapie, une thérapie qu’elle suit pour guérir ses déficiences sociales. Le récit se transforme peu à peu en tragédie grecque, sous l’œil dérouté du spectateur qui n’a rien vu venir.
La plume impressionnante de Michael Mackenzie dépeint avec justesse le monde des affaires. Le dramaturge a vraisemblablement bien mené ses recherches, puisqu’un vocabulaire mathématique et corporatif, incompréhensible aux non-initiés, est exploité. Toutefois, malgré les incompréhensions passagères, le jeu juste, émouvant et ardu des acteurs, Ted Dykstra (Jason) et Gemma James-Smith (Cass), aide à déchiffrer le scénario et à ressentir l’angoisse capitaliste. La mise en scène sobre de Chris Abraham permet de se concentrer sur le propos sans excès de didascalies, et ce, dans un décor de bureau approprié conçu par James Lavoie.
Instructions to Any Future Socialist Government Wishing to Abolish Christmas, dont le titre interminable est expliqué avec brio par Cass, surprend et touche par sa vérité et sa lucidité. Malgré sa brièveté et la précision de son vocabulaire, la pièce illustre la fragilité de la bulle financière et la complexité de ses déboires. Présentée en grande première au Théâtre Centaur de Montréal, elle risque de connaître un succès qui la mènera en tournée à travers le pays, à l’image des œuvres précédentes de Mackenzie.