Sur un navire où s’entassent des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants se perçoivent déjà les espoirs déçus, l’accueil glacial et les tristes perspectives qui se dessinent sur une terre d’accueil dont ils ne connaissent rien. Réfugiés d’une île sans nom qui a été submergée, rares sont les passagers qui croient qu’une vie meilleure les attend à destination. Parmi eux, Échine, un jeune homme bienveillant qui s’occupe de sa mère et des enfants qu’il rencontre, l’un des seuls qui sache écrire, et l’un des derniers survivants d’une épidémie qui les emporte tous l’un après l’autre. Nous voici dans l’univers de Quai 31.
Le climat qu’installe ce premier roman de Marysol Drouin, publié aux éditions La Peuplade, sans être très inédit, est certes intéressant et efficacement transmis au lecteur. Le style simple, presque léger de l’auteure évite la plupart du temps toute caricature. Il retranscrit sans artifice les pensées du protagoniste, qui vit presque sans émotion la cruauté de son quotidien.
Établi dans un logement de la « Basse-Ville », un quartier sombre réservé aux réfugiés, avec une mère qui ne peut supporter d’avoir quitté son île, Échine est mis à l’emploi par les autorités à titre de chasseur de chats de ruelle. C’est là qu’il fera la rencontre de Pinoche, un natif du pays avec qui il se lie d’amitié. Grâce à lui, il découvre la Haute-Ville, où les habitants sont hostiles aux « sans-terre », et fait la rencontre de Chirma, une artiste étrange, avec qui il s’installe dans une résidence de personne âgées dont elle a la charge. Quoique tristes et peu reluisants, les jours s’enfilent sans histoire jusqu’à ce qu’une épidémie que l’on dit apportée par les réfugiés prenne la ville d’assaut. Celle-ci tord la colonne de ses victimes, qui trouvent une mort rapide mais douloureuse. Alors se profile une apocalypse dans un monde à la fois moderne et intemporel, orchestrée par des autorités aussi anonymes qu’elles sont cruelles. D’un surréel macabre, les derniers instants du récit sont racontés de manière très réussie, un défi de taille pour cette œuvre qui aurait facilement pu tomber dans le déjà-dit, ou plutôt le « déjà-écrit » (Kafka, Orwell, Huxley…la liste des influences est longue)
Si les thèmes qu’elle exploite dans Quai 31 sont trop nombreux et que certains dialogues frôlent parfois le ton moralisateur dans sa plus simple expression, l’auteure sauve certainement l’équilibre de son roman avec un style efficace et des scènes d’une beauté tragique, dans lesquelles la perte de repères et la déshumanisation battent leur plein. Bien qu’il parvienne à transmettre un léger malaise, le roman offre une lecture agréable et vaut la peine d’être découvert, si ce n’est que pour ce relent de fin du monde qu’il répand avec brio.