C’est un drôle d’objet théâtral que Justin Laramée concocte avec Transmissions. Tragédie sur le deuil et le leg, drame dressant un sombre portrait de la famille moderne, comédie sur l’absurdité de l’humain, de son existence : aucune expression ne semble pouvoir mettre en mots cette pièce où des animaux morts s’animent pour dévoiler des secrets, où un bébé partage une cigarette avec son père tout en lui adressant des conseils, où la vie des personnages bascule par des événements plus qu’anodins.
Un « thriller printanier », c’est le nom qu’on lui donne. Et pour cause, la dernière œuvre de la compagnie Qui Va Là, lauréate d’un prix Gratien-Gélinas, évoque tout ce qui refait surface après le gel, tout ce que l’on déterre après l’oubli. Pourtant, à force de trop déterrer, l’intention première de la recherche se perd. Dans son ambition totalisante, le récit s’éparpille, éclate et agace, laissant toutefois le spectateur devant des scènes belles, mais sans véritable cohérence.
Après avoir vendu leur chalet à un vieux couple anglophone, la famille Beauchemin se retrouve pour une dernière fois en ces lieux que tous regrettent un peu de quitter. Ils célèbreront les six mois d’Alphonse, l’enfant de Fred (Maxime Denommée) et Camille (Émilie Gilbert), jeune couple éreinté par son quotidien. Au-delà de ce prétexte que plusieurs jugent ridicule, tous sont cependant venus chercher, intentionnellement ou à leur insu, quelque chose qu’ils avaient écarté, enfoui, ignoré.
Le seul fils des Beauchemin, Gabriel, en creusant un trou pour enterrer sa chienne qu’il a retrouvée morte, apprend que ses parents ont en fait abattu tous les chiens qu’il croyait avoir perdu enfant. Diane (Monia Chokri), sa sœur, découvre que sa copine mourante, Rosa, l’a envoyée au chalet pour déterrer des lettres d’amour qu’elles avaient cachées dans la forêt afin de les lui entendre lire une dernière fois, par téléphone, avant qu’elle ne profite de son absence pour s’enlever la vie. Puis voilà que Camille, voulant protéger son bébé en tirant une oie à la carabine, tue accidentellement son père, Éric (Roger Léger), seul personnage qui maintenait l’équilibre du clan, et rendait possible toute forme de leg. Le vide qu’il laisse se remplit alors de révélations abracadabrantes, de scènes aussi surréelles que dramatiques, et de la névrose de Camille, personnage qui implose littéralement jusqu’à devenir une insupportable caricature.
Transmissions ne donne pas de réponse aux énigmes qu’elle pose, ce qui est lassant, considérant la quantité faramineuse de scènes nébuleuses et de réactions inexpliquées qu’elle lance au visage du spectateur. Si ce qu’elle relate ne peut donc être apprécié à part entière, la pièce charme toutefois par ses dialogues simples mais polyphoniques, par ses touches d’humour brillantes, par sa scénographie irréprochable et, surtout, par la distribution qui la porte, faisant la plupart du temps preuve d’une retenue qui se marie très bien à l’exubérance de l’œuvre.
Certainement intéressant et assez fascinant, ce thriller printanier, quoique trop chargé, laisse entrevoir le grand talent de Justin Laramée. Si le dramaturge et metteur en scène opte pour un certain dépouillement tout en maintenant la folie qui teinte son écriture, il ne fait nul doute que sa prochaine pièce saura se tailler une place de choix dans la saison théâtrale.