Dans la cour d’une école secondaire, sans crier gare, un coup de foudre. Jonathan, convoité par toutes (et tous, apprend-t-on), aperçoit Latifa. S’ensuit un baiser, si soudain et si intense, qu’il bouleversera tous ceux qui les entourent, des autres adolescents aux professeurs, en passant par le directeur et la vieille dame qui réside en face de l’école. On fait alors la rencontre de plusieurs jeunes qui, envieux, partagent leurs impressions et leurs expériences de l’amour et de la sexualité, et décrivent encore et encore ce premier baiser des deux amoureux, qui soudainement a tout changé.
Produite par le théâtre Bluff, une compagnie québécoise consacrée au public adolescent et aux jeunes adultes, la pièce S’embrasent, écrite par Luc Tartar et mise en scène par Éric Jean, relate avec poésie la force intrigante d’un premier coup de foudre, et son impact sur les témoins, des élèves du secondaire qui rêvent maladroitement d’en faire eux aussi l’expérience.
Si les clichés, voire la caricature, guettent souvent les œuvres évoquant l’adolescence, il n’en est rien avec S’embrasent. L’approche du dramaturge et du metteur en scène est discrète et sensible, respectueuse de cette période trouble de la jeunesse où tout est remis en question. Luc Tartar, qui a également collaboré avec Éric Jean pour la pièce En découdre, présentée au Quat’ sous en avril dernier, signe ici un texte très imagé dans lequel on retrouve plusieurs passages d’une grande beauté. Le coup de foudre, sujet riche et presque inépuisable, y est évoqué avec lyrisme et simplicité.
La distribution, sans nous renverser, transmet bien l’émotion et les questionnements causés par ce baiser de cour d’école. On remarque notamment Béatrice Picard, qui incarne le personnage le plus attachant de la pièce : une vieille dame, toujours de connivence avec les élèves, qui observait la scène depuis sa fenêtre et qui se met à rêver à son tour.
Bref, le travail du dramaturge et des comédiens de S’embrasent est tout à fait honorable, mais la mise en scène d’Éric Jean, hautement décevante, mine le véritable potentiel de l’œuvre. Ceux qui connaissent le travail du directeur artistique du théâtre de Quat’sous verront ici un piètre « copier-coller » des précédentes mises en scène qu’il a signées depuis Chambres, œuvre qui avait marqué un important virage dans son approche. Dans un décor très simple, aux couleurs sombres, presque dénué d’accessoires, les personnages s’avancent la plupart du temps au devant de la scène pour réciter leur monologue dans le vide, toujours éclairés de la même façon, souvent dans la même position. On ne retrouve le talent d’Éric Jean que dans certaines scènes très dynamiques qui sont, hélas, beaucoup trop rares. Difficile d’accepter cette nouvelle approche que le metteur en scène prône et réitère sans cesse, alors que des pièces comme Chasseurs ou Hippocampe, qu’il présentait auparavant, nous en mettaient plein la vue, tant elles étaient inventives, magiques et bouleversantes. Opter pour la simplicité n’empêche pas de se réinventer, pourtant. Si à la toute fin on nous raconte que la passion de Latifa et de Jonathan brûle tout sur son passage au point de les faire eux-mêmes disparaître, force est d’admettre que la mise en scène ne le traduit pas. Ils s’embrasent, vraiment ? À voir la pièce, on ne l’aurait pas remarqué.