Les Français se souviennent de Jean Marie Le Pen expliquant en 1988 aux téléspectateurs que le Front National n’appartenait pas à l’extrême droite, mais constituait le socle d’une droite nationale, populaire et sociale, proche de mouvements populistes européens récents dont certains participent déjà à des coalitions gouvernementales (la Ligue du Nord en Italie en est l’exemple le plus flagrant).
La « droite populaire », qui connaît un essor dramatique à travers l’Europe, véhicule des propos que certains qualifieraient de populistes et de nationalistes. En effet, elle prône le retour aux valeurs traditionnelles ainsi que le refus de l’immigration et de la mondialisation qui, par le libre-échange et le droit-de‑l’Hommisme, participeraient, selon les militants, à la destruction des valeurs familiales et des civilisations européennes aux racines celtiques et chrétiennes.
La droite populaire ne commet ni d’écarts racistes ni de maladresses fascisantes. Elle est certes controversée, mais bien acceptée du spectre politique républicain. D’ailleurs, elle siège au parlement français non avec l’extrême droite mais avec la droite tout simplement.
Partout en Europe, la droite populaire plaît, car elle est plus attachée au peuple, plus terre-à-terre et plus proche des habitants qui s’il est vrai, digèrent amèrement les crises successives dont les partis de l’establishment ne parviennent pas à sortir.
S’il existe un porte-parole médiatique de cette droite populaire, il se nomme « Éric Zemmour »
Éric Zemmour est connu pour ses provocations innombrables, sur l’esclavage, la colonisation, les femmes, qui lui valent de nombreuses inimitiés ; en revanche, nombreux sont ceux qui adhèrent à sa contestation de l’idéal européen, de la mondialisation ou même de l’immigration dans le contexte de crise aiguë qui frappe actuellement le Vieux Continent.
Éric Zemmour est donc inéluctablement un personnage très controversé, qui se présente comme le champion de l’alternative au politiquement correct dominant.
Décryptons ensemble son corpus d’axiomes politiques qui n’est qu’une vision édulcorée des propos de la « droite populaire », avec, pour seule distinction, qu’ils sont très médiatisés. À lui seul, Éric Zemmour est parvenu à faire ressusciter une ligne politique qui naguère était marginale et bien éloignée du paysage médiatique français.
Sur le Néolibéralisme
Pour Éric Zemmour, le libéralisme économique est à l’origine de la destruction de l’ordre social. Selon lui, le libre-échange mondialisé permet aux multinationales de faire régner la loi d’airain du capital, foulant au pied les valeurs et les traditions françaises, y compris celles d’un certain capitalisme familial séculaire.
Éric Zemmour dénonce également l’immigration que les grandes entreprises françaises utilisent comme facteur favorisant, par la baisse des salaires qu’elle induit, l’émergence d’un capitalisme débridé générateur de profits toujours plus élevés. La main‑d’oeuvre immigrée, moins chère, exerce de fait une pression tendancielle, déjà observée par Karl Marx, sur le niveau moyen des salaires.
De plus, toujours selon Éric Zemmour, les mêmes entreprises délocalisent leurs industries dans les pays en développement afin de maximiser là encore les profits. La libre circulation des Hommes et des capitaux pousse les entrepreneurs et les grandes entreprises à se désintéresser du sort économique et social de leurs nations respectives. « Quand les délocalisations ne suffisent pas à faire baisser les salaires, l’immigration dans les emplois qui ne sont pas délocalisables permet de les faire baisser », martèle Éric Zemmour.
Des partis politiques traditionnels français
Éric Zemmour estime que les deux partis au pouvoir depuis 30 ans, l’UMP à droite et le Parti Socialiste à gauche, ont pratiqué peu ou prou la même politique dévastatrice pour la société française. Selon lui, les deux partis en question sont notamment responsables à part égale de l’immigration massive qui génère des tensions sociales et même des soulèvements dans nombre de banlieues de grandes villes de France. Les deux mêmes partis dominants ont voté, main dans la main, au parlement tous les textes favorisant l’intégration Européenne, la privatisation des entreprises françaises d’État et le suivisme quant à la place des États-Unis au sein de l’OTAN.
Décryptage de ce système UMPS
Fédéralisme européen
Comme Eric Zemmour l’explique longuement dans son Mélancolie française : « Pour favoriser la création de la communauté européenne, la gauche a sacrifié son hostilité au marché, et la droite son patriotisme sourcilleux. Déjà à l’origine de la perte de souveraineté française, le système européen s’oppose frontalement au modèle social français. Éric Zemmour aurait très certainement soutenu l’Europe des six du Général de Gaulle, une Europe sociale non atlantiste, se positionnant comme tierce puissance lors de la Guerre froide et allié critique des États-Unis. Or, lorsque le Royaume-Uni et l’Espagne ainsi qu’une partie des pays d’Europe de l’Est sont entrés progressivement dans la Communauté Européenne, cette dernière a pris un tournant libéral (baisse des tarifs douanniers, financiarisation, tertiarisation, immigration, soumission aux États-Unis au sein de l’Alliance Atlantique). Éric Zemmour soupire : « Une fois encore, les Anglais avaient vaincu : le blocus continental avait été abattu ». Pour lui, les eurocrates de Bruxelles veulent détruire le modèle social français, républicain et laïc. L’Europe communautaire emboite le pas des autres organisations internationales (FMI, OMC) qui n’ont de cesse d’abolir tout protectionnisme et d’exalter les vertus du libre-échange et de la mondialisation, prônés par les empires financiers Américano-Britanniques. Éric Zemmour pense ainsi comme le Général de Gaulle : « L’Europe fédérale n’aura qu’un fédérateur : les États-Unis ». Éric Zemmour nous explique que 80% des lois françaises sont aujourd’hui dictées par des directives européennes, jugeant comme Philippe Seguin (homme politique français de droite et de tradition gaulliste, anti-européen) que « l’Europe est le grossiste, l’UMP et le PS sont les détaillants ».
Des interventions militaires
Éric Zemmour est un adepte, en matière de politique internationale et de diplomatie, du « réalisme » (« Real Politik ») de Waltz ou de Mersheimer. Selon lui, seules les nations sont souveraines, et les interventions militaires de la communauté internationale bafouent cette souveraineté. Zemmour estime donc que par « droits-de‑l’Hommisme » et par internationalisme, la France s’est impliquée dans des conflits militaires qui ne le regardaient pas. Pour lui, le parti socialiste et le RPR [Rassemblement Pour la République, précurseur de l’UMP, NDLR] ont, en rupture avec la pensée gaulliste originelle, soutenu à tort l’Empire Américain dans toutes ses « croisades », le refus d’intervenir en Irak en 2003 constituant l’exception qui confirme la règle. Le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN décidé par Nicolas Sarkozy, le soutien Mitterrandien à la Guerre du Golfe de 1991, la participation à l’occupation de l’Afghanistan soutenue par Jacques Chirac démontrent bien que la France a perdu son indépendance stratégique et militaire pour devenir un vassal discipliné des États-Unis.
Critique du multiculturalisme
Pour Zemmour, le multiculturalisme est un échec total. Éric Zemmour considère à l’instar de Samuel Huntington (le « Choc des civilisations »), que si les individus ne partagent pas un certain nombre d’éléments clés (langue, traditions, culture, voire religion), ils ne peuvent pas cohabiter durablement encore moins s’assimiler et se fondre dans une même nation. Ainsi, Éric Zemmour prône un système d’immigration assimilationniste. Les immigrants qui arrivent en France pour s’y installer doivent, selon lui, abandonner leur héritage culturel en échange de l’hospitalité du pays d’accueil. « À Rome fais comme les Romains. »
Éric Zemmour est nostalgique de la France de Jean Jaurès où les immigrants étaient contraints de renoncer à leur prénom, pour choisir en échange, un prénom français : « Les générations précédentes offraient cela pour montrer leur volonté de devenir français ». Éric Zemmour se réfère souvent à l’intégration réussie des années 60 en France, d’immigrants qui se dépouillaient en quelque sorte de leurs oripeaux culturels d’origine et se « francisaient » avec ferveur. Éric Zemmour évoque même la Troisième République, dont la politique assimilationniste interdisait aux Bretons et aux autres de parler leur langue, leur imposant le français, « un succès républicain incontestable » selon lui. Zemmour reprend donc les propos de Gaston Kelman (homme politique d’origine camerounaise) qui sur le plateau de Ripostes disait, il y a quelques années, « Je n’imagine pas que ce soit la volonté du pays d’émigration qui détermine les critères du pays accueillant ». Ce système assimilationniste est une spécificité française héritée de l’époque coloniale. En effet, la France est le seul pays colonisateur qui imposait de manière aussi assumée et volontariste sa langue, ses traditions, ses institutions, et même le catholicisme aux populations colonisées.
Ce système assimilationniste diffère des systèmes d’intégration à l’anglaise ou à la néerlandaise qui, eux, se contentent de fournir aux immigrés le minimum d’«outils » culturels et linguistiques pour se frayer une place sur le marché du travail.
Pour Éric Zemmour, l’Union pour la Démocratie Française de Valéry Giscard d’Estaing et le Parti Socialiste d’après 1983, en se tournant vers l’Universalisme prôné notamment par des associations antiracistes, ont fait glisser la France d’une politique d’assimilation vers une forme de multiculturalisme qui a enclenché une crise identitaire française.
Éric Zemmour a la faculté indiscutable de pointer du doigt les maux de la société française, voire Européenne. Cependant, lorsqu’il s’agit de fournir des solutions à ces problèmes, notre chroniqueur est rarement au rendez-vous. Ce n’est pas un hasard si hélas nous retrouvons souvent ces traits caractéristiques qui ne consistent qu’à blâmer, chez les mouvements populistes. Plaire au peuple est une chose, lui venir en aide est une tâche bien plus complexe. Éric Zemmour semble avoir oublié que le Front National et autres partis de cette famille d’extrême droite n’ont jamais été que des partis de témoignage. Et lorsqu’ils prennent le pouvoir, comme à Vichy, à Vitrolles ou à Orange, nous avons toujours assisté à un fiasco complet.
Éric Zemmour était l’invité de l’émission Les francs tireurs sur Télé Québec le 9 février 2011. Ce jour là, Zemmour avait émis de nombreuses réserves sur le multiculturalisme Québécois, qu’il juge trop tolérant. Or, s’il est vrai que des mouvements type « droite populaire » sont inexistants au Québec, la question d’identité nationale n’en est pas moins un thème quotidien. D’ailleurs, une majorité d’entre eux se déclarent attachés à leur héritage culturel et traditionnel. Il est inutile de rappeler les nombreuses batailles que mène le Québec quant à la promotion de la langue française. Sur la question des immigrés, on se souvient de la polémique que le Journal de Montréal avait déclenché lorsque sa première page de couverture titrait : « Nos immigrants coûtent trop chers ». Le Premier ministre Jean Charest a crée en 2007 une commission sur les différences culturelles et les difficultés d’intégration qui nous rappelle le ministère de l’identité nationale mis en place par Nicolas Sarkozy. Les thèmes abordés par la droite populaire et Éric Zemmour sont universels, il semble néanmoins qu’au Québec, une terre d’immigration notoire, l’approche soit moins tumultueuse.