Qu’est-ce que ces sociétés secrètes ?
Ce sont des fraternités et sororités ayant pour but de réunir, lors de leur passage à l’université, des jeunes du même âge qui partagent des valeurs communes. Parmi celles-ci, on compte plus souvent qu’autrement l’amitié, la créativité, la réussite, l’entraide. Elles cherchent à créer des liens forts suite au partage d’expériences, de victoires et d’échecs, et à la mise en commun de connaissances. Aussi, elles favorisent un développement dans plusieurs aspects de la vie, autant intellectuel qu’interpersonnel et social. Tous peuvent joindre une de ces fraternités ou sororités. La preuve étant que leurs membres représentent différentes origines ethniques et classes sociales.
Demandent-t-elles une implication de temps importante ?
Bien entendu, l’essence de ces clubs est de rassembler les étudiants. Ainsi, selon la fraternité ou de la sororité, l’engagement diffère. Le poste occupé et les projets entrepris sont aussi des variables à considérer.
Quelles sont les activités proposées ?
Ces sociétés secrètes sont généralement associées à des causes qui leur sont chères. De la sorte, de nombreuses opportunités sont offertes à ce niveau, en passant par la distribution de dîners pour les pauvres aux collectes de fonds pour les organismes luttant contre le cancer. De plus, les membres ont l’opportunité de faire des voyages au Canada ou aux États-Unis pour rencontrer les membres des autres universités faisant partie de la même fraternité ou sororité. Finalement, il est clair que ces groupes valorisent les événements sociaux, autant les partys que les rencontres amicales. Bref, toutes sortes d’événements rassembleurs sont proposés, même si, parfois, certains sont inconnus du grand public.
Comment devenir membre ?
Les étudiants de tous âges et de tous niveaux d’études peuvent s’inscrire à la première étape vers l’adhésion à un club : le rush. Cette semaine d’activité est le moment idéal pour en apprendre davantage sur les différentes fraternités et sororités. Celle-ci donne une bonne idée de la vie à l’intérieur du club et est, aux dires de leurs membres, plaisante et agréable, les humiliations et autres dégradations du genre étant prohibées.
De plus, le rush est habituellement gratuit. La deuxième est étape est celle du pledge. À ce moment, les candidats choisis doivent poursuivre leur initiation pendant une période de deux mois, durant laquelle ils se rapprochent de leur objectif, devenir membre. La troisième étape consiste en une cérémonie finale, pendant laquelle le candidat doit faire certains serments. Il est important de noter qu’une fois membre, on l’est à vie. Dès lors, il faut payer des frais annuels qui sont variés, tout dépend de l’organisation.
La création de l’Empire
Que ce soit dans la littérature ou sur grand écran, le thème des sociétés secrètes a été largement exploité, et ce, depuis des décennies. Alexandre Dumas en est probablement le fer de lance, ayant écrit de nombreuses fois sur le sujet, notamment dans Joseph Balsamo (1846) et dans Le Vicomte de Bragelonne (1847). Toutefois, il ne fut pas le seul inspiré par celles-ci. Hergé lui a emboîté le pas avec Les Cigares du pharaon (1934). Plus récemment, le succès planétaire du Da Vinci Code (2003) de Dan Brown constitue un exemple supplémentaire de cette tendance. L’œuvre fut même adaptée au cinéma quelques années plus tard, créant un engouement monstre pour la superproduction américaine.
Les toutes premières sociétés secrètes dateraient de l’Antiquité. Il est difficile d’établir précisément leur but, mais elles requéraient une haute teneur initiatique et des liens profonds avec la spiritualité.
La chute de l’Empire romain a entraîné une grande période d’instabilité politique et économique dans l’Ouest de l’Europe, ce qui aurait favorisé la naissance de groupes ayant pour objectif premier la protection de leurs membres.
La fin du Moyen-Âge a été le siège de la multiplication des sociétés secrètes, versées dans le contrôle des pouvoirs de plus en plus centralisés, particulièrement ceux de l’Église. En Angleterre, la suppression des guildes par Henri VIII a accentué ce mouvement.
À la Renaissance naissent des sociétés comme la Franc-Maçonnerie en Angleterre et la Rose-Croix en Allemagne. (Voir La Maçonnerie décortiquée, dans Le Délit du 3 novembre 2010). Dès lors, elles deviennent des associations à caractère philosophique et philanthropique.
Au XVIIIe siècle, la tendance traverse l’océan et fait des adeptes aux États-Unis. Les premières fraternités qui y sont recensées étaient constituées d’étudiants des plus anciennes et prestigieuses universités au pays. Notons le Flat Hat Club (1750) et le Phi Beta Kappa (fondé en 1776).
Cependant, c’est réellement au début du XIXe siècle que leur popularité prend de la vigueur. Sigma Phi Society (1827) et Delta Phi Fraternity (1827) sont créées et représentent l’esprit de l’époque. D’abord à visée littéraire, elles tentent en plus d’établir des liens à vie entre les membres. Leurs activités varient comme leurs vocations. Alors que certaines ont un caractère religieux inhérent, d’autres sont principalement axées sur l’entraide dans la communauté et les valeurs de partage.
Aujourd’hui, la société secrète ayant la plus grande renommée est la Skull and Bones (1832) fondée à l’Université Yale.
Dans le ventre de la bête
13 heures 12 J’ai rendez-vous avec Isabelle, la photographe, devant la maison de la fraternité Alpha Delta Phi. Après avoir discuté de notre philosophie d’approche sur ce reportage, on se retourne devant cette imposante bâtisse qui, pour sûr, doit avoir un passé glorieux. Trois massives lettres grecques en couvrent la devanture. Mystiques, vous dites, les fraternités ?13 heures 19 Nous sonnons. Évidemment, personne ne répond. Cependant, l’énorme porte de bois n’est pas totalement enclenchée, nous laissant la possibilité d’y pénétrer à notre guise. Nous échangeons des regards emplis de doute.
13 heures 25 Après avoir empoigné mon courage à deux mains, j’entre en lançant à haute voix : « Bonjour… il y a quelqu’un ? » Timidement, Isabelle me suit. Toujours pas de réponse. Puis, des bruits au deuxième étage : « Montez ! »
13 heures 27 Alex, le président, dévale les marches deux à deux. Il nous salue simplement et nous propose de nous faire visiter les lieux, alors que je me confonds en excuses pour l’impolitesse de notre geste. Lui, franchement, ne semble pas en faire un plat. Alors que nous explorons les différentes pièces, il est impossible de ne pas sourire devant l’actualisation du stéréotype des fraternités. Table de Ping-Pong, de soccer sur table, de billard, statue de bronze, photo d’époque, armoiries, divans en surnombre, boiseries et tout le tralala, chacun des clichés représentés dans les films hollywoodiens est présent. Et, il faut le noter, les traces du dernier party n’ont pas encore été totalement effacées…
13 heures 40 Arrivé au troisième étage de la maison, Alex me demande d’attendre dans les marches. Lorsqu’il m’invite à monter, j’ai tout juste le temps de le voir refermer une porte. Si vous me demandiez ce qu’il y avait à l’intérieur, je vous dirais un salon anglais du 18e siècle. Mais, pour être franc, c’est sûrement mon imagination qui parle. Alex me dit que je ne peux pas entrer dans cette salle. Il range la clef de fer, nouée à un fil accroché à son cou, sous son t‑shirt.13 heures 46 On s’installe dans sa chambre, la suite présidentielle, pour faire l’entrevue. On jase de tout et de rien et je ne peux m’empêcher de poser des questions trop précises, des questions dont j’ai l’assurance de ne recevoir aucune réponse. Je m’essaie tout de même. Lui, alors, ne fait que hocher gentiment de la tête et m’inciter à poursuivre dans une autre direction.
14 heures J’entends la porte s’ouvrir et se fermer. Quelqu’un rentre. Il monte les marches et fait irruption dans la chambre, alors que nous discutons des réunions annuelles de la fraternité. Le garçon indique à Alex qu’il vient de faire l’épicerie. Précision : dans la maison d’Alpha Delta Phi, huit chambres sont disponibles pour les membres. Ainsi, un certain nombre d’entre eux vivent entre les quatre murs de la fraternité. Il repart.
14 heures 15 L’entrevue se termine. Je le remercie. En descendant les marches, je réalise que nous avons oublié Isabelle. Était-elle partie ? S’était-elle fait avaler par cette maison quasi hantée ? Puis, arrivé sur le bord de la porte, bien sûr, je réalise que non. Elle faisait seulement son travail, capter l’essence de ce lieu hors de l’ordinaire.