Avec des titres d’exposition tels que « Métamorphoses », « La Trilogie du Sacré Sauvage » ou bien « Art à Mort », ce portraitiste décadent reste l’un des maîtres incontestés de la mise en scène. Originaire de la région bordelaise, Gérard Rancinan devient à dix-huit ans l’un des premiers photojournalistes français. Depuis, il a parcouru le monde pour être au plus près de l’actualité et rapporter dans ses valises des séries de portraits photographiques. Qu’il braque son objectif sur l’athlète, l’artiste, l’homme de foi ou le simple passant, son but est la photographie de l’instant ; mais sa force réside dans son talent à mettre en scène de A à Z des images poignantes qui font tomber les masques de la société et déconstruisent toute vision fermée du réel. Cet adepte de la controverse utilise sans limite l’ironie, accentue la noirceur du monde et attise les foudres des institutions religieuses. Enfin, il débride le sexe qu’il banalise de ses carcans habituels. Connu pour sa capacité à revisiter les chefs‑d’œuvre de l’histoire de l’art, Matisse, Velasquez et Delacroix sont tous passés entre ses mains. Il les utilise pour souligner les maux de notre société comme sa mise en scène de La Cène dans laquelle il présente Jésus en serveur de fast-food à des apôtres en surpoids, tous plus ventrus les uns que les autres.
Pour réaliser le cliché ci-dessus intitulé Décadence, il s’est inspiré du tableau peint par Thomas Couture en 1847 qui a pour titre Les Romains de la Décadence. Cette orgie qui explore les thématiques du sexe, de la drogue et de la dorure est une réelle prouesse technique. En effet, il a fallu trois mois de préparation et une foule de décorateurs, stylistes, costumiers ainsi qu’une trentaine de figurants pour exécuter la mise en scène qui a été tirée en très grand format. « Pas de montage ni de Photoshop » tel est son leitmotiv ! Pour Décadence, il n’hésite pas à habiller le pape d’une couronne gothique, Jésus d’un tutu et une bonne sœur de lingerie fine. Le noir et le blanc s’affrontent à la manière du neuf et de l’antique et de grandes colonnes délimitent cet espace où tout est permis et dépourvu de jugement. Outrage ou libération ? Cette image saturée de tabous est d’une clarté sublime ; Gérard Rancinan parvient ainsi à magnifier l’obscurité de nos sociétés et à créer des clichés d’une rare beauté. Si certains observateurs sont choqués, tel est après tout le but de la provocation, mais on ne peut nier la perfection de la composition de l’image dont chaque détail est millimétré, dont chaque recoin du décor est étudié. Dans une entrevue, il précise qu’il souhaite dénoncer sans porter de jugement, se positionner en tant qu’artiste éditorialiste. La photographie est donc intrinsèquement liée à la mise à nu et à l’engagement pacifiste. Mascarade ou pas, ce bal original risque d’en titiller plus d’un !