Qu’arrive-t-il lorsque le réalisateur franco-vietnamien de L’Odeur de la papaye verte entre en collision avec le roman universel de l’écrivain japonais Haruki Murakami ? On croit rêver ; c’est un film au charme irrésistible et envoûtant. Les attentes élevées créées par l’annonce de cette adaptation sont comblées. Bien sûr, beaucoup de passages du roman ont dû être coupés, et des personnages comme Reiko sont relégués à l’arrière-plan, mais reste que l’adaptation est plus que satisfaisante. Comme il l’a lui-même expliqué lors de la période questions-réponses de la projection au Festival du nouveau cinéma, il n’adapte pas l’histoire mais les émotions qu’il a ressenties lors de la lecture du roman.
L’intrigue se déroule à la fin des années 60 au Japon. Le narrateur, Watanabe, qui approche la vingtaine, part à Tokyo après que la tranquilité de son adolescence ait été rompue par le suicide de son meilleur ami Kizuki. Watanabe débute ses études en littérature et retrouve par hasard l’ex-amoureuse de Kizuki, Naoko. L’équilibre mental de celle-ci s’est fragilisé depuis le départ de Kizuki, et ne cesse de se détériorer, au point que le jeune homme doit s’exiler dans une communauté retirée du monde. Les images tournées dans les montagnes sont magnifiques, et les tons de vert et la beauté de la nature soulignent les sentiments amoureux non-réciproques de Watanabe envers Naoko et rappellent l’esthétisme des films précédents de Tran Anh Hung. La scène où le couple marche sans répit à travers les hautes herbes et celle où ils sont assis sous un arbre parmi les gouttes de pluie sont parmi les plus touchantes du film.Les courtes scènes s’enchaînent dans un rythme soutenu, illustrant en images instantanées le quotidien de Watanabe, nous gavant de superbes couleurs et de plans cinématographiques. Arrive ensuite dans la vie de Watanabe sa camarade de classe, l’exubérante Midori, antagoniste de Naoko. C’est elle qui fait rigoler les spectateurs avec ses lubies d’une douce folie et son aplomb. Elle se lie d’abord d’amitié à Watanabe, puis, à force de mieux le connaître, tente d’aller plus loin dans leur relation, se qui laisse Watanabe dans un dilemme difficile.
Le film est porté par une bande sonore réussie, réalisée par le guitariste de Radiohead Johnny Greenwood. Les acteurs rendent bien leurs personnages ; Ken’ichi Matsuyama (Watanabe) joue bien la carte de la nostalgie et de l’apparent calme malgré les tourments intérieurs. Rinko Kikuchi (Naoko) subit avec détresse les ravages de l’amour perdu. On trouve par contre Kiko Muzuhara (Midori) un peu trop souriante et pas assez sûre d’elle par rapport au personnage du roman. Par ailleurs, le spectateur n’ayant pas lu le livre aura peut-être quelques difficultés à suivre la trame du récit. La grande force du film réside toutefois dans les compositions équilibrées entre photographie d’un esthétisme impeccable (Lee Ping Bin, aussi derrière In the Mood for Love), émotions et grâce du moment présent, entre passé douloureux et futur incertain.