Certaines familles sont restées célèbres par leurs intrigues, leurs complots, et leur habileté extraordinaire à mettre en application la loi du plus fort, le mode de pensée qui domine les marchés actuellement. Songeons aux Borgia de Rome, aux Médicis en France ou à Florence, et… à la dynastie des Plantagenêts en Angleterre, celle que la Savoy Society de McGill nous a présenté dans la ravissante chapelle de Birks les 4 et 5 novembre. Cette pièce de James Goldman, intitulée The Lion in Winter, est l’adaptation d’un spectacle de Broadway de 1966, rendu célèbre par le long-métrage mettant en scène Peter O’Toole et Katharine Hepburn dans les rôles de Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine.
Ce week-end, Michael Loewen et Tara Richter Smith ont repris le flambeau avec brio, dans un décor qui démontre que l’on peut obtenir d’excellents résultats avec peu de moyens. Il suffit d’avoir sous la main un pavillon aux arches gothiques rappelant les châteaux anglais du XIIe siècle, quatre instrumentistes qui font résonner des musiques de Noël à chaque changement de décor, et vous voilà transportés pendant deux heures au palais d’Henri II à Chinon, la nuit du 24 au 25 décembre 1183.
Il va de soi que James Goldman a du déformer certains faits historiques afin de resserrer son intrigue, en réduisant par exemple la progéniture d’Henri II à trois fils et le nombre de maîtresses à une seule, alors que le roi en entretenait une dizaine. Ce faisant, la pièce présente le problème de la succession du trône d’Angleterre sous l’aspect d’une querelle de famille, dans laquelle les Plantagenêts n’échappent pas aux stéréotypes des dynamiques familiales modernes. Des trois fils qui veulent s’emparer de la couronne, il y a d’abord le jeune Richard « Cœur de Lion », insolent, agressif, et préféré de sa mère, Geoffroy le mal-aimé, éternel cinquième roue du carrosse en dépit de sa perspicacité, et enfin, John, le fils à papa un peu niais. Outre leurs liens de sang, ces derniers ne partagent rien d’autre qu’une soif indéfectible de pouvoir. Au sein du couple royal, Aliénor d’Aquitaine –qui peut reprocher à son mari d’avoir choisi leur fille adoptive Alais pour maîtresse, en plus de l’avoir enfermée dans une tour pendant une décennie–, s’ajoute enfin à cette lutte de pouvoir pour compléter le tableau de cette famille unie dans la conspiration.
Néanmoins, comme le souligne Le Prince de Machiavel, la force seule ne suffit pas à gouverner un empire. Aussi, lorsque la voie du bien ou de la loi ne suffit plus, le prince doit savoir user de la « raison d’État » et associer les qualités du lion avec celles du renard. Or, pour reprendre l’expression d’Abraham Lincoln, nul ne peut tromper « tout le monde tout le temps ». Les dirigeants d’aujourd’hui ont-ils appris des erreurs de leurs prédécesseurs ? Hélas, il faut croire que les techniques des Borgia, des Médicis et des Plantagenêts n’ont guère évolué depuis un millénaire. C’est pourquoi le sujet de cette pièce demeure encore d’actualité.