Contre le temps est d’abord et avant tout l’histoire d’un jeune homme rêveur et passionné, incompris de ses contemporains et maladroit dans ses démarches révolutionnaires. On pourrait facilement comparer le destin d’Évariste Galois à celui des artistes romantiques de son époque, poètes et peintres égarés face à l’impasse politique de leur société. Et pourtant, Évariste Galois est un scientifique, un mathématicien prodigieux, un visionnaire des chiffres, qui parvient, à 18 ans, à définir une méthode commune de résolution des équations algébriques, et ce, alors que les Cauchy, Fourier et Gauss de son temps s’acharnent à ce problème depuis des années, sans succès.
Contre le temps se déroule à Paris en 1832, alors que les remous de la Révolution française continuent d’engloutir toute forme de stabilité politique. Évariste Galois écope les dernières heures de son emprisonnement pour insulte à la monarchie. Le jeune Galois n’en est pas à ses premiers démêlés avec la justice, lui qui refuse la médiocrité et l’étroitesse d’esprit des plus fortunés et des plus puissants de sa société, qu’ils soient académiciens ou parlementaires. Sa fougue ne cesse de lui attirer des ennemis, même si presque tous se mettent d’accord pour reconnaître le génie mathématique du jeune homme. Or, Evariste s’attire involontairement la rancœur de son ami Augustin, qui, insulté par une lettre d’Evariste adressée au directeur de leur institution, le provoque en duel au lendemain de sa libération. Ainsi, il meurt au matin du 30 mai 1832, à peine âgé de 20 ans, laissant derrière lui ses travaux rédigés en hâte, durant les jours précédent le duel, « pris par la fièvre de la mort ».
Geneviève Billette a donc choisi de raconter le destin émouvant et évocateur d’un mathématicien, dont la bataille pour la justice et la reconnaissance des idées pourrait facilement avoir lieu au XXIe siècle. Profitant du mystère entourant la mort d’Évariste Galois, madame Billette tisse un portrait original de ses derniers jours. Sa plume dense et riche transmet au spectateur la peur, mais aussi la grande vision qui habite ses personnages. Ainsi, les rôles d’Adélaïde, la mère d’Evariste, et de Fourier, l’académicien stupéfait devant les prouesses d’un homme aussi jeune, viennent illustrer la quête parfois inégale du jeune Galois. Pour ce qui est de la présence du poète Gérard de Nerval dans la pièce, elle reste peu utile puisqu’elle n’amène pas davantage de substance à la trame narrative.
René Richard Cyr signe pour sa part la mise en scène de la pièce, très réussie. L’idée d’asseoir tous les comédiens en retrait de la scène au lieu de les laisser aller en coulisses assure une plus grande fluidité à la pièce et ajoute à la sobriété des décors minimalistes et de la musique, bien choisie. Ce sont plutôt les costumes aux couleurs sobres, mais aux tissus éclatants, reflets du XIXe siècle, qui enrichissent l’esthétique de la production grâce au travail soigné de Marie-Chantale Vaillancourt.
Enfin, le jeu d’acteur, en particulier celui de Benoît Drouin-Germain (Évariste), Benoît McGuinnis (Augustin) et Benoît Gouin (Fourier), demeure juste ; la performance de Benoît McGuinnis reste la plus impressionnante des trois, bien que secondaire.
Ainsi, Contre le temps, par l’originalité de son thème et la qualité de son texte, mérite le détour, ne serait-ce que pour l’expérience inhabituelle d’être ému par l’univers des mathématiques.