A.P, A. Gosselin - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/a-gosselin/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Fri, 12 Feb 2021 19:52:59 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 On se moque de ta démocratie https://www.delitfrancais.com/2016/04/05/on-se-moque-de-ta-democratie/ https://www.delitfrancais.com/2016/04/05/on-se-moque-de-ta-democratie/#respond Tue, 05 Apr 2016 06:20:52 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=25329 L’année universitaire en trois polémiques mcgilloises.

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Désinvestissons, chapitre I

C’est la fin de l’année et le Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale (CCQRS ou CAMSR en anglais, ndlr), dont Suzanne Fortier fait partie, considère les dommages sociaux causés par l’exploitation des énergies fossiles comme n’étant pas «graves».

Pourtant, les rapports s’accumulent, prouvant l’accélération catastrophique de la montée des eaux, et donc la pression croissante que le climat impose sur le monde, présageant l’aggravation de la crise des réfugiés et des guerres de ressources. Des centaines d’institutions à des niveaux très variés, comme la ville d’Oslo, l’université d’Oxford ou la Fondation des frères Rockefeller, rejoignent le mouvement visant à désinvestir de l’exploitation des énergies fossiles. Au regard de l’absence de plans politiques ambitieux et des inéluctables conséquences du je‑m’en-foutisme général, les projets de désinvestissement sont de puissants vecteurs de changement, dirigés vers des entreprises qui s’enrichissent en siphonnant tout espoir d’un futur viable. Cela étant, après quatre ans de campagne, une deuxième tentative et un remarquable travail de recherche pour présenter un plan raisonnable, le groupe militant Désinvestissons McGill (Divest McGill, ndlr) a dû se contenter d’un rejet de leur proposition, effectué à huis clos, par de grands inconnus et dans le plus grand silence.

Désinvestissons, chapitre II

C’est la fin de l’année, et Suzanne Fortier qualifiait il y a peu le mouvement non-violent et anti-colonial Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) comme allant «à l’encontre des principes de tolérance et de respect».

Ces mêmes principes de tolérance et de respect sont les raisons pour lesquelles notre université investit sans remords à la fois dans une entreprise d’armement américaine qui fournit en équipement militaire l’armée israélienne (L‑3 Communications), mais aussi dans une banque qui permet le développement des projets immobiliers dans les territoires illégalement occupés de Cisjordanie (Mizrahi Tefahot Bank) et enfin dans une entreprise immobilière participant aussi au développement du secteur immobilier dans ces territoires (Re/Max). De plus, que l’administration se permette d’exprimer son désaccord profond envers des initiatives étudiantes démocratiques, et ce en vertu de motivations suspicieuses, ne fait que compromettre d’autant plus le respect qu’elle devrait montrer pour la démocratie étudiante.

Souvenons-nous!

C’est la fin de l’année et le rocher Hochelaga, commémorant l’histoire autochtone, est toujours aussi bien caché.

La rencontre de Désinvestissons McGill avec Suzanne Fortier le 31 Mars a été l’occasion pour cette dernière de réaffirmer, comme elle l’avait fait lors de son intervention à Faculty in Rez, son dédain pour les «symboles» (voir l’article «Sous les pavés, Tio’tia:ké» publié dans Le Délit du 22 février 2016, ndlr). Dédain qui s’est cristallisé ce jour-là lors de sa choquante incapacité à affirmer que «la non-obtention du consentement des autochtones [par ces entreprises] est une violation des lois nationales et internationales assurant la santé, la sécurité et les libertés fondamentales [des individus]». Enfin, l’absence de toute mention de la question des droits des populations autochtones (clairement mis en avant par Désinvestissons McGill) par le CCQRS dans leur compte rendu atteste d’une hypocrisie criante et d’une conscience coupable.

Engageons-nous!

C’est la fin de l’année et c’est le début d’une mobilisation nécessaire et vouée au succès.

Les mouvements étudiants de cette année ont prouvé que les procédures démocratiques sont le dernier des soucis de l’administration. Mais ils ont aussi prouvé que (seuls?) les étudiants étaient capables d’amener des solutions concrètes: Désinvestissons McGill a un plan viable et légitime pour le désinvestissement, BDS met en lumière notre participation au projet colonial israélien, et l’AÉUM passe et a passé nombre de motions contribuant à la reconnaissance de l’histoire des autochtones. On peut aussi saluer l’initiative du Groupe de Travail sur la Politique sur les Agressions Sexuelles (Sexual Assault Policy Working Group), qui a mis au point une politique courageuse pour s’attaquer au problème urgent des agressions sexuelles sur le campus. Ce n’est maintenant plus qu’une question d’engagement puis de temps: le travail est fait, il ne nous reste plus qu’à montrer à Mme Fortier ce courage qui lui fait défaut. ξ

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mascara https://www.delitfrancais.com/2011/10/18/mascara/ Wed, 19 Oct 2011 04:40:51 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=9146 Fiction d'actualité

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Maissane Soraya
Somalie, octobre 2011

Halloween approche et je vais mourir. Je connais cette fête car, pendant mes études universitaires, j’ai séjourné au Canada. C’est une tradition idiote et ridicule à mes yeux, mais particulièrement populaire chez les anglo-saxons… Je dis «ridicule» parce que chez moi, مسخرة–mascara, c’est ce que cela signifie.

Lorsque que j’ai été confrontée à cette mascarade, j’admets avoir trouvé assez charmant ou du moins acceptable chez les jeunes enfants qu’ils se masquent le visage pour obtenir des friandises, jouant dans le seul objectif naïf de se satisfaire la panse. Toutefois, de voir les filles de ma faculté se dissimuler ou encore s’exposer pratiquement à nu pour récolter des petites douceurs bien différentes, cela me soulevait le cœur. Leurs soirées «mascarades» où tous et chacun revêtaient un masque n’avait rien d’amusant, rien d’excitant, c’était, à mes yeux, une âcre supercherie créée par et pour les hommes. Elles ne savaient pas, elles ne comprenaient pas. Je ne détestais pas Halloween, ni la mascarade en soi, c’est sa version garce conditionnée par les pubs, par le plaisir sexuel, par la profusion d’alcool et d’excitation qui me répugnait.

J’étais alors en résidence et je ne voyais vraiment pas l’intérêt de participer à ce genre de festivités. Ma colocataire de l’époque, une trainée en soit, ne saisissait rien.

–Mais je ne comprends pas Mia (Elle était incapable de prononcer mon prénom), tu devrais profiter de ta liberté. Tu es au Québec, amuse-toi, défoule-toi… ça te fera du bien. C’est comme un lavage de cerveau juste avant les intras! Tu vas voir, c’est presque une thérapie. Et puis en plus, personne ne te reconnaîtra, tu n’as qu’à enlever ce /shebab/.
–Hijab, ça s’appelle.
–C’est ça! T’as qu’à pas mettre ton truc et personne ne saura qui t’es! C’est tellement excitant.
–Ça ne m’intéresse pas Véronique, vas‑y si tu veux. Ma thérapie pour les intras c’est d’étudier.
–Si tu le dis, mais tu vas t’en mordre les doigts demain, j’te le dis moi, quand je t’aurai raconté ma nuit avec Simon.
–C’est ça Véro, je m’en mordrai les doigts, maintenant laisse moi tranquille avec ton «party d’Halloween trop fucked up».
–Maudit que t’es plate Mia.

Je la haïssais. Toujours est-il que cette fête approche. C’est curieux qu’en ce moment précis, ce soit ce banal souvenir qui traverse mon esprit. La grande mascarade pour moi, c’est depuis ma naissance qu’on me l’impose, qu’on me force à n’être que la moitié de moi-même. Contrairement à ce qu’ils peuvent s’imaginer avec leurs Celtes, c’est peut-être de nous que provient leur fameuse tradition masquée. J’imagine les Européens s’amusant de nos coutumes à la cour du roi, dans leurs bals masqués de nobles vêtus de nos plus beaux tissus, se délectant des épices qu’on nous avait pillées.

Pourquoi avais-je tant détesté cette fête, cette fille, ce pays? Peut-être par jalousie. Oui, peut-être un peu par jalousie, mais j’étais surtout répugnée de voir ce monde émancipé qui jouissait de la liberté d’être lui-même, de s’amuser à se costumer. Pour moi c’était comme un sacrilège: se dissimuler le visage en ignorant ce que c’était de ne pas avoir droit au sien.

Nous sommes le 4 octobre, je suis secouée par mes souvenirs et par les soubresauts du véhicule, une camionnette. J’ai eu tort de ne pas apprécier ces années de répit, ces mois où j’étais épargnée des instabilités sociales de mon pays, des guerres civiles qui datent d’avant ma naissance et de la famine. La religion, là-bas, ce n’était pas une question de vie ou de mort. J’étais malade d’eux, j’avais le mal du pays et maintenant, c’est mon pays qui souffre trop.

À Halloween, mon masque c’était mon vrai visage, ma figure à nue. J’étais probablement incapable d’affronter toute cette ambiguïté, j’étais incurable et sans courage. Je suis rentrée chez moi il y a moins de six mois, mais je n’ai pas guéri de tout ce cynisme, de toute cette absurdité. Je porte mon hijab pour la dernière fois.

La fourgonnette parcourt la ville de Mogadiscio, à l’intérieur nous sommes trois: deux femmes et un homme qui est au volant. Je suis seule derrière et des sueurs froides coulent sur mon front, immédiatement absorbées par le voile de coton qui masque mon identité. Seuls mes yeux globuleux, terrifiés et larmoyants, témoignent du combat interne qui me tiraille. Il est trop tard, ils n’arrêteront plus. L’homme tient la main de la femme; je crois qu’ils pleurent eux aussi. La main tremblante de la femme caresse la joue du conducteur. Moi, je suis seule.

Les parois du véhicule semblent rétrécir de sorte que je n’arrive plus à bouger, je ne sens plus mon corps meurtri par le long voyage sur ma terre natale. Une terre aride et sèche qui a choisi de mettre fin au calvaire de son peuple. Nous sommes tous affamés. Je ne sens plus que les chocs, je ne sens plus que les secousses de cette glèbe en colère qui se bat avec les roues de la fourgonnette remplie d’explosifs.

Ma dernière supplication reste muette, tandis que mes pairs marmonnent inlassablement des prières… «Al Shabbaab, Al Shabbaab, Al Shabbaab» clament-ils quelques secondes avant l’explosion. Quelle tragédie. Je pense à mes parents, à ma famille, à Véronique aussi. Camus disait que le suicide n’était pas la vraie solution, qu’il fallait se battre. Mais Camus, il était Algérien.

On dit que l’attentat a fait 70 victimes, mais je ne pense pas faire partie du compte.

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Fictions d’actualité https://www.delitfrancais.com/2011/10/04/fictions-d%e2%80%99actualite/ Tue, 04 Oct 2011 13:59:23 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=8856 La crise d’octobre 2011

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Le premier ministre franchit la porte de son cabinet sans prendre la peine de fermer derrière lui. Ce geste anodin, qu’un observateur peu attentif expliquerait par les nombreuses préoccupations de l’homme d’État n’avait, en fait, rien d’une étourderie. Comme pour justifier ou encore dissimuler sa conduite délibérée, l’homme gardait ses mains enfoncées dans les poches de son pantalon. Il parcourut nerveusement la pièce pour se poster devant l’immense baie vitrée qui illuminait son bureau. Devant lui s’étendait une ville vieille de quatre siècles, une ville magnifique qui avait gardé son cachet pittoresque et réconfortant pour notre époque. Ce spectacle qui lui semblait pourtant quelconque attirait tant son attention que sa fascination tout comme l’embrasure toujours béante avaient quelque chose de suspect.

Alice Des | Le Délit

La porte se referma doucement, comme si une brise légère l’avait poussée, le plus naturellement du monde, on aurait pu croire que le premier ministre lui-même s’en était chargé tant l’opération ne suscita aucune réaction de ses collègues restés hors du cabinet. Un visiteur était pourtant à l’origine de ce mouvement quasi imperceptible. D’ailleurs personne ne l’avait remarqué.

Confortablement assis dans l’un des fauteuils du cabinet, il semblait faire partie intégrante du décor –même son ombre se mêlait à celle du mobilier: il n’était qu’à demi présent.

–Personne ne vous a vu?
Le premier ministre avait parlé sans bouger. Il lui semblait être au sommet d’une tour d’ivoire, détenant une vérité qu’aucun autre homme ne saurait jamais. Il avait sentit la présence de l’intrus –elle lui était presque devenue familière.

–Personne ne me remarque jamais, Monsieur.
–C’est vrai, dit l’homme d’État avec une pointe de dépit qui n’échappa pas à son interlocuteur. Qu’y a‑t-il, Monsieur? N’avez-vous pas obtenu ce que vous souhaitiez? Ce pourquoi nous travaillons depuis maintenant huit ans est sur le point de se réaliser. Votre plan, notre plan, est un succès, plus hâtif que nous l’espérions, certes, mais l’essentiel est déjà accompli.
–… Sans doute.

Le visiteur, entièrement vêtu de noir, exception faite de son nœud papillon écarlate, s’était levé pour se diriger vers l’espace le plus sombre du bureau. Il faisait maintenant face au premier ministre qui n’arrivait plus à distinguer chez son interlocuteur autre chose que cette étrange boucle rouge. Devant lui, le visiteur s’impatientait.

–Je ne te comprends pas. Tout est comme prévu: tu devras quitter tes fonctions, aucune preuve ne peut être utilisée contre toi, ta famille est sous ma protection. Tu es enfin libre de faire ce qu’il te plaît, tu es riche, tu…
–Je sais, je sais. La question n’est pas là, je sens seulement monter en moi un sentiment qui m’est totalement étranger. C’est difficile à décrire, ni honte, ni regrets, enfin…
–C’est normal.
–Que voulez vous dire?
–Il est tout à fait normal que tu ne trouves pas le mot, car il n’est pas propre à ta race… C’est l’impression de perdre ton humanité qui te tiraille à ce point.
–Alors il vaut mieux démissionner immédiatement, un homme qui n’en est plus un ne peut diriger ses semblables. Autrement, vous n’auriez pas eu besoin de moi.

Le visiteur ricana.
–Pourtant, il y a autre chose…
–Je ne comprends pas.
–Tu sens le remords à plein nez, Jean. Je ne suis pas dupe, tout n’est peut-être pas perdu dans ton cas.
–Fuir serait peut-être ma seule option. Partir et ne plus jamais revenir. Refaire ma vie en traînant avec moi son fardeau. Déchu par mon avarice et mon ambition. C’est probablement…
–Tu me fatigues. Dans mon cas, tout va pour le mieux. Tout ce que les hommes de ce pays, de cette petite province, ont bâti s’écroule et tombe dans les mains crottées du privé et du crime organisé. Rien ni personne ne peut vous sauver désormais hormis nous. Voilà plus de deux siècles que mes ancêtres attendent ce moment. Ils avaient eu tort d’essayer de vous convaincre, de vous raisonner, le Québec ne pouvait tomber ni se détruire que par lui-même. Vous voilà au bord du gouffre, le Canada est votre seul allié, peuple canadien français.
–Et on se souviendra de moi comme de celui qui aura anéanti le Québec, sa culture et sa langue. On me réservera un sort bien pis qu’à Trudeau ou qu’à Duplessis. Quoi qu’il arrive je suis un homme mort.
–Cela sera temporaire, lorsque l’assimilation sera complète, honorant ainsi le souhait de mes ancêtres, la propagande politique aura raison de l’Histoire réelle. On réécrira le passé et comment le premier ministre Charest aura sauvé le Québec de sa plus profonde crise économique et sociale. Le passé ça se réécrit Jean, ce n’est jamais objectif, car l’Histoire appartient toujours aux vainqueurs. Tu seras le héros qui aura permis la suprématie canadienne dans un monde où la décadence écologique est déjà entamée. Les États du Nord deviendront la nouvelle Arabie Saoudite. Or, on peut vivre sans pétrole, mais pas sans eau.

Le premier ministre se tut un moment, l’accent hautain, tranchant et britannique de son interlocuteur le terrorisait à présent. Il se ressaisit quelque peu, rassemblant les quelques miettes de courage qui subsistaient encore en lui.
–Ne craignez-vous donc pas les révoltes, les émeutes?
–Quelles révoltes? Votre peuple est paresseux, passif, confortablement installé devant son téléviseur. Vos seules marques de passion et de militantisme sont vouées à votre club de hockey. Encrés dans leur quotidien si plaisant, ils ne se révolteront pas et attendront nos directives au téléjournal de 18 heures.

Jean ne répliqua pas. Leur entretien et leur collaboration, par la même occasion, venaient de prendre fin. Cameron Durham tourna les talons et disparut aussi étrangement qu’il était venu.

Le premier ministre resta longtemps seul, une fois de plus absorbé par le spectacle de la ville ancestrale qui illuminait maintenant l’obscurité.

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