Adriele Benedetto - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/adriele-benedetto/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 12 Feb 2019 14:44:42 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Métro en panne « mon cul » https://www.delitfrancais.com/2019/02/12/metro-en-panne-mon-cul/ https://www.delitfrancais.com/2019/02/12/metro-en-panne-mon-cul/#respond Tue, 12 Feb 2019 14:44:42 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33316 Retrouvez l’oeuvre marquante de la semaine : Zazie dans le métro.

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Doukipudonktan. Qui se cache derrière ce néologisme égayant? Raymond Queneau, bien entendu. En effet, c’est sur cette transcription phonétique, devenue célèbre, que s’ouvre le roman Zazie dans le métro, paru en 1959.

Loin d’être un lecteur assidu (mis à part les bandes dessinées), j’ai pour habitude d’entamer un livre et de ne pas le terminer, faute de rigueur ou encore à cause du détachement que je ressens parfois envers le sujet de la narration ou le style de l’auteur. Cependant, s’il y a bien un roman que j’ai dévoré avec avidité, jusqu’au point d’en réclamer davantage, c’est celui-ci. Chef de file de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle) qui a pour objectif d’explorer la notion de « contrainte » littéraire et d’en constituer de nouvelles, l’oeuvre de Queneau se détache du roman moderne. Même si à première vue l’épopée de la petite Zazie a tout d’un roman d’apprentissage, la fin de l’ouvrage nous prouve le contraire.

Zazie, jeune provinciale de douze ans, débarque à Paris avec un objectif précis : prendre le métro. Hélas, « les employés aux pinces perforantes ont cessé tout travail » et Zazie a beau riposter et s’indigner, le métro demeure en grève. Elle est alors entraînée dans une épopée loufoque avec son oncle Gabriel, danseur de charme, qui l’amène à côtoyer une ribambelle de personnages improbables, dont un chauffeur de taxi, un cordonnier, un pédophile, un groupe de touristes déchaînés, une veuve, un perroquet, et j’en passe. En bref, impossible de ne pas se fendre la poire. Pour couronner le tout, Queneau utilise un langage qui lui est propre, fait d’emprunts à l’argot, d’expressions issues du langage familier et de transpositions phonétiques. Les jeux de mots débordent au-delà des dialogues et se frayent une place dans la narration. La trame devient presque accessoire, tant l’attention est (dé)tournée vers le langage. Ainsi, la veuve Mouaque crie aux « guidenappeurs » tandis que Zazie harcèle son oncle pour comprendre s’il est réellement « hormosessuel ». On lit également que « du sous-sol émanait un grand brou. Ah ah ».

Je me rappelle, à ma première lecture de l’œuvre, avoir eu la sensation d’être catapulté dans le terrain de jeu d’un académicien délirant. Cependant, si on accepte la confusion que cela engendre, il n’y a rien de plus tordant. Aussi, Queneau ne semble pas vouloir nous dégoûter en peignant un monde d’adultes pervers vu à travers les yeux innocents d’une enfant : il n’y a pas de noirceur dans ce livre, puisque le tout est présenté en l’humour et en légèreté. Seule la ville est sujette aux critiques : elle est un lieu de perdition dans lequel même ses habitants ne se retrouvent pas, si bien que le chauffeur de taxi confond les Invalides et le Panthéon. Lorsque Zazie est raccompagnée à la gare et que sa mère lui demande ce qu’elle a fait durant son séjour à Paris, elle répond succinctement « j’ai vieilli ».

Zazie m’a exhorté à renouveler mon rapport à langue française, à ne plus la considérer comme une langue prescriptive et intransigeante. Il m’a poussé à me l’approprier et à reconnaître que sa richesse nous dépasse.

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Dialogue avec le temps https://www.delitfrancais.com/2019/02/05/dialogue-avec-le-temps/ Tue, 05 Feb 2019 15:59:14 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=33156 Dehors, le tonnerre gronde. Cela fait 26 jours que le ciel n’en fait qu’à sa tête, si bien que ceux qui tentaient de le consoler ont perdu espoir et ont préféré se réfugier chez eux. Aujourd’hui ne fait pas exception. En l’espace d’une minute, le ciel s’est noirci et les nuages sont montés sur scène,… Lire la suite »Dialogue avec le temps

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Dehors, le tonnerre gronde. Cela fait 26 jours que le ciel n’en fait qu’à sa tête, si bien que ceux qui tentaient de le consoler ont perdu espoir et ont préféré se réfugier chez eux. Aujourd’hui ne fait pas exception. En l’espace d’une minute, le ciel s’est noirci et les nuages sont montés sur scène, menaçant de déverser leur chagrin à n’importe quel instant. On prévoit même des flocons en fin d’après-midi. Du jamais-vu pour une ville qui se vante d’avoir du beau temps en toute saison.

— Il paraît que le soleil est en grève, soupire Horace en fermant les volets. 

— Tic-tac, tic-tac, tic-tac

— Les petits nouveaux disent que le beau temps ne vient jamais seul et que l’orage n’est jamais trop loin. Mais dans le vieux bourg, on raconte qu’il s’agit d’un complot orchestré par la capitale. Paris en aurait marre de la flotte et aurait fait appel à un Comité Spécial d’Intervention Atmosphérique (CSIA) pour amadouer tous les vents et nuages qui traversent l’hexagone, afin de concentrer leurs activités dans le Midi, en particulier dans notre petit joyau médiéval. Tu trouves ça normal toi?

— Tic-tac, tic-tac…

— Si c’est le cas, ils ont un sacré culot, ces fripouilles! Pour ma part, ça fait longtemps que j’ai perdu tout attrait pour le dehors. Qu’il grêle ou qu’il neige, je m’en fous. Cependant, quand le Soleil du Midi publie que le service Paris-plage reprend avec un mois d’avance et qu’on frôle les 25 degrés à la capitale, j’ai le coude qui me démange. Ça pue la conspiration, camouflée derrière l’argument du changement climatique. Depuis quand Orange est l’épicentre des averses? Hein? Depuis quand? Enfin bon, tant qu’on ne manque pas de haricots, de pâtés en croûte ou de pains surgelés, on n’a pas le droit de se plaindre, pas vrai?

— …tac, tic-tac, tic-tac, tic…

Soudain, une secousse ébranle la maison et on entend un bruit de verre brisé, suivi par le sifflement strident du vent. Horace se précipite dans la cuisine et s’empresse de fermer la fenêtre. À terre git son vase de céramique préféré, en mille morceaux.

— Ça commence à bien faire! Si vous vouliez me faire chier, sachez que c’est réussi!

— Tic-tac, tic-tac, tic-tac

Horace n’a même pas le temps de s’en remettre que quelqu’un toque à la porte. « Toc, toc »

— Tic-tac, tic-tac, tic-tac

— Mais qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui? Qu’est-ce qui les tracasse, bon sang?

D’un pas décidé, il se dirige vers la porte et l’ouvre brusquement. En face de lui se tient un jeune homme bien coiffé, en tenue de banquier, qui s’abrite sous un grand parapluie. Il a un sourire de banane et son long menton révèle un fâcheux grain de beauté. Avant même qu’il ne prononce un mot, Horace remarque qu’il est entièrement sec. On dirait que le déluge ne le regarde pas.

— Vous désirez?

— Je vous demande pardon. Je viens tout juste d’arriver en ville et, ne connaissant pas les mœurs et coutumes locales, je me suis dit qu’il serait bon de me présenter à la communauté. Mon nom est Juste de Sainte-Olive, mais appelez-moi Juste.

— Horace, répond l’Orangeois, méfiant. Qu’est-ce qui vous amène ici? Si c’est une mutation professionnelle, je crains que votre patron ne vous ait joué un mauvais tour. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour la ville la plus ensoleillée de France, il pleut depuis presque un mois. Les cas d’inondations se multiplient et la commune est incapable de répondre aux besoins de la population. Même le tourisme, qui n’a jamais souffert de rien, est à la dérive. Beaucoup songent à quitter la ville jusqu’à ce que l’ordre climatique soit rétabli. Et le maire, qui a eu la bonne idée de prendre deux semaines de congés! Au soleil, bien entendu. Et de tout ça, le reste du pays n’en a rien à cirer!

— Ne soyez pas abattu, monsieur Horace. Je suis ici pour vous annoncer une bonne nouvelle. Paris entend votre détresse et m’a chargé de vous venir en aide au nom des valeurs républicaines qui nous rassemblent.

— Plaît-il?

— Voyez-vous, la météo d’Orange prévoit de la pluie pour les trois prochains mois, après quoi le soleil devrait ressurgir. Pour pallier ce problème, la mairie de Paris vous fait don d’un parapluie semi-automatique et chauffant qui s’auto-sèche en 27 secondes grâce à un micro radiateur électrique incorporé. Fini les gouttelettes dans l’ascenseur et les porte-parapluies en plastique! Le parapluie chauffant débarque à Orange, annonce-t-il en bombant le torse. On n’en est pas peu fier, ajoute-t-il. Ce projet naît de la volonté de…

Horace ne le laisse pas terminer. Il ferme la porte et se vautre sur le canapé, épuisé. Il n’en croit pas ses oreilles.

— Les vieux avaient donc raison. Non seulement ils nous dépouillent de notre bien le plus précieux, mais ils se foutent ouvertement de notre gueule?

La pendule, restée impassible jusqu’alors, est outragée. Elle pousse un long cri de colère.

— TIQUE-TAQUE, TIQUE-TAQUE, TIQUE-TAQUE!

Puis elle reprend son souffle et retrouve son calme.

Evangéline Durand-Allizé | Le Délit

 

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