Agathe Nolla - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/agathe-nolla/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 05 Apr 2023 15:56:34 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Les petits rats se rebellent https://www.delitfrancais.com/2023/04/05/les-petits-rats-se-rebellent/ Wed, 05 Apr 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51486 Une balade dans la représentation de la sexualité dans la danse classique.

L’article Les petits rats se rebellent est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
L’Opéra Garnier est l’un des plus célèbres théâtres d’opéra au monde, situé dans le neuvième arrondissement de Paris. Construit à la fin du 19siècle, il est un symbole de la culture et de l’élégance de l’époque. Cependant, derrière la façade majestueuse de ce monument se cachait un monde de désirs et de passions qui étaient souvent considérés comme tabous à l’époque : la sexualité. Les danseuses étaient considérées comme des femmes à la morale douteuse, souvent l’objet de désirs et d’attentions de la part de riches protecteurs. Les chanteuses étaient également soumises à des avances sexuelles de la part de leur public. Plus franchement, l’opéra Garnier était un bordel de luxe. Au cours d’une soirée, certains passaient de spectateurs à clients et d’autres de danseuses à prostituées. Avec le temps, le métier de danseuse classique s’est professionnalisé et la prostitution s’est vue davantage stigmatisée. Les chorégraphes ont essayé d’opérer une certaine révolution sexuelle dans ce corps de métier tout en respectant les règles de bien-séance. Cet article compare trois époques afin de retracer l’évolution du rapport entre la sexualité et la danse classique.

« L’opéra Garnier était un bordel de luxe : au cours d’une soirée, certains passaient de spectateurs à clients et d’autres de danseuses à prostituées »

Les premières danseuses de l’Opéra

À la fin du 19siècle, le peintre français Edgar Degas provoque un scandale à la suite de l’exposition d’une série
de tableaux et de sculptures représentant des danseuses de l’Opéra. Il les montre dans l’intimité de leur travail :
les vestiaires, les coulisses, l’étirement. Degas peint leurs dos dénudés et leurs jambes écartées, de quoi choquer la haute bourgeoisie parisienne. En réalité, ce qui choquait le plus, ce n’était pas tant les positions des danseuses, mais plutôt la représentation de ces dernières. Cette même classe critiquant l’exposition de Degas s’avère être la plus féroce consommatrice des faveurs sexuelles proposées à l’Opéra. La Petite Danseuse de Quatorze Ans est une sculpture en bronze créée par Edgar Degas en 1881 qui représente une jeune danseuse de l’Opéra de Paris vêtue d’un tutu en tulle, d’un corset et de chaussons de danse. La sculpture a suscité la controverse en raison de son réalisme brutal, de sa représentation crue de la danse et de la sexualisation supposée de la jeune fille. Exposée pour la première fois à Paris en 1881, à l’occasion de la sixième exposition impressionniste, elle est vivement critiquée par Paul Mantz qui se questionne : « Pourquoi son front est-il, comme ses lèvres, marqué d’un caractère si profondément vicieux? »

En 2021, l’école d’art parisienne Les Gobelins produit un court-métrage animé avec Constance Bertoux, Camille Bozec, et Pauline Guillon intitulé Louise, dans lequel le spectateur suit la soirée d’une danseuse de l’Opéra à la fin du 19siècle. Après sa performance sur scène dans le ballet Gisèle, la collègue de Louise lui réclame la somme qu’elle lui doit depuis quelques semaines. À court, Louise décide de se fondre dans la masse de prostituées et de rejoindre ses mécènes et clients habituels pour rembourser sa dette. À cette époque, le salaire d’une danseuse classique n’est pas suffisant pour en vivre, les artistes dépendent donc du pourboire de leurs spectateurs, qui deviennent leurs clients.

Chorégraphie et modernité

Au début du 20siècle, la danse classique se veut à l’avant-garde de la représentation d’une sexualité féminine libérée. Alors qu’au 19siècle la mode est aux ballets romantiques narrant des histoires d’amour tragiques dansées par des femmes dont le tutu couvre l’intégralité des jambes, le 20voit l’essor de pièces allègres et provocatrices. Composé en 1869 par Marius Petipa, le ballet Don Quichotte est joué pour la première fois en France en 1905 au théâtre du Châtelet. Ce ballet met en scène le personnage de Kitri, une jeune espagnole sensuelle qui fait rêver l’ensemble des personnages masculins. Quand elle tourne puis saute, la robe de Kitri vole pour dévoiler, en l’espace de quelques secondes, ses jambes nues écartées par des positions souples.

Le chorégraphe russe Rudolf Noureev opère la révolution sexuelle dans le monde de la danse classique. Après avoir demandé l’asile en 1961, Noureev reprend des ballets classiques pour les réinventer dans l’érotisme. Par exemple, dans sa version de Roméo et Juliette, représentée pour la première fois le 9 octobre 1977, le couple se touche, s’embrasse, s’émeut dans une passion sexuelle et tangible. En 2019, le réalisateur Ralph Fiennes compose le film Le Corbeau Blanc qui retrace la vie de Rudolf Noureev lors de son arrivée à Paris. Le prodige Noureev, interprété par Oleg Ivenko, est en tournée à Paris avec la compagnie du Kirov et devient fou de la liberté sexuelle qui habite les Parisiennes. Après être tombé dans la passion pour Clara Saint, interprétée par Adèle Exarchopoulos, Noureev prend la décision de quitter l’URSS pour demeurer à Paris, ville d’où il tirera son inspiration pour toutes ces œuvres révolutionnaires. Le film de Fiennes montre l’importance des fréquentations sexuelles et amoureuses dans le processus de création : pour représenter et danser la passion, il faut la vivre à nu.

« Pour représenter et danser la passion, il faut la vivre à nu »

Concilier sexualité et danse classique aujourd’hui

Le Délit s’est entretenu avec Hortense pour en savoir plus sur comment une danseuse concilie sexualité et danse classique. Hortense Pelletan est une danseuse de 19 ans, qui en parallèle de ses études en sciences politiques, suit le cycle à orientation professionnelle au Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Reims. Elle danse près de 15 heures par semaine.

Le Délit (LD) : Comment la danse classique a‑t-elle impacté ton rapport au corps dans l’activité sexuelle, que ce soit la masturbation, la séduction ou la copulation? As-tu l’impression que le fait d’être une danseuse est en soi un atout dans le jeu de la séduction?

Hortense Pelletan (HP) : Honnêtement, je pense que la danse a considérablement changé le rapport que j’ai vis-à-vis de mon corps. Depuis que je danse de manière intensive, soit depuis mes 13 ans environ, j’ai une très bonne connaissance de mon corps. Je connais les mouvements qui me procurent du plaisir et ceux qui, au contraire, sont plus inconfortables et moins naturels pour moi.

En ce qui concerne le rapport entre la danse et l’activité sexuelle, je pense que la danse classique m’a aidée à m’affirmer davantage dans des situations de drague. Je pense que mon corps arrive à retranscrire les sensations, les jeux et les aventures qui se produisent sur scène dans la séduction. Réciproquement, les expériences que j’ai connues dans la vie m’ont aidée dans ma danse car elles m’ont permis d’interpréter les rôles de manière plus juste et sincère. Je pense que la danse me donne confiance en moi de manière générale, ce qui me permet de me sentir plus belle au quotidien. De fait, je pense qu’elle influence de manière indirecte mon jeu de séduction car j’arrive mieux à m’affirmer depuis que je danse et je connais très bien mes forces et faiblesses corporelles, et donc je sais lesquelles mettre en avant dans une situation de drague. Quand je dis que je suis danseuse classique, la personne en face trouve cela en général original et respectable, étant donné que peu de gens poursuivent la danse de manière aussi intensive en parallèle de leurs études traditionnelles. Je pense que les gens associent plus le classique à l’élégance et la grâce, soit des qualités associées au féminin et à la douceur, plutôt qu’au sexy et au sensuel. Je pense pas que l’on associe encore aujourd’hui la danse à l’activité sexuelle, mais plutôt à la grâce et au raffinement.

LD : As-tu déjà eu l’impression d’interpréter des rôles sensuels ou des chorégraphies à caractère sexuel?

HP : Oui, j’ai déjà dû interpréter des rôles sensuels, notamment celui de Douniazad dans le ballet Schéhérazade de Michel Fokine ou encore dans le Casse-Noisette de Lev Ivanov avec la Danse Arabe. Je pense que ces rôles se font plus rares dans la danse classique par rapport à d’autres types de rôles issus de ballets du répertoire, qui mettent souvent en scène des jeunes filles innocentes, qui doivent faire face à un destin tragique et lugubre, comme celui de Gisèle. Le classicisme se base sur des normes telles que la bienséance et la vraisemblance. Dans le répertoire, on évite des rôles trop explicites, on reprend des histoires peu choquantes qui mettent davantage l’accent sur le romantisme que sur la passion sexuelle.

« Ce qui prime, ce n’est pas tant la sensualité, mais la beauté » 

Hortense Pelletan

LD : Te sens-tu sensuelle quand tu danses en cours comme sur scène? Est-ce que tu trouves les costumes sexy? Si cette sensualité existe, comment l’exprimes-tu?

HP : Quand je danse, je me sens belle. Je pense que c’est vraiment le seul moment où je me sens entièrement bien dans ma peau car j’arrive à m’exprimer de manière sincère et passionnée, cela a un effet libérateur et transcendant sur moi. Je ne sais pas si c’est toujours de la sensualité car cela dépend des rôles à interpréter, mais en tout cas, je pense que ma perception d’être belle se multiplie et se renforce sur scène. Pour les costumes, cela dépend encore une fois des rôles et du type de ballet mis en scène ainsi que de la chorégraphie imposée. De manière générale, je pense que les costumes sont destinés à créer un tableau harmonieux et plaisant pour le spectateur. Cet ensemble, musique, danse et décors, crée le beau et se destine à toucher le spectateur autant que le danseur-interprète. Ce qui prime, ce n’est pas tant la sensualité, mais la beauté. J’espère continuer à grandir et à me transformer avec mon corps, que ce soit au CRR ou dans un autre cursus de danse à l’étranger.

L’article Les petits rats se rebellent est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
De la tentation à l’addiction https://www.delitfrancais.com/2023/04/05/de-la-tentation-a-laddiction/ Wed, 05 Apr 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51514 Rencontre avec une personne accro aux vidéos pornographiques.

L’article De la tentation à l’addiction est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Aujourd’hui, les services de santé mentale canadiens, dont Better help, ont développé des programmes et formé des professionnels pour aider ceux qui souffrent d’une addiction à la pornographie. Cette dernière est qualifiée par l’OMS d’addiction comportementale, tout comme les troubles du comportement alimentaire (TCA : boulimie, anorexie, hyperphagie). Cette addiction se caractérise par une consommation excessive et chronophage de contenu pornographique au point qu’elle impacte les relations avec son corps et avec les autres. Le Délit s’est entretenu avec un étudiant de l’Université McGill pour qu’il nous parle de son parcours entre l’addiction aux vidéos pornographiques et l’auto-régulation. 

Le Délit (LD) : Quand as-tu su que tu avais un problème avec la consommation de contenu pornographique?

Emmanuel* : Tout a débuté pendant l’été 2022, alors que j’étais en pleine interaction sexuelle avec une femme, et je voyais que mon excitation mentale ne se traduisait pas physiquement. Je me suis rendu compte que la vraie vie m’excitait moins que le virtuel. Le semestre qui a suivi, j’ai essayé de diminuer ma consommation de pornographie et j’ai voulu analyser mon rapport avec cette activité. En fait, j’ai noté que souvent je me masturbais par habitude et non par plaisir. Je me masturbais tous les jours à la même heure.

LD : Comment as-tu arrêté? Comment t’es-tu senti pendant le sevrage?

Emmanuel : Je ne pense pas être complètement accro au sens médical. Je pense que j’ai eu une relation abusive avec la pornographie pendant plusieurs années, mais je ne sais pas si le terme « sevrage » est vraiment approprié. Je parle plutôt de diminution drastique de consommation ou de vigilance par rapport à mon usage des sites pornographiques. J’avais réfléchi à un plan : l’idée n’était pas d’arrêter la masturbation, mais simplement de ne pas dépendre de contenu pornographique. Donc, pendant une semaine, j’ai continué de me faire plaisir quotidiennement, en utilisant seulement mon imagination. C’était extrêmement difficile. J’avais besoin de 30 minutes au lieu de cinq pour arriver jusqu’au bout. Parfois même, j’abandonnais en cours. Avant, il me suffisait de quelques minutes, puis c’était fini et je pouvais tranquillement continuer ma soirée, regarder un épisode d’une série ou finir mon devoir de maths. Au bout d’une semaine, je me suis vite ennuyé : me forcer à me masturber tous les jours me prenait trop de temps et m’épuisait mentalement. On peut dire que la semaine durant laquelle je me suis forcé à la masturbation quotidiennement sans support audio-visuel, ça, c’était ma semaine de « sevrage ». Après, je me suis dit que j’allais me faire plaisir uniquement quand j’en avais envie. Par conséquent, en arrêtant la consommation de pornographie, j’ai également diminué la fréquence de mes masturbations à environ deux fois par semaine. En janvier, je m’étais dit que c’était bon, j’avais fait le travail nécessaire et je pouvais me remettre à regarder ce genre de contenu. Sincèrement, ça me manquait. Alors, pendant les vacances, j’ai repris et très vite j’ai vu que c’était nocif pour moi. J’étais stressé par peur de gâcher tous mes efforts et ce stress pesait sur ma santé mentale, j’ai alors de nouveau arrêté. Aujourd’hui, j’utilise des supports visuels à caractère très peu pornographique. Je trouve des photos d’actrices sur internet dans lesquelles elles sont très peu dénudées et après je laisse mon imagination se charger du reste. On pourrait dire que je suis retourné dans le passé, à l’époque des Playboys. Honnêtement, je ne ressens plus le sentiment de manque. Je profite de chaque masturbation : elles ne représentent plus aucune sorte d’obligation ou d’habitude pour moi.

LD : D’après toi, pourquoi es-tu devenu accoutumé à la consommation de vidéos pornographiques? Pourrais-tu formuler une hypothèse sur les raisons de cette addiction comportementale?

Emmanuel : Moi, j’ai commencé à regarder de la pornographie en classe de sixième, dès que mon corps a été en état et en âge de comprendre le plaisir sexuel. J’ai tout de suite associé la masturbation à la pornographie : l’un n’existait pas sans l’autre. En plus, les premières vidéos que j’ai regardées ont été dans le genre du sado-masochisme. Au début je les trouvais très dérangeantes, puis je m’y suis vite habitué. J’ai continué à ne regarder presque que des vidéos de ce style, de plus en plus extrêmes. Je ne peux parler pour les autres, mais dans mon cas, je pense que c’est l’exposition très précoce aux contenus extrêmes qui a déclenché la dépendance à la pornographie. J’avais besoin de voir des positions extrêmes et d’entendre des bruits qui traduisent ce plaisir extrême. Évidemment, dans la vraie vie, ce n’est pas pareil, donc je bande moins. Je ne pense pas qu’il faille réguler la production de pornographie : tout comme la drogue, la rendre illégale empirait le problème. Je suis pour le libre accès et la libre production du contenu. Peut-être qu’il faudrait seulement prévenir les enfants des dangers potentiels de la surconsommation des vidéos pornographiques.

« C’est l’exposition très précoce aux contenus extrêmes qui a déclenché la dépendance à la pornographie. »

Emmanuel

LD : Comment appréhendes-tu l’avenir de ta relation avec les vidéos pornographiques?

Emmanuel : Comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas envie de me limiter complètement. Je veux simplement suivre mes instincts, je ne veux pas faire les choses par habitude, je ne veux pas de rituel de masturbation. Si un jour, je veux regarder une vidéo pornographique, je le ferai. Pour l’instant, je n’ai pas envie. J’ai également envie de recommencer à voir des partenaires sexuels. Je veux rencontrer des femmes et pouvoir coucher avec elles sans la peur d’avoir une panne. Une partie du problème de la consommation des vidéos pornographiques, c’est qu’elles te mentent sur les relations sexuelles réelles. Et donc, pour « guérir » il faut vivre dans la vraie vie, il faut faire l’amour à l’écoute de son partenaire, il faut normaliser la copulation basique (sans aspect extrême). J’espère que tout mon travail m’aidera dans mes prochaines relations sexuelles et amoureuses.

L’article De la tentation à l’addiction est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Saucisse en bouche https://www.delitfrancais.com/2023/04/05/saucisse-en-bouche/ Wed, 05 Apr 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51640 L’art de cacher la honte sexuelle dans le vocabulaire gastronomique.

L’article Saucisse en bouche est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Peut-être bien que nous serions encore tous dans un monde merveilleux si Ève et Adam n’avaient pas consommé le fameux fruit défendu du jardin d’Éden. Après avoir soulagé leurs chaleurs insoutenables, le couple fondateur se couvre les parties génitales avec des feuilles de vigne. Et voici que depuis la Genèse, nous bouffons, nous buvons et nous baisons. La langue française compte de nombreuses expressions idiomatiques gastronomiques qui servent de métaphores aux sujets tabous ou interdits. Ce besoin de codifier des termes sexuels ou des insultes vient d’abord de la régulation des institutions comme l’État, l’Académie ou l’Église, ce que Michel Foucault appelle une « mise en discours » quasi officielle. De là s’opère un phénomène d’épuration du vocabulaire qui mène non seulement à des restrictions, mais aussi à des codifications comme l’apparition de nombreux idiotismes ou d’autres métaphores.

Alors que certains idiotismes gastronomiques n’ont aucune connotation sexuelle, comme le remplacement du mot « putain » par « purée », beaucoup d’entre eux jouent sur la taille, la forme ou l’emploi de certains aliments pour euphémiser des situations sexuelles. Par exemple, l’expression « tremper son biscuit », qui fait référence à la pénétration, est une métaphore ou euphémisme assez évident. Le pénis se substitue au biscuit, venant de leur forme similaire dans certains cas, qui est trempé dans la tasse de lait matinale, représentant l’éjaculation dans le sexe de la femme.

Cette codification a lieu notamment entre des locuteurs où le rapport social n’autorise pas d’aborder certains sujets. Les idiotismes gastronomiques se créent soit par une similarité visuelle, soit par les liens entre les rapports sociaux du couple et l’équilibre de pouvoir des ustensiles, aliments ou animaux. Pour illustrer, les aubergines ou les asperges se rapprochent visiblement du sexe masculin, tout comme les bonbons qui, historiquement sphériques, s’apparentent à des testicules. L’utilisation de lexique de charcuterie peut désigner le pénis ou la pénétration (saucisse, lard, os à moelle, Weenie ou meat en anglais) contre celui du coquillage ou animal à coquille pour indiquer celui de la femme (con, schnecke, moule) est une claire projection du rapport de forces prédatrices-proies.

« Le lien entre l’alimentaire et le sexuel se fait presque inconsciemment, (…) en construisant un rapport similaire entre le mangeur et le mangé »

Ainsi, l’homme et son pénis sont souvent représentés par des animaux forts, grands, larges et dangereux, alors que le vagin féminin est plutôt associé à des petits animaux, impuissants et sans défense. Le lien entre l’alimentaire et le sexuel se fait presque inconsciemment, d’abord puisqu’il mime la relation hétéronormée entre l’homme et la femme en construisant un rapport similaire entre le mangeur et le mangé, mais aussi à travers une série de points communs. En plus d’être deux domaines qui touchent à l’intime, l’instinct de survie mêle également nourriture et copulation : l’un pour survivre dans l’immédiat et l’autre pour faire perdurer notre espèce.

Les idiotismes gastronomiques ne servent pas uniquement à « protéger » les jeunes des sujets sexuels. Ils contribuent également à faire de la sexualité un sujet tabou. L’emploi de ces euphémismes hétérénormés sont le symptôme d’une société pudique et sexiste, toujours prête à réprimer n’importe quelle expression de libération sexuelle. 

L’article Saucisse en bouche est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Commémorer les soulèvement étudiants de 2012 https://www.delitfrancais.com/2023/04/05/commemorer-les-soulevement-etudiants-de-2012/ Wed, 05 Apr 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51651 Entrevue avec le coréalisateur de 2012/Dans le coeur.

L’article Commémorer les soulèvement étudiants de 2012 est apparu en premier sur Le Délit.

]]>

À l’affiche depuis le 31 mars dernier, le documentaire 2012/Dans le cœur retrace les événements majeurs des grèves étudiantes contre le Plan Nord, initiative minière dans des territoires autochtones, proposée par le gouvernement de Jean Charest. Les images offrent un tableau cru des violences policières et des propagandes médiatiques déployées pour minimiser et faire taire les revendications de milliers d’étudiants québécois. Le Délit a rencontré l’un des coréalisateurs du film, Arnaud Valade, afin qu’il réponde à nos questions quant au processus de création de cette œuvre commémorative.

Le Délit (LD) : En guise d’introduction, pouvez-vous me dire comment vous avez vécu les grèves étudiantes de 2012?

Arnaud Valade (AV) : En 2012, j’avais 16 ans, j’étais en secondaire 5. Mon frère, Maxence, et ma sœur étaient déjà très impliqués dans l’organisation des luttes étudiantes depuis 2011. Quand la grève s’est généralisée dans les milieux universitaires, il y a eu un appel dans les écoles secondaires pour également se mettre en grève. C’était illégal de le faire. On s’est réunis, puis on a organisé un petit mouvement de grève sauvage dans les écoles secondaires. À ma première manifestation, j’ai fait l’expérience de la répression, de la violence policière. Comme beaucoup de monde le disait à l’époque, on est tous devenus anarchistes en trois semaines.

LD : Comment est né le projet du film?

AV : C’est un projet qui a un embryon depuis 2015. Rodrigue Jean, le coréalisateur, voulait filmer un essai cinématographique sur ce qu’il s’est passé à Victoriaville, en mai 2012. Mais il y a eu beaucoup de réticence dans le financement de cette idée, alors, pendant un moment, on l’a mise de côté, jusqu’en début de l’année 2021, où Rodrigue et moi, on avait envie de reprendre le projet, pour commémorer les 10 ans. Pour nous, l’impor- tant c’était de marquer la mémoire de ce mouvement du côté des gens qui s’organisaient à l’époque, du côté militant. Le but du film n’était pas nécessairement d’avoir un regard nostalgique vers le passé, mais plutôt d’actualiser le mouvement et de continuer l’écriture de l’histoire de luttes et mouvement sociaux du Québec. Notre but était de montrer comment – malgré la très grande diversité du groupe, nous étions majoritairement des étudiants blancs et privilégiés – faisions l’expérience de la violence policière pour la première fois et étions désignés comme ennemis du pouvoir.

« Le but du film n’était pas d’avoir un regard nostalgique vers le passé, mais de continuer l’écriture de l’histoire de luttes »

LD : Le film est composé d’une série de vidéos prises par les différents acteurs de la grève de 2012 : des vidéos télévisées par Radio-Canada, des vidéos prises par les hommes politiques québécois, et les nombreuses vidéos des étudiants grévistes. Quel a été votre processus pour faire de toutes ces images un collage cinématographique?

AV: On avait grappillé à droite et à gauche toutes les images des gens qui étaient présents pendant les rassemblements majeurs, au Palais des Congrès en mars, et à Victoriaville en mai, pour écrire un film qui allait démentir les communiqués qui avaient été faits par la police et relayés par les médias. Il y avait déjà un petit bassin de vidéos connues sur les réseaux, et à partir de celles-là, on a essayé de contacter les personnes qui avaient filmé, ou qui avaient été filmées, pour leur demander si elles n’avaient pas davantage d’images. On se demandait « C’est qui cette personne? Est-ce qu’elle existe encore? Est-ce qu’elle a encore ces images? » On a écrit à des dizaines et des dizaines de personnes pour avoir de l’info. Finalement, on a retrouvé les gens et leurs images.

LD : Avec la voix narrative de Safia Nolin, la musique est un fil conducteur dans le déroulement du film. Pouvez-vous me parler davantage de la création de cette musique et de son rôle dans le film?

AV : C’est un bon ami à moi qui s’appelle Jacob Desjardins, qui a composé la musique. On avait une sensibi- lité commune, car lui aussi a été très investi dans la grève de 2012 : il était très touché par notre projet et les images. Il utilise des synthétiseurs modulaires pour modifier les ondes sonores. C’est un travail d’artisan de jouer avec la matière première des ondes acoustiques. Il a composé pendant toute la durée du montage, en parallèle avec la réalisation du film. Nous, ce qu’on voulait, c’était quelque chose d’ambivalent, qui viendrait appuyer et accompagner les images, sans trop les connoter.

LD : Quel est l’effet espéré de votre film sur le public?

AV : Le film s’adresse à la jeunesse d’aujourd’hui, qui n’a pas vécu cette grève : je veux lui montrer ce dont les étudiants étaient capables à l’époque en s’organisant en groupes révolutionnaires. Mais il s’adresse également aux gens qui l’ont vécue de près ou loin en 2012, pour remercier ceux qui y ont participé et ceux qui ont été blessés émotionnellement, économiquement et physiquement par cet engagement social. Il y a des personnes qui traînent encore ça sur le dos, des blessés dont on n’a jamais parlé, qui portent encore de graves blessures aujourd’hui. Pour nous, ce film est une garantie que la mémoire de ces gens-là n’est pas perdue, parce que ce sont eux qui ont porté à bout de bras le mouvement. Le film est à leur honneur.

L’article Commémorer les soulèvement étudiants de 2012 est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Réinventer la mode chez les étudiants https://www.delitfrancais.com/2023/03/22/reinventer-la-mode-chez-les-etudiants/ Wed, 22 Mar 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51422 Une entrevue avec l’association étudiante Dsign Lab McGill.

L’article Réinventer la mode chez les étudiants est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Cette semaine, Le Délit a conversé avec deux membres de l’association étudiante mcgilloise @dsignlabmcgill pour en savoir plus sur le monde de la mode à l’Université McGill. Créée il y a deux ans, cette association compte plus de 60 membres aujourd’hui et espère pouvoir s’agrandir dans les semestres à venir.

Le Délit (LD) : Dans les grandes lignes, comment présenteriez-vous votre club? Quels sont ses objectifs?

Dsign Lab McGill (DLM) : Je dirais que le DsignLab est destiné à être un espace de collaboration et de rassemblement pour les personnes qui travaillent dans différents domaines de la création artistique. Nous comptons trois piliers. Il y a la photographie, la mode et les arts visuels. L’année prochaine, nous allons mettre en place un laboratoire de design bimensuel, où nous bloquerons un espace de studio pendant trois heures. L’idée est de susciter des collaborations en dehors du DsignLab. Ainsi, si quelqu’un réalise un projet de mode, crée une robe, par exemple, il suscitera peut-être l’intérêt de quelqu’un qui s’intéresse à la photographie, et ils pourront alors faire ensemble une séance de photos pour un éditorial de mode. Ou peut-être qu’une personne impliquée dans l’art aimera la robe et que nous ferons une conception visuelle dessus. L’idée principale est donc de créer une communauté créative à McGill, car beaucoup de gens ont constaté en arrivant ici qu’ils avaient perdu leurs liens avec le monde de l’art. Nous voulons donc raviver cette passion et créer un espace interactif.

LD : Quels sont les axes directifs de votre club?

DLM : Je pense que la chose la plus importante à noter à propos de notre club, c’est qu’il est orienté vers le développement durable. Je pense que c’est l’une des principales composantes de nos projets récents, car la mode est aujourd’hui une activité qui n’est pas durable, malheureusement. Nous essayons donc de motiver la nouvelle génération et la communauté mcgilloise à aller en friperie, à acheter des vêtements réutilisés, à les reconvertir au lieu de les jeter, à apprendre à les réparer et à faire ces choses qui vont prolonger la vie de leurs articles au lieu de passer immédiatement à l’achat de quelque chose de neuf sur le présentoir. La semaine dernière, nous avons mis en place un programme très prometteur. Il s’agissait d’un événement où les étudiants pouvaient apporter leurs vêtements endommagés, avec de petits trous ou des déchirures, et notre équipe les réparait pour un prix très bas par rapport à la majorité des services couturiers de Montréal. Si on a fait ce service de réparation, c’était pour sauver des habits de la décharge.

« Nous essayons donc de motiver la nouvelle génération et la communauté mcgilloise à aller en friperie, à acheter des vêtements réutilisés, à les reconvertir au lieu de les jeter »

LD : D’après vous, quel est l’impact de votre club sur les étudiants? Comment le mesurez-vous?

DLM : Je pense que nous avons un impact considérable sur le monde de la mode étudiante, en tout cas à McGill. Notre défilé de mode fait parler les gens après coup. Beaucoup de personnes sont venues me voir et m’ont dit que la prochaine fois qu’ils iraient au centre commercial, ils allaient mieux réfléchir à ce qu’ils achèteraient parce que le spectacle les avait touchés et qu’ils voulaient être plus soucieux avec leurs achats. Et je pense que cela est dû en grande partie à l’artiste qui est venu. Il s’appelle Jan Van Esch, et c’est un artiste en résidence à McGill, qui a réalisé une pièce sur la surconsommation de la fast fashion. Il a entendu parler de notre projet, a demandé à en faire partie et nous lui avons demandé de faire la finale. Dans son œuvre, il portait sur lui environ 120 articles d’habillement, cela correspond à la moyenne de ce qu’un habitant de l’Amérique du Nord conserve en même temps dans sa garde-robe. Lorsque l’on voit tout ce matériel entassé sur un individu, on se demande s’il est vraiment nécessaire d’en avoir autant. Nous avons collaboré avec une boutique appelée effe, qui travaille avec de nombreux créateurs locaux. Nous avons également contacté deux friperies du boulevard Saint-Laurent, l’une d’entre elles étant également un refuge pour femmes, appelé La Maison du Chaînon, et l’autre étant SnobShop. Ces deux magasins correspondent tout à fait à notre vision du développement durable. En plus de la reconversion d’habits, le propriétaire de SnobShop crée ses propres vêtements, les coud à partir de vieux matériaux recyclés, et propose des vêtements qui tiennent compte de toutes les tailles. Le Chaînon, quant à lui, propose une gamme de vêtements différents à des prix très abordables. Nous voulions nous assurer que nous avions des marques accessibles à tous, sans discrimination socio-économique.

Laura Tobon | Le Délit

LD : Quels pas prenez-vous vers l’inclusivité? Votre club abrite-t-il une diversité de corps, d’ethnies et de genres?

DLM : D’après moi, l’espace de la mode propose un spectre d’expression du genre plus large et il est possible
de sortir de la binarité. L’une des choses vraiment géniales est la capacité de briser les stéréotypes de genre à travers la mode, à travers l’art visuel. C’est l’endroit idéal pour contourner ce que nous supposons être les binaires de genre et pour expérimenter l’expression en dehors de ce qui a été considéré comme la norme. Il est vraiment formidable de voir beaucoup de membres de notre club prendre des risques et s’exprimer d’une manière qui leur est propre et qui n’est pas conforme à ce que le monde leur a imposé. Lors de notre dernier défilé, nous n’avons pas demandé de mesures aux mannequins au moment de l’audition, mais seulement après leur sélection, pour que nous puissions leur trouver les vêtements à la taille adéquate. Nous avons essayé de varier les apparences. Je pense donc que le simple fait d’avoir une variété de mannequins sur le plateau est déjà un pas en avant vers l’inclusivité et la démocratisation de la mode.

« L’espace de la mode propose un spectre d’expression du genre plus large, il offre la possibilité de sortir de la binarité »

LD : Avec quelles marques et magasins avez-vous collaboré?

DLM : Cette année, nous l’avons fait soit gratuitement, soit grâce à des commanditaires. Le défilé de mode que nous avons organisé au premier semestre a été en partie financé par Écosystème Jeunesse Canada (ÉJC). Nous avons obtenu tous les vêtements grâce à des partenariats. Nous avons donc passé des journées entières à nous rendre dans différents magasins de seconde main et à présenter le projet du défilé de mode : « Pourriez-vous nous prêter quelques pièces qui vous reviendront? Et nous vous ferons de la publicité, nous dirons à tout le monde le nom de votre magasin. C’est donc mutuellement bénéfique. »

LD : En travaillant au sein d’une association de mode étudiante, votre perspective
sur la mode a‑t-elle changé? En somme, pouvez-vous donner une définition de la mode?

DLM : Je pense que le plus intéressant avec la mode, c’est qu’elle est difficile à définir en elle-même. Il y a des choses qui sont incluses dans le monde de la mode et que les gens ne considèrent pas nécessairement comme de la mode. Par exemple, d’une certaine manière, le maquillage peut aussi être une forme d’expression de la mode qui ne se limite pas à l’habillement. La mode est un moyen d’exprimer ce que l’on ressent à l’intérieur, à l’extérieur, c’est de l’art à porter, ou même, pourrait-on dire, c’est une façon de parler sans mots. La spécificité de la mode, c’est sa capacité à exprimer des émotions, des valeurs, des désirs, des passions d’une manière qui n’exige pas nécessairement le caractère explicite d’autres formes d’art.



L’article Réinventer la mode chez les étudiants est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
« Que dis-je, c’est un cap? » https://www.delitfrancais.com/2023/03/22/que-dis-je-cest-un-cap/ Wed, 22 Mar 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51390 Un hommage à Rostand dans Pif-Luisant.

L’article « Que dis-je, c’est un cap? » est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Du 14 mars au 15 avril 2023, le théâtre du Rideau Vert propose une pièce surprenante, Pif-Luisant, écrite par Gabriel Sabourin. Elle retrace l’histoire de la création d’une des pièces de théâtre les plus connues du XIXe siècle : Cyrano de Bergerac. Pièce maîtresse du dramaturge français Edmond Rostand, elle est immédiatement félicitée par la critique et le grand public après sa première à Paris le 28 décembre 1897. Le succès de Rostand raconte l’histoire de Cyrano, un poète et bretteur au nez proéminent, qui tombe amoureux de sa cousine, Roxane. Trop timide pour lui avouer ses sentiments, il aide un jeune cadet, Christian, à conquérir son cœur en lui prêtant sa plume. Ainsi, Roxane tombe amoureuse des mots de Cyrano qu’elle associe au visage et au corps du beau Christian. Le succès inattendu de cette comédie romantique, écrite en alexandrins, récompense son auteur avec la légion d’honneur en janvier 1898. Dans sa pièce de 2023, Sabourin propose un voyage dans le salon de la maison secondaire des Rostand pendant l’écriture de Cyrano de Bergerac.

Pour écrire son chef‑d’œuvre, Rostand s’est inspiré des événements de sa propre vie : ce sont ces éléments biographiques que raconte la pièce de Sabourin en une heure et demie. Très complexé par la taille de son nez, Rostand, interprété par Olivier Mourin, tombe excessivement amoureux de la fille de ses domestiques, sa « presque sœur », Marie-Anne, comme il l’appelle dans Pif-Luisant, jouée par Elodie Grenier. Marie-Anne, qui inspire le personnage de Roxane, tombe éperdument amoureuse d’un déserteur aux rêves de comédien, Christian de Neuvillette, interprété par Jean-François Pronovost. Tout comme Cyrano, Rostand aide Christian à séduire Marie-Anne en lui prêtant sa plume. Alors que Christian retourne dans les colonies en tant que soldat, Rostand continue d’écrire des billets d’amour à Marie-Anne sous le nom de Christian. Ainsi, l’histoire de Cyrano de Bergerac naît. Elle est composée en quelques semaines avant d’être envoyée au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris pour y être chaleureusement applaudie.

« Pour écrire son chef‑d’œuvre, Rostand s’est inspiré des événements de sa propre vie »

Dans la pièce de Sabourin, Edmond Rostand est présenté comme un dramaturge perdu, un homme instable mentalement, sans l’espoir de pouvoir un jour vivre de son art. Effectivement, dans les années 1890, Paris joue du théâtre de boulevard, des farces et du burlesque, et porte peu d’intérêt aux longues pièces romantiques écrites en alexandrins, qui sont considérées pédantes. Le père d’Edmond presse son fils de reprendre son travail d’avocat et d’abandonner définitivement le théâtre. Mais le talent d’Edmond est indéniable. Dans la pièce de Sabourin, Edmond parle presque en alexandrins avec une facilité déconcertante. Le spectateur a l’impression de rencontrer le vrai génie de Rostand, sa personnalité cachée et son histoire personnelle. Cette proximité est rendue possible grâce aux efforts de Sabourin, qui choisit le comédien Olivier Mourin et en fait le sosie de Rostand, physiquement comme psychologiquement.

En maniant la mise en abyme et en imitant le développement de l’intrigue de Cyrano de Bergerac, Gabriel Sabourin rend hommage au formidable succès de la pièce de Rostand et affirme que le théâtre en vers n’est pas démodé si l’on en fait bon usage.

L’article « Que dis-je, c’est un cap? » est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Danser ou Vieillir https://www.delitfrancais.com/2023/03/15/danser-ou-vieillir/ Wed, 15 Mar 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51213 L’ode à la vieillesse dans OLD de Margie Gillis.

L’article Danser ou Vieillir est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Du 9 au 11 mars dernier, la chorégraphe et danseuse canadienne Margie Gillis s’est produite à l’Agora de la danse pour OLD, son seul-en-scène de plus d’une heure. Née en 1953, Gillis célèbre ses 70 ans de vie et ses 50 ans de carrière avec un spectacle physiquement éprouvant. La Fondation de danse Margie Gillis, créée en 1981, a présenté plus de 150 créations de danse dans le monde entier. Margie a été récompensée pour son innovation artistique et ses performances exceptionnelles.

Pendant 110 minutes, Margie Gillis nous invite à une réflexion dansée et chantée sur la découverte de la vieillesse. Pour l’artiste, issue d’une famille d’athlètes, la prouesse physique a toujours été au cœur de son travail et de sa philosophie. Pendant ce spectacle, elle relève avec brio les défis d’un physique fatigué et moins performant auquel elle doit accommoder ses élans chorégraphiques. Le décor est complexe : une grande partie de la scène est couverte d’objets, qui paraissent anodins, cassés, poussiéreux, rouillés et dysfonctionnels. Gillis danse avec une chaise dotée uniquement de trois pieds. Plusieurs fois, elle tombe, elle s’irrite, elle déplore le siège cassé avant d’y trouver un équilibre parfait. Elle s’installe sur le bord de la chaise de telle sorte que le poids de son corps remplace le pied manquant : dans cette position, elle développe une chorégraphie impliquant surtout le haut du corps. Ce moment représente les transformations nécessaires pour continuer de s’épanouir corporellement dans le dernier âge. L’entièreté de l’œuvre est rythmée par la projection de dictons et de phrases philosophiques sur l’appréhension de la vieillesse. Ces phrases accompagnent la réflexion et les émotions dansées sous nos yeux.

La vieillesse est le plus grand ennemi des danseurs. En sommes-nous sûrs? Dans cette pièce,
Gillis remet en question cette affirmation. Le souffle de création l’accompagne et la mène dans de nouveaux axes de chorégraphie. La vieillesse est une transformation physique qui demande de revisiter la danse. Il s’agit de créer pour un corps différent : comme un sculpteur ne crée pas les mêmes sculptures avec du cuivre qu’avec de la terre cuite, un danseur n’exécute pas les mêmes mouvements à 18 qu’à 69 ans.

« Gillis refuse que son âge marque la fin de sa carrière »

Le grand succès de cette pièce est de captiver l’audience pendant une période de temps considérable avec un seul et unique artiste peu mobile sur scène. Grâce à une musique variée et intéressante, Margie Gillis nous propose une variété d’émotions. Sur la musique Les Vieux, du chanteur de variété française Jacques
Brel, Gillis imite les maniérismes vieillots avant de s’en libérer et d’entamer une chorégraphie plus vive. Vers la fin du spectacle, elle se met à taper du pied et à chanter a cappella le refrain de Savage Daughter. À chaque fois qu’elle le répète, elle grimpe sur un objet en hauteur et chante toujours plus fort, au point de crier. Elle fait un crescendo sur le dernier refrain, lentement, très proche de son audience, au niveau du sol, en employant une voix calme et confiante, sans monter dans les aigus. À travers les répétitions, elle représente les différents âges de la vie, dont le dernier est paisible, confiant, et plein de sagesse.

OLD est un éloge à la vieillesse. Gillis refuse que son âge marque la fin de sa carrière : d’après elle, il s’agirait plutôt d’une transformation de paramètres. Elle illustre bien les paroles célèbres du peintre français Georges Braques «Avec l’âge, l’art et la vie ne font qu’un.» De son côté, l’Agora de la danse tient sa promesse en mettant en avant des créations contemporaines avant-gardistes et diverses depuis sa création en 1991.

L’article Danser ou Vieillir est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Lida Moser au Canada français https://www.delitfrancais.com/2023/03/15/lida-moser-au-canada-francais/ Wed, 15 Mar 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51229 La photo documentation du monde rural québécois des années 1950.

L’article Lida Moser au Canada français est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Lida Moser est une photographe américaine née en 1920 et décédée en 2014. Elle a commencé sa carrière à New York dans les années 1940 aux côtés de la photographe de renom Berenice Abbott. Elle a travaillé comme photojournaliste pour des publications comme Life et Look. Elle s’est orientée vers la photographie de paysages et de voyages, capturant des images étonnantes de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique latine. Parmi ses voyages, elle s’est rendue au Canada français pour y photographier le monde rural en 1949 et en 1950. En 1994, les archives du Québec achètent et conservent son corpus photographique. La semaine dernière, le chercheur Norman Cornett a présenté un film produit en 2017 sur les voyages québécois de Moser. Il a accepté de répondre aux questions du Délit sur les secrets de cette artiste méconnue.

Le Délit (LD) : Est-ce que vous pouvez nous présenter brièvement la figure de Lida Moser et les éléments biographiques majeurs?

Norman Cornett (NC) : Oui! Elle est née en 1920 à New York, d’une famille russe juive issue de l’immigration. Elle se démarque d’abord par son orientation vers les arts, spécifiquement vers la photographie. Elle était l’assistante d’une des plus grandes photographes américaines de l’époque, Berenice Abbott. Grâce à elle, Moser travaille sur un corpus de Eugène Atget, photographe français remarquable. Abbott, elle-même ancienne assistante du photographe Man Ray, qui a passé de nombreuses années à Paris, agit comme mentor artistique et photographique de Lida Moser. Donc d’emblée, Moser prête l’oreille à la réalité culturelle, esthétique, photographique de la France et des expatriés américains comme Man Ray et Berenice Abbott. Moser était francophile sans parler un seul mot de français. Et c’est ce regard francophile qui l’a sûrement attirée vers le Canada français en 1950. Un deuxième élément important dans la vie et l’art de Lida Moser, c’est la spiritualité. Moi, ma spécialité, c’est le rapport entre religion, culture et politique : les relations entre l’esthétique et la spiritualité m’importent énormément. Dans le corpus, que Moser avait réalisé en 1950, de voyages consacrés à ce qu’on appelait à l’époque le Canada français – on ne parlait pas du Québec en 1950 : le Québec, les Québécois, les Québécoises, c’est un phénomène de la Révolution tranquille des années 1960 – il y a une réelle quête spirituelle.

banq advitam

LD : Qu’est-ce qui la motive à entreprendre ses deux voyages photographiques dans les régions rurales du Canada francophone?

NC : Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Canada français attire l’attention de l’historien américain Hugh Mason Wade, qui publie en 1946 The French Canadian Outlook. En fait, Wade a remarqué que les Canadiens francophones s’opposent à la guerre en Europe contre l’Allemagne nazie, et donc il veut creuser et retracer l’histoire de la mentalités des Canadiens francophones. Au Canada français de l’époque, il y avait une autre mentalité : une mentalité qui diffère de l’identité nord-américaine anglo-protestante. Donc Lida Moser, par sa photographie, voulait explorer, tâter le terrain de cette autre mentalité esthétique, spirituelle, voire politique.

Dans les années 1950, il y a une vague culturelle et artistique des road trips popularisée par le roman de Jack Kerouac On the road (1957). Ce qui est remarquable dans le cas de Lida Moser, c’est que la plupart du temps, ce sont les hommes qui réalisent ces road trips : comme Jack Kerouac ou le photographe suisse Robert Frank. Alors, moi en tant qu’historien, en tant que chercheur, je me pose la question : comment se fait-il que cette femme juive new-yorkaise prend la décision de réaliser un road trip dans le Canada français? Il y a d’abord les enjeux de l’altérité parce que, pour les New Yorkais comme elle, le fait qu’à la frontière entre New York et ce qu’on appelait le Canada français, il y avait une autre langue et une autre religion, le catholicisme, c’est très intéressant, très intriguant. Dans la religion juive, on ne peut pas tomber dans l’iconographie, dans le visible. C’est contre les dix commandements mosaïques. Donc elle voulait aller là où on parlait français, là où on était catholique, là où on faisait des statues de saints, là où on créait une iconographie ecclésiastique et liturgique, que ce soit le petit Jésus, que ce soit la Vierge Marie. Pour elle, c’était un terrain défendu, mais elle n’acceptait pas que ça demeure défendu.

banq advitam

LD : Elle traverse le Québec dans les années 1950 après avoir signé un contrat avec Vogue. Elle photographie le Canada francophone juste avant la Révolution tranquille : un Québec entre modernité et tradition, entre monde rural et urbanisation. Pourquoi cette période de transition et de changement est-elle si intéressante pour Lida Moser?

NC : Pour les chercheurs et chercheuses, l’authenticité des hommes n’étaient pas dans les villes, mais en campagne, chez les paysans et paysannes. Moser a peut-être été inspirée par le travail de sa tutrice Berenice Abbott qui, au début du siècle, a photographié toute la transformation urbaine de New York, avant que la ville ne devienne la gigantesque métropole par excellence du monde occidental. Il faut noter que dans le cercle de la New School of Social Research, Abbott fait face à de nombreuses questions sur la transformation de la condition humaine. Elle étudie les implications de l’urbanisation massive sur la société et les relations humaines. Comment humaniser le tissu urbain? Dans cette ligne de pensée, quand Lida Moser arrive au Québec à l’été 1950, elle se rend compte que là, les êtres humains sont personnels, individuels. Ils ont une identité. On ne les efface pas dans le tout urbain, cosmopolite, métropolitain. Tout comme Berenice Abbott, elle voulait affirmer qu’il y a une conscience sociale humaine. Et elle le fait souvent en faisant référence aux enfants parce que pour elle, l’enfance, c’est la pierre de touche de la condition humaine.

banq advitam

LD : Est-ce que les Américains, très critiques et hostiles à la pensée anticapitaliste dans le climat de la peur rouge, percevaient du communisme ou du socialisme dans la photographie de Moser?

NC : Pourquoi Lida Moser portait tant d’intérêt aux enfants inconnus, anonymes? Pourquoi portait-elle tant d’intérêt aux paysans, aux fermiers, aux pêcheurs? Parce que le « commun des mortels » comptait dans sa perspective esthétique. Le travail de Marcel Duchamp, fameux artiste avant-gardiste qui a créé la Fontaine en 1917, transforme notre vision du quotidien en nous invitant à de nouvelles perspectives incongrues. Il y a dans cette première moitié du siècle, ce que moi j’appelle un changement de paradigme esthétique. C’est que la beauté ne se trouve pas seulement dans les Picasso, pas seulement dans les Van Gogh. La beauté se trouve dans les êtres humains communs, ordinaires, justement.

LD : Est ce que on peut donc rapprocher sa photographie au travail de Dorothée Allen ou de Vivian Maier?

NC : Oui, c’est la même école! L’école de la Grande Dépression qui dit qu’on peut trouver la beauté dans tous les recoins de la condition humaine, même les plus pauvres, même les plus démunis, même les plus illettrés. Et d’ailleurs, Lida Moser- dans ce corpus qui appartient maintenant à la Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) – met en avant, dans la plupart des cas, des gens complètement analphabètes. Mais elle a vu un rayonnement et du potentiel humain dans ces gens sans aucune éducation.

banq advitam

LD : Comment est-ce que Lida Moser appréhende et prépare ces deux voyages au Canada français, le premier en été 1949 avec Vogue et le second en décembre 1950 pour le magazine Look?

NC : Alors, vous savez que dans l’art, il y a des gens qui vont privilégier l’aléatoire. On s’est rendu compte que l’aléatoire avait une grande valeur, il permettait de créer dans l’instant, in situ, sur le lieu même. Et ça, ça nous renvoie au courant de l’écriture automatique. Moi j’appelle ça l’écriture intuitive. Dans quelle mesure va-t-on valoriser ce qui est intuitif, ce qui est spontané? Lida Moser travaille sur-le-champ, dans l’instant même! Prenons en compte que dans les années 1950 la musique par excellence aux États-Unis c’est le jazz, qui implique l’improvisation et l’intuition. On crée là sur-le-champ! Donc en fait, la photographie de Lida Moser est peut-être l’équivalent, en termes artistique et esthétique, du jazz. Elle est là. Elle constate. Elle cadre. Tout ça dans l’instant! Pour moi, la clé de la photographie de Lida Moser, c’est l’élan vital inscrit dans l’intuition.

LD : En quoi Lida Moser peut-elle être considérée comme une photographe pionnière du féminisme?

NC : Je tiens à souligner la différence entre la production photographique en 1950 et 2023. Faire une photo en 1950, c’est tout un processus épuisant et incertain. Gardons en tête que Lida Moser réalise ses photos de A à Z et c’est aussi pour cet avantage et ce sentiment d’indépendance qu’elle choisit la photographie. Elle se penchait beaucoup sur le cinéma au début, mais le cinéma implique beaucoup d’autres gens dans le processus et la réalisation créative. Dans la photographie, c’était elle qui était maîtresse du début jusqu’à la fin, y compris en chambre noire. Elle qui est artiste, féministe, elle devient photographe parce qu’elle en était la maîtresse de chaque étape et ne devait se soumettre à aucune autre personne, et surtout pas aux hommes. Il ne faut pas s’étonner de son élan féministe! Elle a passé ses années de formation aux côtés de Berenice Abbott qui avait révolutionné le cercle artistique de New York en s’affichant publiquement comme lesbienne. Lida Moser est avant tout une femme affranchie, qui ne connaît pas de barrières : elle va s’exprimer coûte que coûte.

LD : Pourquoi la BAnQ a‑t-elle acheté et conservé, depuis 1994, le corpus photographique de Lida Moser des années 1949 et 1950?

NC : En tant qu’historien et historien de l’art, je vais vous dire que Lida Moser est une documentariste hors-pair. Par ses photos, elle a tout documenté du Canada français d’autrefois. Ce monde d’avant, il n’existe que grâce à ses photos. Berenice Abbott, quand elle a vu que New York avait commencé une transformation architecturale, s’est dit qu’il fallait tout photographier, sinon les paysages d’avant allaient disparaître pour de bon. Est-ce qu’il y avait cette même urgence dans le raisonnement de Lida Moser? Elle a dû penser que si elle ne photographiait pas le Canada français en 1950, celui qu’elle avait sous les yeux tel quel, il risquait de disparaître. En 1994, la BAnQ a demandé, malgré les défis budgétaires, d’acheter l’œuvre photographique relative au Québec de Lida Moser.

banq advitam

LD : Malgré ses œuvres très marquante et originale, comment explique-t-on qu’elle soit restée une figure méconnue dans l’histoire de la photographie du vingtième siècle?

NC : D’abord, c’est une femme solitaire. Donc elle n’a pas bénéficié du soutien à la médiatisation de ses œuvres contrairement à d’autres photographes hommes américains. C’est seulement avec des décennies de recul qu’on se rend compte à quel point Lida Moser faisait partie de la pensée avant-gardiste. Seulement aujourd’hui, certains chercheurs commencent à lui consacrer des thèses. Un autre point majeur, c’est son manque de financement. Il faut savoir que Lida Moser a grandi dans un milieu très modeste alors que la photographie était une activité très coûteuse. Elle assurait le processus créatif du début jusqu’à la fin et elle assumait également tous les coûts. Toute son œuvre a été à ses dépens. Elle a dû faire de nombreux sacrifices économiques et financiers pour nous livrer sa vision artistique. Et là, tout d’un coup, on découvre ce corpus à couper le souffle : des images idylliques, idéalistes, paradisiaques du Canada français d’autrefois. Elle a su capturer un monde qui ne reviendra jamais.

Vous pouvez retrouver les 3634 photographies du corpus relatif au Québec de Lida Moser à la BAnQ, à Montréal, ou bien sur son site internet, Advitam.

L’article Lida Moser au Canada français est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
POV: Tu rejoins l’armée https://www.delitfrancais.com/2023/03/15/pov-tu-rejoins-larmee/ Wed, 15 Mar 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51276 Les nouveaux outils de recrutement militaire sur les réseaux sociaux.

L’article <em>POV</em>: Tu rejoins l’armée<br> est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Alors que je me perdais dans les contenus médiatiques d’Instagram comme de nombreux jeunes français de mon âge, une vidéo en format « réels » des comptes de l’Armée de terre française, @armee2terre et @armeedeterrerecrute, m’interpelle. On y voit la caméra qui s’adresse à un soldat en lui posant la question suivante : « Combien te coûte ton loyer par mois? » Ce format est actuellement populaire sur certains réseaux sociaux dont TikTok, Instagram et YouTube : des créateurs de contenu interrompent des passants dans la rue et leur demandent le prix de leur loyer avant de visiter leur appartement. Cette tendance permet parfois de dénoncer les prix exorbitants des appartements dans les grandes villes comme New York ou Paris, et d’autre part, de mettre en avant des foyers hors du commun, des « pépites » de l’immobilier urbain.

Dans la vidéo produite par l’Armée de terre, le soldat interpellé répond qu’il ne paie pas de loyer. Outrée, je partage immédiatement cette vidéo avec un ami : «Tu te rends compte de ce qu’il se passe? L’armée est en train d’utiliser la crise des logements, la hausse générale des prix des loyers, et l’inflation pour promouvoir l’engagement et le recrutement au sein de son effectif! » J’ai alors décidé d’inspecter davantage le compte Instagram de l’Armée de terre pour voir comment l’armée française emploie les tendances médiatiques pour recruter une nouvelle génération de soldats.

Recruter sur Instagram

Pour attirer les adolescents et les jeunes adultes, les équipes de recrutement de l’armée se sont installées sur diverses plateformes et réseaux sociaux comme Twitter, Snapchat, Instagram et TikTok. Ce n’est pas nouveau : depuis plusieurs années, les institutions gouvernementales se sont créées un espace dans les écrans des jeunes. L’Armée de terre utilise les tendances populaires et les intérêts des jeunes pour glorifier et rendre attractives les carrières militaires. Par exemple, elle reprend les paroles d’une chanson de rap – « je suis trop polyvalent » – et montre des images d’un soldat qui s’entraîne la journée et cuisine pour l’armée le soir. Aussi, pour promouvoir les avantages des carrières au sein de l’armée, les responsables du compte Instagram ont montré des équipements de musculation et des salles de sport gratuites, en sachant que la musculation est récemment devenue un centre d’intérêt majeur des lycéens et étudiants, qui ont glorifié la culture du « gym rat » (l’addict à la musculation).

Le problème avec ce type de publicité, c’est qu’elle est mensongère. L’armée veut mettre de l’avant les avantages de l’engagement en effaçant le cœur de l’activité militaire : la violence. L’armée, ce n’est pas pouvoir cuisiner pour ses camarades ou avoir accès à de l’équipement gratuit : le soldat s’engage pour défendre le territoire national par la force. Il se soumet aux souhaits de ses hiérarchiques militaires, eux-mêmes suivant les ordres du chef des armées, le président. Les soldats se doivent de respecter tous les ordres reçus, même au prix de leurs vies. Les nouvelles campagnes de recrutement omettent cet élément crucial. Si nous croyons les publicités, aujourd’hui, être soldat s’apparenterait plus à une colonie de vacances qu’à un sacrifice patriotique.

« L’armée veut mettre de l’avant les avantages de l’engagement en effaçant le cœur de l’activité militaire : la violence »

Nouveau programme au lycée : Patriotisme, Discipline et Armée

En réalité, cette croissance des campagnes de recrutement militaire ne passe pas uniquement par les réseaux sociaux. Les mandats d’Emmanuel Macron ont progressivement remis à l’honneur les carrières dans l’armée. Dans un premier temps, le président a rendu obligatoire la participation à la Journée défense et citoyenneté (JDC), précédemment appelée Journée d’appel de préparation à la défense (JAPD), pour l’obtention du diplôme du baccalauréat. De plus, tout Français de plus de 25 ans doit avoir complété sa JDC pour se présenter aux concours et examens d’État : partiels d’université, concours de la fonction publique, examen du permis de conduire, etc.

« Macron a annoncé il y a quelques semaines que ce programme deviendrait progressivement obligatoire pour tous les lycéens français »

Tous les adolescents de 16 ans sont appelés à être recensés auprès de leur mairie, puis sont convoqués à passer une journée avec des militaires. Ces derniers leur présentent les valeurs défendues par les différents corps de l’armée et les carrières militaires possibles. L’objectif de cette présentation est de sensibiliser les jeunes encore en orientation aux divers métiers possibles dans l’armée : de soldat à ingénieur, de pilote à médecin, d’archiviste à cantinier. « Il existe l’équivalent de toutes les carrières civiles dans l’armée », me promettait le gendarme lors de ma JDC en 2020.

Dans un second temps, les participants de la JDC sont soumis à une évaluation du niveau de littératie et de numératie. Des mots défilent sur un projecteur et les adolescents, munis d’une télécommande connectée, doivent confirmer si le mot existe. Puis, ils répondent à des suites d’additions et de soustractions. Le gendarme nous affirme que cette courte évaluation permet au ministère de l’Éducation de publier des statistiques sur le succès du cursus académique. Néanmoins, à la fin du test, les participants ayant obtenu des scores trop bas sont invités à discuter avec des responsables du recrutement. Ces derniers leur proposent de rejoindre l’armée, promettant un épanouissement plus certain que dans le système scolaire.

Pour résumer, la JDC a deux objectifs : glorifier les métiers de l’armée et recruter, sur-le-champ, les élèves qui réussissent le moins dans le système scolaire. Le gouvernement choisit un âge très stratégique : 16 ans, moment où les jeunes adolescents sont troublés dans leur orientation. À 16 ans, un lycéen peut décider de défendre et protéger la République par les armes alors que cette dernière ne le considère même pas comme un citoyen français. À 16 ans, un lycéen est encore exclu du système républicain démocratique et pourtant, il a le droit de lui sacrifier sa vie.

La JDC n’est pas le seul programme de recrutement militaire et de sensibilisation au patriotisme imposé aux jeunes élèves du lycée. En 2019, le Service national universel (SNU) a été mis en place en France, par le premier ministre du président Macron, Édouard Philippe, visant à offrir à tous les jeunes de 15 à 17 ans une expérience de vie en communauté, de responsabilité civique et d’engagement volontaire. Ce service civique permettrait aux jeunes de se sentir utiles, de contribuer à la société et de développer leurs compétences et leurs talents. Le programme se déroule en deux phases : une première de cohésion de deux semaines en internat, où les jeunes vivent ensemble et participent à des activités variées (sport, culture, citoyenneté, etc.) et une phase d’engagement de deux semaines où les jeunes choisissent un projet dans lequel ils souhaitent s’investir (associatif, humanitaire, culturel, etc.). Il n’est pas dirigé par le ministère de l’Intérieur, mais bien par le ministère de l’Éducation nationale. Même s’il semblerait au premier coup d’œil que le SNU ne fasse pas partie d’un programme plus large de militarisation nationale, il est clair que l’objectif de ce programme est de créer une cohésion de groupe sous la bannière du drapeau français. N’oublions pas que les adolescents volontaires au SNU doivent chanter la Marseillaise régulièrement, porter des uniformes, et respecter un emploi du temps strict : une routine qui participe à la glorification de la défense de la patrie, sans aucun esprit critique. Macron a annoncé il y a quelques semaines que ce programme deviendrait progressivement obligatoire pour tous les lycéens français.

Il ne faut pas rester aveugle aux techniques subtiles de recrutement et de patriotisme promues par l’armée et l’éducation nationale. Les poussées militaristes favorisent les déclenchements de guerres. Investir dans l’armée, c’est nourrir la guerre, car oui, la finalité principale des forces armées, c’est de combattre contre d’autres forces armées. Ma petite sœur de 16 ans a été convoquée pour effectuer sa JDC le 31 juillet 2024, au 110ème anniversaire de l’assassinat de Jean Jaurès. Face à l’élan nationaliste et militariste, nous devons organiser une riposte pacifiste.

L’article <em>POV</em>: Tu rejoins l’armée<br> est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Spotted : McGill University se confesse au Délit https://www.delitfrancais.com/2023/02/15/spotted-mcgill-university-se-confesse-au-delit/ Wed, 15 Feb 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50903 La communauté mcgilloise rit sur Instagram.

L’article <em>Spotted : McGill University </em>se confesse au <em>Délit</em> est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Spotted : McGill University est un compte Instagram actif comptabilisant 9 027 abonnés et 330 publications en date du vendredi 10 février. Originalement un groupe Facebook avec plus de 40 000 membres, ses auteurs ont publié la première photo sur Instagram le 16 décembre 2021 après avoir noté une conséquente baisse d’engagement depuis l’apparition de la COVID-19. Sur Facebook comme sur Instagram, Spotted : McGill University partage le contenu soumis par ses abonnés, que ce soit des memes, des critiques de l’administration, ou plus récemment, des confessions d’élèves.

Pour garder l’anonymat, Spotted : McGill University a répondu aux questions du Délit par écrit. La personne interrogée a dit ce qu’elle pensait : « Je pense que @spottedmcgill est devenue une tribune pour la communauté de McGill, les confessions étant l’événement principal. Nous voyons beaucoup d’étudiants hors campus s’engager sur la page parce que c’est ce qui leur permet de se tenir au courant de la culture du campus. Nous sommes très heureux de pouvoir donner une plus grande expérience de McGill à ceux dont les modalités de vie étudiante rendent cela plus difficile. » L’idée principale du compte Instagram est de créer une plateforme avec du contenu auquel la communauté mcgilloise peut s’identifier. Par exemple, depuis le début du semestre, l’équipe a lancé une nouvelle série de publications : Spotted : McGill’s Rate My Professor. Il s’agit de sélectionner les passages les plus inattendus, humoristiques, et même grossiers des critiques de professeurs de McGill issues du site web ratemyprofessors.com.

Depuis le 21 septembre dernier, Spotted : McGill University publie régulièrement des suites de confessions soumises ouvertement par les étudiants à travers un formulaire Google dont le lien est accessible sur les réseaux sociaux. Ce formulaire met l’utilisateur face à un seul exercice, où « confess away…» est  l’unique énoncé pour les guider. McGill : Spotted récupère les réponses anonymes et ne sélectionne que les plus percutantes d’entre elles. « Nous avons reçu plus de 4 000 confessions à ce jour depuis le début et nous ne pouvons donc pas toutes les publier sans distinction. Par conséquent, nous donnons la priorité aux meilleures confessions : les plus extravagantes ou les plus drôles! En ce qui concerne les confessions choquantes, oui, nous en recevons beaucoup et, pour respecter les normes communautaires d’Instagram, nous ne pouvons pas les publier. » 

Des déclarations d’amour à des professeurs, des recommandations de lieux pour faire l’amour sur le campus, des nouvelles des souris qui rôdent dans les bâtiments… Ce sont des éléments récurrents des confessions publiées. D’après un des membres de l’équipe, « les gens aiment ce récit parce qu’il offre une perspective sans artifice de l’expérience mcgilloise ». La série des confessions sur Spotted : McGill University est une activité qui implique l’engagement des membres de la communauté. Les abonnés envoient leur réponse, car ils apprécient leur lecture anonymes des autres. L’humour grossier, qui tourne surtout autour de la sexualité, est propre à l’univers jeune des adeptes de la page Spotted : McGill University

« Les gens aiment ce compte parce qu’il offre une perspective sans artifice de l’expérience mcgilloise »

Spotted : McGill University

« Étant nous-mêmes étudiants, nous pouvons voir ce que les élèves vivent réellement, et partager nos idées sans les lourdeurs administratives de McGill. » L’objectif de Spotted : McGill University est l’honnêteté dans le partage des opinions. Les membres ne se privent pas pour critiquer ouvertement l’université, en dénonçant, par exemple, son inaction face aux cas d’agressions sexuelles ou encore la qualité médiocre des plats vendus dans les résidences. 

Le compte Spotted : McGill partage une à deux publications par jour, et chacune d’elles contient plusieurs photos. En plus des confessions et des publications Rate my professors, l’équipe conseille des restaurants et des bars, fait la critique de lieux sur le campus, offre des astuces pour naviguer dans l’Université, et répond aux questions de ses abonnés. « La gestion de @spottedmcgill est presque un emploi à temps partiel : trouver les meilleures confessions et les publier, répondre aux messages privés, trouver les meilleurs restaurants de Montréal et organiser des fêtes pour les étudiants de McGill est un effort considérable! Heureusement, nous avons une équipe formidable et personne n’est trop débordé. »

Pour financer le bon fonctionnement de sa plateforme, Spotted : McGill University s’est engagé dans des partenariats commerciaux avec des restaurants, des boîtes de nuit et des marques de bières. « Tout d’abord, nous sommes très sélectifs quant aux commanditaires avec lesquels nous travaillons. Nous ne voulons pas que le compte ait l’air d’être du pollupostage, c’est pourquoi nous nous assurons que chaque commanditaire avec lequel nous collaborons a un produit ou un service qui pourrait être utile aux étudiants de McGill. Les commanditaires nous aident à gérer le compte en nous permettant de distribuer gratuitement des tonnes de choses via notre compte Instagram. Au cours de l’année écoulée, nous avons distribué un grand nombre de sweats à capuche Spotted : McGill, des bouteilles d’eau réutilisables, des repas gratuits dans des restaurants, et bien d’autres choses encore! Et ce sont les partenaires de commandites qui nous permettent de nous offrir tout cela! » 

« La gestion de @spottedmcgill est presque un emploi à temps partiel »

Spotted : McGill University

Dans l’avenir, Spotted: McGill University aimerait lancer une application de rencontre dont l’emploi serait destiné aux étudiants de McGill. Pour cela, ils demandent régulièrement à leurs abonnés quels éléments leur semblent importants à intégrer. Certains demandent que l’application ne soit qu’accessible aux étudiants de McGill grâce à un système de vérification de la carte étudiante et d’autres veulent facilement pouvoir retrouver les élèves de leur programme ou de leur cours.

Enfin, l’anonymat est un des aspects les plus importants de l’équipe de Spotted : McGill UniversityLe Délit n’a pas pu entendre la voix de la personne interrogée, ni le nombre de membres de l’équipe. Comment rejoindre cette association? Comment recrutent-ils de nouveaux membres? « Nous ne recherchons personne susceptible de rejoindre notre équipe pour le moment. Le groupe actuel se connaissait déjà et c’est ainsi que Spotted : McGill University s’est formé. »

L’article <em>Spotted : McGill University </em>se confesse au <em>Délit</em> est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Le père et la mer https://www.delitfrancais.com/2023/02/08/le-pere-et-la-mer/ Wed, 08 Feb 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50793 La mémoire de l’eau.

L’article Le père et la mer est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Avant de vieillir, mon père était un enfant de la plage. Il est né au bord du fleuve de l’Hérault à moins d’un kilomètre de la Méditerranée. Il allait à l’école en vélo depuis le centre ville et à la plage en courant depuis l’école. Après la dernière sonnerie, il fuyait avec ses amis dans les rues ensoleillées du Grau d’Agde pour rejoindre le sable, la mer et le sel. « Mais papa, tu y allais même en hiver? » Il me confirmait que cet itinéraire était journalier. « Mais papa, en hiver il fait froid, tu ne peux pas te baigner. » Chaque saison offrait des synesthésies changeantes. L’été, il y avait la cacophonie touristique, les brûlures aux pieds, puis le rafraîchissement de l’eau. L’automne apportait le patois des enfants agathois, le frisson de la tramontane qui fouette les corps humides, les ombres du vol des oiseaux migrateurs. L’hiver de la plage offrait le goût salé des tempêtes de pluie et de la mer, le massage réfrigérant du sable gris, les percussions des vagues contre les rochers du phare. 

« Et, le printemps papa? »  Au printemps, mon père et sa famille partaient en vacances en Alsace. Pour moi, une enfant de la ville, il était impensable de partir en vacances ailleurs qu’à la plage. Qui échangerait le paradis balnéaire pour une destination urbaine quelconque? Depuis notre tendre enfance, mes sœurs et moi passions toutes nos vacances sur la plage du Grau d’Agde. J’y allais pour rendre visite à ma grand-mère et à la modeste piscine qu’elle avait faite construire pour ses petits-enfants. J’alternais entre les baignades iodées matinales et les jeux chlorés dans l’après-midi. Le soir, nous regardions la levée des étoiles en mangeant des soles desséchées par le sel. Plusieurs fois par jour, les membres volontaires de la famille formaient une cohorte pour se promener le long des quais jusqu’au phare. Au bout de la digue, j’écoutais les vibrations des rires de mon père et de ma grand-mère, fouettées dans le vent et interrompus par les postillons d’écume.

Le jour de deuil, la main de mon père m’accompagnait sur les quais de l’Hérault jusqu’au phare de la plage. Nous nous tenions debout, au bord du monde, et je regardais l’écume, je goûtais les vagues, j’entendais les mouettes. Le visage parsemé de gouttes de brouillard ou de mer, il cherchait du regard la fin de l’étendue de l’eau. Il cherchait longtemps et moi je m’ennuyais. « Papa, tu peux raconter l’histoire du coq que tu promenais sur le sable quand tu étais petit, s’il te plaît? »  Il me répondait doucement, en fixant l’infini de la mer : « Pas aujourd’hui, Agathe. » 

Après la mort de ma grand-mère, ma famille et moi venions quatre fois par an. Mon père avait hérité de la maison au bord de la plage et de la piscine de sa mère. Je passais des journées avec ma tante qui me racontait ses histoires d’enfant de la plage. Pendant les journées scolaires, elle suivait rigoureusement les principes de modestie chrétienne et revêtait l’uniforme d’écolière.Les après-midi de fins de semaine, elle faisait concurrence à ses amies dans la chasse aux hommes. J’imitais son goût pour la bêtise et j’invitais mes amis parisiens pour leur faire découvrir la mer de mon père. Nous passions des nuits chaleureuses sur le sable noir à se rafraichir de bière. Parfois, nous nous mettions nus et nous allions danser dans les vagues. Protégée par la nuit et l’alcool, notre adolescence s’épanouissait dans l’insouciance. Quand nous rentrions chez moi, mon père nous attendait. « Vous avez les cheveux mouillés! Vous êtes fous de vous baigner la nuit! C’est dangereux! »  Une tirade de complainte parentale s’en suivait et il ne fallait pas rire. L’humour de la situation devenait irrésistible, quand le lendemain, mon père me racontait qu’adolescent, il s’était fait poursuivre par des pêcheurs de nuit pour avoir jeté une bouteille de vin dans l’Hérault.

L’été de mes dix-sept ans, j’étais partie nager avec mon père dans la mer polluée de centaines de touristes bruyants. Il s’était allongé sur le dos et je le tirais vers des eaux plus calmes. Érodé par le temps, il parlait peu. Pour être honnête, je ne me souviens pas de ce qu’il me disait. J’aime croire qu’il m’a raconté une histoire de son enfance : la fois où son meilleur ami avait marché sur sept oursins d’un coup ou peut-être le jour où il fut enterré sous le sable humide pendant plusieurs heures alors qu’il dormait. Quelques mois après cette baignade, un matin de février, je reprenais la route vers le Midi.

« La voiture noire se glisse dans les premiers rayons de lumière de la journée.

Le chauffeur fixe insensiblement le reflet de mon père dans le rétroviseur.

Moi aussi. 

Le pont des maréchaux nous mène de l’autre côté de l’Hérault,

Que nous longeons jusqu’à la rue Jean Jaurès,

En passant par la rue Pasteur. “Il est né là.“ 

Sur la Grand’Place, la statue d’Amphitrite indique le chemin 

De ses yeux apeurés et arrosés par le déchaînement marin.

Ces gouttes décorent les vitres de la voiture et les cernes de mon visage.

Mon père profite du paysage familier depuis son modeste sarcophage. 

Nous allons nous faufiler dans les allées abandonnées du Grau d’Agde,

Avant de rejoindre la plage où j’attendrai le jour, mon père sous la main.

Je marche jusqu’au phare pendant que l’urne se couvre de brume.

Puis mon père s’envole et se dissout.

Sa neige grise s’égare dans les souffles matinaux et se dépose sur l’écume.

La mer le pardonne et l’absout.

Et enfin, je ne vois plus que le silence des vagues. »

Je fixe le point de l’horizon où le ciel et la mer se rejoignent. Je cherche plus loin encore. Je comprends enfin que ni le brouillard ni la mer apaisent les brûlures des larmes du deuil.

L’article Le père et la mer est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Encore un thriller d’héritage ! https://www.delitfrancais.com/2023/01/25/encore-un-thriller-dheritage/ Wed, 25 Jan 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50641 Avec L’Origine du mal, Marnier fait mal sans originalité.

L’article Encore un thriller d’héritage ! est apparu en premier sur Le Délit.

]]>

À l’affiche depuis le 13 janvier dernier, comédie noire et un thriller qui s’organise autour d’une dispute d’héritage. Au début du film, Stéphane, interprété par Laure Calamy, reprend contact avec son père et découvre le train de vie opulent mené par une famille dont elle ne se doutait même pas de l’existence. Après avoir passé cinquante ans de sa vie dans un milieu ouvrier, elle découvre de nouveaux membres qui viennent renverser son avenir : sa demi-sœur Doria Tillier, sa belle-mère Dominique Blanc, sa nièce Céleste Brunnquell et la bonne, Véronique Ruggia. Toutes souhaitent faire ouvrir le coffre-fort et fermer le cercueil de Serge, l’homme qui dirige leur vie, interprété par Jacques Weber.

Le troisième long-métrage du réalisateur franco-canadien Sébastien Marnier est rythmé par de fréquents retournements de situation. Mensonge après mensonge, aucun des points de vue des personnages ne semble suffisamment fiable pour nous permettre de saisir l’intrigue dans toute sa complexité. Marnier a recours aux mêmes procédés cinématographiques que dans Irréprochable (2016) et L’Heure de la sortie (2018) : il laisse une place considérable aux effets musicaux qui transportent le spectateur dans une atmosphère de thriller comique. Composée par le chef d’orchestre québécois Philippe Brault et l’auteur-compositeur interprète québécois Pierre Lapointe, la bande originale est constamment en suspension, en attente d’aboutissement pour empêcher le spectateur de penser qu’il a enfin résolu l’énigme.

Le spectateur est face à une intrigue classique d’héritage : les hommes âgés dépourvus de pouvoir se voient entourés de femmes plus jeunes assoiffées d’argent. Dans le choix de rôles féminins, Sébastien Marnier se montre peu moderne en utilisant les archétypes de femmes tyranniques, parfois trop superficielles pour engendrer une quelconque sympathie de la part de l’audience. La belle-mère dépensière, la demi-sœur ambitieuse, et la bonne cachotière : toutes sont braquées contre un vieil homme qui semble pourtant innocent. Le jeu de Laure Calamy, récompensée aux Césars 2021 pour son rôle dans Antoinette dans les Cévennes, n’est pas à la hauteur de la complexité de son personnage qui passe de la manipulation à la mythomanie. L’actrice montréalaise, Suzanne Clément, vole la vedette en incarnant un personnage lucide, bouleversé par le monde chimérique dans lequel s’agitent les autres protagonistes.

Lors des repas de famille, Sébastien Marnier utilise la méthode de screen-split en filmant chaque personnage individuellement et en créant ainsi cinq petits mondes isolés dans leur fenêtre mitoyenne. Ce montage fait écho à l’ironie de la belle-mère, qui dit : «Si on veut que tout se passe bien, il faut se dire les choses.» Débordantes de mensonges et de rebondissements quelque peu prévisibles, les répliques suivent le rythme palpitant de la musique tout en accueillant un certain essor humoristique propre à la comédie noire.

Cet ensemble crée pourtant des lacunes : dans le jeu des acteurs, dans l’intrigue très convenue, et dans un montage prudent du troisième film de Sébastien Marnier. Ainsi une certaine déception qui ne satisfait ni les fanatiques de thriller ni les amateurs de comédie noire envahit le spectateur. De plus, L’Origine du Mal semble ombragée par le succès de films du le même genre, notamment Sans filtre (titre original : Triangle of Sadness, 2022) de Ruben Östlund.

L’article Encore un thriller d’héritage ! est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
«Ma vie est devenue une bête sauvage» https://www.delitfrancais.com/2023/01/18/ma-vie-est-devenue-une-bete-sauvage/ Wed, 18 Jan 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50501 Les difficultés du deuil adolescent dans Le Lycéen.

L’article «Ma vie est devenue une bête sauvage» est apparu en premier sur Le Délit.

]]>

Le Lycéen est le quatorzième long-métrage du prolifique écrivain et réalisateur français Christophe Honoré. À l’affiche depuis le 30 novembre dernier, Le Lycéen aborde le sujet du deuil à l’adolescence. Inspiré de la jeunesse de son réalisateur, Lucas, un homme de dix-sept ans, nous raconte les premiers mois du deuil de son père, mort brutalement dans un accident de voiture. Le rôle de Lucas est interprété par l’acteur novice Paul Kircher, fils des comédiens Irène Jacob et Jérôme Kircher. La mère, Juliette Binoche, et le frère de Lucas, Vincent Lacoste (qui a travaillé avec Honoré dans Plaire, aimer et courir vite (2018) et Chambre 212 (2019)), figurent les deux grands personnages secondaires qui offrent des repères sur le passage du temps. Leurs personnages offrent des comportements de deuil plus classiques et constrastent avec l’égarement de Lucas.

Immédiatement après l’annonce du décès, Lucas quitte son lycée-pensionnat pour passer une semaine auprès de son frère à Paris. Ce sont ces journées d’égarement qui occupent le plus de temps à l’écran. Dans la capitale, Lucas se libère de la douleur en fuyant dans le rire, la séduction, le sexe, les promenades, qui nous distraient de la mort du père. Tous les éléments scénographiques sont mis au service de la représentation de cette période de déni. Lucas traverse Paris, un bouquet de fleurs à la main, armé d’un sourire enfantin, pour aller retrouver une aventure sans lendemain. La consommation des corps est suivie d’un court dialogue, où les corps des deux jeunes hommes se font face, allongés tels des odalisques. La chambre est couverte d’un rose pastel très niais, et en conséquence, quand Lucas admet à son partenaire sexuel « Mon père est mort la semaine dernière », tout paraît encore surréaliste. Nous restons dans le déni avec son protagoniste. Pendant une heure, la palette de couleur, la musique, les dialogues : tout prend l’apparence d’une comédie romantique adolescente.

«Christophe Honoré reste fidèle à son objectif : faire un film d’émotion brut, représenter les tourments qui l’ont traversé en tant que jeune adolescent devenu orphelin»

Nous sommes violemment tirés de ce décor lorsque Lucas est renvoyé chez lui en Haute-Savoie. La voix narrative de Lucas annonce qu’il ne tiendra pas une semaine de plus. «Tu me manques, Papa». Il retrouve alors sa mère envahie par le deuil, en incompréhension devant l’insouciance apparente de son fils. Le déni, construit pendant le première partie du film, se défait, petit à petit, avec une brutalité psychologique indicible. Lucas se sent coupable : il est pris par la honte d’avoir confondu «le pire et le meilleur », celle d’avoir cédé à la liberté éphémère au lieu de s’enfermer dans le deuil. Cette scène de transition se fait symboliquement dans la voiture, lieu du décès du père. La caméra se déplace progressivement du siège du conducteur occupé par Lucas vers celui du passager, où l’on découvre une mère sculptée par l’inquiétude et le deuil.

«Personne ne dit la vérité. Il faut se taire». Les dernières trente minutes se feront dans le silence. La voix narratrice nous quitte : Lucas ne veut plus parler tant qu’il ne connaîtra pas la vérité. Toujours dans la voiture, la caméra tremblante derrière l’épaule de Lucas, nous l’espionnons pendant sa tentative de suicide. Ce plan voyeuriste permet à Christophe Honoré de rester fidèle à son objectif : faire un film d’émotion brut pour représenter véridiquement les tourments qui l’ont traversé en tant que jeune adolescent soudainement devenu orphelin.

Le réalisateur confesse s’être replongé dans ses journaux intimes pour construire le monologue narratif d’adolescent avec authenticité. Similairement, les violons et le piano de la bande-son, composée par le musicien japonais Yoshihiro Kanno, nous accompagnent dans la découverte de cette émotion difficile à accepter et contrastent grandement avec la musique transformée par ordinateur qui se joue lors de la période du déni.

En réalité, le film de Christophe Honoré rend davantage hommage aux difficultés de l’adolescence qu’à celles du deuil. Durant la scène de l’internement psychiatrique, Paul Kircher interprète à merveille le rôle mélodramatique d’adolescent déboussolé et en devient presque antipathique. Sa performance a d’ailleurs été remarquée et récompensée au Festival international du film de Saint-Sébastien (2022) et au Festival de films francophones Cinémania (2022).

Jean-Louis Fernandez

Dans Le Lycéen, son jeu d’acteur se divise en deux phases : d’une part, une mollesse insouciante marquée par la négligence de la prononciation, et d’autre part, des excès de colère et de passion surjoués. Cette alternance des deux rend opaque la compréhension du personnage et parfois difficile le développement de compassion envers sa situation. Effectivement, les actions et pensées de Lucas étant imprévisibles, son rôle de narrateur perd en crédibilité au fur et à mesure du déroulement du film. Et lorsque Lucas fait vœu de silence, Christophe Honoré remplace adroitement sa voix de narrateur avec celle de sa mère pour nous guider vers une fin compréhensible et fiable.

Le Lycéen enrichit la filmographie de Christophe Honoré en continuant l’exploration des thèmes de la sexualité, de la nostalgie et du passé. Comme dans Plaire, aimer et courir vite (2018), Honoré met en scène des histoires d’amour passionnelles homosexuelles qui se développent en contournant le deuil imminent. Ses films sortent l’homoérotisme des intrigues stéréotypées de la honte ou de la fierté. Ce nouveau long-métrage demande à Honoré d’effectuer un travail introspectif et auto-biographique pour constituer un protagoniste adolescent, une première dans sa filmographie.

Le film s’articule en deux temps majeurs : le premier durant lequel nous sommes noyés dans la distraction et le deuxième où nous suivons Lucas dans ses tourments adolescents accentués par le deuil. La tentative de suicide, qui occurre dans le même lieu que le décès du père, opère le tournant dans le scénario, permettant une suite plus optimiste pour le film et la suite de la vie du protagoniste. Comment survivre alors que des êtres qui nous étaient chers nous quittent? Comment surmonter cette culpabilité? À ces questions, Christophe Honoré ne propose aucune réponse claire, seulement un message d’espoir, en terminant sur un gros plan du sourire de Lucas.

L’article «Ma vie est devenue une bête sauvage» est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
La marche est genrée https://www.delitfrancais.com/2022/11/23/la-marche-est-genree/ Wed, 23 Nov 2022 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50075 La rue: un espace où les hommes prennent trop de place.

L’article La marche est genrée est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Ce soir, j’ai rendez-vous sur Sainte-Catherine, à huit heures. Je m’y rendrai pour huit heures et demie. Je ne voudrais pas être la première arrivée. Je ne connais aucun des hôtes. J’habite sur l’avenue du Mont- Royal Est. Ça me prend presque trente-cinq minutes pour m’y rendre, plus dix pour compter mon arrêt à la SAQ, et cinq autres en réserve. Je pars à 19h20. Je longe Saint-Laurent, puis Sherbrooke, puis Sainte-Catherine. Le soleil est déjà couché depuis deux heures, mais les rues sont bien éveillées. Scrupuleusement, je mate les piétons du regard et j’imagine leur soirée. Un groupe de jeunes étudiantes universitaires qui ressemblent à des Américaines d’une sororité. Elles gloussent, s’exclament, s’arrêtent pour prendre des selfies de groupe. Elles vont sûrement rejoindre une amie qui les héberge avant qu’il soit l’heure de se rendre en boîte. Sur Sherbrooke, un binoclard dans la trentaine qui racle le trottoir de ses yeux. Son menton enfoncé dans sa gorge, je me dis que malgré ses corrections, il peine à voir le monde qui l’entoure. Il rentre sûrement d’une longue journée de travail durant laquelle il a été malmené par son patron. Sur Sainte-Catherine, une bande d’hommes quinquagénaires qui fument à l’entrée d’un bar. Mon regard croise celui d’un des hommes. Il me sourit, en levant son sourcil gauche. Nos joues rougissent simultanément: les miennes sont peintes d’angoisse, et les siennes réagissent peut-être au froid. Peut-être sont-elles empreintes de fierté voire même de sadisme provoqué par l’idée d’avoir intimidé une jeune fille seule dans la rue. Suis-je une plaisanterie ou une proie? Il est 20 h10 et pour l’instant, je me sens protégée par les piétons spectateurs. Si je crie, ils sauront m’aider. Si je crie, je serai sauve.

Je suis la deuxième arrivée dans l’appartement. Je rencontre l’hôte et l’hôtesse, puis le premier invité, ma connaissance. Suite à de brèves présentations, je retire mon manteau et mes bottes d’hiver pendant que mon ami me sort une bière réfrigérée. Les six yeux se rivent sur mon accoutrement: un jean sale et large tenu par un lacet brun au lieu d’une ceinture et un pull à capuche vert kaki imprimé d’une enseigne de basket-ball qui m’est absolument inconnue. Pour briser le silence, l’hôtesse me demande si j’aime le basket. «Je l’ai eu à la friperie». Ma réponse est suivie d’un hochement de tête compréhensif qui semble vouloir dire «ah OK», comme si cette information expliquait la raison de mon style déplacé.

L’ambiance est quelque peu désagréable. Alors, je descends discrètement une bière. Puis, mon ami m’en ouvre une autre pour m’encourager à me détendre davantage, preuve de compassion et d’amitié. Je lui renvoie un sourire reconnaissant, mais la conversation démarre difficilement. Je me rends aux toilettes avec mon sac. Rapidement, je me change dans la tenue de soirée: une élégante robe bleu marine qui couvre l’entièreté de mes jambes au profit de mon dos et de ma poitrine. En pénétrant le salon, j’ai de nouveau droit à une observation minutieuse de mes habits. «Ça aussi, tu l’as acheté à la friperie,» me demande mon ami, critique de mon subterfuge. Avec cette robe et mon maquillage, je trouve le juste équilibre entre la sensualité et l’élégance. Je ne suis ni pute ni prude.

La porte d’entrée s’ouvre et se referme pour laisser remplir la salle de ses invités. Les femmes hétérosexuelles complimentent ma robe et me demandent où elles peuvent s’en procurer une, alors que les hommes hétérosexuels me complimentent. Ils m’offrent des qualités banales. Je leur semble intéressante, drôle, aimable, bonne compagnie. Et tout cela suite à quelques échanges de répliques vides. Parfois je reçois des compliments au détriment des autres invitées présentes. D’après ces hommes, hypnotisés par mon corps, je suis plus intelligente et plus cultivée que les autres femmes de la soirée. Cela doit se savoir rien qu’en regardant mon décolleté. De nombreuses fois, les étudiants se proposent de m’offrir un verre. Je nourris leur fantaisie. Ils se croient protagonistes d’un film hollywoodien, cherchant à m’impressionner avec du flirt plagié. Évidemment, je ne refuse pas. Cela m’épargne le trajet aller et retour, entre le balcon et la cuisine, pour aller me chercher une Belle Gueule. Pendant la soirée, j’ai évidemment le droit à des cigarettes gratuites.

Au fur et à mesure que l’alcool envahit l’atmosphère, les filtres sociaux des gentlemen de mon entourage s’effritent, laissant passer des gestes opportuns et des remarques hautaines. Des mains d’hommes s’agrippent à mes hanches, d’autres réchauffent mon dos dénudé. On me dit que je suis magnifique, splendide, hypnotisante, sexy, érotique, grossière, chaudasse.

Les propos et les regards s’intensifient. Après la galanterie vient la dominance. Un invité passe son propos autour de mon cou de telle sorte à ce que sa main caresse innocemment mon sein. Je me tais. Puis, il la pose franchement sur ma poitrine, et je m’excuse pour aller aux toilettes. Je ne retourne pas sur le balcon, en tout cas pas à côté de lui. Je sais que rien de plus grave ne peut arriver. Il est encore 23h40. Mes alliés sont prêts à me défendre. Je sais qu’il y a dans la salle des hommes et des femmes bienveillants. Je ne devrais pas avoir peur. Après une bière, je retourne dans le harem d’homme pour fumer de nouveau. Je note que l’ambiance est moins aisée, car lorsque je demande une cigarette, seuls trois des cinq volontaires habituels me tendent leur paquet. J’allume ma cigarette et j’interromps leur conversation. «Vous habitez loin d’ici». C’est une ruse simple, les laissant croire qu’un d’entre eux me ramènera ce soir. Leurs réponses m’importent peu. Tout ce que je sais, c’est que je suis introduite dans le groupe en tant que juge suprême qui désignera librement celui qui sera le plus méritant de mon corps. De nouveau, je suis au centre de la conversation et je m’y plais.

«Ils se croient protagonistes d’un film hollywoodien, cherchant à m’impressionner avec du flirt plagié»

Il est 2h25. Un valeureux candidat est déjà rentré. Je m’apprête à jouer mon meilleur tour: l’évasion. Je prétexte un appel important et quitte le balcon. Avant de sortir de l’appartement, je dérobe une dernière bière en guise de compagnon de route, mes chaussures, mon manteau et mon sac. Dans l’ascenseur, j’ouvre précipitamment mon sac pour sortir mon déguisement. J’enfile mon vieux jean et mon pull, en plus de mon manteau d’hiver.

Je suis intégralement couverte. Il est tard à Montréal et pour rentrer chez moi, je me déguise en homme. Sur Sainte-Catherine, j’aperçois deux femmes abordées par un groupe de trois hommes. Je m’arrête et observe discrètement la scène. J’attends pour voir si mon aide est nécessaire. Les hommes finissent par continuer leur chemin. Je n’ai jamais eu à intervenir dans des situations similaires. Ou du moins, je ne suis jamais intervenue.

Peut-être que j’ai déjà ignoré un acte d’agression ou de harcèlement par mégarde ou par peur. Si c’était le cas, la honte s’est chargée d’effacer toute trace de cet anti-héroïsme.

Je pense à cette réplique dans la série Fleabag. La protagoniste annonce honteusement: «Je pense que je ne serais pas si une grande féministe si j’avais de plus gros seins.» Alors, je me dis la même chose, je pense que si j’étais moins belle ou moins sensuelle, j’aurais plus de raisons d’être une féministe.

Si je faisais partie des «moches, des vieilles, des camionneuses, des frigides, des mal baisées, des imbaisables, des hystériques, des tarées, de toutes les exclues du grand marché à la bonne meuf» de Virginie Despentes, je riposterais sûrement plus souvent contre les remarques déplacées et sexistes des hommes qui me séduisent. Moi je profite de ma beauté et ma sensualité, et puis, pour ne pas subir le revers de la médaille, je me cache. Il est presque 3h. Je suis sur Saint-Laurent, à quelques centaines de mètres de mon appartement. Il m’est devenu difficile de repérer des femmes alliées en cas de danger. D’abord, je lève rarement mon regard pour observer. J’ai peur de croiser accidentellement le regard d’un autre homme, qu’il me sourie, et que nos joues rougissent. Mais là, si je crie, je ne suis plus sûre d’être sauvée. Et aussi, il n’y a plus de femmes. Les rues sont contrôlées par des hommes, des meutes d’hommes ivres. À présent, j’ai peur, et rien ne peut me rassurer. Alors, j’accélère la cadence, mais pas trop, afin de ne pas me faire repérer. Je deviens légèrement paranoïaque. Je me souviens d’un conseil d’une féministe, d’une des féministes moches qui subit sa condition de femme au lieu d’en jouer avec comme moi. Elle m’a dit qu’il fallait que les femmes apprennent à se battre, qu’elles aient des techniques de lutte, qu’elles fassent peur aux hommes, pour leur montrer que les femmes aussi pouvaient être violentes. Elle faisait des arts martiaux. Moi j’ai toujours refusé de me muscler les bras. J’avais peur de perdre mes formes féminines. Pour me défendre, je me souviens que j’ai une bouteille de verre dans ma poche, et puis que j’ai toujours mes jambes. Dans ma poche, je m’agrippe désespérément au manche de la bouteille. Et je marche, vite.

J’enfonce les clés dans la serrure. Je cours dans les escaliers. Je suis chez moi.

L’article La marche est genrée est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Sortir de sa boîte https://www.delitfrancais.com/2022/11/02/sortir-de-sa-boite/ Wed, 02 Nov 2022 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=49656 Une expérience marquante en boîte de nuit.

L’article Sortir de sa boîte est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Dimanche soir, en faisant les courses pour l’Action de grâce, un de mes colocataires a soupiré d’ennui et s’est plaint qu’il aimerait aller en boîte de nuit. Il voulait y aller tout de suite. Je n’avais jamais mis les pieds sur une piste de danse montréalaise. Je m’étais déjà retrouvée, pendant l’été, à passer la nuit dans des bars dansants pour mineurs. Mais une vraie boîte de nuit, jamais. À vrai dire, le concept de s’entasser dans un espace restreint, bruyant, suffocant pour danser et boire à un prix exorbitant ne m’intéressait pas. J’avais systématiquement refusé. J’avais toujours trouvé que je pouvais très bien égayer l’espace et m’amuser, seule dans ma chambre. Un verre de mauvais rouge à la main et des chansons plus commerciales que ma boisson dans les oreilles, j’avais l’impression que je pouvais passer des heures en dépensant sept fois moins. J’avais déjà essayé de comprendre les raisons pour lesquelles les jeunes sortent en boîte de nuit. Pour moi, on y allait par manque d’imagination : c’était un acte idiot de conformisme. Finalement, j’ai cédé ; je sortirais ce soir.

Nous sommes arrivés au Café Campus vers 22h30. Après avoir tiré vingt dollars, l’ébriété m’a invitée à danser sur cet immense tapis de sol stratifié. J’ai dansé seule pendant presque une demi-heure, au fur et à mesure que l’endroit se remplissait d’artistes éphémères. Quand j’ai voulu reprendre mon souffle, j’ai commandé un verre au bar. J’ai fait un sourire séducteur à la serveuse lorsqu’elle m’a tendu mon verre de vodka-Redbull. Puis j’ai dansé, encore et encore. Je donnais des coups de pied et de tête lors des temps forts des chansons, je tournoyais sur les flaques de bière, je suivais en discorde les lumières fluorescentes. Le DJ a lancé Hot Stuff de Donna Summer. Je suis montée sur l’estrade ; un groupe de six jeunes hommes dansaient. Je feignais de ne pas les remarquer, alors qu’en réalité, tout ce spectacle leur était dédié. En quelques instants, j’ai compris l’espace et calculé tous les mouvements permis. Je n’allais pas leur montrer une jeune fille discrètement sexy, mais une femme impressionnable : c’était de cette manière que je m’offrais. Pour me remercier du spectacle, l’un d’entre eux m’a payé une Smirnoff Ice au nom du groupe. Puis, j’ai disparu pour fumer. Je courais dans les escaliers en sautant quelques marches. En sortant, l’air frais d’octobre a agrandi mon sourire euphorique. Après, je l’ai coiffé d’une cigarette. J’apercevais la très longue queue qui s’était formée à l’entrée de la boîte. Soudain, ce plaisir inexpliqué s’est transformé en légère frustration. J’avais été piégée. J’avais pris du plaisir dans ce lieu qui pour moi n’avait su provoquer que mépris et ennui. Je me suis énervée : l’idée même de partir ne m’avait pas traversé l’esprit avant ce moment précis. Je me suis énervée davantage : impuissante, je savais que j’allais en vouloir plus. J’ai écrasé ma cigarette, décidée à annoncer mon départ à mes amis. Pourtant, la musique m’a charmée et de nouveau, j’étais déchaînée parmi tous ces spectres de sueur.

«J’étais parmi les êtres solitaires, à la recherche de la jouissance»

Les chansons se sont suivies et mes pas étaient maladroits. Je ne savais plus vraiment ce que je faisais. Ce dont j’étais certaine, c’est que tout le monde m’aimait et m’admirait. La foule était composée de ce qui semblait être un millier d’humains ridicules et naïfs que je contrôlais avec mon charme. J’ai fini par monter à l’étage. En haut, il y avait des tables isolées, où les danseurs ivres trouvaient refuge, ainsi qu’un balcon qui surplombait la piste de presque trois mètres. Je regardais de haut cette masse de corps entassés, qui s’entrechoquaient sur les contretemps de la musique. Lorsqu’un rayon de lumière les éclairait, ils effectuaient de superbes gestes grotesques comme pour garder l’attention du projecteur. Lorsqu’un couple s’embrassait sur la bouche, il était convaincu que ses voisins le jalousaient. Et lorsqu’une chanson connue retentissait dans les enceintes, chacun se pensait chanteur acclamé et récompensé. Mes amis m’ont traînée dans la foule pour danser sur Dancing Queen d’ABBA. Je me suis retrouvée entourée de personnes grandies par des talons effrayants, à peine discernables. Je pensais être au centre de la piste, mais en réalité j’étais à l’extrémité, près des toilettes. Tout aurait dû être désagréable. J’aurais dû être sensible à l’odeur nauséabonde et vomitive des toilettes, à la circulation constante du monde, à la pression de mon corps frêle contre ceux d’hommes âgés. Mais je ne l’étais pas. Le sentiment de supériorité avait été remplacé par une compassion conviviale. J’étais parmi les êtres solitaires, à la recherche de la jouissance. La nuit finirait dans trois heures : trois heures de séduction, trois heures de danse, trois heures de fausse compagnie, trois heures de lutte contre le goût amer et oppressif du reste des heures du jour.

«Bring the action!», ces paroles indécemment banales de la chanson Scream & Shout, vibraient d’un sens nouveau. Les paroles demandaient que toute l’attention soit portée sur ceux qui les chantent afin qu’ils guident la foule dans une chorégraphie conventionnelle : l’individualisme communautaire… Tous criaient « oh weeh oh weeh oh weeh oh » en choeur. La soirée durant, ils chantaient des sons absurdes, des mots approximatifs, et des interjections stupides, tout en gardant le plus fier des sourires. Après ce moment de plaisir, tous les éléments festifs commençaient à se dégrader, la musique devenait moins agréable, les corps moins beaux, les cigarettes moins reposantes. Seul l’alcool palliait cette dégringolade. Il était à présent maître de moi, maître des autres, et plus généralement, maître de la situation. Et puis, je fus soudainement prise d’une puissante fatigue produisant une sensation trompeuse de lucidité. Les gens sortaient essorés et vidés avec une orgueilleuse sensation d’accomplissement. Sur le chemin du retour à la maison, moi, je me confrontais à mes pensées et je cogitais pour donner du sens à cet épisode. Et durant ce trajet, j’ai eu l’impression d’avoir trouvé l’amour pour les autres, l’amour propre, l’amusement temporaire : tout devenait sensé. Je me suis endormie, alors avec cette épiphanie, que mon sommeil égarerait. Et donc, la semaine prochaine, je retournerai en boîte pour ressentir de nouveau ce moment de vérité illusoire.

L’article Sortir de sa boîte est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Concours: La vengeance est un plat qui ne se mange pas https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/concours-la-vengeance-est-un-plat-qui-ne-se-mange-pas/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48448 Vous trouverez ici les trois gagnant·e·s du quatrième concours de création du Délit, organisé en collaboration avec la Comission des affaires francophones à l’occasion de la Francofête. Les participant·e·s devaient traiter de l’un des deux thèmes suivants dans leur oeuvre : « Vengeance – les nappes saignent de cire de bougie » et « Je déteste ».  350 FAHRENHEIT… Lire la suite »Concours: La vengeance est un plat qui ne se mange pas

L’article Concours: La vengeance est un plat qui ne se mange pas est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Vous trouverez ici les trois gagnant·e·s du quatrième concours de création du Délit, organisé en collaboration avec la Comission des affaires francophones à l’occasion de la Francofête. Les participant·e·s devaient traiter de l’un des deux thèmes suivants dans leur oeuvre : « Vengeance – les nappes saignent de cire de bougie » et « Je déteste ». 

350 FAHRENHEIT

Anaël Bisson – Première place

Dîner aux chandelles 

Dans notre appartement enflammé

Ce soir, mon sang te sert de cire 

mes auriculaires de cigarettes

mes cuisses de pièce de résistance

mes cils d’assaisonnement 

Ce soir, tu me mangeras toute crue

Je te noircirai l’intérieur

Je décaperai le papier peint de tes poumons 

Je peindrai ton dos de morsures

Tu ne seras que décombres

On appellera ça un lundi soir

Une lampée de cyanure

Une gorgée de vin 

Une croquée de fruit à peine mûr 

Tu fais semblant d’avoir faim

Pendant que notre cabane flambe

Tu fais semblant de ne pas entendre 

les miaulements du chat 

qui fond sous le canapé 

Tu fais semblant de ne pas sentir 

Notre attachement qui s’embrase 

Notre tendresse en combustion

On mélangera notre bain moussant à leurs tisons

Et on se noiera dedans

Je déguste mais

j’ai les nerfs à vif

Ton front coule dans l’assiette

Et nos bagues sur nos fourchettes

J’ai vraiment cru qu’elles resteraient de la couleur

de la vingtaine et des baisers de matin

Mais ce soir elles ne sont plus que rouille 

vert-de-gris et fausses promesses

On les portera jusqu’à ce que le métal touche l’os 

Assieds en tailleur sous le restant de table à manger

On se regarde dans les yeux

Les tiens sont secs

Et mes larmes à moi n’éteindront rien

Je te demande qui va quitter en premier

Tu me dis que tu te plais bien ici

Je te crache au visage

Ça part en fumée

Je te réponds qu’il y a plus à voir dans ce monde

Que nos cendres entremêlées

Tu hausses les épaules 

Te couches sur le dos

Fais des anges dedans

Sors la langue

Les attrapes

Ce n’est qu’une haine saisonnière 

On ne prend même plus la peine

de faire semblant

de vouloir se dire au revoir

Nous autres, on s’hait 

et on fait l’amour dans l’âtre

Nous autres, on s’hait 

et on fera l’amour 

au sommet de la cheminée

.

Imaginaire défectueux

Célia Pétrissans – Deuxième place

.

Dictionnaire d’une tragédie

Agathe Nolla – Troisième place

Bougie (nom féminin)

Appareil d’éclairage formé d’une mèche tressée enveloppée de paraffine qui décore les messes de Noël, les repas de famille, ou les cercueils des maris. Durant la cérémonie d’enterrement, elle dépose deux petites bougies blanches, de part et d’autre de la croix sculptée qui emprisonne celui qu’elle avait aimé. Elles se consomment et brûlent toute la grâce et la candeur de la jeune veuve.

Cire (nom féminin)

Matière molle, jaunâtre, produite par les abeilles, colorée dans la production de chandelles carmin, par exemple, qui ornementent la table du diner. En proposant du pain rompu au siège vide du commensal, sa maladresse bouscule la chandelle dont la cire gicle, formant deux perles luisantes qui se raidissent.

Nappe (nom féminin)

Pièce de linge dont on recouvre la table pendant les repas. Rarement lavée, elle est sacrifiée pour préserver la virginité du bois, et souvent, devient un palimpseste d’émotions vomies, crachées, puis avalées. Ce soir-là, elle ne mange pas. Le menton collé au torse, des larmes se ruent contre les cils inférieurs et forment une cascade dédoublée à débit léger qui imprègne la nappe de deux flaques salées où gisent les gouttes de cire sèche.

Saigner (verbe intransitif)

Perdre du sang (sens propre) ; être le siège d’une vive souffrance (sens figuré) ; action nécessaire pour somatiser un décès (sens actuel). Brusquement, elle saisit la chandelle carmin et fait répandre son sérum brûlant le long de son avant-bras gauche, puis droit, avant de recouvrir sa poitrine. Elle fixe les sillons carmin sous lesquels son cœur palpite encore. Martyr, la bouche entre-ouverte, son regard dérive vers le plafond, hypnotisée par l’éclat du lustre, pour y trouver Dieu.

Vengeance (nom féminin)

Action de se venger; dédommagement moral de l’offensée, elle, par punition de l’offenseur, Dieu. «Nous n’irons plus à l’église», pleure-t-elle. Elle souffle les bougies dont la fumée dessine des prochains schémas sournois.

L’article Concours: La vengeance est un plat qui ne se mange pas est apparu en premier sur Le Délit.

]]>