Claire Launay - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/claire-launay/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Thu, 14 Sep 2023 06:49:38 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.6.2 Multilinguisme canadien https://www.delitfrancais.com/2014/11/24/multilinguisme-canadien/ https://www.delitfrancais.com/2014/11/24/multilinguisme-canadien/#respond Tue, 25 Nov 2014 00:31:12 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=21939 Orchestrer langue officielle et diversité culturelle.

L’article Multilinguisme canadien est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
«Multiculturelle», «internationale» et «accueillante» sont les mots que j’avais l’habitude d’utiliser pour qualifier Montréal. En effet, une grande partie des gens que j’avais rencontré ici, via McGill ou par d’autres biais, venaient du monde entier. Quant à ceux qui étaient nés à Montréal, beaucoup étaient issues de familles immigrantes.

Pourtant, il n’a fallu que quelques heures de bus pour me convaincre que si ma perception n’était pas complètement erronée, je devais au moins la mettre à l’épreuve en comparant Montréal avec une autre grande ville canadienne: Toronto.

En venant de Montréal, et donc du Québec, il était difficile de ne pas être marqué par des publicités dans toutes les langues affichées dans le métro de Toronto. La série de publicités pour la Banque de Montréal à la station Yonge était particulièrement saisissante. L’emplacement n’était pas anodin puisqu’il s’agit d’un carrefour important du centre-ville, parfois même appelé le Time Square de Toronto. À cette station donc, en attendant sagement un subway, je me retrouve face à plusieurs publicités écrites respectivement en hindi, hébreu et arabe. Ne parlant “que” français et anglais, je me retrouvais devant l’inconnu. Et ça faisait du bien! Non seulement parce que cela réjouissait ma curiosité, mais aussi car – on l’oublie parfois – le Canada est une terre d’immigrants dont les cultures méritent d’être célébrées.

Cette scène illustre de façon intéressante les différences entre les approches du Québec et de l’Ontario dans leur façon de traiter des identités issues de cultures multiples, – qui peuvent sembler conflictuelles – au service d’une identité plus large les englobant.

Québec: Se distinguer pour s’identifier

Une identité, qu’elle soit ethnique, religieuse, linguistique ou tout simplement citoyenne, rassemble ceux qui s’y retrouvent, mais sépare aussi. On se définit en contraste de l’autre.

Le Québec semble appliquer cette idée en utilisant le français comme force de rassemblement mais aussi comme moyen de se différencier du reste du Canada. La langue y assure une certaine cohésion sociale, par une communication facilitée, mais aussi par la culture qu’elle véhicule. Mais la réalité est un peu plus compliquée: en demandant à un ami s’il se considérait Québécois, celui-ci m’a répondu qu’il préférait se considérer Canadien car pour lui, le terme Québécois évoquait un conflit, une séparation avec laquelle il n’était pas en accord. Loin de moi l’idée d’insinuer que son avis représente une majorité, mais il soulève bien un problème: si l’identité du Québec semble plus facile à définir, elle est aussi plus facile à rejeter.

Ontario: le multiculturalisme comme dénominateur commun

L’Ontario – du moins sa plus grande métropole –, en revanche, trouve son identité dans le tomber des barrières, et l’absence d’une langue enseignée de force à ses immigrants. Certes, l’anglais permet des rencontres et la communication entre tous les torontois, mais quelques minutes dans Greektown ou Chinatown suffisent pour se rendre compte que cette langue n’est pas aussi nécessaire que le français l’est au Québec. L’anglais y est un outil qui permet à une multitude de cultures de cohabiter, mais pas nécessairement de se retrouver.

Peut-on alors tout de même parler d’une identité commune? Je le crois. Car c’est cela, le multiculturalisme dont le Canada se vante. Toutes ces personnes venues d’ailleurs ne partagent pas nécessairement quelque chose de concret comme l’ethnie, la religion ou la langue, mais ils partagent cette conception que c’est peut-être ça, être Canadien: être accueillant, ouvert d’esprit et non pas avide d’imposer une vision unique à toute une population. Ils ne se retrouvent pas à travers une langue à l’identité forte, mais à travers la culture selon laquelle toutes les langues sont valorisées.

Amoureuse inconditionnelle de la langue française, je comprends pourquoi le Québec a eu besoin de la loi 101 et des autres mesures qui ont eu pour effet de faire taire les langues étrangères qui y résonnaient: cela a permis de faire survivre une langue en danger. Je ne peux pourtant pas m’empêcher de rêver au jour où le français et l’identité québécoise seront suffisamment établis pour que Montréal n’ait plus peur de s’adresser à ses habitants dans une langue qui valorise leurs différences.

L’article Multilinguisme canadien est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
https://www.delitfrancais.com/2014/11/24/multilinguisme-canadien/feed/ 0
Deux-esprits, deux minorités https://www.delitfrancais.com/2014/09/23/deux-esprits-deux-minorites/ https://www.delitfrancais.com/2014/09/23/deux-esprits-deux-minorites/#respond Tue, 23 Sep 2014 14:34:55 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=21245 De la complexité des relations ethniques et sexuelles.

L’article Deux-esprits, deux minorités est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
La semaine dernière se tenait à McGill la 4e semaine annuelle de sensibilisation autochtone (4th Annual Indigenous Awareness Week). À cette occasion, Le Délit a assisté à une conférence donnée par Ben Geboe, un candidat au doctorat de l’école de Service Social de McGill. C’est aussi et avant tout un spécialiste et activiste de la cause des peuples indigènes, se vouant plus particulièrement à la cause de la communauté LGBT autochtone. Tenue jeudi 18 septembre au Centre d’Amitié Autochtone de Montréal (CAAM), la conférence portait  justement sur ces two-spirit people, berdaches ou deux-esprits, en français.

Avant d’entamer la discussion, Ben Geboe a procédé à une prière collective et a rappelé l’importance de celle-ci puisque Montréal se trouve sur territoire autochtone. Un élément que l’Université avait également souligné lors du discours de bienvenue des premières années. Du progrès dans la visibilité des problématiques autochtones, donc? Sûrement, mais la route est encore longue en ce qui concerne les discriminations auxquelles  cette communauté fait face. Pour mieux faire comprendre au public la spécificité de la situation des berdaches à un public aux origines diverses, Geboe a partagé sa propre expérience.

Né dans une communauté sioux du Dakota du Sud, aux États-Unis, d’un père Sioux et d’une mère américaine, il décrit avec un certain détachement les différentes réactions de ses parents lorsque, dès son plus jeune âge, il démontrait un «côté féminin plus prononcé». Tout en admettant que la situation n’est pas nécessairement la même dans toutes les populations indigènes, il décrit la société sioux dans laquelle il a grandi comme plus tolérante que celle que peuvent connaître des personnes LGBT dans la culture occidentale. En effet il nous raconte que le côté non-Sioux de sa famille exprimait une certaine inquiétude à son sujet.

Ben Geboe explique aussi que, du point de vue autochtone, le statut d’une personne dépend avant tout de son implication dans la société, de la façon dont elle peut contribuer au bien-être de la communauté dans son ensemble. Il utilise même le terme de division du travail pour illustrer le fonctionnement du groupe. Dès lors, l’orientation sexuelle de l’individu n’intervient qu’au second plan. S’agit-il d’indifférence? Ce serait sans compter le rôle qu’ont eu les berdaches dans l’histoire autochtone. Chamanes et guérisseurs, parmi d’autres professions centrales dans la culture des Premières Nations: les two-spirit people font partie intégrante de l’ordre traditionnel de la communauté. D’ailleurs, Geboe rappelle que l’un des mythes créateurs importants de la religion Lakota des Sioux — celui de la Femme Bison Blanc—, s’apparente à un berdache. Celui-ci présente dans le mythe le premier calumet: un symbole important pour beaucoup de cultures autochtones. Il faut donc prendre en compte la pertinence des berdaches dans ces communautés, au moins d’un point de vue historique. 

Une identité qui dérange   

Tout comme le fait d’être une personne de couleur et l’appartenance à la communauté LGBT font sonvent d’une personne la cible d’une double discrimination, être berdache en dehors des réserves peut être éprouvant. Ben Geboe a tout de même préféré accentuer les difficultés des two-spirit people en affirmant que les problèmes que doivent gérer, par exemple, les Afro-Américains LGBT, sont très différents de ceux des berdaches. Si le but ultime est similaire — mettre fin à la discrimination raciale et sexuelle — les revendications ne sont pas les mêmes. Les berdaches représentent une minorité sexuelle au sein d’une minorité ethnique (dans la grande région de Montréal, en 2001, Statistique Canada comptait 44,500 personnes s’identifiant comme autochtone), mais ils sont également une minorité ethnique au sein d’une minorité sexuelle. Et les autochtones eux-mêmes représentent une multitude de cultures dont les pratiques, les langues et la façon d’appréhender les two-spirit people diffèrent. Difficile de trouver des semblables et de se faire comprendre dans ces conditions. 

Ben Geboe a d’ailleurs soutenu que les deux communautés (LGBT et autochtones) pourraient faire des efforts d’inclusion. Il rapporte ces événements LGBT où cette remarque fait parfois surface: «Venez, dansez, chantez, apportez vos tambours!», une attitude qui se rapproche plus d’un orientalisme qu’une tentative d’inclusion. 

De la même façon, il raconte que des activités organisées par des groupes autochtones l’avaient mis mal à l’aise. Il ne s’y sentait perçu comme n’étant «que» moitié sioux, ne remplissant pas les critères traditionnels physiques, le forçant à devoir parfois se justifier sur son héritage ethnique.

En effet, l’étiquette de berdaches concernent très majoritairement des individus nés hommes qui se travestissent ou qui s’identifient comme homosexuels; qu’en est-il des lesbiennes autochtones? Dans la conceptualisation autochtone, chacun a, en même temps, un esprit masculin et féminin; et c’est la proportion de ces deux côtés qui change chez chaque individu. Les berdaches sont considérés comme possédant les deux esprits à part relativement égales, d’où leur appellation en anglais, two-spirit people. Mais si le concept de berdache bouscule l’ordre binaire des genres auquel nous sommes habitués, il ne s’applique qu’aux individus nés de sexe masculin, marginalisant donc de facto  les lesbiennes.  

La visibilité croissante de la communauté LGBT et des populations autochtones sont néanmoins des signes encourageants pour les deux groupes concernés et les minorités qui les composent. La semaine qui vient de s’achever à McGill pourrait gagner en publicité mais, de pair avec la création de la mineure en Études Autochtones cet automne, elle laisse espérer des progrès pour la communauté. Par ailleurs, le CAAM, qui se veut un pont interculturel, fournit un espace de dialogue et des activités de sensibilisation tout au long de l’année.

L’article Deux-esprits, deux minorités est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
https://www.delitfrancais.com/2014/09/23/deux-esprits-deux-minorites/feed/ 0
Baptême princier à l’OSM https://www.delitfrancais.com/2014/06/03/bapteme-princier-a-losm/ Tue, 03 Jun 2014 18:33:34 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20909 Le grand orgue Pierre-Béique a été inauguré le 28 mai dernier dans un faste vertigineux

L’article Baptême princier à l’OSM est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
« L’orgue, le seul concert, le seul gémissement

Qui mêle aux cieux la terre !

La seule voix qui puisse, avec le flot dormant

Et les forêts bénies,

Murmurer ici-bas quelque commencement

Des choses infinies ! »

//Dans l’église de ***//, Victor Hugo.

 

Infinies, c’est ce qu’espère l’Orchestre Symphonique de Montréal (OSM) qui inaugurait, le mercredi 28 mai, l’instrument le plus imposant de son ensemble : le grand orgue Pierre-Béique.

Coïncidant avec la fin de la 80e saison de l’OSM, cette soirée, à la pompe digne de la cérémonie de clôture du festival de Cannes, a rassemblé un public de privilégiés et un nombre impressionnant de représentants des médias. Et pour cause, selon Lucien Bouchard, président du Conseil d’administration de l’OSM, la résonance du grand orgue Pierre-Béique dans la Maison Symphonique, elle-même inaugurée trois ans plus tôt, représente « un de ces moments qui marquent d’une pierre blanche le parcours d’un organisme ».

Techniquement, l’instrument, qui doit son nom au fondateur de l’OSM, Pierre Béique (1910–2003) impressionne déjà par les chiffres. Il est le fruit de plus de 40 000 heures de travail, comporte 109 registres, 83 jeux, 116 rangs et 6489 tuyaux. Voilà pour ceux qui en connaissent le fonctionnement. Pour les autres, il est né de la maison des Frères Casavant, installée à Sainte Hyacinthe, et a pour vocation de compléter l’orchestre mais également de remettre l’expertise québécoise sur le devant de la scène. Chose qui devrait plaire au gouvernement du Québec qui s’assurera de sa maintenance, par le biais d’un partenariat public-privé entre le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine et un grand groupe immobilier. Car un tel instrument a un coût, et s’il y a bien une chose que l’on retient de cette soirée, c’est le nom du mécène qui l’a rendue possible, Jacqueline Desmarais. Répété à maintes reprises par les différents intervenants, ce nom rappelle au public que la culture, ou du moins la musique classique, a un prix, et qu’elle ne pourrait exister sans l’argent qui la finance.

Et si cette relation intime à l’argent, qu’on préfère associer au monde des affaires supposé loin de celui de la culture, n’était pas assez évidente, il suffisait alors de se tourner vers ses voisins pour se rendre compte que le spectacle ne se jouait pas que sur scène. Au parterre, on voyait des costumes trois pièces en veste de smoking et des robes immenses aux mises en pli impeccables. Au milieu de ce faste, il fallait qu’Olivier Latry, l’organiste invité pour l’occasion, Kent Nagano et son orchestre, prouvent que d’avantage qu’une excuse pour se faire voir, l’inauguration était avant tout un grand événement culturel.

Le défi était de taille, comme la traîne de certaines des robes dans le public, mais il fut relevé, et avec une certaine désinvolture sympathique, même, dans l’attitude de l’organiste. La toccata et fugue en ré mineur, de Bach, baptise l’instrument avec un morceau légendaire dont les premières notes sont immédiatement familières de tous. Avec puissance et précision, Latry nous convainc que, comme il le dit lui-même, « l’orgue [c’est] un instrument qui nous dépasse, en taille, en spiritualité, en beauté ». Puis l’orchestre le rejoint pour les deux morceaux qui suivent, un prélude et fugue de Franz Liszt, puis la Symphonie n° 3 en do mineur de Camille Saint-Saëns. Tandis que dans le premier, l’orgue occupe une place dominante et se trouve sublimé par l’orchestre, c’est tout naturellement qu’il se fond dans l’ensemble lors du second morceau.

L’instrument n’a été inauguré officiellement que la semaine dernière, mais il semble que l’orchestre soit déjà prêt à s’attaquer à la toute nouvelle palette musicale qui s’offre à lui.

L’article Baptême princier à l’OSM est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Fukushima mon amour https://www.delitfrancais.com/2014/03/18/fukushima-mon-amour/ Tue, 18 Mar 2014 07:03:59 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20449 Trois ans plus tard, retour sur la couverture de la catastrophe.

L’article Fukushima mon amour est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Trois ans et une semaine après le séisme de magnitude 8,9 qui avait frappé le Nord-Est du Japon sous la forme d’un tsunami, le pays ne s’est pas encore relevé.

État des lieux 

En effet la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi pose encore des problèmes, notamment concernant la contamination de l’eau: selon Le Devoir («Trois ans après, la sortie du tunnel est encore loin», paru le 11 mars 2014) il y a actuellement «450 000 tonnes de liquide radioactif accumulé dans 1200 réservoirs disséminés sur le site». Cependant malgré les failles de sécurité mises en évidence par le tremblement de terre, le premier ministre Shinzo Abe a déclaré que «les réacteurs jugés sûrs devront être remis en exploitation», mettant de ce fait fin au projet du précédent gouvernement de zéro nucléaire d’ici 2040. Selon l’article du Devoir, le gouvernement avance trois raisons pour justifier sa position. La première est d’ordre économique (les centrales thermiques seraient trop coûteuses), la seconde d’ordre diplomatique (l’indépendance énergétique est capitale) et enfin la dernière est écologique (les centrales thermiques génèrent des gaz à effet de serre).

«Dans des statistiques compilées le mois dernier par la police locale, la préfecture de Fukushima estimait que 1656 personnes étaient décédées en trois ans des suites de maladies liées notamment au stress. Un chiffre supérieur au nombre de décès provoqués par des blessures physiques liées aux catastrophes de mars 2011»

Cependant le nucléaire est loin d’être la seule problématique à laquelle les autorités japonaises doivent faire face. En effet, le bilan humain et matériel dans la région du Nord-Est (Tohoku) est toujours lourd. Ainsi on chiffre aujourd’hui à près de 20 000 le nombre de personnes tuées par le tsunami (selon La Presse: «Le Japon commémore le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima», 11 mars 2014), et parmi celles-ci beaucoup sont toujours introuvables. Ces morts ont pu être provoquées directement par le séisme, mais aussi, selon Les Echos («Fukushima: autour de la centrale, la dépression fait plus de victimes que la radioactivité» ), par les conséquences de l’accident à la centrale nucléaire, la première étant le stress: «Dans des statistiques compilées le mois dernier par la police locale, la préfecture de Fukushima estimait que 1656 personnes étaient décédées en trois ans des suites de maladies liées notamment au stress. Un chiffre supérieur au nombre de décès provoqués par des blessures physiques liées aux catastrophes de mars 2011».

Mais le drame humain ne s’arrête pas là: selon l’article de La Presse, ce seraient quelque 270 000 personnes qui auraient été déplacées, leurs maisons ayant été détruites directement soit par le séisme soit par sa funeste conséquence, le tsunami, ou encore du fait de la radioactivité s’étendant bien au-delà de la «zone d’exclusion nucléaire» de vingt kilomètres. Ces personnes vivent pour la plupart dans des abris de fortune car «seulement 3,5% des maisons pérennes promises ont été bâties dans les provinces d’Iwate et Miyagi». (La Presse). Pour l’instant, environ 100 000 personnes vivent encore dans des préfabriqués entassés sur la côte Nord-Est du Japon, selon l’AFP («Japon: 3 ans après le tsunami, ils vivent encore dans des préfabriqués», vidéo publiée le 10 mars 2014), et «le gouvernement n’est pas en mesure d’estimer quand tout le monde pourra sortir de ces préfabriqués», selon ce reportage. Si 30000 personnes pourront revenir chez elles dans les deux prochaines années, selon l’Agence France-Presse («Fukushima: une partie des réfugiés pourront retourner chez eux», le 24 février 2014), toutes ne souhaitent cependant pas le faire, car il y a des risques pour la santé, et ils perdraient leurs indemnités de 100 000 yens mensuels (1086 dollars canadiens) versés par le gouvernement pour «préjudice moral».

Ainsi la situation est complexe, puisque les conséquences physiques du séisme (la destruction d’habitations) couplées à la menace nucléaire ont engendré des destructions, mais ont également laissé des séquelles moins visibles.

General Electric: je te biaise

Sans tomber dans l’antiaméricanisme primaire, certains éléments sont troublants. En effet, il semblerait, comme nous l’explique Yuji S. Calvo, étudiant à la maîtrise en sociologie et activiste pour les causes environnementales, que des intérêts économiques titanesques puissent influencer la couverture médiatique de la catastrophe, ainsi que les réactions politiques internationales, notamment concernant les risques liés à la centrale nucléaire. Le site mondialisation.ca explique de façon ironique que la conception des réacteurs Mark 1 (soit cinq des six réacteurs de Fukushima) de la centrale était lamentable: «[des japonais ont tenté d’empêcher] une fusion incontrôlable des coeurs des réacteurs nucléaires et la combustion des déchets radioactifs contenus dans les piscines d’entreposage situées immédiatement au-dessus des réacteurs Mark 1, un design absolument génial de General Electric.» De plus le groupe américain ne pouvait pas plaider non-coupable, puisque, comme le révèle lepoint.fr («Fukushima, les fausses certitudes de l’EDF japonais», paru le 17 mars 2011) l’un des ingénieurs de la centrale, Dale G. Bridenbaug, avait signalé la fragilité de l’enveloppe de l’enceinte de confinement (qui a cédé lors du séisme). N’ayant pu convaincre ses supérieurs, il avait démissionné peu après.

General Electric, géant américain de l’énergie, et spécifiquement du nucléaire, était donc à blâmer. Mais il est à signaler que le président de General Electric au moment des faits, Jeffrey R. Immelt, est l’un des principaux conseillers économiques d’Obama, et que vingt-trois sites nucléaires aux États-Unis utilisent le même réacteur que celui mis en cause à Fukushima (Mark 1). Ainsi, selon Yuji S. Calvo, cela expliquerait pourquoi la couverture de la catastrophe par les médias américains a été parfois limitée concernant les détails techniques et l’étendue de la catastrophe. Par exemple, une étude menée par le médecin Janette Sherman et l’épidémiologiste Joseph Magano a montré que dans huit villes américaines situées près du Pacifique le taux de mortalité infantile a grimpé de 35% après l’incident nucléaire de Fukushima. Cette «coïncidence» n’a été relayée dans aucun média américain, peut-être pour ne pas affoler l’opinion (les faits restant certes mineurs), mais aussi pourquoi pas pour protéger les intérêts économiques de la nation?

Une information idéalisée

Mais les faits,  évoqués par les médias étrangers, aussi contestables soient-ils, ne sont qu’une partie du problème dans le traitement de l’information liée à la catastrophe du 11 mars 2011. Souvenez-vous des images que jetaient sur vos écrans les chaînes télévisées du monde entier. Le jour même, ce sont des images impressionnantes de vagues déferlant sur des villes entières du Nord-Est de l’île de Honshu – l’île principale de l’archipel japonais –, de gratte-ciels qui vacillent au cœur de Tokyo, qui frappent l’œil du téléspectateur. Le tremblement de terre, et le tsunami qu’il a causé, impressionne par sa force surnaturelle, mais aussi car il s’attaque au Japon. Ce pays bien souvent mis du côté des puissances «occidentales» de par son développement économique, jusqu’en 2010 contesté seulement par les États-Unis, apparaît soudainement comme faible, victime d’éléments plus fort que lui. On pardonne car on comprend – sans nécessairement être d’accord – le sensationnalisme choisi par les médias pour couvrir la catastrophe, néanmoins notable: autant sur les chaînes japonaises qu’étrangères, les mêmes images sont répétées des dizaines de fois, histoire de bien s’ancrer dans les mémoires. Et cela fonctionne… jusqu’à un certain point.

Le tremblement de terre, et le tsunami qu’il a causé, impressionne par sa force surnaturelle, mais aussi car il s’attaque au Japon.

Si le tsunami a marqué les esprits du monde entier, il est intéressant de remarquer que lorsqu’on demande à des étudiants de McGill ce que la date du 11 mars évoque pour eux, peu répondent que c’est le jour où un tsunami a pris la vie de près de 20 000 personnes. Il est néanmoins indéniable que les images ont fait le tour du monde et ont choqué, déclenchant une vague de sympathie à l’égard d’un peuple avec lequel, voudraient nous faire croire les médias, nous partageons peu de choses.


S-Fukushima1
Keelan MacLeod | Le Délit

 

La distance de la différence

Car c’est vrai, dans les quelques jours qui ont suivi le tsunami,  deux autres types d’informations se sont répandues dans les médias étrangers: celles concernant le drame nucléaire dû à l’endommagement de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi, et l’attitude des Japonais face à la tragédie qui frappait leur pays. Mais si, souvenez-vous de ces images touchantes de centaines de personnes entassées dans des gymnases, qui prennent leur mal en patience et qui prient calmement, dans un relatif calme et ordre considérant les circonstances. Pendant quelques semaines, il semblerait que les médias n’aient eu de cesse que de faire l’éloge de ce peuple de près de 130 millions d’individus qui vivent si loin de nous. On les voit faire des queues interminables à des stations-services, on les voit s’entraider au lieu de se renfermer sur leur misère. Et on les applaudit pour ça.

Car il y a également quelque chose de déshumanisant dans l’orientalisme: on accorde plus d’importance aux différences culturelles qui nous séparent qu’à l’humanité qui nous unit.

Le Japon est un pays à la mentalité collectiviste, héritée de la tradition confucianiste qui a largement influencé les cultures de l’Asie, comme la Chine, le Vietnam, les Corées et bien d’autres. Sur le classement des valeurs de Hofstede – un outil utilisé par beaucoup de multinationales –, le Japon obtient un score de 46 sur 100 en «individualisme», ce qui reste relativement élevé comparé à ses voisins asiatiques (20 pour la Chine, 18 pour la Corée). Mais comparé à la culture à laquelle nos médias sont habitués, la différence est toujours impressionnante, puisque le Canada obtient 80, et les États-Unis 91. Il n’est donc pas étonnant de voir les journalistes de chez nous surpris par l’attitude des Japonais. Mais ce discours a quelque chose d’orientaliste et de dangereux.

En effet, en insistant sur la force de ce peuple et en mettant une certaine emphase sur les traits culturels qui nous séparent, la couverture médiatique a eu pour effet de mettre une distance encore plus grande entre nous et eux. On en parlait la semaine dernière déjà au sujet de la situation au Vénezuela (voir «Dans l’angle mort», Le Délit, 11 mars 2014, Volume 103 no18): plus l’événement est lointain, tant géographiquement qu’idéologiquement, moins on se sent concerné, et donc, forcément, moins on se sent enclin à prêter main forte. C’est naturel, mais pas moins navrant. Car il y a également quelque chose de déshumanisant dans l’orientalisme: on accorde plus d’importance aux différences culturelles qui nous séparent qu’à l’humanité qui nous unit. En tant que Canadien, Français, Algérien, ou autre, on s’identifie peu aux Japonais que les médias nous montrent.

Mais la réalité est bien moins exotique. Le tremblement de terre du 11 mars 2011 touche encore des milliers de personnes qui, comme nous, peu importent leur culture et leur force collective, méritent de vivre dans des conditions de vie décentes et d’avoir un gouvernement et une communauté internationale qui les écoute. Mais l’approche quelque peu orientaliste des médias internationaux n’est pas la seule coupable de la lenteur des efforts de reconstruction et de l’implication, autant nationale qu’à l’étranger, des différents acteurs pour remédier à la situation.

Au-delà du nucléaire

L’emphase mise sur le drame nucléaire plus que sur les conséquences humaines du tsunami y est aussi pour quelque chose. On parle du 11 septembre, de l’ouragan Katrina, du tremblement de terre à Haïti, mais pour parler de la catastrophe japonaise, on parle de Fukushima. Loin de vouloir dédramatiser les conséquences immenses du drame nucléaire – qu’on sera capable de mesurer réellement dans quelques décennies d’ailleurs – il est ici question de rappeler que le 11 mars, ce n’est pas QUE un incident environnemental, mais bel et bien une tragédie humaine. Bien sûr, un bon nombre de ces personnes touchées le sont à cause de la catastrophe nucléaire – morts, malades, déplacés en grand nombre – et c’est pour cela qu’il faut parler du problème nucléaire. Mais plus loin que d’y accorder une couverture scientifique et environnementale, il faut se souvenir que, finalement, la raison pour laquelle on s’inquiète, c’est pour les vies qu’il y a derrière.

«On observe un niveau de conscience politique comparable à celui de l’après-guerre, où les gens sont prêts à se serrer les coudes pour faire face à l’adversité»

Toutefois, il semblerait que la couverture médiatique significative de l’incident nucléaire ait réveillé les consciences politiques au Japon. D’après certains experts, le mouvement antinucléaire qui s’est réveillé au lendemain de la catastrophe n’était «rien de moins qu’une perte de la foi à l’échelle nationale, tant dans l’énergie nucléaire, mais aussi dans le gouvernement, que beaucoup blâment d’avoir laissé cet accident se produire» («Japan’s Nuclear Energy Industry Nears Shutdown at Least for Now», New York Times, 8 mars 2012). En juin dernier, 60 000 personnes manifestaient à Tokyo, appuyés par une pétition qui ne regroupait pas moins de huit millions de signataires, contre le redémarrage de plusieurs centrales nucléaires. Cette manifestation, comme les nombreuses qui ont eu lieu depuis le 11 mars 2011, rassemblait des tokyoïtes mais également beaucoup de japonais venus de la campagne pour l’occasion. D’après Yuji S. Calvo, «on observe un niveau de conscience politique comparable à celui de l’après-guerre, où les gens sont prêts à se serrer les coudes pour faire face à l’adversité», sur le terrain de la cause environnementale, mais, de façon plus large, sur l’efficacité du gouvernement à répondre à leurs problèmes.

Trois ans plus tard, force est de constater que beaucoup reste à faire, au Japon, afin de soigner les plaies encore vives du tremblement de terre et du tsunami qui ont frappé en particulier la région du Tohoku. La catastrophe nucléaire en est bien une, et elle se doit d’être traitée par le gouvernement japonais. À ces fins, les Japonais eux-mêmes s’impliquent plus que jamais, tandis que des milliers d’entre eux continuent à vivre dans des préfabriqués, déplacés.

L’article Fukushima mon amour est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
I‑week à McGill https://www.delitfrancais.com/2014/02/25/i-week-a-mcgill-2/ Tue, 25 Feb 2014 17:48:01 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20190 Autochtones: étrangers dans leur propre pays.

L’article I‑week à McGill est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
À l’occasion de la semaine internationale organisée par le Bureau des étudiants internationaux de l’Université McGill, une conférence d’information au sujet des Premières Nations a eu lieu le jeudi 20 février. La conférence, qui consistait d’abord au visionnement du film «Mohawk Girls», suivi d’une courte discussion, était l’opportunité pour des étudiants venant de tous horizons de se familiariser avec la culture autochtone dont on n’entend peu parler en dehors des Amériques. «Mohawk Girls» est un documentaire qui montre la vie quotidienne et les aspirations de cinq jeunes filles au secondaire, toutes issues de la réserve autochtone de Kahnawake, sur la Rive Sud de Montréal, à moins d’une heure en voiture de l’Île de Montréal. Ces portraits présentent une jeunesse très consciente des problèmes qui touchent leur communauté comme l’alcoolisme, les grossesses à l’adolescence, et plus généralement un sentiment d’isolation du reste de la vie canadienne. Le documentaire donne une vision juste du dilemme auquel fait face la jeunesse des Premières Nations, entre préservation de leur culture et intégration dans la société canadienne. Ce qu’on en tire, c’est l’image d’une jeunesse consciente des obstacles sur son chemin, mais pas découragée pour autant.

Radney Jean-Claude, membre du Rapprochement des spiritualités indigènes-Haïtiens, explique à l’assistance l’importance pour les étudiants internationaux qui arrivent à McGill chaque année de s’intéresser et de s’impliquer dans la culture des Premières Nations. C’est, d’après lui, la meilleure manière de réellement comprendre l’histoire du Canada. C’est ensuite Tiffany Harrington, une étudiante membre de l’«Indigenous Students Alliance», qui a pris la parole afin de partager son expérience en tant qu’étudiante autochtone en échange en Argentine. À travers son expérience, les gens présents à la conférence ont pu se familiariser avec les communautés autochtones d’Amérique du Sud aussi, et de ce qui les différencient de celles du Canada. Tiffany Harrington, bien qu’en admettant les difficultés auxquelles font face les autochtones au Canada, a, à ce propos, tenu à souligner la chance qu’elles ont, par rapport à des communautés d’Argentine. En effet, il semblerait que, là-bas, leur statut est bien moins reconnu et qu’ils se trouvent bien loin d’un quelconque système d’éducation où leur langue peut être enseignée en bonne et due forme.

Cette conférence était donc une bonne occasion pour les étudiants de se rendre compte de la situation des Premières Nations aux Canada.

L’article I‑week à McGill est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Fictions pratiques https://www.delitfrancais.com/2014/02/18/fictions-pratiques/ Tue, 18 Feb 2014 07:45:33 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20100 Du danger des mots.

L’article Fictions pratiques est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Le jeudi 13 février dernier, Mathieu Boisvert, professeur à la Faculté d’études religieuses à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), donnait à McGill une conférence sur les hijras, une communauté qui n’a pas d’égal dans la société canadienne. Invité par l’Institut d’études islamiques de l’Université McGill, il a tenté de rendre familière à la trentaine de personnes présentes la réalité d’une communauté qu’on appellerait transsexuelle au Canada. Fruit d’une longue recherche sur le terrain, particulièrement dans les états du Maharashtra et du Rajasthan, sa recherche tente de comprendre avec précision le contexte religieux et culturel dans lequel cette communauté grandit. Au fil de son explication, il devient de plus en plus évident que la terminologie occidentale, autant francophone qu’anglophone, ne permet pas de comprendre de façon complète l’identité des hijras.

Une identité plurielle

Les hijras mettent au défi le vocabulaire occidental de la sexualité et de l’orientation sexuelle. Dans nos termes à nous, on les définirait comme des personnes nées de sexe masculin mais qui ont choisi de s’habiller et de vivre comme une femme. Ici, au Canada, nous les appellerions des transsexuels. Mathieu Boisvert tente au contraire d’expliquer que les définir ainsi pose une limite considérable sur la réalité de leur identité. Si, aux yeux d’une population «occidentale», les hijras sont des transsexuels par le simple fait d’être passés d’un sexe à l’autre, beaucoup d’autres critères rentrent en jeu dans le contexte indien.

«Ces catégories, ce sont des fictions pratiques; on en a besoin pour pouvoir parler et faire sens des choses qu’on ne connaît pas.»

Le fait d’assumer un sexe différent de celui assigné à la naissance n’est qu’une partie de l’identité des hijras. Pour commencer, ne peut devenir hijra que quelqu’un qui a subi un rituel d’initiation spécifique, assumé par un guru de la communauté. Ensuite, les hijras vivent largement entre eux, en communauté. Ceci est, d’une part, une caractéristique de leur identité –la vie communautaire, en contraste avec notre individualisme habituel– mais aussi le résultat de la stigmatisation dont ils sont victimes.

Le dernier élément important pour comprendre l’identité des hijras est les sphères professionnelles dans lesquelles ils évoluent. Il sont en effet largement représentés dans deux milieux professionnels aux antipodes l’un de l’autre. D’un côté, ces individus sont connus pour se produire dans des cérémonies religieuses et sont donc sollicités par des personnes extérieures à la communauté afin d’entreprendre des bénédictions de différents types au cours de badhai, performances artistiques à caractère sacré. De l’autre, les hijras sont sur-représentés dans le milieu du travail du sexe (kandra), en tant que prostituées. D’un point de vue religieux, les hijras se situent exactement à la frontière du sacré et du profane, du pur et de l’impur. D’après Mathieu Boisvert, «il est très difficile de parler ou d’écrire sur ces communautés-là, car ces catégories qu’on utilise ne sont pas nécessairement aussi fixes dans la réalité. Ces catégories, ce sont des fictions pratiques; on en a besoin pour pouvoir parler et faire sens de choses qu’on ne connaît pas, donc il ne faut pas forcément arrêter de les utiliser. Mais il faut se souvenir, lorsqu’on le fait, que c’est une simplification grossière de la réalité».

Au-delà des genres

Il y a également un côté liminal chez les hijras qui n’est pas facile à saisir pour quelqu’un habitué à des catégories que l’on considère «fixes» comme hétérosexuel ou homosexuel. Boisvert mentionne, par exemple, un hijra qui était sorti de la communauté pendant quelques années, le temps d’obtenir un doctorat dans une grande université indienne, et qui y était retourné plus tard dans sa vie. De la même façon, il explique que certains hijras ne souhaitent pas donner à leur statut un caractère légal; cela leur donne ainsi la possibilité de pouvoir en sortir pour différentes raisons.

«Au Népal, l’homosexualité est illégale, tandis que le statut de hijra, lui, est reconnu et légal.»

Les hijras ne se définissent pas eux-mêmes comme appartenant à un même sexe. Certains membres de la communauté se définissent comme hommes car ils ne sont pas encore passés par le rituel mentionné plus haut; d’autres se définissent comme femmes. Enfin, une partie se dit appartenir au troisième genre. C’est également pourquoi limiter l’identité des hijras à leur transsexualité est non seulement incomplet mais également erroné. D’autre part, d’après Mathieu Boisvert, hormis le côté héréditaire, qui ne peut exister chez les hijras pour des raisons biologiques, la communauté pourrait presque s’apparenter à une caste, dans la société indienne, surtout pour son affiliation à des professions particulières.

Le défi sémantique

Appliquer un vocabulaire occidental, ou parfois tout simplement faux, dans le cas de communautés qui «ne rentrent pas dans les (nos) cases», peut s’avérer dangereux. Les hijras, nés hommes, sont parfois toujours doté d’une anatomie masculine tout en vivant comme hijra. En ayant des relations sexuelles avec des hommes, on pourrait donc les appeler homosexuels, ici, au Canada. Mais c’est ici que les choses se compliquent. On trouve des hijras dans plusieurs pays d’Asie du Sud, comme l’Inde, le Pakistan, le Népal et le Bangladesh. Au Népal, l’homosexualité est illégale, tandis que le statut de hijra, lui, est reconnu et légal. Cela nous paraît tout bonnement étrange: accorder un statut légal à une communauté qui s’adonne à des pratiques homosexuelles, tout en interdisant l’homosexualité. Incohérence du système juridique népalais, ou juste un système de valeurs différent qu’on a du mal à comprendre? En fin de compte, on oublie trop souvent que les mots qu’on utilise afin de les définir viennent de langues qui sont le reflet de nos valeurs et de notre culture.

Sommes-nous donc condamnés à nous tromper dès que nous tentons de comprendre l’inconnu? Tout espoir n’est pas perdu. Si Mathieu Boisvert cherche parfois ses mots pour s’expliquer, c’est parce qu’il connait le vocabulaire hindi, plus adéquat. Tant que celui qui souhaite réellement comprendre une culture fait l’effort d’en apprendre son vocabulaire, notre compréhension de l’autre peut continuer de grandir. Et puisqu’utiliser ces «fictions pratiques» de catégories issues de nos langues à nous est nécessaire afin de transmettre, même de façon un peu limitée, nos connaissances de ses cultures, alors utilisons-les. Tant qu’on reste conscient que cette terminologie n’est pas un reflet de la réalité que l’on tente de décrire, mais, plutôt, qu’elle est un reflet de notre vision du monde de l’autre.

L’article Fictions pratiques est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Multiculturalisme chinois https://www.delitfrancais.com/2014/02/18/multiculturalisme-chinois/ Tue, 18 Feb 2014 06:13:57 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20052 Le monde a ses frontières que l’art ignore.

L’article Multiculturalisme chinois est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
De la Chine, on sait –ou on croit savoir– la grandeur, l’histoire, les contentieux politiques et trop de stéréotypes pourtant inapplicables à ses 1,35 milliards d’habitants. La Chine est partout, tous les jours, dans les médias, dans le monde des affaires, et sûrement chez vous, sous la forme du fameux «Made In China». Quand il s’agit d’art en revanche, les choses se troublent: quelques dragons, des empereurs aux moustaches épiques, Ai Weiwei pour le côté contemporain… Et après? C’est ce manque que tente de combler la Place des Arts, du 15 février au 1er mars. Le 21 janvier dernier déjà, «Pleins feux sur la Chine», une exposition d’art contemporain, a été inaugurée dans la galerie de l’Espace culturel Georges-Émile-Lapalme. Et ces deux prochaines semaines, les événements mettant la Chine à l’honneur et s’inscrivant dans la programmation du 50e anniversaire de la Place des Arts vont s’enchaîner pour le public montréalais.

Cette exposition représentait le lancement officiel de cette focalisation sur la Chine. La consule de Chine à Montréal, Zhao Jiangping, était présente pour l’occasion et a livré quelques belles paroles à l’égard du public montréalais, en français, à la (bonne) surprise des journalistes et  amateurs d’arts y assistant. Son discours avait quelque chose d’ironique, pourtant. La consule a souligné les bonnes relations entre le Canada et la Chine, et la façon avec laquelle l’art a le pouvoir de rassembler, par une force créatrice, des populations autrement lointaines. On a envie d’y croire, mais l’exposition «Pleins feux sur la Chine» n’est tout simplement pas convaincante.

En effet, le vernissage du 21 janvier avait réservé une (mauvaise) surprise aux visiteurs. Dû à des problèmes de visas auprès des douanes, les œuvres exposées ne sont arrivées à Montréal que le matin même. Cette quinzaine d’œuvres, signées par autant de jeunes artistes chinois, avait été exposée lors de la prestigieuse foire Art Basel de Miami et n’avait donc que peu de voyage à faire. Et pourtant, ce sont des œuvres posées à même le sol, adossées contre les murs de la galerie, auxquelles les visiteurs ont eu droit. Un triste rappel que, malheureusement Madame la Consule, si «l’art n’a pas de frontière», le monde dans lequel il vit, lui, en a des bien réelles.

Cette exposition avait aussi pour mandat de montrer le côté moderne et varié de l’art chinois. Un beau mandat, pour un pays de plus d’un milliard d’habitants, qu’on limite souvent à l’art des images traditionnelles. Côté diversité, on s’y retrouve, et côté non traditionnel aussi. Mais le résultat est une exposition où on ne sait où donner de la tête. Pour Grace Fu, une étudiante de troisième année en Histoire de l’art à McGill, spécialisée dans l’art chinois, «il est difficile de voir une quelconque cohérence entre toutes ces œuvres, il manque un principe rassembleur». Alors oui, toutes ces œuvres sont le fruit d’une collaboration entre le Canada et la Chine, et les différentes régions de la Chine entre elles; on salue l’idée. Mais cette collaboration ressemble plus à une addition qu’à une réelle synergie.

On peut accorder à «Pleins feux sur la Chine» une certaine clarté dans son message: la Chine n’est pas quelque chose d’homogène dont l’art peut être défini en quelques mots. Non, la Chine est grande, complexe et pleines de richesses qu’il nous reste encore à essayer de comprendre. Spectaculairement Chine, qui s’étend jusqu’au 1er mars, mettra à l’honneur l’art chinois sous la forme de danse contemporaine, avec le spectacle «Fault Lines», de musique classique, avec l’Orchestre symphonique de Montréal, et d’opéra traditionnel chinois. On espère que cette programmation, elle aussi plutôt variée, sera plus cohérente que «Pleins feux», tout en soulignant cette diversité culturelle chinoise, l’objectif –louable– majeur de l’événement dans son ensemble.

L’article Multiculturalisme chinois est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Songe hindou https://www.delitfrancais.com/2014/02/04/songe-hindou/ Tue, 04 Feb 2014 07:40:11 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=19836 Une adaptation moderne du classique shakespearien présentée à McGill.

L’article Songe hindou est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Exactement 400 ans après la naissance de son auteur et 101 ans après celle de son compositeur, un double anniversaire qui n’était pas le fruit du hasard, Le Songe d’une nuit d’été s’est invité à McGill pour quatre représentations du mercredi 29 janvier au samedi 2 février. Et c’est en Inde, à l’aube de la Première Guerre mondiale, que Patrick Hansen, metteur en scène et directeur des études d’opéra à McGill, avait choisi d’installer l’une des œuvres les plus célèbres de Shakespeare. Pari réussi.

Si on ne peut s’empêcher d’être légèrement sceptique à la découverte du décor et de l’atmosphère aux accents indiens, le résultat est à la hauteur du risque entrepris. D’après Hansen, «cet opéra est joué toutes les semaines quelque part dans le monde, il était donc question de lui donner une tangente particulière». Et c’est des vers de Shakespeare lui-même qu’il a trouvé l’idée de situer Le Songe en Inde. En effet, il ajoute que «dans le texte original, lorsque Titania raconte à Obéron où elle se trouvait, elle lui explique «je viens du royaume des hindous», toutes les idées se sont enchaînées après».

Quiconque a lu l’œuvre originale s’est trouvé, au moins la première fois, un peu confus par le nombre de personnages et leur rôle dans la trame de l’histoire. Cette adaptation a cela de fort qu’elle facilite grandement la compréhension du texte: Titania et Obéron deviennent reine et roi des fées, tirés de la mythologie hindoue, les quatre amants- Lysandre, Demetrius, Hermia et Hélèna- sont des membres de la société britannique tandis que les artisans représentent la classe moyenne indienne. Les costumes, empruntés à la tradition indienne des saris et des couleurs vives, ainsi que les différents timbres de voix et accents des chanteurs d’Opéra McGill, loin de détourner l’attention du spectateur de la performance elle-même, permettent d’effacer tous doutes sur l’identité des personnages.

Et ça aurait été dommage. La mise en scène met en valeur de façon remarquable la performance de la troupe, possible quatre jours de suite grâce à un double-casting des rôles principaux. C’est le cas pour les spectateurs, mais aussi pour les artistes eux-mêmes. Kimberly Lynch, qui jouait l’une des fées pour les quatre soirs, confie au Délit que si «le décor et les costumes étaient plus élaborés que dans toutes les autres productions auxquelles j’ai participé auparavant, cela nous a vraiment aidé à donner vie aux personnages, lorsque nous avons commencé à répéter en costumes une semaine avant les représentations. Même si nous devions arriver trois heures avant le début du spectacle pour commencer le maquillage et la coiffure!»

L’interprétation de la reine Titania, par Vanessa Oude-Reimerink à la représentation du 30 janvier, était particulièrement remarquable de justesse et d’émotion: la fameuse scène où, sous l’effet de la potion ordonnée par Obéron,  elle se réveille amoureuse de Bottom, artisan dont la tête a été changée en celle d’un âne, est à la fois comique et touchante. Brent Calis, qui le jouait ce soir-là, est probablement celui dont on se souviendra le plus, d’ailleurs. Il éclipse tous ses autres compagnons artisans, et porte presque tout le comique de la pièce sur ses épaules, avec succès.

Enfin, la performance de l’Orchestre symphonique de McGill, sur l’adaptation de Benjamin Britten, est également à souligner. Cette adaptation ‑dont la partie chantée avait gardé les vers originaux de Shakespeare, une marque d’honnêteté d’après Hansen- est relativement récente, puisqu’elle a été composée en 1960. En ce sens, elle s’inscrit dans un répertoire moderne qui contraste avec l’idée classique qu’on a trop souvent de l’opéra. Britten, d’après Andrew Bisantz, a été «l’un de ces compositeurs du vingtième siècle qui a posé les fondations d’un nouveau genre d’opéra où l’orchestre, autant que la voix, est mis en valeur». En effet, les enchaînements des scènes sont fluides, et c’est sûrement grâce à cet orchestre, caché dans l’ombre du grand arbre au milieu de la scène, qui n’est pas sans rappeler l’arbre de la Bodhi, pourtant issu de la tradition bouddhiste.

Une belle collaboration, donc, d’ailleurs soulignée par le metteur en scène, entre Opéra McGill, l’Orchestre symphonique, et les équipes de décors et de costumes, sollicités comme jamais par cette grande production.

L’article Songe hindou est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Les Sikhs du Québec https://www.delitfrancais.com/2013/10/22/les-sikhs-du-quebec/ Tue, 22 Oct 2013 07:15:49 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=18822 Une minorité à l'ostentation discrète.

L’article Les Sikhs du Québec est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Dimanche dernier a  eu lieu une autre manifestation contre le projet de Charte des Valeurs Québécoises, qui remue la province depuis le 10 septembre dernier; l’occasion de se questionner sur un de ces signes considérés comme «ostentatoires» par le Parti Québécois (PQ): le turban, porté par les sikhs. Et bien au-delà du turban, il suffit d’interroger quelques étudiants sur différents campus pour se rendre compte que la religion sikhe, au sens large, est loin d’être connue du grand public.

Répandus, mais minoritaires

Les Sikhs ne sont pas ce qu’on pourrait appeler un groupe ostentatoire, que ce soit dans les chiffres ou dans leur façon de se montrer. À McGill, selon la présidente de l’Association des Étudiants Sikhs (Sikh Students Association, SSA), Gurnikki Kaura Bindra, la communauté sikhe est peu importante, comptant un peu plus d’une cinquantaine de personnes, certainement moins d’une centaine: grain de sel dans une mer de plus de 30 000 étudiants, donc. D’ailleurs, l’association n’existe que depuis l’année dernière, preuve que les Sikhs, en tous cas à McGill, ne peuvent pas vraiment être qualifiés de «minorité bruyante». Et ceci se vérifie tout autant à l’échelle de la province, où les Sikhs ne représentent que 0,1% de la population totale, d’après le recensement de 2001, avec 9 275 sikhs habitant au Québec.

En réalité, la religion sikhe n’est une majorité dans aucun pays, souligne Ishan Singh, le président de la Voix Québécoise des sikhs (VQ des sikhs), association à but non-lucratif qui représente les intérêts des Sikhs au Québec, créée il y a quelques mois. Et c’est un des points sur lesquels il insiste, en entrevue avec Le Délit: «nous savons ce que c’est, d’être une minorité. Nous ne représentons que 2% de la population indienne, et c’est de là que le sikhisme vient! Nous sommes [donc] conscients de l’importance de protéger ses valeurs et son identité». Il dénonce seulement la manière de faire, et ajoute que si les valeurs sikhes étaient mieux connues de tous, peut-être que certaines idées conçues, notamment liées au port du turban, s’estomperaient et laisseraient place à une société plus inclusive pour les sikhs. Car, il faut l’avouer, en dehors des sikhs eux-mêmes, peu sont familiers avec les principes de cette religion.

Une religion relativement moderne

Le sikhisme est né en Inde, plus précisément dans la région du Pendjab, qui comprend les régions actuelles de l’Est du Pakistan et du Nord-Ouest de l’Inde (au-delà de l’état administratif du Pendjab). Son maître fondateur, Guru Nanak, est né pendant notre ère, et même plutôt récemment, en 1469. Ceci est particulièrement fascinant car seulement un peu plus de 500 ans plus tard, le sikhisme s’inscrit déjà dans les «Grandes Religions» dans les classifications de niveau mondial. En effet, le classement du World factbook de la CIA plaçait en 2010 le sikhisme à la cinquième place des grandes religions en termes d’adhérents, avec environ 27 millions de pratiquants, soit environ 0.38% de la population mondiale (devant le judaïsme avec 0.22%).

D’après Manjit Singh, l’aumônier sikh de l’Université McGill, les principaux piliers du sikhisme sont les suivants: la croyance en un dieu unique, l’égalité entre tous, le partage (via l’institution du langar par exemple) et l’entraide au sein de la communauté (via seva).  Ces  principes se sont élevés en partie en réponse au système de castes hindoues toujours prévalent en Inde aujourd’hui, selon lequel quelqu’un d’une certaine caste n’est pas censé partager un repas ou entreprendre une relation de confiance  avec quelqu’un d’une caste inférieure. À la racine de cette idée se trouve le principe de statut inné: le statut d’un hindou dépend de la famille dans laquelle il est né. La religion sikhe, en revanche, est une religion où le statut de quelqu’un est acquis, pas inné: elle place l’emphase sur les gestes, les actions menés par la personne, plutôt que le foyer dans lequel elle est née.

Les principes de partage et d’égalité se retrouvent de façon évidente dans l’institution du langar, c’est-à-dire la cuisine communautaire gratuite, dans laquelle tous sont les bienvenus, indépendamment de leur religion, ethnie ou classe sociale. Le langar permet aux milieux les moins aisés d’avoir accès à une alimentation saine et gratuite, dans un lieu où ils peuvent rencontrer des gens de différents milieux, favorisant donc la mixité sociale. Si cela paraît presque normal, ici à Montréal ou au Canada de façon générale, il faut encore une fois se souvenir du contexte de hiérarchie omniprésente duquel le langar a émergé pour bien comprendre le caractère innovant du sikhisme.

Tout aussi innovant, voire davantage, et partant du même principe d’égalité, est l’égalité entre les sexes, prônée dès les débuts du sikhisme par Guru Nanak. En effet, dérivant de l’idée que chacun naît égal à l’autre, vient l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes. Le fait d’être né en tant que l’un ou l’autre est aussi peu pertinent que la classe sociale, d’après les enseignements sikhs. C’est, d’après Ishan Singh, l’une des raisons pour lesquelles la mise en application de la Charte des Valeurs est complètement incohérente: «Le PQ, par cette charte, dit qu’il veut renforcer l’égalité entre les hommes et les femmes. Mais en réalité, quand on se fait servir par un agent de la fonction publique qui porte un turban – et qui est donc sikh – on a, d’une certaine manière, une sorte de garantie que cette personne a des valeurs égalitaires en ce qui concerne les hommes et les femmes!» Un peu ironique, en effet.

De la même façon, l’un des autres piliers du sikhisme, et qui englobe les deux précédents, est le principe de seva, ou de service désintéressé. D’ailleurs, c’est autour de ce thème que Gurnikki Kaura Bindra, de la SSA, souhaite faire tourner la plupart des activités de l’association. Pour elle, c’est une des idées les plus importantes associées au sikhisme. «Nous sommes en phase de prise de contact avec des associations, dans le cadre de l’accomplissement de seva, des associations de différents genres. Tout ce qui nous importe, c’est d’aider la communauté. Une des membres de l’association est aussi très motivée pour aider les familles victimes des émeutes anti-sikhs de 1984 en Inde». Moment grave mais significatif pour la communauté sikhe, l’année 1984 représente l’année où des séries de violence à l’égard des sikhs ont éclaté suite à l’assassinat de la première ministre Indira Gandhi, par son garde du corps sikh. Mais seva s’applique à la société au sens large, elle ne se limite pas aux sikhs, puisque, comme l’a expliqué Ishan Singh, «La VQ des Sikhs a pour projet de visiter différents foyers pour sans-abri fin novembre et d’y mettre en place des langar, à l’occasion de l’anniversaire du premier guru, Guru Nanak».

Discrimination et turban

Si les sikhs sont aussi discrets et motivés par de bonnes intentions, ils sont pourtant la cible de discrimination. Au Québec, de par leur nombre aussi faible, les cas sont rares, mais aux États-Unis ou dans plusieurs pays d’Asie ont été répertoriés des cas de  harcèlement. Dans la religion sikhe, il est de coutume de ne pas couper ses cheveux, ou même de ne pas raser de poils, en signe de respect pour le corps que dieu a donné à chacun. Dans plusieurs pays dont les États-Unis, des cas de retrait forcé du turban et de coupe des cheveux des sikhs ont eu lieu. Il y a seulement un an, en août 2012, une fusillade s’est même produite à Oak Creek, dans l’état du Wisconsin, dans une Gurdwara, lieu de culte sikh; elle a fait 6 morts et 4 blessés. Commentant l’information, Gurnikki explique que «la fusillade a eu lieu car le tireur pensait qu’il entrait dans un lieu de culte musulman. Mais ça ne change rien à l’horreur de la chose. Au moment des événements, tout le monde s’est concentré sur le fait qu’il s’était “trompé, mais tout ce que cela veut dire, c’est qu’il y a toujours trop de discrimination basée simplement sur l’apparence, quelle que soit la communauté visée». Mais d’après elle, la situation est moins alarmante au Canada, en tous cas pour l’instant. La discrimination pourrait prendre une autre forme, en revanche.

Il y a seulement quelques mois, en juin 2013, la Fédération de soccer du Québec (FSQ) avait interdit le port du turban sur les terrains de soccer québécois. Après quelques discussions avec la Fédération Internationale de Football Association (FIFA), l’interdiction a fini par être levée. Mais c’est tout de même suite à cela que l’association la VQ des Sikhs, dont Ishan Singh est le président, a vu le jour. En entrevue Skype avec Le Délit, il explique: «jusque-là, il n’existait aucun organisme pour protéger les intérêts des sikhs et pour expliquer aux non-sikhs ce qu’est le sikhisme. […] Si les gens en savent aussi peu sur notre religion, c’est surtout de notre faute, à nous les sikhs, nous ne les informons pas autant que nous le devrions. Je suis persuadé que s’ils en savaient plus, il y aurait moins d’appréhension dans le regard des gens lorsqu’ils voient un turban».

Parce que le problème est là. Quand on voit un turban, ce «signe ostentatoire», on voit l’inconnu. On voit quelque chose qu’on ne connaît pas, qu’on ne comprend pas. Et c’est bien connu, on a peur de l’inconnu. Alors on a peur du turban. Alors on a peur des sikhs. Alors, soudain, on ne veut plus de sikhs dans le service public. Escalade trop pentue et conclusions très rapides, pourrait-on dire. Peut-être qu’il est temps de leur poser la question, à eux, du coup. Le Délit a demandé à l’aumônier Manjit Singh pourquoi les sikhs portaient un turban, et voici la réponse qu’il a donnée: «dans notre religion, nous ne coupons pas nos cheveux. Alors même nous les hommes avons les cheveux très longs. Le turban est une meilleure manière de les protéger que de les laisser, détachés, comme des hippies! De plus, dans la tradition orientale, de la Turquie à l’Inde, il était de coutume qu’un homme porte un turban, de la même façon qu’il était usuel pour un Européen de porter un chapeau. Cela fait donc partie de notre tradition. C’est tout.» Gurnikki ajoute que certaines femmes aussi choisissent de porter le turban, si elles considèrent cela plus pratique ou plus esthétique. Si l’explication est on-ne-peut-plus rationnelle et presque étonnante par sa simplicité, Ishan Singh, de la VQ des sikhs, rappelle tout de même l’importance du turban pour les pratiquants: «le turban n’est pas seulement un symbole, c’est une partie intégrante de qui on est. Le turban contribue à notre identité, comme notre travail. [C’est pourquoi] nous forcer à l’enlever, c’est une exclusion absolue et totale, pour les sikhs [hommes comme femmes, ndlr], d’un grand nombre de postes.»

Une part du mystère vient d’être dévoilée. Mais il reste encore beaucoup à faire, afin de faire connaître le sikhisme à suffisamment de monde, et aux bonnes personnes, pour faire cesser toute sorte de discrimination. C’est le mandat de la VQ des sikhs, mais aussi de la SSA, qui organisera fin novembre une journée de nouage de turban (turban-tying day) sur le campus, afin de sensibiliser les étudiants à la religion sikhe. Peut-être que cela participera également à «casser le mythe», comme on dit.

Heureusement le tableau n’est pas tout noir pour les Sikhs du Québec. La Charte des Valeurs Québécoises reçoit un accueil plus que mitigé, surtout dans la communauté montréalaise, ce qui montre un soutien important des Québécois à la cause de personnes qui ne sont pas forcément de leur confession. Le même phénomène a lieu au sein de l’université, comme l’explique Gurdeepak Singh, un élève de quatrième année en ingénierie: «être sikh à McGill est certainement intéressant. Puisque nous sommes aussi peu, et car nous sommes confrontés à des étudiants de tellement de milieux différents, ça me fait réfléchir à pourquoi est-ce que je suis sikh, et ce que ça m’apporte.» Les brochures de McGill ne mentent pas toujours, alors: la diversité a du bon, pour le développement personnel. Tant que celle-ci n’est pas entravée par des lois qui l’écrasent.x

L’article Les Sikhs du Québec est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Tempête à la salle Redpath https://www.delitfrancais.com/2013/09/24/tempete-a-la-salle-redpath/ Tue, 24 Sep 2013 06:58:10 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=18503 Opéra McGill entame une nouvelle saison à coups de Shakespeare mis en chanson.

L’article Tempête à la salle Redpath est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Seulement trois semaines après la rentrée, Opéra McGill entame la saison 2013–2014 avec un spectacle à mi-chemin entre le théâtre et l’opéra. Samedi 21 septembre, à la Salle Redpath avait lieu la première représentation de l’année, intitulée «Sonnets et chansons: Sérénade Shakespeare». Patrick Hansen, directeur d’études d’opéra et metteur en scène du spectacle, décrit la performance comme «Un avant-goût  de l’année qui se prépare». On en a l’eau à la bouche.

Seize chanteurs d’opéra se sont succédés sur des airs tirés de pièces de William Shakespeare telles que La Tempête, La Nuit des Rois, Othello et Beaucoup de bruit pour rien. Alternant des chants lyriques caractéristiques du registre de l’opéra avec des sonnets que les artistes récitent avec passion, le spectacle jouit d’un dynamisme qui manque parfois à certaines œuvres classiques.

Le décor est sobre: seuls quelques objets – chaises, coussins, un bouquet de fleurs – entourent les artistes. D’ailleurs, l’élément principal du décor reste le piano, seul instrument du spectacle, qui accompagne pendant un peu plus d’une heure les chanteurs. Ce à quoi on assiste n’est pas tout à fait un opéra, dans le sens commun du terme, avec tout son caractère théâtral et son travail de scénographie. Cependant, à l’arrivée de la haute-contre, Collin Shay, qui ouvre le spectacle avec «Come unto these yellow sands», tiré de La Tempête, le spectateur comprend que si tout autour des chanteurs est aussi sobre, c’est sûrement pour les sublimer, pour les mettre en avant. Et on a du mal à leur en vouloir, tant on est captivé par les voix justes et puissantes des seize interprètes.

Pour l’occasion, ces chanteurs deviennent aussi acteurs. Interprétant des personnages qui ont été créés par la troupe elle-même, ils créent un lien entre les sonnets et les chansons. Par exemple, comme l’explique le metteur en scène, «notre haute-contre jouait un genre de Gatsby, qui organise des fêtes, il était l’hôte de la soirée. Russel Morris Wustenberg, le bariton, était comme une bénédiction de la fête. Nous avons beaucoup joué avec tout ça».

Au long de cet opéra qui n’en est pas vraiment un, on retrouve dans les sonnets et les chansons des thèmes chers à l’écriture de Shakespeare, tels que l’amour, la mort ou l’éternité. Oscillant entre le comique, avec des chansons comme «Sigh no more», et la tragédie, avec «Come away death», le spectateur se retrouve parfois un peu confus. Pour Mayra Smith Romero, une spectatrice étudiante de la Faculté des arts, «les transitions n’étaient pas forcément très claires, il était un peu difficile de suivre le déroulement de l’histoire. Mais les performances exceptionnelles des solistes compensaient largement ce manque».

Les spectateurs et les chanteurs s’accordent sur une chose, en tout cas: l’originalité du spectacle. C’était la première fois que Katrina Westin, la mezzo-soprano de la troupe, participait à un projet de ce genre. Et elle admet que ce format-là a permis de donner plus de vie aux chansons que les récitals habituels ne le permettent: «normalement, on chante, seul devant le piano, et c’est tout. Mais cette fois-ci, les sonnets et la mise en scène ont vraiment mis en lumière le sens de ce qu’on chante».

Les chansons étaient celles qu’on peut retrouver dans les récitals habituels. Mais Patrick Hansen les a choisies de façon à ce qu’elles construisent une histoire, entre elles, peu importe qu’elles viennent de pièces différentes. Les mélodies montent en puissance au fil du spectacle pour culminer, à la toute fin, à la «Sérénade à la Musique» de Vaughan Williams, dont le texte est tiré du Marchand de Venise.

En réalité, c’est cette composition, écrite pour seize chanteurs, qui a orienté le choix des précédentes et la taille de la troupe, avoue le metteur en scène. On ne peut que saluer son choix. Ce final, tant en émotion dans les solos qu’en puissance en chœur, laisse le spectateur bouche bée, et un peu sur sa faim. Opéra McGill a bien réussi son coup: les spectateurs sont ravis. Néanmoins, il faudra attendre les 21, 22, 23 et 24 novembre pour aller assister à leurs prochaines représentations, en collaboration avec l’orchestre baroque de McGill.

L’article Tempête à la salle Redpath est apparu en premier sur Le Délit.

]]>