Clementine Koening - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/clementine-koening/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 01 Oct 2013 07:04:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Emad et nous: la rentrée de Cinema Politica https://www.delitfrancais.com/2013/10/01/emad-et-nous-la-rentree-de-cinema-politica-2/ Tue, 01 Oct 2013 05:58:17 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=18585 Cinéma et politique, le mariage du siècle?

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Mercredi dernier, Cinema Politica faisait sa rentrée à McGill devant une salle pleine à craquer. Pour l’occasion, les organisateurs avaient choisi le documentaire israélo-palestinien Cinq Caméras Brisées. Le documentaire, prisé aux derniers Oscars, se forge autour des images qu’a filmées Emad Burnat sur ses caméscopes entre 2005 et 2008.

Le pop-corn sillonne entre les rangs, mais les regards sont captivés par le récit d’Emad. Cela pourrait être les images banales d’un père de famille tentant de  capturer sur pellicule les premiers pas de son fils, le regard de sa femme, la vie quotidienne de son village. Mais c’est bien plus: en 2005, le gouvernement israélien décide d’ériger une barrière en plein milieu du village palestinien d’Emad. Les habitants se retrouvent séparés de leurs champs d’oliviers, une des principales ressources économiques du village. La vie d’Emad et de ses amis est chamboulée: manifestations, arrestations, altercations violentes avec l’armée. Emad et ses amis, armés de pancartes, font face aux soldats israéliens, qui n’hésitent pas une seconde avant de lancer des grenades de gaz lacrymogène dans la foule.

C’est au cours de telles manifestations que les caméras d’Emad, visées par l’armée, se brisent une à une. On lui fait rapidement comprendre qu’une caméra, ici et maintenant, c’est dangereux. Alors les images brouillées, le son grésillant, deviennent le reflet du dialogue impossible entre Israël et la Palestine. À qui la faute? Emad ne revendique à aucun moment une quelconque haine contre Israël. En mettant les films des cinq caméras bout à bout, on recolle les morceaux. C’est un documentaire plein d’espoir que nous offre le réalisateur: le regard bourré de tendresse qu’Emad pose sur ses fils; ses conversations à mi-voix avec sa femme, qui tente de le dissuader de filmer les manifestations; l’admiration qu’il a pour ses amis. Il y a de l’humain dans les images d’Emad.

En septembre 2013, l’association fête ses 10 années d’existence. Cinema Politica a été inauguré à Montréal en 2003. Au fil des années, le succès du concept s’est propagé dans beaucoup de villes d’Amérique du Nord, en Europe, en Indonésie, en Australie et en Nouvelle-Zélande; la plupart des antennes sont basées dans des universités.

Le mot d’ordre de l’association: réflexion. Le but premier est d’offrir une alternative aux messages pré-mâchés des médias; inciter à la discussion; encourager des débats sur des thèmes nouveaux. C’est donc un regard jeune, curieux et volontaire que Cinema Politica pose sur le monde…et ça marche: Cinq Caméras Brisées a suscité une longue discussion, animée par l’équipe de l’association. On y a parlé de l’avenir des enfants d’Emad. On s’est demandé ce que nous, ici, on pouvait faire pour eux, là-bas. Un élève palestinien a expliqué sa vision des choses, et souligné l’importance d’avoir une multitude de points de vue avant de se faire une opinion. D’une certaine manière, c’est rassurant de voir que les étudiants de McGill ont quelque chose à dire.

La semaine prochaine, Cinema Politica se tourne vers l’art contemporain: on aura l’occasion de voir Faites le mur!, réalisé par le mystérieux artiste Banksy. Rendez-vous mercredi à 18 heures devant la salle ARTS 145.

 

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Entre fiction et réalité https://www.delitfrancais.com/2013/09/16/entre-fiction-et-realite/ Tue, 17 Sep 2013 03:49:41 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=18318 1Q84 - Volumes 1, 2, 3 de Haruki Murakami.

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Pour vous souvenir du nom de l’auteur, visualisez un mur, la première lettre de l’alphabet, une camisole. Pour vous souvenir de l’histoire, visualisez une autoroute, une professeure de sport tueuse en série et une secte dégénérée autodestructrice.

Chaque auteur a ses marques de fabrique. On reconnaît un Murakami à ses références au jazz, ses métaphores filées sur la Lune et son histoire d’amour toujours très compliquée. 1Q84 est un Murakami dans les règles de l’art. En 1984, deux trentenaires de Tokyo, Aomamé et Tengo, se retrouvent projetés contre leur gré dans une sorte d’univers parallèle : l’année 1Q84. Deux lunes flottent dans le ciel. Un pacte secret à forte tendance romantique est révélé. Un détective privé est à leurs trousses. Aomamé et Tengo parviendront-ils à s’échapper?

Au dos de chaque volume de 1Q84 figure un résumé incompréhensible : on y parle vaguement de thriller onirique, on mentionne le génie imaginatif de l’auteur et on vous lance des termes comme «clairvoyance hypnotique» au visage. Il semblerait que seuls les fans inconditionnels de Murakami aient le droit de se lancer dans l’épopée qu’est 1Q84. Ne craignez rien! C’est plus simple qu’il n’y paraît.

La critique que l’on fait le plus souvent à l’auteur japonais, traducteur de F. Scott Fitgerald et John Irving, est son obsession pour le fantasmagorique. Le fantastique. L’onirique. Cependant, Murakami parvient à manier ces thèmes avec précision et légèreté. La façon élégante dont il passe d’un univers à l’autre, de la troisième à la première personne, relève d’une grande sagesse quant au chaos des relations humaines. Murakami passe des états d’âme de l’un à la sagacité vicieuse de l’autre sans broncher. C’est une étude ambitieuse que nous livre l’auteur, sur les limites du désir humain, ses failles, sa profondeur. On aimerait parler de poésie, on réalise plutôt la dureté du regard de l’autre. On s’attend à du rêve, et l’on se retrouve projeté dans une réalité sans issue.

Le rapprochement avec le 1984 de George Orwell est inévitable. Publié en 1949, on a tendance à oublier que ce classique a été écrit en…1948. Pour transformer la réalité en fiction, Orwell a tout simplement inversé les deux derniers chiffres de l’année dans son titre. Ainsi, le roman glace le sang de par sa clairvoyance presque sadique tout en prenant le parti de la fiction. Où se situe l’œuvre de Murakami par rapport à celle d’Orwell? Dans l’idée d’utiliser la science-fiction pour parler de sentiments bien réels.

Les écrivains japonais semblent friands de ce genre d’histoire qui vient vous rappeler avec douceur la violence de votre propre solitude. Les thèmes qu’explore ici Murakami ne sont pas étrangers au roman de Chiya Fujino, Route 225 (2003). Dans ce dernier, du jour au lendemain, un frère et une sœur se retrouvent dans un univers imperceptiblement différent ; seuls au monde, ils réalisent à quel point leur existence est liée à celles des autres. Malgré la part de fantastique, c’est l’universalité des thèmes qui font de ce roman, et de 1Q84, des claques en pleine figure.

Dans une de ses rares interviews, l’écrivain américain J. D. Salinger a décrit «le livre parfait» comme celui que l’on referme en se disant : «Wahoo. Cet auteur a vraiment l’air d’un type génial». En refermant le troisième volume de 1Q84, on meurt d’envie de rencontrer Murakami pour discuter de sa vision de la vie. L’auteur, si l’on en juge par son best-seller, a vraiment l’air d’un type génial.

 

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