Eloïse Schlachet, Annika Pavlin-Jamal - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/e-schlachet/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 26 Nov 2024 21:28:36 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Ententes pour la francophonie https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/ententes-pour-la-francophonie/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56667 Les frais réduits au Québec trahissent-ils un désir de ne sélectionner que les « bons » francophones?

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Peuplé de huit millions de francophones, le Québec se présente aujourd’hui comme le bastion de la francophonie en Amérique du Nord, notamment à travers ses politiques de promotion du patrimoine linguistique. Cultivant son image de province accueillante, le Québec offre une tarification préférentielle pour les études supérieures aux francophones, mais seulement aux étudiants originaires de France et de la communauté francophone de Belgique.

Au cours des cinq dernières années, 865 millions de dollars (soit en moyenne 173 millions de dollars par an) ont été alloués aux étudiants français inscrits dans les universités et cégeps du Québec sous forme de subventions. Ces fonds permettent aux étudiants de premier cycle de payer des frais de scolarité environ deux fois moins élevés que ceux imposés aux autres étudiants internationaux, et même inférieurs à ceux des Canadiens non-résidents du Québec, en raison des récentes augmentations tarifaires les visant. Pour les cycles supérieurs, l’écart est encore plus marqué : lorsqu’ils sont inscrits en maîtrise ou au doctorat, les étudiants français et belges paient les mêmes frais que les résidents québécois, un privilège qui n’est pas même accordé aux Canadiens nonrésidents du Québec.

Cet effort financier a indéniablement fait croître la présence d’étudiants français et belges — et par extension, celle de la francophonie — dans les institutions universitaires québécoises, les intégrant comme des partenaires clés du projet linguistique de la province. Cependant, il soulève des questions sur l’inclusion, l’équité ou encore le sentiment d’appartenance qu’il induit. Qui peut vraiment se sentir chez soi au Québec? Et que révèle cette générosité sélective sur la vision québécoise de la francophonie?

Vers une francophonie à tout prix

Au Québec, les frais de scolarité dépassent la question financière : ils dessinent une frontière nette entre ceux auxquels on permet de s’intégrer et ceux qui sont forcés à rester en marge. Les résidents du Québec, qui bénéficient des tarifs les plus bas, incarnent le cœur battant de la province. Les Canadiens non résidents deviennent quant à eux déjà des « presque-étrangers » en étant sommés de payer des frais deux fois plus élevés que les résidents de la province. L’addition reste considérablement inférieure à celle imposée aux étudiants internationaux, qui se voient ainsi relégués au statut d’appartenance le plus limité.

Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

La préférence tarifaire accordée aux étudiants français et belges, au-delà de constituer une anomalie chez les étudiants internationaux, agit comme un rapprochement symbolique avec les résidents québécois. Elle les invite à se sentir chez eux, à la différence des autres étudiants francophones et des Canadiens originaires d’autres provinces. En favorisant des étrangers plutôt que leurs concitoyens anglophones ou francophones d’ailleurs au Canada, le projet de la francophonie du Québec réaffirme une distinction identitaire qui transcende alors le cadre national et valorise davantage le partage de la langue que celui de la nationalité.

Ce projet de retrouvailles et d’accueil par l’idiome répond toutefois à une logique sélective qui privilégie certaines nations, plutôt que de faire du Québec un espace universel de connexion pour les francophones des quatre coins du monde. Ainsi, les étudiants français et belges, issus de pays plus riches et dotés d’institutions académiques prestigieuses, bénéficient d’un accueil chaleureux dans les établissements universitaires, qui deviennent le lieu tangible de leurs privilèges et de leur appartenance. Les étudiants francophones d’Afrique et du Moyen-Orient, malgré leur contribution à la vitalité de la langue française, se heurtent quant à eux à des barrières économiques et symboliques qui les marginalisent dans ce projet de francophonie à deux vitesses.

Une francophonie conditionnelle : entre privilège et exclusion

Ces politiques soulèvent des interrogations légitimes quant à la hiérarchie culturelle implicite qu’elles révèlent. Les nations perçues comme « compatibles » — riches, blanches et européennes — sont favorisées au détriment des pays du Sud. Bien qu’il existe des accords avec des États comme la Tunisie, Djibouti et la République démocratique du Congo, où le français est parlé respectivement par 52,47%, 50% et 51,37% de la population, ces partenariats restent largement symboliques. Ils profitent seulement à une poignée d’étudiants — souvent moins d’une douzaine par pays chaque année. En comparaison, des milliers d’étudiants français et belges bénéficient de ces ententes à la seule échelle de McGill.

Ce déséquilibre entre les nations du Nord et du Sud n’est pas anodin. Il reflète une logique utilitariste dont les accords sont conclus exclusivement avec des nations présentant des intérêts économiques stratégiques pour le Québec. En faisant de la maîtrise du français un critère d’immigration, ces politiques sélectionnent une population étudiante alignée avec ces mêmes intérêts. Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

L’exemple de l’entente avec la Belgique, qui ne repose pas sur un lien historique particulier avec le Québec, illustre bien ce privilège accordé aux pays du Nord et la dissonance du projet québécois. Paradoxalement, des pays culturellement proches comme la Suisse et le Luxembourg, où le français est parlé par 67,13% et 91,99% de la population, sont exclus de ces tarifs préférentiels. Si cette situation diffère des logiques néocoloniales qui excluent les nations africaines, elle met néanmoins en lumière une politique de « minimum convenable », où certains pays francophones sont négligés faute d’intérêts économiques immédiats.

Ces tendances révèlent une absence de vision idéologique forte autour de la langue française dans les politiques québécoises. Au lieu de devenir une force unificatrice, la francophonie au Québec semble s’enfermer dans un projet utilitariste dicté par des alliances à court terme, et éloigné des idéaux d’universalité et de fraternité historiquement liés à la langue française.

Étendre le sentiment de chez-soi

Si le Québec aspire véritablement à protéger et promouvoir son patrimoine francophone, il devra repenser son approche qui, dans sa forme actuelle, perpétue des exclusions. L’élargissement de la tarification préférentielle à l’ensemble des nations francophones renforcerait un sentiment d’appartenance universel, tout en répondant aux idéaux de solidarité linguistique. Cela offrirait également de nouvelles perspectives académiques et culturelles pour la francophonie, au moyen de mesures alignées sur les objectifs économiques et diplomatiques de la province.

Une politique véritablement inclusive permettrait au Québec de s’affirmer comme un acteur clé de la justice culturelle et linguistique. En s’inspirant de l’homoglosson d’Hérodote, qui définit l’appartenance par la langue partagée plutôt que par l’origine, le Québec pourrait repenser la francophonie comme un espace véritablement ouvert et inclusif. Elle cesserait d’être un cercle exclusif pour devenir un lieu d’échanges, où chaque francophone pourrait se sentir pleinement « chez lui ».

Pour concrétiser cette vision, le Québec doit élargir ses politiques préférentielles afin d’inclure tous les francophones, transformant ainsi la langue française en une véritable force unificatrice. Il renforcerait alors son rôle de foyer pour une francophonie mondiale, où chaque individu, quelle que soit son origine, serait reconnu et valorisé comme membre d’une communauté vraiment inclusive.

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Liberté et affects https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/liberte-et-affects/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56337 Viser plus haut que la démocratie libérale.

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« Lorsque le peuple vote, le peuple gagne. » Ces mots résonnent depuis plusieurs mois dans le paysage politique à travers le monde, alors que le populisme prospère sur le terreau d’une fracture sociale toujours plus béante. Les crises économiques, la peur et la xénophobie définissent maintenant notre conjoncture, transformant le débat démocratique en une scène de division et de désillusion. Si ces slogans sont souvent plus opportunistes que sincères, ce qui importe est de comprendre si le choix représente un aspect concret et pertinent de nos démocraties — ou si les conditions le transforment en illusion. Autrement dit, le vote confère-t-il une puissance d’agir, au sens spinoziste, à l’électeur? Ou bien le jeu politique est-il arrangé d’avance, fonctionnant au moyen et bénéficiant de cette illusion de choix qu’il confère aux citoyens?

La liberté contrainte du vote

Témoin des idéaux révolutionnaires, le vote symbolise aujourd’hui la liberté individuelle et la souveraineté collective au cœur de nos démocraties libérales. Autrefois perçue comme antagoniste à l’idée républicaine, la démocratie a trouvé sa place en adoptant la représentativité, un système où l’électeur cède sa souveraineté en vertu d’un « choix » qui, selon Francis Fukuyama, marque la « fin de l’Histoire » – l’idée qu’il n’existerait aucun système politique plus abouti que la démocratie libérale.

L’électeur, qui est cependant tenu entre le libre arbitre et les déterminismes d’un système aux structures rigides, est-il véritablement en mesure d’agir selon son essence? Spinoza nous rappelle que la liberté ne réside pas dans le simple fait de choisir, mais dans la capacité à exprimer sa propre nature, à affirmer une « puissance d’agir ». En politique, cela impliquerait que le vote confère à l’électeur une autonomie réelle, un pouvoir de décision ancré dans l’expression de soi, et non une imitation de la liberté. La réalité des démocraties représentatives cantonne néanmoins ce « choix » par des forces qui échappent au contrôle du citoyen. Celui-ci est contraint d’adhérer à un système façonné par les élites politiques et économiques, les médias et les structures institutionnelles, au nom d’un contrat social informel et contraignant. Plutôt que d’incarner une force libre, l’électeur semble réduit à une position de spectateur, invité à valider des options déterminées en amont. Dans ce cadre, le vote devient l’instrument d’une souveraineté d’apparence, qui maintient la population dans une impression de contrôle tout en limitant sa capacité d’action.

Une société des affects : illusion de choix

Ce qui se joue en politique dépasse toutefois les simples institutions : il s’agit de gouverner les affects, ces forces intimes qui unissent et dirigent les individus. Frédéric Lordon, s’inspirant de Spinoza, décrit cette « société des affects » dans laquelle des émotions collectives comme la peur, le besoin d’appartenance, ou la colère deviennent des leviers de contrôle redoutablement efficaces, à l’image du maccarthysme américain des années 50 (ou la « Peur du Rouge »), ou de la montée du nazisme dans l’Allemagne des années 30 (notamment par la propagande orchestrée par Joseph Goebbels). La démocratie libérale, loin de favoriser un choix éclairé, repose en grande partie sur ces affects afin de structurer la puissance d’agir des citoyens, leur donnant l’illusion d’une liberté qui leur appartient — en apparence seulement.

« S’ils souhaitent être élus, les deux candidats doivent composer avec les préoccupations des électeurs des états pivots, dont le choix va déterminer le résultat des élections »

Pour Spinoza, le pouvoir politique est en réalité une projection imaginaire des puissances individuelles, transférées au collectif. Ainsi, l’État, loin d’être une entité indépendante, existe comme un canal où s’expriment les affects et désirs individuels. Mais dans cette société des affects, le transfert de puissance, qui pourrait être présumé émancipateur, devient un instrument de stabilisation. Ces émotions – crainte, espoir, désir de sécurité – sont dirigées non pas pour encourager une véritable autonomie des citoyens, mais pour les lier à des choix déjà définis à l’avance.

Dans ce cadre, le choix politique n’est plus une expression véritable de liberté, mais une réponse conditionnée aux affects orchestrés. En s’ancrant dans un quotidien rythmé par des émotions entretenues, l’électeur se trouve captif de ces affects, réagissant aux options qui lui sont offertes. Loin de renforcer son indépendance, cet encadrement affectif le confine à des choix affectivement déterminés, qui ne font que reconduire le statu quo, entretenant l’illusion d’un ordre naturel et incontestable.

Une illusion orchestrée par les médias

Quant aux médias, loin de se limiter à une mission de dissémination de l’information, ils tracent les récits politiques, définissant les contours de ce qui semble acceptable. Pierre Bourdieu, dans Sur la télévision (1966), révèle la manière dont les médias imposent, selon des normes établies, une sélection de figures et d’idées « éligibles », un cadre préconstruit qui se présente comme naturel. Noam Chomsky et Edward Herman, dans La Fabrication du Consentement (1988), vont plus loin, soulignant que ce cadre répond avant tout aux intérêts économiques dominants. Les médias, disent-ils, fabriquent un « consentement » qui ressemble davantage à une adhésion imposée qu’à un choix véritable, offrant aux citoyens une liberté illusoire où le filtrage des options précède même la réflexion individuelle.

Les crises climatiques, sanitaires ou économiques contribuent également à restreindre cet espace de débat, créant un sentiment d’urgence qui justifie des prises de décisions accélérées. Dans cette précipitation, les électeurs se voient offrir des solutions immédiates qui servent à redorer les images politiques plus qu’à créer des avancées durables. Cette dynamique accentue la dépendance des citoyens envers des figures populistes qui capitalisent sur une angoisse dont elles sont souvent les instigatrices, renforçant ainsi l’illusion d’un choix dans le même temps où se resserre l’éventail de possibilités.

Réponse populaire : s’élever au-delà des contraintes

Là où la démocratie représentative porte en elle le paradoxe d’une liberté qu’elle entend garantir mais limite, il revient au citoyen de répondre à cet idéal de liberté sans en trahir l’essence. La véritable puissance d’agir consiste à comprendre les contraintes qui pèsent sur nos vies pour mieux les surmonter, et elle exprime ainsi sa beauté par son potentiel libérateur : en apprenant où se situent les frontières de notre liberté, nous nous donnons les moyens de les étendre. La connaissance des forces qui nous déterminent n’est pas une abdication, mais au contraire, une affirmation.

Ainsi, je crois que s’éprendre de la liberté et de la démocratie nous incombe de ne jamais cesser de lutter pour la connaissance et pour l’évaluation perpétuelle des institutions au sein desquelles s’exerce notre liberté. N’oublions pas ce qu’Aldous Huxley, mentor de Georges Orwell, nous enseignait à ce sujet dans Le Meilleur des Mondes (1932) : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »

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Incendie de batteries au lithium au port de Montréal https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/incendie-de-batteries-au-lithium-au-port-de-montreal/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56098 Gestion des batteries au lithium : quels défis ?

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Le lundi 24 septembre 2024, aux alentours de 14h30, un incendie s’est déclaré au port de Montréal, touchant un conteneur d’environ 15 000 kilos de piles au lithium. Les flammes ont été maîtrisées et éteintes au cours de la journée du mardi. Communiquée par un appel au 911, l’information a mené à la sécurisation du périmètre s’étendant entre la rue Vimont, la rue Hochelaga, l’avenue Haig et le fleuve Saint-Laurent. Les habitants ont reçu la consigne de ne pas quitter leur domicile, de couper les systèmes de ventilation, et de fermer portes et fenêtres pour éviter une exposition à des fumées toxiques. Florence, une résidente du quartier de Hochelaga et étudiante montréalaise de 22 ans, témoigne : « J’ai été notifiée des consignes directement par une alerte sur mon cellulaire. C’était surprenant de voir qu’on n’est jamais à l’abri des accidents, peu importe où on vit. »

Bien qu’un pompier ait été transporté aux urgences pour une blessure au genou, l’incendie n’a compromis la santé physique d’aucune autre personne. Le Service de sécurité incendie de la Ville de Montréal (SIM) a assuré qu’il n’y avait pas de danger immédiat concernant la qualité de l’air, bien que certains riverains aient ressenti des picotements à la gorge ou aux yeux. Cet incident met en lumière les défis multiples posés par le marché des batteries au lithium, qui connaît une demande croissante avec l’essor des technologies dites « propres ». Il soulève des questions sur la gestion de ces batteries, particulièrement dans des lieux de transit comme les ports, où cette demande accrue augmente le risque d’accidents. Une enquête est en cours au port de Montréal pour déterminer les causes précises de cet incendie.

Multiplication des risques

Avec 80% d’utilisation exclusive à la conception de batteries, le lithium-ion est essentiel pour assembler des appareils électroniques (téléphones cellulaires, ordinateurs portables…) mais aussi des véhicules électriques et des systèmes de stockage d’énergie. La production mondiale a de ce fait connu un essor important au cours des dernières années. Au Canada, l’exploitation de ce métal, qui avait été limitée de 2014 à 2020 en raison de difficultés financières, a repris de plus belle en 2021 avec la croissance exponentielle générée par le marché des véhicules électriques. Elon Musk désignait à ce titre les batteries au lithium comme le « nouveau pétrole ». Avec environ 3,2 millions de tonnes de réserve d’oxyde de lithium, le Canada, dont les mines principales se situent au Québec, près de Val‑d’Or, et au Manitoba, dispose d’atouts qui lui permettront de se positionner comme un acteur clé sur le marché florissant de celui qu’on appelle « l’or blanc de l’économie verte ». Ces dernières années, le lithium est en effet devenu un matériau indispensable au déploiement d’alternatives aux voitures thermiques.

L’exploitation du lithium n’est pas exempte de risques. C’est un métal très réactif qui présente des dangers, et ce de manière accrue lorsqu’il est mal entreposé ou transporté. Lors de son utilisation dans une batterie, les ions de lithium se déplacent entre les électrodes, générant un courant électrique. Le danger survient lorsqu’une cellule entre en « emballement thermique », une réaction en chaîne au cours de laquelle la chaleur se développe extrêmement rapidement : une surcharge ou un défaut de fabrication sont autant de raisons qui peuvent engendrer ce phénomène. La moindre surchauffe ou défaillance interne peut ainsi entraîner une fuite thermique et provoquer un incendie, comme celui survenu au port de Montréal. La demande croissante amplifie de facto le risque d’accidents générés par l’utilisation de ce métal.

Incertitudes sur la sécurité des batteries

L’incident au port de Montréal n’est malheureusement pas un événement isolé. A moins de 600 km de là, la ville de New York a recensé 21 décès liés à des incendies de batteries au lithium entre les années 2021 et 2023, et plus d’une centaine d’accidents similaires durant cette seule année. Malgré les risques connus, les entreprises exploitantes subissent une pression du marché qui les incite à ajouter de l’énergie aux batteries, au risque de repousser les limites de sécurité. Les batteries produites pour les vélos électriques contiennent par exemple bien plus d’énergie que celles des téléphones cellulaires, ce qui les rend de fait particulièrement destructrices en cas d’incendie. À cela s’ajoutent des mauvaises conditions de stockage, l’absence de protocoles adaptés ou le vieillissement des batteries qui sont autant de facteurs qui aggravent l’incidence des incendies initiés par des batteries au lithium.

Si la récente reprise de l’exploitation du lithium au canada a renforcé son rôle stratégique dans la transition environnementale du pays, elle s’accompagne aussi d’enjeux de taille pour assurer la sécurité tout au long du cycle de vie des batteries (de la production à l’élimination). Dans ce cadre, l’incendie au port de Montréal ne s’inscrit que dans la continuité de la croissance du marché du lithium, et rappelle aux autorités l’urgence de revoir les normes et protocoles encadrant la manipulation des batteries. En d’autres termes, il s’agit d’investir davantage dans l’adaptation des infrastructures et l’implémentation des réglementations afin de prévenir de futurs accidents.

Lithion Technologies : recyclage innovant au Québec

Face à cette problématique, la province du Québec finance à hauteur de 2 millions de dollars l’entreprise Lithion Technologies. Celle-ci s’est donnée pour mission de créer la circularité des matériaux stratégiques au Québec et dans le monde. À travers sa filiale Recyclage Lithion, l’entreprise québécoise use d’un procédé innovant permettant de recycler les batteries au lithium et d’en récupérer 95 % des composants en produits de haute pureté (lithium, nickel, cobalt, manganèse, graphite). Ils sont ensuite utilisés pour fabriquer de nouvelles batteries aux ions de lithium.

Ouverte à Saint-Bruno en 2023, la première usine commerciale de Recyclage Lithion permet la réalisation de ce plan d’économie circulaire : elle assure le traitement mécanique des batteries, tandis qu’une seconde usine (ouverture prévue pour 2026) effectue le processus chimique de purification des métaux. Elle a également vocation à devenir un centre de formation et d’observation pour les futurs entrepreneurs dans le domaine du recyclage des batteries. L’entreprise prévoit le développement de 25 usines d’ici 2035, et des partenariats avec la Corée du Sud, les États-Unis et l’Europe sont déjà en cours.

L’incendie qui a pris place au port de Montréal lundi dernier nous rappelle les défis présents sur la route vers la transition énergétique. Si les technologies se développent rapidement, la politique doit aussi encadrer ces avancées, afin de s’assurer qu’elles ne nuisent pas à la sécurité et à l’environnement.

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