Habib Hassoun - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/habib-hassoun/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 25 Mar 2014 06:34:33 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Avec sensibilité et envergure https://www.delitfrancais.com/2014/03/25/avec-sensibilite-et-envergure/ Tue, 25 Mar 2014 06:34:33 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=20601 Le Festival International du Film sur l’Art nous plonge dans des images poétiques reflétant la mutation des arts actuels.

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Pour sa 32e édition, le Festival International du Film sur l’Art, dit le FIFA, s’étend sur dix jours, fort riches de la programmation de 270 titres, autant d’ici que tirés d’un peu partout sur le globe.

Depuis sa création par René Rozon, le Festival fait du film sur l’art un genre en soi; ainsi il couvre tous les médiums artistiques, l’architecture, la littérature, le monde muséal, la musique populaire, baroque, l’opéra, la sculpture, la bande dessinée, le cinéma, la peinture, la mode, le design, le marché de l’art. Il présente aussi des films sur des lieux, des événements ou des phénomènes d’avant-gardes ou encore des classiques toujours essentiels à se remémorer.

D’innombrables et d’infinies projections, qu’on voudrait toutes voir, mais le temps est tel qu’il faut choisir. Tentons de démêler cette généreuse programmation.

Dans le genre littéraire, notons la projection du premier documentaire sur la vie controversée de William Burroughs par Howard Brookner, en 1983; dans la même veine, un film traçant l’amitié ponctuée de mots, de routes et d’alcool des trois grands de la Beat Generation – Jack Kerouac, Allen Ginsberg & William Burroughs comme dans un retour aux origines du mouvement littéraire.

Parmi les personnalités inspirantes dont la vie, l’esthétique, le processus de création et même la mort sont mis à nu, Picasso, l’inventaire d’une vie porte sur les trois années qui ont suivi la mort du maître et l’inventaire de ses 50 000 œuvres. Autres images, autre époque: Jimi Hendrix – Hear my Train a Comin’, présente deux heures d’images inédites prises par le musicien et le batteur Mitch Mitchell lors de leurs derniers concerts en 1968 et 1970.

Le Cri d’Armand Vaillancourt, de Jacques Bouffard, est un portrait audacieux du peintre, sculpteur et figure sociale qui s’immisce dans le beau rapport entre la création, l’œuvre d’art et l’engagement politique dans sa vie. Parmi d’autres événements spéciaux, notons la création d’une série de documentaires BD QC, sur trois bédéistes québécois dont la réputation n’est plus à faire: Michel Rabagliati, Jean-Paul Eid et Thierry Labrosse. Denis Blaquière consacre un documentaire à chacun des bédéistes où les thèmes, l’inspiration, le travail quotidien, les réussites et les désenchantements du monde des bulles sont démystifiés.

The New Rijksmuseum 3 et 4, de Oeke Hoogendijk, qui porte sur les dix ans de rénovation du plus célèbre musée des Pays-Bas et de ses riches collections d’arts classiques et modernes et Zaha Hadid: Who Dares Wins, sur les édifices futuristes et surréels du prix Nobel de l’architecture, sont deux documentaires parmi les plus fascinants dans le domaine. Ils illustrent fidèlement l’étendue esthétique et historique sur laquelle se penche le festival, allant du plus traditionnel au plus avant-gardiste.

Un titre de grande envergure que présente le FIFA est sans doute Google and the World Brain, de Ben Lewis, acclamé au festival de Sundance. Le documentaire relate la mégalomanie du moteur de recherche et son entreprise de regrouper dans une bibliothèque unique tout le savoir du monde. Le documentaire se penche sur les problèmes et difficultés juridiques que rencontre Google quant aux droits d’auteur en rapport avec l’édition et la numérisation du livre.

Le FIFA célèbre les communautés artistiques dans tous ses angles, sous toutes ses déclinaisons; il offre surtout un moyen d’apprendre et de découvrir les belles obsessions de l’art qui nous sont contemporaines.

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Jocaste, dans l’ombre d’Oedipe https://www.delitfrancais.com/2011/03/08/jocaste-dans-l%e2%80%99ombre-d%e2%80%99oedipe/ Tue, 08 Mar 2011 13:29:46 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=6907 Mariana Percovich promeut la tragédie au féminin singulier.

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Emprunter à Sophocle n’est pas chose facile. Mariana Percovich lui emprunte son Œdipe roi et en fait une Jocaste. La réécriture exclut tous les personnages: Laïos, Polybe, Apollon, le chœur ou encore le Sphinx, et n’en garde qu’un seul, une femme: Jocaste.

La tragédie antique est une œuvre doublement collective: elle s’organise autour d’une communauté subissant les lois de la fiction; et elle est présentée en compétition devant un large public, lors des célébrations de Dionysos (dieu du théâtre et de la tragédie), un public auquel le chœur, dans l’œuvre de Sophocle, fait écho.

Percovich met à bas le collectif et mise sur une réécriture de l’individu féminin seul. Le récit-monologue est constitué de cinq ou six tableaux s’ouvrant sur l’enfance de Jocaste et se terminant sur son suicide. Ces scènes sont séparées par des titres qui en énoncent clairement le sujet.

François-Régis Fournie

La mise en scène emprunte certains de ses effets sonores et visuels au spectacle, voire au cinéma: par exemple, l’emploi de projections, de microphones, de jeux de lumière et de musique.

La Jocaste de Percovich est infidèle à l’esprit de la tragédie; elle empêche le mouvement de catharsis dans sa narration didactique et dans les choix de mise en scène souvent peu retenus au théâtre.

Or, cette version du célèbre mythe n’empêche en rien le plaisir du théâtre; le jeu de Julie Vincent est maîtrisé, fortement et richement symbolique. Vincent trompe, émeut, rend inconfortable, mais toujours de sang chaud. Un élément fort de la représentation: le malaise réel, humain, qui traverse tout le moment, ce frisson de terreur et de pitié que les tragédiens savent transmettre.

Julie Vincent porte en elle, dans son corps et dans sa lignée –pour emprunter à la tragédie l’allégorie du funeste destin– la finesse parfaite de la métamorphose tragique; de l’envolée des nuits d’amour au suicide final, tout en une heure.

Le texte de Percovich est précis, assonancé et sans artifice: sa concision révèle l’issue inévitablement funeste du récit. Longtemps restée dans l’ombre d’Œdipe, Jocaste est mise à nu dans son statut de mère, d’amante et d’épouse; ce sur quoi l’écriture mise est sa fragilité et sa dissolution finale. Dans ses différentes articulations, Jocaste est une femme épuisée, obsédée, toujours amoureuse.

La force du texte demeure dans sa position à dévoiler, à rendre vrai dans la matérialité crue du théâtre, les émotions brutes de l’âme humaine, de l’âme féminine. D’ailleurs, qu’en est-il justement de cette écriture «féminine», terme (et concept) à prendre avec considération et subtilité? La Jocaste de Percovich est terriblement, tragiquement féminine, c’est-à-dire que son discours fait abstraction du destin d’Œdipe et de celui de Laïos, et renvoie ainsi à une Phèdre ou à une Athalie de Racine, où l’amour et la mort, parce que c’est essentiellement de ça qu’il s’agit, sont montrés à travers l’œil, et la plume, d’une femme.

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De la xénophobie sur scène https://www.delitfrancais.com/2011/03/08/de-la-xenophobie-sur-scene/ Tue, 08 Mar 2011 13:23:49 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=6911 Greg MacArthur offre dans Toxique une pièce à sauts et à gambades.

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Le récit: une mère prend l’autobus du centre-ville un samedi matin; le nombre de passagers est minimal; un supposé terroriste d’origine indienne ou pakistanaise contamine l’air d’une substance toxique mystérieuse. Toute la diégèse est ficelée autour de la paranoïa que la mère (Élise Guilbault) développe quant à une maladie qui se révèle psychosomatique, voire fantasmée.

S’ajoutent à ce squelette, un mari et un père (Guy Nadon) malhabile, tourmenté et faible face à la grandeur apparente et à la complexité continue des événements, un fils dans la vingtaine obsédé par son amour pour la télé et le succès social, une fille d’âge semblable tourmentée par la pauvreté en Afrique et l’aide humanitaire; enfin trois autres personnages: une médecin insensible, un enquêteur stoïque et un dernier personnage, une survivante ridicule de l’accident –encore faut-il que ce soit un incident!

Valérie Remise

La mise en scène de Geoffry Gaquère opte pour des moyens de haute technologie visuelle: de la fumée assombrissant certaines scènes, un toit-écran se transformant d’après les moments de la représentation, un décor futuriste; tout pour rappeler certains romans d’aventures ou d’espionnage écrits au milieu du siècle dernier et fantasmant les années 2000.

Le discours de la pièce est donc multiple: la xénophobie que les parents développeront envers les peuples des «autres races», l’obsession de la jeunesse pour le glamour, la sensibilité nouvelle pour les pays pauvres, la médecine devenue dénouée d’humanité, etc.

Porté peut-être par une trop grande ambition narrative, ou idéologique, le texte de MacArthur, traduit par Maryse Warda est lourd et sans approfondissement. Le discours théâtral est éparpillé et regorge de clichés: de la xénophobie naissante envers l’Orient, à la sensibilité répandue des jeunes occidentaux quant à la pauvreté mondiale (sensibilité qui d’ailleurs demeure superficielle puisqu’elle répond d’abord, et surtout, à une recherche identitaire individuelle) en passant par la dépossession et l’impuissance des maris et pères d’aujourd’hui. La pièce critique aussi la classe policière et son manque d’humanité ainsi que le monde médical et son mauvais rapport aux patients.

Le texte est lourd et le jeu des personnages ne réussit malheureusement pas à le rendre profond: un des plus grands comédiens du Québec, Guy Nadon, est épuisant et certains de ses déplacements –bien sûr voulant illustrer ses propres préoccupations– tournent hélas au ridicule! Sans parler des autres personnages dont le jeu demeure douteux: certains dialogues portés d’une façon trop mièvre ou trop dramatique, dans le cri notamment, sont fâcheusement téléromanesques.

La présence d’Élise Guilbault, sa maîtrise du jeu théâtral, sa force à jouer la mort psychologique et physique sauve un peu la pièce et nous aide à passer outre ces quasi deux heures de confusion dramatique et de tumulte imaginaire.

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Le ventre de la musique https://www.delitfrancais.com/2011/03/01/le-ventre-de-la-musique/ Tue, 01 Mar 2011 21:20:58 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=6632 Jouer de la viole, c’est étreindre le plus ancien résonateur. Tirer le son d’un grand ventre. Un grand sac de peau devenu caisse de bois.

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Pascal Quignard écrit dans La Leçon de musique (1987) à propos de la viole. Or, ses propos dépassent largement, bellement, le seul instrument de la viole; il écrit à propos de ce rapport complexe, profond et amoureux du violiste et de la viole, du musicien et de l’instrument, de l’écouteur et de la musique.

La corporalité de l’instrument, devenu ce «grand ventre», ce «grand sac de peau», est antique; déjà Roland sonnait de son cor d’ivoire jusqu’au dernier souffle, par survie, par manque. Cet acte était le dernier pour raviver les troupes, la vie.

Pierre Charbonneau

Et c’est bien dans cette approche de survie que l’ensemble Arion Orchestre Baroque est né, en 1981, sous l’égide de quatre jeunes finissants de l’École de musique de McGill (Claire Guimond, Chantal Rémillard, Betsy MacMillan et Hank Knox). Spécialisé dès ses débuts dans la musique des XVIIe et XVIIIe siècles, dite baroque, Arion est passé de quatre musiciens à une dizaine (le nombre demeure changeant selon les concerts) aujourd’hui, ainsi que vingt-cinq titres en formation de chambre ou d’orchestre.

Fort prolifique de sa programmation, donnant environ deux séries de concerts tous les mois, Arion Orchestre Baroque donnera à la salle Redpath de notre université les 11, 12 et 13 mars un concert intitulé Le Sanguin et le Mélancolique, d’après la pièce du même nom de Carl Philipp Emanuel Bach, le second des fils du célèbre compositeur.

Philippe Gervais, spécialiste de musique baroque, écrit dans sa présentation pour le concert: «Emanuel Bach, dont l’œuvre témoigne souvent d’une sensibilité à fleur de peau, fut un véritable précurseur du romantisme.» Il poursuit: «Le compositeur s’efforce aussi d’être au goût du jour en publiant des œuvres faciles, dans le style galant.» Ainsi, manipulant tantôt l’invention, tantôt l’imitation, parfois les deux ensemble dans un jeu habile et sérieux de renversement et de continuité, Carl Philipp demeure un homme des Lumières sensible aux changements de son époque.

Selon Philippe Gervais, Sanguineus und Melancholicus W.161/1 est «une véritable scène de théâtre où s’affrontent deux tempéraments opposés, le sanguin et le mélancolique». Ce dialogue, qui rappelle le dialogue d’Héraclite et de Démocrite, est courant à l’époque baroque et ouvre le concert. La Symphonie en si bémol majeur W. 182/2, le Concerto pour flûte en sol majeur W. 169 et le Quatuor pour clavecin (ou pianoforte), flûte et alto W.93 constituent la totalité du concert.

Carl Philipp écrivait que le «musicien ne saurait émouvoir sans être lui-même ému». Il réside dans cette affirmation le caractère complexe et amoureux de ce qui est essentiel en musique,  «cette quête sans terme au fond de soi d’une voix perdue, d’une tonalité perdue, d’une tonique perdue», écrit Pascal Quignard, qui prend germe dans tous les ventres du monde.

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Iñárritu et le cinéma de la cruauté https://www.delitfrancais.com/2011/03/01/inarritu-et-le-cinema-de-la-cruaute/ Tue, 01 Mar 2011 21:19:30 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=6646 Dans Biutiful, Iñárritu réunit d’une main de maître les douleurs du monde.

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Sorti dans les salles de cinéma après sa nomination pour l’Oscar du meilleur acteur pour Javier Bardem et pour le Meilleur film étranger, Biutiful est réalisé par Alejandro González Iñárritu, à qui l’on doit également la célèbre trilogie Amores perros (2000), 21 Grams (2003) et Babel (2006).

Biutiful est un drame familial retraçant la destinée impossible de deux jeunes enfants, d’un père cancéreux aux mille occupations et d’une mère prostituée, alcoolique et maniacodépressive, dépouillée d’amour-propre et sans contrôle aucun sur son corps.

Biutiful est aussi un drame politique sur les immigrants, surtout venus de Chine et d’Afrique, sans emploi et tristement dépossédés dans la Barcelone des quartiers pauvres, démantelés.

Biutiful est par-dessus tout un drame social, architectural –où la société est vue comme structure physique– dans lequel la tension règne entre le corps policier, les patrons, la classe du commerce illicite et le gouvernement.

Gracieuseté de Maple Pictures

Toutefois, Biutiful est en contrepoint une plainte déchirante, une tragédie totale et excessive pour la survie humaine. Le film dépasse la critique et repose sur l’idée de l’homme impuissant et écorché, incarné magistralement par Bardem, face à sa mort prochaine, qu’il tente de repousser jusqu’à son dernier souffle.

La circularité du film, la première scène étant aussi la dernière, évoque la mémoire d’une vie antérieure remplie de peines et d’une espérance possible. Parce que de cette noirceur des sentiments et des actes humains naît tout de même une lumière: celle de la force d’une communauté qui se soutient solidement afin d’outrepasser le malheur.

Le film d’Iñárritu prend forme dans une déconstruction et une fragmentation qui est à l’image même de ses thèmes; en majeure partie filmé à l’épaule et en lumière naturelle, le film se pare de quelques (rares) scènes surréelles au début et à la fin, scènes qui transfigurent les douloureuses destinées des personnages. D’ailleurs, la métaphore de la mer traverse et sous-tend le discours cinématographique. C’est bien sûr la mer, ses vagues et son bruit, sa lumière et son mouvement, l’apparence de liberté qu’elle semble offrir; mais c’est aussi la mère et sa voix réconfortante, absente dans les rapports familiaux.

Entre la mer et la mère, il y a l’amour, défait et malhabile, mais présent dans le film comme un idéal à atteindre; un peu comme si les trois, conjugués et reliés, pouvaient donner naissance à une multiplicité incommensurable: l’amour maternel, marital, maritime; la mère maritime, amoureuse; la mer amoureuse, maternelle.

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Le cru au théâtre https://www.delitfrancais.com/2011/01/18/le-cru-au-theatre/ Tue, 18 Jan 2011 17:51:52 +0000 http://delitfrancais.com/?p=5406 Sébastien David offre dans En attendant Gaudreault/Ta yeule Kathleen un texte brut d’ambitions toujours castrées.

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Présentée pour la première fois dans une version moins développée, En attendant Gaudreault est précédée d’une autre pièce du même dramaturge Sébastien David, Ta yeule Kathleen exposant ainsi le climat et l’époque de la pièce suivante. Elle ne joue pas, pour autant, un rôle secondaire; son discours et son récit sont autonomes.

Jérémie Battaglia

Jouée par Marie-Hélène Gosselin, Ta yeule Kathleen, est le monologue d’une mère monoparentale qui adresse un discours à son nourrisson de deux mois, Kathleen. Elle confesse la douleur de sa solitude et de son impuissance sur un ton robotique et dans un discours sans ponctuation.

Suite à une courte interruption, William (Sébastien David) et Dédé (Frédéric Côté) rejoignent Monique (Marie-Hélène Gosselin) sur scène pour former une triade pas belle dont la complicité dramatique est aussi forte que l’unité des discours.

En attendant Gaudreault poursuit la même thématique du malheur individuel. Les trois personnages attendent Gaudreault pour des raisons différentes: Monique est amoureuse de lui, William pour lui acheter de la dope, Dédé pour venger son frère mort d’une surdose.

Outre quelques rares scènes d’interaction, la pièce est principalement constituée d’un ensemble de monologues qui s’interpénètrent les uns les autres et qui finissent par créer entre les trois personnages une toile sociologique d’infortunes et de déceptions.

Jérémie Battaglia

Le décor est constitué de trois chaises, métaphore de l’austérité et du désœuvrement, mais aussi de la mobilité sociale et de l’absence d’attachement; de l’errance. Celle-ci n’est d’ailleurs pas uniquement physique: elle est mentale, psychiatrique dirait-on. En effet, les personnages vivent selon un arbitraire quelque peu impulsif exprimé ici par une orgie de mots pas beaux.

La forme très rythmée du texte et le ton mécanique qu’emploient les personnages s’en trouvent étonnamment touchants. Essentiellement sans ponctuation, le texte ne tombe pas dans le cliché des discours sur les petits malheurs; sa profondeur est singulière et son émotion, vive. D’ailleurs, cette célébration de phrases effusives forme la matière du texte de la même force que sa manière. L’attente généralisée et inassouvie donne l’unité à l’errance des discours.

Un peu comme Beckett quelques soixante ans plus tôt, Sébastien David offre un texte sur le malheureux ridicule de la condition humaine.

Oui, sur ces attentes toujours douloureuses, mais davantage sur un fantasme tant décousu qu’emblématique: le fantasme d’une meilleure vie, possible ou impossible.

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Du boulevard à la scène https://www.delitfrancais.com/2010/11/10/du-boulevard-a-la-scene/ Wed, 10 Nov 2010 18:56:38 +0000 http://delitfrancais.com/?p=4261 Treize à table est un morceau où humour et caricature se mêlent pour créer un théâtre de la légèreté.

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Madeleine et Antoine Villardier (Linda Sorgini et Carl Béchard), deux parisiens de la haute bourgeoisie habitant le 7e arrondissement, sont hôtes pour un réveillon de Noël. Deux heures avant la mise à table, Madeleine, grande superstitieuse, fait le décompte. Ils sont treize! Treize à table! Pendant quelques deux heures, elle essaiera tant bien que mal de désinviter ou d’ajouter une personne. S’ensuivront des entrées et des sorties de personnages, les uns plus rocambolesques que les autres. L’ivresse est de mise, celle des mots, des charades et des mouvements du corps. Bien sûr, le champagne est de la partie.

Francois Laplante Delagrave

Présenté au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 4 décembre et mis en scène par Alain Zouvi, Treize à table est une comédie burlesque de Marc-Gilbert Sauvajon écrite en 1953 et a été représentée seulement deux fois à Montréal (en 1963 et en 1971). S’inscrivent dans le genre du théâtre de boulevard, fort apprécié à la fin du XIXe siècle et au début du XXe (Sacha Guitry, André Roussin), ce vaudeville nous plonge dans un huis clos tortueux, une espèce de labyrinthe dialogique où le calembour fait presque partie de l’action.

Bien qu’il n’en soit rendu qu’à sa troisième mise en scène (la première ne remonte qu’à cet été, Oscar), Alain Zouvi manipule magistralement les arts de la scène. De plus, la distribution est ingénieuse et le décor, unique et efficace. Si la pièce, par moments, présente des longueurs, ce n’est certes pas en raison d’une quelconque mollesse tant par rapport au jeu des comédiens ou à la mise en scène, mais par rapport au texte lui-même. Le rythme haletant, perd parfois le spectateur dans plusieurs mises en abyme narratives. Par chance, ces moments demeurent occasionnels.

La mécanique de Treize à table fait parfois penser au théâtre baroque avec les entrées et les sorties de comédiens, les renversements brusques, la folie du discours. Malgré une unité de lieu et de temps, la dorure du mur central favorise le mouvement et crée l’illusion d’une complexité et d’une multiplicité spatiales intéressantes. Qu’importe, Treize à table est une immense célébration du théâtre de boulevard avec des renversements assez amusants: le bourgeois en déchéance, le médecin fou et ivre, le couple en délire. Une soirée à ne pas manquer.

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Yellow Moon et le mal de vivre https://www.delitfrancais.com/2010/11/10/yellow-moon-et-le-mal-de-vivre/ Wed, 10 Nov 2010 18:49:43 +0000 http://delitfrancais.com/?p=4267 Présenté au Théâtre Espace Go, Yellow Moon mêle urgences et poésie de façon à rendre le théâtre comme un laboratoire de sentiments humains.

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La diégèse de Yellow Moon: la ballade de Leila et Lee, de David Greig, est simple: un jeune homme (Lee) et une jeune femme (Leila) en retrait idéologique de la société, partent à la recherche du père de Lee, disparu depuis longtemps dans une campagne éloignée. La quête paternelle devient rapidement une histoire remplie d’embûches où les deux jeunes se retrouvent face à leur existence et à leur solitude.

Yellow Moon est un drame social et familial où les cris de la tragédie moderne se font entendre. C’est un chant lyrique dont le texte rappelle parfois l’épopée, notamment quant à la forme (le lexique) et au désir de l’absolu. D’ailleurs, la traduction de Maryse Warda est frappante au sens le plus fort du terme; les mots sont projetés sur le spectateur et se transforment en gifles qu’on reçoit avec un plaisir masochiste.

En outre, la mise en scène de Sylvain Bélanger rend parfaitement vivant les jeux de polyphonie dans le texte de Greig. Quatre comédiens présents sur scène pendant une heure et demie: les voix s’entremêlent non pas dans une volonté de confusion mais de fusion. Les quatre comédiens semblent même parfois former un seul corps soumis à sa condition d’être.

SuzanneO’Neil

On ne parle donc plus du corps matériel et individualisé, mais d’un corps social qui a envie de se réaliser, de s’émanciper, mais faisant continuellement face à ses propres limites. Sylvain Bélanger est ingénieux, sa mise en scène est précise et minimaliste sans impliquer une quelconque restriction.

Yellow Moon est un de ces morceaux d’art dont on sort avec une impossibilité de vivre, emprisonné dans nos pensées et nos sentiments sur l’avenir de l’(in)existence et le rapport de l’homme à la mort. Le mal-être est au centre de la pièce; or ce sentiment n’est pas associé, tel qu’à l’accoutumée, à une forme de pessimisme ou d’épuisement. Une possibilité d’issue demeure active: c’est l’amour.

Sylvie de Morai (Leila) et Benoît Drouin-Germain jouent avec subtilité et restriction leur amour: la poésie qui règle celui-ci est obscure comme si elle venait des ténèbres; elle s’exprime dans le silence de la nuit, comme si elle avait besoin de se savoir cachée pour prendre naissance.

Yellow Moon est définitivement une pièce phare de cette saison théâtrale.

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Une expérience théâtrale du corps https://www.delitfrancais.com/2010/10/05/une-experience-theatrale-du-corps/ Wed, 06 Oct 2010 02:26:36 +0000 http://delitfrancais.com/?p=3519 «Entre l’acte et le verbe», la nouvelle pièce d’Omnibus propose un monde déconstruit de réflexions éparpillées.

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La compagnie de mime québécoise Omnibus met en scène Rêves, chimères et mascarade, une pièce dans laquelle sont mis à nu et disséqués les tourments et préoccupations de la vingtaine.

Six jeunes, trois hommes et trois femmes dans la même tranche d’âge et d’expériences diversifiées, sont dirigés par trois «maîtres d’œuvre»: Réal Bossé, Pascal Contamine, et Christian Leblanc. Jean Asselin, directeur de la compagnie, précise qu’à la différence d’un metteur en scène, un maître d’œuvre supporte, dirige la mise en scène, mais ne la constitue pas totalement: il laisse aux comédiens multidisciplinaires (danseurs, chorégraphes, mimes) l’art d’en constituer la manière. Les maîtres dœuvre sont en quelque sorte des mères porteuses; une fois la période de gestation (la matière) mise à terme, ce sont les comédiens qui
héritent du pouvoir créateur. À ce propos, Jean Asselin parle de «l’encre de l’écrivain, la matière du sculpteur, des interprètes-créateurs».

L’Espace Libre a dû subir, pour ce spectacle, une métamorphose physique: plus question d’une scène italienne classique, c’est à un immense rectangle gris, rappelant un large podium ou un terrain de jeux, que fait face le public. L’espace scénique est encadré par les spectateurs. Cette architecture renforce la communication avec ces derniers, leur attribuant un rôle de premier plan.

Reposant essentiellement sur une narration achronique, une utilisation minimale (voire nulle) d’éléments décoratifs, et une diégèse complètement déconstruite et éclatée, le spectacle est un ensemble d’expérimentations sur le corps de l’Homme et ses pouvoirs de suggestions. Entre la danse, le théâtre, l’improvisation, et le mime, Rêves, chimères et mascarade s’inscrit dans cette tendance esthétique de l’extrême contemporain: c’est-à-dire l’art de se définir par l’indéfinissable. Ainsi, l’œuvre donne l’impression de se construire et de se déconstruire durant la représentation; non pas qu’elle soit arbitraire, mais qu’elle ait l’improvisation comme principe.

Des scènes de combats et de luttes, d’autres de baisers et d’actes amoureux, de débats politiques et philosophiques constituent le «propos» de la pièce. Son éthique a comme fil conducteur celui de la violence et de la tendresse. Et le corps dans tout ça? Tout y prend forme: il est le réceptacle des multiples réifications. Ce corps devient alors le noyau d’(im)pulsions organiques orchestrées par la musique originale d’Éric Forget.

Rêves, chimères et mascarade demeure malgré tout un morceau d’art difficile à évaluer, du moins à juger. C’est un feu d’artifice qu’on se plaît à regarder, et dont on ne garde qu’un souvenir fragmentaire, quelque peu onirique. Morceau modeste et iconoclaste, certes, la pièce reste toujours fidèle à son objectif premier: le plaisir et encore le plaisir.

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Le Grand Cahier ou le théâtre de l’insensibilité https://www.delitfrancais.com/2010/09/07/le-grand-cahier-ou-le-theatre-de-l%e2%80%99insensibilite/ Tue, 07 Sep 2010 06:16:40 +0000 http://delitfrancais.com/?p=3234 Catherine Vidal adapte et met en scène le premier récit de l’histoire des populaires jumeaux d’Agota Kristof.

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Le théâtre du Quat’sous présente depuis quelques jours Le Grand Cahier, une adaptation du premier livre de la célèbre trilogie d’Agota Kristof d’abord publié en 1986. Produite par le groupe Bec-de-Lièvre et présentée l’année dernière dans la petite salle du Prospero, la pièce frappe par sa mise en scène ingénieuse.

L’histoire: deux jeunes frères, des jumeaux, sont laissés aux soins de leur grand-mère qui habite la campagne. La Grand Ville, d’où vient leur mère, est devenue inhabitable et dangereuse. Maltraités, abandonnés, abusés par différents personnages sur les plans physique, moral et psychologique, les deux enfants développent une éducation qui leur est propre afin de survivre à la cruauté d’un univers en guerre. Un grand cahier devient le lieu de narration de leurs aventures, un lieu où toute subjectivité est interdite et où seule l’absence de sensibilité narrative (voire de sensiblerie) fait état de contrainte.

La pièce est présentée sous forme de plusieurs tableaux rappelant la séparation en chapitres du texte original. Les différentes sections, commençant par exemple par «Arrivée chez grand-mère», sont narrées par les deux jumeaux, parfois jouées, mimées, chorégraphiées.

Olivier Morin et Renaud Lacelle-Bourdon sont seuls sur scène; ils se métamorphosent souvent pour incarner les différents personnages; ils emploient aussi un petit bâton rouge, un symbole de première importance, pour en illustrer d’autres. D’ailleurs, la force de la suggestion atteint ici son apogée; chaque détail visuel est étudié et mesuré et s’oppose souvent aux éléments sonores.

Catherine Vidal use de génie en ce qui concerne la scénographie. Elle fait des emprunts au théâtre de l’absurde à la Jarry (les pouvoirs de l’objet), au théâtre mimétique, et quelques rapprochements, surtout dans le contenu, au théâtre de la cruauté. La scène devient à travers les yeux de Vidal la plate-forme d’un théâtre mécanique où tout se crée et se transforme: la scène est elle-même l’anti-scène où tout se joue et se déjoue dans un dépouillement formel remarquable.

L’univers créé par Vidal est truffé d’antithèses fortes: la sensibilité et la froideur; le réalisme cru et l’onirisme ambiant; l’imaginaire de l’enfance et la lassitude de l’âge adulte; la tendresse et la violence. L’opposition principale, présente pendant toute l’heure et demie que dure la pièce, est la violence «verbale» faite au spectateur qui se conjugue avec le désir d’attirer sa pitié. En fait, cette caractéristique est fondamentale dans le texte de Kristof, son entreprise littéraire étant de décrire la réalité cruelle de la manière la plus sèche possible.

À la sortie de la salle, le spectateur n’est pas contaminé par la froideur des jumeaux qui portent sur le monde un regard marqué par l’insensibilité. Il en sort plutôt en rébellion face à la cruauté et à la bêtise humaine, essoufflé par un spectacle total et marqué par un imaginaire tourmenté.

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La charité selon Bernard Émond https://www.delitfrancais.com/2009/11/10/la-charite-selon-bernard-emond/ Tue, 10 Nov 2009 17:37:39 +0000 http://delitfrancais.com/?p=1713 La Donation, le plus récent film de Bernard Émond, clôt la trilogie amorcée en 2005 par La Neuvaine et suivie de Contre toute espérance en 2007.

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Présenté an août dans le cadre du festival de Locarno, en Suisse, La Donation s’est mérité le prix Don Quichotte, remis par la Fédération internationale des cinéclubs, le 2e prix du Jury Jeunesse et le prix Qualité et Environnement. À l’affiche au Québec seulement de puis le 6 novembre, le film a reçu un accueil plutôt chaleureux de la part de la critique. On y raconte l’histoire de Jeanne Dion (Élise Guilbault), médecin dans un service d’urgences à Montréal, qui quitte la ville pour remplacer Yves Rainville (Jacques Godin), le seul médecin d’une petite communauté de l’ouest de l’Abitibi, Normétal. La Donation prend comme thème central la charité: l’amour que portent les hommes à Dieu, l’amour que ce dernier leur porte, l’amour que les hommes partagent entre eux. La totalité des images sont filmées dans Normétal pendant la période automnale.

Si Bernard Émond campe l’action de son film en campagne, c’est pour l’opposer à la réalité urbaine. Cette dichotomie, évoquée dès les premières images, donne à l’éloignement une connotation positive. Cependant, plutôt que de faire l’apologie de la ruralité, Bernard Émond utilise la campagne comme un décor propice à illustrer la condition humaine. Finalement, la seule véritable distinction entre les deux univers tient à la proximité entre le médecin et ses patients, forcément plus grande à Normétal que dans les salles d’urgence montréalaises.

La Donation est traversée par de multiples oppositions binaires: la jeunesse et la vieillesse, la femme et l’homme, le physique et le psychologique, la vie et la mort, l’eau et la terre, la pluie et la neige (opposition implicite mais majeure), les professions libérales et manuelles, la foule et la solitude, la mécréance et la foi, la parole et le mutisme, l’éloignement et la proximité. La mort se pose également comme un thème dominant. Omniprésente dans le film, elle est la fin de toutes les douleurs et les souffrances qui dé- finissent, dans le film d’Émond, la pénible condition humaine. L’état éphémère et fragile de l’humanité se trouve atténué par l’amour, voire même le devoir universel, du don de soi. Entrer en contact avec l’autre, dans La Donation, devient un acte dont seul le médecin est capable, parce que doté d’une générosité et d’une bonté profondes.

Bien que le film prenne la finitude de l’existence humaine comme moteur et fil du discours cinématographique, son écoute ne comporte aucune lourdeur. La fixité et la lenteur des scènes, la froideur des couleurs et l’obscurité des personnages –-dont on n’approfondit jamais la biographie–- confèrent au film une extrême lucidité et empêchent toute sentimentalité gratuite.

La Donation est une métaphore visuelle où le mot fait place à l’image, où la parole se trouve remplacée par un mutisme total et assourdissant qui a comme finalité l’espérance et la foi.

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À la croisée des arts https://www.delitfrancais.com/2009/10/27/a-la-croisee-des-arts/ Tue, 27 Oct 2009 19:17:48 +0000 http://delitfrancais.com/?p=1289 Avec Le peintre comme graveur, le Musée des beaux-arts fait découvrir son importante collection de gravures et d’estampes de peintres impressionnistes.

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Présentée jusqu’au 6 décembre au Musée des beaux-arts du Canada, l’exposition Le peintre comme graveur: Estampes impressionnistes du Musée regroupe quelque 70 gravures de peintres réalistes, impressionnistes et postimpressionnistes, en grande majorité d’origine française.

Si l’exposition n’a pas bénéficié d’une grande couverture médiatique, voire d’aucune, c’est qu’elle traite d’un médium peu connu à notre époque: l’estampe. S’étendant sur deux salles du troisième étage du Musée, la collection comprend des gravures de Renoir, Pissaro, Degas, Van Gogh, Manet, Monet, Signac, Cassatt, Millet, Corot, Cézanne et quelques autres artistes moins influents.

Ce qui frappe à la première observation, c’est le caractère essayiste et référentiel des images sur papier: essayiste, parce que le matériel reste nouveau et expérimental pour ces peintres; et référentiel, parce que les premières gravures faites par les peintres à cette époque étaient des représentations d’autres peintres. On a ainsi, à titre d’exemple, Renoir dessinant Rodin, Pissaro représentant Cézanne, et Degas traçant le portrait de Manet. On y retrouve aussi des portraits de Comte Lepic et d’Edmond de Goncourt, clins d’œil lancés à ces premiers défenseurs du groupe de graveurs.

Aux côtés de ces nombreuses estampes présentant les principaux artistes et mécènes, l’estampe «artistique» prend une place importante. Cinq gravures de Manet, soit L’enfant et le chien, Le gamin, L’enfant portant un plateau, L’enfant aux billes de savon et Les chats, toutes conçues entre 1861 et 1868, apportent un nouvel éclairage sur le médium qui, autrement, paraîtrait strictement expérimental, scientifique et «commercial».

On découvre ensuite Signac qui, quelques décennies plus tard, travaillera la gravure selon une toute autre finalité. Dans Dimanche parisien (vers 1887), où une bourgeoise pose de façon anecdotique, un point de vue psychologique se dégage de la scène. L’intimité du personnage vient se coller au processus privé que nécessite le genre lui-même.

C’est dans les estampes de Mary Cassatt que l’on distingue le mieux les influences japonaises sur la gravure française de cette époque. En parallèle à ces références, on trouve des gravures de tableaux connus de l’artiste, dont La toilette, La carte ou L’enfant au fauteuil, faites entre 1890 et 1903.

On assiste aussi, dans Le peintre comme graveur, à la transformation de l’œuvre de Degas. Les lithographies illustrant les passe- temps urbains se transformeront avec les années et deviendront plus personnelles, jusqu’à toucher la sphère privée dans les deux magnifiques estampes La sortie du bain (vers 1880) et Les grands baigneurs (vers 1896).

La deuxième salle regroupe presque entièrement des estampes de paysages de Corot, de Pissaro et de Césanne. Quelques images sont intéressantes à explorer du point de vue de l’influence reconnaissable dans les peintures: Les Glaneuses et Les bêcheurs (vers 1855) de Millet, Le petit berger et Le Clocher (en 1855 et 1871) de Corot et L’exécution de Maximilien (1868) de Manet.

De l’exposition ne reste rien que l’assouvissement d’une curiosité pour la technique méconnue de l’estampe et l’usage qu’en ont fait certains artistes célèbres. En outre, pour apprécier Le peintre comme graveur, il faut savoir apprécier l’art de l’estampe et reconnaître la beauté d’une œuvre inachevée ou fragmentaire.

Le peintre comme graveur: Estampes impressionnistes du Musée des beaux-arts du Canada
Où: Musée des Beaux-Arts, 1380, rue Sherbrooke Ouest
Quand: 10 septembre au 6 décembre
Combien: ntrée libre

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Coco sans Chanel https://www.delitfrancais.com/2009/09/29/coco-sans-chanel/ Tue, 29 Sep 2009 18:06:09 +0000 http://www.delitfrancais.com/archives/727 Audrey Tautou incarne au grand écran l’une des plus célèbres stylistes du XXe siècle, Coco Chanel.

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Réalisé par Anne Fontaine d’après le roman L’Irrégulière ou L’Itinéraire Chanel d’Edmond Charles-Roux, Coco avant Chanel raconte les années de jeunesse de la très célèbre créatrice et styliste de mode, jusqu’à son premier défilé majeur. Audrey Tautou assure le premier rôle de cette biographie incomplète aux côtés de Benoît Poelvoorde, qui interprète Étienne Balsan, son premier amant et protecteur, et d’Alessandro Nivola Arthur Boy Capel, son premier amour.

Le film s’ouvre sur la petite Gabrielle et sa sœur alors âgées de dix et onze ans, que l’on transporte dans un orphelinat. Dès les premières scènes, la réalisatrice évoque la solitude de la jeune Gabrielle et son incompréhension du monde contemporain. Plongés depuis à peine quelques minutes dans l’enfance de Gabrielle, les spectateurs sont amenés dans le Cabaret Moulin, où elle et sa sœur chanteront pour divertir le public. Gabrielle y fait la connaissance d’Étienne Balsan, un richissime homme d’affaires chez qui elle habitera après avoir quitté le Cabaret.

Son désir de créer non pas une nouvelle mode, mais simplement une nouvelle façon de porter le chapeau féminin, commence à prendre forme à cette époque alors qu’elle est en contact direct avec l’aristocratie du début du siècle.

Sa tenue vestimentaire androgyne et son attitude considérée peu féminine selon les conventions de l’époque seront la cause d’un malaise dans le milieu de Balsan. Parallèlement, Coco saura se faire aimer en raison même de sa singularité. Elle commencera par modifier les chapeaux de quelques aristocrates, ce qui la mènera à rencontrer Arthur Boy Capel qui l’aidera dans l’ouverture d’un magasin de chapeaux nouveau genre. Il sera son premier amour et la cause de sa première −et immense− détresse.

On assiste à la lente montée de cette nouvelle femme à la parole aiguisée, au style masculin, au caractère têtu; on la voit dans diverses scènes insérées ici et là dessiner une robe, découper une manche, attacher un bouton, transformant le style dans le désir de le simplifier. Une idéologie politique s’exprime derrière cette volonté de déconstruction: celle de rendre libre le corps de la femme en retirant tout corset ou jupon, tout chapeau fleuri et plumé, tout bijou doré et autres accessoires hérités des siècles précédents.

Si Coco avant Chanel se donne comme objectif de montrer la jeunesse, ou plutôt la genèse, d’une créatrice aux idées révolutionnaires dans le domaine de la mode, le spectateur se lasse assez rapidement de ces aventures amoureuses et sexuelles qu’on raconte beaucoup trop en détails pendant la quasi totalité du film. Par contre, une Audrey Tautou au charisme débordant fait preuve d’une maîtrise de l’identité d’un personnage singulier et nous donne l’illusion, à certains moments, que la fiction a fait place à la réalité.

Coco avant Chanel réussit donc fort bien à tracer les contours du caractère complexe de Gabrielle Chanel, surtout et presque entièrement par rapport à sa vie sentimentale, mais nous laisse sur notre faim en ce qui a trait à son processus créateur, à ses convictions profondes, à l’influence qu’elle aura sur l’image de la femme et sur la modernité. Et c’est seulement à la dernière scène, lors du défilé sur le célèbre escalier rue Cambon, que le spectateur sent la maturité de Coco Chanel; pendant tout le film, on n’assiste qu’à sa naissance.

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