Maya Gauvreau, Frank Herbier, Laura Doyle Péan, Gabrielle Potvin, François Céré, Elissa Kayal, Geneviève Lagacé, Charlotte Duplessis Leonhart, Ketzali Yulmuk-Bray, Mathieu Soucy, Elyzabeth Cossette, Étienne Boucher-Lemay - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/lauradoylepean/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 06 Apr 2021 14:30:57 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Les horaires boréals https://www.delitfrancais.com/2021/04/06/les-horaires-boreals/ Tue, 06 Apr 2021 11:12:20 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=43707 Lauréats et lauréates de la deuxième édition du concours Délier la poésie.

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Dans le cadre de cette deuxième édition du concours Délier la poésie, les participants et participantes étaient invités à s’inspirer d’un premier poème, écrit par l’éditeur François Céré et l’éditrice Elissa Kayal. Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont participé. La réponse poétique de chacune et de chacun d’entre vous a dépassé nos attentes. Merci énormément à tous et à toutes pour vos contributions!

C’est avec fierté que l’on vous présente ce zine, contenant notre poème de départ ainsi que les dix poèmes retenus pour notre cadavre exquis.

Lauréats et lauréates

Le cri de rage
Frank Herbier (première place)

Au début
La mère donne naissance à l’enfant
L’enfant tout d’innocence court
Court parmi les bois parmi les marées
Inutilement contre les vagues de sel
S’en fichant il passe par les champs en friche
À pleine joie en perte de moyens
Le coeur plein l’enfant a faim
La mère aussi
Une bestiole traîne
Ils la prennent et la mettent sous leur sein
La digèrent longuement
Deviennent un peu d’elle
Et elle un peu d’eux

Mais soudain pousse un cri le petit homme
L’exécrable petit homme
Un cri de rage un cri d’enfer
Un cri qui déchire naïvement les bulles d’air
Un cri en pointes de flèches
Lancées au hasard sur les planètes
Qu’il embroche une à une
Avec ces électrodes de Neptune
Les rapproche grâce à des câbles de fer
Fixés à l’enfant et à son diaphragme
Il connecte le tout ensemble, puis

Reprend son souffle…

Et crie plus fort
Si fort que l’enfant qui devait être dans la vie
Pousse un cri qui englobe toute la vie
Vie fort intérieurement explosive
Dynamitages insoupçonnés dans les endroits humides
De la gorge et du larynx
Où les mots ont fini par se donner

Plus rien n’est clair
Sur les lianes de fer court l’enfant
Par-dessus les bois par-dessus les marées
Oublie la houle et sa fertilité
Entre sa main dans la terre de si loin
Qu’elle ressort blanche dure moindre
Passe une clairière de béton
Fouette la cime des absurdités avec son rebord de pantalon
Passe les mornes forêts de bâtons
Vole pour ainsi dire déchante sur l’air d’une biche
Passe un des nombreux champs en affiches
Il se rend au coeur de la chose
Toujours enragé en criant
Il se rend au coeur de toutes choses
Désirant percer le voile rapiécé
Couvrant la cuisse dénaturante de sa vie
La surplomber du regard ne suffisant en rien
Il plombe sur elle comme un obus
Tombe sur elle en tyran
En tirant abrutissement sur ses vêtements
Pour que la chose fende
Pour que toutes bonnes choses fendent
Pendentif de soleil luette de lune
Cuirasse de pierre poitrail de montagne
Cheveux de grains herbe d’esprit
Sous la couche superficielle des nombres
Embusquée au bûcher
Se retrouve la petite fille
La petite vie
Que l’enfant criard aime tant à tourmenter
Maintenant nue petite réduite à son corps de lait et de miel
Elle regarde l’enfant
À la hauteur de sa perte d’âme
De ce regard que seuls lancent les bourreaux
Elle le regarde
Le juge
Et l’aime.


consomption
Geneviève Lagacé (deuxième place)

de la côte à ma gorge, nos horizons s’entrechoquent. tu fermes les volets,
le temps que passent les ouragans, mais rien n’y fait: les étincelles ne
s’éteignent plus, bruissent sous nos peaux de pointillés qui s’érodent; les
murs tremblent nos fractures et, dans les heures blanches, nous glissons,
coulons, nous échouons au pied des vagues

    l’écume sur la berge
comme l’écho de nos tempêtes

nous avalons le vent, déchaînons nos humeurs, fixons la fin de nos flots
lapidaires. au bout du rivage, nos secrets se créent des univers avec tout
ce qu’ils contiennent de failles, d’excès. ils alimentent nos brasiers,
courent

    longtemps
sans pour autant s’essouffler
sans pour autant s’éteindre

nous sommes des jardinières de crépuscule suspendues au tonnerre. nous
sommes l’imprévisible. des flambées qui touchent ciel, des confins
inatteignables. devant nos fureurs, je frissonne, électrique. tu refuses
d’arrêter le jeu, et dans les flammes frénétiques naufragent nos ombres,
mes lueurs bleues

    des fissures creusent nos peaux-porcelaines
nous crépitons, exaltés
nos échanges illusoires deviennent cri ardent
les ouragans stagnent –

fuir n’est jamais une option quand c’est toi
qui tiens les allumettes


Nos vicissitudes
Ketzali Yulmuk-Bray (troisième place)

Nos remords sont exhumés par les intempéries
Et la chasse ne sert qu’aux enfants
Qui préparent soupe et thé
En y crachant goulument nos grandes légendes
L’expiation s’écoule plus facilement par les trous

Ce qui est à venir ne nous regarde pas
Du moment que les bêtes s’attroupent
Ou se dispersent
Nous serrerons les dents, les coudes aussi
Rien ne s’oublie grâce à l’écorce
Sur laquelle sont écrites nos aptitudes

Nous apprenons tôt à fabriquer les couvertures
À tisser la honte sur le bas de nos crânes
Pour que vienne s’y abreuver l’oiseau de proie

(Je me souviens de ton grand saut, mon frère)

Nous bénissons nos terres d’origine
Chaque saison, l’arbre du temps fait sonner ses cloches
Et leur écho se répercute jusqu’aux confins de la zone
Ainsi se déroulent nos vies

Certains disent que nous devrions tout mettre en feu.

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Une poétique de la résistance et de la joie https://www.delitfrancais.com/2021/02/16/une-poetique-de-la-resistance-et-de-la-joie/ Tue, 16 Feb 2021 13:54:27 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=41950 Un entretien avec Lorrie Jean-Louis, auteure de «La femme cent couleurs».

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Dans le cadre du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, Bianca Annie Marcelin et Laura Doyle Péan, passionné·e·s de littérature, rencontrent et mettent en relation deux générations d’auteur·e·s haïtiano-québécois·es pour voir comment chacune envisage son rapport à la littérature. Cet entretien avec Lorrie Jean-Louis est le premier article du dossier.

Depuis l’âge de 10 ans, Lorrie Jean-Louis écrit. Bien qu’elle n’ait jamais pensé devenir auteure, et qu’elle peine à se définir de la sorte, son recueil de poésie La femme cent couleurs est présentement en lice pour le Prix des Libraires. Libraire, bibliothécaire et diplômée d’une maîtrise en littérature, elle gravite dans le milieu littéraire depuis un bon moment et sa pratique devance de loin la publication de ce premier recueil de poésie. Mais Lorrie, tout comme le personnage de son recueil, la femme cent couleurs, refuse les étiquettes, qui entravent ses pas dans sa marche vers la liberté. Nous l’avons donc laissée se présenter elle-même avant de débuter l’entrevue.

Lorrie Jean-Louis (LJL): À ce jour, je n’ai pas de définition de moi-même. Être est un work-in-progress. C’est dynamique. Si on m’avait posé la question hier, peut-être que j’aurais dit « voilà, je suis une femme vaillante, dès que la neige tombe, je vais la pelleter », puis aujourd’hui je suis paresseuse et je bois du lait au chocolat sans arrêt. Je dirais que je suis quelqu’un de perspicace. J’aime la complexité.

Le Délit (LD): Cette conception de la construction perpétuelle de l’identité influence-t-elle votre rapport à l’édition et à la publication, qui ont toutes deux un caractère très permanent? Avez-vous eu de la difficulté à laisser partir votre texte, lui trouver une finalité, arrêter de le retravailler?

LJL: J’ai toujours écrit. Mais je n’ai envisagé la publication qu’à deux moments. Le rapport à l’écriture est tellement ancré en moi que je ne peux pas dire l’avoir changé pour que La femme cent couleurs soit publié. Quand j’écrivais les poèmes qui sont dans le recueil, je ne savais pas où ça allait, c’était pour moi. J’écrivais, j’écrivais, et c’est une amie qui m’a dit «donne-moi ton manuscrit». Jusqu’à ce que mon amie me le dise, il n’y avait pas d’horizon d’auteure. Quand j’ai commencé à rassembler tout ce que j’avais écrit dans l’idée de remettre un texte qui serait un manuscrit, il m’a paru évident que ça allait être [publié] chez Mémoire d’Encrier. Le texte ne pouvait pas aller chez un autre éditeur, parce que c’est dans le créneau de Mémoire d’Encrier. C’est précisément la voix de La femme cent couleurs que Mémoire d’Encrier, je pense, recherche. Ça me paraissait clair. Franchement, ça n’a pas eu d’effet sur mon écriture.

LD: Vous connaissiez déjà très bien le milieu de l’édition avant de faire publier votre premier recueil. Pensez-vous que des défis additionnels se présentent devant les jeunes auteur.e.s qui n’ont pas d’expérience, ou du moins pas la même expérience que vous avec ce milieu?

LJL: Ma connaissance du milieu du livre a fait en sorte que je saisis bien ce que ça veut dire un créneau, c’est-à-dire que si tu publies chez VLB [maison d’édition québécoise généraliste], tu ne publies pas chez Agone [revue marseillaise engagée]. Qu’est-ce qui est publié chez Agone, qu’est-ce qui est publié chez VLB, je connaissais assez le milieu pour savoir ça.

[Ne pas venir du milieu du livre] peut poser effectivement des défis additionnels, mais ce sont des défis prévisibles, donc, à mon sens, pas de réels défis. Quand une personne fait un travail d’écriture, elle fait nécessairement un travail de lecture important. Quelqu’un qui lit beaucoup va un peu savoir dans quels eaux se mettre les pieds. Si la personne a pour projet de se faire publier, mais qu’elle n’a jamais lu les livres de l’éditeur où elle voudrait être publiée, son travail n’est pas assez avancé. Il s’agit d’une question d’honnêteté intellectuelle. On écrit, on aimerait que les gens s’intéressent à ce qu’on écrit, mais il faut lire. Il faut vraiment lire. La meilleure façon de se préparer pour une personne qui est loin de ce domaine-là, c’est de lire. Si elle lit, elle saura. Elle saura, tout simplement. Ce n’est pas comme si, quand on est auteur·e, on doit connaître le milieu de l’édition. Tous les auteurs et toutes les auteures ont un parcours différent.

LD: Vous parlez beaucoup de l’importance de lire lorsqu’on écrit. Quels livres lisiez-vous lorsque vous écriviez La femme cent couleurs?

LJL: Le partage du sensible: esthétique et politique de Jacques Rancière, publié aux éditions La Fabrique. Je lisais aussi Michelle Petit, une anthropologue qui travaille précisément sur la lecture, sur la passation, sur plusieurs aspects qui sont vraiment très riches au niveau de la complexité de la lecture. Ça me paraissait très important de comprendre la démarche dans laquelle je m’engageais professionnellement si je travaillais avec des lecteurs ou des lectrices en milieu de bibliothèques publiques.

Je touche le sol je gravite autour d’un point
encore imprécis
dense

le chant de la terre
délicat
les feuilles tombent 
quand elles n’ont plus de poids

La femme cent couleurs, Lorrie Jean-Louis

LD: Parlons un peu de votre style d’écriture. Comment le décririez-vous? 

LJL: Je dirais que ce qui se dégage de mon écriture est la simplicité. Je perçois le langage comme un outil qui a beaucoup de force, mais il faut savoir l’utiliser. La difficulté dans l’acte d’écrire réside dans la manière dont on utilise et place les mots. Je pense que par respect pour les lecteurs et les lectrices, on ne doit pas gaspiller leur attention. C’est quelque chose de très important pour moi, de ne pas gaspiller l’attention de la personne qui prend la peine de me lire.  Alors si on veut dire quelque chose, il faut bien le dire. L’écriture est un outil essentiel, mais ce n’est pas un outil simple. 

LD: Il faut dire que votre écriture est très ressentie et un désir de liberté se dégage de votre poésie. Quel est votre rapport à l’écriture et à la liberté?

LJL: J’écris parce qu’il y a une absence. Le regard dans lequel je me place quand j’écris se déplace. Quand j’écris, je ne sais pas si ça comble effectivement quelque chose, mais ça m’équilibre. Lorsque c’est moi qui écrit, c’est moi qui décide. Ça me procure beaucoup de liberté.  

Je dirais que je travaille à être libre. Depuis la publication de mon recueil, j’estime que je ne peux plus cacher mon écriture comme avant. Je dois assumer mon écriture. La liberté vient avec beaucoup d’amour et c’est parce que je suis aimée que je me permets cette liberté-là. J’écris avec toute ma personne et j’ai toujours été une personne qui refuse catégoriquement qu’on me dise quelque chose que je ne pense pas. J’écris parce que j’existe. Je veux que la personne qui lise soit exactement où j’étais, qu’elle voie ce que je vois, sente ce que je sens. Avec l’écriture, je travaille continuellement avec les moyens que j’ai. 

LD: Quel est le rapport de la femme cent couleurs à la liberté? 

LJL: La femme cent couleurs prend des risques que, moi, je ne prendrais pas. La femme cent couleurs ne veut pas qu’on lui mette des chaînes. Elle va les refuser. C’est une femme qui veut être libre et qui va toujours travailler à sa liberté. 

Dans l’amitié, il y a une sorte de manipulation par le secret parfois. Moi, je n’ai pas peur de tout dire avec mes poèmes.  C’est une pudeur inutile parce que la femme cent couleurs est constamment en mouvement et en déplacement. La femme cent couleurs, c’est comme un indice, et au moment où la personne le trouve, je me trouve déjà ailleurs. Ce n’est pas le secret qui est intéressant, mais ce que le secret ne dit pas de lui-même.  

LD: Comment est-ce que la voix de la femme cent couleurs s’inscrit dans la lutte contre la colonisation?

LJL: Dans un univers où la structure est coloniale, il faut tout remettre en question. Les colons sont arrivés, ont pris possession du territoire, ont tué les membres des Premières Nations… Quand tout ça arrive, ce n’est pas pour la joie, c’est pour ordonner les choses, accumuler des richesses. La joie n’a jamais été considérée dans les plans coloniaux. Quand tu trouves la vie en toi, tu te dois de résister. Il y a de la joie dans le recueil parce que la femme cent couleurs veut être bien et pour ce faire, elle doit se défendre et résister. La façon qu’elle a trouvée pour résister, c’est la poésie. La joie occupe une grande place dans la résistance selon moi. 
Au fond, la résistance, c’est de dire non. Cela revient à dire « vous allez pas me défigurer, vous allez pas me faire ça et je dis non ». À chaque fois qu’on dit non, on dit oui à autre chose. C’est à ce moment-là qu’il y a la célébration, la joie. C’est une célébration continue parce que si je refuse un discours, c’est nécessairement au profit de quelque chose de plus beau et de plus joyeux. Dans la mesure où l’horizon de la femme cent couleurs est la liberté, c’est sûr qu’elle va refuser les mouvements coloniaux et racistes d’emblée. Elle sait pertinemment que ces mouvements-là existent pour l’emprisonner.

Brûlons les marques de nos embâcles ce soir
trahissons les lignes
je tiens une aubergine
dansons l’espérance
asseyons notre folie
dépeçons les comptines
fermons le rouge
ouvrons le pourpre

La femme cent couleurs, Lorrie Jean-Louis

LD: À la lecture de certains de vos poèmes, on ressent une quête de légèreté, ou du moins un désir d’envol. Était-ce un effet recherché?

LJL: Quelqu’un m’a dit que lorsqu’il a lu mon recueil, il a trouvé cela très aérien. C’est quelque chose que j’ai moi-même découvert en écrivant. Je n’ai pas nécessairement un programme clair quand j’écris. Pour les poèmes de La femme cent couleurs, il y en a où oui, j’avais une idée de ce que je voulais vraiment travailler, mais pour plusieurs autres poèmes, non. 

Pour moi, la distance qu’on est capable d’avoir avec les choses est nécessaire dans la mesure où lorsqu’il y a un problème et qu’on est collé sur ce problème, il arrive qu’il soit difficile de bien voir le problème. C’est en reculant qu’on peut mieux le voir, ou constater l’importance de le considérer à partir d’un autre point de vue. Plus tu es capable de t’éloigner, plus tu trouves les ressources pour comprendre la situation. L’éloignement est nécessaire pour comprendre et se déprendre [de ce qui nous emprisonne]. Dans ce mouvement-là, on fait l’expérience de la légèreté. Dans certaines situations, il n’y a aucun autre moyen de comprendre que de s’éloigner, que de monter afin de bien voir toutes les choses qui sont autour de soi. Ce mouvement permet aussi de ne plus être prisonnière de ce qu’on essaie de mesurer.

Pour atteindre cet éloignement et cette légèreté, la répétition est importante afin d’arriver à bien habiter le mouvement. C’est un exercice, et un peu comme le sport ou la danse, il faut beaucoup pratiquer. On répète et on recommence. Dans mon cas, la répétition se fait par l’esprit [avec mes poèmes].

LD: Pour finir, quels sont les conseils que vous donneriez à une personne qui veut améliorer sa pratique d’écriture?

LJL: Il faut lire et écrire beaucoup. Quand je dis qu’il faut lire, il faut lire pour lire et lorsque je dis qu’il faut écrire, il faut écrire pour écrire. 

 Je viens de mes origines
 mes origines viennent de la mer
 la mer boit tout

 je n’arrête pas d’arriver
 moi l’étrangère
 noctambule des marées

 j’arrive

 je ne finis pas
 je commence
 
 je suis fatiguée
 la mer me recrache toujours 

La femme cent couleurs, Lorrie Jean-Louis

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Face à face avec l’Histoire: Elles, ces Révolutionnaires (2e partie) https://www.delitfrancais.com/2021/02/16/face-a-face-avec-lhistoire-elles-ces-revolutionnaires-2e-partie/ Tue, 16 Feb 2021 13:50:26 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=42024 En l’honneur du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, Amélia, Bianca et Laura vous présentent des femmes révolutionnaires marquantes de l’histoire d’Haïti.

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Lorsque Christophe Colomb accoste sur ce qu’il appelle l’île d’Hispaniola en 1492, le pays est déjà peuplé d’une dizaine de milliers d’habitants, appartenant aux peuples Taïnos et Arawaks. Ces deux peuples sont presque aussitôt réduits en esclavage. En une vingtaine d’années, les difficiles conditions de travail ainsi que les nombreuses maladies apportées par les colonisateurs déciment la très grande totalité de la population. Pour remplacer cette main-d’œuvre, les colonisateurs amènent de force des Noir·e·s d’Afrique vers les Antilles; c’est le début de la traite esclavagiste.

Puis, en 1777, le traité d’Aranjuez trace officiellement la frontière entre le territoire espagnol et le territoire français de l’île; la France obtient la souveraineté d’Haïti, alors appelée Saint-Domingue. À cette époque, il y a environ 500 000 esclaves contre 70 000 personnes libres, dont 30 000 affranchi·e·s anciennement esclaves. La tension monte dans la colonie haïtienne alors que la révolution américaine se déroule sur le même continent ainsi que la révolution française dans la métropole. Dans la nuit du 14 août 1771, des esclaves se réunissent lors d’une cérémonie qui animera leur désir de révolte. Cet événement déclencheur de la révolution est communément appelé la cérémonie de Bois-Caïman. Dans la nuit du 22 au 23 août 1791, ces esclaves passent à l’action; le début du soulèvement des esclaves se traduit par la prise de possession des campagnes. En 1793, l’affranchissement général des esclaves est proclamé. Napoléon Bonaparte tentera de réinstaurer l’esclavage, mais son armée est vaincue le 18 novembre 1803 lors de la bataille de Vertières. L’indépendance est proclamée et célébrée le 1er janvier 1804; Haïti devient la première république noire libre.

Parmi les révolutionnaires haïtien·ne·s, les noms de Toussaint Louverture et de Jean-Jacques Dessalines sont ceux qui reviennent le plus souvent. Cependant, la naissance de la nation haïtienne n’aurait pas eu lieu sans l’apport de nombreuses femmes, souvent occultées dans le récit de la révolution. Nous allons vous dresser les portraits de quelques-unes d’entre elles. 

Victoria Montou, dit Tante Toya (17**-1805)

Qui aurait été le père fondateur d’Haïti sans la femme qui a joué le rôle de sa mère? Après la capture de Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines devient le leader de la révolution haïtienne. À la suite de la mort de sa sœur à un très jeune âge, l’éducation de Dessalines a été prise en charge par sa tante, Victoria Montou dite Gran Toya. Elle contribue grandement à la construction du personnage qu’est devenu Dessalines, comme ce dernier le reconnaîtra publiquement. Elle se charge de son éducation en lui enseignant entre autres la culture africaine et les idées révolutionnaires. 

Au cours de sa vie, Gran Toya était esclave sur l’habitation de Henri Duclos avec son neveu, qu’elle considérait comme son meilleur ami. Considérant cette relation trop dangereuse, Duclos la transfère à l’habitation Déluger où elle mène une révolte d’une cinquantaine d’esclaves. Vaincue, elle sera faite prisonnière. En 1805, lorsque Dessalines est nommé premier empereur de la République, elle est par le fait même nommée Duchesse impériale. Peu après l’établissement de l’empire, la santé de Toya se détériore, et elle ne pourra pas être sauvée par le médecin de famille de Dessalines.

Suzanne «Sanite» Belair (1781–1802)

Suzanne Belair, dite Sanité, est une esclave affranchie qui a activement participé à la révolution haïtienne. Elle est considérée comme étant l’une des quatre héroïnes les plus importantes et symboliques de l’indépendance d’Haïti. Elle apparaît d’ailleurs sur les billets de 10 gourdes.

Banque de la République d’Haïti Billet commémoratif à l’effigie de Suzanne Belair

Née à Verrette à l’Artibonite en 1782, Sanité est sergente puis lieutenante dans l’armée de Toussaint Louverture. Elle combat aux côtés de l’homme qu’elle aime et épouse en 1796 Charles Bélair, neveu de Louverture et sergent dans son armée. Avec lui, elle dirige une révolte avec la population de sa ville natale. Elle dirige ses troupes contre l’armée du général français Leclerc, qui est chargé de rétablir l’ordre dans la colonie de Saint-Domingue. C’est à l’issue d’un combat avec les forces coloniales françaises qu’elle est capturée. Son époux se rend en espérant pouvoir assurer la liberté de sa femme, mais en vain. Ils sont jugés et sont tous deux condamné·e·s à mort pour avoir encouragé l’insurrection. Au départ, Charles Bélair est condamné à être fusillé et Sanité à être décapitée, peine moins sévère en raison de son sexe. Or, elle exige de recevoir le même sort que son mari, voulant mourir en tant que soldat. Les colonisateurs n’eurent d’autre choix que de se plier devant sa bravoure; elle meurt fusillée en 1802.

Henriette Saint-Marc (17**-1802)

Née d’une mère esclave et d’un père fonctionnaire blanc, Henriette Saint-Marc est une espionne et une fidèle alliée de l’armée des révolutionnaires haïtien·ne·s. Son origine métissée lui confère un début de vie relativement modeste tout en lui permettant la liberté. À cette époque, les enfants métis·ses pouvaient jouir de plus de liberté étant donné que leurs pères étaient souvent fortunés. Il·elle·s pouvaient, notamment, posséder une propriété et avoir accès à l’éducation.  

Vers la fin des années 1700, Henriette vit à Port-au-Prince, là où la guerre se poursuivait entre les Français et les insurgés. Femme d’une grande beauté, elle entretient plusieurs liaisons avec des soldats français ainsi que des hauts fonctionnaires français. Son charme lui permet de gagner une certaine réputation en tant que prostituée et d’accéder à l’élite française ainsi qu’à des informations privilégiées. Entre 1800 et 1802, Henriette révèle à Toussaint Louverture toutes les informations qu’elle reçoit des Français. En plus de voler des documents, des armes et de la poudre à canon pour les insurgé·e·s de l’Arcahaie, elle séduit des Français pour les attirer dans des pièges.

En 1802, essuyant défaites après défaites, les Français finirent par suspecter Henriette d’aider l’armée des insurgé·e·s et d’être à l’origine de plusieurs disparitions. Elle est alors arrêtée et pendue. La contribution d’Henriette lors de la révolution haïtienne ainsi que son courage font d’elle une révolutionnaire qu’il fallait craindre.

Marie-Claire Heureuse Bonheur (1758–1858)

Marie-Claire Heureuse Bonheur est une révolutionnaire haïtienne et la femme de Jean-Jacques Dessalines. Lors du siège de Jacmel, elle convainc Dessalines de venir en aide aux blessé·e·s et à ceux·celles qui étaient ravagé·e·s par la famine en raison de la guerre. Elle rassemble également nombre de femmes et de filles afin de venir en aide aux insurgé·e·s en délivrant des provisions alimentaires, des médicaments et des pansements. 

Catherine Flon (17**-18**)

Filleule de Jean-Jacques Dessalines, Catherine Flon est une révolutionnaire haïtienne à l’origine de la confection du premier drapeau le 18 mai 1803 lors du Congrès de l’Arcahaie. Lors de cette journée, Dessalines arrache la partie blanche du drapeau tricolore français qu’il considérait comme le symbole de la race blanche. 

Il existe deux versions de la création du drapeau. La première veut que chaque couleur du tricolore français représente l’une des trois classes qui existaient en Haïti : les Noir·e·s, les Métis·ses et les Blanc·he·s. N’utilisant que ses cheveux comme fils, Catherine Flon aurait réuni le bleu et le rouge afin de symboliser l’union des Noir·e·s et des Métis·ses. 

Wikimédia Drapeau haïtien adopté en 1820

La seconde version rapporte que Dessalines avait vu sa fille en sang après avoir été maltraitée par un colon. Il aurait déchiré sa jupe bleue et pris son foulard rouge avant de prononcer : « Jamais, plus jamais, un Français ne frappera nos filles. Liberté ou la mort ». Catherine réunit alors ces deux morceaux de vêtements, ce qui donne lieu au premier drapeau.

«Se youn nan fanm vanyan ki te patisipe nan revolisyon pou endepandans Ayiti. Youn nan pi gwo zèv li te reyalize, se drapo a li te koud. Drapo sa se senbòl fyète nou»

Fritz-Gérald Louis

Traduction: «Elle est l’une des femmes courageuses qui ont participé à la révolution pour l’indépendance d’Haïti. L’une des plus grandes actions qu’elle a accomplies a été le drapeau qu’elle a cousu. Ce drapeau est un symbole de notre fierté.»

L’apport des minorités d’origines haïtiennes, qu’elles soient femmes ou non-binaires, ne se limite pas à la Révolution, mais découle dans toutes les sphères de la société. La Révolution haïtienne est une plaque tournante pour l’Histoire et nous espérons qu’avec cet article, les noms des révolutionnaires à retenir ne se limiteront pas à ceux de Toussaint Louverture ou de Jean-Jacques Dessalines. La nation haïtienne ne serait pas ce qu’elle est sans la contribution de tous et toutes.

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Face à face avec l’Histoire: Haïti au Québec (1ère partie) https://www.delitfrancais.com/2021/02/09/face-a-face-avec-lhistoire-haiti-au-quebec-1ere-partie/ Tue, 09 Feb 2021 13:50:27 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=41762 En l’honneur du Mois de l’Histoire des Noir·e·s, Amélia, Bianca et Laura vous présentent l’histoire de la diaspora haïtienne au Québec.

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L’influence d’Haïti au Québec et à Montréal est indéniable. Il suffit pour s’en apercevoir de porter un regard sur les nombreux symboles qui sillonnent la culture québécoise. Regardons le parc Toussaint-Louverture qui rappelle un personnage historique important pour la communauté haïtienne, mais également pour l’Histoire. Écoutons le créole qui s’immisce dans le joual québécois : bagay, lakay, patnais. Et maintenant, découvrons l’origine de ces ancrages de la culture haïtienne dans le paysage québécois.

Première vague: dictature et exil politique (1960–1970)

L’histoire de l’immigration haïtienne au Québec débute avec l’instauration du duvaliérisme en Haïti. Voulant mettre fin au règne des « Mulâtres », François Duvalier, surnommé « Papa Doc », accède à la présidence de la République lors des élections de 1957, candidat choyé par l’armé. Dès son entré en poste, il amende la Constitution haÏtienne et s’auto-proclame président à vie. Il instaure dès lors un régime autoritaire à l’aide de sa propre Gestapo, les « tontons macoutes ».

C’est donc ce contexte politique très répressif que fuient, au début des années 1960, les quelques milliers d’Haïtien·ne·s qui arrivent au Québec en tant que réfugié·e·s politiques. Cette première vague d’immigration, aussi appelée «l’exode des cerveaux», est principalement composée de professionnel·le·s, d’enseignant·e·s, de médecins, d’avocat·e·s et d’infirmier·ère·s. Leur immigration est facilitée par des réformes apportées au système d’immigration au Canada: en 1962, la discrimination raciale, qui était alors l’une des caractéristiques principales de sélection des immigrations, a été éliminé par le gouvernement fédéral. 

Ces nouveaux·elles arrivant·e·s s’installent en grande majorité dans la métropole montréalaise, situation qu’ils·elles croient temporaire, ne se doutant pas que la dictature durera plus d’une trentaine d’années. De profonds changements sont alors en train de s’opérer dans la société québécoise, alors en pleine Révolution tranquille. Le besoin de main d’œuvre spécialisée est fort à cette époque où les systèmes de santé et d’éducation sont en pleine transformation. Ces services étaient jusqu’alors contrôlés par l’Église. Étant francophones, ces Haïtien·ne·s intègrent rapidement le marché de l’emploi, leurs diplômes et leurs compétences étant reconnus sans difficulté. La perte inestimable de ces intellectuel·le·s pour Haïti marque un gain important pour la société québécoise. Avec la création du Ministère de l’Éducation et d’institutions d’enseignement laïques, bon nombre d’enseignant·e·s haïtien·ne·s participent activement à la scolarisation des Québécois·e·s.

«C’est en 1966, au courant de la première vague, qu’est arrivé mon grand-père, Maurice Péan, bientôt suivi par sa femme, Irène François, et leurs enfants. Fonctionnaire auprès du gouvernement Magloire, avant la prise de pouvoir par les Duvaliers, et fervent opposant du régime, il fait partie de ces intellectuel·le·s qui, menacé·e·s par les tontons macoutes, ont dû fuir le pays. Après un détour par les États-Unis, il s’est installé à Jonquière, où il a enseigné pendant le reste de sa vie, tout en entretenant le rêve (vain) de retourner s’établir en Haïti un jour»

Laura Doyle Péan

Dans les années qui suivent le début de la dictature en Haïti, François Duvalier se proclame président à vie et assure la succession de la présidence à sa famille. En 1971, à l’âge de 19 ans, Jean-Claude Duvalier prend le pouvoir à la suite du décès de son père. «Baby Doc» effectue quelques changements par rapport au régime précédent, mais l’insécurité et la violence prévalent tout de même. 

Laura Doyle Péan Située dans le quartier Petite-Bourgogne, sur la rue Dominion, cette murale en créole n’est qu’un des nombreux signes de la présence haïtienne à Tiohtià :ke (sur l’île de Montréal).

Seconde vague: instabilité et quête d’un meilleur avenir (À partir des années 1970)

Poussé par une recrudescence de la violence, une deuxième vague d’Haitien·ne·s quittent le pays. Cette nouvelle vague se distingue de la première par sa composition. Ce sont principalement des ouvrier·ère·s, moins scolarisé·e·s et moins qualifié·e·s, qui viennent s’installer et combler les besoins de main-d’œuvre dans les secteurs de la manufacture et des services. Ils·elles vont devoir affronter de nombreux défis.

«C’est au début de la seconde vague que mon grand-père, Nicrèle Charles, arrive seul à Montréal à la recherche d’un avenir meilleur pour sa famille. Il travaille alors dans l’industrie du textile et de la broderie. Sa famille le rejoindra graduellement au cours des années qui suivent; ma mère arrivera à Montréal en 1978»

Amélia Souffrant

Ces nouveaux·elles arrivant·e·s subiront une intégration plus difficile que celle de la première vague. Étant peu qualifié·e·s, ils·elles reçoivent de faibles salaires et travaillent de longues heures souvent sans sécurité d’emploi. La discrimination raciale dans un marché du travail déjà exigeant dresse d’autres obstacles à l’intégration de ces immigrant·e·s. Les traitements discriminatoires dont sont victimes les Haïtien·ne·s au sein de l’industrie du taxi sont dénoncés dans le rapport d’enquête de la Commission des droits de la personne et mènent d’ailleurs à la création du Bureau du taxi en 1987. Au cours de cette deuxième vague, des organisations voient le jour afin de lutter contre les injustices que subissent les Haïtien·ne·s, facilitant ainsi leur intégration. C’est ainsi que sont fondés La Maison d’Haïti et le Bureau de la communauté haïtienne de Montréal (BCHM) en 1972. Ils offrent, entre autres, des services d’accueil, d’accompagnement et d’interprétation. La communauté doit faire face à de nombreux défis: «précarité de statut, pauvreté, fragilisation des familles, taux élevé de monoparentalité, décrochage scolaire, violence, délinquance, etc.»

«Vous croyez que c’est simple,
quand on vient d’un pays d’été
où tout le monde est noir,
de se réveiller dans un pays d’hiver
où tout le monde est blanc»

Dany Laferrière, Chronique de la dérive douce

À ce sujet, l’une des première mobilisations de la communauté haïtienne et de la Ligue des droits de l’homme permettra la régularisation de plusieurs sans papiers qui ont vu leur visa de touriste expirer. En 1973, à la suite de la décision du gouvernement fédéral de retirer la possibilité de demander le statu de résident permanant, c’est entre 25 000 et 30 000 immigrant·e·s qui sont menacé·e·s d’expulsion. Cette situation soulève l’indignation au Québec auprès de la société civile et du gouvernement québécois qui font pression auprès du gouvernement fédéral. Sommé de répondre à ce problème, celui-ci adopte plusieurs mesures, dont l’Opération Mon Pays qui permettra aux Haïtien·ne·s de réguler leur statut. Puis, de plus en plus de législations en matière d’immigration favorisent la réunification des familles, ce qui accordera un plus grand capital social à ces immigrant·e·s de la deuxième vague.

En 1986, la dictature des Duvaliers tombe finalement. La chute du régime ne marque pas pour autant la fin de l’instabilité politique et de l’insécurité dans un pays fragilisé par les sanctions économiques imposées par des puissances coloniales, notamment la dette d’Indépendance, équivalente à 28 milliards de dollars, que la France lui avait imposé en 1825.  

Le Canada continue donc d’attirer des immigrant·e·s. Ils·elles sont toujours en quête d’un meilleur avenir et ne prévoient pas nécessairement rentrer en Haïti, contrairement aux immigrant·e·s de la première vague. À partir des années 1990, l’immigration haïtienne sera principalement composée de travailleur·se·s qualifié·e·s.

«Ma famille et moi sommes arrivées en 2002. À l’époque, ma mère travaillait comme pharmacienne en Haïti. Elle a été « recrutée » pendant son travail par une agente d’Immigration Canada. Elle a dit à ma mère que le Canada était à la recherche de personnes comme elles, qualifiées et avec une famille afin de venir s’installer dans leur pays. En l’espace de quelques jours, mes parents ont pris la décision de s’installer à Montréal avec la certitude qu’ils pourraient ainsi offrir un meilleur avenir à leurs enfants»

Bianca Annie Marcelin

C’est dans un contexte de grande fragilité sociale que survient le séisme du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince. Le séisme de magnitude 7.0 emporte plus de 250 000 personnes et en blesse 300 000 autres. Cette terrible catastrophe amène une autre vague d’immigrant·e·s qui bénéficieront du programme de parrainage du Canada ainsi que d’autres mesures facilitant leur immigration. Entre 2010 et 2015, environ 5 500 personnes arrivent au Canada via des programmes spéciaux créés par les gouvernements québécois et canadiens. En 2016, on dénombre près de 143 165 personnes issues de la communauté haïtienne vivant au Québec, province qui accueille près de 90% de cette communauté au Canada

Plusieurs de ces personnes, de même que des travailleurs et travailleuses d’autres origines, demeurent dans une situation d’immigration précaire, attendant une décision quant à leur demande d’asile ou demeurant au pays sans statut. Cette situation a été exacerbée par la pandémie et la présence policière accrue. Le programme spécial mis en place en décembre 2020 pour permettre aux demandeuses et demandeurs d’asile ayant prodigué des soins directs aux patient·e·s durant la première vague de la pandémie de régulariser leur statut a été dénoncé par plusieurs organismes, dont la Maison d’Haïti et le BCHM, comme étant trop limité. Au début de la pandémie, ces deux groupes s’étaient joints à environ 150 organismes membres de la Table de concertation au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) pour appeler le gouvernement fédéral à régulariser toutes les personnes sans-statut vivant au Canada, et des mobilisations à cet effet continuent encore.

Cette plus récente contribution indispensable à la bonne gestion de la pandémie démontre à nouveau l’inestimable apport des communautés haïtiennes à la société québécoise.

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Délier la poésie https://www.delitfrancais.com/2020/12/01/delier-la-poesie/ Tue, 01 Dec 2020 15:08:52 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=40016 Sélection de poèmes pour conclure la première édition du concours.

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Le concours de poésie Délit et la poésie termine sa première édition en force avec près d’une vingtaine de soumissions de la part de ses participants et participantes. Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont pris part au concours. La réponse poétique de chacune et de chacun d’entre vous a dépassé nos attentes! Merci énormément à tous et à toutes pour vos contributions! Le jury délibérera dans les prochains jours afin de vous transmettre l’identité de la personne gagnante du concours, en espérant que la prochaine édition du concours soit un aussi grand succès que cette année. Donc, sans plus attendre, pour la dernière édition du Délit cette session, voici les poèmes retenus pour clore cette première édition du concours signées de la main de Laura Doyle Péan, Alexandre Bellemare, Marilou LeBel Dupuis, Ariane Labrèche et Madeline Tessier. À la session prochaine!

***

Laura Doyle Péan
Des siècles avant ma naissance

avril dernier
j’ai reçu une visite pendant la nuit

je ne savais de qui ni pourquoi
l’être n’a pas laissé sa carte
et j’ai la mémoire courte


je me suis réveillé·e en pleurs
le souffle court
ai eu une pensée pour grand-mère
qui se battait alors encore pour le sien

étrange sentiment de déjà-vu
mes rêves sont des films en reprise à TVA
je n’ai plus fermé l’œil


le visiteur n’a pas laissé d’instructions
rien qu’une boule d’angoisse existentielle
matière brute poétique

ici n’est pas mon appartement
ici n’est pas mon lit
je ne suis que de passage
vous m’avez prise pour la mauvaise personne


je jalouse souvent la foi de mes sœurs
l’assurance de ceux qui savent
retracer leur lignée
dessiner ses branches millénaires

je ne connais pas mes ancêtres
je ne connais pas ma langue
je n’appartiens à aucune terre

j’ai été déraciné·e des siècles avant ma naissance
arraché·e de chez moi
connu vents connu marées
enfoui mes secrets dans les profondeurs de l’océan
aux côtés des trésors qu’ils nous ont volés

je me suis rebellé·e des siècles avant ma naissance
armes aux mains sous le soleil des Antilles
j’ai rallié mes sœurs mes frères mes cousin·e·s
affirmé comme Christophe
Je ne vous livrerai la ville
que lorsqu’elle sera en cendre
sur ces mêmes cendres
je combattrai
encore
et j’ai survécu
vaincu l’armée du petit homme
déclaré mon indépendance
sur cette terre que j’ai fait mienne
des siècles avant ma naissance


J’ai fui des années avant ma naissance

et je fuis encore aujourd’hui

repêcher cette sagesse
quelque part au creux de mes reins
sous mes ongles peut-être
dans les battements de mon cœur

suffit-il de prendre le temps
d’y penser bien fort

je ne me souviens que des sueurs froides
de l’ombre des arbres
du vent

je ne me souviens que du désir de fuir
de tout rebâtir ailleurs
d’une vie meilleure

je ne me souviens que du désir de retourner à la maison
d’appartenir à une terre
d’en prendre soin

je ne me souviens que du désir de dire
C’est assez.

j’aurais aimé que le visiteur m’apporte la bravoure de mes ancêtres
me rappelle ce que c’est d’appartenir

je m’en veux de lui en vouloir
peut-être m’a-t-il dit tout ça
j’ai la mémoire courte

***

Alexandre Bellemare

J’en mets ici, puisque je peux pas en mettre ailleurs, & ta chute reste une chute même dos à nous-même, & tes agressions qui pleurnichent sans cesse m’ont coupé l’herbe en dessous des pieds du cœur, à partir du moment où tes corneilles se sont ankylosées et lui ont gratté la plaie jusqu’à saignement de silence désormais fleuve, un tas de paysage à jeter à la poubelle, & quand je contourne tes mots durs, j’y trouve de quoi abriter mes décès antérieurs, & dis-toi que je meurs trop souvent par le feu dernièrement, oui, la nature de cette lumière qu’est le feu & moi, où la chandelle brûle l’appartement du revers de son feu, où ma table de cuisine flambe, sous peu, dans les mots brûlants, & autour de la table s’asperge tranquille à mi-chemin de mon plancher en reste : le chemin. Celui où repose la table & certes juste est ce passage obligé vers mes natures mortes de cachette pudique. Embaume celle qui date de hier, comme pour chauffer le dehors de mon intérieur, que s’enivre mon passé, kyste d’idée confuse, quand tout brûle, j’éternise le moment, assume le fantasme pour le rendre réel, engendrée par une suite de synchronicité passé/présent. Les frondaisons alarmistes du corps s’émondent, sans guérir ce qui pleure par la poésie puisqu’en dessous d’improbables armures, je reste fictif dans le vivre d’aujourd’hui, pour des raisons étrangères à la logique du cœur achevé sans pitié & sans pour autant que perdure le contexte de nos villes respectives; le palindrome ressassé. J’ai préféré tout brûler.

***

Marilou LeBel Dupuis

Résilience nom féminin mot de neuf lettres dix pardon mot que t’entends dans un bureau un salon après les confidences les catastrophes mot prononcé en réconfort et qui traduit I acknowledge what happened to you was shitty I’m glad you made it through mot que seulement certaines crowds utilisent la tienne une communauté de gens scarifiés par des traumas qui prennent des figures d’hommes de vautours aux masques d’humanité mot compensatoire mot mantra répété répété répété pour s’assurer que tu connaisses ta force que tu câlices pas toute là mais ultimement c’est plus fort que toi tu penses toujours à des bas résille quand tu l’entends.

***

Ariane Labrèche

La peur est accroupie
Sur les branches des sapins
Siffle dans les asclépiades
Je ne connais pas son nom

Sais-tu ce qu’il en coûte
De pousser entre des craques de béton
Une canopée de franchises
Le néon pour seules vitamines
Un #4 en trio pour emporter

C’est moi qui avale la bourrasque
L’ouragan des roues sur Taschereau
J’envie la luciole j’aimerais
Moi aussi brûler sur les phares des voitures

Les arbres n’ont pas de nom ils ne sont
Que des arbres
J’ai mis la forêt dans des pots
L’asphalte est mon mycélium

***

Madeline Tessier
Chers masculins

le soir…

votre fureur
pleuvait sur nos têtes

dehors
gisaient mes lèvres
façonnées en hématome

j’étais vide
j’étais pleine
j’étais ma mère, ma sœur
j’étais la fluidité
du sang qui coule

entre mes veines éclatées
des larmes sans nom


mais…

j’ai ouvert les yeux
regardé à l’intérieur

j’ai vu les ronces
glisser sur ma gorge
poreuse
la voix noyée dans la bile
les cris avalés

j’ai tendu les mains
senti vos visages
assoiffés
vos langues, vos bras en flèches
pointés sur moi

les yeux ouverts
j’ai mémorisé vos gestes
pour que rampe sur vos cous
la moiteur de ma vengeance


puis…

j’ai sculpté ma chair
dans le marbre froid

à l’image des déesses

j’ai recousu l’acier
sur ma peau


enfin…

sur une toile neuve
je récolte mes songes
rêve de roses
qui murmurent mon nom

je vis de la brise
repose sur des nuages
de soie
ma peau blanchie
pour respirer

je suis loin
de vos mots acides
des morsures
qu’infligent vos blâmes

seule
je fonds dans la douceur
le temps d’un regard


finalement…

vous lirez mes mots
lorsque je serai partie
lorsque je basculerai d’un côté
peu importe lequel
vieille de cœur ou de peau

vous lirez mes mots
les invoquerez dans vos prières

vous me ferez sainte
espérant l’envol de vos fautes
en rêve inutile

et
à l’ombre du tournant
je vaincrai

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Cheveux crépus et droits humains https://www.delitfrancais.com/2020/02/18/cheveux-crepus-et-droits-humains/ Tue, 18 Feb 2020 13:57:04 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35707 Retour sur la conférence d’ouverture du Mois de l’Histoire des Noir·e·s à McGill.

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À l’occasion de la cérémonie d’ouverture de la quatrième édition du Mois de l’Histoire des Noir·e·s (MHN) à l’Université McGill, la Faculté de droit de McGill recevait la professeure Wendy Greene, le 3 février dernier. Figure reconnue mondialement dans le domaine du droit du travail et de l’emploi, Greene a donné une conférence à guichet fermé, intitulée Rooted : Locking Black Hair to Human Rights Activism, portant sur les liens entre les cheveux crépus et les droits humains.

Greene a débuté la conférence en relatant l’histoire de son père, « un fervent militant pour la justice sociale ». En 1963, alors étudiant au Benedict College, un établissement d’enseignement postsecondaire en Caroline du Sud, il participe avec d’autres étudiant·e·s à un sit-in pour protester contre la ségrégation raciale. Il est arrêté et accusé d’intrusion criminelle. Wendy a cinq ans lorsque sa mère lui raconte cette histoire. « L’activisme a toujours fait partie de ma vie », a‑t-elle dit pour conclure cette anecdote.

Dans ses travaux académiques, la professeure Greene interroge les façons dont les constructions sociojuridiques de l’identité, notamment la définition légale du concept de « race », forment et limitent les protections légales contre les inégalités aux États-Unis. Son travail a influencé la position de la Commission pour l’égalité des chances dans l’emploi (Equal Employment Opportunity Commission en anglais, EEOC), de juges de droit administratif, de tribunaux fédéraux et d’organisations de défense des droits civiques dans différentes poursuites judiciaires. Il est également utilisé dans des modules éducatifs pour des programmes de formation professionnelle sur la diversité et l’inclusion au travail.

Dans sa conférence, Greene a abordé le manque de protection sociale contre la discrimination en matière de coiffures, expliquant comment celles-ci sont rarement couvertes par les protections contre la discrimination raciale ou religieuse. Plusieurs États aux États-Unis ne considèrent appartenant à la « race » que les traits « immuables » d’un individu. Ainsi, un employeur qui mettrait à la porte un·e employé·e parce que celui ou celle-ci porte des tresses, des dreadlocks ou des vanillés ne pourrait, dans ces États, ne pas être accusé de discrimination raciale.

Le CROWN Act (Create a Respectful and Open Workplace for Natural Hair, Créer un environnement de travail ouvert et respectueux de la chevelure naturelle, en français) représente la première loi adoptée par un État américain à interdire la discrimination fondée sur la coiffure et la texture des cheveux. Elle étend la protection légale à la texture des cheveux et aux styles protecteurs dans la loi sur l’emploi et le logement équitables (FEHA) et les codes de l’éducation de l’État. Mentionnée par Matthew A. Cherry, producteur du court-métrage Hair Love, lors de son discours d’acceptation pour le prix du meilleur court-métrage d’animation, lors de la cérémonie des Oscars du 9 février 2020, cette loi a d’abord été adoptée en Californie, puis à New York et au New Jersey, et a également été introduite dans plus de 20 autres États américains. La professeure Greene, qui milite actuellement pour son adoption, a terminé sa conférence en invitant le public à soutenir son travail en signant la pétition de la Coalition CROWN sur le site thecrownact.com, pour aider d’autres États à se munir d’une telle législation.

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Enraciné·e·s : un travail collectif https://www.delitfrancais.com/2020/02/18/enracine%c2%b7e%c2%b7s-un-travail-collectif/ Tue, 18 Feb 2020 13:48:41 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35704 Le Mois de l’histoire des Noir·e·s s’invite à McGill.

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Le mois de l’histoire des Noir·e·s (MHN) se déroule chaque année en février, aux États-Unis, au Canada et, depuis tout récemment (2020), sur le continent africain. Il a été célébré pour la toute première fois à la Kent State University, en 1970 et reconnu officiellement par le gouvernement américain en 1976. Au Canada, ce n’est que depuis décembre 1995 — lorsque la députée Jean Augustine (première femme noire à être élue à la Chambre des communes en 1993, la première femme noire à faire partie du Cabinet en 2002 et la première commissaire à l’équité nommée par le gouvernement d’Ontario en 2007) fait voter une mention sur la reconnaissance de la contribution des Canadien·ne·s noir·e·s dans la fondation, la croissance et l’évolution du Canada — que le mois est considéré comme une célébration officielle. Pour cette occasion sont organisées, dans les milieux communautaires, académiques et professionnels, diverses conférences, festivités et prestations artistiques de toutes sortes visant à faire reconnaître l’histoire des Noir·e·s. L’événement permet également de mettre en lumière les réussites, mais aussi les difficultés des communautés afrodescendantes, et de faire le point sur les différentes luttes menées par ces communautés au fil des années.

Institutionnalisé en 2017 suite à une motion passée par le Sénat de l’Université McGill, le Mois de l’Histoire des Noir·e·s à McGill est maintenant organisé en majeure partie par Shanice Yarde. De nombreux autres acteurs y sont cependant impliqués, notamment le Black Students’ Network (BSN). Ce dernier organisait entre autres « Black Talk », un marathon radiophonique de 12h sur les ondes de CKUT célébrant les accomplissements d’étudiant·e·s et professeur·e·s noir·e·s à McGill, le 1er février, ainsi que « Black Hair Day », le 7 février, une foire des cheveux afro pendant laquelle des services de tressage et de barbier étaient offerts gratuitement aux différent·e·s étudiant·e·s.

Pour la première fois cette année, la McGill African Students’ Society (MASS) se joint à l’équipe d’organisation, laquelle comprend également le bureau du doyen et du vice-doyen (académique) et le Black Students’ Network.

Autre nouveauté pour le MHN, la cérémonie d’ouverture était organisée en partenariat avec une faculté (la Faculté de droit). « Ce fut un véritable succès et nous sommes très reconnaissants envers la Faculté de droit et le doyen Robert Leckey qui ont rendu cela possible », a déclaré Mme Yarde, en entrevue avec le McGill Reporter. « Nous espérons nous associer à une faculté ou un département différent chaque année, car c’est une excellente occasion de faire participer la communauté locale et, plus largement, l’ensemble de l’université », concluait-elle.

Cette quatrième édition du MHN à McGill a pour thème « Enraciné·e·s », thématique qui se veut faire appel à la fois au passé, au présent et au futur des communautés noires à McGill et à Tiohtià:ke (Montréal). Un thème similaire, « Nos mille et une racines  », avait été adopté par la Table de concertation du Mois de l’Histoire des Noir·e·s de Québec (MHNQ) en 2019 — preuve que la notion de « racines » est intrinsèquement liée à cet événement international qu’est le Mois de l’Histoire des Noir·e·s. C’est du moins la position que défend Mme Yarde pour expliquer le choix de la thématique « Enraciné.e.s » : « Il y a l’élément d’explorer ses racines, mais aussi de planter des racines et d’envisager ce qui est à venir. Je pense que c’est particulièrement important pour les Noir·e·s qui, à bien des égards, sont à la recherche de racines sous différentes formes. Il y a ce processus qui consiste à être enraciné·e et à se sentir enraciné·e ou connecté·e dans un lieu ou un espace. […] L’un des aspects importants du MHN est qu’il permet aux gens d’être connectés et de se sentir enracinés dans cette communauté universitaire », explique-t-elle.

Pour ce faire, le MHN propose une programmation diversifiée, cherchant à rassembler la communauté mcgilloise. On y trouve des activités pour tout le monde, dont un spectacle d’Afro Drag (« le seul spectacle de dragster entièrement noir de Montréal »), un repas communautaire organisé par BSN (Soul Food Friday) le 21 février, une Journée de la communauté et de la famille le 23 février, un hommage à l’autrice Toni Morrison le 24 février, et une conférence sur le racisme et le droit, le 26 février.

La programmation entière est disponible sur le site de l’Université McGill dans la catégorie Equity.

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Lancement officiel de la CEVES https://www.delitfrancais.com/2020/02/11/lancement-officiel-de-la-ceves/ Tue, 11 Feb 2020 15:21:50 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35612 Le mouvement environnemental étudiant s’enracine au Québec.

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« Nous sommes la sève qui monte

Dans les veines des peuples du monde

Nous sommes la sève qui monte

Nos cœurs unis battent à la seconde »

Le 4 février 2020, en soirée, réuni·e·s dans le café étudiant du Cégep du Vieux Montréal, une cinquantaine de jeunes chantent pour célébrer le lancement officiel de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES), un projet rassemblant des étudiant·e·s du secondaire, du cégep et de l’université, provenant de partout à travers la province. La création de la CEVES a été annoncée lors d’une conférence de presse en matinée, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

Résultat du ralliement de regroupements étudiants du secondaire (Pour le futur Mtl/ Pour le futur Qc), du collégial (Devoir Environnemental Collectif) et de l’université (La planète s’invite à l’Université (LPSU)) qui avaient participé à l’organisation des journées de manifestation du 15 mars et du 27 septembre 2019, la CEVES a lancé, lors de sa conférence de presse, un appel pour une nouvelle grève climatique. Cette dernière aura lieu du 30 mars au 3 avril 2020, pendant ce que la coalition appelle la « Semaine de la Transition ». Comme revendication principale, la mise en place d’un plan national d’urgence pour la justice climatique est prévue, ancré dans les 7 principes suivants :

1. Le respect de la science et des savoirs autochtones

2. L’adoption de cibles annuelles de réduction de gaz à effet de serre (GES) contraignantes, pour atteindre la carboneutralité en 2030

3. La mise en œuvre complète de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA)

4. La protection des communautés vulnérables du Canada, particulièrement des communautés racisées qui sont touchées disproportionnellement par la crise climatique

5. La collaboration avec les populations du globe qui sont disproportionnellement affectées par la crise climatique en reconnaissant la responsabilité historique du Canada envers ces populations

6. La mise en œuvre à tous les paliers d’éducation de la Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté développée par la Coalition Éducation – Environnement – Écocitoyenneté lancée en 2018

7. L’arrêt complet et immédiat de tout projet d’exploration, d’exploitation et de transport d’hydrocarbures en parallèle à des formations professionnelles ayant pour objectif de faciliter la mobilité et le transfert de la main‑d’œuvre des secteurs concernés vers ceux des énergies renouvelables.

Un travail dans l’ombre

Bien que son existence ait été révélée au public le 4 février, la CEVES, créée pendant l’été 2019, travaillait dans l’ombre depuis des mois déjà. Les trois niveaux scolaires se sont rassemblés en personne lors de deux congrès et en ligne à plusieurs reprises afin de préparer leur dévoilement. Trois équipes de mobilisation mobile sont présentement sur les routes de la province (une pour l’est du Québec, une pour l’ouest et une pour le grand Montréal) afin d’aider des groupes étudiants à se préparer pour la Semaine de la Transition.

Semaine de la Transition à McGill

La CEVES s’est également implantée à McGill, par l’entremise du groupe Climate Justice Action McGill (C‑JAM), branche mcgilloise de LPSU. Interrogée sur le lancement de la CEVES, Julie, membre du groupe C‑JAM, explique : « C’est une occasion pour C‑JAM de s’allier avec des groupes semblables à l’échelle de la province pour mettre nos efforts en commun et, encore une fois, augmenter la pression sur les gouvernements. » Elle insiste sur le fait que C‑JAM pourra tout de même conserver son autonomie quant aux enjeux à mettre en avant sur le campus, notamment le désinvestissement du secteur des énergies fossiles. Les demandes spécifiques du groupe seront révélées le 12 février, en même temps qu’une campagne de mobilisation sur les réseaux sociaux.  C‑JAM invite toute personne intéressée par la « Semaine de la Transition » à suivre ses comptes Facebook et Instagram.

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Raconter, c’est créer des connexions https://www.delitfrancais.com/2020/02/11/raconter-cest-creer-des-connexions/ Tue, 11 Feb 2020 15:16:42 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35607 Le récit d’histoires est un outil puissant pour briser les tabous entourant la santé mentale.

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Mise en garde : troubles de santé mentale, violences sexuelles, suicide

Le 27 janvier 2019, à l’occasion de la deuxième semaine annuelle du bien-être à McGill (du 27 au 31 janvier), le Bureau d’intervention, de prévention et d’éducation en matière de violence sexuelle (Office Sexual Violence Response, Support and Education, OSVRSE, ndlr), Consent McGill et le Pôle bien-être recevaient l’atelier Movies for Mental Health (M4MH). L’événement était présenté par Tanya Turton, facilitatrice pour l’organisation Art with Impact, que j’ai rencontrée pour parler du pouvoir des histoires dans les discussions sur la santé mentale.

Tanya Turton a grandi à Toronto. Elle a commencé à faire du travail communautaire par l’intermédiaire de son centre communautaire local. Aujourd’hui diplômée en travail social de l’Université Ryerson (2012) et en entrepreneuriat de l’Université George Brown (2014), elle s’est engagée dans sa pratique pour « renforcer l’amour de soi et le bien-être holistique ». Au fil des ans, elle a lancé deux initiatives : Adornment Stories, une association à but non lucratif qui utilise la beauté et les récits numériques pour aider des femmes noires qui font face à des défis en matière de santé mentale à transformer leurs expériences, et NiaZamar : Redefining Beauty, une entreprise sociale de beauté et de bien-être qui remet en question les mythes de la beauté par le biais de services, de produits et d’éducation pour accroître la confiance en soi. La vision de Tanya : construire des espaces de soins collectifs.

Avec Adornment Stories, elle a la chance de construire des relations plus durables et plus fortes avec les participant·e·s que lors des ateliers périodiques M4MH, et de les voir évoluer : « Il est transformateur d’être dans ces espaces, de construire une communauté, de voir que vous n’êtes pas seul. » Les participant·e·s sortent avec de nouveaux outils qu’ils·elles peuvent utiliser dans leur vie quotidienne, pour mieux faire face aux défis de la santé mentale.

Un changement de paradigmes

Depuis le début de sa carrière, Tanya a remarqué un changement dans la façon dont les gens parlent de la santé mentale ; changement qui, selon elle, pourrait être associé au nombre croissant d’histoires, de films, de livres et d’autres œuvres narratives qui en parlent, mais aussi à une forte implication en ligne, de la part des jeunes sur les médias sociaux. « Quand j’étais plus jeune, les gens parlaient de bien-être et de santé holistique, de bien manger […] tout était centré sur le corps », « Nous ne parlions pas de [santé mentale] ». Elle se souvient avoir commencé à entendre parler de santé mentale dans les termes employés aujourd’hui en 2012, sur Tumblr.

Tumblr, une plateforme de microblogging multimédia lancée en 2007, est devenue « l’un des sites Internet grand public à la croissance la plus rapide [en 2010–2011], son audience passant de 4,2 millions de visiteurs en juillet 2010 à 13,4 millions de visiteurs en juillet 2011 [soit une hausse de 218 %] » (Comscore). La plateforme, explique Tanya, permettait aux personnes souffrant de problèmes de santé mentale de raconter leur propre histoire. Cela a non seulement permis de sensibiliser le public à diverses questions liées à la santé mentale, puisque l’on comprend mieux les difficultés des autres lorsqu’on les voit dans des histoires, mais ce phénomène a également contribué à la guérison de plusieurs personnes. « Je sais que je guéris quand je raconte mon histoire », se confie celle qui a toujours aimé lire et écrire. « Je me sens validée et entendue. C’est libérateur de prendre quelque chose en nous et […] d’y mettre des mots. »

La notion de représentation est une partie essentielle de la solution, non seulement en ce qui concerne les personnes qui sont représentées dans les histoires que nous racontons sur la santé mentale, mais aussi en ce qui concerne les personnes qui prennent des décisions

Une question d’équilibre

« Comme toute chose, les histoires sont un outil », me dit-elle. « Tout le monde peut utiliser cet outil et n’importe quoi peut être raconté avec ». Il est donc primordial d’être très prudent·e avec la façon dont nous l’utilisons. « Certaines histoires peuvent être très dangereuses », dit Tanya. Je pense à la série 13 Reasons Why, diffusée par Netflix depuis 2017, qui a suscité l’inquiétude de nombreux·ses professionnel·le·s de la santé mentale en raison des représentations graphiques de problèmes tels que le suicide et le viol qui s’y retrouvaient.

En avril 2017, l’Association nationale des psychologues scolaires (NASP) aux États-Unis a publié une déclaration concernant la série, disant que « les recherches montrent que l’exposition au suicide d’une autre personne, ou à des récits de morts graphiques ou sensationnalistes, peut être l’un des nombreux facteurs de risque que les jeunes aux prises avec des problèmes de santé mentale invoquent comme raison pour envisager ou tenter de se suicider ». Le NASP a ensuite envoyé une lettre aux professionnel·le·s de la santé mentale dans les écoles du pays au sujet de cette série.

En mai 2017, l’Association canadienne pour la santé mentale (ACSM) et le Centre pour la Prévention du Suicide (CSP) ont publié une déclaration mentionnant des préoccupations similaires à celles soulevées par le NASP. L’ACSM estimait que la série pouvait glorifier le suicide et que certains contenus pouvaient entraîner une détresse chez les téléspectateur·rice·s, en particulier chez les plus jeunes. De plus, la représentation du suicide d’Hannah ne respecte pas les lignes directrices des médias telles qu’établies par l’Association canadienne pour la prévention du suicide (ACPS) et l’Association américaine de suicidologie. L’ACSM et l’ACPS ont fait l’éloge de la série pour avoir sensibilisé les téléspectateur·rice·s à « ce problème de santé évitable », ajoutant que « la sensibilisation doit se faire de manière sûre et responsable ». Un nombre important et croissant de recherches canadiennes et internationales a établi des liens évidents entre l’augmentation des taux de suicide et ses représentations médiatiques néfastes.

Un autre exemple d’histoires potentiellement nuisibles se trouve dans la mode du selfcare consumériste et de la culture treat yourself, très présentes sur les médias sociaux et dans les espaces universitaires.

« Il y a cette mode du selfcare qui ne reconnaît pas l’importance des soins collectifs », explique Tanya. « Une personne peut travailler très dur pour prendre soin d’elle-même mais ne pas bien aller mentalement pour autant. […] Il faut aussi reconnaître l’impact de nos diverses identités (statut d’immigration, statut socio-économique, race, genre, orientation sexuelle…) sur la santé mentale. »La maladie mentale peut venir de facteurs biologiques, oui, mais aussi environnementaux. La question que nous devons nous poser, selon Tanya, est la suivante : comment créer des espaces dans lesquels les individus peuvent prendre soin d’eux-mêmes tout en créant des connexions avec les autres? La notion de représentation est une partie essentielle de la solution, non seulement en ce qui concerne les personnes qui sont représentées dans les histoires que nous racontons sur la santé mentale, mais aussi en ce qui concerne les personnes qui prennent des décisions (dans les espaces de gouvernance) par rapport au financement des programmes de santé mentale et aux services sociaux — existe-t-il des espaces sûrs (des safe spaces) pour tout le monde ?

Les politiques doivent suivre

Les histoires peuvent transmettre de nouvelles connaissances et peuvent avoir un impact sur la façon dont nous traitons les personnes qui font face à des défis en matière de santé mentale, en influençant notre compréhension de leurs réalités. Pourtant, « les histoires ne peuvent pas changer le vécu des gens. […] D’autres éléments sont systémiques et institutionnalisés », insiste Tanya. Où va le financement pour la santé mentale? Est-ce seulement aux mesures cliniques, ou aussi préventives? Quelle est la place accordée aux soins collectifs ? À qui s’adressent les services?

Une grande partie du dialogue actuel sur la santé mentale ne tient pas compte de la culture et de la race, les services ne sont pas adaptés, conclut-elle. Il reste évidemment beaucoup de travail à faire.

Même s’ils ne sont pas suffisants si les politiques ne suivent pas, Tanya croit toujours que les récits et les événements tels que M4MH et la Semaine du bien-être ont un grand impact : « Votre présence physique montre que vous êtes intéressé·e et permet que des ressources soient investies dans la santé mentale ». 

Des resources en santé mentale sont disponibles à McGill et hors campus:

- Liste de professionnel·le·s racisé·e·s en santé mentale à Montréal, qui inclue le nom des professionnel·le·s, leurs titres, services offerts, disponibilités, coordonnées, ethnicité, langue(s), s’iels appartiennent à la communauté LGBT+, si elles ont besoin d’une référence, l’accessibilité de leur espace, leurs tarifs et si des assurances peuvent s’appliquer (rendu possible grâce à CURE Concordia).
Lien: https://bipocmentalhealth.tumblr.com/list

- Vent Over Tea: un service d’écoute active qui prend place dans plusieurs cafés.
Lien: ventovertea.com

- Peer Support Center: un autre service d’écoute confidentiel et par des étudiant·e·s, à McGilll.
Lien: psc.ssmu.ca/

- Empower me: un service qui permet aux étudiant·e·s mcgillois·e·s d’être mis·e·s en lien avec des professionnel·le·s de la santé mentale.

- Pôle Bien-être de McGill (les individus sans rendez-vous commencent à être traités à 9h).
Lien: www.mcgill.ca/wellness-hub/

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Action pour le désinvestissement https://www.delitfrancais.com/2019/11/19/action-pour-le-desinvestissement/ Tue, 19 Nov 2019 13:38:59 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=35033 Divest McGill augmente la pression en prévision du vote du 5 décembre.

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Les groupes Divest McGill, Climate Justice Action McGill (C‑JAM) et Greenpeace McGill ont uni leurs forces le 12 novembre dernier pour l’organisation d’un rassemblement en faveur du désinvestissement des énergies fossiles. Près de 200 membres de la communauté mcgilloise, principalement des étudiant·e·s, mais également des diplomé·e·s, employé·e·s et professeur·e·s, ont interrompu leurs activités et quitté leurs cours pour aller faire entendre leurs revendications.

À l’intérieur du pavillon de l’Administration, devant lequel étaient rassemblé·e·s les manifestant·e·s, avait lieu l’avant-dernière réunion du Comité de recommandations en matière de responsabilité sociale (CAMSR). CAMSR, un sous-comité du Conseil des gouverneurs de l’Université, en est présentement à sa troisième réévaluation de la question du désinvestissement depuis le début de la campagne étudiante en faveur du désinvestissement (Divest McGill) en 2012.

Une lutte globale

En début novembre, en réponse aux pressions étudiantes, la Fondation universitaire de Concordia s’est engagée à désinvestir ses actifs de 243 millions de dollars de l’industrie des énergies fossiles et s’est engagée à atteindre 100% d’investissements durables en 2025, décision qui pourrait avoir un impact sur celle de CAMSR. De plus en plus d’institutions acceptent désormais de se détourner des énergies fossiles, soulignait Laura Mackey, membre de l’organisation Divest McGill, lors du rassemblement : « Juste au cours de ce semestre scolaire, nous avons été témoins des désinvestissements du réseau University of California, de Smith College et de University College London. »

Audrey Nelles

Pas de compromis

Les demandes des groupes organisateurs ont été déposées auprès des membres de CAMSR quelques jours avant la rencontre du 12.  La revendication centrale : que l’Université mette fin à ses investissements dans les 200 plus grandes compagnies d’énergies fossiles, une liste établie globalement par réserves de carbone. Les organisateur·rice·s demandent également à ce que l’Université reconnaisse publiquement que les énergies fossiles et l’industrie des énergies fossiles causent de graves torts sociaux.

La revendication centrale : que l’Université mette fin à ses investissements dans les 200 plus grandes compagnies d’énergies fossiles

Katie Ross, impliquée auprès de Greenpeace McGill depuis maintenant trois ans, soutient qu’il n’est pas question pour ces groupes organisateurs d’accepter un compromis. « La crise climatique nous en empêche. Le rapport du GIEC est sans équivoque : il faut prendre des actions concrètes maintenant. » Le 5 décembre, le Conseil des gouverneurs de McGill prendra officiellement position concernant le désinvestissement d’après les recommandations du CAMSR. 

En vue de cette décision, des initiatives de justice climatique des quatre coins du campus collaborent pour continuer de faire pression et de faire entendre leurs revendications auprès de l’Université. Entre autres actions, une campagne vient d’être lancée pour inviter étudiant·e·s, ancien·ne·s et employé·e·s  à retenir tout don destiné à McGill jusqu’à ce qu’un engagement clair à désinvestir des énergies fossiles soit obtenu, initiative qui a déjà obtenu plusieurs centaines de signatures. Différents projets artistiques en lien avec la campagne seront également révélés au courant de la présente semaine. Toute personne intéressée à s’impliquer au sein du mouvement est invitée à contacter les organisations participantes via leurs pages Facebook.

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« Personne n’est illégal·e sur des terres volées » https://www.delitfrancais.com/2019/10/29/personne-nest-illegal%c2%b7e-sur-des-terres-volees/ Tue, 29 Oct 2019 19:16:19 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34856 Qui s’oppose au projet de construction du centre de détention de migrant·e·s?

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Fatima Gabriela Salazar Gomez a quitté le Pérou avec sa mère et son frère, alors un bambin, lorsqu’elle avait 6 ans. Ils arrivent à Miami en 1999, mais, face aux conditions de travail médiocres et au refus du gouvernement des États-Unis à leur donner la citoyenneté, décident d’aller s’établir au Canada avec un visa de touristes. Ils se font expulser du pays et doivent repartir aux États-Unis, où ils vivent sans papiers pendant 1 an et se partagent à trois un matelas dans un sous-sol. Résiliente, la mère de Fatima décide de retenter sa chance au Canada. Nous sommes alors pendant la dictature d’Alberto Fujimori, ce qui facilite le processus de demande d’asile. Fatima, sa mère et son frère traversent donc à pied la frontière États-Unis-Canada et se font interpeller par les douaniers américains. Toute la famille est en pleurs, et le frère de Fatima supplie la douanière de ne pas tuer sa mère. Finalement, les douaniers les laissent passer, mais non sans conséquence : Fatima a été barrée des États-Unis pendant 10 ans, et se fait maintenant questionner sur ces événements à chaque fois qu’elle passe les douanes. « À jamais, je resterai pour eux une personne ayant vécu de manière ‘‘undocumented’’».

Militante, féministe, étudiante engagée et citoyenne canadienne, Fatima fait maintenant un projet de maîtrise en communication à l’UdeM sur la représentation sociale de la Latina dans la culture québécoise, et travaille comme consultante pour le projet MTLElles qui vise la participation égalitaire des femmes à la vie démocratique municipale et communautaire. Lorsque je lui parle du projet de prison à Laval, celle qui autrefois était réfugiée politique au Canada s’insurge. « C’est un projet déshumanisant et empli d’une immense violence coloniale et raciste », me dit-elle. « Personne n’est illégal sur des terres volées ». Elle espère que le travail de sensibilisation et de mobilisation effectué par les différents groupes d’activistes s’opposant à la prison, notamment Solidarité sans Frontières (SSF), mais aussi par les 80 autres organismes signataires de la déclaration contre la construction de la prison, en feront réfléchir plusieurs quant aux enjeux liés à la migration. « Plus de personnes que vous ne le pensez sont affectées par ces politiques », me dit-elle.

« C’est un projet déshumanisant et empli d’une immense violence coloniale et raciste » – Fatima Gabriela

Des cibles différentes

M. Smith*, président d’une des compagnies qui avaient été approchées par le gouvernement pour soumissionner pendant l’appel de projets pour la construction de la prison à Laval, m’a accordé une demi-heure pour discuter des enjeux liés à la prison. Son message principal : lui, ses employé·e·s et les autres compagnies ayant été approchées ne sont pas tous « des monstres racistes et pro Trump ». Au moment où nous nous sommes parlé, fin mars 2019, la compagnie de M. Smith n’avait pas encore répondu à l’appel de projets, mais ne rejetait pas la possibilité de le faire, malgré la forte pression publique l’appelant à ne pas s’impliquer dans ce processus. M. Smith m’a confié que près d’une centaine de personnes l’avaient appelé en l’espace de quelques semaines pour lui demander de se retirer de ce projet « moralement répréhensible », pour reprendre leurs mots. Pour M. Smith, cependant, il s’agit bien « d’un contrat comme un autre », en ce sens que ce n’est pas l’aspect moral, mais plutôt les critères financiers qui le guident dans les prises de décision pour son entreprise. « Des contrats de 50 millions, on n’en voit pas tous les jours », me confie-t-il. Ce montant représente de quoi sécuriser une année financière complète pour une entreprise petite comme la sienne. « Mes employé·e·s doivent nourrir leurs enfants, je dois penser à eux aussi ». Lorsque je le questionne sur la moralité de nourrir ses enfants en enfermant ceux des autres, il m’avoue ne pas approuver totalement le projet. Cependant, il a l’impression que les activistes ne se tournent pas vers les « bons coupables » en s’adressant aux compagnies. « C’est l’État qu’on doit blâmer » me dit-il. « Après tout, c’est lui qui finance le projet ».

Au final, ce n’est pas la compagnie de M.Smith, mais les entreprises Lemay et Groupe A, deux firmes d’architecture basées respectivement à Montréal et à Québec, qui ont signé des contrats pour la conception des plans de construction de la prison. L’entrepreneur général Construction Tisseur Inc., dont le siège social est basé à Val-David, a quant à lui obtenu, en juillet, le contrat pour superviser la construction de la nouvelle prison. Ses travaux sur le site ont commencé le 5 août. Après que plus de 70 personnes se soient rassemblées devant les bureaux de l’entrepreneur pour la première d’une série d’actions déterminées à dénoncer la violence du système de détention du Canada, Tisseur a obtenu de la Cour Supérieure du Québec une injonction juridique contre le réseau de justice migrante Solidarité sans frontières empêchant les membres de SSF de manifester devant leur siège social. L’injonction, qui devait durer jusqu’au 1er septembre, a ensuite été renouvelée jusqu’au 31 octobre. « Les propriétaires de Tisseur aiment présenter leur compagnie comme une entreprise socialement responsable, mais ils profitent de la misère et de la violence auxquelles le gouvernement canadien contraint les migrant·e·s » a déclaré Amy Darwish de Solidarité sans frontières, lors de l’occupation devant les bureaux de Tisseur.

« Les propriétaires de Tisseur […] profitent de la misère et de la violence auxquelles le gouvernement canadien contraint les migrant·e·s »

L’image du·de la migrant·e

Fatima me parle beaucoup du pouvoir des mots et des images qui y sont associées. « Le pouvoir des mots est tellement important dans une société qui valorise la connaissance. Ce serait faux de penser que [le langage utilisé pour parler des personnes migrantes] est anodin. » Associer le mot « illégal » au mot « immigrant·e », comme le font certains médias pour parler de personnes se présentant de façon irrégulière à une frontière, de migrant·e·s et de demandeur·euse·s d’asile, ça frappe fort l’imaginaire et c’est aussi extrêmement péjoratif : « Quand tu te présentes à la frontière, oui, tu es migrante, mais tu es aussi une mère, une fille, une citoyenne d’un autre pays. Lorsque les journalistes parlent de toi d’une telle façon, c’est déshumanisant. La population se fait une image de toi sans savoir tout ce que tu as vécu, juge de ton sort avant même que le gouvernement n’ait à le faire ».

La détention est-elle nécessaire?

Dans son essai La prison est-elle obsolète ?, paru pour la première fois en avril 2003 (Are prisons obsolete?, en anglais, ndlr) et analysant les soubassements racistes et sexistes du système carcéral américain, Angela Davis écrit : « Dans l’ensemble, les gens considèrent la prison comme un fait acquis. Ils ont du mal à imaginer une société sans elle. En même temps, nul n’a envie de regarder la réalité carcérale en face, de découvrir ce qui se passe vraiment à l’intérieur de ces lieux. » (p.17)

Le parallèle avec la situation carcérale des migrant·e·s au Canada est facile à faire. Peu s’intéressent aux conditions des migrant·e·s à l’intérieur de ces « Centres de surveillance de l’immigration », qu’ils peinent à nommer par ce qu’ils sont réellement : des prisons. Beaucoup tentent de se convaincre qu’ils doivent être plus ou moins agréables, considérant la présence d’un terrain de jeu pour enfants, l’absence de barreaux visibles de l’extérieur. Très rares sont ceux qui parviennent à imaginer un paysage canadien sans centres de détention pour migrant·e·s. « Qu’est-ce qu’on fait si on sait que quelqu’un ne se présentera pas à son procès pour être déporté ? », a demandé l’une des membres de l’assistance lors de la conférence du 16 octobre. « Quelles sont les alternatives ? ».

Bien que l’emprisonnement de migrant·e·s ne soit pas un phénomène nouveau au Canada et fasse partie d’une longue histoire de violations des droits humains et de déportation, il est bon de se rappeler qu’il

n’en a pas toujours été ainsi — et que d’autres alternatives existent. En effet, le gouvernement fédéral loue parfois des chambres d’hôtels ou des résidences universitaires pour y héberger des familles et personnes demandeuses d’asile. Pour M. Smith*, la décision du gouvernement de se tourner vers la construction d’une prison pour migrants plutôt que de favoriser l’hébergement temporaire dans des lieux plus humains pourrait s’expliquer par un facteur strictement économique : « Alors qu’il en coûte cher à l’État de louer des chambres d’hôtels et chambres de résidence, ce qui empêche aux propriétaires de ces établissements de les rendre disponibles à d’autres clients, la construction d’une prison représente davantage un investissement qu’une dépense, car le centre de détention pourra être revendu dans plusieurs années, ce qui permettra de rembourser la plupart des dépenses que sa construction aura engendrées. C’est un peu comme l’achat d’une maison », résume-t-il. La question se pose alors à savoir si l’État canadien préfère protéger ses finances ou protéger les

droits humains.

« La possibilité de bloquer la prison dépendra de la prise de conscience de la population », a dit Mary, représentante de SSF, lors de la conférence organisée par RadLaw le 16 octobre. « Il faut que les gens en parlent autour d’eux, se partagent des articles, réalisent ce qui se passe à côté de chez nous ».  La construction devrait être terminée pour 2021, à moins qu’elle ne soit bloquée par des citoyen·ne·s.

*Nom fictif, le nom de cette personne a été modifié à sa demande

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Projet de prison pour migrant·e·s à Laval, de l’hypocrisie à la révolte https://www.delitfrancais.com/2019/10/29/projet-de-prison-pour-migrant%c2%b7e%c2%b7s-a-laval-de-lhypocrisie-a-la-revolte/ Tue, 29 Oct 2019 19:13:31 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34854 Quels sont les enjeux du projet de construction du centre de détention?

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Mise en contexte


En juillet 2016, une cinquantaine de migrant·e·s détenu·e·s en Ontario amorcent une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de détention et réclamer l’abolition des détentions indéfinies des personnes migrantes. En réponse à leur mobilisation et à la suite des décès d’immigrant·e·s détenu·e·s, le gouvernement fédéral annonce, à l’été 2016, qu’il investira 138 millions de dollars pour créer, selon le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale, un « meilleur et plus juste système de détention d’immigration ».

Le gouvernement fédéral promet alors de trouver des « alternatives à la détention » et d’améliorer les conditions de détention des personnes migrantes se présentant au Canada. Élément vedette du « meilleur et plus juste système de détention d’immigration » : la construction d’une nouvelle prison pour migrant·e·s à Laval, juste à côté de la prison Leclerc. Cette prison pourra enfermer jusqu’à 158 personnes et se veut « plus humaine » que sa voisine. D’ailleurs, un terrain de jeu se retrouve même dans les plans, question de distraire les enfants qui y seront incarcéré·e·s.

McGill, le Canada et les droits de l’Homme

La liberté de circulation, garantie par l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (Déclaration), donne à toute personne le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État, de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. Au sein du comité de rédaction de la Déclaration, composé de 9 membres parmi les 58 États participants à l’Assemblée générale des Nations Unies, siège John Peters Humphrey, un Canadien. Avocat, professeur à la Faculté de droit de l’Université McGill et doyen de cette même faculté pour quelques années, puis directeur fondateur de la Division des droits de l’homme de l’Organisation des Nations unies de 1946 à 1966 et président fondateur d’Amnesty International (Canada), John Peters Humphrey participe à la rédaction de la première ébauche de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Le Canada est donc présent dès les premières ébauches de la Déclaration. L’idéal commun qu’il s’est engagé à tenter d’atteindre se reflète-t-il pour autant dans ses politiques en matière d’immigration? Comment expliquer que 8781 migrant·e·s aient été détenu·e·s au Canada pendant l’année fiscale 2018–2019? (CIC DWS – Business Reporting – IHDA Datamart) Comment expliquer qu’en 2017 et 2018, 144 migrant·e·s mineur·e·s aient été détenu·e·s dans des Centres de surveillance de l’immigration (CSI) canadiens (Agence des services frontaliers du Canada)?

Nous nous sommes entretenues avec différentes personnes touchées par ce projet, y compris des membres de Solidarité sans frontières, afin de mieux comprendre les impacts de cette prison et les enjeux liés à la détention des migrant·e·s.

Solidarité sans frontières est un regroupement de personnes migrant·e·s et réfugié·e·s, d’allié·e·s et de supporteur·e·s, qui a été créé en 2003. Les demandes principales du groupe sont l’abolition de la détention des personnes migrantes, l’abolition de la déportation des personnes migrantes et la régularisation de toute personne vivant au Canada (un statut pour tout·e·s).


Laura Doyle Péan

Quels sont les enjeux du projet de construction du centre de détention?

Le 16 octobre dernier, à la Faculté de droit de McGill, le comité étudiant RadLaw, un groupe abolitionniste non hiérarchique, recevait 2 membres de l’organisme Solidarité sans frontières, Mary Foster et Carmelo Monge, pour discuter du projet de construction de la prison pour personnes migrantes à Laval, de l’histoire de la détention des migrant·e·s au Canada et des enjeux juridiques s’y rattachant.

La détention : un processus colonial

« [Il est] impossible de parler de la détention des migrant·e·s au Canada sans commencer par rappeler que nous nous situons présentement sur des terres volées, a déclaré Mary au début de la conférence, et sans rappeler que les peuples autochtones sont surreprésentés à l’intérieur du système carcéral [canadien] ». Pour cette militante, alliée des luttes des personnes migrantes, la résistance à la détention est donc nécessairement une résistance au colonialisme. L’État canadien profite d’un système d’emprisonnement et de déportation afin de restreindre l’accès au pays à certains groupes de personnes pour faciliter la venue d’autres groupes pouvant l’aider à maintenir en place sa domination. Et ce n’est pas un phénomène nouveau. « D’ailleurs, a ajouté Mary, le Ministère de l’Immigration portait le nom du Ministère de l’Immigration et de la Colonisation jusqu’en 1936. » Notons que de nombreuses politiques dans l’histoire du Canada ont servi à encourager l’immigration blanche et à décourager, parallèlement, l’immigration de tout autre type de personnes. Cela s’est fait en imposant des droits d’entrée, des frais de débarquement, des accords bilatéraux de restrictions… Des mesures ont été prises pour limiter les voyages aux Asiatiques lors de la Première Guerre mondiale, et aux migrant·e·s noir·e·s au début des années 1900. Le gouvernement ordonnait alors « aux inspecteurs de l’immigration et aux assistants médicaux qui travaillent à la frontière américaine de n’accepter aucun Noir et d’invoquer des raisons médicales » (Encyclopédie canadienne). Les manifestations de cette violence coloniale dans l’histoire canadienne sont donc nombreuses.

Portrait des détenu·e·s

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés permet à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) d’arrêter ou de détenir toute personne migrante — tant ceux·celles qui sont ici sans la permission de l’État canadien que des résident·e·s permanent·e·s — soupçonné·e·s d’être une « menace » à la sécurité publique, sujette à ne pas se présenter à son audience ou dont l’identité est remise en question. L’observation des statistiques annuelles de détention de l’ASFC montre que la peur qu’une personne ne se présente pas à son audience est l’excuse utilisée dans la plupart des cas de détention. Ainsi, a expliqué Mary lors de la conférence, toute personne faisant part à un agent frontalier de son impossibilité de retourner dans son pays d’origine, pour des raisons de sécurité, est à risque de se faire arrêter. Par ailleurs, la caractérisation de « menace à la sécurité publique » est très large. En effet, une personne jugée à risque de suicide peut être considérée comme telle. Pour ce qui est de la durée des détentions, la loi ne prévoit aucune limite, ce qui fait que les personnes détenues se retrouvent dans une situation d’extrême incertitude en attente de leur jugement et de leur possible déportation. Certaines personnes, a expliqué Carmelo, se retrouvent dans ces établissements pendant des années.

Le gouvernement prétend que ce nouvel établissement sera « plus humain » que les précédents. Les membres de Solidarité sans frontières ont tenu à rappeler qu’il n’existe pas de prison qui soit humaine, et que peu importe si les barreaux de la prison sont apparents ou pas de l’extérieur, ces derniers ont tout de même les mêmes effets sur les individus détenus : développement de problèmes d’anxiété, cauchemars, troubles alimentaires ou dépression ne sont que quelques-unes des conséquences possibles et observées chez les individus détenus, conséquences qui peuvent parfois durer bien après la libération et marquer toute une vie.

S’ajoute également à ces conséquences le déchirement des familles et des communautés des individus détenu·e·s, de même que les conséquences sociales sur leurs enfants, qui sont soit séparé·e·s de leur famille, soit privé·e·s d’un accès à l’éducation décent, et qui perdent toute envie de jouer.

Des ressources inaccessibles

De nombreuses barrières — autres que celles des murs de leur prison — s’imposent aux personnes migrantes en détention. Entre autres, un manque d’avocat·e·s en immigration prêt·e·s et aptes à accompagner ces individus de façon bénévole ou à tarif réduit. En avril, le Gouvernement progressiste conservateur de Doug Ford en Ontario a éliminé le financement de l’aide juridique pour les services pour l’immigration et les réfugié·e·s, réduisant de 30% le budget annuel d’associations comme Legal Aid Ontario, qui se sont retrouvées obligées de refuser de prendre de nouveaux dossiers, faute de moyens financiers. Partout à travers le pays, des personnes migrantes détenues dans les centres de détention ou dans des prisons provinciales, comme si elles étaient des criminelles, se retrouvent à devoir écrire leur propre défense pour leur procès, n’ayant pas les moyens financiers pour payer un·e avocat·e. Par ailleurs, les barrières linguistiques empêchent plusieurs personnes de comprendre adéquatement les conditions de leur détention et de préparer correctement leur défense. « Si tu ne connais pas le pays, ne parle pas la langue, il est beaucoup plus difficile d’avoir accès aux ressources, de savoir quels sont tes droits », a mentionné Carmelo. Des réseaux d’aide, comme Solidarité sans frontières, existent, mais combien sont ceux et celles qui les connaissent avant d’être incarcéré·e·s?

Solidarité sans frontières appelle à l’abandon complet du projet de construction de la prison à Laval. La vision de SSF s’étend toutefois au-delà de l’opposition à la prison à Laval, a conclu Mary : « Notre but est d’abolir la détention [des migrant·e·s] au Canada ». Cependant, d’ici à ce que les trois demandes du regroupement ( la fin de la détention des migrant.e.s, la fin de la déportation des migrant.e.s et un statut pour tous·tes ) ne soient adressées, il faudra aussi trouver des façons d’adresser les barrières systémiques et linguistiques empêchant les personnes présentement en détention de connaître leurs droits et d’accéder aux ressources légales, psychologiques et sociales nécessaires à leur bien-être et à leur sécurité .

Découvrez la suite de notre enquête : « Personne n’est illégal·e sur des terres volées » et « La violence est silencieuse », rencontre avec Carmelo Monge, qui partage son expérience en tant qu’ex-détenu.

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Recueillement à la Place des Arts https://www.delitfrancais.com/2019/10/08/recueillement-a-la-place-des-arts/ Tue, 08 Oct 2019 16:01:41 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34616 Vendredi 1er octobre : vigile pour les femmes autochtones disparues et assassinées.

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« Je n’ai pas de mots, que des prières. […] Je n’ai que des prières pour les femmes qui sont disparues ou assassinées » , a déclaré Nina Segalowitz avant de commencer une performance de chant de gorge traditionnel en compagnie de sa fille, Sierra, vendredi dernier. « Ce soir, je chante pour les femmes qui sont seules et qui ne sont pas respectées. J’espère qu’elles trouvent leur voix. J’espère qu’elles retrouvent la sécurité » , a‑t-elle continué, rendant hommage aux plus de 582 femmes et filles autochtones disparues ou assassinées depuis 2005 (chiffres: Association des femmes autochtones du Canada), à l’occasion d’une vigile organisée en leur honneur à la Place des Arts. Plusieurs centaines de personnes ont assisté à cette 14e vigile annuelle pour les femmes, filles, personnes transgenres et bispirituelles autochtones assassinées ou disparues. Pour débuter la soirée, Annie Pisuktie, secrétaire de l’Association des Inuits du Sud du Québec (Inuit Siqinirmiut Quebecmi Ilaujut / Southern Quebec Inuit Association) et elle-même survivante de violences, a pris la parole pour raconter son histoire. Elle a aussi rappelé la disparition de Donna Paré, une femme inuite originaire d’Iqaluit dont la disparition à Montréal a été rapportée le 26 mars dernier.

De nombreux·ses artistes se sont également succédé·e·s pour rendre hommage aux différentes familles et communautés autochtones touchées par ces disparitions. Notons la présence des poètesses Marie-Andrée Gill (Chauffer le dehors, Frayer, Béante) et Maya Cousineau Mollen, qui a lu des extraits de son recueil Bréviaire du matricule 082. Étaient également présent·e·s Rebecca Belmore, une artiste Anishinabée qui était exposée au MAC jusqu’au 6 octobre, ainsi que les Buffalo Hat Singers, un groupe de chanteurs de powwow contemporain basé à Montréal.

Selon le rapport final de l’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, sorti au début du mois de juin, le taux d’homicide des femmes autochtones est 5 fois plus élevé que celui des femmes en général au Canada. Les effets continus du racisme, du colonialisme et du sexisme vécus par les peuples autochtones comptent parmi les causes associées à cette crise. « Nous devons restaurer l’aspect sacré de notre Mère »  a déclaré MamaBear (Louise McDonald, Mère du Clan de l’Ours de la communauté Mohawk d’Akwesasne) lors de son discours d’ouverture, expliquant ensuite les liens entre la crise environnementale et la crise sociale liée aux féminicides autochtones. « Plus notre planète se fait manquer de respect et plus nos femmes et nos filles disparaissent », a‑t-elle affirmé, propos qui rejoignent ceux d’Ellen Gabriel, écoféministe autochtone selon qui « les problèmes auxquels font face les Autochtones sont imputables à des lois et des politiques coloniales qui permettent aux entreprises de prospérer grâce à l’extraction des ressources naturelles et à l’appropriation des terres autochtones de manière négligente et déresponsabilisée » (Faire partie du monde : réflexions écoféministes). MamaBear a conclu son discours avec espoir, remerciant tout le monde de s’être présenté à l’événement : « J’ai de l’espoir parce que vous êtes venu·e·s […] je pense que la société, c’est les gens. Et le changement vient de gens qui se présentent. »

« Pour toutes les personnes allochtones, maintenant que vous savez, vous avez une responsabilité d’écouter, d’écouter davantage et de faire quelque chose » , a conclu Dayna Danger, une des responsables du Centre de lutte contre l’oppression des genres, un des organismes chargés de l’organisation de l’événement. Des bénévoles du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, l’autre organisme ayant planifié le vigile, étaient présent·e·s sur place afin d’amasser des fonds pour le projet Iskweu, initiative qui vise à aider les familles de femmes et de filles autochtones disparues ou assassinées.

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Table ronde : en solidarité https://www.delitfrancais.com/2019/09/24/table-ronde-en-solidarite/ Tue, 24 Sep 2019 12:42:16 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34318 BSN et ISA discutent de comment être allié·e·s dans un contexte colonial.

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Que signifie le fait d’être un·e (bon·ne) allié.e dans un contexte colonial? Kai, étudiante en sciences politiques, Chloe Kemeni, étudiante en sociologie et études de genre, Janelle Bruneau, étudiante en géographie et études autochtones, et Noah Favel, étudiant en histoire et études autochtones, ont tenté de répondre à cette question lors d’une table ronde organisée par le Black Students Network (BSN) et la Indigenous Students Alliance (ISA). Cette activité a eu lieu dans le cadre des semaines de sensibilisation aux cultures autochtones (Indigenous Awareness weeks), qui se déroulent du 16 au 27 septembre 2019. Plus de 50 personnes se sont réunies en début de soirée, le jeudi 19 septembre, au sous-sol du restaurant de Thompson House, pour assister à l’échange.

Animée par des membres des deux organisations, Catie Galbraith (ISA) et Ayo (BSN), la table ronde portait sur l’importance et l’impact des liens communautaires ainsi que sur la représentation et les manifestations du colonialisme au sein de l’Université McGill. Le manque de professeur·e·s et d’employé·e·s noir·e·s ou issu·e·s des Premières Nations ainsi que la lenteur et la lourdeur administrative liée principalement au changement de nom des équipes sportives de l’école, suite aux nombreuses demandes faites par des étudiant.e.s autochtones au courant des dernières années (campagne Changez le nom), ont notamment été dénoncées.

« De plus en plus de personnes sont intéressées par les études autochtones, mais il y a un problème lorsque ces cours sont seulement donnés par des professeurs blancs, et que ces mêmes professeurs bénéficient de bourses de recherche et de financement pour faire ce travail, bourses qui pourraient aller à des professeur.e.s issu.e.s de nos communautés », a souligné Janelle Bruneau, une des intervenantes.

La décolonisation est-elle possible?

Janelle Bruneau et les autres étudiant·e·s ont tenu à rappeler qu’il était difficile de décoloniser une université qui se situe sur un territoire non cédé et qui a été fondée par un propriétaire d’esclaves autochtones et noir·e·s, d’autant plus que McGill ne prend même pas la peine de reconnaître ces deux faits. Certaines démarches sont tout de même mises en oeuvre au sein de l’Université et permettent d’améliorer la situation petit à petit : la création de cours en études autochtones, la reconnaissance territoriale, l’organisation d’événements tels que les semaines de sensibilisation aux cultures autochtones et l’éventuel changement de nom des équipes sportives.

Bien qu’il y ait de l’espoir qu’un réel changement se produise, il reste tout de même un long chemin à parcourir, ont mentionné Noah Favel et Janelle Bruneau, et les initiatives citées plus tôt reposent souvent uniquement sur le dos des étudiant·e·s et employé·e·s autochtones. Par où commencer, alors? En ouvrant les portes à encore plus d’étudiant·e·s et de professeur·e·s autochtones, en organisant davantage d’événements similaires et en s’assurant que les étudiant·e·s aient des espaces pour partager leurs expériences, être entendu·e·s et écouté·e·s.

Des allié·e·s informé·e·s

Chloé Kemeni et Kai ont discuté de la place des allié·e·s blanc·he·s au sein de leurs organisations et mouvements, en soulignant l’importance de la conscience de soi et de l’éducation. « Google n’est pas difficile à utiliser », a dit Kai, en rigolant. « Il est facile de se renseigner par soi-même, puis de partager nos connaissances avec notre entourage ». « Et parfois, le simple fait de venir dans ce genre d’évènements représente déjà un grand pas », a ajouté Noah Favel, reconnaissant envers son audience. « Ce sera parfois inconfortable, mais tout ce qu’on vous demande, c’est de vous asseoir avec ce manque de confort et [de nous] écouter, puis d’essayer de comprendre », a conclu Chloé Kemeni.

Une alliance naturelle

L’organisation de cette activité a été prise en charge par Ayo et Catie Galbraith, les deux animateur·rice·s, ainsi que Vanessa Racine, co-présidente de la ISA, et Janelle Kasperski, conseillère en éducation autochtone et organisatrice des semaines de sensibilisation aux cultures autochtones. Ce partenariat entre diverses associations leur est apparu comme une « alliance naturelle » entre les communautés noires et autochtones, aux dires d’Ayo et de Noah Favel. En effet, souligne M.Favel, étudiant en histoire, ces communautés ont toutefois beaucoup de vécu commun, bien qu’ayant chacune leurs réalités propres et distinctes.

La colonisation nord-américaine s’est faite en plusieurs étapes.  Certaines s’attaquaient directement aux communautés autochtones, visant entre autres à déconnecter ces dernières de leurs langues, de leurs cultures et de leurs territoires, d’autres visaient plutôt les communautés noires. Notons également que l’esclavage au Canada a touché à la fois les peuples autochtones et les personnes noires.

L’historien Marcel Trudel a recensé plus de 4000 esclaves au Canada, dont les trois quarts étaient d’origine autochtone, communément appelés des « panis », et le quart restant était d’origine africaine (voir L’Esclavage au Canada Français. Histoire et conditions de l’esclavage aux Presses de l’Université Laval et Deux siècles d’esclavage au Québec chez Hurtubise).

La participation des Autochtones en tant qu’allié·e·s pour le chemin de fer souterrain qui permettaient à ceux·celles ayant soif de liberté de fuir l’esclavage du Sud des États-Unis en venant se réfugier au Canada a également été soulignée par Noah Favel, pour montrer que l’entraide entre les communautés autochtones et noires ne date pas d’hier. Tout laisse donc à penser qu’elle durera encore pour longtemps. D’autres activités organisées conjointement par le BSN et la ISA « sont envisagées, en prenant cette fois-ci soin d’inviter d’autres communautés racisées ou marginalisées à prendre part à la discussion », a confié Ayo, sans toutefois confirmer de date officielle ni de thématique précises pour ces activités. À surveiller, donc, sur les pages Facebook du Black Students Network et de la Indigenous Students Alliance.

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