Louis-Thomas Kelly - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/louis-thomas-kelly/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 10 Sep 2019 20:54:32 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Démocratiser le « Cadre Bâti » https://www.delitfrancais.com/2019/09/10/democratiser-le-cadre-bati/ Tue, 10 Sep 2019 14:52:44 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=34135 Perspectives sur les aspirations d’urbanisme participatif à Montréal.

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La politique urbaine montréalaise connaît actuellement une période de transformation. Des initiatives telles que le nouveau Règlement pour une métropole mixte ou le projet ambitieux de réaménagement du secteur des Faubourgs dans l’est du centre-ville sont deux exemples parmi bien d’autres d’un effort de démocratisation du processus d’aménagement du territoire. Ces démarches initiées par la Ville de Montréal tentent de faire de l’urbanisme une science plus ancrée dans les réalités quotidiennes de ses habitant·e·s.

Un héritage conflictuel

Malgré un passé marqué par une fragmentation socio-politique, Montréal se veut être un lieu d’entente où se rencontrent des intérêts divergents. D’après Jocelyn Maclure et François Boucher, tous deux chercheurs en philosophie éthique et politique à l’Université de Sherbrooke et de Montréal, une doctrine civique pluraliste a émergé au Québec dans le but de stabiliser les tensions provoquées par des sentiments nationalistes. Par le passé, la division sociolinguistique entre francophones et anglophones à Montréal se reflétait dans la manière même dont la ville était structurée. La langue était la ßmanifestation d’inégalités sociales et économiques considérables; le cloisonnement de quartiers répartis de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent les amplifiait. Ces relations conflictuelles ont simultanément façonné et été nourries par une certaine organisation du territoire. Durant la crise linguistique des années 1970, par exemple, les écoles ainsi que d’autres institutions publiques devenaient le terrain de jeu d’acteur·rice·s rivaux·ales dans la lutte pour ou contre la francophonie et parfois, par extension, pour ou contre l’indépendance.

Aujourd’hui, ces tensions se sont apaisées, mais les marques qu’elles ont laissées sur la ville demeurent. C’est pourquoi une nouvelle approche politique et philosophique est en train d’être mise en œuvre, dans le but de concilier des opinions divergentes et d’atténuer des clivages socioculturels et économiques encore très présents. Cette approche se caractérise par un effort de multiplication de voix citoyennes dans le domaine de gestion municipale, par le biais de mécanismes politiques qui font appel aux citoyen·ne·s, leur demandant de donner leur avis quant à la réalisation de nouveaux projets dans leur quartier ou arrondissement. Selon la Politique de consultation et participation publiques de la Ville de Montréal, il est primordial que tout·e Montréalais·e ait la possibilité et la capacité d’influencer les décisions publiques. La position de la ville s’aligne de ce fait avec la vision de Charles Taylor : Montréal doit être un milieu social soutenu par une pluralité d’acteur·rice·s et par une participation active de la part des citoyen·ne·s.

« Il est primordial que tout·e Montréalais·e ait la possibilité d’influencer les les décisions publiques  »

La prolifération de cette stratégie municipale est évidente dans les espaces de délibération publique qui mettent en relation différentes sphères de la population. En pratique, la philosophie montréalaise fournit des espaces concrets pour l’engagement civique, avec des impacts qui se matérialisent de diverses manières. Maryse Chapdelaine, chargée de projet et porte-parole pour la Table de Quartier Peter-McGill, estime que le pilier central de la démocratie est la capacité d’être informé·e. Que ce soit par le biais de conseils consultatifs, de données de recherche rendues accessibles ou de surveillance démocratique de la part de l’ombudsman, l’accès à l’information permet aux citoyen·ne·s d’être toujours à proximité du processus décisionnel.

Un paysage urbain révélateur

Quand la ville devient sujet d’analyse, elle dévoile un tableau peint par la gouvernance. La forme urbaine n’est pas qu’une séquence de paysages. La propreté des rues, l’état des bâtiments, la fréquence des transports en commun et l’étendue des zones desservies, la présence d’installations culturelles agissent tous·tes comme indicateur·rice·s de la santé d’une démocratie. Le « cadre bâti » montréalais serait un pilier de la vie démocratique. En 2002, pour assurer l’accès des citoyen·ne·s au processus décisionnel dans le domaine de l’urbanisme, la Ville a mis en place l’Office de consultation publique (OCPM).

L’organisme, indépendant à la fois du secteur public et des entreprises privées, joue un rôle de médiation dans la gestion de l’espace public. Son mandat porte surtout sur des projets en urbanisme et en aménagement du territoire, ou tout autre projet soumis par le comité exécutif ou le conseil municipal. L’organisme a la capacité d’influencer les politiques majeures qui déterminent la forme de la ville, telles que le Plan d’Urbanisme de Montréal, les amendements de zonages et toute autre loi municipale imposant une forme particulière à la ville.

L’OCPM sert ainsi de contrepoids au monde lucratif de l’immobilier qui est particulièrement centré sur les intérêts privés et les profits, aux dépens, bien souvent, du bien-être des citoyen·ne·s. L’Office de consultation intervient dans un domaine qui a, pendant très longtemps, ignoré la volonté des personnes qui sont directement concernées par son processus décisionnel. Malgré une culture industrielle concentrée sur les revenus, l’OCPM se mobilise comme porte-parole de l’intérêt commun, et donne une voix au public – amplifiée lorsqu’une pluralité de segments sociaux est mobilisée – qui se matérialise par des projets urbains modifiés pour tenter de satisfaire les goûts et les intérêts de différents groupes au sein d’une même zone géographique. L’intervention de l’OCPM se matérialise avec des rapports soumis à la ville et faciles d’accès sur leur site Web. Dans le cadre du réaménagement de la rue McGill College au début de l’année, l’organisme a rédigé un rapport synthétisant les vœux du public, et a communiqué une liste de suggestions formulées par des professionnel·le·s pour un aménagement qui prend en compte les besoins de ses multiples usager·ère·s.

L’engagement civique en action

En créant des espaces de délibération publique, l’organisme est catalyseur de convergence sociale, d’accès à l’information et d’expression créative, dans le but d’activer la représentation civique au cœur même de l’urbanisation de la ville de Montréal.

Stéfanie Wells, secrétaire-analyste chez l’OCPM,  lors d’un entretien, a mis l’accent sur le rôle essentiel des citoyen·ne·s dans l’aménagement de la ville. Wells explique très justement que les résident·e·s sont des expert·e·s du quotidien : les citoyen·ne·s eux·elles-mêmes font les observations les plus importantes par rapport à l’aménagement de la ville. Ceux et celles qui vivent, circulent, travaillent à Montréal sont essentiellement les plus équipé·e·s pour déterminer la forme et la fonction du « cadre bâti », et sont de ce fait les plus aptes à commenter sur l’aménagement futur du territoire urbain.

L’office s’assure de déployer des moyens tangibles, tels que des consultations publiques à grande échelle, pour tendre le micro aux citoyen·ne·s. Cependant, des espaces formels tels que des ateliers créatifs ou les consultations publiques peuvent poser des problèmes d’accessibilité pour certaines personnes. Pour assurer l’accès au processus décisionnel, des stratégies informelles ont été créées, telle que la mobilisation du contenu sur les réseaux sociaux. Le dynamisme de ces deux stratégies élargit l’échantillon de recherche, approfondit l’aperçu du consensus collectif, et assure que la démocratie participative soit accessible au plus grand nombre. 

« Les citoyen·e·s ont le pouvoir politique de se réserver une place à la table de dessin »

Tant que sa métamorphose continue, l’urbanisation montréalaise sera de plus en plus marquée par une contribution civile. Les citoyen·ne·s ne sont certes pas les architectes principaux·ales, mais il·elle·s ont le pouvoir politique de se réserver une place à la table de dessin. L’approche montréalaise de l’urbanisme, se calquant sur l’esprit démocratique de Charles Taylor, assure un engagement civil actif par les expert·e·s du quotidien. Le résultat est un lieu matérialisant ces valeurs démocratiques dans les infrastructures physiques et sociales, qui soutiennent les fonctions de la métropole et se veulent un milieu de vie véritablement communautaire.

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La résilience francophone https://www.delitfrancais.com/2019/01/22/la-resilience-francophone/ https://www.delitfrancais.com/2019/01/22/la-resilience-francophone/#respond Tue, 22 Jan 2019 13:34:39 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=32900 Les Franco-Ontariens prennent la parole après les coupures du gouvernement Ford.

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La nouvelle péripétie du casse-tête fédéraliste se présente sous la forme d’une menace provenant de la politique linguistique du gouvernement de Doug Ford en Ontario. Dans le cadre de compressions budgétaires ayant pour objectif la diminution du déficit provincial, le gouvernement conservateur ontarien a fait des coupures aux services offerts en français. La mise à jour fiscale du 15 novembre dernier a annoncé la suppression du poste indépendant de commissaire aux services en français de l’Ontario : un rôle impératif à l’assurance de la qualité des services en français accessibles aux plus de 600 000 Franco-Ontariens.

La personne désignée comme commissaire est de fait un porte-parole indépendant de la communauté francophone auprès du gouvernement provincial grâce à ses analyses et ses recommandations annuelles. De plus, le gouvernement Ford a annoncé l’annulation du projet d’une université de langue française à Toronto ou dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Un projet marquant qui démontrait un immense pas en avant vers l’accession aux services en français en Ontario.

Une décision critiquée

Cette politique linguistique s’est fait condamner sur-le-champ, la justification s’étant fait entièrement rejeter par l’ex-commissaire lui-même. En effet, dans une entrevue avec Radio-Canada datant du 19 novembre 2018, François Boileau affirme son incompréhension face à la décision prise par le gouvernement d’annuler le caractère indépendant de son poste, passé sous la juridiction de l’ombudsman de la province. Il estime que les coupures vont épargner au gouvernement 300 000 dollars, en comptant son salaire, puisque ses employés seront sous l’égide de l’ombudsman. Évidemment, ce sont des chiffres minuscules en comparaison à l’ampleur du budget de la province de l’Ontario qui approche les 150 milliards de dollars par an.

Selon Marie Drolet, doctoresse à l’Université d’Ottawa et chercheuse dans le domaine de l’accès aux services en français en contexte minoritaire, le commissaire joue un rôle primordial à la survie franco-ontarienne : « Le commissaire aux services en français, François Boileau, est celui qui s’assure que la Loi sur les services en français de 1986 est bien appliquée, en recevant des plaintes, assurant des suivis et déposant des rapports annuels analysant des enjeux particuliers au sein de la francophonie ontarienne ». Son analyse met l’accent sur l’ampleur du choix politique de Ford : la décision de novembre dernier créera un immense vide au sein de l’administration publique en Ontario.

Depuis l’annonce des coupures en novembre et les condamnations qui ont suivi, un recul s’est opéré. La province a annoncé la fusion du Commissariat aux services en français et du bureau de l’ombudsman – un bureau indépendant qui enquête sur toutes les formes de plaintes des citoyens face aux violations de leurs divers droits civils. D’après Boileau, son rôle de commissaire est différent de celui de l’ombudsman. Son mandat  va beaucoup plus loin: il doit faire la promotion et la défense du français en Ontario.

En réalité, les décisions du gouvernement de Ford démontrent un manque de compréhension de la situation canadienne-française. Les priorités budgétaires de Ford présentent un obstacle majeur à l’accommodation efficace des services essentiels offerts en français à la minorité linguistique provinciale. De plus, les ajustements insuffisants du gouvernement Ford, comme le refus le 14 janvier dernier de tenir compte des 1,9 million de dollars du gouvernement fédéral nécessaires au maintien du projet de l’Université de l’Ontario français, démontrent le manque de respect du gouvernement ontarien envers la communauté franco-ontarienne. 

Résistance francophone

Face à la nouvelle péripétie de la lutte canadienne-française pour des droits et des services d’accommodation minoritaire suffisants, la résilience de la nation francophone est flagrante. La mobilisation de la communauté francophone démontre la profondeur de l’injustice. Selon la doctoresse Drolet, l’enjeu transcende les frontières provinciales et est devenu un point commun dans la lutte pour le respect des droits francophones au Canada.

Face à la nouvelle péripétie de la lutte canadienne-française pour des droits […] suffisants, la résilience de la nation francophone est flagrante

Doctoresse Drolet, gestionnaire de projets au Centre psychosocial à Ottawa, démontre l’ampleur de la situation en soulignant la situation actuelle dans les services de santé mentale : « Selon Gagnon-Arpin et al (2014), la majorité des francophones en situation minoritaire préfèrent avoir des services en français. Cependant, seulement 40% des Franco-Ontariens reçoivent leurs services sociaux, de santé et de santé mentale en français. Pire encore, deux francophones sur trois (67%) en Alberta ne reçoivent pas de services dans leur langue, presque trois francophones sur quatre (72 %) en Saskatchewan et quatre sur cinq (78 %) à Terre-Neuve et Labrador. 

La communauté franco-ontarienne s’est mobilisée et fut nombreuse le 1er décembre dernier dans les villes de la province. L’Assemblée de la francophonie de l’Ontario (AFO), porte-parole de la résistance francophone, a annoncé que « 14 326 personnes sont sorties, partout en province, pour s’opposer à l’injustice des coupures annoncées par le gouvernement provincial visant la suppression de l’Université de l’Ontario français et du Commissariat aux services en français. Il y a même eu neuf manifestations de solidarité aux Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes dans les autres provinces canadiennes. »  Ces diverses manifestations de solidarité ont même eu des échos sur la scène internationale. Peu importe la province de résidence, les Canadiens-français et les Canadiens-anglais francophiles se sont unis autour de la cause de condamnation de la discrimination envers les minorités linguistiques de langues officielles canadiennes. Ceci démontre la solidarité profonde parmi les différents groupes canadiens-français, mais surtout l’union fédérale au sein de la politique canadienne. La mobilisation et la solidarité entre les groupes démontrent véritablement que la réconciliation est la colonne vertébrale du fédéralisme canadien.

La place fragile du français

D’un point de vue historique, la nation minoritaire canadienne-française a été dominée par la majorité anglophone depuis 1759. Il est évident que le français est une langue menacée au Canada, et doit ainsi être protégé par des mécanismes législatifs, comme la Loi sur les langues officielles de 1969. Un gouvernement fédéral – étant donné la multitude de contextes rendant une trop grande centralisation difficile et inopportune – est généralement reconnu comme le système idéal pour gouverner un territoire vaste et diversifié. Une structure constitutionnelle, comme celle du Canada, qui divise les pouvoirs entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires sous-nationaux se place comme un point de réconciliation. Les défauts d’un tel système de gouvernance semblent se répéter, les intérêts provinciaux variés et divergents se présentant comme un obstacle à l’harmonie nationale. Ainsi, le cas canadien se présente comme un point d’analyse idéal de tous ces espoirs, enjeux et défis.

La population canadienne-française est majoritairement située au Québec, bien que la population francophone du Canada s’étende en dehors des frontières québécoises. La concentration de la majorité des francophones est au Québec, où le français est la langue officielle, et la plupart des minorités francophones se situent en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Ceci ajoute une complexité à la gouvernance canadienne. Dans le fond, le résultat est une asymétrie des politiques aux niveaux fédéral et provincial. La nation minoritaire canadienne-française (hors Québec) se voit accorder des droits particuliers, notamment grâce à la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, en guise de préservation d’une identité qui se distingue de la majorité anglophone. Le résultat est que la menace d’assimilation, et donc d’extinction du français, a créé une résilience particulière parmi les francophones en contexte minoritaire au Canada.

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