Marco-Antonio Hauwert Rueda - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/marcoantoniohauwertrueda/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Sat, 12 Aug 2023 21:51:52 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 (Re)trouver mon amour pour la lecture https://www.delitfrancais.com/2022/04/06/retrouver-mon-amour-pour-la-lecture/ Wed, 06 Apr 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48407 « J’ai décidé d’essayer quelque chose de nouveau : je me suis offert un abonnement au magazine The New Yorker »

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Je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai fini un livre. Voilà une affirmation bien préoccupante, étant donné que je suis l’éditeur Philosophie au Délit depuis un an et demi et que mon poste exigerait a priori que je sache dévorer des volumes et des volumes de pages dans de courts délais. Cependant, chaque fois que j’ouvre un livre, c’est comme si j’entrais dans une bataille frénétique contre des démons imaginaires qui tentent de tout faire pour me détacher de ma lecture. Lorsque je lis, je me souviens soudainement de toutes mes obligations extérieures: le tas de vêtements sales me regardant avec dédain du coin de ma chambre, le devoir d’économie menaçant de ruiner mon futur, la facture de mon contrat téléphonique m’annonçant que je n’ai pas réglé mon compte depuis trois mois, et tant d’autres problèmes s’annonçant soudainement en cours de route. C’est comme si tous ces démons attendaient patiemment le feuillettement d’un nouveau livre pour me submerger de préoccupations.

La chute

      J’ai toujours eu du mal à lire. Je me souviens d’une fois, au primaire, où l’on devait finir de lire un chapitre avant l’heure de la cantine. Mes camarades de classe avaient fini depuis plus d’une quinzaine de minutes alors que, moi, j’étais encore collé à mes pages au moment où la cloche sonnait. Je me souviens de ma frustration alors que l’enseignante croyait que je n’avais simplement pas essayé assez fort. J’avais pourtant vraiment essayé. J’avais essayé avec tout mon être d’entraîner mon cerveau à travers ces longues pages, phrase par phrase, mot par mot, afin d’accomplir la tâche assignée, sans succès.

« Ce n’est pas que je ne voulais plus lire – mes étagères pleines de livres intacts en témoignent – mais que je ne le pouvais pas »

Pendant presque toute ma vie, j’ai simplement accepté mon sort. J’ai accepté le fait que j’étais un lecteur lent et j’ai conçu des stratégies pour vivre avec le problème, souvent en trouvant des façons d’éviter de lire. Ce n’est pas que je ne voulais plus lire – mes étagères pleines de livres intacts en témoignent – mais que je ne le pouvais pas. À chaque fois que je tentais de déchiffrer un livre, même si j’étais motivé et que j’aimais le contenu de ma lecture, je n’étais tout simplement pas capable de lire plus de quelques pages en une séance.

Ensuite, je suis arrivé à l’université. D’un jour à l’autre, j’avais des tas et des tas de lectures à faire pour je ne sais plus quels cours de je ne sais plus quelles matières. Le peu de lecture pour le plaisir que je faisais encore à ce point, j’ai complètement cessé de le faire. Cela m’a en effet permis de suivre le rythme de mes cours plus facilement, mais je maintenais toutefois toujours une certaine frustration par rapport au fait que je ne lisais plus. Je sentais que j’étais en train de rater des mondes entiers d’expériences et de connaissances, et la peur d’événemanquer me tourmentait.

« J’ai décidé d’essayer quelque chose de nouveau :  je me suis offert un abonnement au magazine The New Yorker »

Mais que pouvais-je faire? La lecture me prenait toujours énormément de temps et d’énergie, et je n’avais aucune de ces deux choses à ma disposition, plongé dans l’agitation épuisante de mon quotidien. Même au Délit, en ma qualité d’éditeur Philosophie, je lisais toujours la quantité minimale nécessaire afin d’écrire mes articles, au risque de publier des médiocrités.

Le relèvement

Les choses ont continué ainsi jusqu’à ma troisième année à l’université, lorsque des problèmes de santé m’ont forcé à réduire ma charge de travail. Après quelques mois de repos, je me voyais soudainement avec de l’énergie que je ne devais plus dédier à mes cours. Voulant retenter ma chance dans le monde des lettres, mais conservant toujours une certaine peur des démons de la lecture, j’ai décidé d’essayer quelque chose de nouveau: je me suis offert un abonnement au magazine The New Yorker.

« J’ai peu à peu acquis une confiance renouvelée en ma capacité d’atteindre la fin d’un récit »

Soudain, un monde nouveau s’est ouvert à moi. J’ai découvert avec merveille un gigantesque catalogue d’articles aux allures de romans mais aux longueurs modestes: des portraits détaillés de célébrités multiformes, des réflexions profondes sur des sujets ordinaires, des fenêtres intimes dans les vies d’étrangers. Les récits courts du magazine, toujours racontés avec une légèreté et une proximité chaleureuses, m’offraient le plaisir de la prose sans l’angoisse attachée au fait d’être à plus de cent pages de la fin d’une histoire. À ma surprise, je me suis découvert un amour pour la nouvelle.

Alors j’ai commencé à lire davantage – m’aidant souvent de la fonction de lecture vocale offerte par le site du magazine. J’ai commencé à explorer des sujets et des registres qui tombaient en dehors de ma zone habituelle de confort, et j’ai peu à peu acquis une confiance renouvelée en ma capacité d’atteindre la fin d’un récit. Et qui m’aurait dit que celle-ci valait véritablement la peine! Le monde des fins contient des richesses et des merveilles qui m’avaient toujours été inconnues. L’ouverture de ses portes s’est probablement avérée être la plus grande surprise dans ma nouvelle aventure littéraire.

Aujourd’hui, je peux triomphalement affirmer que cette aventure n’est pas encore conclue et que je lis toujours. Bien sûr, je peine encore parfois à attacher les mots d’une phrase entre eux, mais je me suis majoritairement défait de cette peur fondamentale de la lecture qui m’a hantée pendant si longtemps. Au moins pour le moment, je peux trouver une satisfaction dans le fait que les récits courts ne réveillent plus mes démons intérieurs.

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Le Délit et la bouffe https://www.delitfrancais.com/2022/03/30/le-delit-et-la-bouffe/ Wed, 30 Mar 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48287 Recommandations de la rédaction : recettes.

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Myriam Bourry-Shalabi – Éditrice Actualités

Les feuilles de vigne farcies de Baba

Depuis mon plus jeune âge, j’ai des souvenirs de ma grand-mère et de mon père assis·es à la table de la cuisine pendant des heures, en train de méticuleusement farcir et rouler des feuilles de vigne. Tout commence avec la farce. Pour les carnivores, on mélange du riz avec du bœuf haché et des épices de son choix (persil, poudre d’oignon et d’ail). Pour les paresseux·ses, je suggère d’errer dans un marché moyen-oriental afin d’acheter du kofta, un mélange déjà préparé. Des lentilles vertes avec des épices zaatar peuvent substituer la farce traditionnelle. Ensuite, on coupe les tiges de la feuille de vigne, on farcit le centre de la feuille avec le mélange de son choix et on s’assure de bien rouler le tout « comme une couche pour bébé bien serrée », comme dirait mon père. Finalement, on ajoute de la sauce tomate par dessus et on met au four pour une heure afin de laisser cuire la feuille farcie dans la sauce. À déguster avec ses doigts! 

  • 3/4 de tasse de riz
  • 250 g de bœuf haché
  • Persil 
  • 2 c. à soupe de poudre d’oignon
  • 2 c. à soupe de poudre d’ail
  • 1 pot de feuilles de vigne
  • 2 tasses de sauce tomate

  1. Mélanger le riz avec la viande, le persil, la poudre d’oignon et d’ail.
  2. Couper les tiges de la feuille de vigne.
  3. Farcir le centre de la feuille avec le mélange et rouler le tout.
  4. Ajouter de la sauce tomate par-dessus.
  5. Faire cuire 45 minutes à une heure à 375°F.

Marco Antonio Hauwert Rueda – Éditeur Philosophie

Pinchos espagnols à la Marco

En honneur à mon pays d’origine, l’Espagne, dont les odeurs et les saveurs me manquent tellement dans le climat glacial de Montréal, j’ai choisi de présenter ma version personnelle des traditionnels pinchos espagnols. Les pinchos contiennent généralement autour de trois ingrédients principaux que l’on traverse d’un pique. L’on sert habituellement plusieurs plats de pinchos différents lors d’un repas pour pouvoir les partager avec ses proches. Les recettes peuvent être extrêmement variées et personnalisables. L’on peut avoir un pincho « méditerranéen », avec un cube d’avocat, un cube de fromage feta et une tomate cerise (à aligner avec de l’huile d’olive et du sel). L’on peut avoir un pincho au poulet, avec du poivron rouge, de l’oignon et un peu de citron. L’on peut avoir un pincho plus traditionnel, avec un anchois, un morceau de fromage de chèvre et une olive, le tout sur un morceau de pain. Les possibilités sont infinies!

  • 1 cuisse de poulet
  • 1 poivron rouge
  • 1 oignon
  • 3 ou 4 gousses d’ail
  • Vos épices de poulet préférées
  • Une baguette

  1. Couper l’oignon, le poivron rouge et les gousses en tout petits morceaux.
  2. Cuire l’oignon, le poivron rouge et les gousses d’ail dans une poêle avec de l’huile d’olive.
  3. Couper la cuisse de poulet en cubes.
  4. Ajouter les cubes de poulet à la poêle.
  5. Ajouter les épices.
  6. Couper la baguette en tranches, couper les tranches en deux.
  7. Mettre un morceau de poulet recouvert de légumes sur chaque demi-tranche de baguette.
  8. Traverser d’un pique!

Philippe Bédard-Gagnon – Rédacteur en chef

Les galettes aux bananes de Mme Saint-Pierre

Ce n’est pas le genre de recette qui rallongera votre espérance de vie, mais c’est celle qui la rendra digne d’être vécue. Ma grand-mère la tient d’une certaine Mme Saint-Pierre, la mère d’une de ses amies d’enfance. À ce jour, nous n’avons pas trouvé mieux! Il s’agit d’une recette toute simple de galettes aux bananes pour laquelle j’ai seulement remplacé l’œuf par une alternative végétale, soit un mélange de graines de lin et d’eau. Ces galettes permettent de valoriser des bananes très mûres ou congelées. Simples et abordables, elles requièrent peu de temps de préparation et de cuisson ; Mme Saint-Pierre était une enseignante qui devait nourrir ses sept enfants. Conserver les galettes dans un endroit frais et sec, les réfrigérer pour plus de longévité. Elles resteront moelleuses et bien grasses!

  • 1 tasse de bananes pilées
  • 3/4 de tasse de graisse végétale fondue
  • 1 1/2 tasse de farine
  • 1 tasse de sucre
  • 1 3/4 tasse de gruau ou de gruau rapide
  • 1/4 c. à thé de muscade
  • 1 c. à thé de poudre à pâte
  • 3/4 c. à thé de cannelle moulue
  • 1 c. à thé de sel
  • Œuf végétal : 1 c. à soupe de graines de lin moulues et 3 c. à soupe d’eau

  1. Dans un petit bol, mélanger les graines de lin moulues avec l’eau. 
  2. Laisser reposer pendant 5 minutes en mélangeant de temps à autre.
  3. Dans un grand bol, combiner les ingrédients secs.
  4. Incorporer les ingrédients mouillés et l’œuf végétal dans le grand bol à l’aide d’un mélangeur électrique.
  5. Sur une plaque de cuisson non graissée, transférer l’entièreté du mélange en formant de petits disques espacés. 
  6. Mettre au four pendant au moins 20 minutes à 350°F.
  7. Sortir du four et laisser refroidir pendant 5 minutes avant de se servir. 
  8. Les manger telles quelles ou avec un verre de lait végétal.

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La religiosité particulière de Kierkegaard https://www.delitfrancais.com/2022/03/23/la-religiosite-particuliere-de-kierkegaard/ Wed, 23 Mar 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48031 Portrait d'un ardent défenseur de Dieu et du tourment qui l'accompagne.

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Søren Kierkegaard (1813–1855) est un chrétien particulier. Malgré sa fervente conviction en l’existence et la suprématie de Dieu, il se montre extrêmement critique envers l’Église catholique. Dans ses écrits, l’on retrouve de nombreux extraits teintés d’ironie se moquant des dogmes de l’Église. Dans Fragments philosophiques, par exemple, il écrit : « Ai-je la permission, comme le prêtre à l’autel, de manger les sacrifices? » Pour le philosophe danois, la foi chrétienne ne peut s’exprimer authentiquement que par la passion individuelle. Celle-ci ne peut être médiée par des objets ni par des figures religieuses, tel que c’est habituellement le cas dans le catholicisme.

Pourquoi la foi est-elle nécessairement une entreprise individuelle? Parce qu’elle nous permet de devenir nous-mêmes – le but ultime de l’existence, selon Kierkegaard. Le chemin de la réalisation de soi requiert l’acceptation de l’autorité incontestée de Dieu, travail qui ne peut s’effectuer que de façon individuelle. Dans Fragments philosophiques, l’auteur explique en détail le chemin de cette réalisation personnelle. Mais plus que sur la religion à laquelle il souscrit, l’ouvrage finit par en dire beaucoup sur la condition tourmentée de Kierkegaard lui-même.

Se souvenir avec Socrate

Kierkegaard inaugure sa réflexion en faisant référence au paradoxe de Ménon, problème classique de la philosophie socratique : « Ce qu’un homme sait, il ne peut le chercher, puisqu’il le sait ; et ce qu’il ne sait pas, il ne peut le chercher non plus, puisqu’il ne sait même pas quoi chercher. » Lorsque le paradoxe de Ménon est pris au pied de la lettre, il invalide complètement le concept d’apprentissage.

« Ce qu’un homme sait, il ne peut le chercher, puisqu’il le sait ; et ce qu’il ne sait pas, il ne peut le chercher non plus, puisqu’il ne sait même pas quoi chercher »

Søren Kierkegaard

Mais si l’apprentissage est impossible, comment alors acquérir des connaissances? Socrate et ses disciples tentent de contourner le paradoxe en postulant que l’âme est immortelle et contient déjà toutes les vérités sur le monde dans son être. D’après cette conception, toute acquisition de connaissance ne serait en fait qu’un acte de souvenir, la correction d’un oubli contingent provoqué par la transmission de l’âme à travers les générations. Comme l’explique le philosophe danois, « celui qui est ignorant n’a besoin que d’un rappel pour l’aider à revenir à lui-même dans la conscience de ce qu’il sait ».

Le projet de vie de Socrate reflète d’ailleurs exactement cette idée : le philosophe grec se contente « simplement de poser des questions; car le principe sous-jacent de tout questionnement est que celui qui est interrogé doit nécessairement avoir la Vérité en lui-même et pouvoir l’acquérir par lui-même ». Par Vérité, Kierkegaard se réfère tant aux connaissances sur le monde qu’à la prise de conscience de l’existence de Dieu.

→ Voir aussi: Le délire de la biographie

Le péché de l’Erreur

Le penseur danois est certainement d’accord avec l’idée socratique selon laquelle nous avons tous les outils nécessaires pour atteindre la Vérité, mais se propose d’y ajouter son habituelle interprétation funeste. Si nous avons la capacité de comprendre la Vérité, affirme-t-il, c’est nécessairement que Dieu nous a offert cette capacité. Par conséquent, le fait de se tromper – le fait d’être dans « l’Erreur », comme le dirait Kierkegaard – ne relève pas d’une ignorance innocente mais plutôt d’une faute pleinement responsabilisante! La faute est tellement grave, selon le philosophe, qu’elle mérite même le nom de « Péché ».

« Mais cet état, être en Erreur en raison de sa propre culpabilité, comment l’appellerons-nous? Appelons-le Péché »

Søren Kierkegaard

Une fois la porte de l’autodérision ouverte, la frénésie religieuse de Kierkegaard peut commencer. Face à notre faute fatale, Dieu acquiert les qualificatifs de « Sauveur » et de « Rédempteur » car il « sauve le pécheur de sa servitude et de lui-même ». Quant au pécheur qui se rend compte de son Erreur, il tente d’expier ses torts (c’est-à-dire de faire amende honorable) et, envahi de « Repentir », devient une « nouvelle créature » plus authentiquement elle-même. Le déni de la foi chrétienne, selon l’auteur, n’est donc pas une simple omission contingente ; elle représente carrément une faute morale.

La mélancolie d’un penseur

Les termes employés par Kierkegaard pour décrire l’Erreur de l’ignorance agnostique en disent beaucoup sur les angoisses personnelles du philosophe. Le père de Søren Kierkegaard, Michael Pedersen Kierkegaard, éleva ses sept enfants sous une stricte discipline religieuse, « instillant un sentiment de peur et de culpabilité qui ne les a jamais quittés », selon Adam Kirsch, critique littéraire au New Yorker. « L’inquiétude dont mon père remplissait mon âme », écrivait Søren lui-même, n’était que le reflet de « sa propre mélancolie affreuse ». 

« Ce que l’on veut, on le peut, sauf une chose : la suppression de la mélancolie au pouvoir de laquelle je me trouvais »

Søren Kierkegaard

C’est peut-être pour cette raison que les écrits du philosophe ont tendance à se tourner vers l’obscurité, le mépris de soi et la mélancolie. Le choix entre la foi et le déni, selon Kierkegaard, s’accompagne nécessairement d’une énorme angoisse (Angest) ; de ce choix existentiel dépend en effet le salut éternel ou la damnation de l’individu. Cette angoisse est permanente, selon l’auteur, puisque la foi ne peut jamais être donnée pour acquise ; elle doit être renouvelée encore et encore.

Devenir soi-même

Si l’on devait résumer la philosophie de Kierkegaard en une phrase, l’on emploierait probablement son affirmation qu’un « homme est grand en proportion de la grandeur qu’il est capable d’aimer ». Pour l’auteur, seul l’amour de Dieu – l’être le plus grand qui soit – peut nous mener à la pleine réalisation de nous-mêmes. En tout cas, voilà l’espoir qu’il a porté tout au long de sa vie. Cet espoir religieux a représenté l’une des rares lueurs d’optimisme dans une vie remplie de tourment et de mélancolie.

→ Voir aussi: La vie poétique du séducteur

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La difficile relève de la francophonie mcgilloise https://www.delitfrancais.com/2022/03/23/la-difficile-releve-de-la-francophonie-mcgilloise/ Wed, 23 Mar 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=48189 Comme chaque printemps, un sentiment d’urgence occupe l’esprit des membres du conseil éditorial du Délit. Cette inquiétude n’est pas celle des examens de fin de session que partage l’ensemble du corps étudiant, mais plutôt une peur existentielle : verrons-nous une relève se manifester dans les quatre prochaines semaines? Survivrons-nous une année de plus, ou devrons-nous… Lire la suite »La difficile relève de la francophonie mcgilloise

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Comme chaque printemps, un sentiment d’urgence occupe l’esprit des membres du conseil éditorial du Délit. Cette inquiétude n’est pas celle des examens de fin de session que partage l’ensemble du corps étudiant, mais plutôt une peur existentielle : verrons-nous une relève se manifester dans les quatre prochaines semaines? Survivrons-nous une année de plus, ou devrons-nous mettre les clés sous la porte une fois pour toutes?

Bien que nous ayons su faire vivre notre journal depuis sa création en 1977, la crainte de tout perdre nous tiraille particulièrement après deux années de pandémie, quatre sessions où nous avons plus ou moins disparu des présentoirs de l’Université et avons peiné à nouer des contacts forts avec la population étudiante. Ce sentiment n’est pas exclusif à notre journal ; il est en fait partagé par de nombreuses autres organisations de l’Université. 

Ces difficultés se font particulièrement sentir par les organisations francophones, historiquement éclipsées par les groupes anglophones lors des événements communs de l’Université. D’après Ana Popa, la commissaire aux affaires francophones de l’AÉUM, très peu d’organisations francophones ont participé à la dernière Soirée des activités, tenue virtuellement, ou à Frosh, qui représente pourtant le premier contact des nouveaux·lles étudiant·e·s avec la vie universitaire.

«Bien que nous ayons su faire vivre notre journal depuis sa création en 1977, la crainte de tout perdre nous tiraille particulièrement après deux années de pandémie»

L’isolement des groupes étudiants pendant la pandémie est d’autant plus préoccupant pour les groupes francophones puisque ceux-ci ne sont pas particulièrement bien connectés entre eux. Plutôt qu’une communauté francophone unie, nous observons en effet l’existence de « petits villages d’irréductibles Gaulois qui n’ont pas toujours connaissance de l’existence de groupes semblables sur le campus », selon Ana Popa. La coordination de la francophonie est donc particulièrement difficile.

Alors que les étudiant·e·s arrivent enfin en sol mcgillois, Le Délit se doit plus que jamais d’occuper l’espace pour y faire vivre la francophonie. Nous devons informer la population étudiante de l’existence de groupes francophones et des opportunités qu’ils présentent. C’est dans ce but que Le Délit a collaboré cette session avec différents groupes francophones comme la Commission aux affaires francophones (CAF) et l’Association des étudiant·e·s en langue et littérature françaises inscrit·e·s aux études supérieures (ADELFIES). Pour continuer à accomplir cette mission l’année prochaine, nous devrons surmonter les difficultés liées à la relève francophone de cette année.

Une part de la responsabilité de la vie francophone à McGill repose aussi sur l’administration de l’Université. La commissaire aux affaires francophones a souligné au Délit que trop peu d’étudiant·e·s sont familier·ère·s avec leurs droits en tant que francophones, comme celui de soumettre leurs travaux écrits en français. Ces droits particuliers servent de repères pour notre communauté et rappellent son existence. C’est à l’Université McGill, et non aux étudiant·e·s, de les faire annoncer dans toutes ses salles de classe. 

Toutefois, il n’y aurait pas de vie francophone mcgilloise sans les individus qui y prennent part. L’avenir de notre communauté repose ultimement dans vos mains. C’est pourquoi l’équipe du Délit encourage ses lecteur·rice·s à rejoindre les diverses associations francophones de l’Université, y compris notre journal, afin de faire prospérer cette communauté pour les années à venir.

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Une course serrée à l’AÉUM https://www.delitfrancais.com/2022/03/15/une-course-serree-a-laeum/ Tue, 15 Mar 2022 13:05:35 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47758 Portrait des candidat·e·s à la présidence de l'AÉUM.

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Les élections de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) pour l’année 2022–2023 ont commencé le lundi 14 mars dernier et la course à la présidence a l’air plus contestée qu’elle ne l’a été dans les dernières années. Les candidat·e·s sont Bryan Buraga, Julian Guidote et Risann Wright, trois personnes avec une grande expérience au sein de l’AÉUM qui promettent de transformer l’Association pour la rendre plus représentative, plus accessible, plus transparente – en somme, plus fonctionnelle. 

Le·a futur·e président·e se verra dans une position unique pour mettre en œuvre ces ambitions, puisqu’il·elle se chargera d’établir la vision de l’Association à travers son implication dans tous les portfolios de l’équipe exécutive et dans toutes les instances gouvernantes de l’Université. Qui sont donc les trois candidat·e·s postulant pour la présidence cette année? Le Délit s’est entretenu en longueur avec chacun·e d’entre eux·lles afin de pouvoir dresser un tableau de leurs compétences, de leurs expériences et de leurs aspirations.

→ Voir aussi: Le débat des candidat·e·s

Qui sont les candidat·e·s?

Qu’est-ce qui pousse une personne à postuler pour le poste de président·e? La question est pertinente, d’autant plus que les trois candidat·e·s avaient déjà de multiples positions et responsabilités avant de se présenter. 

Risann Wright a occupé de nombreuses fonctions au sein de l’AÉUM depuis son entrée à McGill en 2019. Elle a dirigé plusieurs comités de l’Association, ayant été commissaire aux Affaires noires, commissaire aux Affaires externes, commissaire à la Défense des intérêts des étudiant·e·s et s’étant impliquée dans d’autres comités en tant que membre. De plus, elle a été sénatrice à la Faculté des Arts, vice-présidente du Réseau des étudiant·e·s noir·e·s (Black Students” Network, BSN) ainsi qu’exécutante au McGill Policy Association (MPA). 

Risann est la femme aux mille et une responsabilités. Pourquoi alors abandonner ces autres postes – ou, du moins, une partie de ceux-ci – et tenter de devenir présidente de l’AÉUM? «Je me suis présentée aux élections parce que c’était nécessaire», affirme-t-elle. «Des changements sont nécessaires, surtout en vue des problèmes structurels et systémiques qui sévissent. J’ai l’expérience unique et les outils pour effectuer ces changements».

Bryan Buraga, de son côté, ne manque pas non plus d’expérience au sein de l’Association. Il avait déjà occupé le poste de président pendant l’année 2019–2020, l’année d’arrivée de Risann à McGill. Il a aussi occupé les postes de représentant du caucus du Sénat et de représentant étudiant au sein du Conseil judiciaire de l’AÉUM. Bryan veut miser sur son expérience institutionnelle pour convaincre les étudiant·e·s de l’élire. «Étant donné mon expérience et mes connaissances, je saurais exactement où pincer la Constitution et les Règlements internes [pour] rendre l’AÉUM plus démocratique». Le candidat considère la structure actuelle de l’Association comme «très oligarchique».

Un an après sa sortie du poste de président en 2020, Bryan a commencé à militer pour l’Initiative de démocratisation de l’union étudiante de McGill, qui a été approuvée au référendum étudiant avec 78% des voix (l’élection avait un taux de participation de 19,5%, dont près de 40% se sont abstenu·e·s sur la question). L’Initiative a pour but de décentraliser et d’égaliser l’AÉUM et l’ensemble des associations étudiantes mcgilloises. «Dernièrement, j’ai ressenti un sentiment de responsabilité d’utiliser les compétences et connaissances que j’ai acquises pour revenir et régler les problèmes structurels de l’AÉUM», explique-t-il. 

→ Voir aussi: Bryan Buraga sur l’Initiative de démocratisation

Julian Guidote, quant à lui, a probablement le parcours le plus atypique des trois candidat·e·s. Il a dédié la totalité de son premier diplôme (il est actuellement dans sa première année de droit) à McGill à s’impliquer dans des organisations traitant de santé mentale. Il a été coprésident de LGBTQ+ au cégep de Marianopolis, président du syndicat Jeunesse J’écoute et, à l’AÉUM, a agi comme coordonnateur du Plaidoyer pour la santé mentale. 

Pourquoi ce saut soudain à la politique étudiante? Julian dit avoir «vu un besoin de mettre de côté l’idée de la politique et de mettre de l’avant l’idée de prendre soin de soi, de prendre soin de nos proches». Il considère que son parcours l’a naturellement mené à postuler maintenant; il pense se trouver dans une position unique pour offrir l’opportunité aux étudiant·e·s de se rassembler après l’isolement de la pandémie et de tisser des liens entre eux·lles.

Combattre les défauts systémiques

Parmi les principaux thèmes abordés par les candidat·e·s se retrouve l’idée que la structure de l’AÉUM est inéquitable. Comme le dit Bryan, «les structures de l’AÉUM ont une tendance à privilégier les plus aisés de la société: les hommes blancs, cisgenres, hétérosexuels et non-racisés, généralement». Par conséquent, poursuit-il, «ces structures tendent à maintenir et perpétuer certains systèmes d’oppression que nous avons vu si clairement cette année». Le candidat fait référence aux allégations de discrimination sexiste au sein de l’Association qui ont été véhiculées par la presse étudiante cette dernière année.

→ Voir aussi: The McGill Daily: Sexism and Silence in SSMU

Risann pense aussi qu’il est «inacceptable que les femmes qui travaillent à l’AÉUM ne se sentent pas en sécurité». Elle a d’ailleurs plusieurs propositions spécifiques pour promouvoir l’équité au sein de l’AÉUM. Tout d’abord, elle prévoit réviser les politiques de l’Association, notamment en ce qui a trait aux processus de plainte, pour s’assurer «qu’ils soient plus accessibles» et «qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts». Ensuite, elle aimerait renforcer les positions de coordonnateur·rice·s anti-violence de l’AÉUM, en y plaçant des travailleur·euse·s à temps partiel plutôt que du personnel occasionnel, comme c’est le cas actuellement. Elle aimerait aussi élaborer un «plan d’inclusion, de diversité et d’équité» à long terme.

Tout au long de l’entrevue, Risann a mis l’accent sur l’importance d’effectuer des consultations pour toutes les décisions qu’elle propose. «Tout mon programme est sujet à changement», affirme-t-elle. Tout comme elle, Julian insiste pour que «la priorité [soit] toujours donnée à l’écoute». «Nous avons vu beaucoup de règles centrées sur la protection des étudiants et le maintien de leur sécurité, et nous avons vu beaucoup d’améliorations à cet égard», applaudit-il. Le candidat propose de continuer cet effort en mettant l’accent sur la santé mentale.

Démocratiser l’Association

Les trois candidat·e·s sont d’accord sur le fait que le conseil d’administration de l’AÉUM n’a pas convenablement répondu aux plaintes des personnes les plus défavorisées. Au cœur de ces défaillances, prétendent-il·elle·s, seraient la structure et les pratiques insuffisamment démocratiques de l’Association. D’après Bryan, «il y a un certain esprit conservateur qui accompagne le fait de siéger au conseil d’administration: vous faites tout ce qu’il faut pour protéger l’institution, et cela vous rend réticent à prendre des mesures fortes lorsque celles-ci sont nécessaires». 

Bryan se présente comme le candidat de la démocratisation. Il propose de restructurer l’AÉUM afin de «réduire la hiérarchie et [de] répartir le pouvoir autant que possible». Plus précisément, il veut remplacer le système de décision actuel par un système d’assemblées générales mensuelles ou bi-mensuelles, où les étudiant·e·s peuvent influencer directement les mandats des exécutant·e·s. «Au lieu d’avoir des exécutant·e·s qui travaillent 40 heures par semaine, on diviserait les portfolios des positions exécutives dans plusieurs emplois à temps partiel où les gens ne travailleraient que 15 heures par semaine.» Cela permettrait à davantage d’étudiant·e·s de participer à la gouvernance étudiante tout en établissant un modèle de prise de décision plus collectif, selon lui.

Questionné pour savoir si ce serait réaliste d’espérer qu’autant d’étudiant·e·s veuillent participer à la gouvernance étudiante, le candidat pense que ce serait en effet possible, mais seulement à plus long terme et avec une mobilisation massive. «Le fait que les étudiant·e·s s’expriment sur leur faible engagement et sur le fait qu’ils ne se sentent pas représentés montre que les gens se soucient de l’AÉUM. C’est juste qu’il·elle·s ne veulent pas perdre leur temps et leurs efforts à mettre leurs ressources et leur énergie dans un système sur lequel ils sentent fondamentalement n’avoir aucun contrôle.»

Tous·tes les candidat·e·s conviennent que la priorité devrait être la protection de valeurs justes et démocratiques, au-delà même des intérêts corporatifs des exécutant·e·s. Sinon, «les implications à long-terme sont la perte de confiance et l’apparence de corruption», comme ce serait actuellement le cas selon Bryan. 

Selon Risann, en effet, les étudiant·e·s «ne se sentent pas représenté·e·s par leur association étudiante». Pour y remédier, elle propose de créer une plateforme virtuelle centralisée où les étudiant·e·s peuvent voir toutes les initiatives de l’AÉUM et les commenter. Cela permettrait aux étudiant·e·s de se sentir plus entendu·e·s et à l’Association d’obtenir plus de rétroaction de la part du corps étudiant.

Julian pense aussi que les déclarations politiques de l’Association manquent parfois de consultation. «Il est important de faire connaître ses valeurs et il est correct de les exprimer dans des temps qui sont appropriés et qui répondent aux réalités du jour, mais chaque déclaration devrait être précédée et suivie par l’écoute active et l’invitation aux opinions des étudiant·e·s.» 

→ Voir aussi: L’AÉUM se prononce sur les tensions entre Hong Kong la Chine

Une AÉUM plus proche

Julian veut que l’AÉUM s’implique dans des projets dont les étudiant·e·s peuvent véritablement profiter. Il propose par exemple de créer une «fête des rues» sur la rue McTavish pour «célébrer les étudiant·e·s de l’Université». Il dit avoir réalisé que l’AÉUM est dans une «position unique» – du fait de sa taille – pour créer des projets qu’aucune autre organisation ne peut mettre en œuvre. «C’est pour ça que mes projets sont si ambitieux», affirme-t-il.

Avec chaque projet, le candidat a établi une liste tentative d’organisations pouvant potentiellement aider à la mise en place. Pour la fête des rues, il a pensé que les partenaires de l’Association qui organisent déjà le marché alimentaire sur la rue McTavish pourraient se charger de réserver la rue, que les organisateur·rice·s de Frosh pourraient offrir du personnel et que plusieurs commanditaires pourraient fournir l’équipement et la nourriture.

Risann veut elle aussi mettre en place des services dont les étudiant·e·s veulent véritablement faire usage. Elle propose la création d’un programme d’épicerie «payez ce que vous pouvez» pour alléger la charge financière des étudiant·e·s en difficulté. Même si elle dit vouloir éviter une demande d’ajout de frais à cet effet au référendum de l’AÉUM, elle admet ne pas être certaine que l’Université ni l’Association puissent financer le programme.

Bryan, de son côté, veut créer un syndicat des locataires de McGill. «80% des étudiant·e·s sont des locataires, soit 32 000 personnes. En se syndiquant, on pourrait partager nos connaissances et être en mesure de lutter contre les loyers élevés, les propriétaires.» Il estime que les connaissances sont déjà là puisque l’AÉUM dispose d’un comité de Logements abordables; il s’agirait donc de «se concentrer sur la sensibilisation et l’organisation» avant d’en faire un service officiel de l’AÉUM ou encore un groupe étudiant indépendant – comme la Clinique d’information juridique.

L’importance de la francophonie

Les trois candidat·e·s sont aussi d’accord quant à la nécessité que l’AÉUM remplisse son mandat et serve ses étudiant·e·s francophones. Les candidat·e·s applaudissent les progrès récents en termes d’accessibilité francophone de l’AÉUM – l’Association dispose désormais d’une traductrice à temps plein – mais il·elle·s déplorent la lenteur d’exécution. C’est le cas de Julian, qui s’est montré visiblement déçu que tous les documents de l’AÉUM ne soient pas disponibles en français. Julian est le seul des trois candidat·e·s à s’être entretenu en français avec Le Délit. Par ailleurs, la Commission des Affaires francophones a officiellement soutenu sa candidature pour la présidence.

Pour aborder le problème de la francisation de l’Association, Risann considère qu’il faudrait commencer à «traiter la communauté francophone comme la minorité qu’elle est». Selon elle, «c’est une question d’équité». Bryan, quant à lui, met l’accent sur l’importance de donner autant de ressources que possible à la Commission des Affaires francophones. «Il·elle·s connaissent mieux que personne les intérêts des étudiant·e·s francophones», explique-t-il.

Place au vote

L’élection pour le poste de président·e de l’AÉUM se présente donc hautement compétitive cette année. Bryan Buraga, le candidat de la démocratisation, Julian Guidote, le candidat de la santé mentale ou Risann Wright, la candidate de l’équité? Les étudiant·e·s de premier cycle de l’Université McGill ont du lundi 14 au vendredi 18 pour faire leur choix. Les résultats seront annoncés après 18h, ce vendredi.

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Le débat des candidats de l’AÉUM https://www.delitfrancais.com/2022/03/14/le-debat-des-candidats-de-laeum/ Mon, 14 Mar 2022 22:11:23 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47738 Plusieurs candidats ont présenté leurs idées pour les différents postes exécutifs de l’AÉUM.

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Le 9 mars dernier, l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a tenu un débat virtuel entre les candidats aux positions exécutives pour l’année 2022–2023. Les candidats ont eu l’occasion de présenter leur plateforme électorale en vue des élections qui se tiendront du 14 au 18 mars. Le débat est disponible sur Youtube.

Parmi les six postes en jeu, la moitié ont vu un seul candidat se présenter, alors que le poste convoité de président en a vu trois. Le «débat» a plutôt eu l’allure d’une foire aux questions; les candidats ont notamment pu répondre aux questions du public et de l’exécutant en poste. Les discussions ont surtout traité de la santé mentale des étudiants, de l’accessibilité aux ressources de l’AÉUM, de la transparence de l’Association, ainsi que des allégations d’abus de pouvoir de la part des exécutants. Le Délit a aussi contacté les différents candidats afin d’obtenir davantage d’informations vis-à-vis leur position sur le bilinguisme. En voici le compte rendu.

→ Voir aussi: La course à la présidence de l’AÉUM

Plusieurs candidatures incontestées

En suivant la tendance des dernières années, plusieurs postes exécutifs n’ont reçu qu’une candidature. D’abord, Marco Pizarro s’est présenté pour le poste de vice-président aux Finances. Le v.-p. aux Finances est tenu d’assurer la stabilité administrative de l’AÉUM, en se chargeant, entre autres, de préparer les budgets de l’Association – dépassant les trois millions de dollars en 2019–2020. Pizarro a notamment fait part de son expérience passée dans des rôles similaires – comme trésorier de camps de vacances lorsqu’il étudiait en France. Il a aussi mis l’accent sur la nécessité de rendre les processus financiers de l’AÉUM plus transparents. 

Ensuite, Kerry Yang a été la seule à présenter sa candidature pour le poste de vice-présidente aux Affaires universitaires. Si elle est élue, elle jouera le rôle de défenseuse des droits de la communauté étudiante vis-à-vis des autres instances de la gouvernance universitaire. En vue de cette responsabilité, Yang a souligné l’importance de la force collective des étudiants avant de reconnaître l’intérêt de garder les étudiants motivés quant aux enjeux abordés par l’AÉUM. Elle a aussi proposer de redonner la possibilité aux étudiants ayant bien performé dans des cours S/U d’obtenir une note. 

Finalement, pour le poste de vice-présidente aux Affaires externes, la seule candidature soumise a été celle de Val Mansy. Le v.-p. aux Affaires externes se charge de coordonner les activités de l’Association et des divers groupes étudiants, organisations communautaires et syndicats ouvriers du campus. Durant la soirée, Mansy a mis la priorité sur la facilitation d’accès aux ressources de l’AÉUM pour les différentes communautés étudiantes. Elle mise sur la construction de liens solidaires avec les autres associations étudiantes universitaires de Montréal, sans donner davantage de détails.

Un champ contesté pour les Affaires internes

Pour le rôle de v.-p. aux Affaires internes, dont la responsabilité principale est de coordonner les communications de l’AÉUM et de planifier des événements sociaux, trois candidates se sont présentées. Jaz Kaur, étudiante de troisième année en sociologie et en psychologie, a insisté sur les enjeux d’accessibilité au sein de l’AÉUM, relevant au passage le travail qu’il restait à faire pour promouvoir le bilinguisme dans les différents services étudiants. Ananya Seth, l’actuelle co-présidente de l’Association des étudiants indiens de McGill (Indian Students Association, ISA), a quant à elle fait ressortir la nécessité d’améliorer les communications entre l’AÉUM et les étudiants à travers les réseaux sociaux, sans préciser les problèmes concrets rencontrés. Elle a souligné le manque de représentation des étudiants internationaux à l’AÉUM. La troisième candidate, Cat Williams, étudiante en psychologie, a dit vouloir donner davantage d’opportunités de travail et de stages aux étudiants à travers l’AÉUM, tout en encourageant une plus grande implication au sein-même de l’Association. Elle a également suggéré la création d’une nouvelle application mobile afin de faciliter les échanges entre les exécutants de l’AÉUM et les étudiants.

Lorsque questionnées sur leurs intentions vis-à-vis de la communauté francophone à McGill, les trois candidates ont, dans l’ensemble, mis l’accent sur un meilleur apprentissage du français pour les anglophones. Kaur a ainsi suggéré un système de mentorat afin de jumeler étudiants francophones et anglophones, dans le but de faciliter l’apprentissage du français pour les anglophones. De son côté, Seth a proposé un programme de mentorat, tout en donnant davantage d’importance à l’apprentissage du français – au moyen de cours de langue – afin de mieux communiquer dans le milieu francophone montréalais. Williams a prôné des moyens plus « détendus » – sans donner d’exemples – pour les étudiants anglophones de s’impliquer dans les cultures francophones et québécoise. Les trois candidates ont insisté sur l’importance du bilinguisme dans l’AÉUM.

Quel futur pour la vie étudiante?

Un autre poste disputé a été celui de v.-p. à la Vie étudiante, chargé de mener les relations entre l’AÉUM et les clubs, services et groupes étudiants de l’Université. Le v.-p. à la Vie étudiante se doit aussi d’aborder plusieurs problèmes concernant les étudiants tels que la santé mentale et l’accès aux services. 

La première candidate, Hassanatou Koulibaly, a manifesté son désir de «revigorer la vie étudiante» et de «prioriser une approche active en ce qui concerne la santé mentale dans les classes». Elle souhaite également utiliser les avantages offerts par les ressources technologiques pour l’organisation d’événements parascolaires, tout en facilitant l’accès à des espaces universitaires pour organiser des activités en personne. 

La deuxième candidate, Olivia Bornyi, s’est elle aussi dite prête à «prioriser l’accès aux services de santé mentale» en rétablissant une «relation positive et productive entre les membres de l’AÉUM et ses exécutants». Elle a insisté sur l’importance d’atteindre tous les étudiants mcgillois, peu importe leur langue. 

Quant à la question d’exiger que les exécutants de l’AÉUM soient bilingues, brièvement abordée durant le débat, les deux candidates se sont dites d’accord pour ne pas le rendre obligatoire. Koulibaly a relevé le besoin des membres exécutifs «d’être représentatifs […] et conscients des langues parlées par les étudiants». Bornyi, quant à elle, a mentionné la nécessité «d’utiliser davantage la langue française durant les rencontres et dans les méthodes de publication et de communication de l’AÉUM».

La course à la présidence

Le dernier poste présenté pendant l’événement a été celui de président de l’AÉUM. Ce dernier est le dirigeant principal de l’Association et se charge d’assister tous les autres portefeuilles. Trois candidats se sont relayés la parole afin de présenter leur plateforme électorale.

Julian Guidote, actuel coordonnateur du Plaidoyer à la Santé mentale de l’AÉUM, a notamment proposé la mise en place d’une transcription en français des réunions de l’AÉUM, dans une optique d’accessibilité. Il s’est d’ailleurs efforcé de répondre à la plupart des questions en français et en anglais. De plus, la Commission des Affaires Francophones (CAF) a décidé de soutenir sa candidature.

La deuxième candidate, Risann Wright, qui a occupé plusieurs rôles au sein de l’AÉUM allant de sénatrice de la Faculté des arts à commissaire aux Affaires noires, s’est plutôt concentrée sur l’amélioration de la transparence de l’AÉUM et la protection des étudiants vulnérables au moyen d’accommodements. Par ailleurs, elle a proposé d’allouer davantage de ressources au Bureau de soutien aux étudiants en situation de handicap de McGill.

Le dernier candidat, président de l’AÉUM entre 2019 et 2020, Bryan Buraga, a de son côté mis l’accent sur le besoin des étudiants de rester soudés et de poser des gestes collectifs afin d’obtenir des changements concrets de la part de McGill. Son dicton préféré : l’AÉUM devrait «arrêter les conneries» et servir ses étudiants convenablement.

→ Pour une liste plus détaillée des candidats et de leurs plateformes, consultez ce lien.

Les résultats des élections seront annoncés le vendredi 18 mars à 18h.

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Est-ce immoral d’être un connard? https://www.delitfrancais.com/2022/02/23/est-ce-immoral-detre-un-connard/ Wed, 23 Feb 2022 13:26:33 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47478 Réflexions philosophiques sur le sens et la valeur de l'orgueil.

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«L’orgueil est un mépris de tout, sauf de soi-même»

Théophraste, maître de l’école péripatéticienne fondée par Aristote

L’orgueil est considéré comme l’un des péchés les plus pernicieux dans la religion chrétienne, sinon le plus pernicieux, à en juger par sa primauté dans la liste des sept péchés capitaux prononcée par le philosophe médiéval Thomas d’Aquin. Sa gravité tiendrait à sa prétention fondamentalement incompatible avec le christianisme: l’orgueil, d’après Thomas d’Aquin, serait l’attribution à ses propres mérites de qualités qui sont en réalité des dons de Dieu – et rien ne serait pire que de se comparer à Dieu. Il paraît que le philosophe sicilien n’aurait pas beaucoup apprécié Kanye West.

L’orgueil de Thomas d’Aquin prend la forme du mot latin superbia et partage donc sa racine avec le mot supériorité. Ce péché désigne ainsi un sentiment démesuré de grandeur, voire même un rejet de la supériorité de Dieu. Mais si l’orgueil est simplement une faute intellectuelle – en d’autres mots, une erreur d’estimation de notre valeur et de celle des autres –, pourquoi est-il considéré comme la faute morale la plus grave qui soit? Pourquoi ne pas simplement le considérer comme une faute épistémique, soit un défaut de notre capacité de discernement? Après tout, l’on ne reprocherait pas à un idiot de commettre une faute morale par le simple fait de sa crédulité.

La marche des orgueils?

Avant de se demander si l’orgueil est une faute morale, faut-il bien pouvoir définir ce qu’est l’orgueil. Cette tâche n’est pas aussi facile qu’elle ne le paraît puisque l’orgueil peut aussi bien signifier l’arrogance que la prétention, la fierté, la vanité ou la suffisance. 

«L’on ne reprocherait pas à un idiot de commettre une faute morale par le simple fait de sa crédulité»

En anglais, l’orgueil prend le nom générique de «pride», à la connotation parfois négative et parfois positive. La «pride march», par exemple, sert d’événement de célébration et d’acceptation des orientations sexuelles et des identités de genre. Cet événement ne se traduit toutefois pas par «marche des orgueils» en français – ce serait erroné (et problématique!) d’affirmer que les personnes queer le sont par orgueil. L’on traduit plutôt cela par «marche des fiertés». La fierté désigne un sentiment de satisfaction de soi provoqué par un accomplissement ou par la possession d’une certaine qualité. Les personnes LGBTQ2+ marchent dans les rues pour proclamer leur identité et son acceptation, et non pas pour affirmer une quelconque supériorité par rapport à autrui.

L’orgueil est donc différent de la fierté, bien que la distinction ne soit pas toujours faite dans le langage courant. L’on entend trop souvent l’abus de langage «elle fait l’orgueil de sa famille» au lieu de «elle fait la fierté de sa famille». Bien plus fort qu’un simple sentiment de contentement, l’orgueil semble plutôt vouloir dire une satisfaction excessive de soi. En ce sens, l’orgueil serait l’antonyme de l’humilité, que la philosophe Julia Driver définit dans Uneasy Virtue comme le fait de sous-estimer ses propres qualités. L’humilité comme l’orgueil seraient donc simplement des «croyances erronées», d’après la philosophe américaine, de simples erreurs d’estimation. 

«L’orgueil est la même chose que l’humilité: c’est toujours le mensonge»

Georges Bataille, Le Coupable

Être ou ne pas être (un connard)

Le problème, c’est que l’on voit difficilement comment une croyance erronée peut constituer une faute morale. L’erreur toute seule ne fait pas l’injustice, car les injustices ne peuvent s’exprimer que dans les actions. Si, par exemple, un citoyen exprime une opinion erronée sur la culpabilité d’une personne accusée de meurtre, ce citoyen ne commet, en se trompant, aucune injustice. Si, par contre, un juge prononce un innocent coupable et le condamne à l’emprisonnement, alors le juge commet ce faisant une injustice. Si l’on veut juger la moralité de l’orgueil, il faudra donc se concentrer sur l’attitude de celui qui est orgueilleux. Et c’est exactement ce que fait le philosophe californien Aaron James.

Dans son ouvrage Assholes: A Theory, Aaron James explore la condition d’être un «connard» («asshole», en anglais). Est connard celui qui traite les autres comme si leurs intérêts avaient moins d’importance que les siens, soit celui qui coupe la file d’attente au Starbucks ou qui écoute de la musique à plein volume dans la bibliothèque. Le connard serait donc un orgueilleux qui agit en fonction de sa perception gonflée de soi. 

Est aussi connard celui qui est «trop orgueilleux pour changer», celui qui est non seulement coupable d’une faute intellectuelle mais ne se laisse pas corriger dans sa faute. Le fait de ne pas écouter les conseils d’autrui relève d’une conception exagérément positive de soi et d’un manque d’appréciation pour l’opinion d’autrui. Le mépris d’autrui peut rendre sourd. L’orgueilleux n’est donc pas celui qui chante dans les rues pendant la marche des fiertés, mais plutôt celui qui lui crie dessus et refuse de changer ses propres opinions.

«L’orgueil de son travail rend, non seulement la fourmi, mais l’homme cruel»

Léon Tolstoï

Vice ou péché?

En somme, l’orgueil se présente comme une attitude non vertueuse ou, comme le dirait Thomas d’Aquin, un «vice». Il n’est pas lui-même un péché (au sens d”«action immorale»), mais plutôt une tendance à commettre certains péchés. L’orgueil peut ainsi souvent s’accompagner d’attitudes immorales telles que la vanité. Comme l’écrit le philosophe Arthur Schopenhauer, «l’orgueil est la conviction déjà fermement acquise de notre propre haute valeur sous tous les rapports; la vanité, au contraire, est le désir de faire naître cette conviction chez les autres». 

Pour Thomas d’Aquin, l’orgueil n’est pas un vice quelconque mais carrément le «commencement de tout péché». Dans la mesure où il «appartient à l’orgueil de ne vouloir pas se soumettre à un supérieur et surtout de ne vouloir pas se soumettre à Dieu», l’orgueil est la porte vers toutes les autres déviations de la parole divine, dont les six autres péchés capitaux.

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De l’importance de la fiction morale https://www.delitfrancais.com/2022/02/16/de-limportance-de-la-fiction-morale/ Wed, 16 Feb 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47291 Deuxième partie de notre entrevue avec le philosophe moral François Jaquet.

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Le Délit s’est entretenu avec François Jaquet, maître de conférences en éthique à l’Université de Strasbourg, pour parler de son travail, d’éthique animale et de métaéthique. Voici la deuxième partie de cette entrevue, qui aborde les thèmes de la métaéthique et de la nature des jugements moraux. Pour lire la première partie de l’entrevue, consultez: L’éthique animale sous la loupe.

Le Délit (LD): Vous avez coécrit un ouvrage avec Hichem Naar, Qui peut sauver la morale?, traitant de métaéthique. Avant tout, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la métaéthique?

François Jaquet (FJ): La métaéthique est l’étude des questions philosophiques – mais non morales – au sujet de la morale. Ce sont des questions non morales parce qu’en métaéthique, on ne se demande pas si la torture ou le mensonge sont immoraux ou si on a un devoir d’assistance à une personne en danger. Ça, ce sont des questions pour l’éthique normative.

En métaéthique, on va plutôt se poser ce genre de questions: De quels types d’états mentaux relèvent les jugements moraux? Sont-ils des croyances qui ont la prétention de représenter le monde ou sont-ils plutôt des désirs qui nous pousseraient à modifier le monde? Une autre question très importante est: Les faits moraux existent-ils? On en parlera peut-être plus tard.

LD: Quelle est la problématique principale de votre ouvrage?

FJ: Son point de départ est ce qu’on appelle la «théorie de l’erreur», selon laquelle tous les jugements moraux sont faux. Cette théorie est composée de deux affirmations.

D’une part, elle affirme que les jugements moraux sont des croyances qui portent sur des faits à la fois objectifs et non naturels. Quand je dis que la torture est immorale, mon jugement est une croyance – je crois que la torture est immorale. Cette croyance prétend représenter un fait – le fait que la torture est immorale. Et ce fait, s’il existe, est objectif et non naturel – il ne dépend pas des attitudes de qui que ce soit, et ce n’est pas le genre de fait qu’on pourrait découvrir au moyen d’une science empirique comme la psychologie. 

D’autre part, la théorie de l’erreur affirme que ces faits objectifs et non naturels n’existent pas. Le fait que le torture est immorale n’existe pas, si bien que la croyance que la torture est immorale est fausse. De manière plus générale, tous les jugements moraux présupposent l’existence de faits moraux non naturels et objectifs. Or, il n’y a pas de faits non naturels et objectifs. Par conséquent, tous les jugements moraux sont faux. 

L’ouvrage commence donc avec une thèse un peu inquiétante. La morale est menacée, et on va se demander quelle théorie métaéthique pourrait tirer des griffes de la théorie de l’erreur. On envisage ensuite toutes les autres théories métaéthiques comme des tentatives de «sauver la morale».

«À choisir, je souscrirais à une variante locale de la théorie de l’erreur, qui vous dit que tous les jugements moraux sont faux mais que certains jugements prudentiels sont vrais»

François Jaquet

LD: Est-ce que la théorie de l’erreur est un peu comme un nihilisme éthique?

FJ: Parfois, on appelle la théorie de l’erreur «nihilisme moral». Personnellement, j’utilise peu cette expression parce que le terme «nihilisme» est un peu ambigu entre la théorie de l’erreur et ce qu’on appelle l’antiréalisme. L’antiréalisme est la thèse selon laquelle les faits moraux n’existent pas. Ça, c’est une partie de la théorie de l’erreur. Mais vous avez aussi des gens qui pensent que les faits moraux n’existent pas et qui rejettent simultanément la théorie de l’erreur: les non-cognitivistes. Dans la famille antiréaliste, vous avez donc les théoriciens de l’erreur qui vous disent que les jugements moraux sont des croyances, et que ces croyances sont fausses, et les non-cognitivistes, qui vous disent que les jugements moraux ne sont même pas des croyances. Pour ces derniers, les jugements moraux sont juste des désirs. Puisque les désirs ne peuvent pas être vrais ou faux, les jugements moraux ne sont pas faux. En un sens du terme «nihilisme», les non-cognitivistes sont aussi des nihilistes.

LD: Si on conclut que la théorie de l’erreur est correcte et que tous les jugements moraux sont faux, est-ce qu’on a quand même intérêt à faire semblant de croire à une théorie morale pour continuer à vivre en société?

FJ: C’est une question très controversée. Il y a plusieurs raisons de penser qu’on n’a pas intérêt à faire cela. La raison principale est qu’il est possible que la théorie de l’erreur se généralise au-delà de la morale pour couvrir tout le domaine normatif. Peut-être que non seulement les jugements moraux sont faux, mais que les jugements prudentiels le sont aussi – c’est-à-dire, les jugements que je dois faire parce que c’est bon pour moi. Si c’est le cas, alors il ne peut pas être dans notre intérêt de faire comme s’il existait des vérités morales, car nous n’avons pas vraiment intérêt à quoi que ce soit. Il y a donc des gens qui pensent que tout ce débat sur ce qu’on devrait faire si on accepte la théorie de l’erreur n’a aucun sens, car si on accepte la théorie de l’erreur, il n’y a rien qu’on devrait faire. Moi, à choisir, je souscrirais plutôt à une variante locale de la théorie de l’erreur, qui vous dit que tous les jugements moraux sont faux mais que certains jugements prudentiels sont vrais.

Alexandre Gontier | Le Délit

LD: Il s’agit de votre thèse de doctorat, n’est-ce pas?

FJ: En effet, j’en parlais dans ma thèse de doctorat. Sur ces questions, la théorie que j’aime bien s’appelle le fictionnalisme. C’est l’idée selon laquelle on devrait accepter la morale comme une fiction. Concrètement, ça veut dire qu’on devrait adopter – ça se traduit très mal en français – une attitude de «make believe» vis-à-vis des propositions morales. Il ne s’agirait pas de croire que la torture est immorale, par exemple, mais de prétendre que la torture est immorale. Dans la vie de tous les jours, il faudrait accepter la proposition que «la torture est immorale» comme si on y croyait, mais il faudrait rejeter cette proposition dans un contexte plus critique comme celui d’un séminaire de métaéthique. En clair, dans la vie de tous les jours, les croyances et les make-beliefs se manifestent de la même manière.

La raison pour laquelle il serait rationnel – prudentiellement rationnel – d’agir ainsi, c’est que la morale remplit quand même un certain nombre de fonctions. En particulier, elle nous permet de renforcer notre volonté. En règle générale, il est plutôt dans notre intérêt d’agir moralement – si je commence à traiter les autres n’importe comment, c’est sûr que ça va me retomber sur le coin de la figure. Prudentiellement, j’ai plutôt intérêt à faire comme s’il y avait des vérités morales objectives. 

LD: Donc, en gros, vous proposez de vivre une farce?

FJ: [Rires] Je ne sais pas s’il faudrait vraiment décrire ça comme une farce. Pour réfléchir à cette question avec une analogie, vous pourriez être théoricien de l’erreur en philosophie des mathématiques: vous pensez que les jugements mathématiques présupposent l’existence des nombres, mais qu’en fait les nombres n’existent pas, et vous en concluez que tous les jugements mathématiques sont faux. Dans la vie de tous les jours, c’est sûr qu’au moment de payer votre repas au restaurant, vous n’allez pas dire que l’addition est fausse [rires]. Au quotidien, c’est super important de continuer de faire comme s’il y avait des vérités mathématiques. On peut peut-être appeler ça une farce, mais c’est une farce qui est tellement importante qu’il faut vraiment faire comme si elle était vraie.

LD: «Importante», au sens prudentiel?

FJ: Oui, au sens prudentiel. Quelqu’un qui cesserait complètement de former des jugements mathématiques sous prétexte d’une théorie de l’erreur mathématique aurait clairement une vie difficile. Prudentiellement, il est important de continuer de faire des jugements mathématiques. L’idée est un peu la même avec les jugements moraux.

«Il est possible que des faits moraux objectifs et non naturels existent et que certains jugements moraux soient vrais»

François Jaquet

LD: En revenant un peu à l’ouvrage, quelle est votre conclusion finale? Est-ce que vous concluez que la théorie de l’erreur est la seule théorie qui survit à tous les tests et à toutes les critiques? Ou est-ce qu’on peut trouver quelque chose d’autre?

FJ: Lorsqu’on écrit à deux, c’est toujours un peu un compromis à la fin. Mais là, ce qui s’est passé est encore mieux qu’un compromis. Au départ, Hichem était plutôt non naturaliste: il pensait que les jugements moraux présupposent l’existence de faits moraux non naturels, que ces faits-là existent, et donc que certains jugements moraux sont vrais. Moi, j’étais plutôt un théoricien de l’erreur. J’ai l’impression qu’au cours de la rédaction du bouquin, on s’est comme rejoints au milieu. À la fin, le livre reflétait assez bien ce qu’on pensait tous les deux: s’il y a une théorie métaéthique capable de sauver la morale, c’est le non-naturalisme, même si on n’est pas très sûrs.

On procède de la manière suivante. Dans un premier temps, on évacue la théorie qui nous paraît la moins plausible: le non-cognitivisme, l’idée selon laquelle les jugements moraux sont uniquement des désirs et n’ont pas la prétention de représenter la réalité. On élimine cette théorie pour des raisons sémantiques, qui relèvent de la philosophie du langage. Pour le dire vite, les énoncés moraux se comportent vraiment comme des énoncés descriptifs, qui expriment des croyances.

Ensuite, on s’intéresse au subjectivisme, l’idée selon laquelle les jugements moraux sont des croyances à propos de faits subjectifs, des faits qui dépendent des attitudes d’un ou plusieurs sujets. Selon une variante de cette théorie, quand je juge que la torture est immorale, je décris simplement le fait que je désapprouve personnellement la torture. Cette théorie aussi, on l’évacue assez vite.

Puis, on aborde le naturalisme. D’après cette théorie, les jugements moraux sont des croyances qui portent sur des faits cette fois-ci objectifs et naturels, le genre de faits que les sciences étudient. La croyance que la torture est immorale serait du même ordre que la croyance que la torture cause de grandes souffrances. Ce qu’on reproche à cette théorie, en un mot, c’est de ne pas rendre compte de la normativité des faits moraux.

Finalement, on étudie le non-naturalisme, une théorie assez minoritaire. D’après le non-naturalisme, les jugements moraux sont des croyances qui portent sur des faits objectifs et non naturels. Toute la question est alors de savoir si ces faits existent. Il nous semble que cette question est la plus difficile. Il y a pas mal d’objections à l’existence de ces faits, mais aucune de ces objections ne nous satisfait vraiment. On conclut donc qu’il est possible que des faits moraux objectifs et non naturels existent et que certains jugements moraux soient vrais.

LD: Donc, vous acceptez le réalisme non naturaliste de façon préliminaire, en attendant de meilleures critiques?

FJ: Oui, on pourrait dire ça.

LD: Je trouve ça vraiment intéressant parce que je pensais toujours que lorsqu’on commence à écrire un livre, on a déjà toutes les réponses et on fait juste les condenser ou les expliquer de façon à ce que plus de gens puissent comprendre. Mais vous, vous avez écrit ce livre pendant que vous cherchiez les réponses.

FJ: Je ne sais pas si c’est exactement ça. Je dirais que, quand on écrit un livre, on croit qu’on a toutes les réponses, et puis au fur et à mesure on se rend compte que c’est plus compliqué que ce qu’on pensait. On n’était pas toujours d’accord et on a quand même pas mal changé d’avis en cours de route, contrairement à nos attentes.

LD: Mais vous vous êtes quand même accordés pour écrire ce livre, même si vous n’étiez pas d’accord. Comment est-ce possible?

FJ: Il doit y avoir une part d’irrationalité! [rires]

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Relations TA-étudiant: des liaisons en zone grise https://www.delitfrancais.com/2022/02/09/relations-ta-etudiant-des-liaisons-en-zone-grise/ Wed, 09 Feb 2022 13:00:49 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47042 Enquête sur les relations intimes entre assistants d'enseignement et étudiants.

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On a tous entendu des rumeurs comme celle-ci: un étudiant échange des regards avec son assistant d’enseignement (TA, teaching assistant en anglais) pendant une conférence, ils matchent sur Tinder quelques semaines plus tard et, au scandale de tout leur entourage, ils finissent par avoir un date. Les réseaux sociaux regorgent de telles histoires, et les cercles étudiants en font souvent un sujet de commérage. Mais qu’en est-il vraiment des relations intimes entre assistants d’enseignement et étudiants? Sont-elles si répandues à McGill? Le Délit a voulu enquêter sur l’affaire pour révéler les histoires, les enjeux légaux et, bien sûr, les risques liés à de telles relations.

Les débuts 

Alors qu’elle suivait un cours de mathématiques, Holly* avait remarqué que son TA était particulièrement sympathique envers elle – ce qui ne lui déplaisait pas, puisqu’elle le trouvait attirant. Quand elle allait à ses heures de bureau, il la regardait avec un sourire aigu et faisait peut-être un peu trop allusion aux réponses des travaux notés quand elle lui posait des questions. Au début, elle n’accordait pas beaucoup d’importance à ce comportement: «Je pensais qu’il était juste gentil.» Mais quand ils ont matché sur deux applications de rencontres, elle a compris que les ambitions de son TA n’étaient peut-être pas aussi innocentes qu’elles pouvaient paraître. 

L’histoire d’Andrea* a commencé de façon similaire. À la session d’hiver 2020, iel avait seulement vu son assistante d’enseignement en personne quelques fois avant que la pandémie n’oblige les étudiants à travailler depuis leurs chambres, mais iel se présentait très souvent à ses heures de bureau virtuelles, et cela, pendant deux sessions consécutives. Contrairement à la situation de Holly, la TA d’Andrea n’a jamais insinué un quelconque intérêt romantique et «maintenait toujours son professionnalisme», selon l’étudiant·e. Quand Andrea lui a confessé qu’iel avait des sentiments pour elle, au milieu de la session d’automne 2020, l’assistante d’enseignement s’est montrée surprise mais a avoué qu’elle pensait ressentir la même chose.

Chaque étudiant peut avoir une raison différente de s’intéresser à son assistant d’enseignement. Pour Holly, en plus de son attirance physique envers la personne, le fait de coucher avec un TA était un fantasme personnel. «Je pense que c’est un fantasme de chaque étudiant de premier cycle à un moment donné», affirme-t-elle en entrevue avec Le Délit. Holly était surtout «intéressée par la dynamique de pouvoir», et pensait que «ce serait une chose amusante si [elle] couchait avec son TA».

 «Je pense que c’est un fantasme de chaque étudiant de premier cycle à un moment donné»

Holly*, étudiante à McGill

Andrea ne partageait pas cette vision des choses: l”«étiquette» de TA était justement pour iel une raison de résister à ses sentiments. Questionné·e à savoir si le fait que son amante soit son assistante d’enseignement était un facteur d’attirance, iel a répondu que ce «n’était pas un facteur direct de [son] attirance pour elle», mais que «les qualités que cette dernière a développées en tant qu’enseignante» ont certainement joué un rôle. 

Un avis similaire était partagé par Dominic*, étudiant en science politique ayant couché avec son assistant d’enseignement pendant sa première année à McGill: «Je le trouvais attirant, qu’il soit assistant d’enseignement ou non, mais je pense que le fait de savoir qu’il était plus âgé – et plus sage – a ajouté une autre couche d’attirance.» 

La procédure à suivre

Quelques jours après avoir avoué partager les sentiments de son étudiant·e, la TA d’Andrea a rempli un formulaire pour déclarer officiellement à son département qu’elle était dans une relation avec iel. À la suite de la signature de ce document, l’assistante d’enseignement a immédiatement cessé d’évaluer les travaux scolaires d’Andrea, car cela aurait représenté un «conflit d’intérêt» et aurait pu lui valoir une suspension sans salaire.

En effet, la Politique contre la violence sexuelle de l’Université stipule qu”«aucun membre du personnel d’enseignement ne peut nouer ou initier une relation sexuelle ou amoureuse avec un étudiant si le membre du personnel d’enseignement: a) a une autorité académique sur l’étudiant; b) a une influence sur le cheminement académique de l’étudiant; ou c) collabore académiquement avec l’étudiant». Depuis 2019, à la suite des revendications de l’Association des étudiant·e·s diplômées employé·e·s de McGill (AÉÉDEM), les assistants d’enseignement sont officiellement inclus dans la définition de «personnel d’enseignement», ce qui voudrait dire qu’ils ne peuvent à priori pas avoir de relations intimes avec leurs étudiants. 

Pourtant, plusieurs règlements départementaux ainsi que des témoignages recueillis par Le Délit confirment qu’il suffit parfois que l’assistant d’enseignement ne note aucun travail de l’étudiant pour que la relation puisse continuer sans aucune sanction de la part de l’Université. Par exemple, Andrea continuait d’assister à des conférences tenues par sa TA sous le prétexte que «la participation n’était pas notée» pour celles-ci. Elle affirme qu’elle assistait aussi à des conférences tenues par d’autres assistants d’enseignement «pour être sûre [qu’elle] comprenait toute la matière». Similairement, Brian*, étudiant en histoire qui vivait avec son assistant d’enseignement, a considéré «qu’il ne serait pas important de le dire [à l’Université] puisque [son TA] ne notait aucun de [ses] examens».

 «Plusieurs règlements départementaux ainsi que des témoignages recueillis par Le Délit confirment qu’il suffit parfois que l’assistant d’enseignement ne note aucun travail de l’étudiant pour que la relation puisse continuer sans aucune sanction de la part de l’Université»

Pour ne courir aucun risque, la plupart des personnes contactées par Le Délit affirment cependant qu’elles ont attendu la fin du semestre pour avoir des relations intimes avec leurs assistants d’enseignement ou leurs étudiants. C’est le cas des étudiants de Tamar*, une TA qui affirme que «beaucoup d’étudiants [l’ont] contactée juste après la fin de la session». «Pendant le semestre, je n’y ai pas vraiment pensé, mais vers la fin de la session, j’ai remarqué que certains étudiants étaient peut-être intéressés [par moi].» Elle a matché avec un de ces étudiants sur une application de rencontres moins de deux semaines après les examens finaux. Celui-ci lui a dit «c’est le meilleur jour de ma vie!», et elle a décidé de ne pas lui répondre.

Dans le cas de Holly, l’assistant d’enseignement n’a pas répondu à ses messages sur l’application de rencontres jusqu’à la fin de la session, «probablement parce qu’il savait que c’était illégal», selon l’étudiante. Ils ont couché ensemble une fois la session terminée, tout comme Dominic et son TA du département de science politique. Tamar affirme qu’elle aurait agi de manière similaire si elle avait été intéressée par un étudiant. «Tant que ce n’est pas pendant la session, je pense que tu peux faire ce que tu veux.»

La dynamique des relations

Les témoignages recueillis par Le Délit révèlent souvent une dynamique inégale entre l’étudiant et son assistant d’enseignement, et celle-ci a été vécue de façon différente par chaque personne passée en entrevue.

Selon Dominic, «la dynamique était telle que [son TA] avait plus de “pouvoir” que [lui]». Dans son cas particulier, cela n’a pas représenté une source de préoccupation puisque «c’était juste une rencontre unique» et que la relation était «de nature sexuelle et non romantique». Un sentiment largement partagé par Holly, qui avoue cependant se sentir ambivalente par rapport au fait que son TA n’ait «même pas mentionné» le fait qu’elle était son étudiante pendant leur rencontre. La plupart des personnes contactées – assistants d’enseignement compris – affirment qu’elles n’ont pas trop pensé à la dynamique de pouvoir durant leur rencontre avec leur partenaire puisqu’il ne s’agissait que d’une seule rencontre.

Andrea, de son côté, était dans une situation différente puisqu’iel était ouvert·e à la possibilité que la relation avec sa TA évolue pour devenir sérieuse. Iel affirme avoir «ouvertement parlé» avec sa partenaire de leurs positions respectives d’étudiant·e et de TA, et ils ont ensemble décidé que toutes les initiatives devaient venir de «la personne avec le moins de pouvoir», soit Andrea, pour s’assurer qu’il n’y ait pas d’abus de pouvoir.

Malgré leurs nombreuses précautions et la confiance qu’ils ont en leur relation, Andrea admet que la différence d’âge est parfois une source d’inconfort pour les deux. Iel a rencontré sa TA lorsqu’iel avait 19 ans, alors que sa partenaire avait 28 ans, et aucun des deux n’avait auparavant été dans une relation avec une différence d’âge de plus d’un an.

Par ailleurs, plusieurs sources ont confirmé que certains assistants d’enseignement ont pratiqué du favoritisme envers les étudiants avec lesquels ils avaient des relations. C’est par exemple le cas du TA de Holly; celle-ci affirme que d’autres personnes dans sa conférence ne recevaient pas des réponses aussi détaillées qu’elle quand elles posaient des questions au TA à propos de travaux évalués. «C’était absolument immoral. Je vais accepter le fait que j’ai tiré profit de la situation.» 

Alex*, un étudiant ayant gradué en 2021, a fait part d’une situation similaire: «Pendant ma troisième année à McGill, un de mes amis a couché avec sa TA et a reçu des réponses pour les examens», a‑t-il raconté au Délit. «Il a même reçu une copie de l’évaluation finale et a simplement mémorisé les réponses avec ses amis.» Alex affirme être au fait de ces informations puisque le garçon en question et ses amis le lui ont «dit une semaine avant l’évaluation finale». Celle-ci comptait pour 60% de la note du cours.

 «Pendant ma troisième année à McGill, un de mes amis a couché avec sa TA et a reçu des réponses pour les examens. Il a même reçu une copie de l’évaluation finale et a simplement mémorisé les réponses avec ses amis»

Alex*, étudiant ayant gradué de McGill en 2021

Des liaisons qui ne sont pas sans dangers

Bien sûr, la légalité ambigüe et la dynamique inégale des relations intimes entre assistants d’enseignements et étudiants impliquent plusieurs risques pour les deux partis, qu’ils soient de nature académique ou émotionnelle.

L’un des principaux risques, du point de vue de l’étudiant, est de tomber sur un prédateur, c’est-à-dire un TA qui profite de sa position d’autorité pour avoir des relations intimes avec plusieurs de ses étudiants. Peu de temps après avoir couché avec son TA, Holly a découvert que celui-ci avait eu des relations sexuelles avec une autre étudiante du même cours pendant l’entièreté du semestre. Elle admet que la découverte de cette nouvelle lui a causé de la détresse émotionnelle et lui a donné l’impression d’avoir été utilisée. Elle considère que le TA «a abusé de sa position de pouvoir» en ayant de telles relations pendant la session, étant donné qu’il était «une personne avec de l’autorité chargée de noter [le] travail [de l’autre étudiante] et de lui enseigner». Pour cette raison, elle pense qu’il devrait être renvoyé.

«C’est en raison de tous ces dangers potentiels – ainsi que des dangers légaux – que l’AÉÉDEM, qui se charge de représenter les assistants d’enseignement, considère simplement que toutes les relations TA-étudiant devraient être interdites, à quelques exceptions près»

Les risques liés à cette différence de pouvoir s’étendent aussi au-delà de la situation décrite. Il existe un potentiel que l’assistant d’enseignement utilise les notes de l’étudiant avec lequel il a des relations pour lui faire du chantage. Pendant l’enquête, Le Délit a entendu des rumeurs concernant ce genre de situation mais n’a pas pu recueillir de témoignage concret. À l’inverse, il est aussi possible que l’étudiant utilise sa position pour faire du chantage à son TA, en menaçant, par exemple, de dénoncer leur relation si ce dernier ne lui donne pas une bonne note. C’est en raison de tous ces dangers potentiels – ainsi que des dangers légaux – que l’AÉÉDEM, qui se charge de représenter les assistants d’enseignement, considère simplement que toutes les relations TA-étudiant devraient être interdites, à quelques exceptions près. 

Ce type de témoignage met aussi en lumière une possible défaillance de cette enquête: les personnes ayant choisi de contacter Le Délit sont nécessairement celles qui se sentent assez confortables pour parler de leur situation. Il est probable que les personnes ayant vécu les expériences les plus difficiles, voire traumatisantes, ne se soient pas senties en mesure de partager leur histoire. C’est en tout cas le cas de Jade*, étudiante ayant eu des relations sexuelles avec un TA, qui a dit ne pas vouloir parler de l’affaire parce que «c’est trop dur». L’échantillon de l’article est donc voué à être biaisé.

En somme, toutes les relations entre étudiants et assistants d’enseignement ne sont pas nécessairement des innocentes histoires d’amour interdit. Certaines de ces relations peuvent même virer à la catastrophe. L’opinion publique est partagée à ce sujet. Certains pensent que de telles relations intimes sont trop dangereuses et doivent être interdites. D’autres pensent qu’elles sont tout à fait acceptables, au même titre que n’importe quelle autre relation. Il reviendra à chaque lecteur de former son opinion. Mais s’il y a une chose avec laquelle toutes les personnes passées en entrevue sont d’accord, c’est que si quelqu’un se retrouve dans de telles situations, qu’il soit étudiant ou TA, il est toujours conseillé de procéder avec précaution.

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L’éthique animale sous la loupe https://www.delitfrancais.com/2022/02/09/lethique-animale-sous-la-loupe/ Wed, 09 Feb 2022 13:00:45 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=47035 Première partie de notre entrevue avec le philosophe moral François Jaquet.

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Le Délit s’est entretenu avec François Jaquet, maître de conférences en éthique à l’Université de Strasbourg, pour parler de son travail, d’éthique animale et de métaéthique. Voici la première partie de cette entrevue, qui aborde les thèmes de l’éthique animale et des normes morales. Les propos ont été condensés à des fins de présentation.

Le Délit (LD): Pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas, parlez-nous un peu de vous. Quel est votre parcours? Et qu’est-ce qui vous a amené à étudier l’éthique, en particulier la métaéthique et l’éthique animale?

François Jaquet (FJ): J’ai grandi en Suisse, à Genève, et autour de l’âge de 18 ans, je suis devenu végane. Il se trouve que j’ai rencontré quelques personnes qui étaient véganes et plus ou moins antispécistes, et l’antispécisme m’est un peu apparu comme une évidence. J’en parle parce que c’est à cette époque-là que s’est développé mon intérêt pour la philo. Après avoir passé ma «matu» [diminutif de «maturité», l’examen de fin d’études du lycée en Suisse, ndlr], j’ai pourtant fait une licence en sciences politiques car l’Université de Genève m’aurait obligé à étudier une langue si je voulais faire de la philosophie, et – il faut dire ce qui est – j’étais un peu nul en langues. C’est seulement plus tard que je me suis redirigé vers la philosophie, d’abord en faisant un bout de bachelor puis un doctorat au département de philosophie de l’Université de Genève. Ma thèse portait sur la «théorie de l’erreur», selon laquelle tous les jugements moraux sont faux. J’ai défendu l’idée que même si l’on accepte cette théorie, on peut néanmoins continuer de faire des jugements moraux et adopter une genre de fiction morale – et plus particulièrement, une fiction utilitariste. Là, ça fait trois ans que je fais plutôt de l’éthique animale et que je m’intéresse plus particulièrement à la notion de spécisme.

LD: Parlons donc d’abord de spécisme. Le spécisme, c’est quoi?

FJ: Le spécisme, comme je le comprends, est une forme de discrimination basée sur l’appartenance d’espèce. C’est-à-dire qu’on est spéciste quand on traite certains individus moins bien que d’autres, et que cette différence de traitement s’explique par l’espèce à laquelle les individus appartiennent.

LD: Le spécisme est-il différent de l’anthropocentrisme?

FJ: J’aime bien dire qu’il y a une différence entre le spécisme et l’anthropocentrisme. Le spécisme, c’est traiter certains individus mieux que d’autres selon l’espèce à laquelle ils appartiennent. Mais ça peut être n’importe quelle espèce: on peut traiter certains animaux mieux que d’autres parce qu’ils sont des chiens plutôt que des cochons, par exemple. L’anthropocentrisme, en revanche, c’est vraiment traiter les êtres humains mieux que les autres animaux du fait de l’espèce à laquelle ils appartiennent.

«On grandit tous dans une culture où on nous encourage à privilégier les humains par rapport aux autres animaux»

François Jaquet

LD: Je vois, donc l’anthropocentrisme serait juste une sous-catégorie du spécisme. Est-ce que le spécisme est l’équivalent animal, en quelque sorte, du sexisme ou du racisme?

FJ: C’est une bonne approche de définir le spécisme de manière à le faire correspondre au racisme et au sexisme, mais cette fois-ci sur le plan de l’espèce. Si votre définition du spécisme est complètement différente de la bonne définition du racisme, alors vous n’avez pas une bonne définition du spécisme. 

LD: Mais il y a quand même des différences entre le spécisme et, disons, le racisme, n’est-ce pas? Vous en avez parlé pendant la Conférence étudiante sur le droit animal et environnemental. Par exemple, le racisme se définit parfois comme «la croyance que les races existent». Mais le spécisme, ce n’est pas exactement la croyance que les espèces existent…

FJ: Il y a vraiment pleins de choses différentes qu’on appelle «racisme» en philosophie. On peut parler de préjugés racistes – ça, c’est clairement une croyance –, on peut parler de discriminations racistes – ce qui est plutôt une disposition comportementale… On pourrait tracer le même genre de distinctions pour le spécisme. Mais la forme de spécisme qui a le plus intéressé les philosophes, c’est le spécisme comme discrimination, donc comme traitement inégal.

Voir aussi: Pour un véganisme de sollicitude

LD: Sommes-nous tous des spécistes?

FJ: Non, pas forcément. Si le spécisme est le fait de discriminer selon l’espèce, de traiter certains individus moins bien que d’autres du fait de l’espèce à laquelle ils appartiennent, on peut très bien imaginer des individus qui ne font pas ça. En tout cas, il y a pas mal d’individus qui essayent de ne pas faire ça. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils y arrivent toujours.

«Les agents moraux se rendent compte qu’il y a des normes qui transcendent les conventions»

François Jaquet

LD: Je reformule un tout petit peu la question: avons-nous tous des instincts spécistes?

FJ: Je pense que oui. Comme pour tous les phénomènes sociaux, je pense qu’il y a deux types d’explication pour le spécisme. Le premier type est plutôt culturel, ou environnemental: c’est sûr qu’on grandit tous dans une culture où on nous encourage à privilégier les humains par rapport aux autres animaux. L’effet de la culture, on le voit assez bien quand on regarde ce qui se passe dans le développement des enfants. Il y a des études assez récentes qui montrent que les enfants sont un peu spécistes, mais beaucoup moins que les adultes. Là, on voit quand même l’impact de la culture. 

Puis, l’autre facteur, à mon avis, est ce qu’on appelle le tribalisme. Le tribalisme, c’est cette disposition qu’on a à peu près tous à privilégier les membres des groupes sociaux auxquels on appartient. [Cette disposition] a l’air d’être innée et est probablement inscrite dans notre génétique. C’est pour cette raison que ça s’appelle tribalisme d’ailleurs, parce que c’est un trait de caractère qu’on a hérité de nos ancêtres tribaux. Lorsqu’on vivait tous dans des tribus, cela nous fournissait vraiment un avantage reproductif de savoir identifier et privilégier les membres de notre groupe et de développer des dispositions négatives vis-à-vis des membres des autres groupes. Aujourd’hui, même si les tribus ont disparu, il est probable que cette disposition explique l’existence du racisme. La race – ou l’ethnie – est simplement devenue un nouveau marqueur de l’appartenance à un groupe. Mais l’espèce aussi est un marqueur très saillant.

Ces deux facteurs font en sorte que, dans notre société, si vous ne vous posez pas la question, vous avez toutes les chances d’être spéciste.

LD: Est-ce que les animaux sont spécistes?

FJ: Ça dépend en bonne partie de la définition qu’on adopte du spécisme. Si vous dites simplement que le spécisme consiste à traiter certains individus mieux que d’autres en fonction de l’espèce à laquelle ces individus appartiennent – la définition que je privilégie –, vous êtes peut-être obligé de dire que certains animaux sont spécistes. Ce sera le cas si certains animaux discriminent selon l’espèce.

Il y a des gens qui ont envie de résister à cette implication en disant que le spécisme est un traitement inégal et injuste en fonction de l’espèce. Si on dit ça, alors on ne peut pas dire que les animaux sont spécistes puisque les animaux ne sont pas des agents moraux. Ça n’a aucun sens de dire qu’un chat a mal agi en tuant une souris, par exemple, car les chats ne sont pas moralement responsables. Même s’ils peuvent discriminer selon l’espèce, ils ne peuvent pas discriminer de manière injuste selon l’espèce; cela ne peut être immoral.

L’entrée des animaux à l’arc de Noah, Jan Bruegel de Elder

LD: Donc seuls les «agents moraux» peuvent être les agents d’une injustice. Mais comment détermine-t-on qui est un agent moral et qui n’en est pas un?

FJ: C’est aussi un sujet assez controversé, mais j’ai ma petite théorie sur la question. Je pense que pour être un agent moral – donc, pour avoir des devoirs moraux –, il faut maîtriser les concepts moraux. Ça veut dire qu’il faut être capable de délibérer en termes moraux. Ça n’a aucun sens de dire qu’un individu a bien ou mal agi moralement s’il n’a pas les concepts de «moralement bon» ou «moralement mauvais».

Pour pouvoir maîtriser et utiliser les concepts moraux, je pense qu’il faut être capable de distinguer les normes morales des autres types de normes – par exemple, des normes dites «conventionnelles». Un exemple de norme conventionnelle: en France, on roule à droite sur la route tandis qu’en Angleterre, on roule à gauche. Les normes conventionnelles dépendent d’une décision collective mais pourraient être complètement différentes si on en avait décidé différemment. Les normes morales ne sont pas comme ça: la torture resterait immorale même si on décidait tous ensemble qu’elle est acceptable. Les normes morales sont non conventionnelles et, pour maîtriser les concepts moraux, il faut savoir faire cette distinction. Il faut pouvoir dire: «Ah oui, la norme selon laquelle la fourchette doit être posée à gauche, ce n’est pas une norme morale».

C’est important parce que jusqu’à un certain âge, les enfants sont incapables de faire cette distinction. Jusqu’à un certain âge, ils ne maîtrisent pas vraiment les concepts moraux et ne sont donc pas des agents moraux. Les animaux non plus. Il y a des normes sociales qui s’appliquent aux animaux, mais il est très peu probable qu’ils arrivent à distinguer une norme conventionnelle et une norme non conventionnelle. Donc, on ne peut pas dire que les animaux ont des devoirs moraux.

LD: Donc, il y a même des humains adultes qui ne sont pas des agents moraux?

FJ: Ça aussi, c’est assez controversé, mais il y a des études qui montrent que les psychopathes ne sont pas capables de faire ce genre de distinction. Ils vous expliqueront par exemple qu’il est mal de torturer quelqu’un «parce que c’est interdit par la loi». Mais la loi est une norme conventionnelle. Ils expliquent donc une faute morale par une convention, ce qui montre qu’ils ne maîtrisent pas vraiment les concepts moraux. Pour cette raison, il y a des philosophes qui disent que les psychopathes ne sont pas des agents moraux. C’est un peu bizarre parce qu’on a envie de dire qu’un tueur en série est moralement un salaud. Mais s’il ne maîtrise pas les concepts moraux, on fait peut-être la même erreur qu’on ferait si on disait que les avalanches ou les tsunamis sont immoraux.

LD: Est-ce qu’on peut mettre un «degré» à cette agentivité morale? Je m’explique: on pourrait argumenter que la religion, dans certains cas, nous force à ne pas faire la distinction entre une norme conventionnelle et une norme morale. L’homosexualité, par exemple, peut être considérée comme une faute morale d’après la religion, alors que vous argumenteriez certainement personnellement que c’est plutôt une faute conventionnelle. Et donc, pour ces adultes qui ne savent pas faire la différence entre une faute morale et une faute conventionnelle dans le cas spécifique de l’homosexualité, est-ce qu’on peut dire qu’ils ne sont pas des agents moraux?

FJ: Je pense qu’il faut quand même rendre compte de la possibilité pour les gens de faire d’authentiques erreurs morales. Je pense que les catholiques qui pensent que l’homosexualité – pour reprendre votre exemple – est immorale ne sont pas forcément en train de confondre les normes conventionnelles et les normes morales. Eux pensent vraiment que l’homosexualité est immorale, indépendamment de ce que dit l’Église catholique. Leur erreur est authentiquement morale. Il ne s’agit pas d’une confusion conceptuelle. Si, par contre, ils vous expliquent que l’homosexualité est immorale parce qu’elle est condamnée par l’Église catholique, alors là, ils confondent les deux types de normes. Mais je ne pense pas que ce soit ça exactement que pensent les homophobes catholiques. Selon eux, l’homosexualité est immorale, et c’est un fait qui transcende les conventions, et l’Église catholique ne fait que reconnaître ce fait.

Poker Game, Cassius Marcellus Coolidge

LD: Si j’ai bien compris, ce qui distingue un humain qui est un agent moral d’un humain qui ne l’est pas, c’est qu’un agent moral a la capacité de reconnaître l’existence de normes morales. Tout le monde aurait la capacité de reconnaître les normes conventionnelles – même les psychopathes – mais les agents moraux sont capables de distinguer ces normes conventionnelles des normes morales, même si, au cas par cas, ils peuvent se tromper. Est-ce bien ça?

FJ: Oui, les agents moraux se rendent compte qu’il y a des normes qui transcendent les conventions. Après, vous dites que «tout le monde se rend compte qu’il y a des normes conventionnelles», mais ça, je ne suis plus exactement sûr de savoir comment ça se passe au cours du développement des enfants. C’est possible que les normes prudentielles viennent avant les normes conventionnelles.

LD: C’est quoi, une norme prudentielle?

FJ: Une norme prudentielle, c’est ce que je dois faire – ou ce qu’il est rationnel pour moi de faire – parce que c’est bon pour moi. Prenons un enfant qui sait qu’il ne doit pas faire une bêtise s’il ne veut pas être puni. Il est conscient de cette norme, mais s’il doit l’expliquer, il le fera en termes de «si je fais [cette bêtise], je vais me faire punir». Là, ce n’est pas encore une norme conventionnelle; c’est seulement une norme prudentielle. Et les normes prudentielles fonctionnent un peu indépendamment des conventions.

En clair, les normes prudentielles et les normes morales sont toutes deux non conventionnelles. Mais comment les différencier? Parce que les psychopathes, par exemple, sont tout à fait capables de maîtriser les normes prudentielles – ils savent très bien ce qui est bon pour eux – mais ne peuvent pas distinguer les normes conventionnelles des normes morales. Une manière de tracer la distinction, c’est de dire que les normes prudentielles, elles, dépendent toujours des désirs de l’individu – l’enfant ne devrait pas faire de bêtise parce qu’il ne veut pas être puni. Les normes morales, quant à elles, sont vraiment beaucoup plus indépendantes des désirs de l’agent – on se soucie assez peu des désirs d’Hitler avant de condamner l’Holocauste.

«Je pense que si on voit un animal qui souffre, et qu’aucune raison importante ne s’oppose à lui venir en aide, il y a un impératif catégorique qui nous impose de lui venir en aide»

François Jaquet

LD: Une dernière question concernant l’éthique animale: si l’on part de la prémisse que les humains – ou du moins les agents moraux – ont la responsabilité d’intervenir lors d’une injustice, est-ce qu’alors les humains ont la responsabilité de ne pas intervenir dans le monde animal puisque les animaux ne sont pas capables d’une injustice?

FJ: On parle ici d’un devoir d’assistance. Mon impression, c’est que les devoirs d’assistance sont, en règle générale, indépendants de la cause de la souffrance de l’individu, du fait que cette souffrance soit due à une action immorale ou pas. Si un individu souffre, le simple fait qu’il souffre me semble une raison suffisante pour moi de lui venir en aide, qu’il souffre parce qu’on lui a fait du mal ou parce qu’il est victime d’un événement naturel. 

De ce point de vue, les animaux qui sont victimes de la prédation méritent aussi qu’on leur vienne en aide. Ils ne sont pas victimes d’un agent moral, mais le fait qu’ils souffrent me donne une raison d’intervenir. Qu’ils soient victimes de la prédation, d’une avalanche ou d’un chasseur, peu importe.

LD: En ce sens, vous rejoignez peut-être les théoriciens moraux de la vertu: il n’y a pas nécessairement des impératifs catégoriques, comme chez Kant, mais plutôt des attitudes vertueuses? Donc, si l’on voit un animal qui souffre, la chose vertueuse à faire, ce serait de lui venir en aide.

Voir aussi: Aristote et l’éthique de la vertu

FJ: Je pense que si on voit un animal qui souffre, et qu’aucune raison importante ne s’oppose à lui venir en aide, il y a un impératif catégorique qui nous impose de lui venir en aide. Et je pense que l’existence d’un tel devoir est plausible indépendamment de la théorie morale à laquelle on souscrit. C’est vrai pour un déontologiste: les déontologistes sont d’accord que nous avons des devoirs d’assistance envers les personnes en danger. Si on est conséquentialiste, on va dire la même chose: si l’acte d’assistance a de bonnes conséquences, il est obligatoire. Et si on est éthicien de la vertu, clairement, on va penser que la personne qui n’intervient pas lorsqu’elle voit un enfant se noyer dans un étang est une mauvaise personne. 

Ici, la particularité est de dire qu’on a aussi ces devoirs envers les animaux. Généralement, quand il s’agit des animaux, on se trouve toutes sortes d’excuses pour ne pas intervenir. On va dire que «le lion n’est pas un agent moral, donc il n’y a pas de raison d’intervenir et de sauver la gazelle», on va dire qu”«il ne faut pas bouleverser les écosystèmes». Mais si la victime du lion était un humain, c’est évident qu’on dirait qu’il faut sauver l’humain. Quand on adopte sur cette question une perspective antispéciste, on se rend assez facilement compte qu’on a beaucoup plus de devoirs d’assistance envers les animaux sauvages que ce qu’on pense habituellement. 

Consultez la deuxième partie de cette entrevue la semaine prochaine dans les pages du Délit!

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La causalité chez David Hume https://www.delitfrancais.com/2022/01/19/la-causalite-chez-david-hume/ Wed, 19 Jan 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=46323 Peut-on faire confiance à la science?

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Deux ans de pandémie nous auront convaincus de l’importance de la science dans notre société contemporaine. Cependant, à en juger par le nombre non négligeable de personnes se montrant sceptiques à propos des vaccins contre la COVID-19, de nombreux questionnements persistent quant à la validité des affirmations scientifiques. Au cœur de la réflexion philosophique qui entoure ces débats, l’on retrouve le fameux penseur écossais David Hume. 

«La plupart de nos connaissances, appelées “inductives”, émaneraient de nos observations du monde»

La connaissance inductive

En s’inspirant d’une tradition philosophique remontant jusqu’aux temps d’Aristote, Hume fait la distinction entre deux types exclusifs de connaissance. Tout d’abord, il y aurait les connaissances a priori, acquises indépendamment de notre expérience avec le monde. Une affirmation a priori est considérée comme vraie si son opposé est inconcevable, ou si elle découle par déduction d’une autre affirmation considérée comme vraie. Par exemple, si l’on sait qu’une personne a plus de 50 ans, alors on peut déduire que cette personne a plus de 20 ans, car 50, par définition, est supérieur à 20.

Cependant, les connaissances déductives ne représentent qu’une partie minimale de l’étendue du savoir humain. Selon Hume, la plupart de nos connaissances, appelées «inductives», émaneraient de nos observations du monde. «Nous présumons toujours, lorsque nous observons des qualités sensibles similaires, qu’elles ont des pouvoirs secrets similaires, et nous nous attendons à ce que des effets similaires à ceux que nous avons pu observer en découlent.» Les connaissances inductives nous permettent d’établir des jugements sur le futur à partir de notre expérience du monde. Si, par exemple, tous les beignes que j’ai mangés par le passé ont été délicieux, je m’attends à ce que le prochain beigne que je mange soit aussi délicieux.

Cependant, ce type de raisonnement présente un problème évident: il est circulaire. En réalité, rien ne m’assure que le prochain beigne que je mangerai sera délicieux. Je tire cette conclusion uniquement du fait que les beignes que j’ai mangés par le passé étaient délicieux. Mais, à nouveau, rien ne m’assure que le futur ressemblera au passé… La circularité réside dans le fait que la conclusion de mon raisonnement est, en même temps, la prémisse principale de celui-ci. Hume nous assure tout de même qu’il fait preuve d’un tel scepticisme, non pas pour nous décourager, «mais plutôt comme une incitation […] à essayer quelque chose de plus complet et satisfaisant». Voyons si la science nous offre des solutions plus encourageantes.

«Au lieu de supposer aveuglément que le futur ressemblera au passé, [la science tente] de formuler des hypothèses sur les causes qui ont produit certains effets par le passé, et de s’attendre à ce que ces causes se reproduisent dans le futur»

La causalité dans les sciences

Une autre façon de tirer des conclusions sur le monde est de produire un raisonnement causal. Au lieu de supposer aveuglément que le futur ressemblera au passé, il s’agirait de formuler des hypothèses sur les causes qui ont produit certains effets par le passé, et de s’attendre à ce que ces causes se reproduisent dans le futur. Voilà le type de raisonnement employé par la science. La science pourrait, par exemple, postuler que le sucre possède certaines caractéristiques qui rendent les aliments délicieux. Par conséquent, étant donné que les beignes contiennent du sucre, on peut s’attendre à ce que tous les beignes soient délicieux. Mais nous rencontrons ici le même problème que nous avons rencontré auparavant, c’est-à-dire, que rien ne nous assure que le sucre rendra les aliments délicieux dans le futur! La science ne fait que contourner le problème de la circularité, elle ne le résout pas.

Doit-on donc tout jeter par-dessus bord et conclure que les connaissances scientifiques ne peuvent jamais être satisfaisantes? Hume ne semble certainement pas être de cet avis. En effet, même si l’on ne peut pas vraiment justifier la véracité d’une hypothèse causale, on peut quand même tenter de formuler une théorie descriptive afin de distinguer les «bonnes» hypothèses causales des «mauvaises» hypothèses causales. Comme l’écrit Sarah Clairmont, chargée de cours à l’Université McGill, «le problème descriptif demande quelles inférences inductives sont légitimes bien qu’elles soient des illogismes [non-sequiturs, en anglais], et lesquelles ne sont rien de plus que des illogismes». Et c’est exactement ce problème que les philosophes des sciences tentent de résoudre.

→ Voir aussi: Ne sommes-nous qu’un tas d’atomes?

Abandonner la science?

En somme, le raisonnement causal est-il une méthode infaillible? Nous avons vu qu’il ne l’est pas, mais qu’il est possible de le perfectionner. De quelle façon le perfectionner demeure une question pour un autre jour. Ce qu’il faut retenir aujourd’hui, c’est que la science peut avoir un degré de fiabilité élevé et, surtout, qu’elle demeure le meilleur outil à notre disposition pour donner un sens au monde. Voilà la conclusion finale de Hume. Pour lui, le scepticisme philosophique n’a pas pour but de discréditer la science, mais plutôt de la renforcer en identifiant ses failles.

Remerciements à Sarah Clairmont pour avoir inspiré cet article.

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Mythologie: le sauveur blanc https://www.delitfrancais.com/2022/01/12/mythologie-complexe-du-sauveur-blanc/ Wed, 12 Jan 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=46076 Infantiliser les opprimés pour satisfaire les privilégiés.

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Au cinéma, les temps ont changé. Les personnes racisées assument de plus en plus de rôles principaux, les perspectives sont de plus en plus diversifiées, les discours s’adaptent de plus en plus aux nouvelles sensibilités, mais un certain type de récit semble n’avoir jamais disparu des écrans: celui du «sauveur blanc». 

Le sauveur blanc désigne un personnage d’ascendance européenne qui, parfois malgré lui, prend le rôle de sauveur, de libérateur, d’élévateur de personnes racisées. Les récits de sauveurs blancs s’ancrent souvent dans des contextes d’injustices raciales marquées et de lutte contre ces injustices, mais prennent tout de même des personnages blancs comme protagonistes. Les spectateurs sont donc invités, non pas à suivre le combat de personnes opprimées pour se défaire de leurs maux, mais à suivre le parcours personnel d’un héros blanc qui se voit, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans ce combat. 

Dans le film Green Book, par exemple, le videur italo-américain Frank Vallelonga prend le travail de chauffeur et garde du corps du fameux pianiste et compositeur Don Shirley. L’histoire de Don Shirley, un Afro-Américain homosexuel né dans le Sud des États-Unis dans les années 1920, est impressionnante et suffirait à elle-même pour faire un long métrage iconique. Elle n’est, cependant, apparemment pas assez impressionnante étant donné que Peter Farrelly a préféré diriger un film sur son chauffeur.

«Ce monde existe simplement pour satisfaire les besoins – y compris, ce qui est important, les besoins sentimentaux – des personnes blanches et d’Oprah»

Teju Cole

Bien sûr, le problème n’est pas un film ou un personnage en particulier. En fin de compte, Green Book était un film émouvant et Frank Vallelonga, un personnage dynamique et attachant. Le problème surgit lorsque l’on observe ce même genre de récit film après film et que l’on se rend compte que plusieurs de ces films gagnent peu à être racontés du point de vue d’une personne blanche. Pourquoi raconter The Blind Side du point de vue de la femme blanche qui a acueilli le jeune sans-abri Michael Oher, et non pas du point de vue de Michael Oher lui-même? Pourquoi raconter The Help du point de vue de l’écrivaine blanche qui décide d’écrire un livre sur des femmes de ménage noires, et non pas du point de vue de ces femmes de ménage? Ces choix de protagonistes blancs n’ont en réalité pas beaucoup à voir avec des considérations narratives, et tout à voir avec un fantasme bien ancien: celui du personnage blanc bienveillant dont la mission divine est de «civiliser» les non-blancs.

En effet, le récit du sauveur blanc part d’une prémisse extrêmement infantilisante: l’idée selon laquelle les personnes non blanches ont «besoin» d’être sauvées. Sauvées par une personne blanche, spécifiquement. Les personnages non blancs dans les récits de sauveurs blancs sont souvent dépeints avec une attitude passive. Si ce n’était pour l’aide gracieuse d’un sauveur blanc, ils seraient complètement impuissants face à leur sort fatal. Dans le To Kill a Mockingbird de Robert Mulligan, par exemple, un Tom Robinson impuissant et muet témoigne comment l’avocat blanc Atticus Finch le défend d’une sentence injuste et infondée. Robinson, comme le sont typiquement les personnages racisés dans les récits de sauveurs blancs, est complètement unidimensionnel, réduit à sa condition de victime.

Pourquoi ce type de récit a‑t-il persisté autant? Comme le tweetait Teju Cole, c’est tout simplement parce qu’il a la capacité unique à «satisfaire les besoins sentimentaux de personnes blanches». Dans une ère de revendications antiracistes intenses et de récriminations de racisme systémique, le récit du sauveur blanc permet à un public blanc de se rassurer qu’il peut être innocent, qu’il peut être gentil et libre de reproches et, bien sûr, qu’il peut toujours rester le protagoniste des histoires du monde. En empruntant à nouveau les mots de Cole, le récit du sauveur blanc constitue ainsi une «expérience émotionnelle qui valide le privilège [blanc]». En somme, peut-être les temps n’ont-ils pas tant changé.

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Retour sur la pandémie, regard vers l’avenir https://www.delitfrancais.com/2021/11/30/retour-sur-la-pandemie-regard-vers-lavenir/ Wed, 01 Dec 2021 02:26:03 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45738 La principale Suzanne Fortier en entrevue avec les médias étudiants.

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Le 24 novembre dernier, les médias étudiants de l’Université ont été invités à une table ronde pour poser leurs questions à la principale et vice-chancelière de McGill Suzanne Fortier et au premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) Fabrice Labeau. Le McGill post-COVID-19 et le rôle environnemental de l’Université ont été abordés au cours de l’entrevue qui a duré 45 minutes.

Leçons de pandémie

La pandémie de COVID-19 représente un défi de taille pour McGill, selon Suzanne Fortier, qui a défendu la centralisation de la gouvernance au cours des derniers mois. Elle a notamment affirmé que la gestion d’une crise au niveau institutionnel exige de renoncer à un modèle totalement démocratique en échange d’une plus grande efficacité. Abandonnant en partie le modèle collégial de gouvernance, qui préconise le consensus et la consultation, McGill aurait plutôt opté pour des comités de crise constitués d’expert·e·s dévoué·e·s. La principale constate également que le gouvernement québécois a lui aussi particulièrement fait preuve d’autocratie pendant la pandémie. À propos du couvre-feu, elle a au passage affirmé que même la crise d’Octobre n’avait pas donné lieu à des mesures aussi radicales.

La principale demeure tout de même réticente à exiger une preuve de vaccination adéquate pour toutes les activités d’enseignement. Pour l’instant, a déclaré Fabrice Labeau, la situation sanitaire du Québec ne justifie pas de restreindre les droits et libertés de cette manière. L’Université voulant toutefois suivre les indications du gouvernement provincial, les autres mesures resteront en vigueur tant que les enfants de cinq à onze ans ne seront pas vaccinés.

Outre ses conséquences néfastes, la pandémie aurait présenté son lot d’opportunités aux yeux de la principale. Les mesures de confinement coïncident avec le 200e anniversaire de l’Université. À l’occasion du bicentenaire, l’administration examinait déjà la possibilité de dispenser de plus en plus de cours en ligne. Ceux-ci offriraient une grande flexibilité en ce qui concerne les horaires des étudiant·e·s, facilitant ainsi l’implication communautaire. La pandémie aura donc été une occasion de mettre ces modèles d’enseignement à l’épreuve. 

«Même pendant la fameuse crise d’Octobre, ce n’était pas si pire» 

Suzanne Fortier

Désinvestir, réinvestir

Interrogée par le Bull & Bear au sujet de l’environnement, Suzanne Fortier a qualifié de « déterminée » la Stratégie climat et développement durable 2020–2025 de McGill, qui prévoit que l’institution parvienne à la cible de zéro émissions nettes d’ici 2040. Elle a également affirmé qu’un nouveau cours crédité et disponible à tous·tes sera établi au cours de la session au sujet du développement durable. Quant au désinvestissement, la principale et vice-chancelière soutient que les actifs mcgillois, qui totalisent environ deux milliards de dollars, sont graduellement réinvestis dans des fonds environnementaux. Pour l’instant, des ententes passées avec certains fonds contraindraient toutefois l’Université à préserver et à agrandir certains de ses placements dans des entreprises plus polluantes. 

En somme, Suzanne Fortier ne considère pas que McGill soit délinquante en la matière. À l’heure actuelle, moins d’un pourcent des actifs universitaires seraient investis dans les 200 entreprises les plus polluantes au monde. Cette proportion devrait encore diminuer au cours des prochaines années, affirme-t-elle.

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Fermeture d’un programme de français : McGill invoque « les besoins du marché » https://www.delitfrancais.com/2021/11/30/fermeture-dun-programme-de-francais-mcgill-invoque-les-besoins-du-marche/ Tue, 30 Nov 2021 15:55:23 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45734 Entre déception, compréhension et amertume, la communauté francophone de l’Université réagit.

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Sur son site, McGill ne tarissait pas d’éloges pour décrire le programme intensif « Français, langue et culture » (FLC). « Suivez le programme qui a permis à des milliers d’étudiants en provenance de plus de 60 pays de travailler, d’étudier et de vivre en français », peut-on encore lire sur le site officiel de l’Université. Pourtant, Radio-Canada a dévoilé le 22 novembre dernier que le programme serait coupé, victime d’impératifs financiers. 

Le FLC, dispensé par la l’École d’éducation permanente (ÉÉP), permettait aux nouveaux arrivants du Québec d’apprendre rapidement le français après leur entrée au pays. Il les préparait notamment à passer le Test d’évaluation de français adapté au Québec (TEFAQ), requis par le gouvernement du Québec. Le programme fonctionnait sur le principe de l’immersion linguistique, plongeant ses apprenants dans un environnement totalement francophone pendant six semaines. 

Il y a près d’un mois, les 12 chargés de cours du FLC ont appris que le programme serait supprimé. Selon l’article de Radio-Canada, ils n’ont pas été consultés avant cette décision irrévocable, qu’ils ont apprise dans un courriel rédigé uniquement en anglais. Dans une entrevue avec Le Délit, la principale et vice-chancelière Suzanne Fortier a cependant affirmé que « ça fait deux ans que l’Université réalise une analyse de tous ses programmes » pour « évaluer s’ils sont nécessaires et les repenser ». Selon elle, la nouvelle n’aurait pas dû causer tant de surprise.

Dans un courriel envoyé au Délit, la relationniste Frédérique Mazerolle a expliqué que l’administration avait décidé de fermer le programme FLC « à la suite d’une baisse constante du nombre d’inscriptions au cours de la dernière décennie » : les inscription auraient chuté de 76% pendant cette période. Ce déclin, selon Suzanne Fortier, serait dû à un programme similaire offert gratuitement par le gouvernement provincial depuis quelques années, ainsi qu’à plusieurs programmes en ligne et à bas prix offerts par d’autres organisations. Les étudiants actuellement inscrits pourront terminer leur parcours, mais l’Université n’accepte plus de nouvelles inscriptions.

Dans une déclaration écrite, la relationniste souligne toutefois que le FLC n’était pas le seul programme en son genre. « Bien que la décision de suspendre le programme FLC reflète les besoins du marché, l’ÉÉP continue de développer et d’offrir des programmes d’apprentissage de la langue française adaptés aux besoins actuels et futurs des étudiants et des employeurs, avec une orientation plus spécifique et moins générale », détaille-t-elle. Selon McGill, l’ÉÉP continue d’offrir quatre cours de français, dont un adapté aux professionnels de la santé qui serait de plus en plus populaire. 

Des membres du personnel mitigés

Pour Arnaud Bernadet, professeur de littérature française, cette annonce n’est pas une surprise. « On savait que l’Université McGill était sans pilote, qu’elle évoluait sans vision d’avenir autre que l’idéologie néolibérale. Ce qu’on ignorait c’est que sous le mandat d’une rectrice francophone, Suzanne Fortier, la langue française reculerait. », a‑t-il affirmé. « La doyenne Carole Weil sait-elle quelles sont exactement les missions d’un établissement d’enseignement supérieur? Ou n’a‑t-elle d’yeux et d’oreilles que pour les saintes lois du marché? » Il estime que cette décision va à l’encontre de la politique linguistique de
McGill, censée orienter le rapport de l’Université au fait français. « Ce texte dit notamment que “l’Université McGill est fortement enracinée au Québec et appuie le rôle important du français dans la société québécoise.” On est permis d’en douter. »

Une chargée de cours à l’ÉÉP et membre du projet « Vivre McGill en français », est tout à fait désabusée. Sur un ton qui traduit son épuisement, elle lâche : « Moi, je suis dépitée ». Le coup a en effet été dur pour les chargés de cours. « On était la moitié à perdre notre job en septembre… on était tous incrédules! »  Par ailleurs, son témoignage confirme les difficultés financières de l’école. « Quand McGill a annoncé le retour sur campus, nos étudiants n’ont pas répondu à l’appel. En fait, on a la moitié de nos classes qui ont fermé. » Elle précise que le cas du FLC n’est pas unique, et évoque la fermeture d’une trentaine de cours en anglais.

«Il y a près d’un mois, les 12 chargés de cours du FLC ont appris que le programme serait supprimé»

En dépit de ses demandes répétées, Le Délit n’a pas été en mesure de confirmer le nombre de cours qui seront fermés à l’ÉÉP, ni le nombre exact d’inscriptions à ces cours dans les dernières années. 

La directrice du Département des littératures de langue française, de traduction et de création (DLTC), Isabelle Daunais, n’a pas voulu se prononcer sur la question. « Tout ce que je sais, c’est que l’École d’éducation permanente a entrepris il y a plus d’un an une refonte majeure de toute sa structure. Par ailleurs, le programme visé ne touche d’aucune manière les programmes du DLTC », s’est-elle contentée d’écrire. 

Des associations étudiantes demandent des explications

Les associations étudiantes se sont aussi montrées prudentes sur le sujet, en attendant d’avoir plus de détails sur cette fermeture. La commissaire des Affaires francophones de l’AÉUM, Ana Popa, affirme regretter la perte d’un cours de français, mais elle estime que la décision ne devrait pas avoir d’« impact prochain sur la francophonie dans son ensemble. » « Ce qu’il faut savoir », écrit-t-elle, « c’est que l’École d’éducation permanente travaille depuis quelque temps sur une refonte de ses programmes, dont nous n’avons pas encore tous les détails. Les programmes suspendus pourraient très bien être modifiés puis relancés prochainement, ce qui serait une super nouvelle. »

L’Association des étudiant(e)s en langue et littérature françaises inscrit(e)s aux études supérieures (ADELFIES) de l’Université McGill a pour sa part émis un communiqué dans lequel elle déplorait la décision de l’administration. «L’ADELFIES est déçue de la décision de McGill et de l’École d’éducation permanente, surtout qu’elle semble motivée par des considérations économiques sans prendre en compte l’importance de l’enseignement du français au sein de la communauté mcgilloise. Nous ajoutons que la fermeture de ce programme s’ajoute à celle des programmes de traduction [de l’ÉÉP], dont celui de l’anglais vers le français et qui s’adressait à une clientèle majoritairement francophone. »

Erratum: Dans une version antérieure de ce texte, nous avons relayé que l’ADLEFIES déplorait la fermeture de programmes de traduction au DLTC. En fait, ces programmes de traduction étaient dispensés par l’ÉÉP, mais pouvaient servaient de cours d’équivalence pour les étudiants au profil traduction du DLTC. Le Délit regrette cette erreur.

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Mythologie : la laïcité https://www.delitfrancais.com/2021/11/16/mythologie-la-laicite/ Tue, 16 Nov 2021 19:03:56 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45503 La religion d’un soldat impérial et d’une professeure musulmane.

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«L’identité religieuse s’exprime à travers différents registres symboliques. […] Le « symbole » est un symbole dans la mesure où il manifeste sur le plan matériel une vertu à perfectionner, une croyance métaphysique. […] Certains symboles dérangent plus que d’autres»

Dania Suleman

Imaginons la vie d’un soldat impérial (oui, comme dans Star Wars). Appelons-le George, en l’honneur du photographe espagnol Jorge Pérez Higuera, qui a réalisé en 2015 une exposition imaginant le quotidien de ces soldats. 

George se lève tous les matins, sans son armure ni son casque. Les murs de sa chambre sont d’un rouge vif car il en a marre du blanc – à son boulot, tout est blanc. Il se brosse les dents, prend son déjeuner, lit les nouvelles de la galaxie. Et enfin, le moment fatidique arrive : il est l’heure pour George d’enlever son pyjama aux motifs de tigre et de se vêtir de son armure immaculée. Il enfile ses bottes, ses gants, son équipement et, une fois son casque en place, il n’est plus George, il est uniquement un soldat impérial. Loyal serviteur de l’Empire, sa seule mission est d’obéir aux ordres de l’empereur Palpatine sans objection, sans hésitation et sans délai. 

Pour son boulot, George doit parfois faire des choses qu’il n’aime pas, comme capturer et enfermer des Tuk’ata, ces créatures semblables à des chiens que l’Empire entraîne à poursuivre des ennemis. Capturer des mammifères va à l’encontre de la religion de George, mais il n’a pas le choix : George a besoin de ces crédits pour payer son loyer et son épicerie. Originaire de la planète Serenno, il croit aux sept dieux de la religion ancestrale de ce monde, dont le dieu des mammifères, Ferogentia. Tous les soirs, George fait brûler de l’encens sur une petite table ronde, ferme les yeux et exprime son repentir à Ferogentia : « Pardonne-moi, je t’en prie. Je dois faire ce que l’Empire m’ordonne si je veux survivre », implore-t-il. 

«Une fois son casque en place, il n’est plus George, il est uniquement un soldat impérial»

C’est dans une situation semblable que se retrouvent les employé·e·s de l’État au Québec. Depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur laïcité de l’État (mieux connue sous le nom de « loi 21 »), il est interdit aux fonctionnaires en position d’autorité de porter des signes religieux, même si leur port est requis par la religion en question. Cela inclut non seulement les juges, les policier·ère·s et les gardien·ne·s de prison, mais aussi les enseignant·e·s. Ainsi, une enseignante musulmane – appelons-la Fatima – se voit dans l’obligation d’enlever son voile si elle veut exercer son métier. 

Au nom de quoi Fatima doit-elle se dévêtir? Parce que c’est essentiellement cela qui lui est demandé : se dévêtir. Au nom de l’État, bien sûr, et de l’impartialité qu’il est censé incarner. Tout comme un soldat impérial, Fatima doit se défaire de toute influence privée et se dédier impeccablement à la tâche qui lui est confiée, celle de l’instruction des nouveaux sujets de l’État. La salle de classe se doit d’être un univers hermétique, à l’abri des germes du dogme et de la religion. Ces derniers sont proscris de pénétrer l’espace immaculé de l’enseignement, même de façon symbolique. 

En entrant dans la salle de classe la tête découverte, Fatima signale implicitement à toute personne qui l’aperçoit qu’elle est « comme tout le monde », qu’elle appartient à la « communauté civique ». Débarrassée de son individualité – donc, de sa subjectivité – tout comme un soldat impérial, elle est officiellement, et paradoxalement, « libérée » de la religion. De cette façon, elle est enfin prête à enseigner un cours de Culture et citoyenneté québécoise à ses élèves. 

Évidemment, porter un voile ou ne pas en porter n’influence en rien les croyances et enseignements d’une professeure. Comme l’écrit Dania Suleman, avocate et réalisatrice québécoise, « les vêtements des un·e·s et des autres nous informent sur une partie de leur identité (leurs valeurs, leur mode de vie, leur philosophie, leur foi), et non sur leur capacité d’exercer leur métier en toute impartialité ». Mais cela est hors sujet dans le contexte de la loi 21. L’intention n’est pas d’éliminer les biais des enseignant·e·s, mais de protéger les étudiant·e·s du virus de la religion, même de sa simple vue.

Marco-Antonio Hauwert Rueda | Le Délit

Sacrée laïcité

Frank William Remiggi, ancien professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), définit la religion comme un « ensemble de pratiques symboliques possédant sa structure propre mettant en relation des représentations générales et particulières du monde, des rituels permettant d’effectuer les transitions de phases dans les cycles de l’existence et de traverser les situations de crise, ainsi que des règles constituant un code de conduites morales. Cet ensemble est porté par une communauté au sein de laquelle se déploient variablement des rôles sociaux spécialisés ». Tiens donc, il s’avère que cette définition de la religion se rapproche drôlement du projet de laïcité du Québec, ainsi que des préceptes de l’Ordre impérial galactique.

Les enseignant·e·s au Québec doivent en effet suivre un ensemble de « pratiques symboliques », tel qu’ôter tout symbole religieux avant l’entrée dans un établissement scolaire. Retirer son voile, c’est essentiellement un acte de purification. Cette purification est nécessaire si l’on veut intégrer l’espace sacré de la salle de classe. 

«L’intention n’est pas d’éliminer les biais des enseignant·e·s, mais de protéger les étudiant·e·s du virus de la religion, même de sa simple vue»

Ainsi, la « représentation du monde » mise de l’avant par la loi 21 est essentiellement celle d’une bataille entre ce qui est salissant et contaminant d’un côté (la religion), et ce qui est propre et libérateur de l’autre (la laïcité). Pour qu’elle puisse être libre, il faudrait à tout prix protéger la fragile jeunesse de la contamination que représente la religion. 

Cette construction du monde s’accompagne aussi de « rituels » particuliers : le cours de Culture et citoyenneté québécoise, par exemple, sert comme rituel de transmission du bien sacré de la laïcité. Pour assurer le bon déroulement de ce processus délicat, l’enseignant·e remplit le « rôle spécialisé » de véhicule de la transmission. Tout cela, dans le but de construire et reproduire la « communauté » laïque québécoise.

En somme, nous observons que la laïcité telle que pratiquée au Québec suit très fidèlement la définition de la religion proposée par Frank William Remiggi. À vouloir effacer la religion par l’intrusion dans l’individualité, il semble plutôt que la laïcité a fini par devenir elle-même une construction imaginaire dogmatique.

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Les clubs mécontents de l’AÉUM https://www.delitfrancais.com/2021/11/02/les-clubs-mecontents-de-laeum/ Wed, 03 Nov 2021 00:51:13 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45227 Le Nouveau Vic et l’échec de la Soirée des activités continuent
à faire des remous au conseil législatif.

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L’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) a tenu le quatrième conseil législatif de la session le jeudi 28 octobre dernier. Les 23 conseiller·ère·s y ont notamment discuté d’une mise à jour sur le projet du Nouveau Vic, du rapport des représentant·e·s des clubs et de l’approbation des questions pour le référendum d’automne. 

Absences inexpliquées

Pour la quatrième fois sur quatre séances du conseil législatif, le président de l’AÉUM, Darshan Daryanani, était absent. Officiellement, Daryanani était déclaré « absent mais excusé », ce qui signifie qu’il aurait annoncé son absence en avance, selon le président du conseil législatif, Alexandre Ashkir. Le directeur général, Daniel Dufour, était également absent.

Une série de questions portant sur leur absence ont chaque fois reçu la même réponse du vice-président aux Finances, Eric Sader : « [La personne en question] est en congé et nous demandons à tout le monde de respecter cela ». L’équipe exécutive de l’AÉUM « fonctionne tout à fait bien » malgré l’absence de son président, a déclaré Sader en réponse à une question du Délit.

Présentation sur le Royal Vic

Le doyen de la Faculté des sciences et responsable académique du projet du Nouveau Vic, Bruce Lennox, a inauguré la session avec une présentation sur le progrès du projet de rénovation de l’ancien hôpital Royal Victoria. La présentation, comportant des images virtuelles jamais révélées de la nouvelle conception du site, est disponible en ligne. Le document présente comment McGill prévoit rénover les bâtiments qui lui ont été cédés.

Questionné sur le processus de consultation par Sacha Delouvrier, le v.-p. aux Affaires externes de l’AÉUM, Lennox a affirmé que son équipe a rencontré plusieurs groupes communautaires locaux, dont Les amis de la montagne et le Comité des Citoyen(ne)s de Milton Parc. De plus, répondant aux critiques concernant le manque de consultation autochtone entourant le projet, le doyen a tenu à réitérer l’importance de la participation de la compagnie en consultation autochtone Acosys, ainsi que du plan d’inclure des motifs et œuvres d’art d’origine autochtone à l’intérieur des bâtiments

La portion du site nouvellement occupée par l’Université constituera 15% de l’ancien site du Royal Victoria, mais environ la moitié de ses bâtiments. À la suite des travaux, ces bâtiments seront alimentés à 50% à partir d’énergie géothermique générée par des puits de McGill, selon le doyen.

Le mécontentement des clubs

L’une des deux représentant·e·s des clubs, Nadia Dakdouki, a présenté le rapport du Comité des clubs. Celui-ci est chargé de présenter des recommandations au conseil législatif sur les affaires des clubs et associations financés par l’AÉUM. La représentante a exprimé un mécontentement généralisé de la part des clubs, qui se sentent ignorés par l’AÉUM et qui déplorent la bureaucratie de l’Association.

«La restriction d’un·e représentant·e par club imposée pour des raisons sanitaires constituerait une perte de qualité par rapport à l’expérience habituelle»

Dakdouki a d’abord fait part de la frustration liée à l’échec de la Soirée des activités, tenue en septembre. Celle-ci aurait été essentielle au recrutement pour de nombreux clubs, a expliqué la représentante. La Soirée était en effet marquée par des problèmes techniques qui avaient totalement empêché son bon fonctionnement. Questionnée à ce propos, la v.-p. à la Vie étudiante Karla Heisele Cubilla a expliqué que la plateforme n’avait pas supporté le grand nombre de personnes présentes et que la compagnie responsable de cette technologie ne répondait pas aux demandes d’aide de l’association. L’AÉUM a éventuellement été remboursée par la compagnie pour les frais de l’événement.

Afin de rectifier cette erreur et donner aux clubs une nouvelle opportunité de recrutement, l’AÉUM a organisé une « Soirée des activités 2.0 » du 1er au 3 novembre. Selon Dakdouki, cependant, ces dates seraient beaucoup trop tardives étant donné que plusieurs clubs ont déjà commencé leurs activités et pourraient avoir du mal à intégrer de nouveaux·lles membres dans leur fonctionnement. De plus, malgré le caractère hybride de cette nouvelle Soirée, la restriction d’un·e représentant·e par club imposée pour des raisons sanitaires constituerait une perte de qualité par rapport à l’expérience habituelle.

Selon la représentante, « certains individus sentent que les exigences [imposées par l’AÉUM] pour les clubs sont trop strictes et/ou inutiles ». Il serait plus facile, selon elle, de se réunir officieusement entre représentant·e·s de clubs plutôt que de passer par le processus encombrant de l’AÉUM. Par le passé, l’un des avantages d’être un club officiel de l’AÉUM était de pouvoir réserver des salles du Centre universitaire, mais l’accès au bâtiment est limité depuis la pandémie. À l’heure actuelle, les réservations doivent se faire par courriel auprès de l’administrateur·rice des événements de l’AÉUM. De plus, la publicité offerte par l’Association pour les clubs étudiants ne serait plus aussi efficace que par le passé, selon le rapport. Tout cela contribue en somme à décourager la population étudiante à former des clubs à travers le processus de l’AÉUM.

Questions pour référendum

Le conseil a aussi été l’occasion d’approuver les questions qui seront posées à la communauté mcgilloise pendant le référendum de cette session. Voici un compte rendu des questions :

Augmentation des frais des services de référence

Augmentation des frais de 3,97$ à 4,37$ pour financer des services tels que McGill Students” Nightline, Queer McGill, le Syndicat d’émancipation des genres, Peer Support Centre et le Centre de ressources sur les troubles de l’alimentation.

Frais MUSTBUS

Instauration de frais facultatifs de 2$ pour l’organisation de trajets de bus abordables pour Boston, Toronto, Ottawa et New York à partir de la session d’hiver 2022.

Existence de QPIRG

Renouvellement du contrat d’existence du Groupe de recherche d’intérêt public à McGill (QPIRG), organisation travaillant pour la justice sociale et environnementale au niveau local, ce qui entraînerait des frais facultatifs de 5$ par an pour tous·tes les étudiant·e·s de l’Université.

Existence de CKUT

Renouvellement du contrat d’existence de CKUT, une radio menée exclusivement par des étudiant·e·s de McGill, qui entraînerait des frais facultatifs de 5$ pour les étudiant·e·s à temps plein et 3$ pour les étudiant·e·s à temps partiel.

Augmentation des frais des services de sécurité

Augmentation des frais pour financer des services tels que Drive Safe, MSERT, SACOMSS et Walk Safe.

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Peut-on garder des secrets? https://www.delitfrancais.com/2021/10/19/peut-on-garder-des-secrets/ Tue, 19 Oct 2021 15:17:58 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=44984 Pistes de réflexion sur l’éthique du secret et du mensonge.

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Ah, les secrets! Ces petites pièces de connaissance que nous décidons de garder à l’abri de tous dans le coffre-fort impénétrable de notre mémoire. Tout le monde en possède, des secrets, même ceux et celles qui déclarent être un « livre ouvert », ceux et celles qui prétendent n’avoir « rien à cacher ». Bien sûr, ces personnes savent que personne ne peut vraiment vérifier le contenu de leur coffre-fort. Mais leurs secrets sont-ils pour autant répréhensibles? Les secrets peuvent être innocents et inoffensifs, ils peuvent être coquins et enfantins, mais ils peuvent aussi être pernicieux. Quel est donc notre verdict? Les secrets, c’est bien ou c’est mal? Explorons.

«Tout ce qui n’est pas dit est nécessairement secret dans la mesure où cela a été intentionnellement caché à autrui»

L’illusion de l’innocence

Pour parler de secrets, il faut d’abord se rendre compte que le secret est, plus souvent qu’on peut le penser, mensonge. Prenons l’exemple d’une épouse qui trompe son époux. Lorsqu’elle se retrouve avec son époux, l’épouse fait comme si de rien n’était et choisit le silence pour épargner à son mari la souffrance de savoir. Certes, l’épouse ne ment techniquement pas à son époux puisque celui-ci ne lui a jamais demandé : « Bonjour ma chère, juste par curiosité, me trompes-tu? » L’épouse n’a jamais eu à dire : « Mon cher, je ne te trompe pas. » Mais il n’est pas très difficile de voir que l’épouse ment. En choisissant le silence, l’épouse continue de donner activement à son époux l’idée que tout va bien, que leur mariage est intact. Le choix du silence – du secret – est donc un choix de mensonge. 

Le secret est souvent mensonge, et, s’il ne l’est pas, il n’est du moins pas innocent. C’est donc quoi, exactement, le secret? Tout ce que l’on choisit de ne pas dire est nécessairement secret. Tout ce que l’on garde dans le coffre-fort de notre mémoire, caché du regard d’autrui, est nécessairement secret. C’est un secret, car l’action de ne pas dire est une action délibérée. Ne pas dire quelque chose que nous pensons est toujours un choix – ou une action intentionnelle, comme le dirait Jean-Paul Sartre. Tout ce qui n’est pas dit est donc nécessairement secret dans la mesure où cela a été intentionnellement caché à autrui. Même si nous choisissons de ne pas dire quelque chose uniquement parce que cette chose nous paraît banale, ou peu intéressante, cette chose constitue toujours un secret puisque nous avons fait le choix intentionnel de ne pas la dire et, donc, de la cacher à autrui.

«Le secret de la femme constitue un mensonge indépendamment de l’inspection d’un officier»

Ainsi le secret n’est jamais innocent. Il constitue toujours une volonté de cacher la vérité à autrui et peut même constituer une volonté de construire une réalité mensongère. Pouvons-nous donc en conclure que le secret est moralement répréhensible?

Secrets mensongers

Pour juger la moralité ou l’immoralité du secret, il nous faudra faire une distinction entre deux cas : celui du secret mensonger et celui du secret occulteur. Par secrets mensongers, nous entendons tout secret gardé pour maintenir l’illusion d’une fausse réalité. Le secret de l’épouse infidèle en est un exemple : l’épouse construit une réalité basée sur sa fidélité alors même que cette dernière est une fiction, un mensonge. Si nous nous fions à cet exemple, il nous paraît évident de conclure que le secret mensonger est immoral, du moins si l’on considère qu’il est immoral de tromper son époux et de garder cela secret.

Mais n’allons pas trop vite. Prenons un autre exemple : une femme néerlandaise cache une famille juive dans son sous-sol pendant l’occupation allemande de la Seconde Guerre mondiale. Un jour, un officier nazi claque à la porte et demande à la femme si elle cache des personnes juives chez elle. La femme ment, et décide de garder secrète la présence de la famille. À présent, ses actions sont-elles moralement justifiables? 

Voilà le fameux scénario (adapté à notre temps) imaginé par le philosophe Emmanuel Kant. Notons d’ailleurs que le secret de la femme constitue un mensonge indépendamment de l’inspection d’un officier. Qu’elle soit questionnée ou pas, la Néerlandaise joue une comédie où elle ne cacherait pas de réfugiés. Le secret de la femme est donc nécessairement un secret mensonger et, selon Kant, un tel secret est toujours immoral.

«Nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui»

Benjamin Constant

En lisant les propos de Kant, un certain Benjamin Constant s’est indigné. L’intellectuel français publie en 1797 une réponse intitulée Des réactions politiques, où il affirme que « nul homme n’a droit à la vérité qui nuit à autrui ». L’argument semble solide : l’officier nazi n’a pas le « droit » d’extraire la vérité de la Néerlandaise s’il compte utiliser cette connaissance pour exterminer une famille. Conséquemment, la Néerlandaise n’a pas l’obligation morale de divulguer son secret. Mais Kant objecte encore. Selon lui, un principe moral – tel que le principe de ne pas mentir – est inconditionnel ou il n’est pas. S’il n’est pas moralement permissible de mentir dans certaines situations, pourquoi devrait-ce l’être dans d’autres? 

Benjamin Constant et bien d’autres d’entre nous diraient probablement que Kant est trop « rigoriste », qu’il devrait considérer les circonstances plutôt que déclarer des principes moraux abstraits qui pourraient causer la mort d’une famille juive aux Pays-Bas. Mais ne nous précipitons pas trop vite à la défense de Constant… Imaginons un scénario où l’officier nazi demande à la femme si elle possède un tapis. Pourquoi un tapis? Parce que l’officier aime bien les tapis et s’est proposé de marcher sur le plus de tapis possible avant sa mort. La Néerlandaise ne veut pas que l’officier marche sur son tapis uniquement car elle est très pointilleuse et ne veut pas que le tapis bouge d’un centimètre. Dans ce scénario, la femme a‑t-elle le droit de mentir à l’homme et de lui dire qu’elle ne possède pas de tapis? Marcher sur un tapis, est-ce vraiment un mal qui « nuit » autant à la femme qu’elle aurait le droit de nier à l’officier l’accès à la vérité? Et, crucialement, accidentellement bouger un tapis de quelques centimètres, est-ce là un mal supérieur au mensonge de la Néerlandaise? La philosophie de Constant ne nous offre pas de réponses claires à ces questions. De tels dilemmes peuvent surgir lorsque nous tentons de juger la moralité d’un secret mensonger, mais nous laisserons le lectorat en tirer ses propres conclusions.

«La vérité ne doit pas dépasser ce que nous pouvons en supporter» 

Anne Dufourmantelle

Secrets occulteurs

Examinons maintenant le cas du secret occulteur. Un secret est occulteur lorsqu’il empêche qu’une vérité perçue soit divulguée à autrui, sans que cet empêchement ne serve à maintenir un mensonge. C’est, par exemple, le fait d’avoir une connaissance scientifique qui n’a jamais été partagée avec le monde. La personne qui garde ce secret n’est pas en train de soutenir un mensonge ; elle entrave seulement le progrès de la connaissance. Un secret occulteur est donc, en quelque sorte, tout secret qui n’est pas mensonger.

Est-ce immoral de garder un secret occulteur? Prenons l’exemple d’une scientifique qui aurait découvert un remède infaillible contre l’Alzheimer. Malgré sa découverte révolutionnaire, la scientifique décide, pour une quelconque raison, de ne pas partager le remède et de le garder secret à jamais. Un tel secret est-il moralement justifiable? Notons avant tout que cela n’importe point si la scientifique a le droit légal de garder un tel secret. La seule question que nous devons juger est si elle a l’obligation morale de le garder. Il ne serait pas déraisonnable de penser que la scientifique a une obligation morale de divulguer son secret, et que le secret occulteur est donc immoral.

Mais imaginons une deuxième scientifique qui, elle, aurait trouvé une façon de concevoir la bombe atomique (imaginons un monde où cette arme n’a pas encore été conçue). Il n’est pas difficile de voir que la divulgation d’un tel secret pourrait avoir des conséquences catastrophiques : l’extermination de populations entières. Est-ce donc immoral de garder un tel secret? Nous pourrions vouloir répondre « non » puisque nous voulons éviter une catastrophe nucléaire, mais attendons! Peut-être que la divulgation de la technologie nucléaire pourrait ne pas avoir de mauvaises conséquences. Peut-être que cette connaissance pourrait être utilisée pour empêcher des futures attaques – après tout, il est parfaitement possible que quelqu’un d’autre conçoive la même technologie à un autre moment dans le futur. Certains, comme le politologue Kenneth Waltz, diraient même que la possession d’armes nucléaires par plusieurs États rend le monde beaucoup plus sécuritaire. Il n’est donc pas clair si la divulgation de la technologie nucléaire serait une bonne ou une mauvaise chose pour le monde… Mais, de toute façon, la divulgation d’un secret devrait-elle être jugée en fonction de ses conséquences? Ou, alternativement, devrait-elle être jugée selon l’attente de ses conséquences? 

Selon Anne Dufourmantelle, « la vérité ne doit pas dépasser ce que nous pouvons en supporter ». Il y a certaines vérités que l’être humain n’est pas prêt à entendre, certains secrets, donc, qu’il vaut mieux lui cacher. Un exemple serait celui de l’époux dont l’épouse le trompe. La révélation de la vérité sur sa relation pourrait mener l’époux à la dépression ou au suicide. Il serait peut-être mieux, dans ce cas, que l’épouse garde son secret. Un autre exemple serait probablement la révélation de l’absurde, comme décrit par Albert Camus. Certaines personnes ne peuvent accepter ni même concevoir la condition absurde de leur existence. Il vaudrait peut-être mieux épargner ces personnes de la douleur fatale de l’absurde. 

«Cela n’importe point si la scientifique a le droit légal de garder un tel secret. […] La seule question que nous devons juger est si elle a l’obligation morale de le garder» 

En somme, pour Dufourman-telle, nous pouvons être de fragiles enfants qui ont besoin de croire au Père Noël pour garder sauves nos pauvres petites existences imaginées, et il vaut parfois mieux ne pas nous divulguer le secret de l’inexistence du Père Noël. Dufourmantelle pense donc qu’un secret peut, au moins dans certains cas, être jugé par les conséquences de sa divulgation. Mais, comme nous l’avons vu dans le cas de la bombe nucléaire, nous ne pouvons pas toujours connaître ex ante les conséquences d’une telle divulgation. Peut-être trouvons-nous ici une justification du secret, du moins du secret temporaire. La révélation d’un secret est irréversible, mais le secret, lui, est potentiellement immortel. Peut-être vaudrait-il mieux attendre avant de révéler une vérité jusqu’à ce que l’impact de cette révélation puisse être plus correctement mesuré.

Il est en effet possible d’argumenter qu’un secret peut être gardé temporairement mais, là encore, nous nous retrouvons face à la question suivante : est-ce moralement justifiable de garder un secret avec l’intention de possiblement le dévoiler dans un futur incertain? Cette question est drôlement proche de notre question initiale.

Les piliers du débat

Il semble finalement que le débat se situe entre deux camps opposés : ceux et celles qui considèrent qu’un secret doit être jugé par les conséquences de son dévoilement, et ceux et celles qui pensent que l’action de garder un secret doit être jugée en elle-même. Cet article n’a pas eu le courage de trancher sur la question, mais il a au moins pu donner quelques pistes de réflexion. Il reviendra au lecteur de trouver une réponse conclusive. Espérons seulement qu’il ne décide pas de garder cette réponse secrète.

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Le Royal Vic sous le feu des critiques https://www.delitfrancais.com/2021/09/28/le-royal-vic-sous-le-feu-des-critiques/ Tue, 28 Sep 2021 15:11:21 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=44688 L'Université McGill et plusieurs associations en désaccord sur les ambitions du projet.

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Le projet de l’Université McGill pour la rénovation de l’hôpital Royal Victoria a récemment été assailli de critiques, tant de la part de l’Association étudiante de l’Université McGill (AÉUM) que d’associations communautaires. Depuis 2018, à la suite de l’aval du gouvernement du Québec et de son financement de 37 millions de dollars, l’Université a travaillé sur l’élaboration d’un plan pour rénover une partie de l’hôpital. Celui-ci a été démantelé en 2015 lorsque les services de santé ont déménagé pour s’installer dans le nouveau Site Glen du Centre universitaire de santé de McGill (CUSM). Les associations condamnent notamment le manque de consultation entourant le plan de l’Université ainsi que l’instinct de privatisation qui teinte pour l’instant le remodelage du Royal Victoria.

→ Voir aussi : Des nouvelles du Nouveau Vic

Les plans de McGill

En 2018, le gouvernement du Québec a annoncé que l’Université McGill était autorisée à explorer la possible rénovation de plusieurs pavillons du Royal Victoria. Au cours des années qui ont suivi, des consultations ont été menées et des professionnels ont été embauchés pour l’élaboration d’un « dossier d’opportunité », qui a ensuite été soumis à l’examen du gouvernement. Parmi les ambitions annoncées par l’Université s’inscrit la mise en place de laboratoires de recherche, de salles de classe, d’amphithéâtres, d’une bibliothèque, d’aires d’étude, de cafés et d’espaces verts.

Les recherches menées dans les laboratoires du site seront toutes liées au développement durable, affirme l’Université. L’un des projets annoncés par McGill, par exemple, est celui de la chercheuse Audrey Moores, qui tente de créer du plastique biodégradable à partir de carapaces de crustacés. Les espaces verts prévus pour l’aménagement du site viseront aussi à satisfaire les ambitions de verdissement de l’Université.

En mai 2021, le dossier d’opportunité élaboré par McGill a reçu l’aval du Conseil des ministres du gouvernement du Québec. Un mois plus tard, il a également obtenu l’approbation du Conseil municipal de Montréal. À présent, le dossier d’opportunité doit être soumis à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), qui a organisé une consultation publique cet automne pour déterminer si le projet satisfait les désirs de la communauté montréalaise.

Une consultation insuffisante?

L’une des principales critiques adressées à l’Université est qu’elle n’aurait pas suffisamment consulté les étudiants et les communautés concernées lors de l’élaboration du dossier d’opportunité. Dans une lettre ouverte envoyée à la communauté étudiante mcgilloise, le vice-président aux Affaires externes de l’AÉUM Sacha Delouvrier a affirmé que, « sur demande, l’AÉUM n’a pu obtenir une copie du rapport formel entourant [les] consultations » sur le projet, suggérant que de véritables consultations ne se sont pas produites du tout. Selon lui, « la majorité [des] « consultations » semblent avoir été de nature performative ». 

Quant à elle, l’Université affirme que toutes « les différentes parties impliquées » ont été rencontrées et écoutées. Cela inclurait « les étudiants, les médias et les communications universitaires, les partenaires communautaires (le Comité des citoyen(ne)s de Milton-Parc, Les amis de la montagne), les partenaires autochtones, les représentants du gouvernement provincial et du gouvernement fédéral, ainsi que divers experts ». Dans une intention de transparence, les responsables académique et exécutif du projet ont organisé une assemblée publique, le 31 août dernier, afin de laisser les étudiants de McGill « partager leurs impressions et leurs questions au sujet de cet important projet ».

Pendant le conseil législatif de l’AÉUM, le 23 septembre dernier, le représentant de l’Association étudiante de la Faculté des sciences (AÉFS) Andrés Perez Tiniacos a davantage scruté les affirmations de l’AÉUM. Selon lui, des exécutants de l’AÉFS – dont l’actuelle vice-présidente Académique Alexandra Mircescu – ont bien fait partie des personnes contactées au sujet du dossier d’opportunité. « Le président de l’AÉUM, la présidente de l’AÉFA [Association étudiante de la Faculté des Arts, ndlr] et le président de l’AÉFS ont tous été invités à faire partie de ces rencontres, mais n’y ont finalement pas assisté », a‑t-il affirmé, ce qui semblerait contredire les propos de la lettre ouverte de l’AÉUM.

En réponse à ces remarques, le v.-p. Delouvrier a réitéré l’incapacité des représentants du projet de fournir des informations spécifiques relatives à la consultation avec la communauté. Il s’est dit convaincu que l’assemblée publique organisée par l’Université le 31 août n’était qu’une façade et a rappelé que McGill n’a pas besoin de l’aval de la communauté étudiante pour mettre en marche ses projets, les représentants étudiants n’occupant qu’une minorité des sièges du conseil d’administration.

« Les associations condamnent le manque de consultation entourant le plan de l’Université ainsi que l’instinct de privatisation qui teinte le remodelage du Royal Victoria »

Le rôle des communautés autochtones

Comme le rappellent l’AÉUM et l’Université, le site sur lequel le Royal Victoria est situé a longtemps été occupé par des communautés autochtones de la nation ​​Kanien’kehá:ka, qui en firent un lieu d’inhumation important. Depuis sa fermeture, l’hôpital a servi de refuge d’hiver et de site d’isolement pour la COVID-19 à l’intention des personnes en situation d’itinérance de la zone Milton-Parc, à majorité autochtones. Étant donné les liens historiques des communautés autochtones avec cet endroit, l’Université affirme vouloir donner « une attention particulière […] à l’équilibre entre la fonctionnalité, la nature, le patrimoine et la reconnaissance de l’histoire autochtone du territoire ».

Concrètement, l’Université a lancé en janvier 2021 un « processus d’intégration des communautés autochtones » dans la conception du projet du Nouveau Vic qui, selon l’administration, bénéficie de l’appui d’Acosys, une entreprise de consultation autochtone. L’objectif de ce processus serait de « créer à McGill des espaces qui favorisent à la fois un sentiment d’appartenance et de bien-être culturel pour les étudiants autochtones et une occasion pour les allochtones de se familiariser avec l’histoire, la culture et les modes de connaissance autochtones ». Il n’est pas encore clair à quoi ressembleraient spécifiquement ces espaces d’intégration des communautés autochtones, bien qu’il est précisé dans le plan maître de McGill que l’administration souhaite mettre en place « une nouvelle structure facilitant les études autochtones, y compris des bureaux universitaires, des espaces d’enseignement, des espaces cérémoniels, des espaces d’étude communs, ainsi que des services de relations d’aide et d’autres services » pour les étudiants autochtones.

Dans sa lettre ouverte, l’AÉUM s’est montrée sceptique du fait que l’Université ait convenablement consulté les communautés autochtones dans l’élaboration du dossier d’opportunité. Selon Sacha Delouvrier, « le principal pouvoir de décision concernant la réoccupation de ces terres et les projets futurs devrait être entre les mains des communautés autochtones concernées », ce qui, suspecte-t-il, n’aurait pas été le cas. Le Délit a tenté de rejoindre le v.-p. Delouvrier pour savoir si ses propos étaient la conséquence de préoccupations exprimées directement par des représentants autochtones mais n’a pas reçu de réponse.

Revendications citoyennes

Dans l’ambition de critiquer la stratégie de l’administration, l’AÉUM a aussi rejoint la Coalition Le Royal Vic pour le bien public, une association qui rassemble plusieurs groupes de citoyens de la zone Milton-Parc. Le regroupement n’est pas nécessairement opposé à ce que l’Université utilise une partie du site du Royal Victoria, mais veut surtout que l’ancien hôpital soit réaménagé pour « servir l’intérêt public ». 

La Coalition cherche à ce que le site satisfasse les intentions des fondateurs de l’hôpital, selon lesquels « le site [devait] être utilisé pour le soin et la guérison ». L’Université assure que ses projets vont de pair avec ces idéaux. « Notre vision ambitieuse n’est pas seulement de guérir des corps individuels, mais de développer des solutions qui contribueront à guérir le monde ». De son côté, la Coalition doute de la validité de cet argument mais craint que la stipulation des fondateurs du Royal Victoria ne soit pas juridiquement contraignante.

Dans une lettre ouverte signée par 55 organisations, dont l’AÉUM, la Coalition plaide pour que le Royal Victoria ne soit pas privatisé. « À nos yeux, la propriété du site dans son entièreté, autant des bâtiments que du terrain, doit demeurer dans le domaine public, c’est-à-dire entre les mains du gouvernement du Québec ou de la Ville de Montréal. Une autre possibilité serait d’implanter un mode collectif de propriété et de gestion, par exemple une fiducie foncière, un organisme sans but lucratif ou une coopérative. » Le dimanche 26 septembre dernier, la Coalition Le Royal Vic pour le bien public et l’Office aux Affaires externes de l’AÉUM ont organisé une manifestation pour mettre de l’avant leurs demandes. L’Université n’a pas fait de commentaires à ce sujet.

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L’autre visage d’Adam Smith https://www.delitfrancais.com/2021/09/28/lautre-visage-adam-smith/ Tue, 28 Sep 2021 13:50:15 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=41076 La centralité du concept de sympathie dans l'œuvre de l'économiste.

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Cet article a originellement été publié le 26 janvier 2021.

Lorsque l’on pense à Adam Smith, père de la science économique moderne, l’on a typiquement en tête un partisan farouche du laissez-faire pour qui la solidarité, la sympathie et le souci pour autrui n’ont pas leur place dans une économie d’individus égoïstes et intéressés. Or, ce portrait peu flatteur est loin d’être fidèle aux écrits originaux de l’économiste écossais, Théorie des sentiments moraux (1759) et Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations (1776)1. Ayant été élève de Francis Hutcheson – fervent croyant en la bonté de l’être humain – et ayant obtenu la chaire de philosophie morale de l’Université de Glasgow en 1752, Smith n’a jamais dressé un tableau de l’être économique (homo economicus) comme étant purement individualiste. Bien au contraire, le concept de «sympathie» joue un rôle central dans son tableau de la nature humaine. Agir dans son propre intérêt n’implique donc pas un manque de considération pour autrui selon le philosophe.

Le «problème Adam Smith»

Les deux publications d’Adam Smith ont pour objet deux sujets très différents. D’un côté, Sentiments moraux traite de la façon dont l’être humain forme ses jugements moraux. De l’autre, Richesse des nations explore les facteurs qui mènent un pays à la prospérité économique. Pendant leur temps, ni Smith ni ses contemporains n’ont semblé percevoir une contradiction entre ces deux ouvrages. Cependant, durant la seconde moitié du 19e siècle, soit plus de 60 ans après la mort du philosophe, un certain nombre d’économistes allemands ont remarqué une tension entre les deux œuvres qu’ils ont baptisée le «problème Adam Smith». Selon ces détracteurs, la vision bénévolente et sympathique de la nature humaine avancée par Sentiments moraux contredirait fondamentalement l’égoïsme prôné dans Richesse des nations.

La confusion est quelque peu compréhensible. Smith ouvre Sentiments moraux avec le postulat suivant: «Si égoïste que l’on puisse supposer l’homme, il y a évidemment des principes dans sa nature qui l’intéressent au sort des autres.» En contraste, il écrit dans Richesse des nations que «ce n’est pas par la bénévolence du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais par leur considération pour leur propre intérêt». Alors que le premier ouvrage semble dépeindre l’être humain comme naturellement bienveillant, le second semble suggérer que cette vertu n’a pas sa place dans le monde économique. De nos jours, c’est souvent cette deuxième interprétation qui fait la réputation de Smith. L’homo economicus smithien serait un individualiste, même un solipsiste, pour qui les autres n’auraient qu’une valeur instrumentale. Mais, en réalité, le conflit entre ces œuvres n’est qu’une erreur d’interprétation. Le concept de «sympathie», comme l’on verra, agit comme ciment unificateur de la philosophie de Smith.

La sympathie, régulatrice de nos excès

En tentant de résoudre le «problème Adam Smith», il est commun pour de nombreux commentateurs – dont l’économiste Daniel Fusfeld – de créer une dualité entre la sympathie, l’intérêt pour autrui d’un côté, et l’égoïsme, l’intérêt personnel de l’autre. Selon Fusfeld, les deux concepts ne seraient que différents types de «motivation» pour l’action humaine: nous pourrions agir par sympathie et altruisme (comme ce serait le cas dans Sentiments moraux), ou nous pourrions agir par égoïsme (selon Richesse des nations). En ce sens, la sympathie appartiendrait à la même catégorie que la bénévolence, soit la catégorie des motivations hétérocentriques. Mais cette interprétation fait fausse route, car elle ne répond pas à l’une des questions centrales de Sentiments moraux: comment sommes-nous capables d’agir à la fois de façon bénévolente et égoïste?

Pour répondre à cette question, il nous faut distinguer motivation et capacité, car les deux concepts jouent en fait des rôles très différents dans la philosophie de Smith. Si la bénévolence et l’égoïsme sont des exemples de motivation, la sympathie est la capacité qui rend possible la réalisation de ces motivations. Que nous agissions par souci d’autrui ou par souci de nous-mêmes, nous pouvons seulement agir tel que nous le faisons parce que nous sommes sympathiques.

«Si égoïste que l’on puisse supposer l’homme, il y a évidemment des principes dans sa nature qui l’intéressent au sort des autres»

Adam Smith

Qu’est-ce donc que ce concept de «sympathie»? La sympathie smithienne – il est important de le noter – ne peut pas simplement être comprise comme un synonyme d”«empathie ». L’empathie est la capacité de percevoir et de comprendre les sentiments d’autrui; bien que la sympathie implique certainement la notion d’empathie, elle représente bien plus que cela. Selon Smith, la sympathie est la capacité que nous avons de juger la «propriété [propriety, en anglais, ndlr] ou l’impropriété, la décence ou l’indécence» des actions d’une personne. En d’autres termes, c’est la capacité que nous avons de juger la valeur morale d’une action dans son contexte social.

La sympathie agit ainsi comme une sorte de pouvoir régulateur qui s’assure que nos actions soient moralement convenables dans leur contexte social. L’être humain, dans toute situation, cherche le «parfait accord des affections des spectateurs avec les siennes», écrit Smith. Cette quête du «parfait accord» est toujours intuitive, ou pré-réflexive. Ce n’est pas un «changement imaginaire de lieu», comme le décrit l’économiste Vivienne Brown, dans lequel nous imaginons de façon réfléchie comment nos actions seraient perçues par autrui. Plutôt, la sympathie survient organiquement et nous accompagne dans toutes nos actions peu importe nos motivations. Même les agents économiques intéressés décrits dans Richesse des nations agissent sympathiquement; ceux-ci – comme tout le monde – ont une inclinaison naturelle à chercher une harmonie des affections.

Les sphères de l’intimité

Même si nous comprenons à présent que, peu importe nos motivations, nous adaptons intuitivement notre comportement à autrui, nous ne comprenons toujours pas pourquoi certaines motivations sont plus prévalentes que d’autres dans certains contextes. Pourquoi l’individu dans Richesse des nations paraît-il si égoïste alors que celui dans Sentiments moraux paraît plutôt bénévolent? Entre la publication de ces œuvres, Smith n’a pourtant pas changé d’opinion sur les motivations qui guident l’action humaine. Voilà l’hypothèse erronée formulée par les savants allemands du 19e siècle. En réalité, cela n’a rien à voir avec un changement dans l’idéologie de Smith, et tout à voir avec le concept de «l’intimité».

Russell Nieli a été le premier à employer ce terme en 1986. Selon lui, nous traitons les personnes dans une «sphère d’intimité» différemment de celles en dehors de celle-ci. Il y a un «ordre dans lequel les personnes sont recommandées à notre bienfaisance», écrit Smith; et cet ordre dépend du degré d’intimité que nous partageons avec ladite personne.

«Si la bénévolence et l’égoïsme sont des exemples de motivation, la sympathie est la capacité qui rend possible la réalisation de ces motivations»

Sans surprise, notre propre être est toujours notre première préoccupation. Mais après nous-mêmes, «notre affection retombe naturellement sur ceux de notre famille immédiate». Ensuite, viennent nos cousins, puis nos amis les plus intimes, nos collègues du travail, les personnes qui ont influencé notre vie d’une façon minimalement significative, et finalement, les membres de notre État-nation, avec qui nous partageons un attachement impersonnel. Plus une personne s’éloigne de notre cercle le plus intime, moins la bienfaisance joue un rôle dans nos interactions avec cette personne.

Richesse des nations traite principalement de relations entre personnes qui n’ont pas de liens intimes entre elles, soit des personnes qui se rencontrent simplement au marché. Leur relation est presque exclusivement commerciale, ce qui explique le rôle réduit de la bénévolence. Mais il nous faut accentuer le mot «presque», dans cette phrase, car la bénévolence a bien un rôle à jouer dans les relations économiques. Pour Smith, l’égoïsme pur est clairement insuffisant pour expliquer la totalité des comportements de l’être économique. Par exemple, l’intérêt personnel n’explique pas des régularités économiques comme la discipline de travail, l’engagement à obéir aux règles sans supervision et l’inclinaison à traiter les autres avec dignité, respect et amitié. L’égoïsme n’explique pas notre inclinaison à laisser un pourboire non plus puisque celui-ci ne nous rapporte en réalité aucune utilité matérielle additionnelle. Tous ces comportements sont bénévolents par nature et, crucialement, existent seulement parce que nous sommes naturellement sympathiques. C’est en somme cette sympathie qui nous pousse à agir en harmonie avec notre environnement social. Sans elle, considère Smith, notre société serait conflictuelle et chaotique.

Vers une discipline économique moins égoïste

Comme nous l’avons vu, Adam Smith n’est pas cet idéologue tordu dont le portrait de l’être humain est celui d’un individualiste qui ne se soucie point d’autrui. Cette idée se fonde bien trop souvent sur une lecture hâtive de Richesse des nations ou sur une connaissance de seconde main. En tant que professeur de philosophie morale, position qu’il a détenue pendant plus d’une décennie, Smith était en réalité bien conscient du potentiel bienfaisant de l’être humain – et de sa nécessité. Il est donc triste de constater que cette vision smithienne originale de l’être économique a été progressivement délaissée au profit d’une vision plus égoïste. Peut-être la discipline économique actuelle devrait-elle réintégrer quelques-unes des leçons de son précurseur, et comprendre que l’égoïsme seul ne suffira jamais à maintenir une société sur ses pieds.


1 Ces dates sont celles de publication de la première édition des livres mentionnés. Il était commun à l’époque de modifier un livre après publication et de le publier à nouveau. Au total, six éditions ont été publiées de Théorie des sentiments moraux, la dernière en 1790, peu avant la mort d’Adam Smith.

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Waitz, nouvelle appli pour voir le taux d’occupation des bibliothèques https://www.delitfrancais.com/2021/09/21/waitz-nouvelle-appli-pour-voir-le-taux-doccupation-des-bibliotheques/ Tue, 21 Sep 2021 15:29:27 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=44576 La technologie est disponible à Redpath et à McLennan.

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Depuis février 2020, des dispositifs installés par l’Université McGill mesurent le taux d’occupation des bibliothèques McLennan et Redpath. L’initiative vient satisfaire les demandes de plusieurs étudiant·e·s, selon l’Université, qui se plaignaient qu’il était difficile de trouver des espaces libres dans les bibliothèques, surtout en période d’examens. Le pourcentage d’occupation de chaque étage peut être consulté aux entrées de McLennan et de Redpath, ainsi qu’en utilisant l’application Waitz.

Comment ça fonctionne?

La technologie Waitz fonctionne grâce à des senseurs qui repèrent les fréquences Wi-Fi et Bluetooth environnantes afin d’identifier le type et le nombre d’appareils présents dans une salle donnée. Les senseurs reconnaissent les ordinateurs portables, les téléphones portables et d’autres appareils connectés. Même si la technologie peut détecter l’adresse MAC (de l’anglais, « Media Access Control ») d’un ordinateur, l’Université et Waitz assurent toutes deux que cette information est immédiatement cachée et ne peut être décryptée. Malgré des questionnements par rapport à la protection de la confidentialité des données des utilisateur·rice·s lors de la première implantation de Waitz en 2018, la compagnie affirme que seul le taux d’occupation des bibliothèques peut être partagé. Selon la compagnie, la précision de la technologie varie entre 80% et 95%, selon la taille de la salle, les salles plus grandes ayant des taux de précision plus élevés.

«Plusieurs étudiant·e·s se plaignaient qu’il était difficile de trouver des espaces libres dans les bibliothèques»

Les origines de l’initiative

La compagnie à l’origine de la technologie a été créée par quatre étudiant·e·s de l’Université de Californie à San Diego (UCSD) qui se disaient fatigué·e·s de perdre du temps à chercher des places disponibles dans les bibliothèques de leur université. Un succès auprès de l’UCSD, Waitz s’est jusqu’à présent étendue dans trois autres universités nord-américaines : l’Université de Californie à Santa Barbara, l’Université de Californie à Irvine et l’Université McGill. Depuis sa création, Waitz a aussi développé des technologies capables de conseiller aux universités des façons d’optimiser l’espace de leurs bibliothèques.

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