Marie-France Guénette - Le Délit Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 16 Mar 2010 16:32:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Flagrant déni de grossesse https://www.delitfrancais.com/2010/03/16/flagrant-deni-de-grossesse/ Tue, 16 Mar 2010 16:32:17 +0000 http://delitfrancais.com/?p=2873 ÉPISODE 20
Résumé de l’épisode précédent: Emma et Steeve découvrent, chacun de leur côté, qu’ils ont toujours cherché l’amour chez des personnes qui n’étaient pas compatibles avec leurs désirs inconscients. Francis et Delilah se «pognent» dans le nouveau bureau de Delilah.

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«So maybe it’s true That I can’t live without you And maybe two is better than one But there’s so much time To figure out the rest of my life And you’ve already got me coming undone And thinking two is better than one.»
‑Taylor Swift

Les semaines passaient, et chaque dimanche, lundi, mardi, jeudi et samedi, sans exception, main dans la main, Francis et Delilah franchissaient les portes du Gainsbar sur St- Hubert. Delilah était agréablement surprise lorsqu’elle constatait, maintes et maintes fois, combien Francis était patient et attentionné. Lors de leurs rencontres au grand jour, il était galant. Et la nuit ‑oh la nuit- il était si fougueux, si vigoureux et tellement amoureux qu’il la pénétrait avec douceur pour faire durer son plaisir. Il s’abreuvait à Delilah comme une vieille Anglaise fripée à une tasse de porcelaine.

Un jour, au retour d’une promenade particulièrement mauve, Delilah se sent ballonnée. Ce doit être cette période du mois, penset- elle. Elle se dirige systématiquement vers la toilette pour insérer un tampon, à l’avance, comme elle le fait tous les mois. Elle avait pris cette habitude après le malheureux incident à son bal des débutantes, où elle avait entendu un rire sardonique lorsqu’elle s’était levée avec son escorte. Sa robe blanche, symbole de sa jeunesse et de sa virginité, était tachée de rouge sang. Sans que Delilah ne s’en rende compte, ce rouge trahissait les intentions et les désirs charnels de son escorte. Delilah frissonne en repensant au moment où elle avait cédé aux avances de Craig. Elle s’en souvient comme si c’était hier: elle s’était tellement humiliée! Craig avait tenté de la recouvrir de son veston quand, saoule et grelottante, elle avait lancé, d’un ton irrité qui s’avérait extraordinairement séduisant: «I don’t need that. I’m way to hot to be cold!»

Elle s’assoit devant la télévision, chose qu’elle ne fait que dans les moments où elle cherche désespérément à se changer les idées. Machinalement, elle choisit une chaîne alors que l’émission prend justement fin. Elle n’a même pas le courage de se lever pour changer de chaîne quand une annonce publicitaire attire son attention:

«Saviez-vous que vous pourriez être à peine enceinte? Première Réponse décèle l’hormone de grossesse cinq jours avant les autres. Et si Première Réponse vous l’annonçait en premier?»

«Pfff!», souffle-t-elle. Delilah a toujours trouvé les filles qui ont besoin de tests de grossesse irresponsables. Ces filles qui coucheraient avec un homme méconnu sans protection, elle les considère particulièrement épaisses. «How dumb do you have to be to not think practically about your own health and future!» grommèle-t-elle en pensant aux nombreux épisodes du Maury Show qu’elle a regardés avec Emma, durant lesquels des filles à peine adultes cherchent désespérément le père de leur enfant, et en sont au seizième prétendant pour le test de paternité… Delilah soupire. «Anyway, I know exactly what I would do if it happened to me. I wouldn’t tell anyone, and I’d go straight to the clinic to take care of things. Like I need a kid right now, of all things!»

* * *

Emma n’est pas une fille ponctuelle, mais quand elle va au cinéma, elle se met belle et s’assure d’y être au moins quinze minutes avant la projection. Ce qu’elle aime par-dessus tout, c’est de scruter les gens dans la salle, un à un, afin de deviner leurs habitudes, le genre de personne qu’ils sont à l’extérieur du monde cinématographique.

Steeve n’est pas un gars ponctuel, mais quand il va au cinéma, il se met beau et s’assure d’y être au moins quinze minutes avant la projection. Ce qu’il aime par-dessus tout, c’est de scruter les gens dans la salle, un à un, afin de deviner leurs habitudes, le genre de personne qu’ils sont à l’extérieur du monde cinématographique.

Emma s’assoit toujours à huit rangées de l’avant, et à huit sièges du côté jardin.

Steeve s’assoit toujours à huit rangées de l’avant, à huit sièges du côté gauche quand tu rentres dans la salle.

Deux solitudes, une même habitude. Aujourd’hui, le destin s’interpose. Les coutumes de l’un se heurtent aux coutumes de l’autre. Leurs regards se croisent. Tina Turner, du haut des hautparleurs, chante:

«You’re simply the best, better than all the rest / Better than anyone, anyone I’ve ever met».

Ils se reconnaissent. Emma a vu Steeve à RDI, dans le reportage spécial sur la grève, et Steeve a vu Emma dans les photos de Delilah, sur Facebook.

«When worlds collide, everything is possible…» La première phrase du film libère le magnétisme épouvantable, la tension qui s’est installée entre les corps de Steeve et d’Emma. Leurs mains hésitantes se joignent, s’entrechoquent, et dans un bruissement final, alors que les lumières s’éteignent, leurs lèvres s’unissent.

* * *

Après deux tasses de café et deux heures supplémentaires à corriger les travaux de ses étudiants de philo, Delilah n’en peut plus. Elle est forcée de reconnaître ses limites. Elle pose son stylo, fait machinalement sa toilette, comme d’habitude. Les paupières lourdes, elle s’endort dès que sa tête touche l’oreiller. Le bonheur qu’elle vit à deux depuis peu avec Francis ne suffit pas pour la protéger du poison de Morphée. La fatigue, le stress, les souvenirs de Craig qui l’ont tourmentée en début d’après-midi s’emmêlent dans le rêve qui s’emporte en elle. À la manière d’Alice dans le conte de Lewis Carroll, Delilah bascule dans un trou profond. Elle ne peut s’arrêter de tourbillonner, comme entre deux vents. Elle se voit prises entre deux entités, l’une rose, l’autre rouge, qui se confondent à la manière d’une double hélice. Elle se réveille en sursaut: le chat d’Emma vient de lui lécher le nez.

Ce n’était qu’un rêve…

Marie-France Guénette aimerait remercier Taylor Swift, Amélie Lemieux, Catherine Renaud, Sophie Charbonneau-Saulnier, Tina Turner et Céline Dion pour leur précieuse aide lors de la rédaction de cet épisode. Si elle avait une salle pleine de gens fatigués devant elle, elle leur chanterait une chanson.

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Flagrant délit de tendresse https://www.delitfrancais.com/2010/02/09/flagrant-delit-de-tendresse-16/ Wed, 10 Feb 2010 00:48:09 +0000 http://delitfrancais.com/?p=2545 ÉPISODE 16
Résumé de l’épisode précédent:
Delilah, notre héroïne, avec la résolution d’être belle et en forme, se rend au centre de sport de McGill, et se lie d’«amitié» avec un espoir olympique de l’équipe de hockey du Canada. Il est quant à lui tourmenté par les sentiments irrépressibles qui l’assaillent à la vue de sa belle au bras du sportif.

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Une semaine s’était écoulée depuis qu’il avait vu Delilah au bras de l’espoir olympique, et notre bel étudiant se demandait encore comment Il allait faire pour regagner l’estime de sa dulcinée. C’est à ce moment que son ami Mikhaël passa dans le couloir en fredonnant le dernier tube de Lady Gaga. Mikhaël, étudiant en Cultural Studies, préparait sa thèse intitulée Gender Performance and Subculture: Representation through the Poetics and Imagery in Lady Gaga’s Semiotic Identity Construction. Francis n’y comprenait rien, mais savait que Mikhaël organisait les meilleures fêtes. Justement, il recevait ses amis pour un Sexy Party ce vendredi. Entremetteur par excellence, celui-ci y avait invité Delilah, une amie de longue date qui lui avait raconté, dans les menus détails, son expérience avec l’espoir olympique qui s’était avéré un amant fougueux quoiqu’épris de son passé. Mikhaël avait compris que c’était à son ami qu’elle rêvait, même si elle croyait chercher une signification philosophique à ses ébats avec le sportif.

Du côté du bel étudiant, sa relation avec Nathalie battait de l’aile. Elle lui avait reproché d’être absent d’esprit et lui avait fait comprendre subtilement, comme toujours, qu’elle s’attendait à ce qu’il la respecte en l’aimant entièrement, complètement et avec attention, mais elle ne l’avait pas dit comme ça. Elle avait plutôt lancé: «Eille, là là, ça s’passra pas d’même. Si tu m’traites pas mieux qu’ça, m’aste crisser là.» Il n’en pouvait plus. Ce discours de blâme ne l’avait certes pas laissé indifférent, mais Delilah l’attirait comme nulle autre femme ne l’avait fait dans toute sa vie.

Stewie Griffin se trémoussait à l’écran devant la foule d’invités, les gens dansaient, et Mikhaël orchestrait les différents hook-ups qui se déroulaient dans les chambres. Quand Il entra, Delilah en était à son cinquième verre de vin. Elle avait les joues enflammées et le regard étincelant. Elle était éblouissante dans sa jupe moulante. Elle semblait dans son élément, discutant de concepts abstraits avec ses amis de l’école, et dansant avec Mikhaël. Francis soupira. Il avait soif de ce monde qui était le sien, de ces lèvres pulpeuses qu’il avait connu, jadis… Tout cela lui semblait si lointain maintenant. Delilah se retourna un instant et Il n’eut qu’une fraction de seconde pour lui faire connaître ses désirs les plus profonds avec un seul regard. Avait-elle rougi?

«Francis…», murmura-t-elle tout bas, mais au même moment, le sportif caressa son bras et l’embrassa sur la nuque. «Hot body, or hot brains? Is that even up for debate?» L’alcool jouait avec ses pensées mais il semble que le sportif n’avait pas besoin d’alcool pour être incompétent dans la conversation. Exaspérée mais désireuse de se prouver qu’elle n’avait pas besoin de Francis pour être heureuse, Delilah choisit d’appeler un taxi et de partir avec sa date, au grand désespoir de notre héros.

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Flagrant délit de tendresse https://www.delitfrancais.com/2010/01/26/flagrant-delit-de-tendresse-14/ Tue, 26 Jan 2010 13:00:51 +0000 http://delitfrancais.com/?p=2368 ÉPISODE 14
«Il y a un but, mais pas de chemin; ce que nous nommons chemin est hésitation.»
Franz Kafka

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Depuis qu’Elle a lu la lettre de Richard, Elle est perdue et frustrée. Toutes les promesses qu’il lui avait faites se sont envolées avec le pigeon voyageur. Richard s’est avéré un patient à risque pour les crises cardiaques; il ne peut donc plus prendre les miraculeuses pilules bleues qui l’avaient transformé en dieu du sexe. Son bel étudiant est distant. Elle ne le croise plus dans les couloirs, seulement dans les aléas de ses songes. Elle ne sait plus comment l’oublier… Comment oublier la ferveur, la passion, l’a… l’amour?

-Elle avait suivi le conseil d’Emma et s’était forcée à se rendre au speed dating organisé par des étudiants désespérément amoureux qui voulaient offrir aux âmes perdues l’opportunité de trouver un point à leur «i», une virgule à leur point virgule, un soupçon de tendresse dans le gris inconsolable du mois de janvier.

-How was the speed dating? Oh, right, il faut parler français. Je dois pratiquer pour impressionner mon amant parisien, Guillaume.

(clin d’oeil et sourire en coin)

-Euh, j’ai rencontré un gars qui étudie en éducation physique. Même si je ne veux pas généraliser en disant que personne ne lit aujourd’hui, sauf les étudiants en Arts, quand je lui ai demandé ce qu’il aimait lire, il m’a répondu «la circulaire de Canadian Tire, et des magazines de moto».

-(Éclat de rire) Il n’y avait personne qui t’intéressait plus que ça?

-Si on exclut M. Publisac, l’organisatrice m’a regardé tout le long en souriant. Elle m’a dit à la fin de la soirée qu’elle me trouvait belle.

-Honey, I know you’re disappointed in men right now, but I really don’t think looking to women for consolation is the answer.

-I suppose, but she…

-I don’t mean to be reductive or vulgar, but you do know that women don’t have quite what you’re looking for…

Elle n’aurait su mieux verbaliser sa pensée. À la fin de la soirée speed dating, Annie l’avait approchée et lui avait dit: «Tu dégages quelque chose de séduisant. Si tu m’en donnes la chance, je te promets que je te ferai oublier tous les hommes de ton passé avec un simple coup de ma langue.»

Intriguée, Elle avait accepté de rejoindre Annie au Drugstore, un bar de lesbiennes sur Sainte-Catherine, pour une soirée karaoké. Annie semblait parfaitement à l’aise parmi les jeunes femmes aux cheveux courts qui ne cessaient de les regarder comme de la viande fraîche. Malheureusement, la soirée karaoké avait viré soirée matante lorsqu’une vague de femmes dans la mi-quarantaine complètement ivres affichant un look banlieusard s’étaient mises à chanter.

Elle s’était réjouie de ne pas penser à Lui pendant la soirée, mais même si Annie avait le regard sulfureux d’une amante d’exception, Elle cherchait partout le noir des yeux du sosie d’Ovila. Elle se sentait mal à l’idée de faire croire à cette charmante jeune dame qu’Elle pourrait en être amoureuse. Peut-être que sa pudeur la privait de vivre une histoire d’amour avec une femme, ou peut-être qu’Elle était amoureuse de Lui… Il lui fallait réfléchir à ces propos. Annie l’avait invitée dans son lit pour un bref moment d’amour, en précisant qu’elle employait le terme «bref» au sens lesbien du terme où il signifie «au moins quelques heures». Difficile de résister, et why not? Quand Annie la caressa et lui apposa un tendre baiser à la commissure des lèvres, Elle faillit remettre sa sexualité en question, mais la torpeur de son bel étudiant lui était impossible à oublier.

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Trouvé, le temps perdu https://www.delitfrancais.com/2009/11/17/trouve-le-temps-perdu/ https://www.delitfrancais.com/2009/11/17/trouve-le-temps-perdu/#comments Tue, 17 Nov 2009 15:00:12 +0000 http://delitfrancais.com/?p=1850 Dans Ombres sereines, un récit au style anecdotique évoquant ses propres expériences de voyage en Asie, Michel Samson explore les questionnements existentiels auxquels nous cherchons tous des réponses.

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Avez-vous perdu votre innocence d’enfant? Avez-vous cherché des réponses dans tous les mauvais endroits? Avez-vous laissé le stress prendre le dessus sur votre vie? Avec Ombres sereines, Michel Samson propose un interlude littéraire, le temps de poser les vraies questions, de revenir à ce qu’il y a de fondamental dans la vie, de chercher la Voie. Ses récits nous transportent dans un instant lointain, comme un voyage oublié. Les courts textes sont comme rythmés par les coups de pinceau d’un moine vietnamien qui se voue à l’art de la calligraphie.

Ne craignez pas d’avoir affaire ici un discours bouddhiste et shintoïste hautain. Michel Samson entame le dialogue entre maître et disciple avec une énigme qui s’étire sur toute la longueur du recueil: «Une ombre en mouvement, un sentier difficile, une destination inconnue. Peuxtu maintenant mesurer le poids des ombres?» Ponctués des frustrations du disciple qui essaie de contrôler les détours sinueux de sa pensée, les courts récits du maître ont tous un lien plus ou moins évident avec l’énigme principale. Le lecteur, devenu disciple, se plie à la méthode du maître, et se sent dans l’obligation de se questionner.

Le recueil est parsemé d’anecdotes amusantes, de réalités touchantes et de vérités à apprivoiser. Impossible de retenir les rires quand l’auteur présente un homme d’affaires affolé qui vient chercher «l’illumination sublime» dans un temple du Japon, et qui repart convaincu de l’avoir enfin trouvé… alors que le moine n’a fait que répéter le mot «chat», pour lui faire remarquer qu’il avait pris le tapis du chat plutôt qu’un zafu, un coussin de méditation.

L’auteur aborde des sujets difficiles, comme la pauvreté et l’impact du redoutable agent orange (un herbicide toxique utilisé pendant la guerre de Viêt Nam pour brûler les forêts et les récoltes) sur le paysage humain et naturel du Viêt Nam; mais il dépeint aussi les sourires des villageois des montagnes, les traits de caractères de ceux-ci, et il le fait avec une habileté qui laisse présager un deuxième recueil. L’auteur parvient à éclairer l’énigme du poids de l’ombre sans que nous, lecteurs, n’ayons le désir d’en lever les yeux, sauf peut-être pour mieux réfléchir à ses propos.

Ombres sereines
Par Michel Samson
La Grenouille Bleue
22,95 $

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Flagrant délit de tendresse https://www.delitfrancais.com/2009/09/15/flagrant-delit-de-tendresse-2/ Tue, 15 Sep 2009 18:20:29 +0000 http://www.delitfrancais.com/archives/691 ÉPISODE 2
«Un seul frôlement de manches fait naître l’amour.» - Proverbe japonais

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Il s’assoit au fond de la classe. Il n’enlèvera pas ses lunettes de soleil miroir à monture vert fluo. Hier soir au Gert’s, il y avait une soirée thématique des années 1980, et il avait décidé de porter ses verres fumés en l’honneur de Sunglasses at Night, la célèbre chanson de Corey Hart. S’il les portait hier pour rigoler, aujourd’hui c’est pour camoufler la rougeur de ses yeux et, secrètement, parce que les hipsters du campus ont l’air d’en faire une mode. La gueule de bois l’atterre. Il a pourtant appris à boire au CÉGEP! Au Gert’s, ils ont joué à «Je n’ai jamais», et  les résultats se font sentir dans la chaleur de midi, dans la petite salle de conférence du septième étage. Il n’a pas préparé ses cours, mais comme la période add/drop finit la semaine suivante, il ne se prend pas encore la tête avec l’école.

Elle entre en vitesse, dépose ses livres soigneusement et replace ses mèches rebelles. Une autre conférence. Elle fonce:

«Who can tell me how Aristotle inteprets beauty in his Metaphysics

Silence.

Elle va devoir adresser la question à quelqu’un. Son regard se pose un instant sur le jeune à la casquette, son cœur s’arrête.

«You, with the glasses, what have you got to say about Aristotle?»

Silence. Regard réprobateur.

Une jeune fille beaucoup trop motivée grouille dans sa chaise, elle ne se peut plus d’essayer d’attirer l’attention de la chargée de cours. Notre T.A. soupire intérieurement. Elle aurait tant aimé l’entendre dire quelque chose avec son drôle d’accent, l’entendre chuchoter, susurrer, entre deux soupirs.

«My grrrandmodder, she died yesterrrday.»

En effet, drôle d’accent. Avant d’accorder la parole à celle qui brûle de les impressionner par ses prouesses académiques, elle s’impose.

«Come to my office after class.»

Décidément, elle dégage quelque chose de séduisant. Le mariage de l’autorité austère et du décolleté, du vêtement qui caresse ses cuisses et… Porte-t-elle toujours des bas de nylon noirs?

«Dites-moi, est-ce que votre grand-mère est vraiment décédée hier?»

Elle prononce ses «r» à l’anglaise. Tant mieux, il ne se sentira plus aussi con quand il parle anglais.

«Oui. C’est très difficile de gérer les émotions. Je l’aimais beaucoup.»

«Vous savez, je ne tolère pas les étudiants feignants.»

Feignants. Beau mot pour une anglophone.

«J’prendrai le temps de tout lire. J’suis vraiment un bon gars.»

Merde. Pourquoi avait-il senti le besoin de lui balancer l’excuse de la grand-mère? Il aurait pu être plus créatif! Si son cousin l’entendait avec ses histoires de «bon gars»… C’est pas faux qu’il ne sait pas comment s’y prendre avec les femmes. Étrange, quand même, que cette maladresse ne se soit jamais fait ressentir dans les longues heures passées au lit avec son ex.

Derrière ce trop plein de confiance, elle cache ses émotions. Elle respire profondément. Il ment. Elle l’a vu hier, quand il s’approchait de la hottie, quand il l’attirait vers lui, quand elle faisait glisser son doigt le long de son torse bombé. Pourquoi la faisait-il brûler ainsi? Pourquoi ces jeunes filles l’enrageaient-elle? Elle était une femme sérieuse, elle. Elle aspirait à devenir doctorante, elle. Elle ne s’agenouillait pas devant n’importe quel homme, elle. Mais à tout moment, en sa présence, elle réprimait un désir instinctif presque digne d’une bête sauvage de le ravager de baisers, le mordre, le caresser, lui communiquer ses envies avec un regard langoureux. Il faut un prétexte. Elle cherche, en vain.

Il essaie de déterminer si elle a compris son jeu. Mais sa pensée divague. Elle est terriblement sexy avec ses lunettes et son look de bibliothécaire. Il lui faut un prétexte. Il cherche, et… ah!

«Do you tink you could ‘elp me wit my readings for de course? I’m new at McGill and I’m in engineeringu. I do not know de librairie… MacLennan, righte?»

Elle sourit. Il faudrait qu’elle vérifie ce que Freud et Foucault ont écrit sur les relations transgénérationelles avec Emma, sa meilleure amie.

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