Georges Mercier - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/merciergeorges/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 01 Feb 2022 03:43:41 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 L’altérité intime de la Russie dans l’Occident https://www.delitfrancais.com/2022/02/02/lalterite-intime-de-la-russie-dans-loccident/ Wed, 02 Feb 2022 13:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=46816 Le conflit russo-ukrainien: une tragédie devenue farce.

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Il est impossible de penser la littérature occidentale contemporaine, c’est-à-dire la majeure partie de notre culture, sans penser au génie angoissé de Dostoïevski ou à l’hilarité du théâtre de Tchekhov. «À Moscou! À Moscou! À Moscou!» : voici bien le chant intemporel de tous les ennuyés de nos régions. L’ineffable Camus, pour ce qui allait être sa dernière œuvre, adaptait pour la scène les magistraux Démons du premier en 1959, tandis que la dernière saison du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), avant que la pandémie ne nous frappe, présentait brillamment les Trois Sœurs du second. Et pourtant, malgré la pénétration constante – consciente ou non – de l’univers slave dans la conscience occidentale, ce dernier nous demeure quelque peu étranger.

Rien de plus familièrement étrange en effet que cette société féodale du 19e siècle, faite de serfs et de maîtres absolus, que nous dépeignent si bien Gogol, Tolstoï et les autres. La Russie se loge quelque part en nous, mais sous la forme d’une présence vague que nous n’avons pas encore tout à fait pu dompter ni clairement apercevoir: les grands personnages des classiques russes ne parlent-ils pas souvent français? Mais cette proximité intellectuelle et civilisationnelle, qui par le biais des sangs mêlés des familles royales européennes avait rapproché nos deux mondes lors du 19e siècle, n’aura pu fleurir dans une véritable union. En effet, à l’aube du 20e siècle, durant l’âge d’or de notre capitalisme industriel, prenait racine dans le pays des Tsars, en les détrônant, ce communisme que Marx avait lui-même estimé qu’il apparaîtrait en dernier lieu là-bas, le territoire n’étant alors pas assez industrialisé et moderne pour que les bourgeois propriétaires s’opposent aux serfs prolétaires. Lénine et son parti d’avant-garde révolutionnaire auront vite fait de tout de même créer artificiellement une telle opposition jusqu’à ce que s’abatte sur l’Europe ce Rideau de fer dont la levée symbolique n’aura lieu qu’à la chute du mur de Berlin. La Russie a certes été jetée dans la Modernité grâce au communisme, mais c’était du mauvais côté de notre Modernité: après avoir supporté l’un des derniers absolutismes divins dans le siècle des démocraties naissantes, elle a incarné durant quatre-vingts ans l’envers de notre modèle. La Russie représentait ainsi l’Autre, intime toutefois, contre lequel nous forgions notre propre «moi» capitaliste occidental. 

C’est dire que les opportunités d’échanges libres et réciproques entre nos deux mondes se sont faites bien rares durant le dernier siècle. Et cela n’a pas manqué de nourrir notre imaginaire collectif tendant à voir la Russie à travers le prisme déformant de la propagande classique et des supers productions hollywoodiennes comme le royaume sombre et hermétique de la servitude se dressant contre notre lumineux et ouvert royaume de la liberté consommatrice, émancipatrice, individualiste, atomiste. Et James Bond ne cessa de combattre le KGB jusqu’à ce que, par épuisement, on lui trouve de nouveaux ennemis (les ennemis de James Bond en disent toujours long sur la géopolitique d’une époque).

«Russes et Occidentaux, malgré leurs oppositions, sont à l’image de deux demi-frères n’ayant jamais cohabité, partageant une origine commune, plus que simplement humaine, quelque chose comme un principe culturel originel»

Malgré tout, les communications n’ont jamais été nulles entre les deux royaumes, bien que souvent unidirectionnelles. Nous nous sommes nourris de la résistance littéraire russe, du Maître et Marguerite, le chef‑d’œuvre absolu de Boulgakov, à l’Archipel du Goulag, ce grand témoignage qu’aiment tant citer les apôtres de la liberté lorsqu’ils se lassent de 1984. Et puis, il serait criminel d’oublier l’influence décisive de Tarkovski sur notre cinéma, le jeu romantique de Rachmaninov sur nos pianos, et nos hivers et printemps rythmés par Tchaïkovski et Stravinsky. Russes et Occidentaux, malgré leurs oppositions, sont à l’image de deux demi-frères n’ayant jamais cohabité, partageant une origine commune, plus que simplement humaine, quelque chose comme un principe culturel originel, peut-être chrétien malgré les différences qui là aussi se présentent. Enfin, je ne sais pas, mais il y a quelque chose.

Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui – alors que nous massons nos troupes autour de l’Ukraine et que le ton monte comme si on rejouait, après le prologue funeste de 2014, un mauvais remake du siècle dernier – notre incompréhension semble avoir atteint son paroxysme. Une guerre, chose si inconcevable pour ma génération indolente, choyée et esthétiquement anxieuse, serait-elle possible? Chose certaine, nous sommes, Russes et Occidentaux, fort peu enclins à laisser vivre la différence. Nous avons nos modèles et nous tentons, à tout le moins en paroles, de les défendre, opposant ainsi d’un côté une Amérique dont le prestige décline et qui ne sait que faire de ses jouets militaires high-tech, et de l’autre un président russe nostalgique d’une grandeur passée, humilié par ce qu’il perçoit comme un encerclement indu (et certainement inutile) de sa sphère d’influence. (Je lisais dans un journal américain que la notion de «sphère d’influence» était périmée… Comme si l’OTAN était autre chose qu’exactement cela! L’hypocrisie d’un perpétuel impérialisme américain se cachant derrière les belles formules du libéralisme, voilà ce qui est «périmé».)

«Et James Bond ne cessa de combattre le KGB jusqu’à ce que, par épuisement, on lui trouve de nouveaux ennemis»

Alors qu’il tentait de saisir les causes de la Guerre du Péloponnèse qui ravagea le monde grec il y a quelques millénaires, l’historien Thucydide suggéra que «la cause vraie et la moins avouée de la guerre [était] que les Athéniens, en s’accroissant, donnèrent de l’appréhension aux Lacédémoniens, les contraignant ainsi à la guerre». Autrement dit, personne ne voulait la guerre, mais le simple accroissement de la puissance athénienne conduisit Sparte à la craindre, ce qui ultimement mena à cette guerre terrible et fraternelle entre Grecs qui détruisit ce monde jaillissant de science et de philosophie, le berceau lointain du nôtre. Parce qu’il s’agissait en effet, dans l’esprit grec, d’une guerre fraternelle; elle ne les opposait pas aux «barbares» comme lors des Guerres médiques mais à une partie d’eux-mêmes récalcitrante à l’hégémonie.

Cette situation dangereuse menant à la guerre, nommée «piège de Thucydide» par certains théoriciens réalistes des relations internationales (ceux-là qui pensent drôlement que la science politique peut être une science dure), s’applique donc particulièrement bien dans le présent cas: notre persistance à vouloir étendre une OTAN à laquelle plus grand monde ne croit – notre simple orgueil en fait – pourrait mener à une guerre qu’en réalité personne ne souhaite. Après tout, de part et d’autre, on y va en gradation de provocations douces et insidieuses (« des milliers de soldats américains auraient été mis en état d’alerte », apprend-on à un moment; « des équipements militaires de l’OTAN déployés dans les pays limitrophes à l’Ukraine », lit-on ailleurs; « des exercices militaires planifiés entre la Biélorussie et la Russie », surenchérit-on enfin). Nous répliquons à l’identique, faut-il croire, ce vieux piège grec. Peut-être leur devons-nous malgré tout encore quelque chose aux vieux Hellènes!

«Un homme sage, qui eut un certain effet sur les temps modernes, remarqua un jour que l’histoire se répétait deux fois: la première fois, c’était une tragédie, la seconde, une farce. La situation actuelle entre la Russie et l’Occident fait bien l’effet d’une farce»

Mais nous pouvons aussi lire dans ce piège la cause de la guerre: l’incompréhension mutuelle, mère de tous les maux humains, du microsocial au macrosocial. Si la tension monte, comme toujours, n’est-ce pas souvent justement parce que nous avons refusé de communiquer et que nous avons excommunié l’Autre de la paroisse de notre socialement lisible et digérable? Athènes (les Occidentaux) ne comptait pas attaquer Sparte (la Russie) ; si seulement les deux avaient pu s’entendre, au double sens du terme. Enfin, puisqu’il faut encore le rappeler: nobody has to learn to stop worrying and love the bomb (personne ne doit apprendre à arrêter de s’inquiéter et à aimer la bombe). Parce que la théorie réaliste en relations internationales, malgré son attrait axiomatique et logique trahissant un certain manque d’imagination, ne fonctionne que si les acteurs, eux-mêmes, y croient. 

Un homme sage, qui eut un certain effet sur les temps modernes, remarqua un jour que l’histoire se répétait deux fois: la première fois, c’était une tragédie, la seconde, une farce. La situation actuelle entre la Russie et l’Occident fait bien l’effet d’une farce. Si, passé le 20e siècle, nous ne sommes pas encore assez lucides pour comprendre ce qui se joue devant nos yeux, il est difficile de passer à côté du tragi-comique de cette guerre éventuelle. Pire, il est difficile de résister à la tentation d’estimer qu’on la mériterait peut-être un peu.

Et pourtant, comme l’a montré l’inventaire rapide de nos cultures, Russes et Occidentaux ont tout un monde commun à gagner en reconnaissant leur proximité solidaire. Un monde commun qui ne manque pas, du reste, d’autres ennemis plus existentiels encore – la plupart nous regardant directement de chez nous. Tenez, pourquoi pas notre idolâtrie d’une consommation infinie dans un monde fini, pour n’en nommer qu’un? 

Mais il est vrai qu’une guerre est pratique pour détourner les consciences de l’urgence. Enfin, comme le chantait le groupe allemand Gengis Khan: Moskau, Moskau / Komm wir tanzen auf dem Tisch / Auf dem Tisch zusammenbricht / Ha ha ha ha ha! (Moscou, Moscou / Viens danser sur la table / Sur la table s’effondre / Ha ha ha ha!)

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Anti anti-wokes https://www.delitfrancais.com/2021/10/26/anti-anti-wokes/ Tue, 26 Oct 2021 23:41:38 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=45092 Plaidoyer contre l’anti-wokisme.

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Malgré le titre de cette lettre, je ne suis pas « woke ». C’est-à-dire que je ne comprends pas la justice sociale comme une lutte messianique allant éventuellement nous mener à la rédemption sur cette terre. Et si je reconnais volontiers l’ardeur et la rigueur intellectuelles déployées par certains théoriciens postmodernes dans le but de mieux saisir nos sociétés, j’entretiens certaines réserves, de bonne foi et en connaissance de cause, envers leurs théories. Puisqu’en poussant à l’extrême un subjectivisme pour lequel n’a de valeur, en dernière instance, qu’un individu pouvant se déterminer lui-même en toute liberté, elles font souvent le beau jeu d’un patronat qui se plaît bien à nous regarder nous chamailler sur des questions identitaires, sans que ne soient considérées les croissantes inégalités matérielles tangibles et réelles qui traversent nos sociétés. Pour reprendre les mots durs de Falardeau, en partie grâce aux « wokes », les riches continuent à se repaître des pauvres.

Cela étant dit, je me trouve tout de même beaucoup plus d’affinités avec les « wokes » qu’avec les « anti-wokes », ces polémistes conservateurs qui, du reste, auront largement créé dans l’espace médiatique l’hystérie collective autour des « wokes » se rendant jusqu’à notre premier ministre. En ce sens, je suis, à l’image de la vaste majorité des professeurs et des étudiants du corps universitaire, un « anti anti-wokes ». Mais comme c’était le cas des « anti anticommunistes » américains du 20e siècle, qui jugeaient que la folie entourant l’anticommunisme dépassait de loin en dangerosité le communisme américain lui-même, mon usage de la double négation n’implique pas que je sois moi-même « woke » ou « communiste ». Bref, il est tout à fait possible de faire la critique des critiques sans endosser du même coup l’objet de la critique. Il me semble d’ailleurs que nous sommes rendus trop loin dans le 21e siècle pour cautionner des binarités aussi faciles que malhonnêtes (c’est d’ailleurs quelque chose que l’on devrait rappeler plus souvent à nos médias). Alors, qu’ont-ils de si dangereux, ces « anti-wokes »? Deux choses : d’abord, la forme même de leurs discours, puis les thèses et idées qu’ils avancent, cachées derrière leurs critiques. Pour illustrer ceci, prenons l’exemple de la nouvelle coqueluche des médias français d’extrême droite, et accessoirement chroniqueur influent ici, Mathieu Bock-Côté. Mais avant, quelques mots sur la France contemporaine s’imposent.

Pour ceux qui ne le savent pas, le paysage politique français est actuellement reconfiguré par l’apparition fulgurante sur sa scène du polémiste, condamné par la justice pour incitation à la haine, Éric Zemmour. Un sondage l’a même récemment crédité d’un nombre de voix lui permettant de se rendre au second tour de la présidentielle de 2022. On ne rigole plus, ici, à ce sujet. Le problème avec Éric Zemmour ? C’est un raciste (ou culturaliste) machiste qui flirte parfois avec le fascisme pur et dur. Sa proposition phare ? Déporter – ses mots, pas les miens – des milliers d’individus de l’Hexagone. Lorsque Jean-Luc Mélenchon, candidat d’extrême gauche, lui demande dans un débat s’il compte s’y prendre par bateau, Zemmour lui répond, avec une candeur assez effrayante, qu’il existe désormais pour cela des avions. Pour Éric Zemmour, l’islam se résume à l’islamisme radical et le djihad. Les musulmans de France, ceux qui habitent dans ces banlieues abandonnées par l’Élysée depuis des années, ne sont pas français. Ils sont un corps étranger dans l’Hexagone qu’il faut déporter, car, comme disait apparemment le général de Gaulle, « les Français et les Arabes sont comme de l’huile et du vinaigre, mettez-les dans le même pot et ils se séparent ». Encore une fois, une expression fétiche de Zemmour. On parle aussi de déchoir de leur nationalité française les binationaux ayant commis un crime. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’insister outre mesure sur la violence et la haine contenues dans les propos rapportés ici : elles sont assez évidentes, bien que les plateaux de télévision français ne cessent d’inviter le polémiste, pour des raisons que l’on soupçonne d’être plus mercantiles qu’autre chose. Mais ce sont là le genre de paroles que l’on peut raisonnablement exclure de la vie politique sans avoir à fournir une justification. Il ne s’agit pas ici de valeurs toujours discutées et discutables, mais des fondements mêmes de nos démocraties, comme l’État de droit, l’égalité procédurale citoyenne, etc. Il faut en finir avec cette idée que la tolérance tolère tout. Une chaîne en particulier, CNews (pour laquelle travaillait aupravant Zemmour), héberge désormais Mathieu Bock-Côté. Ce dernier  se fait largement le chantre des idées de Zemmour, dont il aura loué la franchise et l’honnêteté en plus d’avoir salué la libération de la parole qu’il aurait permise à la droite française.

«Il faut en finir avec cette idée que la tolérance tolère tout»

Sur cette chaîne, Mathieu Bock-Côté aborde, semaine après semaine, ses thèmes fétiches tels que le gauchisme, la gauche identitaire, la « révolution racialiste », le « méchant » féminisme, les sciences sociales diversitaires, en passant par quelques paniques morales au sujet de faits culturels divers. « Attention, mesdames et messieurs, le fils de Superman serait bisexuel ! Ceci est une preuve incontestable de la faillite morale de notre société. » On voit le genre. Mais le discours de Mathieu Bock-Côté est trop souvent malhonnête. Il ne se soumet pas à la rigueur intellectuelle minimale, qui consiste à aborder avec charité les écrits des auteurs que l’on critique. Car aucune charité chez celui pour qui une citation hors de contexte a valeur de preuve et chez qui le fait divers est érigé en démonstration sociologique. À une argumentation riche, il substitue plutôt une litanie de métaphores effrayantes qui, certes, saisissent l’imaginaire, mais qui n’en demeurent pas moins que cela : des phrases chocs, certainement pas des arguments. D’ailleurs, on se demande parfois s’il lit simplement ceux qu’il critique, notamment sur les questions de la « race » qui font débat aux États-Unis depuis des décennies au sein de la gauche quant à l’intégration du critère racial dans les politiques de justice sociale. Il y a là, disons-le au passage parce que ce n’est pas assez souvent rappelé, de véritables enjeux.

Et si la « race » s’est finalement imposée dans la réflexion sur la justice sociale (notamment dans la mise en place des politiques de discrimination positive), c’est précisément parce qu’elle s’avérait inévitable dans une société traversée de part en part par des inégalités structurelles historiques et contemporaines.

Pour donner un exemple assez simple tiré de son Empire du politiquement correct, il nous y présente la démocratie telle qu’elle serait considérée dans le monde académique, c’est-à-dire comme une grande entreprise diversitaire multiculturaliste visant à détruire les spécificités nationales et la nation. Au contraire, des rayons (et des rayons) de bibliothèque sont peuplés de livres argumentant sur la nature de la démocratie libérale. S’il y a un constat qui en ressort, c’est qu’il s’agit d’un « concept essentiellement contesté » dont on ne connaît pas dans le milieu universitaire, finalement, la définition, et que l’on ne parviendra probablement jamais à définir de manière satisfaisante. Tant s’en faut pour l’érudition et l’honnêteté. La tragédie se produit évidemment lorsque ses livres sont lus par des individus (on peut penser, encore, à notre premier ministre), qui, ne fréquentant pas le monde académique, prendront ses mots pour la vérité et s’en inspireront pour critiquer un milieu qu’ils ne connaissent tout simplement pas. Le portrait qu’entretiendra le quidam moyen sur l’université sera alors déformé par celui brossé dans les chroniques malhonnêtes d’un tabloïd.

Mais l’effet le plus pervers est celui du transfert intuitif qui s’opère dans la tête de certains lecteurs : « (1) cette situation qu’il décrit est débile, (2) il se présente comme le seul à se tenir contre cette situation, (3) il doit être quelqu’un d’intègre qui mérite ma confiance ». Autrement, le truc est assez ingénieux : les anti-wokes à la Bock-Côté créent une panique morale qui, parce qu’ils prétendent y répondre, vient à leur conférer une légitimité et une aura de résistant. Et il faut avouer que plusieurs aiments les virils résistants, ceux qui se tiennent debout devant la folie. Cependant, l’ennemi auquel ils prétendent résister est, la plupart du temps, un moulin à vent : inexistant. Or, par ce transfert de légitimé par le biais d’une réponse ferme à une crise artificielle, les autres idées fondamentales de ces « anti-wokes » passent plus facilement : « il a raison sur cela que les autres taisent, pourquoi n’aurait-il pas raison sur ces autres choses, également tues »? La mécanique est implacable et finement huilée. Ces idées, toutefois, ne devraient pas avoir droit de cité dans l’espace public. Ce sont celles, en France, fondamentalement racistes et fascistes d’Éric Zemmour. Au Québec, les appels à la culture d’un Mathieu Bock-Côté pour définir l’essence du Québécois cachent bien souvent un nationalisme ethnique (le fantasme du pure laine) des plus chauvinistes.

«Les anti-wokes à la Bock-Côté créent une panique morale qui, parce qu’ils prétendent y répondre, vient à leur conférer une légitimité et une aura de résistant »

Face à de telles critiques, les « anti-wokes » répondront que l’on cherche à brimer leur liberté d’expression. « Très bien », les « anti anti-wokes » pourront-ils répondre, « nous posons les limites de notre tolérance au fascisme, au racisme et à l’exclusivisme ». Et ceux-là de surenchérir : « c’est parce que vous êtes “wokes” que vous nous considérez ainsi. Mais nous avons montré que les “wokes” sont totalitaires eux-mêmes : votre discours n’a donc aucune valeur ». Et aux « anti anti-wokes » de finalement répondre : « au contraire, nous sommes radicalement modérés ». 

Et c’est justement notre modération radicale qui nous permettra, à nous les « anti anti-wokes », de sortir de l’impasse médiatique et politique créée par la fiction du « woke » dans l’espace public. Pour ce faire, il nous faut cesser de laisser celui-ci aux extrêmes des deux côtés. Il est vital qu’avec un zèle révolutionnaire « les anti anti-wokes » radicalement modérés réintègrent la cité.

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