Philippine d'Halleine - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/philippine-dhal/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 09 Oct 2024 16:28:17 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Entrevue avec la maison d’édition Les coins du cercle https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/entrevue-avec-la-maison-dedition-les-coins-du-cercle/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56212 Étudiant le jour, éditeur la nuit : une maison d’édition accessible.

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Lundi 30 septembre dernier, j’ai retrouvé deux des fondateurs de la nouvelle maison d’édition Les coins du cercle. Ils m’ont accueillie autour d’un petit déjeuner pour discuter de leur bijou entrepreneurial, de leurs ambitions et de littérature. La maison d’édition est composée de trois éditeurs : Alice Leblanc, Kenza Zarrouki et Mattéo Kaiser. Animés par leur passion, ils reviennent dans cet entretien sur leur projet dont le but est de faire rayonner la communauté des écrivains et des lecteurs, en deux mots : créativité et accessibilité.

Les coins du cercle Franco-marocaine, Kenza Zarrouki a déménagé à Montréal pour compléter ses études à l’UdeM. Aujourd’hui, elle poursuit sa scolarité à la maîtrise en études internationales, avec une spécialité en études européennes. Souvent contrainte de lire des revues académiques, elle reste passionnée de littérature, notamment les romans explorant la condition humaine. Kenza aime découvrir de nouveaux ouvrages pour analyser les différentes méthodes de pensée, qui lui permettent d’aborder le monde sous un nouvel angle. « L’un de mes processus de réflexion sur la vie en général, mais aussi sur mes propres émotions, passe par l’écriture et la lecture. [C’est] intime de publier un ouvrage, et il est important que l’auteur se sente à l’aise et en confiance : c’est mon rôle dans cette maison d’édition. »
Les coins du cercle Québécois de naissance, Mattéo Kaiser a grandi dans un système d’éducation francophone tout au long de son parcours académique. Il complète actuellement une maîtrise en littérature comparée, et rédige sa thèse sur la dépersonnalisation à l’UdeM. Ses études lui ont offert un tremplin dans le monde de la rédaction et de la correction. Il est guidé par la créativité et le désir de donner une chance à tous de publier. « J’aimerais justement pouvoir rendre [le monde de l’édition] un peu plus populaire pour faire en sorte que les gens aient envie de se faire publier, aient envie de partager leurs pensées globalement, puis de les proposer au marché intellectuel. »
Les coins du cercle Alice Leblanc, Montréalaise, fait partie du collectif « NOUS » qui étudie la santé mentale des jeunes au Québec, et travaille en tant qu’attachée politique pour le député de Jean-Talon, Pascal Paradis. En janvier 2024, elle publie et édite son premier recueil de poésie Jeune et Vivante chez Les coins du cercle. Alice y décrit son ressenti de jeune femme dans la société québecoise. Sa collègue Kenza salue sa créativité : « C’est un cri du coeur sincère et sensible. C’est très apprécié d’avoir ce genre d’oeuvres-là dans notre société », souligne-t-elle.

Philippine d’Halleine (PH) : Qui êtes-vous et en quoi consiste votre projet d’édition?

Kenza Zarrouki (KZ) : Cela fait maintenant un an que nous avons officiellement créé notre entreprise, mais l’idée existait bien avant. À l’origine, nous voulions simplement créer un cercle de lecture, un espace où passionnés et débutants pouvaient échanger autour de différents ouvrages. Puis, nous avons conclu que nous voulions aller plus loin.

Mattéo Kaiser (MK) : Notre inspiration vient de notre désir de rendre accessible le monde de l’édition aux jeunes dans la vingtaine et aux adolescents en leur proposant des services de conseils pour l’édition de leurs travaux francophones. Notre travail consiste en une relecture littéraire, toujours selon un même axe : garder l’essence du style de l’auteur pour que le travail de son texte demeure le sien.

PH : Votre projet a donc évolué d’un cercle de lecture à une maison d’édition. Comment cette transition s’est-elle effectuée?

MK : Tout a commencé lorsque Alice a souhaité publier son livre. C’est en février dernier que nous avons organisé une soirée de lancement, qui s’est avérée un vif succès. Nous avons ensuite entrepris les démarches pour lancer notre maison d’édition. Lors de cette soirée, j’ai vu quelque chose de beau ; l’image du littéraire est bien trop souvent celle d’une personne recluse, qui lit seule dans son coin. Ce genre de soirée permet de constater le côté plus social de la lecture.

KZ : Au début, après avoir consulté des membres de notre entourage, nous nous sommes demandés si ce n’était pas un projet trop ambitieux. Finalement, seul le processus administratif aurait pu nous faire reculer. Je pense que c’est une très bonne manière pour nous, à titre individuel, d’en apprendre le monde de l’entrepreneuriat.

PH : Comment faite-vous pour gérer le financement?

KZ : Pour l’instant, nous ne correspondons pas aux critères pour obtenir les subventions du Québec parce qu’il faut détenir au moins deux ans d’existence ainsi que quatre publications à notre actif, en vue de prouver notre stabilité, notamment pour ce qui est de nos projections à long terme. Pour l’instant, toutes les dépenses sont à nos frais personnels. Nous avons un site internet qui sera disponible dès la semaine prochaine, sur lequel il sera possible de se procurer les livres, ce qui régulera nos dépenses.

PH : Quels sont vos objectifs d’ici les prochains mois, voire les prochaines années?

KZ : Sur le court à moyen terme, nous travaillons déjà sur trois ouvrages qui seront publiés cet automne, et un quatrième pour l’hiver 2025. C’est une belle première lancée.

MK : La priorité est de recevoir suffisamment de manuscrits pour que l’on puisse commencer à fournir nos services. Pour une maison d’édition, l’objectif, c’est d’imprimer des livres, de voir, devant nous, le produit final. Il y a quelque chose de valorisant là-dedans. C’est du carburant.

PH : Comment se déroule le processus de l’envoi d’un manuscrit?

KZ : Il y a d’abord une prise de contact où nous rencontrons l’auteur, puis nous discutons de ses ambitions et de ce qu’il ou elle veut partager. Il y a évidemment un contrat écrit, qui protège nos intérêts et ceux de l’auteur. Nous organisons des rencontres bi-mensuelles – dépendamment du travail nécessaire – pour discuter de l’oeuvre et de ses points d’amélioration. Nous sommes trois éditeurs à participer à la correction du livre. Ainsi, chacun peut offrir ses conseils de façon constructive. Ce à quoi nous nous attendons, c’est que l’auteur soit capable d’accepter les commentaires et critiques, qu’elles soient positives ou négatives, afin d’assurer le bon déroulement du processus.

PH : Selon vous, quelle est la principale différence entre votre maison d’édition et celles qui sont plus établies?

MK : Nous offrons une accessibilité et un soutien aux jeunes auteurs. L’objectif est de leur offrir une plateforme pour les aider à faire leurs premiers pas dans le milieu de l’édition, en respectant des valeurs comme la liberté d’expression. Nous proposons aussi des services de révision de textes, de correction, et d’analyse créative, en vue d’essayer de développer le scénario ou l’histoire, s’il y a lieu.

PH : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs?

MK : La créativité est la capacité humaine la plus élevée, selon moi. Vraiment, c’est ce qui nous permet de vivre et de nous adapter. Sans elle, nous n’en serions pas là. Quand tu commences à créer, et que tu oses aller jusqu’au bout, tu vois à quel point c’est bénéfique. C’est une expérience très épanouissante. Si tu as envie de te sentir bien : crée.

KZ : Comme le dit Mattéo, la créativité est un cri du coeur que nous avons tous à l’intérieur de nous. C’est par l’expression et l’appréciation des arts, qu’on peut se retrouver à s’élever sur tous les aspects de notre vie. Je dirais : élevez-vous autant que vous le pouvez.

Pour en savoir plus sur la maison d’édition Les coins du cercle, vous pouvez visiter leur site internet, accessible dès maintenant.

Les coins du cercle
Mattéo publie son premier livre cet automne. Nous en avons discuté en primeur lors de notre entretien.

ATOUÇEUKILISENCORE sortira en novembre, un ouvrage qu’il décrit comme léger, mais profond. Ce recueil de réflexions personnelles est assez loin d’un style académique, mais plutôt une invitation à la réflexion accessible, qui mêle humour et philosophie au quotidien. Ce n’est ni un roman traditionnel, ni un essai classique. Au fil des pages, Mattéo souhaite briser la barrière entre l’auteur et le lecteur, en instaurant un dialogue libre et spontané à travers ses écrits. Il encourage ainsi chacun à lire à son propre rythme, sans la moindre pression : « Mon livre, tu peux le lire où tu veux, l’abandonner un moment et le reprendre plus tard. C’est un acte libre : fais-en ce que tu veux. »

L’écriture d’ATOUÇEUKILISENCORE a débuté pendant la pandémie, une période pendant laquelle l’écriture était un moyen d’échappatoire du confinement pour beaucoup. Influencé par les travaux de Dany Laferrière, le livre capture une pensée journalière, à travers un style personnel, québécois et universel à la fois. Le titre, un jeu de mots sans espace, souligne la spontanéité face aux règles strictes de la langue. « Le titre représente aussi ce langage parfois malmené qu’on utilise au quotidien, un clin d’oeil à notre rapport décomplexé au français. Mais à travers cela, il y a du fond et du soin. » Ce faisant, Mattéo nous plonge dans son esprit, tout en laissant au lecteur la liberté d’y entrer ou d’en sortir à sa guise.

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Plongée dans une librairie indépendante : De Stiil https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/plongee-dans-une-librairie-independante-de-stiil/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54931 Entretien particulier avec Aude Le Dubé.

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Au cœur du Plateau Mont-Royal, nichée dans la rue Duluth, se trouve la librairie De Stiil. Une véritable oasis littéraire au milieu du tumulte urbain, cette boutique d’angle, baignée dans un vernis blanc, évoque l’atmosphère des quartiers bohèmes de Notthing Hill ou de Brooklyn. J’ai eu la chance de m’entretenir avec Aude Le Dubé, la fondatrice de la boutique. Installées près d’une des nombreuses fenêtres qui encadrent la boutique, un rayon de soleil timide nous réchauffait, nous faisant momentanément oublier la température glaciale de l’extérieur. Nous nous sommes alors plongées dans une conversation envoûtante sur la littérature, l’art et l’importance des librairies indépendantes dans notre société.

« Véritable oasis littéraire au milieu du tumulte urbain, cette boutique d’angle, baignée dans un vernis blanc, évoque l’atmosphère des quartiers bohèmes de Notthing Hill ou de Brooklyn »

L’entretien a été édité dans un souci de clarté et de concision.

Philippine : Est ce que vous pouvez vous présenter?

Aude Le Dubé (ALD) : Je m’appelle Aude, je suis née en France, j’ai déménagé au États-Unis où j’ai vécu 16 ans, pour ensuite partir en Suisse pour dix années. Ça fait maintenant 12 ans que j’habite à Montréal.

Philippine : D’où vient cette passion pour la lecture et l’écriture? Comment en êtes-vous arrivée à ouvrir une librairie?

ALD : Je dirais que ma fascination pour la littérature a débuté dès mon enfance avec Agatha Christie et s’est approfondie avec Marguerite Duras, que j’admire notamment pour Le Ravissement de Lol V. Stein. J’aime son style d’écriture faussement simple, qui va au cœur des choses. Sartre disait « J’ai pas le temps de faire court », et bien, je dirais que Duras avait le temps de faire court. Alors j’ai décidé de poursuivre une carrière en tant qu’autrice et traductrice. L’aventure De Stiil a donc émergé de mon histoire dans le monde de l’édition. En arrivant à Montréal en 2018, j’ai ouvert une boutique qui vendait initialement ce qu’on peut appeler des beaux livres et des objets d’art. C’est lors du premier confinement que j’ai constaté que les clients s’intéressaient principalement aux romans. J’ai donc rapidement élargi notre assortiment pour répondre à cette demande croissante.

Philippine : Pourquoi ce choix de vous tourner vers de la littérature anglophone en tant que française?

ALD : Ça fait maintenant 45 ans que je lis de la littérature anglophone. Je trouve que c’est plus vivant, avec davantage de place pour les voix féminines, différents genres et styles, que je trouve moins dans d’autres langues. Nous vendons surtout des livres traduits. Les livres traduits de langues étrangères en anglais représentent seulement 3% de la production dans le monde de l’édition. Alors, en tant que francophone, si on veut lire beaucoup, la production de littérature en français pourrait ne plus être adéquate pour répondre à nos besoins. Moi, j’ai simplement reproduit ce qui m’attire. Je suis particulièrement attirée par la littérature allemande, donc j’en ai beaucoup, mais il y aussi des traductions du japonais, de l’hébreu, de l’italien, de l’arabe, du français, ça voyage beaucoup.

Philippine d’Halleine

Philippine : Comment décririez-vous le concept de votre boutique? L’esthétique de vos livres joue-t-elle un rôle dans vos ventes? Et quel type de clientèle vous cherchez?

ALD : Évidemment que l’esthétique joue un rôle important pour moi, mais aussi pour les clients. Les livres qu’on ne propose pas, c’est-à-dire, les romances, les livres young adult, sont généralement laids, mais de toute manière ils ne m’intéressent pas, donc le choix n’est pas difficile. À l’inverse, il m’est déjà arrivé de commander des livres passionnants, mais la couverture était si hideuse qu’il m’a été impossible de les vendre ; les consommateurs ne sont pas réceptifs. La clientèle est très jeune. Il y a des préjugés sur le fait que les jeunes ne lisent plus la littérature papier à cause des nouvelles technologies, mais moi je pense que ce sont surtout les personnes âgées qui sont concernées par ce déclin.

Philippine : Vous ne constatez donc pas de baisse de lecture chez les jeunes? En tout cas au niveau papier?

ALD : Au contraire! Maintenant, plus rien ne nous appartient. On n’achète plus de disques, on stream la musique, et c’est pareil pour les livres ; on achète en ligne ou sur Kindle. Donc je pense que les gens constatent cela et préfèrent posséder un livre papier. Souvent, ils lisent en bibliothèque, et après, ils viennent acheter ici, parce que c’est important de pouvoir échanger, de pouvoir prêter, donner et partager ses livres. Tandis que les clients qui viennent, savent ce qu’ils veulent et savent qu’ils peuvent le trouver ici. On fonctionne beaucoup par thème. On a une table appelée Uplifting Reads [lecture édifiante, ndlr] parce que le monde est déprimant en ce moment. J’achète comme une lectrice, pas comme une libraire. C’est donc ça la différence.

« La fiction, la littérature, ce n’est pas pour nous aider à vivre, c’est pour nous aider à sortir de nos vies. C’est pour nous aider à ne pas vivre. »

Philippine : Des conseils pour parvenir à se mettre à la lecture pour le plaisir, pour sortir des cours?

ALD : Les gens qui veulent lire, c’est très simple, mais ça peut être difficile de le faire naturellement, notamment pour les étudiants qui lisent pour les cours toute la journée. J’ai un seul conseil : se débarrasser de son téléphone. Seulement 15 minutes pour commencer ; se mettre dans une autre pièce silencieuse pour quelques minutes de lecture. Le lendemain 20 minutes, puis 30. Il faut laisser la magie opérer. La fiction, la littérature, ce n’est pas pour nous aider à vivre, c’est pour nous aider à sortir de nos vies. C’est pour nous aider à ne pas vivre.

Philippine : Vous me parliez de la littérature expérimentale comme un style de lecture qu’on peut trouver ici, auriez-vous des conseils de livres pour débuter?

ALD : En fait, la littérature expérimentale, ce n’est pas un narratif littéraire, ce n’est pas nécessairement une histoire, ça prend diverses formes. Huysmans, George Perec ou Prévert étaient de cette littérature. C’est de l’art facile à lire, qui sort des sentiers battus, d’une l’histoire avec une introduction et un développement et une conclusion. C’est peut-être plus original. Encore plus moderne, je conseillerais Wild Milk de Sabrina Orah Mark.

Philippine : Pour conclure, deux livres à acheter chez De Stiil ce mois-ci?

ALD : Le Prophet’s Song de Paul Lynch, je pense qu’il deviendra un grand classique contemporain. Et Kairos par Jenny Erpenbeck, tout simplement brillant.

Retrouvez la librairie au 351 Avenue Duluth E, Montréal, et suivez la page instagram pour vous tenir au courant des événements organisés par l’équipe De Stiil, qui réserve régulièrement de jolis moments à partager entre passionnés et débutants.

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Triste Tigre : Au-delà du silence https://www.delitfrancais.com/2024/01/17/triste-tigre-au-dela-du-silence/ Wed, 17 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54203 Plongée dans le prix Fémina 2023 de Neige Sinno.

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Avertissement : Cet article traite des sujets du viol et de l’inceste.

Dans son roman Triste Tigre, lauréat du prix Fémina 2023 et nominé pour le Prix Goncourt, Neige Sinno, écrivaine française, nous embarque dans son témoignage sur l’inceste qu’elle a subi entre ses sept et 14 ans par son beau-père. Se distinguant par son traitement d’un sujet considéré comme trop violent par certains, le récit explore avec minutie la relation complexe entre une victime et son bourreau. Tout au long de l’ouvrage, l’autrice détaille son parcours depuis sa naissance jusqu’à ses 46 ans, en passant par la rencontre de son beau-père, son enfance, sa vie familiale, les viols, sa décision en 2000 de porter plainte, et enfin, le déroulement du procès. L’autrice adopte une approche avant-gardiste, amorçant son récit en exprimant son désir d’écrire en étudiant la position du bourreau, condamné à neuf années d’incarcération, dans un langage se voulant souvent maladroit qui oscille entre plusieurs noms et adjectifs pour décrire la « Neige enfant ». Ce choix narratif offre au lecteur une perspective nouvelle et nuancée, tout en soulevant des questions importantes sur la nature humaine, allant de l’introspection personnelle à une analyse sociétale et sociologique.

La métaphore du tigre : cruauté et complexité

Au premier abord, l’image du tigre peut être interprétée comme représentant la victime du viol, combinant la force et la rage de survivre avec une vulnérabilité sous-jacente qui s’exprime par le sentiment de tristesse. Cependant, au fil de la lecture, le lecteur peut découvrir une nouvelle interprétation du titre, où le tigre décrit plutôt l’agresseur lui-même, le prédateur qui se jette sur sa proie silencieusement, sans éveiller les soupçons. Le terme « triste » pourrait ainsi refléter l’expression de regret ou de chagrin que le beau- père a pu exprimer, visant à manipuler les émotions et les sentiments de sa victime. Une attitude qui cherche à susciter de la compassion afin de justifier ses actes, tout en maintenant la victime dans le silence, la présentant comme provocatrice et responsable de l’agression. Cette manipulation, on la retrouve également au cours du procès du beau-père de Neige, où des excuses et des demandes de pardon seront utilisées pour atténuer la sanction.

L’autrice de Triste Tigre explore différents profils de violeurs. Certains présentent une psychologie pathologique, tandis que d’autres cherchent une gratification particulière à travers l’acte de domination sexuelle. Cet acte devient un moyen de contrôle, de puissance et de reconnaissance pour ces agresseurs. L’analyse de Neige Sinno approfondit la psychologie des violeurs, mettant en évidence leur besoin de dominer les victimes, autant sur le plan sexuel que mental. Persuader la victime de prendre plaisir à l’agression devient un objectif majeur, qui sert de cheval de bataille à la défense lors des procès. L’autrice montre que les violeurs, en l’occurrence son beau-père, cherchent alors à détruire l’innocence de la victime en rejetant la faute sur elle, sous prétexte que l’agression était un moyen d’exprimer de l’amour. L’exemple poignant de la jeune Neige, qui oscille entre rébellion et contradiction pendant la journée, jusqu’à sa soumission impuissante la nuit venue face à son beau-père, souligne la complexité des dynamiques familiales et des abus.

« L’analyse de Neige Sinno approfondit la psychologie des violeurs, mettant en évidence leur besoin de dominer les victimes, autant sur le plan sexuel que mental »

Au coeur des pensées d’une victime

Neige Sinno aborde le thème de la peur constante des victimes de viols répétitifs, illustrée dans des œuvres telles que Je verrai toujours vos visages, sorti au cinéma l’année dernière. L’écrivaine évoque les sentiments de terreur qui s’intensifient les nuits où l’agresseur ne se manifeste pas, créant une attente longue et étouffante due à l’incertitude de connaître le moment où la sentence tombera. Le livre explore de manière percutante les questionnements de la victime sur sa position en tant que « favorite » de l’agresseur, suscitant des interrogations déchirantes. Pourquoi ne vient-il pas?

Ce questionnement atteint son apogée lorsque l’écrivaine découvre que l’agresseur fréquente d’autres femmes, ajoutant une dimension supplémentaire à la douleur et la confusion de l’expérience traumatisante.

L’autrice offre également des perspectives nuancées sur le processus de reconstruction individuelle des victimes, soulignant la réalité selon laquelle la guérison totale de cette honte peut s’avérer impossible, mais aussi l’importance d’apprendre à vivre avec cette dernière. Chaque individu réagit de manière unique à l’expérience du viol, déconstruisant son rapport à la sexualité. Sinno précise qu’il n’y a pas de réaction universelle chez les femmes violées, révélant que pour sa part, sa relation à la sexualité est épanouie. Bien qu’elle ne considère pas avoir de rapports troublés à la séxualité, elle admet avoir fait l’objet d’une introspection sur d’anciennes habitudes, cherchant à se réapproprier son rapport au sexe.

Entre soutien et déni

Triste Tigre explore aussi les réactions des proches, notamment celle de la mère de Neige, qui a mis près d’un an à quitter son conjoint après avoir appris ce qu’il avait fait subir à sa fille. Le livre dévoile les difficultés rencontrées par la victime pour sensibiliser sa mère à son combat et soulève une question cruciale sur la perception des violences subies, à savoir si la mère ignorait réellement les actes de son conjoint à l’égard de sa fille.

Une facette troublante du récit, quoique récurrente d’un témoignage à l’autre, concerne la défense persistante de l’agresseur par la communauté qui l’entoure. Dans Triste Tigre, l’homme était apprécié du village et la renommée de son profil de sauveteur en montagne semblait prévaloir sur les accusations portées contre lui. Cette réaction met en lumière les préjugés sociaux et la réticence à remettre en question la réputation d’une personne influente, notamment celle d’un homme, même face à des preuves accablantes, sous prétexte que le comportement de cet homme à leur égard s’est toujours avéré irréprochable. L’autrice souligne également l’importance de l’aveu de culpabilité émis par l’agresseur lors du procès. Sans cette confession, dû au nombre de témoignages en soutien à l’accusé, le dossier aurait vraisemblablement été classé sans suite. Neige Sinno nous livre ici une analyse percutante, qui dépeint les enjeux complexes du processus judiciaire et la nécessité de preuves tangibles pour rendre justice aux victimes, sans lesquelles le non-lieu est rapidement déclaré.

Une évolution littéraire

Les différentes autopsies des textes existants sur l’inceste et le viol, réalisées au début du livre permettent de retracer une trajectoire historique des représentations et de la compréhension du viol, de l’inceste et de la pédophilie dans la littérature. Les écrits de Christine Angot, Virginie Despentes, Toni Morrison, ainsi que les études des œuvres de Virginia Woolf et du fameux Nabokov, offrent une perspective intéressante sur la manière dont la société a abordé ces questions au fil des décennies et mettent en lumière les progrès et les défis qui persistent.

En examinant ces textes, nous pouvons mieux comprendre comment la littérature a façonné et reflété les changements culturels, tout en nous invitant à réfléchir sur la manière dont elle continue d’influencer notre compréhension collective des violences sexuelles. On note notamment l’ouvrage incontournable et controversé de Vladimir Nabokov, Lolita, publié en 1955. Cette œuvre emblématique a suscité des débats virulents et a marqué un tournant dans la manière dont la société percevait et discutait la pédophilie. L’auteur lui même avait reconnu un demi-siècle plus tard que son roman portait sur la pédophilie, et non pas sur la soi-disant provocation d’une enfant de 12 ans, tel que cela avait été interprété à l’époque. En comparant la réception et l’interprétation initiale de ce roman à celles d’aujourd’hui, Neige Sinno retrace l’évolution des normes sociales et des attitudes, à même la littérature.

Un témoignage éducatif

Triste tigre est donc plus qu’un simple roman-témoignage, c’est un texte didactique qui éclaire sur les réalités du viol, de la pédophilie et de l’inceste, mais aussi sur les réalités du système judiciaire : seulement 10% des femmes victimes d’agressions sexuelles décident de porter plainte, et seulement 1% de ces dépositions aboutissent à une condamnation. Neige Sinno conclut son roman sur un beau moment partagé avec sa fille, où elles discutent de l’importance du consentement, du choix et de la parole. Le livre nous propose alors une vue d’ensemble sur un système judiciaire trop souvent faillible, dans une société où la honte érige un mur de silence, où les victimes se taisent par peur du jugement des proches, où elles s’isolent sous le poids des secrets enfouis.

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Séismes en Afghanistan https://www.delitfrancais.com/2023/10/18/seismes-en-afghanistan/ Wed, 18 Oct 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52803 L’Afghanistan frappé par deux séismes : crise humanitaire croissante.

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Le 7 et 11 octobre dernier, l’Afghanistan a été secoué par deux puissants séismes, de 6,3 de magnitude chacun (considéré comme « fort » sur l’échelle de Richter), entraînant la perte de plus de 2 000 vies. Un événement faisant écho aux nombreuses victimes de ce sinistre récurrent qui a frappé plusieurs pays d’Afrique du Nord et d’Asie Mineure en 2023 : la Syrie, la Turquie et le Maroc.

L’épicentre du premier séisme se situait à environ 40 kilomètres au nord-ouest de Herat, suivi d’un second quatre jours plus tard à 29 kilomètres de la même ville. Ces événements s’ajoutent à la liste d’autres catastrophes naturelles survenues en Afghanistan, notamment le séisme meurtrier de juin 2022, qui a fait plus de 1 000 victimes, ainsi que celui de mars 2023, qui a causé la perte de 13 vies supplémentaires.

Le 8 octobre dernier, Zabihullah Mujahid, le porte parole de l’administration des Talibans Afghans, a publié un tweet sur la plateforme X détaillant les conséquences du séisme : « 2 053 martyres ont été tuées dans 13 villages, 1 240 personnes ont été blessées, 1 320 maisons résidentielles ont été détruites. 10 équipes de secours sont arrivées sur les lieux (tdlr) » . Le gouvernement n’a pour l’instant publié aucune demande officielle pour recevoir de l’aide étatique internationale. Il a néanmoins rejeté la proposition pakistanaise d’envoi d’avions contenant du matériel de survie, expliquant cette décision en partie en raison de tensions préexistantes entre les deux nations.

Sur les plans domestiques, tandis que les États-Unis ont annoncé un financement immédiat de 12 millions de dollars par le biais de l’Agence des États-Unis pour le Développement International, le Canada n’a encore publié aucune proposition d’aide financière concrète. La ministre des affaires étrangères Mélanie Joly a cependant exprimé sur X la solidarité du pays avec les victimes Afghanes : « Nous sommes de tout cœur avec le peuple afghan qui doit faire face aux conséquences de ce tremblement de terre dévastateur. Le Canada est prêt à soutenir le peuple afghan. »

De plus, avec l’arrivée de plus de 40 000 réfugiés afghans au Canada en 2023, la diaspora en pleine croissance s’est mobilisée autour du pays (dont Montréal) pour collecter des fonds (dont la somme n’a pas été publiée) et apporter de l’aide aux victimes du désastre.

Au moment d’écrire ces lignes, la communauté afghane de McGill n’a partagé aucune information sur de potentielles levées de fonds ou de vigiles au sein de l’université. McGill a de son côté communiqué directement avec les étudiants de citoyenneté afghane pour les « informer que nous sommes au courant du tremblement de terre dévastateur en Afghanistan et que nous comprenons que cette situation peut avoir un impact réel sur leur vie quotidienne. Nous sommes là pour les soutenir de toutes les façons possibles durant cette période difficile », a indiqué Frédérique Mazerolle, agente des relations avec les médias de McGill, contactée par Le Délit.

« Nous sommes de tout cœur avec le peuple afghan qui doit faire face aux conséquences de ce tremblement de terre dévastateur. Le Canada est prêt à soutenir le peuple afghan. »

Mélanie Joly

Sur la scène internationale, diverses organisations des Nations Unies tels que le Programme alimentaire mondial, l’Organisation internationale pour les migrations et le Fond des Nations Unies pour l’enfance se sont mobilisées pour apporter un soutien, allant de l’assistance alimentaire à la couverture médicale et au soutien psychologique. Les aides non-gouvernementales font cependant face à de nombreuses barrières pour appliquer leurs efforts, notamment à cause des « restrictions imposées aux femmes et des crises humanitaires mondiales concurrentes qui incitent les donateurs à réduire leur soutien financier ». Pour l’Union Européenne, un paquet humanitaire de 3,5 millions d’euros a été approuvé pour soutenir les efforts de secours en Afghanistan.

Dans l’ensemble, cette catastrophe naturelle s’inscrit dans un contexte plus large de difficultés persistantes en Afghanistan, marqué par une crise humanitaire en cours, un déclin économique significatif (chute de 20% du PIB depuis 2021), et une famine croissante. Alors que le pays se prépare à affronter l’hiver, des milliers d’Afghans se retrouvent sans abri, amplifiant ainsi les défis auxquels le pays est confronté depuis plusieurs années.

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