Raphaël Dallaire Ferland - Le Délit https://www.delitfrancais.com/author/raphael-dallaire-ferland/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Fri, 01 Feb 2013 17:16:47 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Declaració de sobirania https://www.delitfrancais.com/2013/01/29/declaracio-de-sobirania-2/ Wed, 30 Jan 2013 04:12:45 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=16704 Le gouvernement de Catalogne vient de franchir le point de non-retour vers l’indépendance nationale et l’affaire a filé sous le nez de la presse québécoise. La «Déclaration de souveraineté et du droit de décision du peuple de Catalogne» a été adoptée le 23 janvier par le Parlement catalan à 85 voix contre 41. En triomphant… Lire la suite »Declaració de sobirania

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Le gouvernement de Catalogne vient de franchir le point de non-retour vers l’indépendance nationale et l’affaire a filé sous le nez de la presse québécoise.

La «Déclaration de souveraineté et du droit de décision du peuple de Catalogne» a été adoptée le 23 janvier par le Parlement catalan à 85 voix contre 41. En triomphant de l’opposition fédéraliste, la coalition souverainiste au pouvoir a posé le premier jalon officiel vers la création d’une Catalogne indépendante, et s’est engagée formellement à tenir un référendum sur la question. Ne pas le faire reviendrait à se parjurer et à perdre toute légitimité.

Tout se met en place pour que l’Écosse et la Catalogne, deux peuples qui s’inspirent profusément de l’expérience québécoise, se prononcent en 2014 sur l’une des décisions politiques les plus importantes de leur histoire, sans que nous nous en inspirions en retour. Tous nos grands médias ont repris, sans exception et dans une version plus ou moins sabrée ou étoffée, un maigre article de l’Associated Press, qui passe outre la joute politique brutale et hautement significative à laquelle se sont livrés les huit partis de la Generalitat de Catalunya, l‘organisation politique de la communauté autonome de Catalogne. Voici déjà quelques considérations supplémentaires qui se sont imposées lorsque j’étais de passage à Barcelone durant cette semaine où un peuple entier retenait son souffle.

Ce rêve Péquiste

La proposition initiale du parti au pouvoir Convergència i Unió (CiU) le 10 janvier a marqué le premier faux pas grave d’un parcours autrement exceptionnel et sans tache de ce plus récent mouvement indépendantiste catalan. La proposition laissait lourdement tomber que «Le Parlement de Catalogne [s’engageait] à déclarer la souveraineté démocratique du peuple de Catalogne», ce qui n’implique pas de demander son avis au peuple en question.

Les fédéralistes ont répliqué d’une vicieuse volée de flèches: l’affaire a été qualifiée de «gros travail ‘botché’» par le Parti des socialistes de Catalogne, de «délire» par le Parti de la citoyenneté, et d’«insulte au peuple catalan» par le Parti populaire (l’excroissance catalane du parti au pouvoir en Espagne). Alors que l’allié indépendantiste Gauche républicaine de Catalogne promettait de «réviser le langage» de la déclaration, la trombe médiatique ne tarissait pas, et les Catalans attendaient dans l’angoisse de voir échouer le premier acte officiel de leur gouvernement vers la création d’un nouvel état européen.

CiU y est allé un peu fort. Il a risqué de perdre l’appui d’un public qui semblait jusque-là satisfait du travail de ses élus pour la cause nationale. La bourde est d’autant plus énorme que CiU est justement poussé par l’élan populaire, celui qui avait mené aux 117 référendums informels dans les villages catalans (où les votes pour une Catalogne libre avaient parfois atteint les 96%) et qui s’était poursuivi par la manif monstre du 11 septembre 2012, où plus de 1.5 millions de manifestants (sur 7.5 millions de citoyens catalans!) avaient pacifiquement assiégé Barcelone. Avant le grand jour, le président de la Catalogne et chef de CiU Artur Mas avait tenté en vain de demander plutôt une manifestation pour l’autodétermination, un terme moins fort que «souverainisme» et «indépendance». Il s’est rapidement aperçu qu’on ne dévie pas si facilement une déferlante de millions de citoyens, et l’inverse s’est produit: CiU est (re)devenu résolument indépendantiste suite à la grande manif. L’événement est devenu un véritable référendum d’initiative populaire – ce rêve péquiste! – d’autant plus grandiose qu’il n’a pas été convoqué par l’autorité au pouvoir et qu’il s’est incarné par une marée inéluctable de drapeaux catalans flanqués de l’estalada (l’étoile blanche de l’indépendance). Ce gouvernement souverainiste est l’enfant du 11 septembre 2012. S’il compte se faire le champion de la cause nationale, il ne peut avancer d’un iota sans la volonté populaire, puisqu’il en est justement le produit.

Et les Catalans dans tout ça?

S’il avait suivi la vague au lieu de tenter de la devancer, le parti au pouvoir aurait plutôt proposé une déclaration d’autodétermination. C’est du moins ce que j’ai senti durant mon observation absolument non-statistique de la volonté populaire des Catalans. Selon Xavi, informaticien et grand voyageur, «ils auraient dû faire une déclaration d’autodétermination, ça aurait permis de demander ensuite au peuple ce qu’il veut vraiment» (C’est à peu près la troisième chose qu’il m’a dite, un peu après «Entre!» et «Je te sers un thé?». Ces Catalans évoquent leur lutte avec une attitude si décomplexée!) Même son de cloche du côté de Pere, travailleur social et militant politique local, qui craignait qu’une déclaration de souveraineté unilatérale n’alimente davantage l’intransigeance de Madrid. Cette intransigeance, Pere y a goûté lorsqu’il a été détenu chez lui durant une semaine par la police espagnole pour avoir dessiné un graffiti indépendantiste.

La Declaració de sobirania qui a finalement prévalu projette plus prudemment «initier le processus pour rendre effectif l’exercice du droit de décider afin que tous les citoyens et citoyennes de Catalogne puissent décider de leur futur politique et collectif». Une déclaration d’autodétermination, donc. Ainsi le coup a été rattrapé par les quatre partis résolument indépendantistes (mais divergeant sur tout le reste). Par le dialogue, ils se sont rapprochés de la volonté populaire.

De la Catalogne au Québec

Cette diversité politique et la  puissante mobilisation populaire sont sûrement les plus grandes forces de l’indépendantisme catalan. Et il se trouve qu’elles sont présentes au Québec; ils ne leur restent qu’à s’accorder. Pour suivre l’impulsion catalane, les quelques Option nationale, le Nouveau mouvement pour le Québec, le plus récent Génération nationale et les autres associations réellement souverainistes ont maintenant à se demander comment catalyser l’énergie populaire qui s’est éveillée durant le Printemps québécois.

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Declaració de sobirania https://www.delitfrancais.com/2013/01/29/declaracio-de-sobirania/ Wed, 30 Jan 2013 03:30:21 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=16642 La déclaration de souveraineté chiffonée de la Catalogne

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Le gouvernement de Catalogne vient de franchir le point de non-retour vers l’indépendance nationale et l’affaire a filé sous le nez de la presse québécoise.
La «Déclaration de souveraineté et du droit de décision du peuple de Catalogne» a été adoptée le 23 janvier par le Parlement catalan à 85 voix contre 41. En triomphant de l’opposition fédéraliste, la coalition souverainiste au pouvoir a posé le premier jalon officiel vers la création d’une Catalogne indépendante, et s’est engagée formellement à tenir un référendum sur la question. Ne pas le faire reviendrait à se parjurer et à perdre toute légitimité.
Tout se met en place pour que l’Écosse et la Catalogne, deux peuples qui s’inspirent profusément de l’expérience québécoise, se prononcent en 2014 sur l’une des décisions politiques les plus importantes de leur histoire, sans que nous nous en inspirions en retour. Tous nos grands médias ont repris, sans exception et dans une version plus ou moins sabrée ou étoffée, un maigre article de l’Associated Press, qui passe outre la joute politique brutale et hautement significative à laquelle se sont livrés les huit partis de la Generalitat de Catalunya, l‘organisation politique de la communauté autonome de Catalogne. Voici déjà quelques considérations supplémentaires qui se sont imposées lorsque j’étais de passage à Barcelone durant cette semaine où un peuple entier retenait son souffle.
Ce rêve Péquiste
La proposition initiale du parti au pouvoir Convergència i Unió (CiU) le 10 janvier a marqué le premier faux pas grave d’un parcours autrement exceptionnel et sans tache de ce plus récent mouvement indépendantiste catalan. La proposition laissait lourdement tomber que «Le Parlement de Catalogne [s’engageait] à déclarer la souveraineté démocratique du peuple de Catalogne», ce qui n’implique pas de demander son avis au peuple en question.
Les fédéralistes ont répliqué d’une vicieuse volée de flèches: l’affaire a été qualifiée de «gros travail ‘botché’» par le Parti des socialistes de Catalogne, de «délire» par le Parti de la citoyenneté, et d’«insulte au peuple catalan» par le Parti populaire (l’excroissance catalane du parti au pouvoir en Espagne). Alors que l’allié indépendantiste Gauche républicaine de Catalogne promettait de «réviser le langage» de la déclaration, la trombe médiatique ne tarissait pas, et les Catalans attendaient dans l’angoisse de voir échouer le premier acte officiel de leur gouvernement vers la création d’un nouvel état européen.
CiU y est allé un peu fort. Il a risqué de perdre l’appui d’un public qui semblait jusque-là satisfait du travail de ses élus pour la cause nationale. La bourde est d’autant plus énorme que CiU est justement poussé par l’élan populaire, celui qui avait mené aux 117 référendums informels dans les villages catalans (où les votes pour une Catalogne libre avaient parfois atteint les 96%) et qui s’était poursuivi par la manif monstre du 11 septembre 2012, où plus de 1.5 millions de manifestants (sur 7.5 millions de citoyens catalans!) avaient pacifiquement assiégé Barcelone. Avant le grand jour, le président de la Catalogne et chef de CiU Artur Mas avait tenté en vain de demander plutôt une manifestation pour l’autodétermination, un terme moins fort que «souverainisme» et «indépendance». Il s’est rapidement aperçu qu’on ne dévie pas si facilement une déferlante de millions de citoyens, et l’inverse s’est produit: CiU est (re)devenu résolument indépendantiste suite à la grande manif. L’événement est devenu un véritable référendum d’initiative populaire – ce rêve péquiste! – d’autant plus grandiose qu’il n’a pas été convoqué par l’autorité au pouvoir et qu’il s’est incarné par une marée inéluctable de drapeaux catalans flanqués de l’estalada (l’étoile blanche de l’indépendance). Ce gouvernement souverainiste est l’enfant du 11 septembre 2012. S’il compte se faire le champion de la cause nationale, il ne peut avancer d’un iota sans la volonté populaire, puisqu’il en est justement le produit.
Et les Catalans dans tout ça?
S’il avait suivi la vague au lieu de tenter de la devancer, le parti au pouvoir aurait plutôt proposé une déclaration d’autodétermination. C’est du moins ce que j’ai senti durant mon observation absolument non-statistique de la volonté populaire des Catalans. Selon Xavi, informaticien et grand voyageur, «ils auraient dû faire une déclaration d’autodétermination, ça aurait permis de demander ensuite au peuple ce qu’il veut vraiment» (C’est à peu près la troisième chose qu’il m’a dite, un peu après «Entre!» et «Je te sers un thé?». Ces Catalans évoquent leur lutte avec une attitude si décomplexée!) Même son de cloche du côté de Pere, travailleur social et militant politique local, qui craignait qu’une déclaration de souveraineté unilatérale n’alimente davantage l’intransigeance de Madrid. Cette intransigeance, Pere y a goûté lorsqu’il a été détenu chez lui durant une semaine par la police espagnole pour avoir dessiné un graffiti indépendantiste.
La Declaració de sobirania qui a finalement prévalu projette plus prudemment «initier le processus pour rendre effectif l’exercice du droit de décider afin que tous les citoyens et citoyennes de Catalogne puissent décider de leur futur politique et collectif». Une déclaration d’autodétermination, donc. Ainsi le coup a été rattrapé par les quatre partis résolument indépendantistes (mais divergeant sur tout le reste). Par le dialogue, ils se sont rapprochés de la volonté populaire.
De la Catalogne au Québec
Cette diversité politique et la  puissante mobilisation populaire sont sûrement les plus grandes forces de l’indépendantisme catalan. Et il se trouve qu’elles sont présentes au Québec; ils ne leur restent qu’à s’accorder. Pour suivre l’impulsion catalane, les quelques Option nationale, le Nouveau mouvement pour le Québec, le plus récent Génération nationale et les autres associations réellement souverainistes ont maintenant à se demander comment catalyser l’énergie populaire qui s’est éveillée durant le Printemps québécois.

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La beauté du travail rigoureux https://www.delitfrancais.com/2012/05/16/la-beaute-du-travail-rigoureux/ Thu, 17 May 2012 01:13:16 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=13057 C’est un imposant escadron d’armures flanquées de hautes lances et couronnées de masques démoniaques qui nous accueille dans la salle d’exposition de Samouraïs – prestigieuse collection de Richard Béliveau. Par ces oeuvres d’art et de guerre exposées pour la première fois au public, le musée Pointe-à-Callière lance en grande pompe les célébrations de son vingtième… Lire la suite »La beauté du travail rigoureux

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Photo: Alain Lefort. Collection de Richard Béliveau.

C’est un imposant escadron d’armures flanquées de hautes lances et couronnées de masques démoniaques qui nous accueille dans la salle d’exposition de Samouraïs – prestigieuse collection de Richard Béliveau. Par ces oeuvres d’art et de guerre exposées pour la première fois au public, le musée Pointe-à-Callière lance en grande pompe les célébrations de son vingtième anniversaire.

Les 450 artefacts, que la directrice générale Francine Lelièvre qualifie de «la plus grande collection en son genre», couvrent plus d’un millénaire d’histoire et de culture japonaise. Par une double aubaine, la richesse des pièces est garante de leur exceptionnel état de conservation. Le gros de l’arsenal appartenait à de nobles généraux de l’époque Edo (1600–1868), une ère marquée par l’effervescence artistique et le pacifisme. Après avoir essentiellement servi lors de cérémonies et de parades, les armes nous arrivent pratiquement intactes.

L’esthétisme de l’exposition est époustouflant. Les lames et les armures, issues d’un art oublié que notre science n’arrive pas à émuler, sont confectionnées de matériaux recherchés qui mettaient parfois plus de trois ans à arriver sur l’île du Levant. Selon Richard Béliveau, «Le paradoxe entre force souplesse est peut-être ce qui caractérise le mieux les samouraïs.» Il faut en effet reconnaître la finesse de ces hommes de guerre qui mettaient autant de soin à porter un bol de thé à leur lèvre qu’à lever un sabre au-dessus d’une tête.

L’âme de Samouraïs prend véritablement source dans la passion du propriétaire. Le Dr. Béliveau, que l’on connaît d’abord comme un professeur et un chercheur émérite, a posé son premier acte de collectionneur à quinze ans, par l’achat d’une estampe japonaise. Depuis, il court les ventes des musées en Amérique du Nord et profite de ses voyages professionnels au Japon pour enrichir sa collection. On dit souvent que le trésor d’un collectionneur occupe le centre de sa vie. Est-il dire que Richard Béliveau place son adoration de la civilisation nipponne au-dessus de ses recherches médicales? Pour le biochimiste, la question ne se pose même pas, puisque tout s’intègre dans une harmonie prescrite par le code moral du bushido: «Il y a un aspect précaire de la vie exprimée par les samouraïs et que je retrouve dans ma vie professionnelle, par la lutte contre le cancer.»

Afin d’exprimer cette totalité, les pièces sélectionnées passent de l’équipement militaire aux effigies du Bouddha, jusqu’à la simple (mais oh combien sophistiquée!) tasse de thé. Ces trois thèmes (Voie du guerrier, Voie du zen et les Voies raffinées) cohabitent assez mal cependant. Au nom de l’accessibilité, on présente de front les armures accompagnées de maigres descriptions qui effleurent à peine la technicité de leur fabrication. Ce n’est que pour les autres objets, relégués à l’arrière-plan, que l’on peut s’offrir une immersion satisfaisante dans la culture du Japon.

Malgré sa profondeur inégale, l’exposition est en mesure d’offrir une expérience marquante à un public large. Qu’en retirera-t-on? D’après Pierre Nadeau, le forgeron chargé de l’entretien des lames et qui a appris son métier dans l’atelier d’un maître japonais: «Au Québec, on est inspiré, on est sensible, mais on est allergique à la rigueur. La beauté du travail rigoureux, c’est la plus grande leçon que peuvent nous apprendre les Japonais.»

Samouraïs – la prestigieuse collection de Richard Béliveau
Musée Pointe-à-Callière
Du 17 mai 2012 au 31 mars 2013

Photo: Alain Lefort
Le Dr. Richard Béliveau, un biochimiste spécialisé dans la prévention du cancer, et le propriétaire de la collection.
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort
Photo: Alain Lefort

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Le mécénat prend de l’ampleur au Québec https://www.delitfrancais.com/2012/05/15/le-mecenat-prend-de-lampleur-au-quebec/ Wed, 16 May 2012 03:42:12 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=13048 D’ici la fin de l’année 2012, Mécénat Placements Culture (MPC), un programme gouvernemental visant à augmenter le financement privé de la culture québécoise, aura permis de rassembler 71 M$ en subvention pour 271 organismes oeuvrant dans les domaines des arts et des communications. C’est donc sous le signe de la réussite qu’Yvan Gauthier, Président-directeur général… Lire la suite »Le mécénat prend de l’ampleur au Québec

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D’ici la fin de l’année 2012, Mécénat Placements Culture (MPC), un programme gouvernemental visant à augmenter le financement privé de la culture québécoise, aura permis de rassembler 71 M$ en subvention pour 271 organismes oeuvrant dans les domaines des arts et des communications. C’est donc sous le signe de la réussite qu’Yvan Gauthier, Président-directeur général du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), et Christine St-Pierre, ministre de la Culture, des Communications et de la Condition féminine, ont présenté hier le bilan 2005–2012 du programme.

Depuis sa création en 2005, MPC a aidé les organismes participants à réaliser 429 campagnes de financement visant à recueillir les dons des communautés d’affaires. Le montant s’élevait à 23 millions en date du 31 mars 2012. À cela s’ajoute une contribution du gouvernement du Québec, dont le montant s’accroît de manière inversement proportionnelle à la taille de l’organisme bénéficiaire, pour un total de 34 M$ en subvention et 10 M$ en frais administratifs. Si Yvan Gauthier souligne qu’un avantage notable de MPC consiste en ses faibles coûts de gestion (moins de 5% du budget selon lui), ces dépenses comptent en toute apparence pour 15% du total des sommes mobilisées.

Pour juger du succès de l’entreprise, le directeur du CALQ se fie aux objectifs monétaires que se fixent les organismes culturels avant une campagne de financement. Selon ce critère, le taux de réussite des campagnes serait de 70%. Pour David Lavoie, directeur général du théâtre Aux Écuries, les avantages du programme ne sont pas que quantitatifs: «Ce programme nous permet de montrer les efforts qu’on fait pour tisser des liens avec la communauté d’affaire.» Les organismes culturels peuvent ainsi tirer avantage d’un réseau de contact leur offrant une expertise utile, par exemple de la part d’avocats et de comptables agréés.

Pour le directeur des Écuries, la réussite n’est pas totale: «Dans certains cas, c’est extrêmement probant. Dans d’autres cas, il y a des besoins criants dans les nouvelles générations d’artistes qui ne sont pas résolus par ce programme.» Malgré l’insistance de la ministre St-Pierre selon quoi le MCQ ne vise pas à remplacer d’autres modes de financement public, Lavoie considère que le gouvernement applique une pression de plus en plus forte sur les artistes québécois afin qu’ils se tournent vers le privé pour leurs collectes de fonds. Selon lui, le soutient des gens d’affaire est mieux adapté aux manifestations culturelles telles que les lieux publics (e.g. les théâtres) et les festivals, puisqu’ils sont inscrits dans une communauté et rejoigne donc plus facilement la mission d’une entreprise privée. « Quand tu soutiens une compagnie de création, tu adhères à la vision d’un artiste. C’est là que c’est plus délicat. » Au lieu de prioriser la visibilité ou l’impact communautaire d’un évènement (et, par extension, des commanditaires), le soutien financier apporté aux artistes émergents et aux petites compagnies artistiques devrait d’abord leur permettre de développer leur projet, ce qui serait mieux compris par les institutions gouvernementales.

Le MPC relance donc le dialogue entre le public et le privé en culture, tout en mettant le cap sur ce dernier. En plus d’autoriser la poursuite du programme, le ministre des Finances Raymond Bachand a annoncé dans le budget 2012–2013 la création d’un nouveau volet qui bénéfieciera exclusivement aux musées d’état, en plus d’augmenter la contribution gouvernementale de 5 M$ sur trois ans. Selon Yvan Gauthier, le MPC contribue à démocratiser les collectes de fonds, tandis que la ministre St-Pierre est persuadée qu’il parviendra à raviver le mécénat, afin de «créer un pont entre l’univers des créateurs et celui des gens d’affaires».

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Conservatisme audacieux https://www.delitfrancais.com/2012/04/03/conservatisme-audacieux/ Tue, 03 Apr 2012 13:16:18 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=12449 Le Théâtre du Rideau Vert présente une version sincère et puissante de Les bonnes du paria Jean Genet.

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Sous l’impulsion de sa directrice artistique Denise Filiatrault, le Théâtre du Rideau Vert met le cap sur un paria de la France littéraire. Jean Genet, né en 1910 d’un père inconnu et d’une mère qui l’a abandonné à l’enfance, a consacré sa vie au mépris d’une société de «tortionnaires» qui l’a rejeté pour son homosexualité, ses larcins et ses désertions militaires. Se vengeant par ses écrits qui, selon lui, servaient essentiellement à le sortir de prison, il s’exaltait de la défaite «lâche» du peuple français en 1940 et se complaisait dans un érotisme provocateur qui l’a mené, notablement, à imaginer Hitler se faisant sodomiser par un gosse de Paris.

La séduction du mal est le leitmotiv qui auréole toute son œuvre. Par «mal», il faut entendre l’inverse systématique et ostentatoire de tout ce que la France d’après-guerre considérait comme «bien». C’est ainsi que Les bonnes, pièce écrite en 1947, exprime le malaise de deux domestiques torturées par leur promesse de liberté qui devrait se payer par le meurtre de Madame, leur maîtresse.

Photo: François Laplante Delagrave

Actrices loyales et justes
Une sélection d’actrices québécoises chevronnées fait honneur à la pièce la plus jouée du renégat français. Leur performance est souple, polymorphe, naturelle.

Markita Boies, dans le rôle de la bonne Claire, joue d’une justesse virtuose. Lorsqu’elle personnifie sa propre maîtresse, elle prend des airs grandiloquents dignes des élocutions antiques, tout en contrôlant son geste pour lui infuser une maladresse et un mépris qui siéent remarquablement à la pauvre domestique tentant d’imiter l’aristocrate.

Par sa longue chevelure argentée et sa taille dominante, l’actrice Lise Roy offre à Solange, la sœur aînée de Claire, un corps maladroit mais qu’on devine avoir été séduisant jadis. Car les «deux bonnes ne sont pas des garces: elles ont vieilli, elles ont maigri dans la douceur de Madame», écrivait Genet dans Comment jouer «Les bonnes» (1963). C’est la prestation de madame Roy qui fait ressentir toute l’horreur d’une jeunesse sacrifiée aux soins d’une aristo aigre et futile. Leur pouvoir de séduction s’étant dissipé dans la servilité, les deux sœurs regardent chaque jour s’envoler l’espoir de s’affranchir de leur condition par le mariage.

Encore, si le spectateur pouvait diriger tout son fiel sur Madame, il sortirait de la salle l’esprit tranquille. Loin de là l’intention de Genet, agitateur des mœurs et des consciences! Louise Turcot perpétue le sadisme artistique de l’auteur en dotant Madame d’une noblesse caricaturale, exagérée, frivole, mais étrangement attachante, de sorte qu’il est impossible de savoir si les bonnes ont affaire à une maîtresse dominatrice ou à une patronne innocemment narcissique.

Schizophrénie admirable

Photo: François Laplante Delagrave
L’ambiguïté du jeu de madame Turcot catalyse la schizophrénie des bonnes, qui se vouent à un jeu de rôle sordide frisant l’érotisme incestueux afin d’assouvir, par le meurtre simulé de Madame, leur volonté de puissance sur leur propre servitude.

Il s’agit là d’un grand respect de l’intention de Genet, qui refusait catégoriquement de prendre le parti du miséreux, se bornant à mépriser tous les Blancs, riches ou pauvres, qui lui avaient refusé sa place en leur sein, du fait de son statut de criminel et d’homosexuel.

Toutes ces identités confuses et mélangées illustrent certes le paradoxe d’une noblesse qui s’efface et d’un hilotisme rendu obsolète par la mobilité sociale inhérente à la modernité occidentale, mais au final, ce qui perce vraiment dans cette fidèle mise en scène de Les bonnes, c’est le masochisme issu de la confrontation entre le «mal» libérateur (le meurtre) et le «bien» asservissant (le statu quo).

Mise en scène honnête

Photo: François Laplante Delagrave
Le metteur en scène Marc Béland partage la loyauté des actrices envers Jean Genet. Il propose ainsi un hôtel particulier d’aristocrate parisien du XXe, où les longs rideaux accentuent la petitesse des bonnes. Rien de plus, rien de moins. Il s’agit là d’un choix rassurant de la part de cet homme de théâtre important, lui qui avait hasardeusement modernisé Hamlet au Théâtre du Nouveau Monde en 2011. On peut donc croire que ce déphasage entre l’œuvre originale et la recréation sur les planches reste le propre du TNM, et non d’une tendance infectieuse du théâtre québécois.

On justifie habituellement ce processus de modernisation parce qu’il permet de faire passer l’intention artistique malgré la translation culturelle. Or cette mise en scène n’y souscrit point, et la pièce résonne tout autant. Les pointes d’accent traditionnel que l’on entendait dans Les Belles Histoires des pays d’en haut et qui s’immiscent discrètement dans le discours de Lise Roy, tout comme le bruit des ambulances qui sillonnent la rue St-Denis, achèvent de nous ancrer, bien qu’involontairement, en contexte québécois. Ce faisant, l’on ressent limpidement l’hésitation d’agir qui affecte encore la femme du Québec, malgré le succès qu’y ait connu le féminisme.

Le Théâtre du Rideau Vert nous livre donc un spectacle sincère, vrai, rapide et efficace (la représentation est d’une heure trente tout au plus). Et puisque le respect de l’intention originale est d’une telle rareté ici, ce conservatisme audacieux redonne foi en le futur du théâtre québécois.

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Un souper à St-Roublon https://www.delitfrancais.com/2012/04/03/un-souper-a-st-roublon/ Tue, 03 Apr 2012 12:15:28 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=12489 La Volvo de Christian cahotait sur la vieille route de campagne qui menait jusqu’à St-Roublon.

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De part et d’autre de la chaussée, des champs condamnés à une jachère permanente étaient parsemés de meules de foin négligées qui se liquéfiaient sur la terre comme des pustules crevées. Malgré l’atmosphère alourdie d’une brume laiteuse, Christian discerna le village qui se profilait au bout du chemin.

St-Roublon était l’un de ces petits hameaux enfouis au fin fond de la Côte-Nord, dont les habitants se repaissaient de misère comme des asticots au fond d’une fosse bien mûrie. Aux abords du village, Christian vit une maison de campagne flanquée d’une grange délabrée, dont la pancarte faite de bois d’ex-clôture pourrie scandait en grosses lettres rouge :  FERME PAQUETTE – Légumes et empaillage». Le médecin stationna la voiture dans la cour. Il s’apprêtait à se diriger vers la maison, mais il entendit un long cri strident en provenance de la grange. Son sang reflua vers ses tripes; il hésita un instant, puis courut vers la grange et s’immisça à l’intérieur par un trou dans le mur.

Au fond du bâtiment se tenait un bonhomme aux yeux exorbités qui tenait par les cuisses un lapin frétillant. En apercevant Christian le bourreau s’écri :  C’est ça qu’y’arrive quand on veut y aller trop dou : on fesse tout croche pi ça crève pas à moitié ». Il hurla de rire en concert avec son lapin gémissant de douleur. Puis il asséna à sa victime un deuxième coup de bâton derrière la nuque, ce qui noya les cris de la bête dans un flot de sang qui s’écoula par la bouche.  Attends-moé deux secondes, dit le bonhomme, je finis d’égoutter le lapin pi j’suis tout à toé » Il secoua effectivement l’animal, puis le pendit en accrochant les deux pattes arrièrs sur des clous plantés dans le mur du fond. L’homme s’essuya les mains sur sa salopette brune comme une grosse gale sèche, puis il vint vers Christian. Il lui tendit une main en se fendant d’un large sourire.

-Ben j’ai mon voyage, d’la visite su’a farme! Avoir su, j’en aurais tué un de plus!

-Hem, oui… enchanté, monsieur. Je m’appelle Christian Brumel, et j’enquête à propos de…

-Enchanté moé-même! Moé c’est Farmier. Farmier Paquette.

Oui, fermier et empailleur, comme j’ai pu le constater. Mais votre prénom, monsieur…?

-Han? s’écria-t-il en faisant converger tous les muscles de son visage vers son nez. Pour quoi faire un prénom, t’as-tu déjà vu un autre Farmier à St-Roublon, toé?

Farmier Paquette décocha un clin d’oeil à Christian puis retourna vers le lapin, couteau en main. Christian en profita pour observer l’intérieur de la grange. Mis à part quelques pinces et couteaux, les outils agricoles brillaient par leur absence: Paquette ne souhaitait pas prendre trop d’espace de rangement à ses caisses de bagosse. Dans un coin, un vieux lévrier gisait sur ses propres excréments, trop lâche pour se lever avant de déféquer.

-Monsieur Paquette, reprit Christian, je suis venu à vous parce que j’ai besoin d’information à propos des environs de St-Roublon…

-Ben Tarbarslaque, t’as ben fait de venir me voir, mon pit! Les Paquettes du village là-bas, tsé… répondit Farmier en se portant au gosier une bouteille imaginaire.

Le Paquette secoua longtemps sa main au-dessus de sa bouche ouverte, apparemment déçu que l’alcool qui s’y déversait était lui aussi imaginaire. Il remédia au problème en attrapant une pleine bouteille de bagosse, dont il se rinça copieusement les boyaux avant d’en offrir à Christian qui refusa poliment.

-Tu vas en avoir besoin, mon pit. Ça va sentir le yâb’ dans pas long! dit Farmier Paquette.

Il empoigna alors la fourrure du lapin à deux mains, puis la détacha des muscles en la tirant vers le bas. Au contact de l’air, les muscles dégagèrent une vapeur rance. Christian retint un haut-le-cœur puis reprit:

-Je suis à la recherche d’une famille qui vivrait dans la forêt, des ensauvagés…

-Ah ben ça! Des p’tites sauvageonnes c’est pas ça qui manque dans c’te boutte-ci! J’ai rien qu’à te montrer ma femme pi ma fille!

Paquette crachat de rire avant de revenir à son lapin. Il décapita l’animal puis lança la tête (rattachée à la fourrure) au lévrier, qui se mit à gruger les lambeaux de chair collés à la peau.

-Ce cabot, c’est notre tanneur de cuir; ça fait vingt ans qu’y’est dans le métier pi y s’est jamais tanné, dit Paquette. Y’est plus tough que ma femme, caliboire!

-Charmant… Cependant, malgré tout le respect que je dois à votre femme, monsieur Paquette, je recherche une famille en particulier, qui vivrait près du lac Maloney…

-Mal au nez, hein…, répéta Farmier en se trouvant très drôle.

L’effort intellectuel lui avait fait oublier le couteau qu’il avait planté dans les tripes du lapin, qui se déversaient maintenant en toute liberté par le ventre incisé. Farmier sacra et dirigea sa lame vers les deux canaux qui retenaient les organes au corps, au niveau du pelvis. Christian intervint:

-Oh! Monsieur Paquette, arrête : si vous sectionnez le gros intestin et le canal urinaire, vous allez provoquer un déversement de déchets digestifs qui rendraient la viande impropre à…

-Heille heille heille, tu te prends pour qui, mon pit? Un chiuregien?

Farmier Paquette arborait toujours un air moqueur lorsqu’il sectionna les boyaux et s’envoya un jet de matières fécales en plein visage. Pendant qu’il tournait sur lui-même en glapissant  «Mon œil, Simonaque! Mon œil», le lévrier claudiqua vers le lapin et croqua à belles canines dans les boyaux qui pendaient jusqu’au sol depuis la cage thoracique. Farmier aperçu le chien de son œil valide lui décocha un coup de pied dans le flanc. Le cabot s’éloigna en couinant, le cœur (du lapin) au bord des lèvres. Paquette, une fois les esprits remis en place, acheva de détacher les entrailles du corps du lapin et les recueilli dans un seau. Il héla alors en direction de la maison:

-Joséphine! Joséphine, amène-toé icitte, y’a des vidanges à sortir! (Puis, à l’attention de Christian: ) Toé qui voulait voir d’la sauvageonne, tu vas être servis!

Une fillette rousse et osseuse accourue par le trou dans le mur en faisant virevolter sa robe rapiécée. Elle fixa un moment Christian puis s’élança, ravie, vers la bête dépecée.

-Ça c’est Joséphine, dit le père. Est jamais capable de te r’garder drette dins yeux, mais c’t’une bonne fille pareil. Y’a des langues sales qui disent que c’parce que sa mére pis moé on a le même grand-pére. Bah! Comme on dit par icitte, on est jamais mieux servi que chez soi-même!

Pendant ce temps, Joséphine se confondait en supplications tout en resserrant ses articulations noueuses autour du bras de son père:

-J’veux une patte, popa, j’veux une patte!

Dès qu’elle eut ce qu’elle voulait, elle courue vers le mur opposé, grimpa sur une échelle qui lui permit d’atteindre le plafond de la grange. Là-haut, une guirlande de pattes de lapin s’étirait de part et d’autre du toit; Joséphine Paquette y accrocha la énième patte en poussant un cri de jubilation.

-On est pas ben ben pratiquants, icitte, expliqua Paquette en chuchotant. Ça fait qu’on chasse le Malin comme on peut…

-Revenons-en au lac Maloney, s’il-vous-plaît.

-Ah! Ben certain, mon pit! J’le connais que trop ben c’te lac-là. C’est là que Laplotte attrape toutes les bebittes qu’il me revend à des prix d’innocent!

-Et qui c’est ce Laplotte?

-C’t’un trappeur qui vit tu’ seul dans forêt. ‘Gare moi ça toutes les belles affaires qu’y me ramène pour mes empaillures! dit-il en pointant derrière Christian.

Le médecin fit volte-face sur deux étagères où on avait étalé une alléchante fricassée de ratons, d’écureuils et autres rongeurs morts en tous genres. Sur l’étage supérieur, plusieurs charognes étaient en état de décomposition avancée.

-La rangée du bas c’est pour mes projets à court terme, pis elle du haut c’est là que j’mets ceux que j’ai jamais eu le temps d’arranger…

La fillette redescendit alors et se posta devant Christian. Le médecin intrigué la fixait silencieusement pendant qu’elle, postée devant lui, vibrait d’excitation. Son sourire lui écartelait les joues et ses grands yeux bleus s’exorbitaient à en tomber du visage. La rouquine brûlait d’adresser la parole à Christian, mais elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre. Elle resta longtemps crispée par son hésitation; puis enfin, chargée à bloc, elle lui hurla au visage:

-POPA Y PRÉPARE À SOUPER!

-Ouiii, ma chouette, dit Paquette lui ébouriffant les cheveux. Là, tu vas aller porter le seau de retailles de lapin à moman, veux-tu?

La fillette détala aussitôt en emportant avec elle son chargement de viscères. Christian lui emboîta le pas.

-Monsieur Paquette, dit-il, je vous remercie infiniment pour votre chaleureux accueil, mais je dois maintenant vous quitter: j’ai affaire avec ce Laplotte. Transmettez mes salutations à votre cousi… à votre femme, et… bon appétit!

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Clôture électrique pour les RCVQ https://www.delitfrancais.com/2012/02/28/cloture-electrique-pour-les-rcvq/ Tue, 28 Feb 2012 14:47:01 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=11375 Qualité Motel, l’alter ego allégé de Misteur Valaire, faisait le spectacle de clôture des Rendez-vous du Cinéma Québéois le 25 février. Le Délit présente une entrevue avec Luis Clavis, frontman du groupe s’il en est.

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Misteur Valaire, avec ses nombreuses tournées en Amérique du Nord et en Europe et ses albums numériques comptant plus d’une centaine de milliers de téléchargements légaux, est l’un des grands succès de la musique québécoise. Lorsque les gars de MV  troquent leur gigantesque installation scénique et leurs vestes en fourrure synthétique pour des  wife-beaters, des pinch mous et un équipement électronique épuré, ils deviennent Qualité Motel.

Nicolas Quiazua | Le Délit

Samedi  dernier, Qualité Motel  a transformé la Cinémathèque québécoise, une institution culturelle propre et polie, en jungle électro. Avant la fin du spectacle, la scène était envahie de spectateurs qui se sont emparés des micros pour chanter sur What Is Love et autres remix de succès populaires. Même Brigitte Poupart, réalisatrice du film de clôture Over My Dead Body, était montée sur les planches pour y danser, chanter et boire avec les musiciens.

Quelques heures avant le spectacle, Le  Délit  a recueilli  les impressions de Luis Clavis, percussionniste  et vocaliste du groupe.

Le Délit: Qu’est‑cque Qualité Motel, et pourquoi avez- vous décidé de créer un projet distinct de Misteur Valaire?

Luis Clavis: Ça a commencé quand on nous a demandé de faire un  DJ set avant  et après  nos  spectacles.  Comme on  n’avait pas envie de  simplement amener un  ordi  et de  lâcher  de  la toune, on  s’est  dit qu’on pourrait faire  un  DJ set tout simple  avec quelques synthétiseurs et une  vieille boîte en bois qui lâche des beats. On a commencé à monter du matériel avec ça, en lâchant des a capella et en remixant des chansons connues mélangées avec des  compositions originales.

Le but  était  d’en  arriver  à une version   légère  de  Misteur Valaire, avec  beaucoup  moins de  responsabilités   et  d’enjeux. Notre  équipement rentre dans   une   auto, on peut jouer là où on ne peut pas avec Misteur Valaire, comme dans les soirées privées.  MV ça prend des gros kits  de  son,  des  gros  stages… Avec Qualité Motel  on ne met pas autant d’énergie au  point de se pitcher sur les murs, mais on en met assez pour faire lever les partys.  Ce soir,  le but c’est qu’il y ait beaucoup de monde et une ambiance déjantée.

LDQu’est‑ce que  cela  représente pour  vous  de faire le spectacle de clôture des RVCQ?

Nicolas Quiazua | Le Délit
Luis: C’est sûr que c’est un honneur, mais c’est surtout particulier parce qu’on joue après la projection du film de Brigitte Poupart. On a eu  la chance de faire la musique sur son film Over My Dead Body, qui porte  sur  la vie de  Dave  St-Pierre [danseur et chorégraphe québécois, NDLR].

Malheureusement on est en spectacle à Châteauguay ce soir avec MV avant le show de Qualité Motel, donc  on n’aura  pas la chance d’être avec Brigitte pour la première de son film. On sait que c’est un gros enjeu pour elle et qu’elle est assez énervée. Elle est habituée de faire mille projets, mais là, que ce soit un film aussi personnel… On se reprend bien justement par le fait que  tout  de suite après  la projection, nous autres on débarque, on s’en vient faire lever le party. On  fait ça aussi  pour Brigitte, pour  la  faire  décompresser.  C’est une  belle manière de faire partie  de la Nuit Blanche et d’être  avec tous ceux qui ont participé à ce film dont on a fait la musique.

LD: Quels sont les prochains projets de Qualité Motel?

Luis: On a commencé le 1er février à faire un album qui doit être fini dans  trois jours.  On s’est donné un  petit  mois  pour faire un  album très, très  vite. Ça donne un  résultat qui  nous a tous  mis  sur  le cul,  vu qu’on ne  se  donne même   pas  le temps de se demander «Est-ce  que ça nous ressemble?», de se remettre en question par rapport à nos mix et à nos compositions. On beurre épais et on ne se gêne pas pour aller dans le gros pop.

Dans trois  jours  il faut  qu’on arrête   de  mixer  et  ça  va sortir   en magasin le 2 avril. On a un gros show à la SAT [Société  des arts technologiques, NDLR] le 7 avril pour fêter le lancement de l’album.

LD: Et que se passe-t-il avec Misteur Valaire?

Luis: On s’est pris un deux semaines  en   campagne,  dans    le coin de la Mauricie, pour composer. C’était  la première fois qu’on com- posait pour Misteur Valaire depuis la sortie de Golden Bombay [le troisième album  du  groupe, sorti   en  2010, NDLR]. On  a  du  nouveau maté- riel  qui  s’en  vient  tranquillement, on va poursuivre la composition en 2012  pour sortir  un  nouvel  album en  2013.  À travers  ça, on  continue les tournées, on  fait encore des  allers-retours vers  l’Europe pour les gros  festivals de l’été, et même  vers d’autres continents éventuellement.

LDÀ  quoi  ressemblera  le son du prochain album de MV?

Luis: C’est sûr qu’on va garder le son  et l’instrumentation de MV. Mais  la façon  de travailler  qu’on a développée avec  Qualité Motel   va influencer MV: on  n’aura  pas  peur de cochonner nos synthés! À travers ça, on  va essayer  de garder  un  coté funky, avec des cuivres et de l’instrumentation acoustique.

Propos recueillis par Raphaël Dallaire Ferland

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Bran Van 3000 dans l’hiver montréalais https://www.delitfrancais.com/2012/02/28/bran-van-3000-dans-lhiver-montrealais/ Tue, 28 Feb 2012 14:27:08 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=11377 Loin d’échauffer la foule, le collectif de James Di Salvio a soufflé une énergie givrée sur un public exalté.

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Fidèle à son habitude, la «grande famiglia» de Bran Van 3000 a transformé la scène  RBC de la rue Ste-Catherine en véritable auberge espagnole. Plus  d’une  dizaine de musiciens se sont  partagés les parties de claviers, saxophone, batterie, percussions, basse,  rap  et chant.

Le pari était considérable: la foule massive qui occupait la Place des  Arts  débordait sur  tout le  Quartier des  spectacles et  était frigorifiée par les bourrasques et l’humidité perçante.

Nicolas Quiazua | Le Délit
Le DJ James  Di  Salvio  a bien tenté  de séduire le public:  d’un  anglais entrecoupé de français  et d’un français presqu’exclusivement fait d’anglicismes, il répétait incessamment sa fierté d’être montréalais.

Par  une  série  de  morceaux moody tirés principalement de l’album  The Garden, Bran Van 3000  est parvenu à installer l’atmosphère. Lorsque le groupe a lancé son succès Astounded, la foule s’est  soulevée et  la fête  a commencée.

Pourtant Di Salvio paraissait épuisé. Le fondateur du groupe essayait  de prendre la place qui  lui revenait en  courant du  micro  aux percussions.  Malgré  les interjections hésitantes  et   impromptues qu’il poussait à tout  bout de champ, les envolées vocales  de la chanteuse canadienne d’origine  haïtienne Stéphane Moraille lui ont volé la vedette.

Nicolas Quiazua | Le Délit
Avant  les rappels, le spectacle s’est conclu maladroitement sur un technicien qui  a pris  cinq  bonnes minutes à visser  des  ailes  de  tissu dans  le dos de Moraille. Mais les «I feel alive!» projetés à répétions par Moraille ont  sauvé la situation: d’abord, par  la puissance de cette envoûtante voix soul; ensuite, parce que  le vent  qui  transformait  la fumée  de scène  en blizzard  et qui mordait le visage des  spectateurs, leur  rappelait à tout  instant qu’ils étaient bien en vie!

Le rappel  Ave Mucho, une  collaboration de  Misteur Valaire  et de Bran Van 3000,  a achevé  de vivifier les spectateurs, qui sautaient et dansaient fort  devant  la scène. BV3 a exploité  toute l’énergie  qui peut  se dégager  d’un  spectacle en plein air dans  l’hiver québécois.

Si James Di Salvio a donné l’impression d’avoir  créé  un  collectif  talentueux qui  pourrait  se débrouiller sans  son  créateur fatigué, Bran Van  3000  a une  fois de plus confirmé son  statut d’institution de la scène  musicale montréalaise.

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Un film qui sent la naphtaline https://www.delitfrancais.com/2012/02/07/un-film-qui-sent-la-naphtaline/ Tue, 07 Feb 2012 14:56:40 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=10909 La Fille du puisatier, d’après Marcel Pagnol: une tentative intéressante mais ratée.

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Le célèbre acteur français Daniel Auteuil propose comme première œuvre un remake du film de Marcel Pagnol La fille du puisatier, sorti en 1940. Le réalisateur reprend les formules devenues classiques dans les films de Pagnol, puis consacrées par Claude Berri dans Jean de Florette et Manon des sources. Les caméras survolent de jolis paysages de Provence, les personnages sont vrais plutôt qu’exubérants, les thèmes musicaux sont poignants.

Gracieuseté des Films Seville

On peut féliciter Daniel Auteuil d’avoir réécrit les passages qui auraient été nécessaires à l’œuvre originale. Lorsque l’assistant Felipe (Fernandel) essaie de convaincre son patron Pascal Amoretti (Daniel Auteuil) que nul autre que lui-même serait le bon prétendant pour Patricia Amoretti (Astrid Bergès-Frisbey), le père possessif met plus longtemps à se laisser gagner, un détail qui augmente la crédibilité du scénario. Par contre, certaines extensions auraient mérité de n’avoir jamais existé: pourquoi faut-il que l’on sache ce que Felipe commande au serveur alors qu’il vient de se faire lâcher par Patricia, qui est allée rejoindre son riche aviateur? Bien sûr qu’il se saoule!

Gracieuseté des Films Seville

L’histoire vieillit mal

Lorsque Marcel Pagnol tournait La fille du puisatier, les Allemands envahissaient la France. C’est  le régime de Vichy qui a censuré un fameux monologue de Patricia Amorett, à propos de la fierté que doivent les Français à leur pays et du besoin de le défendre à tout prix. Daniel Auteuil n’a pas restitué ce passage –en 2011, les enfants de la patrie trouvent-ils anachronique d’honorer la France?

Il semble en effet que l’adaptation gâche l’intention originale de l’œuvre de Marcel Pagnol. En musique, on dit souvent que les silences sont plus importants que les notes: lorsque Jacques fait ses avances à Patricia, embarquée sur sa moto, les silences supprimés suggèrent qu’Astrid Bergès-Frisbey joue un rôle de fille facile, alors que Patricia Amoretti, incarnée par Josette Day en 1940,  représentait toute la pudeur qui convenait aux jeunes femmes du temps.

La pire erreur provient du grand moment d’intensité dramatique écourté –du départ de Jacques jusqu’à son retour– alors que le dénouement est trop long pour la tension accumulée durant le film. En résulte une touche mélodramatique qui était mieux équilibrée dans la version de Marcel Pagnol.

Pour que le film fonctionne, il aurait fallu les mêmes longueurs dans les dilemmes et la détresse qu’avait imaginés Marcel Pagnol.Peut-être que cela n’esl plus possible, vu le marché et l’auditoire actuel. Daniel Auteuil, malgré une créativité évidente dans l’écriture de l’adaptation, ne parvient pas à faire revivre l’œuvre du réalisateur culte de Provence. L’acteur, qui avait connu le triomphe avec Jean de Florette et Manon des sources, a‑t-il visé la consécration en tant que réalisateur en utilisant la même formule? Dans ce cas, il n’y est pas arrivé.

Gracieuseté des Films Seville

Les acteurs 

Astrid Bergès-Frisbey est resplendissante dans le rôle de Patricia Amoretti. Elle convient  mieux à la sensualité contemporaine qu’une Josette Day aux courts frisottis blonds. Nicolas Duvauchelle rate le rôle du pilote Jacques Mazel avec son air hautain et vaseux, inchangé malgré les fluctuations de la tension dramatique –il a l’air de ne jamais comprendre l’ampleur de la situation. Daniel Auteuil joue un père de famille fier, dont le sens de l’honneur surdéveloppé pousse jusqu’à la férocité. Il incarne toute la force mâle d’une époque révolue. Si tous les personnages de La fille du puisatier souffrent des pressions sociales de leur époque, Daniel Auteuil exprime mieux que quiconque le paradoxe qui les accable. Sont-ils tous coupables, Patricia et Jacques à cause de leur union hors mariage, Marie Mazel pour n’avoir pas prévenu Patricia du départ du pilote, le père Mazel et ensuite Pascal pour avoir empêché l’union des deux familles, ou ne sont-ils pas victimes de leur temps? Il s’agit du message crucial de l’œuvre. Et pourtant, le public d’aujourd’hui se moque de ce vieux père misogyne aux propos ridicules qui semblent si anachroniques.

La fille du puisatier, un film important qui nous expose les troubles d’une société prude qui ne peut souffrir les enfants conçus dans le péché, aurait dû rester dans les archives du cinéma français de la Seconde Guerre mondiale. Daniel Auteuil fait pourtant preuve d’un potentiel qui pourrait se révéler dans un deuxième film; il ne lui reste qu’à s’affranchir de son passé.

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Rusalka ou le paganisme lyrique https://www.delitfrancais.com/2011/11/15/rusalka-ou-le-paganisme-lyrique/ Tue, 15 Nov 2011 15:41:51 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=9690 L’œuvre maîtresse d’Antonin Dvorak à l’Opéra de Montréal

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Alors que Vodnik, le maître des eaux, folâtre avec les nymphes sur des berges écumeuses, sa fille Rusalka se morfond de désir pour un prince humain. Sorte de sirène issue de la mythologie slave, cette vierge avide de chaleur humaine est prête à sacrifier son immortalité pour rejoindre la terre des hommes. La sorcière Jezibaba lui propose un pacte fatal: Rusalka rejoindra l’étreinte de son prince et deviendra mortelle, mais restera muette aux oreilles humaines. S’il fallait que son homme la rejette, elle sombrerait dans l’abîme pour l’éternité.

Ainsi se déploie le conte lyrique Rusalka, magnum opus du compositeur tchèque Antonin Dvorak. On se souviendra assurément de cette production comme de la plus audacieuse de la saison. Jamais n’a‑t-on vu un opéra aussi primitif, aussi païen, aussi pur. C’est précisément grâce à la force brute des vagues et des coraux, de la lune et des ronces que l’opéra conquiert son public; dès le premier chant de la sirène, toute résistance s’effondre et l’on se laisse entraîner vers les profondeurs.

Projections visuelles innovantes
La puissance immersive de Rusalka doit beaucoup à la projectionniste Wendall K. Harrington, qui parvient à décupler l’espace scénique par ses décors numériques. Grâce à une toile tendue en arrière-scène, à deux panneaux côté cour et côté jardin, et aux voiles vaporeux tendus au-dessus des chanteurs, le théâtre s’estompe alors que s’amorce une odyssée à travers forêts, nuages et marées.

Mais madame Harrington s’est emportée: la flore se transforme quatre ou cinq fois au cours du même air, alors que les chanteurs sont restés bien campés ‑l’opéra est changé en galerie d’art. Pire encore: alors que des lierres agités par la brise sont projetés sur des rideaux tendus, la toile de fond affiche des quenouilles statiques dignes d’un mauvais jeu vidéo des années 80. Comble de malheur: à travers ce fatras d’immobilité surgit un daim apparemment tiré d’une émission de chasse de la Radio des sports.
Tout de même, les décors sont vertigineux, et la tendance est novatrice. Il ne reste qu’à suggérer des textures plus naturelles et des déplacements plus persuasifs, où le décor change au rythme du pas des acteurs, et l’on aura fracassé les barrières de la scène.

Les chanteurs
L’Opéra de Montréal a rassemblé une fois de plus une cohorte de chanteurs solides qui rendent l’œuvre de Dvorak avec justesse.
La soprano polonaise Ewa Biegas est admirablement détestable dans le rôle de la princesse étrangère qui ravit le prince à la sirène éplorée. La voix de cette méduse en tenue de bal a le tranchant d’une lame d’ivoire, et exhale toute la vanité de l’aristocratie déchue.
La mezzo-soprano roumaine Liliana Nikiteanu interprète la sorcière Jezibaba avec une démence savamment atténuée pour les besoins de l’art noble. Plus que quiconque, elle exploite la langue tchèque avec des inflexions qui rehaussent les couleurs païennes de Rusalka.

Si la prestation du ténor russe Kachatur Badalyan est impeccable, son rôle de prince charmant insipide s’efface sous la prestance mythologique des autres personnages.

Incarné par le Canadien Robert Pomakov, Vodnik se présente comme un pouilleux lubrique pinçant les fesses des nymphes, avant d’évoluer vers la mélancolie noble qui sied au maître des eaux. Sa voix de basse est à faire trembler l’Abysse.

Vient enfin, dans le rôle éponyme, la soprano étatsunienne Kelly Kaduce, qui s’est mérité une ovation pour la prestation vibrante de la Rusalka. La sirène, prise entre le monde humain et sous-marin, entre la vie et la mort, tangue, impuissante, au gré de la fatalité. Contrairement à la vierge des eaux, Kaduce n’a rien de frêle, et son énergie est sublimée dans le désespoir de Rusalka, qui prend dès lors des proportions océanes. Défions quiconque de rester froid au si-bémol final de la «Romance à la lune».

Un libretto massacré
Lorsqu’un librettiste s’inspire de La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, on doit s’attendre à l’une de ces fables puissantes par leur naïveté. Mais par la faute des traducteurs, cette candeur peine à s’exprimer. Le public est affligé de sous-titres dans lesquels les maladresses syntaxiques se succèdent aux incohérences de langage. Comment les esprits de la mythologie païenne de l’Europe du Nord peuvent-ils jurer par Dieu et Satan?

L’incompétence littéraire est compensée par la musique. Le génie de Dvorak ne verse jamais dans la facilité, et toutes les finales majeures sont brisées par un accord mineur, à la manière des vagues qui s’abattent sur les rochers. Deux sections instrumentales se démarquent de l’Orchestre Métropolitain: la harpe de Danièle Habel, censée rappeller le ruissellement de l’eau, et les violons, dont le son crystallin infuse l’air de rayons de lune.

Terminons par un tableau qui cerne à lui-seul tout le paganisme cru et lyrique de Rusalka: alors que la harpe ruisselle et que les violons brillent, la toile de fond ondule, et une lune gigantesque émerge du fond des mers. Au milieu de la nuit, la sirène émerge. Ulysse aurait succombé pour moins que ça.

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Le français s’afrenchit https://www.delitfrancais.com/2011/11/15/le-francais-s%e2%80%99afrenchit/ Tue, 15 Nov 2011 15:31:06 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=9701 Deux études récentes confirment le recul de la langue française dans la sphère privée et dans le domaine public.

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Un survol historique de la question linguistique au Québec montre que l’État québécois a réussi, durant la Révolution tranquille, à entamer un processus de francisation des secteurs publics et privés de la société québécoise. Quelle est la situation aujourd’hui? Deux études parues récemment dressent un portrait inquiétant pour l’état du français dans les sphères privées et publiques.

Un recul à la maison
Une étude commandée par l’Office québécois de la langue française (OQLF) rendue publique récemment montrait que la proportion de francophones dans l’espace privé (excluant les écoles, les milieux de travail et les lieux publics) de la région métropolitaine passerait de 54% en 2006 à 47,5% en 2031. Malgré cette hausse de l’allophonie, la proportion des immigrants choisissant le français comme langue seconde à la maison est en progression. Avec un taux de 51% au recensement de 2006, il dépasse désormais celui des immigrants choisissant l’anglais, estimé à 49%.

Si le nombre d’immigrants choisissant le français a augmenté, c’est à cause d’une politique de sélection mieux ciblée. Ainsi, de plus en plus de nouveaux arrivants maghrébins, haïtiens et autres francophones sont admis au Québec. Comme l’explique Marc Termote, président du comité de suivi de la situation linguistique, «c’est un [signe de] succès de la politique d’immigration, mais ça ne veut en aucune façon dire que c’est un succès de la politique de francisation des immigrants.» Il s’agit d’une césure historique, puisque cette nouvelle politique de sélection diffère de celle des années 1960 lorsque le Québec agençait son immigration selon ses besoins de main d’œuvre, imposant ensuite l’usage de la langue de la majorité dans la province. Alors que l’ancienne approche impliquait une francisation coercitive, la nouvelle approche est préventive.

Christine St-Pierre, ministre de la Culture, attire l’attention sur l’augmentation du nombre d’immigrants n’ayant pas le français comme langue maternelle. Ainsi, si le taux de 51% exposé ci-haut est relatif au nombre total d’immigrants, le nombre absolu d’allophones continue d’augmenter. Le recul du français à Montréal peut ainsi être attribué en partie à la baisse de fécondité des francophones ainsi qu’au vieillissement conséquent de la population.

Parmi les solutions visant à contrer ce phénomène, il existe une tradition souhaitant franciser les immigrants par des mesures à court terme. Par exemple, François Legault et Charles Sirois, de la Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ), argumentent davantage en faveur d’«une réduction du nombre d’immigrants», plutôt que de mettre l’accent sur la francisation de ces derniers.

Une autre tradition a pour objectif de promouvoir la francophonie plutôt que d’entraver l’allophonie. Comme l’explique la présidente de l’Office québécois de la langue française, Louise Marchand, «le mandat de l’Office est de s’employer à faire respecter la Charte [de la langue française] au travail et dans les commerces.» Son pouvoir ne s’étend pas jusque dans les salles à manger et les chambres à coucher.

Un déséquilibre au public
Quelques jours plus tard, l’Institut de recherche sur le français en Amérique (IRFA) présentait une étude intitulée L’offre d’emploi de langue minoritaire des institutions publiques au Québec et au Canada, réalisée par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IREC). C’est l’une des premières fois que des chercheurs portent une attention majeure sur ce sujet. Ils concluent que l’utilisation de l’anglais comme langue de travail dans les services publics québécois et canadiens révèle un important déséquilibre par rapport à son poids démographique.

Ainsi, au Québec, 135 000 travailleurs utilisent principalement l’anglais comme langue de travail dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la fonction publique. Plus précisément, 44% de ces emplois sont occupés par des anglophones, 29% par des francophones et 27% par des allophones.

Le constat est frappant puisque, alors que ce nombre représente 13,9% du total des emplois de ces secteurs dans la province, la réalité est que le poids démographique des anglophones au Québec est seulement de 8,7%. «Les secteurs publics de langue anglaise du Québec comptent 50 000 emplois de plus que ce que l’on pourrait escompter compte tenu du poids démographique des anglophones» explique Henri Thibaudin, auteur de l’étude.

Par le passé, le gouvernement provincial a lancé plusieurs campagnes publicitaires destinées aux commerçants afin d’encourager l’utilisation du français dans leurs affaires. L’étude actuelle s’intéresse toutefois aux emplois qui sont encadrés et soutenus par l’État et des organismes publics. «Ces secteurs d’emploi sont intéressants à étudier puisque, dans une large mesure, les gouvernements y contrôlent la langue de travail» explique Patrick Sabourin, président de l’IRFA. «Il est répandu de blâmer les effets anglicisants de la mondialisation et du commerce international; mais les secteurs publics en sont essentiellement à l’abri!»

Au Canada anglais, un déséquilibre linguistique similaire est observé: la taille du secteur public de langue française est généralement de moindre importance que la population francophone. L’Ontario fait figure d’exception. Le poids du secteur public de langue française y est de 4,9% pour un poids démographique francophone de 4,4%. Cependant, ailleurs au Canada, la situation est navrante. Au Nouveau-Brunswick, c’est un rapport de 31,8% pour 33,4% et de 1,3% pour 2,2% pour l’ensemble des autres provinces. Ainsi, monsieur Thiboutin affirme qu’au Canada anglais «on compte environ 7 000 emplois en deçà de ce qui serait justifié par le poids démographique des francophones».

«Cette étude nous montre que la faible position du français dans les milieux de travail n’est pas qu’une affaire de mondialisation» conclut Patrick Sabourin. «Par le financement des secteurs de la santé, de l’éducation et de la fonction publique, les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux soutiennent directement et indirectement une part disproportionnée d’emplois de langue anglaise, que ce soit au Québec ou dans le reste du Canada. Cette distorsion dans la configuration institutionnelle est au désavantage des francophones partout au pays.»

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Les cupcakes de la colère https://www.delitfrancais.com/2011/11/08/les-cupcakes-de-la-colere/ Tue, 08 Nov 2011 13:20:26 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=9519 Les auxiliaires d’enseignement négocient leur prochain contrat avec McGill.

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Le 3 novembre, une centaine d’étudiants s’alignaient devant les chaudrons fumants de la Midnight Kitchen qui servait sous le soleil. Alors que la soupe populaire se faisait attendre, une poignée de manifestants vêtus de complets solennels ont pris d’assaut les oreilles désarmées des étudiants: «Less TAs, more cupcakes!» scandaient-ils en présentant des plateaux emplis de gâteaux aux couleurs mornes. Ces faux McGill administrators se sont avérés être des syndicalistes venus parodier ladite intransigeance de l’université, tout en distribuant pamphlets et slogans aux midnight kitcheners immobilisés dans l’attente de leur popote végétalienne.

Victor Tangermann

Le Délit présente une entrevue avec Renaud Roussel, président du comité de négociation pour le renouvellement de la convention collective des auxiliaires d’enseignement (AE) de l’Université McGill.

Le Délit: Présentez votre syndicat. 

Renaud Roussel: L’AGSEM (Association des étudiantes et étudiants diplômés et employés de McGill) est le plus grand syndicat du campus et compte un peu plus de 3000 membres. Nous représentons trois groupes d’employés à McGill: les AE, les surveillants d’examen, ainsi que les chargés de cours et instructeurs. Les deux premiers groupes sont actuellement en négociation avec l’administration de McGill. Les AE veulent renouveler leur contrat qui a expiré fin juin 2011 et les surveillants d’examen veulent obtenir une première convention collective. Les chargés de cours commenceront les négociations dans les mois à venir.

LD: Que reprochez-vous à l’administration de l’Université McGill?

RR: D’avoir, jusqu’à maintenant, refusé systématiquement nos demandes principales, comme une augmentation des heures, une hausse de salaire de 3% par année et un nombre limite d’étudiants par classe par exemple. Plus généralement, nous ne sommes pas satisfaits de la politique de l’administration qui n’a pas pour but de valoriser l’enseignement et la pédagogie mais d’améliorer l’image de l’université et de promouvoir la recherche. Nous pensons que tous ces aspects sont essentiels au bon fonctionnement de McGill et que les AE jouent un rôle prépondérant dans la qualité de l’éducation à McGill.

LD: Quelles conséquences vos demandes auraient-elles pour les étudiants de McGill?

RR: Nos demandes visent à améliorer les conditions de travail des AE mais aussi les conditions d’études des étudiants au baccalauréat. Plus d’AE et d’heures pour les AE permettraient d’avoir des classes plus petites et donc une participation plus active des étudiants. Une formation permettrait aux AE de savoir comment noter une copie, comment mener une discussion, comment se comporter avec les étudiants, etc., car, soyons honnêtes, ces qualités-là sont loin d’être innées pour tous les nouveaux AE. Jusqu’ici, la position de McGill est que les AE sont experts dans leur spécialité et n’ont donc pas besoin de formation. Nous pensons au contraire qu’une formation pédagogique est essentielle.

LD: Les AE dont les tâches sont limitées gagnent le même salaire que ceux qui ont les pleines responsabilités de la correction, de la modération des conférences et des cours magistraux. Quelle est votre position par rapport à cette situation?

RR: Nous pensons qu’il est normal qu’un AE qui a pour seule tâche de corriger des copies reçoive le même salaire que les autres AE, car la correction implique une expertise dans un domaine, une connaissance intime du cours ainsi que certaines qualités pédagogiques. Nous défendons toutefois le fait qu’une expérience d’enseignement véritablement enrichissante est une expérience qui comporte une part d’enseignement, et nous nous battons pour que plus de postes complets (180 heures par semestre) soient offerts à McGill.

LD: Quelle est votre relation avec MUNACA? Comptez-vous profiter de la vague créée par la grève des employés de soutien, ou craignez-vous qu’elle ne vous fasse de l’ombre?

RR: L’AGSEM a publiquement déclaré son soutien à MUNACA.  La grève de MUNACA a mis la pression sur l’administration, qui craint probablement qu’un autre groupe entre en conflit. Cela s’est traduit par un changement d’attitude positif à notre table des négociations, mais cela n’a malheureusement pas donné lieu à des propositions concrètes.

LD: Lors de la manifestation de mercredi, Midnight Kitchen avait exceptionnellement décidé de servir à l’extérieur, devant le bâtiment Shatner. Cela vous offrait une longue file d’étudiants qui n’avaient d’autre choix que d’écouter votre message. Était-ce organisé?

RR: Les deux événements étaient en effet coordonnés, car nous pensons qu’il est essentiel que les étudiants connaissent nos demandes! Et puis, ils ont reçu des cupcakes gratuits, qui étaient d’ailleurs bien meilleurs que ceux de l’administration.

LD: Que fera l’AGSEM dans les prochaines semaines?

RR: Le 19 octobre 2011, nous avons obtenu un mandat de nos membres pour faire usage de moyens de pression incluant une série de manifestations et une campagne de sensibilisation. Cela continuera dans les semaines à venir. Prochain rendez-vous, jeudi 10 novembre sur le campus avant de rejoindre la manifestation contre la hausse des frais de scolarité!

LD: Qu’attendez-vous de la communauté étudiante?

RR: Nous avons obtenu le soutien officiel de l’AÉUM et de la PGSS. Nous voulons que tous les étudiants sachent que les négociations ont un impact direct sur la vie étudiante et leur éducation. S’ils adhèrent à nos principes, nous les encourageons à nous soutenir publiquement en assistant à nos rassemblements publics et en portant nos macarons!

Propos recueillis par Raphaël D. Ferland 

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William Shakespeare, 17e comte d’Oxford https://www.delitfrancais.com/2011/11/08/william-shakespeare-17e-comte-d%e2%80%99oxford/ Tue, 08 Nov 2011 13:05:53 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=9534 «Vous et moi, votre famille, votre reine et toute notre époque, passerons à l’Histoire uniquement parce que votre mari coucha ses mots sur papier.»

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N’est-il pas perturbant que l’un des plus hauts piliers de la culture occidentale soit fêlé jusqu’à la moelle? Ce William Shakespeare, qui dérivait sa pitance de l’immobilier, qui n’a laissé aucun manuscrit sauf son œuvre présumée, et dont la signature tremblotante est digne d’un illettré, pourrait ne pas être l’auteur des pièces et sonnets dont la seule lecture redonnerait au pire des cyniques sa foi en l’humanité. Voilà le doute important qu’Anonymous, un film britannique d’un goût discutable, insuffle auprès du grand public.

Artiste inconnu, National Portrait Gallery, Londres
Vers 1559, la reine Élisabeth rencontre l’auteur de A Midsummer Night’s Dream, qui s’avère un jeune prodige d’à peine neuf ans. Éblouie par le talent de ce jeune Édouard de Vere, elle le fait 17e Comte d’Oxford et l’amène à sa cour. Grandissant dans une maison puritaine où les muses sont vues comme des succubes, De Vere est d’abord contraint de faire jouer ses pièces sous couvert d’anonymat. Puisque sa gloire grandissante entraînerait une trop grande curiosité envers ce mystérieux poète, Oxford confie ses pièces au dramaturge Benjamin Jonson, qui à son tour les fait jouer au nom d’un alcoolique illettré qu’on nomme Will Shakespeare.

Lorsque le rideau s’ouvre sur la première de Henry V, le spectateur du film vibre au diapason des badauds du Globe: le Chœur entame son monologue d’ouverture, et tous comprennent que quelque chose dans l’Art vient de changer à jamais. Lorsque Henry V exhorte le public à la veille de la bataille d’Azincourt, on roule des yeux et l’on esquisse un sourire indulgent à la vue des dizaines de bras qui se tendent vers l’acteur. Jusque là, on peut accepter cette vision expressionniste de Shakespeare parvenant à retourner les tripes des spectateurs.

Mais lorsque la salle entière se lance sur scène pour pourfendre les acteurs de l’armée française, on tire la ligne: comment ose-t-on réduire l’héritage de Shakespeare à une série de représentations survoltées dans lesquelles l’appréciation des pièces se témoigne par des réactions caricaturales et extraverties? Dans l’esprit des créateurs d’Anonymous, le génie du Barde doit être exprimé par une catharsis orgiaque ressentie par l’entièreté du Globe. Et bien sûr, fidèle au mépris traditionnel de l’élite, cette hargne naïve et mal placée qui balafre notre époque, le succès d’une représentation se mesure par la force du soulèvement du popolo minuto, et de la répugnance qu’elle encourt auprès de l’aristocratie.

Voilà les seules fleurs à lancer au réalisateur Roland Emmerich: l’esthétique nébuleuse d’une Londres élisabéthaine ainsi qu’une navigation bien maîtrisée à travers six-cents ans d’Histoire et plus de quatre mises en abyme (la narration contemporaine assurée par le grand acteur shakespearien Derek Jacombi, l’époque élisabéthaine, les pièces jouées au Globe et la bataille d’Azincourt en 1415).

Le crime artistique d’Emmerich est d’avoir jugé que le sujet de la paternité des œuvres de Shakespeare manquait en soi d’intérêt pour un auditoire contemporain. C’est pourquoi il alourdit son film d’un fatras d’intrigues politiques douteuses, en suggérant que les mots d’Oxford/Shakespeare changèrent à eux seuls le cours de l’histoire anglaise.

Artiste inconnu, National Portrait Gallery, Londres
Cette historicité massacrée mine la crédibilité du long-métrage: nous faudrait-il croire à une Élisabeth peinte comme une garce qui pestait contre Jacques VI d’Écosse, ce «fils de chienne protestante»? Fi! La correspondance des deux monarques était un bijou de diplomatie dans lequel la reine se confondait en excuses pour le meurtre de Marie Tudor, et dans laquelle Jacques lui accordait son pardon afin d’accéder au trône anglais. Le scénariste John Orloff avance même que les fils illégitimes d’Oxford sont issus d’une union incestueuse avec la propre mère de celui-ci, qui n’est autre que la reine Élisabeth… Dans Anonymous, l’histoire est affublée de toutes les versions alternatives et conspirationnistes, et, dans le cas de cette relation œdipienne, reste sans approfondissement, condamnée à servir de lustre écaillé à une trame narrative grotesque.

Anonymous s’attelle à un sujet noble de la tradition humaniste: le pari était énorme. Aussi leur pardonne-t-on leur vénération sans bornes pour le Barde, dont le seul sobriquet rend grâce à son statut mythique. Mais la mémoire de William Shakespeare vient d’être sous-estimée, on l’a traînée dans une boue infecte faite d’intrigues pitoyables. Le pari est raté.

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Mauves: la nouvelle pop québécoise https://www.delitfrancais.com/2011/10/25/mauves-la-nouvelle-pop-quebecoise/ Tue, 25 Oct 2011 12:46:54 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=9192 Le Délit: Racontez-moi l’histoire de Mauves. Alex: Le groupe s’est formé durant l’été 2008. Je faisais de la musique avec Jean-Christophe, le batteur. Puis Julien s’est greffé à nous après un spectacle un peu trash où on a cassé un orgue… On brasse les instruments à tous les spectacles, sauf qu’habituellement, ça ne casse pas!… Lire la suite »Mauves: la nouvelle pop québécoise

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Le Délit: Racontez-moi l’histoire de Mauves.
Alex: Le groupe s’est formé durant l’été 2008. Je faisais de la musique avec Jean-Christophe, le batteur. Puis Julien s’est greffé à nous après un spectacle un peu trash où on a cassé un orgue… On brasse les instruments à tous les spectacles, sauf qu’habituellement, ça ne casse pas! Ce soir-là, on avait eu un contrat pour un spectacle. Entre-temps, notre bassiste est parti, alors Jean-Christophe et moi allions faire un duo guitare-batterie… jusqu’à ce qu’on trouve un orgue dans la rue qui pourrait palier au manque de qualité de notre musique. Sauf que pendant le spectacle, Alexandre a balancé sa guitare dedans…

Jean-Christophe: Je cruisais déjà la blonde de Julien à l’époque, mais c’est après ce spectacle qu’il a voulu faire de la musique avec nous. Il voulait faire quelque chose de moins trash et d’un peu plus amoureux.

Julien: Il faut dire qu’on se connaissait déjà: on est tous des gars de Limoilou, on a joué au soccer ensemble, Alexandre est le frère de Cédric…

Gracieuseté de Julien Déry

LD: Comment décririez-vous le son de Mauves?
Julien: Mauves est vraiment né lorsqu’on a découvert l’album Jaune de Jean-Pierre Ferland. Au départ, on composait bilingue et on jouait du rock plus brut. Après Jaune, on a commencé à écouter les vieux vinyles de nos parents, et on s’est rendu compte qu’il y avait des compositions géniales dans la musique québécoise. Alors c’est devenu un défi stimulant d’éprouver l’écriture francophone sur notre musique à sonorité anglo-saxonne.

Alex: On s’inspire de l’approche des Beatles, qui étaient vraiment libres lorsqu’ils composaient. À part les constantes harmonies vocales de Lennon-McCartney, le reste changeait tout le temps. C’est ce qu’on veut faire: pousser nos idées à fond, sans poser de barrière à notre imagination. La pop est le style idéal pour cela: elle enveloppe le jazzy, le rock, et même le metal; la palette est variée.

Jean-Christophe: Fondamentalement, on n’est pas des musiciens: on a appris à jouer en composant. Au début, nos chansons sont nues, elles n’ont qu’une mélodie; c’est elle qui dicte le nombre et la tonalité des vers. On a donc un rapport particulier avec la chanson: la musique est la base de l’écriture.

LD: Lorsqu’on écoute Cinéma Plymouth, on entend presque les fantômes de John Lennon et de Brian Wilson. Comment votre musique innove-t-elle par rapport au son des années 60 et par rapport à la musique d’aujourd’hui?
Alex: Je pense qu’on ne révolutionne rien. Ce style qu’on essaie de saisir, la belle époque des Beatles et des Beach Boys, n’a duré que quelques années. Tout ce que cette «pop libre» promettait s’est terminé avec l’apparition de nouveaux styles comme le hard rock et le folk rock. Notre idée n’est pas révolutionnaire, mais n’a pas été assez poussée.

LD: Quel espace musical comptez-vous remplir sur la scène québécoise actuelle?
Julien: Dans la pop québécoise, l’influence musicale dominante vient d’artistes comme Radiohead et Patrick Watson. Notre influence vient plutôt de la vieille pop britannique et américaine: les Zombies, les Kings, les Monkeys et autres groupes obscurs. Le rétro n’est pas très présent au Québec, et c’est là que Mauves embarque.

LD: Pourquoi avez-vous choisi le nom Mauves?

Alex: C’est en référence à l’album Jaune. On voulait un nom d’un seul mot et qui évoquait quelque chose de fort.

Julien: C’est un hasard que la mauve [la fleur, NDLR] guérisse les maux de gorges, ça n’a pas de rapport avec les harmonies vocales. La couleur mauve reflète la pop, c’est pétillant, c’est vivant.

LD: Quels sont vos projets dans un avenir proche?
Julien: On va préparer un prochain disque, c’est sûr, mais on va le faire différemment. Cinéma Plymouth a été enregistré sur trois ans. Le style a eu le temps d’évoluer, et on avait peur que l’album sonne comme une compilation. Au final, on a réussit à créer un tout par l’ordre des chansons et par la thématique de l’album, mais pour le prochain disque, on va s’enfermer en studio pendant deux semaines, en jouant de huit à huit, pour toujours être dans le bain.

LD: Si je vous comprends bien, vous croyez à l’élan artistique?
Alex: Oui, plutôt. Quand on commence à composer, il y a un enivrement, il faut terminer la chanson à tout prix, et il n’y a rien de pire que de quitter le studio en plein milieu.

J‑C: Mais il ne faut pas non plus croire au mythe du dieu qui descend pour nous donner la toune sur un plateau d’argent. On travaille nos suites d’accords, nos harmonies vocales, nos mélodies, et une fois que tout cela est placé, alors on peut se laisser aller dans l’exploration de sonorités diverses.

LD: Tirerez-vous une leçon de l’histoire de Misteur Valaire pour pouvoir vivre de votre musique?
Alex: Misteur Valaire, c’est un spectacle énorme où le disque n’est que la carte de visite. Ils vivent des revenus de leurs shows. Nous, on est des tripeux de studios, on aime gosser sur nos compositions, mais ce n’est pas ca qui est payant. La réalité d’aujourd’hui, c’est qu’il vaut mieux faire deux semaines d’enregistrement foireuses avec huit mois de tournée. On vise un compromis entre les deux.

LD: Que se passe-t-il avec Mauves dans les prochaines semaines?
Cédric: D’abord, on lance notre album le 25 octobre au Quai des brumes, à Montréal. Après le lancement, on fera quelques shows à Québec. Ce qu’on voudrait vraiment, c’est de faire des grosses premières parties, comme celles de Malajube, de Karkwa, de Jimmy Hunt, ou même de Robert Charlebois.

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Mascarade funèbre https://www.delitfrancais.com/2011/10/18/mascarade-funebre/ Tue, 18 Oct 2011 15:24:27 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=8997 Les cieux éventrés par l’orage se déversaient sur Édouard et Ruben. Les deux frères avançaient, recroquevillés sous le vent qui leur fouettait les flancs, vers un immense manoir néo-gothique qui reposait au faîte d’une colline boisée.

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Sur le seuil de la porte, Édouard regarda son grand frère Ruben qui humait l’air en tous sens, en agitant son imposante crinière comme une marée d’algues noires. Édouard écarquillait les yeux sous la pluie pour ne pas manquer un seul des mouvements de son ours de frère. Soudain Ruben lui serra l’épaule. La foudre dans le regard, il lui dit: «Je te l’ai toujours promis, petit frère. Le temps est maintenant venu.» De sa main libre, il poussa le battant de la grande porte et poussa Édouard dans la gueule du manoir.

À l’intérieur, une salle de bal pullulait d’invités. L’éclair d’un unique candélabre pendu au centre du plafond révélait une atmosphère poussiéreuse d’où cavalcadaient les silhouettes comme dans un théâtre d’ombres chinoises. Au fond du hall, une dizaine de Léviathans de marbre surgissaient à la base de deux immenses escaliers qui perçaient le plancher et s’élevaient en spirale jusqu’à un nombre d’étages inconcevable. Les invités, tous en chair et en os, certains plus en os qu’en chair, saturaient la salle entière d’une odeur de viande en putréfaction. La plupart s’étaient engagés dans une danse tournoyante sur les larges marches des escaliers. Un homme en habit d’arlequin se tenait à l’embrasure de la porte, une main serrée sur sa propre gorge. Lorsqu’il vit les deux frères, il s’élança vers Ruben en poussant un tonitruant cri de joie. Les deux hommes rirent chaleureusement en se serrant la main. L’arlequin, en prenant de ses deux mains celle de Ruben, avait laissé grande ouverte la large fissure qui lui ceignait le cou. Un flot de sang noir s’écoulait encore de sa gorge lorsqu’il se tourna vers Édouard: «Enchanté, maître Édouard! On m’a souvent parlé de vous. Je suis le baron Sanche, et je vous prie sincèrement de vous joindre à nous en cette funèbre soirée.»

Édouard lui serra distraitement la main, les yeux écarquillés et la nausée au cœur: derrière le baron Sanche se trouvaient des tables où s’alignait un grotesque buffet consommé par des êtres au visage rongé jusqu’à l’os. Au centre de la table, un sanglier déployait ses entrailles où festoyait une mare d’asticots. Une horde de mains en lambeaux déchiraient la bête de leurs serres de charognards. Dans les assiettes s’étalaient un véritable potager de pourriture, un pot-au-feu de pestilence. Au-dessus des mangeurs volaient des souris mortes et des crânes de chats, projetés par des bouffons masqués et squelettiques qui jonglaient à chaque extrémité de la table.

Le baron Sanche prit congé en se courba d’une respectueuse révérence, puis retourna danser avec la macabre assemblée. Édouard, en s’avançant à pas incertains à travers la macabre assemblée, s’enfonça dans un énorme kyste vêtu d’une robe de soirée bleu poudre.

«Bonsoir, seigneur Édouard, dit le kyste. Tu ne te rappelles probablement pas la dernière fois où nous nous sommes rencontrés. Je suis madame Öklesse… je suis ravie de te revoir enfin.»

La grosse dame s’éloigna tandis qu’Édouard la regardait valser d’invité en invité, en traînant avec elle une énorme épée enfoncée dans son crâne selon une parfaite ligne verticale. «Pour seule fin d’ornement» disait la dame.

Édouard tenta de s’approcher de la table mais fut assailli par une meute d’enfants qui laissaient sur leur passage une traînée de morceaux de peau et de doigts minuscules, comme autant de petits poucets en décrépitude. À cheval sur leur monture, composée d’une tête chevaline montée sur un pieu en bois, ils effleuraient Édouard dans leur charge épique vers la nourriture. Les gamins atteignirent un majordome assis à table, qui bondit aussitôt sur ses pieds et se précipita vers les deux frères.

«Je suis André de Vébaire. Bienvenue! Nous vous attendions depuis longtemps!»

À ces mots, plusieurs se retournèrent et levèrent leur chapeau en souriant. À de nombreuses reprises, la tête se souleva au-dessus du corps en même temps que le chapeau. André de Vébaire toisait Édouard et Ruben avec un demi sourire. En réalité, il n’aurait pu faire autrement étant donné la moitié du visage qu’il lui manquait. L’autre moitié était recouverte d’une bande de cuir clouté qui lui recouvrait le front et les yeux, avant d’aller s’enrouler autour de son demi-crâne. Le bandeau retenait tant bien que mal la masse cérébrale qui se liquéfiait à travers les pores du cuir.

«Si vous me le permettez, messeigneurs, je vais vous guider jusqu’à la chambre des maîtres.»

Édouard et Ruben s’engagèrent à la suite de Vébaire. Les trois hommes se dirigèrent vers l’un des deux escaliers, puis se frayèrent un chemin entre les danseurs. Les partenaires de danse, bien qu’ils valsassent sans se déplacer, restaient étrangement nobles dans leur fixité; des geysers de grâces issus des fleurs du tapis rouge. Ruben désigna les portraits mangés aux mites qui ornaient chacun des pans de mur au-dessus de chaque marche. «Oncle Werben… tante Zinar, cousine Alaistair…», marmonnait-il, absorbé par lui-même. Puis il sursauta et se tourna vers son frère:

- Ah, Édouard! Tu te souviens de nos parents morts dans cet accident de carriole, n’est-ce pas?

- Ruben, voyons, comment pourrais-je…

- Eh bien, les voilà!

- Ruben avait défoncé d’un coup de pied la porte de la chambre des maîtres. À l’intérieur, une carriole déglinguée gisait sur les carcasses de quatre braves chevaux qui n’avaient connu que le devoir. Dans l’amas des corps chevalins, les parents d’Édouard étaient nichés langoureusement. À la vue de leur enfant, ils s’animèrent simultanément d’un chaleureux sourire. La mère ouvrait les bras et penchait la tête vers le bas, une roue de la carriole enfoncée dans la nuque. Le père avait la gorge transpercée d’un essieu. Il s’exprima d’une voix métallique:

«C’est si bon de te revoir, mon fils. Bienvenue chez toi, seigneur Édouard.»

Édouard, les larmes aux yeux, laissa tomber son paletot d’écolier, dévoilant ainsi les huit trous de balles qui rougissaient sa chemise blanche. Puis il s’élança pour embrasser ses parents. Ruben hoqueta d’un rire ému, rangea son fusil, puis se joignit à l’étreinte familiale.

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Quand l’Art pénètre une église presbytérienne https://www.delitfrancais.com/2011/09/27/quand-l%e2%80%99art-penetre-une-eglise-presbyterienne/ Tue, 27 Sep 2011 11:56:50 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=8696 Pourvu de son nouveau bâtiment Claire et Marc Bourgie, le Musée des Beaux-Arts de Montréal se targue d’être le premier musée du Québec, et se classe désormais parmi les grands temples de la culture occidentale.

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Dans la foulée de son 150e anniversaire, le Musée des Beaux-arts de Montréal ne cesse de croître en ampleur et en rayonnement. Ce mois-ci, l’inauguration du pavillon Claire et Marc Bourgie vient de faire entrer le Musée au panthéon des hauts lieux culturels de l’Amérique du Nord. D’où l’enthousiasme de Nathalie Blondil, directrice et conservatrice en chef: «Ainsi monumentalisée dans un théâtre de la mémoire, la collection d’Art québécois et canadien du Musée se singularise par sa profondeur historique […] et géographique».

Gracieuseté du Musée des Beaux-Arts

Qu’est-ce qui fait de ce musée le plus important au Québec? Jacques Des Rochers, conservateur de l’Art québécois, canadien et autochtone, répond avec fierté: «Au cours des derniers 150 ans, le Musée s’est maintenu et n’a jamais cessé de grandir, ce qui est incomparable pour un musée des Beaux-Arts. Si l’on pense à la Pinacothèque de l’Université Laval, le projet a été éphémère et a été absorbé par le Musée de la civilisation. Non seulement notre musée a‑t-il la plus grande superficie de tous les musées du Québec, mais il est aussi l’un des plus anciens en Amérique –encore plus que le Musée des Beaux-Arts de Boston ou le Metropolitan de New York».

En plus d’être le porte-étendard de nos artistes, le Musée est un gardien de notre patrimoine. Il a remporté son plus récent combat avec la sauvegarde de l’église Erskine, un bâtiment centenaire de confession presbytérienne désigné «lieu historique national», qui avait été fermée et désacralisée en 2004. Après le départ de son dieu, c’est maintenant l’Art qui impose son crédo derrière les murs néoromans de l’église Erskine. L’orgue a fait place aux pianos et aux clavecins, et c’est le jazz et la musique symphonique qui feront désormais résonner la nef, convertie en une salle de spectacle de 444 places.

Gracieuseté du Musée des Beaux-Arts

Six niveaux d’Art québécois, autochtone et canadien
La consécration d’un nouveau bâtiment renfermant six-cents œuvres réparties sur six niveaux est une entreprise de 42,4 millions de dollars, dont 19,4 millions ont été assumé par le gouvernement du Québec, et 13,5 millions par le gouvernement canadien. Nommé d’après un couple de mécènes, le pavillon Claire et Marc Bourgie fait 50 125 mètres carrés de superficie. «Nous avons insufflé une nouvelle vigueur à la culture québécoise et canadienne, qui était sous-représentée au Musée» souligne Nathalie Blondil. Jacques Des Rochers compense l’omission de Madame Blondil en ajoutant que «l’Art des Premières Nations est représenté à chaque étage».

C’est effectivement l’œuvre du peintre cri Kent Monkman qui porte une première claque à la sensibilité du visiteur. Situé sur l’étage «Identités fondatrices 1700–1820», le tableau Les Castors du roi est une orgie de chair et de sang qui porte au premier plan un Amérindien extirpant du cœur d’un castor étranglé son poignard au pommeau en fleur-de-lys. Si le style se veut un clin d’œil à l’Art du 18e siècle, les expressions ensauvagées des Amérindiens rappellent les tendances maniéristes de la Renaissance, alors que les couleurs sont si palpitantes et percutantes qu’on croirait que le cartoon s’est immiscé (avec brio) dans les Beaux-Arts. À lui seul, le tableau vaut la visite.

Un dernier éloge à l’étage «L’Époque des salons 1880–1920», témoin d’une ère où nos artistes allaient étudier dans les académies européennes pour ramener au pays le savoir-faire du Vieux Continent. Les murs saturés de paysages romantiques feraient pâlir Caspar Friedrich, tandis que la plateforme centrale déploie quelques pièces maîtresses de la sculpture d’ici. L’essence de la salle est capturée par la Bénédiction des érables de Suzor-Côté: sur ce tableau se déploie une procession de prêtres et d’acériculteurs invoquant la providence divine sur les sentiers enneigés d’une érablière. Après avoir effleuré quelques nouvelles vérités sur la conscience d’un peuple, on quitte le pavillon le cœur empli d’hiver, en portant en nous le froid d’être canadien français.

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Qui a peur de Mordecai Richler? https://www.delitfrancais.com/2011/09/12/qui-a-peur-de-mordecai-richler/ Tue, 13 Sep 2011 03:12:47 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=8355 Entrevue avec Louis Hamelin, premier écrivain en résidence Mordecai Richler du département de langue et littérature française à McGill.

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Le Délit: Comment vous sentez-vous d’être de retour à McGill?
Louis Hamelin: Cela me fait un petit velours, c’est sûr. Il y a de l’eau qui a coulé sous les ponts depuis le temps où j’étudiais au campus MacDonald. Je suis sorti de McGill comme biologiste, j’y reviens comme écrivain! Comme je l’ai écrit dans mon livre sur la crise d’octobre [La Constellation du Lynx, NDLR], McGill est un bastion de l’establishment anglophone. Mais comme je suis Montréalais de cœur, je suis sensible à la réputation de l’université.

Gracieuseté de Louis Hamelin

LD: Qu’est-ce qu’un écrivain en résidence?
LH: Il s’agit d’une formule importée, je pense, des États-Unis, par laquelle une faculté s’attache un écrivain qui devient un consultant en littérature. L’écrivain reste disponible auprès des étudiants et des professeurs, par exemple en venant parler de son expérience littéraire dans les salles de classe. Quant à moi, je donnerai aussi un atelier d’écriture narrative. L’essentiel est vraiment de venir partager avec les étudiants mon rapport à la littérature.

LD: En quoi le programme d’écrivain en résidence Mordecai Richler se distingue-t-il?
LH: La grande nouveauté est qu’il s’agit d’une double résidence avec Kathleen Winter [une écrivaine canadienne anglophone, NDLR], ceci afin de refléter le caractère biculturel de Montréal. Ensuite, la Faculté des Arts de Mcgill présente le programme sous le patronage de Mordecai Richler [un écrivain canadien anglophone provocateur, NDLR]. Cela n’est pas sans ambiguïté politique: après tout, Richler s’en prenait à la Loi 101!

LD: Que représente Mordecai Richler pour vous? Quel effet cela vous fait-il d’avoir été choisi en son nom?
LH: Cela pourrait en surprendre plusieurs, mais je considère que le pays que je partage avec Mordecai Richler n’est ni le Québec ni le Canada: c’est la littérature, c’est le territoire du roman. Je vais vous donner un exemple: Gaston Miron, un grand poète national, a reçu en 1985 le Prix Molson. Pour la remise du prix, il y a eu une cérémonie au Ritz-Carlton, l’antre de Mordecai Richler. Monsieur Richler a interpellé Miron, qui s’est empressé d’aller le saluer. Lorsque Miron est revenu vers ses amis, certains d’entre eux lui ont dit qu’il venait de serrer la main du diable. Miron a répondu qu’un écrivain avait serré la main d’un écrivain, et c’était tout.

Je respecte de nombreux auteurs même si nos opinions divergent. J’ai beaucoup débattu de ces sujets avec Dany Laferrière et même avec Noah Richler, le fils de Mordecai, mais cela ne m’a pas empêché d’obtenir le poste! J’estime avoir le droit d’être en désaccord avec Mordecai Richler, tout en le reconnaissant comme un grand romancier qui m’a beaucoup influencé. C’est sur le Richler littéraire que sera mis l’accent durant cette résidence, afin de perpétuer la mémoire de l’écrivain.

LD: Voulez-vous dire que c’est un Hamelin littéraire qui représentera un Richler littéraire, en mettant de côté le politique?
LH: Non, une séparation aussi nette est difficile à faire. Et puis je ne suis pas ici pour faire de la publicité post-mortem à Richler, ni pour «marcher dans ses traces» –malgré ce que disent les communiqués de presse. Il ne faut pas avoir peur de parler de politique, tout en sachant la différencier de la littérature. Après tout, Céline était un fervent antisémite, et Sartre était aveuglé par l’utopie soviétique. Ceux qui ne peuvent différencier l’homme de l’écrivain ne peuvent pas reconnaître le génie de Céline et de Sartre. Je crois que cette distinction est nécessaire.

LD: Avez-vous des projets qui concernent Richler lui-même?
LH: J’aimerais organiser un colloque qui s’intitulerait «Qui a peur de Mordecai Richler?» avec des intellectuels canadiens anglophones et francophones. Après tout, le personnage est d’un grand intérêt: ssorte de rebelle et de provocateur qui se mettait à dos l’establishment, il fréquentait néanmoins la bonne société. Être un satiriste féroce ne l’empêchait pas d’avoir des ambitions sociales.

LD: Devrait-on ostraciser Richler pour ses positions anti-québécoises?
LH: Avant de répondre à cette question, je vais relire son Oh Canada! Oh Quebec! D’après ce que je sais de sa personnalité, je soupçonne que son intention était de provoquer. Dans tout les cas, je suis sûr qu’un homme comme Richler peut stimuler le nationalisme québécois par le débat qu’il crée.

Et à vrai dire, j’aurais adoré croiser le fer avec Richler de son vivant. J’ai une haute estime de la polémique littéraire: je la vois comme un duel d’escrime qui comporte un code d’honneur implicite. Lorsque civilisés, les opposants s’affrontent, puis se serrent la main.

LD: Continuerez-vous à écrire cette année?
LH: J’essaierai de consacrer trois ou quatre jours par semaine à l’écriture, entre mes ateliers et la lecture des écrits de mes étudiants. Je suis père de famille et j’ai un bébé de dix mois qui rentrera bientôt à la garderie: cela devrait me laisser plus de temps pour écrire!

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Une cour des miracles au cœur de Montréal https://www.delitfrancais.com/2011/09/06/une-cour-des-miracles-au-coeur-de-montreal/ Tue, 06 Sep 2011 13:42:35 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=8145 Avec l’exposition Quartiers disparus, le Centre d’histoire de Montréal donne la parole aux résidents passés par les bulldozers de la Révolution tranquille.

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Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe doit renaître et se reconstruire. Lorsque l’Amérique lui emboîte le pas, l’Occident entier semble faire le pari de la modernité: on rêve d’espace, de loisirs et de gratte-ciels. À Montréal, le maire Jean Drapeau souhaite éradiquer l’un des plus grands symboles de l’industrialisation des siècles derniers: le taudis. Mais à la différence des métropoles européennes, Montréal n’a jamais croulé sous les bombes. Pour se rebâtir à l’image du nouveau monde postindustriel, la métropole québécoise doit donc d’abord passer sous les bulldozers. C’est ainsi qu’entre 1950 et 1970, 25 000 Montréalais perdent leur logis. Au Faubourg-à‑M’lasse, 600 familles sont délogées. À Goose Village, 330 logements sont démolis. Dans le Red Light District, 4041 personnes sont expropriées.

Gracieuseté Centre d’histoire de Montréal

Une exposition dont vous êtes le héros
Ce sont ces victimes de la modernisation que Catherine Charlebois et Stéphanie Lacroix, coordinatrices de l’exposition, tentent d’introduire dans la mémoire collective des Montréalais. Les Quartiers disparus reprennent vie grâce à quarante-trois entrevues réalisées auprès de cinquante-cinq anciens résidents, intervenants de l’époque et experts d’aujourd’hui. C’est aussi une panoplie de reliques audiovisuelles tirées des Archives de la ville de Montréal.

Lorsqu’on choisit comme sujet trois quartiers démolis pour leur laideur et leur insalubrité, il est difficile de créer quoi que ce soit de tape-à‑l’œil, ni même de très accessible. Sauf les quelques images dispersées çà et là, les témoignages sont le cœur de l’exposition. Pour en retirer quoi que ce soit, il faut s’asseoir une quinzaine de minutes avec les anciens résidents, prendre les écouteurs, découvrir leur histoire et s’immerger dans leur réalité. Plus qu’une exposition, il s’agit d’une expérience interactive, d’un dialogue avec des survivants d’une époque révolue. Aucune paresse intellectuelle n’est admise.

Si l’on conçoit les Quartiers disparus comme une exposition traditionnelle, la quantité d’opinions contradictoires qui y sont présentées la rend schizophrène: on nous accable d’abord de la misère et du fatalisme de ceux qui errent en vain à la recherche de leur maison d’enfance disparue, on continue avec des experts qui décrient la Révolution tranquille en la peignant comme une grande modernisation par laquelle notre héritage a «pris le bord», on poursuit avec un autre expert qui justifie la destruction des taudis et fait l’éloge du fonctionnalisme moderne, pour finir sur le plus long vidéo de l’exposition (19 minutes), qui n’a rien d’historique, mais s’avère être une exhortation à l’activisme social.

Les Quartiers disparus n’ont donc rien de naïf, ni même de particulièrement agréable. Si on les conçoit plutôt comme une tribune citoyenne, alors on y trouve de quoi se forger une opinion éclairée sur le futur de Montréal.
Si le devoir civique vous appelle, voici un aperçu de ce que les Quartiers disparus vous réservent.

Gracieuseté Centre d’histoire de Montréal

Trois faces cachées de Montréal
Au Faubourg-à‑M’lasse, situé entre les rues Dorchester, Papineau, Craig et Wolfe dans le Montréal des années cinquante, deux silos à mélasse trônent autour de manufactures, ateliers et usines de toutes sortes. La population défavorisée du Faubourg-à‑M’lasse, avide cliente de cette substance sucrée bon marché, s’entasse à plusieurs dizaines de personnes par chambre. Les toilettes sont le plus souvent extérieures et communes. Lorsqu’un trou creusé dans une cour intérieure se remplit, on en creuse un autre, et sur la première latrine apparait un nouveau taudis. Selon Guy Pauzé, ce n’est pas que l’insalubrité, mais aussi la violence qui  accable les faubourgeois. La femme de Monsieur Pauzé se souvient de ce Chinois dont la vitrine de dépanneur éclatait en morceau chaque semaine. Au Faubourg, les conflits se règlent par des duels de coups de poings.

À l’ombre du pont Victoria, le Goose Village se coince entre le fleuve et les industries. Nommé d’après l’époque où les Sœurs Grises y élevaient des oies, le village a accueilli des immigrants irlandais et italiens au milieu du 19e siècle, certains fuyant la famine, tous cherchant un emploi sur la voie commerciale du Saint-Laurent. Aucun arbre ni aucune pelouse au Goose Village: les routes sont en terre et l’air est saturé des effluves des bêtes écorchées à l’abattoir. Ceux qui étendent leur linge blanc lorsque les bateaux déchargent à Dominion Coal le retrouvent noirci par la poussière de charbon. Et pourtant, Adolf Diorio se souvient que les gens étaient tellement «tissés serrés» qu’une marche «de santé» de quelques mètres prenait trois heures. Le samedi, on affuble les rues de guirlandes improvisées, l’heureux propriétaire d’un Winnebago fait jaillir la musique du radio de son tableau de bord, et l’on danse jusqu’au matin.

Le jour, entre Saint-Dominique, Ontario, Sanguinet et Sainte-Catherine, les enfants courent entre les jambes des prostituées, tandis que les mendiants discutent avec les résidents accoudés aux fenêtres. Puis la nuit tombe, et la lumière des néons inonde le Red Light District. Le jazz et les rires font vibrer les cabarets, et le bruit des «bobépines» frottées sur les persiennes indique qu’une fille de joie est prête à recevoir de la compagnie. On se souvient en particulier du 312, un bordel notoire de soixante-quinze courtisanes qui était, durant la Seconde Guerre mondiale, le principal vecteur de maladies transmissibles sexuellement des soldats européens.

Tout cela doit changer lors de l’élection de Monsieur Montréal en 1954. Le maire Jean Drapeau maintenait que, de toutes les plaies d’une société, l’existence des taudis était la plus pernicieuse. La Presse le soutenait par l’une de ses fameuses campagnes de propagande: on publie des images d’enfants en haillons et on raconte les histoires «d’un peuple [qui] vit ici sans espace et sans joie». Peu à peu, des résidents trouvent dans leur boîte aux lettres un avis leur ordonnant de quitter leur domicile à cause «d’un nouveau projet immobilier». En 1955, 5000 résidents du Faubourg-à‑M’lasse sont délogés pour faire place au quartier général de Radio-Canada. Deux ans plus tard, on démolit le Red Light District pour bâtir les habitations Jeanne-Mance. En 1964, Goose Village est rasé pour l’Autostade d’Expo 67. Aujourd’hui, on y trouve un stationnement.

En insistant sur la conscientisation des visiteurs, les coordonatrices de Quartiers disparus omettent de dire ce qui est arrivé aux expropriés. À croire qu’on les a engloutis sous une mer de béton et de bitume. Pessimistes face à l’urbanisme contemporain, les elles exhortent à refaçonner le paysage montréalais de manière citoyenne et écologique. Bien que l’intention soit louable, on y présente un idéal de vie de quartier qui ne peut qu’exacerber un grand problème d’actualité, soit l’éclatement de Montréal en un agrégat de secteurs et de diasporas désarticulés. Au moins Jean Drapeau et ses «grands projets» avaient-ils créé une fierté d’être Montréalais, fierté qui s’effrite aujourd’hui. Une approche moins partisane que celle de Mesdames Desbois et Lacroix aurait pu permettre de combiner cette «revitalisation organique» de Montréal à la réunification de ses citoyens.

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Un prince vengeur dans un monde qui s’écroule https://www.delitfrancais.com/2011/03/15/un-prince-vengeur-dans-un-monde-qui-s%e2%80%99ecroule/ Tue, 15 Mar 2011 17:04:42 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=7087 Le jeune acteur Benoît McGinnis triomphe dans une poignante version de la tragédie d’Hamlet, mise en scène par Marc Béland au Théâtre du Nouveau Monde.

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Quelque chose est pourri dans le royaume du Danemark. Le corps du roi défunt est à peine refroidi, que son frère Claudius prend sa place et se marie avec sa veuve, Gertrude. Le jeune prince Hamlet est brutalement extirpé du sanctuaire de l’enfance pour être projeté dans le monde adulte, celui des intrigues et des cruautés. La tragédie d’Hamlet, prince du Danemark, est imprégnée des angoisses de l’ère de Shakespeare, celles d’une Angleterre émergeant des brumes du dogme chrétien pour entrer dans la Renaissance, où l’humain doit faire face aux incertitudes du monde.

Yves Renaud
L’interprétation du metteur en scène Marc Béland exploite quelques thèmes intemporels de la tragédie: dans l’obscurité du TNM, les spectateurs suivent les comédiens dans un tourbillon de déchéance où tous les personnages ont deux visages, où nul ne peut faire confiance aux autres et où les espoirs sont brisés par l’envie et la méfiance. Un spectacle intense d’où l’on sort sous le choc, comme frappé par ce destin incertain et inexorablement tragique.

Pourtant, l’intensité de la pièce met du temps à se déployer. À la cour du roi Claudius, les personnages sont statiques et déclament toujours sur le même ton. Il s’agit d’un problème récurrent du théâtre québécois, surtout chez les jeunes acteurs: ils répètent la méthode inculquée au Conservatoire et l’appliquent à n’importe quel type de personnage. Vous savez, cette voix tendue, un peu rauque, toujours solennelle, qui semble s’écrier à chaque réplique: «Monsieur le Président, la Maison-Blanche est attaquée!». Rien de mémorable, donc, du côté des rôles de Laertes, Fortinbras et Horatio. Même Benoît McGinnis (Hamlet), les cheveux bien léchés, livre son premier monologue les pieds fixés au sol et la voix égale.

Toutefois, passées les premières scènes, McGinnis se déchaîne: il prend la scène d’assaut, il est partout à la fois, et il crache ses répliques comme un venin. Un Hamlet solide. D’autant plus que ce rôle est peut-être l’un des plus exigeants du théâtre, puisque l’acteur ne campe pas une personnalité fixe: la tragédie entière dévoile l’évolution du jeune Hamlet, exilé de l’enfance comme Adam de l’Éden, qui doit devenir un homme en se faisant le vengeur de son père. C’est là où McGinnis brille: plus l’enfant devient vengeur, plus la performance de l’acteur s’intensifie. Au fond, le jeu uniforme de certains acteurs ne fait que rendre plus flamboyante l’aliénation progressive de l’Hamlet de McGinnis.

John Everett Millais

Une autre figure mérite attention: l’Ophélie de Shakespeare. L’actrice Émilie Bibeau offre à la frêle pucelle une voix chaude, rocailleuse et méditerranéenne, tout en conservant la pureté du personnage. Et pourtant, tout est gâché. Ophélie, la «vraie», conserve sa grâce même dans la folie: d’une douceur éthérée, la jeune fille voltige d’un personnage à l’autre en distribuant des fleurs. Or, l’Ophélie de Bibeau, une fois devenue folle, se met à pousser des cris nasillards au visage des acteurs et se masturbe sur les planches du théâtre. Que le coupable soit l’actrice, le metteur en scène ou le conseiller dramatique, ils n’avaient pas le droit de faire cela. Ophélie est un pilier de la culture occidentale, une ode à la féminité. Qu’on fasse subir ce traitement à n’importe quelle reine, mais pas à Ophélie! De grâce, avant d’aller voir la pièce, imprégnez-vous des vers de Rimbaud, contemplez longuement le tableau de Millais, et contribuez ainsi à conserver la mémoire d’Ophélie intacte et inviolée dans l’imaginaire collectif.

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Voyage millénaire dans une Chine pétrifiée https://www.delitfrancais.com/2011/03/01/voyage-millenaire-dans-une-chine-petrifiee/ Tue, 01 Mar 2011 21:14:02 +0000 http://www.delitfrancais.com/?p=6638 Au Musée des beaux-arts, L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite dévoile ses soldats d’argile dans une exposition couvrant plus de mille ans d’histoire chinoise.

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En 1974, des paysans chinois font une découverte inattendue: en creusant un puits, ils découvrent une armée de soldats en terre cuite hauts de plus de deux mètres. Les archéologues retrouvent ainsi la fameuse tombe du premier empereur de Chine, enterré avec 8000 de ses soldats de terracotta. C’est dans ce mausolée de la province de Shaanxi que nous emmène l’exposition L’empereur guerrier de Chine et son armée de terre cuite, présentée au Musée des beaux-arts de Montréal.

D’entrée de jeu, des questions s’imposent: qui était cet empereur qui a ordonné la construction d’une tombe rivalisant avec les grandes pyramides d’Égypte? Pourquoi un tel projet? Et surtout, comment disposer cette armée monumentale à l’intérieur d’un musée?

Qu’on se le dise: cet empereur n’était pas qu’un simple suzerain parmi d’autres. En 221 avant J.-C., il conquiert les sept Royaumes combattants de Chine et se proclame empereur Qín Shi Huángdì. Pour la première fois, le pays est unifié. S’ensuit un règne sanguinaire marqué par des exécutions sommaires, des réformes radicales et de grands travaux, tels les débuts de la Grande Muraille de Chine qu’on lui attribue. Malgré ces succès, l’empereur est terrifié: il a peur de la mort. Une fois passé de l’autre côté, il craint d’être laissé seul à la merci de ses ennemis et des esprits malfaisants. C’est pourquoi il force quelques 700 000 ouvriers à construire un royaume entier à l’intérieur de son tombeau. Les travailleurs érigent une butte de 115 mètres de haut et de 56 mètres carrés de superficie, les sculpteurs y introduisent leurs milliers de soldats de terre cuite, et tous y sont enterrés pour l’éternité, les statues aussi bien que les vivants. Fort de son armée éternelle et de ses sujets (qui eux périront de soif), l’empereur peut régner dans l’au-delà.

Bureau des reliques culturelles de la province du Shaanxi
Quand le Musée devient sépulture

Alors qu’ils évoluent à travers les trois salles précédant celles consacrées à l’armée, les visiteurs ne peuvent s’empêcher de jeter un oeil au fond du couloir, car dans la quatrième salle, le premier soldat nous toise, paisible dans son éternelle fixité. Il nous invite à quitter la clarté des premières salles pour s’enfoncer dans la pénombre du mausolée Qin.

Lorsqu’on y entre, on doit reconnaître les efforts des coordonateurs de l’exposition. Bien que l’on ait droit qu’à une dizaine de ces grandes statues, les jeux de lumière savent les mettre en valeur. Entourés d’obscurité, les soldats sont nimbés de faisceaux lumineux. Lorsqu’on progresse vers la huitième salle, on retient notre souffle à la vue d’une ombre de trois mètres, pour enfin découvrir la statuette d’un acrobate de trente centimètres. Des décorations murales telles que le mur criblé de flèches dans la salle de l’arbalétrier achèvent de nous immerger dans une Chine vieille de quelques millénaires.

C’est donc sur l’ambiance d’outre-tombe, plus que sur l’immensité de l’armée de terracotta, que mise l’exposition. Ce n’est qu’arrivé dans la tombe de la dynastie Han (datant de 206 à 220 avant J.-C.) que l’on est assailli par une centaine de petits cavaliers. Quant à la section sur l’empereur Qin, il s’agit d’une sélection des éléments importants de son mausolée: un commandant, un soldat et un officier pour l’infanterie, deux chevaux pour la cavalerie, un fonctionnaire pour les affaires d’état, un danseur pour le divertissement de l’empereur et même un cygne venu du jardin d’agrément de la tombe. Bref, un bestiaire de variété qui montre que ce royaume des morts rivalisait de gloire avec celui des vivants.

Faute de moyens, l’exposition ne parvient pas à véhiculer l’impression de grandeur de l’armée de l’empereur Qin. Pour compenser, les coordonateurs ont mis le paquet sur une mise en scène bien maîtrisée, ainsi que sur une historiographie concise couvrant plus d’un millénaire d’histoire chinoise. L’exposition rebutera donc les curieux en quête de sensations fortes, mais ravira les sinophiles et les férus d’histoire.

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