Archives des Littéraires - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/creation/litteraires/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Tue, 12 Nov 2024 14:42:25 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Dessert amer https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/dessert-amer/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56570 Je marche le long d’une routeEt j’emporte toutes mes blessuresCe dessert amer que je goûteChaque fois, censure mon coeurJe voudrais tant enlever ces pensées qui me tourmententJe me suis déjà assez battueMon cœur est troué d’épinesEt mon âme est trop abattue Je ris, je crie, je prieMais est-ce suffisant?Je marche, je cours, je m’enfuisMais est-ce… Lire la suite »Dessert amer

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Je marche le long d’une route
Et j’emporte toutes mes blessures
Ce dessert amer que je goûte
Chaque fois, censure mon coeur
Je voudrais tant enlever ces pensées qui me tourmentent
Je me suis déjà assez battue
Mon cœur est troué d’épines
Et mon âme est trop abattue

Je ris, je crie, je prie
Mais est-ce suffisant?
Je marche, je cours, je m’enfuis
Mais est-ce important?

Je vois disparaître dans les nuages
Les pleurs de mes nuits sans étoiles
Je me cache dans mon coquillage
Et je navigue sans voile
On dit qu’aimer, ça fait mal
C’est sans doute pour cela que je suis anéantie

Souvent, en morceaux j’ai été brisée
Quantité infinitésimale
Je chante des chansons d’amour
Mais je fais la guerre
Vêtue de mon habit de bravoure
Je me relève à terre

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Chasse aux graffitis https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/chasse-aux-graffitis/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56527 Si tu penses que Montréal ne peut faire aucun tort,Tu n’es jamais parti·e à la chasse aux graffitis,Dans les ruelles de Saint-Laurent,Tout l’après-midi d’un jour gris,Car tu en avais enfin eu le temps,Pensant qu’être à l’extérieur,Ne pouvait être que ce qu’il y aurait de meilleur. Les personnages sur la brique devant toi,Jamais tu ne leur… Lire la suite »Chasse aux graffitis

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Si tu penses que Montréal ne peut faire aucun tort,
Tu n’es jamais parti·e à la chasse aux graffitis,
Dans les ruelles de Saint-Laurent,
Tout l’après-midi d’un jour gris,
Car tu en avais enfin eu le temps,
Pensant qu’être à l’extérieur,
Ne pouvait être que ce qu’il y aurait de meilleur.

Les personnages sur la brique devant toi,
Jamais tu ne leur ressembleras,
Promesse à toi-même qui te terrifia.
Une œuvre ne se cache pas,
Et ce n’est pas entre les portes arrière de cantine,
Aux odeurs de gras,
Qu’on se déploie.
Et tu reconnais au moins que ça,
Tu te le dois.


La chasse aux graffiti fut fructueuse,
Les nouveautés murales nombreuses,
Mais la rumination qui creuse,
Elle te laisse anxieux·se.
Tu renommes la ruelle « l’existentielle »,
Hommage à ta crise silencieuse,
Que tu rends,
En quittant,
Saint-Laurent.

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Arrière-saison https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/arriere-saison/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56228 Je te dis adieu. Je reviens au présent. La vie reprend sa régularité morose. Le temps se gèle, les souvenirs s’enracinent, éternisant cette affliction amoureuse. L’ordinaire me tue, la solitude me paralyse. Ton regard, qui me subjuguait autrefois, m’est désormais morne et insoutenable. Je me force à écrire pour faire cesser ce déchirement. À peine… Lire la suite »Arrière-saison

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Je te dis adieu.

Je reviens au présent. La vie reprend sa régularité morose. Le temps se gèle, les souvenirs s’enracinent, éternisant cette affliction amoureuse. L’ordinaire me tue, la solitude me paralyse. Ton regard, qui me subjuguait autrefois, m’est désormais morne et insoutenable.

Je me force à écrire pour faire cesser ce déchirement. À peine ai-je commencé, tout ce qui restait en moi s’évade en un bref instant. Je ne suis plus qu’une âme flottante. Les mots s’enchaînent, se plient et s’entassent pour finir enfouis dans une lettre gribouillée. L’écriture s’achève et me renvoie à mon désarroi initial. La honte m’envahit. Je parle trop pour ne rien dire. Je cherche constamment un regard étranger pour apaiser l’orage qui m’avale. Une escapade futile pour me faire revivre nos passions évanescentes.

Le mal-être de la ville s’empare de moi comme une bête vorace. L’automne, affreusement maussade, ne songe qu’à ta caresse. Mon automne est nostalgique, le tien, je l’ignore. Je blâme cette ville pour ma douleur, je refuse frénétiquement son charme pour me livrer aux cris de ma détresse.

Je déambule dans les rues. Je regarde les couples se tenir la main, les enfants jouer au bord du lac. Je contemple leur vie qui se déroule tranquillement, paisiblement, comme si elle se moquait de mes affres. Je suis perdue dans cet écoulement et son chaos. J’ai ralenti pour être laissée derrière à jamais. La vie continue encore, mais je n’ai plus les moyens pour la rattraper. Je reprends mon souffle, tout devient flou.

Je crains la solitude. J’ai honte de ne pas pouvoir vivre joyeusement avec moi-même.

Je me promène. Les feuilles des arbres saignent, tombant tour à tour, laissant le sol orné des teintes jaunes et rouges. Le ciel, ombragé par le crépuscule, enferme la ville démunie de ses dernières beautés estivales dans une brume ténébreuse et angoissante.

Les branches dépouillées de feuilles, mon coeur dénudé de ses remparts.
Je pourrais être vulnérable devant le monde entier, mais jamais avec toi.

Je ne peux m’empêcher de penser à Apollinaire. Ceci est ma chanson du mal-aimé.

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« La seule chose que j’ai toujours su, c’est que l’appareil ment » https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/la-seule-chose-que-jai-toujours-su-cest-que-lappareil-ment/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55347 L’héritage artistique de Cindy Sherman.

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Sur cet autoportrait vous voyez mon corps, mais je suis introuvable. Car je ne m’incarne pas moi, Harantxa, mais deux femmes représentées dans l’art visuel au fil des ans. Pour réaliser Contrapposto, je me suis inspirée de Cindy Sherman, une artiste ayant révolutionné le médium du portrait. S’il y a bien quelqu’un qui soit maître de cette approche, soit celle de réaliser des autoportraits sans se représenter en tant que sujet, c’est bien elle.

En sachant qu’à l’accoutumée, « faire un autoportrait, c’est se représenter soi-même », Sherman, par son génie artistique, a lancé un défi audacieux à cette norme. Son œuvre révolutionnaire a déclenché un débat enflammé au sein de la communauté artistique : ses compositions peuvent-elles vraiment être considérées comme des autoportraits, et quelles sont les limites de cette définition? Examinons en détail l’ascension fulgurante de cette icône et son héritage artistique.

Exploration de l’énigme de l’autoportrait chez Cindy Sherman
Il faut d’abord comprendre son œuvre : contrairement aux autoportraits classiques ayant pour objectif de se représenter de manière réaliste et fidèle (pensons à Frida Khalo ou Van Gogh par exemple), Cindy Sherman s’affranchit du statu quo en créant des oeuvres qui défient les conventions. Elle est une artiste protéiforme : elle joue le rôle de photographe, mannequin, maquilleuse, coiffeuse, styliste et plus encore. Son œuvre globale est marquée par sa capacité à incarner différents personnages et identités dans ses photographies, en utilisant son corps et son visage comme support artistique pour créer des mises en scène.

Alors qu’elle commence les autoportraits au début de sa vingtaine, le désir de modeler son identité n’est pas anodin : depuis son enfance, elle adore se déguiser. « J’essayais de ressembler à quelqu’un d’autre – même à des vieilles dames… Je me maquillais en monstre, des choses comme ça. […] (tdlr) », dit-elle. Malgré sa volonté de ressembler à quelqu’un d’autre, ses déguisements avaient pour but de montrer une autre version d’elle-même, et non un personnage à part entière. Lorsqu’on lui a demandé si se déguiser était pour elle un moyen d’évasion, elle a répondu que « pour être vraiment psychologique à ce sujet, [c’est] en partie, si tu ne m’aimes pas de telle manière, m’aimeras-tu de cette manière? » Malgré ses différentes apparences, Sherman s’associe aux personnages qu’elle incarne en montrant différentes facettes d’elle-même lorsqu’elle se déguise. Cette habitude continue jusqu’à l’université et lorsque son entourage lui dit de faire de ce passe-temps un art, une autoportraitiste naît en elle.

Issue de la première génération d’Américains ayant grandi avec la télévision, elle est largement
influencée par la culture de masse. Elle atteint donc un large public en utilisant et en se référant à des codes esthétiques qui lui sont familiers. Tantôt critiques, tantôt satiriques, Sherman explore les thèmes du genre, de l’identité, de la sexualité et de la classe sociale, en remettant en question les normes établies par la société contemporaine à travers ses photographies.

« Tantôt critique, tantôt satirique, Sherman explore les thèmes du genre, de l’identité, de la sexualité et de la classe sociale, en remettant en question les normes établies par la société contemporaine à travers ses photographies »

La série emblématique Untitled Film Stills (1977–1980) catapulte Sherman sur la scène artistique internationale. Dans ses clichés évocateurs, elle se glisse dans la peau de personnages féminins, défiant les clichés et les stéréotypes de genre véhiculés par le cinéma hollywoodien des années 50 et 60. Ces images intemporelles évoquent un sentiment d’aliénation et de désillusion, et questionnent les attentes sociétales imposées aux femmes. Un autre exemple poignant est Centerfolds (1981), une série dans laquelle Sherman incarne des mannequins exposés sur une couverture de magazine. Les femmes sont représentées dans diverses poses, comme on peut l’observer dans Untitled #96, où Sherman est couchée par terre, vêtue d’une jupe d’écolière légèrement relevée. Cette série confronte le regard masculin (le male gaze) qui influençait la manière dont les femmes étaient représentées dans les magazines érotiques du style Playboy, « en amenant les spectateurs à remettre en question leurs hypothèses et leurs impulsions conscientes ou inconscientes lorsqu’ils regardaient une page centrale pornographique », (sachant que la photo était le médium pornographique principal dans les années 80), explique Gwen Allen, une historienne d’art contemporain.

Bien que Sherman ne donne pas de titre à ses œuvres pour ne pas influencer notre jugement de celles-ci, elle a admis, des années après sa création, que le but d’Untitled #96 était de choquer : « Je voulais qu’un homme ouvrant le magazine le regarde soudainement dans l’attente de quelque chose de lascif et se sente ensuite comme [l’agresseur] qu’il serait, en regardant cette femme qui est peut-être une victime… »

On peut donc voir que les œuvres de Sherman, bien qu’elles soient visuellement attrayantes, dépassent le domaine de l’esthétisme en dénonçant certaines normes et conventions. Mais où est Cindy dans tout ça?

« Bien que Sherman apparaisse dans la plupart de ses photographies, ce ne sont jamais des autoportraits. Elle a le parfait visage de ‘‘madame tout le monde’’ – et parfois de ‘‘monsieur tout le monde’’ – un visage qui absorbe tous nos désirs. »
— Auteur et journaliste américain Craig Burnett

Pour certains critiques, ses autoportraits sont davantage une performance ou un acte d’imagination qu’un véritable reflet de son identité personnelle. En revanche, elle se défend en disant qu’il n’est pas question de devenir un personnage : « Quand je [pose], je n’ai pas l’impression d’être le personnage. C’est l’image reflétée dans le miroir qui devient le personnage – l’image que l’appareil fixe sur la pellicule. Et la seule chose que j’ai toujours su, c’est que l’appareil ment. »

Pour Sherman, ses œuvres représentent une partie d’elle-même. Lorsque l’appareil photo prend le cliché, il cristallise le personnage, sans que celle qui l’incarne ne devienne personnage pour autant. Elle redéfinit l’autoportrait à même son corps : à partir du moment où elle figure dans la photo, c’est un auto-portrait. Pas besoin de se montrer sans artifices, car « au bout du compte, plus elle se cache derrière ses portraits, plus elle se révèle en tant qu’artiste », et être artiste, c’est le noyau de son identité. Nous ne la voyons peut être pas elle, sans maquillage, mais il reste que Cindy Sherman a toujours fait de son apparence protéiforme une part de son identité. La limite des autoportraits de Sherman semble alors se restreindre à l’usage de son corps dans ses photographies. Cela dit, une œuvre comme Untitled #263 (1992) où elle utilise des prothèses en plastique d’un sexe masculin et féminin pour recréer L’Origine du monde (1866) de Courbet semble être une exception à la règle franchie, car elle troque son corps pour des objets.

En redéfinissant le genre à l’usage de son corps et non de son apparence à nu, l’influence de Sherman sur l’art contemporain perdure. Son approche de l’autoportrait a été adoptée par une nouvelle génération d’artistes explorant les questions d’identité et de représentation. Son œuvre est la raison pour laquelle ma série d’autoportraits, voire celle de Nadia Lee Cohen, HELLO My Name Is (2021) , peuvent se faire qualifier comme tels aujourd’hui. Comme l’a noté l’artiste Laurie Simmons, «le travail de Cindy a ouvert beaucoup de territoire que […] beaucoup de femmes artistes en particulier ont exploré depuis ».

Entre costumes, maquillage et décors élaborés, Cindy Sherman émerge comme figure pionnière en surpassant les limites de l’art avec une audace et une créativité inégalées. Son approche novatrice perdure jusqu’à maintenant, façonnant ainsi un héritage dans le monde artistique. Merci, Cindy.

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Effort et solitude https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/effort-et-solitude/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55222 La randonnée comme philosophie.

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Cinq heure du matin. La montagne commence à s’embraser et des bruits résonnent dans le refuge. L’ascension se prépare. Les sacs sont soigneusement pliés et les corps encore fourbus de la veille peinent à effectuer les étirements matinaux. Le matériel maintes fois vérifié subit une ultime inspection : crampons, piolets, lunettes de glacier, couverture de survie, chaque oubli pouvant mettre en péril le randonneur et son groupe. À travers la petite fenêtre du dortoir, une bande de lumière se déploie derrière la montagne.

Silencieux, cheveux ébouriffés et lunettes sur la tête, les premiers prêts font leur apparition dans le réfectoire. Pendant le petit-déjeuner, pas un mot n’est échangé. Tous les regards sont dirigés vers l’immense fenêtre centrale, à travers laquelle le sommet tant craint mais tant désiré se dessine. À mesure que le soleil se lève, le flanc est de la montagne s’illumine, et le pic se teinte de rose. Le glacier reflète alors les premiers rayons du soleil et brille de mille feux. Surplombant la vallée toujours baignée dans l’obscurité, la montagne rayonne comme un phare. Patiemment, les marcheurs se redessinent le chemin dans leurs pensées tout en sirotant leur café. Certains se lèvent même pour inspecter la carte du massif affichée au fond de la salle, mais ceux-là sont rares. Peu échappent au pouvoir d’attraction ressenti à la vue de la montagne. Pour l’avoir étudiée, tous connaissent la voie : aujourd’hui la longue marche d’approche et le bivouac au pied de la montagne, demain l’escalade de l’arête sud- ouest, le sommet, puis la descente dans le glacier et la marche du retour vers la vallée. Deux journées d’efforts, coupées du monde. Deux journées simples, avec une seule idée en tête : le sommet. En dehors de ça, plus rien. La vie semble s’arrêter une fois la porte du refuge franchie. Il faut marcher, courir, grimper. L’esprit se concentre sur chaque pas, sur chaque inspiration. Le reste n’existe plus. Seule préoccupation, comme une véritable obsession, la masse écrasante et immortelle qui se dresse devant le randonneur.

Dans nos villes, peu de choses subsistent de la nature. Nos sociétés combattent inlassablement l’effort et la souffrance et détestent l’imprévu. Fini la nuit, le froid et la faim. Sous la lumière des lampadaires, dans des salles climatisées ou chauffées, la nature a disparu, le danger aussi. C’est tout ce que le randonneur recherche au contact de la montagne. Il épouse l’effort comme une rédemption, aime la faim, le froid et la pluie, comme autant d’épreuves qui le rapprochent de cette masse rocheuse qui l’ensorcelle et lui octroie le droit de gravir le sommet. Passé la porte du refuge, après le premier virage du chemin, le randonneur quitte la civilisation à la recherche de l’imprévu. La montagne a des odeurs, des bruits, elle vit et le randonneur vit avec elle. Couché à 21h avec les étoiles et levé à 7h avec le soleil, il renoue avec le cycle naturel, avec lui-même.

Face à l’effort et au danger, il est seul. Sur la paroi, seul un nœud sur son baudrier et un piton dans la roche le rattache à la vie. Dans son ascension, chaque geste compte, chaque erreur aussi. Seules sa propre dextérité et une force mystérieuse le séparent du vide. Alors qu’il s’approche du sommet de l’arête, une roche dégringole et le frôle. L’incident lui rappelle son impuissance et pourtant il n’a pas peur, il faut avancer vers le sommet, toujours plus haut. Son ascension est comme un condensé de sa vie, il se bat contre quelque chose d’imprévisible, de plus fort. Il se dépasse pour voir au-delà, pour pénétrer au plus profond de lui-même, pour atteindre le sommet.

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Étudier hors-campus : où aller ? https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/etudier-hors-campus-ou-aller/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55050 Mes endroits préférés à Montréal.

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Tu en as marre de devoir choisir entre McLennan et Redpath? Voici une liste de six endroits pour étudier à Montréal, assez diversifiée pour satisfaire tous les goûts! Parfois, c’est important de changer d’air, surtout lors d’une période d’examen stressante. Il n’y a pas à dire, on étudie mieux avec un bon café!

Café Ambrose

Commençons par un classique : Café Ambrose. Situé à deux pas du campus sur la rue Stanley, il
est idéal si tu as quelques heures de pause entre tes cours. Leur spécialité : des pâtisseries (brioche garnies, cinnamon rolls et croissants…) et des repas faits maison. L’atmosphère est très agréable avec un aménagement simple mais chaleureux ; il y a du wifi et des prises pour travailler confortablement. La musique n’est pas trop forte, et j’admets adorer leur playlist indie pop. Je recommande vivement leur chai latte et leur muffin aux bleuets.

Prix d’un latte classique : $4.50
3422 Rue Stanley

Jade Lê | Le Délit
Jade Lê | Le Délit

Café Chato

Énorme coup de cœur! Il se situe un peu plus loin que les autres, mais il suffit de prendre la ligne verte jusqu’à Verdun pour y être en quelques stations. Contrairement à son jumeau, situé sur la rue Duluth dans le Plateau, il y a moins de monde et les tables sont plus grandes. Travailler entouré d’adorables chatons, c’est l’environnement parfait (sauf si tu es allergique) et je ne peux que te le recommander. C’est l’endroit idéal pour prendre des pauses entre deux essais : plutôt que de scroller sur Insta, joue avec un chat! Je te suggère d’essayer leur panini tomates, pesto et mozzarella, ainsi que leur brownie au chocolat qui est excellent.

Prix d’un latte classique : $4.25
4833 Rue de Verdun

Jade Lê | Le Délit

Crew Collective & Café

Situé dans l’ancien bâtiment de la Banque Royale du Canada datant de 1928, le Crew Collective & Cafe est loin d’être un café ordinaire! Bien que le prix des boissons soit assez élevé, l’architecture en vaut le détour. Cela ne deviendra peut-être pas l’endroit où tu passeras tes semaines pour réviser, mais de temps en temps, changer de décor aide à se changer les idées. L’avantage, c’est qu’il y a de nombreuses tables pour s’installer. De plus, ils proposent des stations de coworking pour $20 la journée.

Prix d’un latte classique : $5.75
360 Rue Saint-Jacques

Colombus Café

Si tu cherches un endroit pratique pour t’installer, le Colombus Café est toujours une bonne adresse. Ce n’est peut-être pas le meilleur café de Montréal, mais ils offrent un large choix de nourriture : brownies, muffins, sandwiches, wraps… À défaut de bien boire, tu trouveras de quoi bien manger. Wifi accessible pour tous et des tables assez larges pour travailler, c’est un bon endroit si tu veux être efficace. Attention cependant, par rapport aux autres endroits sur la liste, c’est le plus bruyant, avec beaucoup de circulation. Il y a également de la musique de fond. Si tu préfères le silence, ce café n’est sûrement pas pour toi.

Prix d’un latte classique : $4.75
2020 Blvd Robert-Bourassa ou 2153 Rue Sainte-Catherine

Grande Bibliothèque de BAnQ

Pas un café cette fois-ci (même s’il est possible d’en acheter a l’entrée), mais ma bibliothèque préférée! Idéal si tu préfères le silence à un café un peu bruyant. Il est parfois difficile de trouver un endroit pour s’asseoir durant la fin de semaine, mais avec un peu de patience tu pourras prendre place sur l’une des grandes tables en bois du 3e étage de la Grande Bibliothèque. Mon point préféré : la lumière naturelle qui pénètre depuis les grandes fenêtres du bâtiment. Tu peux également créer ta carte d’abonnement gratuitement et emprunter des livres lorsque tu le souhaites. Un autre atout : des instruments de musique disponibles pour tout le monde au dernier étage de la librairie. Piano, guitares, ukulele… il y a de quoi t’entrainer.

Métro Berri-UQAM
475 Boul. de Maisonneuve E

Bibliothèque Webster, Concordia

Enfin, un incontournable des étudiants : la bibliothèque universitaire de Concordia. Alors oui, c’est aussi une bibliothèque universitaire, comme McLennan, mais je peux vous garantir que – pour une raison que j’ignore – je suis toujours plus productive là-bas. Accessible au public de 7h à 23h, elle s’étend sur plusieurs étages. De nombreux espaces sont disponibles pour étudier individuellement ou en groupe. Les étudiants de McGill peuvent accéder gratuitement au wifi de Concordia afin de travailler confortablement. Enfin, l’esthétique est vraiment propice au travail : loin de l’architecture brutaliste de McLennan, le bâtiment est ouvert et lumineux, possédant de larges fenêtres.

Métro Guy-Concordia
400 Maisonneuve Blvd West

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Déclarations d’amour https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/declaration-damour/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54749 Soif d’ambroisie mon visage plongéentre deux moelleux oreillers,mon être respire ta présence Profondeur, douceur rafraîchissante des nuits agitées accompagnéesde brouillards déprimants, l’eauà qui j’envie d’avoir eu ton corps Complètement enfoui dans sa matière pensées et schémas fatals,mon style d’écriture me paraît méconnaissable,tandis que j’observe naturellement tes pétales De loin, les gouttes de nectar les colorent… Lire la suite »Déclarations d’amour

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Soif d’ambroisie

mon visage plongé
entre deux moelleux oreillers,
mon être respire ta présence


Profondeur, douceur rafraîchissante


des nuits agitées accompagnées
de brouillards déprimants, l’eau
à qui j’envie d’avoir eu ton corps


Complètement enfoui dans sa matière


pensées et schémas fatals,
mon style d’écriture me paraît méconnaissable,
tandis que j’observe naturellement tes pétales


De loin, les gouttes de nectar les colorent


plante tentante, je suis une abeille
tournant autour de ton champ,
volant avec hésitation de haut en bas


Craignant de sucer tes larmes d’ambroisie


et de me retrouver incapable de supporter
un pollen immortel, un papillon étouffant
dans le ventre, une superficialité


Et éventuellement, la chaleur diminue


je pleure l’océan simple d’esprit,
aux saisons qui passent
et aux fleurs les plus proches,


Empreintes des fragrances que tu déposes

- Ilias Lahlou

Hélix

Nue, elle serait,
de la manière la plus complète
frottant son dos et hanches
sur mes draps blancs en lin
tandis qu’elle les imprègne
de ses vers rimés


Zieutant amoureusement
un pot de fleur sur le chevet
où les jasmins fleurissent
pour libérer dans l’hélix percé
de ses oreilles des mouvements
et un fourmillement de sous-entendus


une poésie sans but, parfois même creuse
tente de dépeindre les désirs persistants,
emplis d’excitation et d’anxiété à la fois,
le sang coule sans cesse en moi


et remplit massivement mon cerveau droit
alors que son goût visuel entre dans mes veines
une muse, vivifiante à elle seule,
dont les images adoucissent mon ton
et je me vois la caresser,
les doigts autour du lobe de ses oreilles

- Ilias Lahlou

Spleen hivernal

De toute part assiégée par le blizzard,
Je cherche mon chemin au hasard.
En proie aux flèches de l’obscurité meurtrière,
Oh, qu’elle semble lointaine la Ville Lumière!


Pas après pas, jour après jour
Impossible d’oublier cette divine nuit d’amour.
Comment empêcher, dans le brouillard de janvier,
Que s’échappe la promesse d’une idylle partagée?


Seule une année-lumière nous sépare de la foule en liesse
Mais à quand la prochaine caresse?
Et voilà que les douze coups de minuit ont sonné ;
Oh, que j’aurais aimé posséder le don d’ubiquité!


Comme un cadeau céleste, je te laisse m’enlacer
À présent, c’est certain : j’ai tout inventé.
Et voilà que le carrosse s’est transformé,
Une telle félicité, longtemps je l’ai espérée.


Entre tes doigts, mes cheveux se délectent avec délice
Depuis le pays de l’orignal, des frissons parcourent encore mon clitoris
Il me tarde de recevoir ce baiser
Et si tout n’était qu’un songe d’une nuit d’été?


Oh, impitoyable tempête des souvenirs
Qui sans le génie de Klapisch aura su me faire périr
Toi, qui chaque nuit attise mes insomnies
Dans cet hiver rude où nous consume la nostalgie.


Oui, attendre il me le faut
Car à l’aube du printemps nouveau,
Résonnera le timbre de ta voix
Et à l’oreille nue me chuchotera : non, tu ne rêves pas!

- Adèle Doat

Elle

Sur les pavés du vieux quartier,
humides et luisants,
ce mardi matin d’automne.
Te voici te voila
revenant de loin,
que tu te faufiles entre les colombages.
Accompagnée de ton parfum,
de ta brise jouant avec les odeurs des commerces
voisins
Emmitouflée dans ton épais manteau de douceur
et de ce sentiment d’insouciance :
tu danses.
À la torpeur d’un rayon de soleil,
à l’aube d’une vie innocente,
s’élançant à la tombée de l’asphalte :
tournoyante, vacillante,
d’une chaleur lente,
tu te tords.
Voici qu’un halo de lumière
se perd dans le fond de tes mèches
que le soleil réverbère.

-Jade Lê

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«Parfums étrangers» https://www.delitfrancais.com/2024/01/24/parfums-etrangers/ Wed, 24 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54431 Un poème de Jonas Sultan.

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Ouvre ce carnet, ses pages vierges et douces,
Qui sentent tout ce qui sent bon :
De la rosée de roses en émulsion de mousse,
Aux copeaux de cèdre aux pieds du bûcheron.

Du crayon grossier de l’enfant qui joue,
À la plume tendre du poète de saison,
Que ta prose mérite de se lire debout,
Et se vaille tant de forme que de fond.

Puis, lorsque le génie passe, que la fougue s’enfuit
Quand le soleil remplace la lumière des bougies,
Scelle d’un regard ces vers inachevés
Dans ce grimoire aux parfums étrangers.

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Un espace (pas si) bilingue https://www.delitfrancais.com/2024/01/10/un-espace-pas-si-bilingue/ Wed, 10 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54094 Réflexion d’une personne née au Canada, mais d’une famille hispanophone.

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À chaque fois que je pénétrais dans un magasin, ou que je me rendais en cours à McGill quand j’étais étudiante, il m’était nécessaire d’alterner entre l’anglais et le français, parfois très rapidement. Après plusieurs années, c’est devenu un automatisme, comme les paramètres de langue d’un logiciel. Lors de mes études, je n’avais seulement que quelques minutes de pause entre les réflexions sur le romantisme britannique et les exercices de grammaire normative française. Je marchais d’un local à l’autre, d’un cours à l’autre, d’une langue à l’autre. Lors de mon trajet, je pouvais voir les commerces montréalais autour de moi. Ils avaient de gros titres dans l’une de ces deux langues. Presque tous les restaurants autour de l’Université affichaient sur une fenêtre un menu bilingue. Si je croisais un·e ami·e de l’Université sur mon chemin, je savais à qui parler en français ou en anglais. Il m’était impossible d’ignorer la présence des deux langues officielles à Montréal.

Cependant, je ne peux pas dire la même chose de mon « chez moi ». Après une journée typique remplie de cours, d’essais, de sessions d’étude et d’examens, je rentre dans une tout autre atmosphère linguistique. Je suis chaleureusement accueillie par ma abuela, qui me demande à chaque fois : « ¿Como fue tu día? ¿Tuviste buenas notas? » (Comment a été ta journée ? As-tu eu de bonnes notes?, tdlr) dans son accent chilien. Les conversations à table, tout comme la ville où j’étudiais, sont traversées par un mélange linguistique. Contrairement à moi, ma abuela est plus à l’aise en espagnol, ce qui explique pourquoi mes parents changent d’une langue à une autre à chaque repas. Malgré cela, tout le monde est capable de se comprendre et de continuer la conversation jusqu’à la fin, créant une atmosphère assez unique.

« Les clients parlaient espagnol, et j’ai pu commander des empanadas en espagnol. Je sais que ces moments sont
rares comparés à mes autres interactions à Montréal, et je sais qu’il existe d’autres espaces culturels à Montréal où les gens parlent d’autres langues »

Si je prends un petit moment pour comparer mon espace public et mon espace privé, je crains parfois de vivre une perte linguistique. Le temps consacré à mes études, à mon travail et à mes amitiés prenait de plus en plus d’ampleur au fil du temps, ce qui me laissait parfois peu de moments pour me consacrer à ma famille.

Cependant, je voyais aussi mon père, né en Colombie, et ma mère, née au Chili, devoir utiliser des langues différentes dans leur vie professionnelle et leur vie privée, et cela depuis qu’ils ont immigré au Canada alors qu’ils étaient encore enfants. Ils sont tous les deux capables d’alterner entre l’anglais, le français ou l’espagnol très facilement selon le contexte. Mais, moi je suis née au Canada, et j’ai grandi ici. Je ne suis jamais allée au Chili, et je n’ai visité la Colombie qu’une fois. J’utilise donc davantage le français et l’anglais au quotidien.

Cependant, si je marche un peu plus, et si je porte plus mon attention à l’environnement qui m’entoure, je vois par moment cet aspect linguistique de ma vie privée entrer dans la métropole. Je vais toujours me souvenir du moment où mes parents donnaient des légumes à un petit restaurant latino qui acceptait des donations pour les membres de la communauté ayant peu de ressources. Les clients parlaient espagnol, et j’ai pu commander des empanadas en espagnol. Je sais que ces moments sont rares comparés à mes autres interactions à Montréal, et je sais qu’il existe d’autres espaces culturels à Montréal où les gens parlent d’autres langues. Cependant, dans ce restaurant, je ne voyais plus une juxtaposition d’un espace public et privé divisé par les différences entre les langues officielles et la langue maternelle. C’était comme si ces deux espaces cohabitaient dans ce restaurant. En bref, je voyais cette même alternance de langue que je faisais à l’université. Seulement, ce n’était pas du français à l’anglais ou vice-versa mais dans la même langue que celle parlée chez moi, ce qui différait de mon quotidien lors de mes études et chez moi.

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je suis histoire https://www.delitfrancais.com/2024/01/10/je-suis-histoire/ Wed, 10 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54097 je suis assise à cette table en jadejade comme mon prénomjade comme cette pierre verte plus ou moins ordinairequi me rapproche étrangement de ma culturefaible lien entre la francele viêt namle canadahistoire familiale qui m’est inconnueje cherche à en connaître les détailsmais un voile translucide recouvre ces souvenirsalors que j’écoute les autres rire,parler vietnamien –… Lire la suite »je suis histoire

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je suis assise à cette table en jade
jade comme mon prénom
jade comme cette pierre verte plus ou moins ordinaire
qui me rapproche étrangement de ma culture
faible lien entre la france
le viêt nam
le canada
histoire familiale qui m’est inconnue
je cherche à en connaître les détails
mais un voile translucide recouvre ces souvenirs
alors que j’écoute les autres rire,
parler vietnamien – langue que j’ignore


1975
ma famille quitte saïgon
mon père, le plus jeune, est détaché de ses frères et soeurs
il atterrira en france, accompagné de sa tante
tous les autres arrivent au québec
comme beaucoup d’immigrants,
il ne parle plus que très peu le vietnamien
un désir profond d’intégration se fait sentir
et pour cela
il faut parler la langue
aller à l’école
leur ressembler
oublier d’où on vient

2022
je commence mes études à montréal
assise à cette table en jade
j’observe les visages de ma famille
si peu familiers
nous portons le même nom,
mais je me sens à l’écart
ils rigolent de la façon dont je prononce des
plats en vietnamien
ils rigolent du fait que mon père ne parle que
très rarement
ils rigolent du fait que mes traits ne soient pas
« très asiatiques »
ils ne se moquent pas
ils rigolent
mais je ne peux que me sentir à part
comme si ma présence n’était pas justifiée

assise à cette table en jade
je réalise que je deviens le pont
la liaison
entre la france
le viêt nam
le canada
je trouve ma voix entre les cultures

j’ai beau ne pas leur ressembler,
on partage une histoire
et il est de mon devoir de la partager

comme chacun d’entre nous,
je suis histoire

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Quand l’encre a sêché… https://www.delitfrancais.com/2023/11/22/quand-lencre-a-seche/ Wed, 22 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53737 Fragments de souvenirs d’une inconnue.

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Il existe une pratique délicate qui se perd parfois dans le tumulte numérique de notre ère moderne : l’envoi de cartes postales.

Ces cartes entament un voyage subtil entre l’écriture et la découverte, entre celui qui envoie et celui qui reçoit. L’acte de choisir une carte postale représente une tentative de capturer une parcelle d’émotion, un souvenir, un paysage, qui d’une manière ou d’une autre, raconte une histoire. Les étagères poussiéreuses des boutiques de cartes postales deviennent des fenêtres sur des cultures inconnues, et parfois réconfortantes.

Écrire une carte postale est tout un art : peser ses mots, ceux qui se poseront sur le papier et voyageront jusqu’à leur destinataire. Ce n’est pas une simple transmission d’information, mais une façon de partager une expérience, de tisser un lien entre deux personnes séparées par la distance, en attendant une réponse sans jamais savoir si elle à été livrée, ou perdue.

En recevant une carte postale, les images et les mots se mêlent pour créer un souvenir palpable, cartonné, une connexion physique avec un lieu lointain. Chaque carte postale est une promesse de présence, un morceau de papier qui dit : « Même à des kilomètres, je pense à toi. » La carte en tant que telle importe peu, c’est la valeur sous-jacente de l’attention qui compte, lorsque l’on pourrait aujourd’hui envoyer un message instantané qui se perdrait tout autant dans le flux constant de données. Écrivons, envoyons, recevons.

Margaux Thomas | Le Délit

Celles jamais reçues

C’est ici que j’aimerais mettre en avant des cartes postales qui n’ont jamais été reçues, des souvenirs jamais partagés, et des mots jamais dévoilés, bref, des histoires perdues que j’aimerais que l’on retrouve, dont on se souvienne.

Parmi les cartes postales égarées que j’ai récupérées, certaines ont été envoyées à une mère, un fils, un grand-père ou encore à un amour. Elles ont donné des nouvelles en temps de guerre en Pologne, en Italie, en France, au Québec, aux États-Unis et bien d’autres régions du monde. Parmi elles, il y a ces sept cartes envoyées par « Aunt Mimi » à Miss Hilda Hellmich. Elles datent toutes de 1941 et ont été retrouvées chez un antiquaire à New York, il y a quelques semaines.

En cherchant son nom sur Internet, je suis tombée sur une certaine Emily Hilda Hellmich Hofhine, qui aurait été âgée de 41 ans lorsque ces cartes postales ont été écrites, et qui, comme l’indiquent également les tampons de ses cartes, vient de la ville de Salt Lake City dans l’Utah. Hilda Hellmich aurait eu dix petits-enfants et dix-neuf arrières petits enfants. Elle est décédée en 1981. Aunt Mimi quant à elle, semblerait être plus âgée que Hilda, mais nous ne saurons jamais quel âge elle avait lorsqu’elle a écrit.

Margaux Thomas | Le Délit

La plus ancienne de ces sept cartes date du 25 juin 1941, et la plus récente du 5 novembre 1941. Dans la première carte, Aunt Mimi demande « Comment va maman? Répondez-moi bientôt », et elle continuera d’écrire «Répondez-moi bientôt » ou « Donnez-moi des nouvelles s’il vous plaît » dans toutes les cartes qui suivront. Aunt Mimi s’addressera a Miss Hilda Hellmich, qui, au fur et à mesure des cartes, devient « Hulda, » puis « Helda ». L’envoi de certaines cartes est espacé de seulement deux, parfois cinq jours. Tout cela laisse penser qu’Aunt Mimi a des problèmes de mémoire, et qu’elle n’a peut-être jamais reçu de réponse de la part de cette Hilda. Peut-être que son adresse a changé, sans qu’elle ne soit au courant. Peut-être qu’Hilda, surnommée la « cowgirl » par Aunt Mimi, n’a jamais reçu ces cartes, et c’est pour cela qu’elles se sont retrouvées chez un antiquaire.

Toutes ces questions sans réponses nous laissent libres d’imaginer la vie de ces deux femmes appartenant à une époque passée. Nous laisser toucher du bout des doigts un fragment de vie sans pouvoir le saisir complètement, c’est tout le mystère des cartes postales.

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Moi, Montréal https://www.delitfrancais.com/2023/11/08/poeme-prunela/ Wed, 08 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53311 Portrait d’une ville fière.

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Moi, Montréal
J’ai vu des peuples se disputer impitoyablement mes terres.
Ils étaient ou Anglais ou Français et se faisaient la guerre.

Tous ne pensaient qu’à arracher mes racines pour cultiver leurs champs.
Parmi eux figurent encore d’obscurs descendants,
De semeurs de blé aux gestes rythmés par la cadence.
Tous étaient attirés par la fertilité de mes pâturages (Abondances)

Moi, Montréal
J’ai vu des clairières prendre la place de ma forêt abattue.
J’ai vu l’époque où les routes n’étaient que cailloux et terre battue.
J’ai vu l’avènement graduel de tresses ferrées sorties droit des mines,
Où le tramway gagnait le pari de l’audace par sa vitesse,
Transportant à des coûts minimes voyageurs, familles, copains et copines.
Tout ce monde, pourtant, est resté insensible à ma détresse.

Moi, Montréal
J’ai bien su divertir mon grand public, en particulier le cercle de mes intimes.
Avec Maurice Richard, mon acolyte, c’était une reconnaissance unanime,
C’étaient des galas de buts, des visages allumés, la joie d’une absolue pureté,
Les Canadiens de Montréal, mon équipe éponyme, faisait alors toute ma fierté.
Cette équipe, on la porte encore aujourd’hui fièrement dans les cœurs.
Ensemble, soyez donc fiers d’appartenir, comme moi, à la lignée des vainqueurs.

Moi, Montréal
J’ai vu des marées humaines déferler des quatre coins de la planète,
Des guides du coin qui couraient à la rencontre des touristes inquiètes,
S’arrêter net pour contempler mes architectures dans toute leur splendeur,
Ou se questionner devant des réalisations d’une telle grandeur,
D’autres encore tomber en admiration devant chaque détail de mes monuments,
Comme s’ils avaient peur de manquer de cette visite les moindres petits moments.

Moi, Montréal
J’ai donné sans attendre mon tour.
Que dois-je espérer en retour?
Qu’on se soucie de ma vieillesse?
De mon environnement, de ma jeunesse?
Pour ceux et celles qui l’ignorent encore.
Je suis et resterai toujours la ville des records!

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PEUR https://www.delitfrancais.com/2023/10/25/peur/ Wed, 25 Oct 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52980 Récit fictionnel et poétique d’une épouvante.

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Je claquai la porte. Pour éviter que le froid qui me glace le sang ne pénètre un peu plus mon âme. La nuit était tombée. Je ne l’avais pas vu venir. Je marchais plus lentement que les secondes qui passent et qui éteignent la ville. Plus lentement que les passants qui trottent les rues, en rêvant de rattraper la trotteuse de leur bureau sombre qui leur vole la vie. Ils sont arrivés avant moi c’est sûr, mon salon en était déjà désespérant. Je fis claquer l’interrupteur, pour allumer mes murs de béton blanc. La citrouille que j’avais achetée la veille flétrissait déjà, je voulais au moins fêter Halloween avec moi. Je me regarderais dans le miroir et nous aurions de quoi avoir peur. La folle du coin. Je me regarderais trop longtemps et mes yeux deviendraient vitreux.

Quelques pas vers la cuisine, une odeur abominable de fin de vie vint brûler mes narines et insulter mon cerveau. Le frigo avait dû rendre l’âme, il se vidait de ses pleurs et des cellules dépérissaient au rythme de la décomposition. J’ouvris la porte de plastique, le frigo allait bien. Le lait tomba de la porte pour écraser mon orteil en signe de mépris. Le frigo était jeune, il le resterait, et je n’avais pas intérêt à le remettre en question. Ou bien il aplatirait ma boite crânienne de tout son poids, libérant les lobes de mon cerveau qui macèrent dans la noirceur de mon existence depuis trop d’années. Cette pensée me procura un frisson, et au même moment, je sentais qu’un souffle froid effleurait mon échine. Un souffle que les émotions, même les plus terribles qui matraquent l’estomac, ne savent imiter. Je me figeai.

Une expiration sourde chuchota au creux de mon oreille. La lumière blanche de mon frigo se jetait toujours dans mes yeux qui ne savaient plus cligner. Et j’avais froid, un pôle nord superficiel se tenait face à moi, ouvert à tout ce que je pouvais crier. Mais rien ne bougeait, si ce n’est le temps qui s’écroulait.

« Le silence se conjuguait à l’obscurité pour enserrer mon cœur, qui parvenait à peine à battre dans l’étreinte de l’angoisse »

J’étais paralysée. De peur. Le froid qui avait violemment tendu mon échine, se déplaça comme une caresse rêche pour émettre la plus subtile et la plus terrible des pressions autour de mon cou. Le souffle chaud qui suçait mon oreille pénétra mon conduit auditif. Et c’en fut trop. Je claquai la porte du frigo avec toute la force de mon épouvante. Fis volte face pour contrer mon cauchemar. Pour faire face au plus effrayant, terrifiant, horrible, immonde, inquiétant, redoutable, des rien. Rien. Si ce n’est mon salon qui me riait à la gueule. Mais je n’osais bouger. Je sentais que derrière mon dos aveugle, plus rien n’était sûr. Je sentais qu’un regard, sans corps peut-être, me scrutait de l’autre côté de la pièce. Un regard souriant, narguant tous les membres qui échappaient à ma surveillance. Je me tournai lentement. Une goutte s’écrasa sur mon crâne. Une goutte qui épousait mon cuir chevelu pour peu à peu dégouliner le long de mon front, caresser l’arrête de mon nez pour s’évanouir sur ma lèvre supérieure et atteindre mes premières papilles. Devant mes yeux, il n’y avait rien. Dans ma bouche, un goût de fer. Le silence se conjuguait à l’obscurité pour enserrer mon cœur, qui parvenait à peine à battre dans l’étreinte de l’angoisse. Je pouvais sentir une ombre se déposer sur mon corps, une légère chaleur mouiller ma nuque. Je la saisis en hurlant et crachai par terre. Il n’y avait rien. Rien toujours. Si ce n’est quelques bruits qui animèrent mes sens.

Dans la ville, la cueillette de sucreries s’achevait, et ma nuit se trouvait dans un néant, loin de toutes les temporalités humaines. Au milieu de mon salon de pierre et de bois, ma chair était prête à fondre sous la poigne de ma peur.

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Besoin d’un corps vide https://www.delitfrancais.com/2023/10/04/besoin-dun-corps-vide/ Wed, 04 Oct 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52696 Quand la finesse devient une obsession.

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Je ne serai jamais aussi vide que je l’ai été. Mon ventre ne sera jamais aussi plat. Mon âme et mon bonheur non plus. Tous, vous me l’avez fait dire :
« Je suis grosse. »
« J’ai une couche en trop. »

Par vos compliments

vos remarques

vos remarques que j’ai prises pour des compliments

Au début, je me laissais couler sur une pente que je pensais bonne
Je perfectionnais mon alimentation et je courais, j’évitais la sensation d’un ventre trop plein

Ce n’est que quand on a commencé à me dire que j’étais fine que j’ai commencé à le voir

que j’ai commencé à l’aimer
qu’une addiction consciente a commencé

mon ego s’est greffé au ventre plat, aux côtes découvertes et à l’espace entre mes cuisses

un idéal que je pensais avoir laissé au passé, avec mon corps prépubère
et à force de faire attention, de restreindre les portions
j’étais tombée dans ce corps nouveau, que je ne voulais plus jamais laisser repartir

me quitter de nouveau pour des pâtes, une cuillère de yaourt ou une demi-banane de trop

je n’ai pas faim

je dois rester fit si je veux pouvoir rester fit
un biscuit en trop et ça recommencera à tourner dans ma tête -

Alors je dois maintenant m’affranchir
arrêter d’adorer cette image passée
réaliser que les choses peuvent être vécues, pensées, faites autrement
et je dois passer par la détestation des images de cet ancien corps vide, adoré par d’autres, ce corps qui ne veut pas mon bien pour apprendre à écouter celui qui me permet d’écrire ces lignes
Je veux combler les creux vicieux de l’addiction

en apprenant à relativiser
qu’il y a bien plus dans ce monde à explorer

que la spirale malsaine de mon imagination.

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Quand l’amour consume https://www.delitfrancais.com/2023/09/27/quand-lamour-consume/ Wed, 27 Sep 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52529 ton coeur brûle, le mien aussi… T’ouvres le paquetTu frottes la fleur entre tes doigtsTu plies délicatement le cartonTu le déposes sur ta feuilleEt tu roulesDoucementSûrementTa langue glissant sur le rebord du papier Mouvements répétitifs,Routine.Tu es habitué.Plus qu’ à l’allumer etRépéter. Je me suis ditPour moi tu vas arrêter Mais tu as continuéJe me suis… Lire la suite »Quand l’amour consume

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ton coeur brûle, le mien aussi…

T’ouvres le paquet
Tu frottes la fleur entre tes doigts
Tu plies délicatement le carton
Tu le déposes sur ta feuille
Et tu roules
Doucement
Sûrement
Ta langue glissant sur le rebord du papier
Mouvements répétitifs,
Routine.
Tu es habitué.
Plus qu’ à l’allumer et
Répéter.

Je me suis dit
Pour moi tu vas arrêter
Mais tu as continué
Je me suis dit
Au moins diminuer ?
Mais rien n’a changé

Tes yeux éclairés par la seule lumière de la flamme
Celle qui brûle et consume
Qui te vole à moi

Tu te noies dans la fumée
T’échappes à tes pensées
Mais je peine à respirer
Même si je suis prête à tout donner pour t’aider
Rien n’y peut.

Je suis spectatrice de ta propre destruction
Impuissante

Jade Lê

humbert, humbert

Tu te dessines sous la lueur du high noon
Tes jambes brunes partent delà la rambarde
Oh, mais qu’est-ce que tu t’en fous my little loon,
pages au bout des doigts, tu es loin d’être peinarde.

Des mots, tu t’inventes des princes et des gardes
Tu es magicienne, tirée droit d’un cartoon
Les pages défilent et tes tresses renardes,
au vent frémissent comme de vie, ah! je swoon

J’envie fort la paille entre tes roses lèvres
Oh, tu fronderais si tu connaissais ma fièvre
Comment t’aborder sans que tu ne m’haïsses?

Puis, une voix, depuis la coulissante, émerge
Désolant que tu rentres, ma petite vierge
À table ta maman pose son pain de maïs…

Symona Lam

Contributrice

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Au malheur des dames https://www.delitfrancais.com/2023/09/20/au-malheur-des-dames/ Wed, 20 Sep 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52260 Critique créative d’une vendeuse pour une grande marque de Fast-Fashion.

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Le temps d’un été, j’ai été vendeuse pour une grande marque de fast-fashion. J’ai plongé dans un monde dont j’espérais déjà peu, mais qui m’a inspiré ce texte qui laisse transparaître avant tout ce que la vente massive de vêtements en plastique a provoqué en moi. Quand je le relis, il me donne des impressions de Au Bonheur des Dames, de Zola un peu trop moderne. Je voudrais que vous, lectrices et lecteurs, puissiez prendre le contrôle de mes yeux, quelques instants, et réalisiez comme je l’ai fait il y a un an, que ce monde de paillettes de pétrole, de couleurs aux teintes toxiques, et aux effluves microplastiques ne vous veut pas du bien. Il veut votre argent.

Ce qui compte, c’est la masse

On vend des vêtements, des vêtements qui ne trouvent leur valeur que dans la quantité. Vendre plus, tout le temps, c’est tout ce qui importe. Un vêtement seul ne vaut rien. Les bouts de tissu en plastique s’accumulent, ils coûtent quelques centimes à la production, et ruinent les clientes qui ne peuvent résister aux mille et une pièces qui se volent la vedette sur les réseaux sociaux.

Nous, les vendeuses, pas tout à fait exploitées, mais sans cesse maltraitées, on nous apprend à faire briller ces objets sans valeur, cacher le moche, cacher les cadavres des étiquettes « Made in China ». On envoie un vêtement dans le carton à produits défectueux, à la moindre tache, au moindre fil qui dépasse, sans le besoin de demander l’accord de qui que ce soit. Aussitôt produit, aussitôt jeté. Le vêtement ne vaut rien. Ce qu’il faut, c’est pouvoir le vendre. Alors on laisse les clientes acheter, puis rendre des articles sans limite, l’achat doit créer chez elles une compulsion, voire une addiction.

Elles ne viennent ni pour le service, ni pour la qualité ou pour le nom. Elles reviennent machinalement à l’infini, programmées par la consommation.

Elles viennent pour l’endorphine libérée par l’abondance de produits à la pointe de la mode, pour le plaisir d’acheter des produits bradés, pour le plaisir d’acheter ce qui a l’apparence, mais en rien le caractère, du luxe.

Alors, pour la vendeuse, la cliente est sans importance. Ce qui compte, c’est la masse. Il faut pouvoir la gérer, en cabine, en caisse, en rayon. Apprendre à la dompter, à répondre à la demande au plus vite. L’amadouer est inutile, elle achètera le produit quel qu’il soit. Il faut aller au plus vite, chaque mouvement doit être rentable. Ne pas descendre en réserve pour un produit qui ne vaut rien, préférer remettre les produits en rayon ou être disponible en caisse, pour ce qui compte le plus : l’entrée massive de l’argent. La vie humaine vaut de l’or ici, littéralement précieuse comme des pièces de monnaie.

Rassurez-vous esclaves d’usines, vendeuses maltraitées et clientes manipulées, votre perte sera le gain de vos maîtres, qui vous exploitent pour acheter.

Elles me faisaient peur les clientes. Assoiffées de couleurs vives, de faux cuir et de fourrures.

Elles veulent consommer toujours plus, toujours plus vite. Elles arrivent frénétiquement pendant leur pause déjeuner, le soir avant de rentrer chez elles, avant un rendez-vous important ou un spectacle.

Elles n’ont pas le temps pour les courtoisies, alors vous apprenez vite à les oublier.

La réponse à la demande compte, mais pas la façon dont vous y répondez.
On vous chamboule, on vous maltraite. On oublie que parmi ces vêtements de basse qualité, vous êtes des humains à la valeur indiscutable.

Les vêtements sont jetés, déchirés, tachés, balancés, bazardés, retournés. Votre travail est sans cesse bafoué. Vous êtes dans l’éternel recommencement du mythe de Sisyphe. Remonter des tonnes de vêtements au troisième étage, les ranger, pour qu’à peine fini, tout soit à recommencer. Tout doit être remonté, rangé, plié, une nouvelle fois. Et cela se répète. Encore et encore.

« Rassurez-vous esclaves d’usines, vendeuses maltraitées et clientes manipulées, votre perte sera le gain de vos maîtres »

Les clientes ne savent rien de ce que cachent des vêtements si jolis, si mignons, qui donnent tant de caractères à nos apparences fades.
Ou ne veulent-elles rien savoir ?
Elles sont là pour quinze minutes de leur journée, pendant lesquelles le monde ne s’arrête pourtant pas de tourner.

La planète se meurt encore pendant ces quinze minutes, des enfants travaillent et le pétrole étouffe encore ce qui n’a pas déjà été tué. Quinze minutes vite oubliées, par celles qui ignorent que le déni ne pourra pas toujours les protéger.

À la caisse, elles demandent des tonnes de sacs, des tonnes de factures, un sourire aux lèvres, comme si le papier qui en coulait le faisait singulièrement, alors qu’il tombe par kilomètre chaque journée.

Une cliente à qui j’ai expliqué pourquoi il était impossible d’essayer plus de six articles en cabine m’a répondu : « Mais moi je m’en fous, je suis égocentrique ». Une à qui j’ai proposé de descendre au rayon hommes car la file d’attente de ma caisse était trop longue, m’a rétorqué qu’elle avait la flemme et que ce n’était pas son problème. Une à qui j’ai expliqué que les cabines étaient fermées, sans quoi nous ne finirons jamais à l’heure, a crié : « Je m’en fous, je veux acheter, je dois acheter. »

Il n’y a rien de plus humain que de désirer terriblement d’être regardé, admiré, convoité. À l’infini. Que de rêver d’être l’objet des discussions enjouées de nos conquêtes imaginaires. Et les miroirs des magasins savent nous parler, nous dire combien cette paire de chaussures saura réparer nos cœurs brisés d’avoir été mal-aimée.

« Il n’y a rien de plus humain que de désirer terriblement d’être regardé, admiré, convoité. À l’infini.»

Mais puis-je vraiment me trouver belle dans cette robe qui ne reflète que la laideur de ce monde? Cette robe rouge du sang versé par le travail forcé et qui une fois démodée finira probablement dans un désert, pollué à la mort. À la mort des habitants locaux. Je ne serai pas esclave des couleurs immondes qui prétendent me donner de la valeur, esclave d’un système qui exploite et détruit.

Si je dois être belle, je le serai au nom de la vérité.




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Concours de poésie https://www.delitfrancais.com/2023/04/05/concours-de-poesie/ Wed, 05 Apr 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51636 Le Délit présente les lauréats du concours d’écriture du Collectif de Poésie francophone sur le thème du « Refuge ».

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1er Prix attribué à Juliette Lapointe-Roy

Dormir en moi

Terrée sous les draps je me protège du monde dans une barrière du son. C’est seulement dans ce lit que je sais redevenir enfant, ne pas grandir. L’oreiller me chuchote que la nuit absorbe ce qui m’est inconcevable. Je veux parler à la nuit l’enfant parle se dit-elle distraite et je serre contre moi ma vieille peluche du haut de la vingtaine rien n’a changé.

Je me demande pourquoi j’ai dérangé, trop fait savoir que j’étais là. J’ai fini par m’inculquer le renfermement, l’isolement, la sobriété, avant que tout cela ne soit à la mode. Je me demande comment faire pour recommencer à crier. Je cherche toujours par où m’y prendre pour exister.

Je m’invente formellement. Je me catégorise, me dresse en listes une identité fixée. Je décide que le rouge est ma couleur préférée. Je cherche une fin immobile dans laquelle m’encarcaner. Sinon je ne sais pas comment faire. Je peux être qui je veux. Sinon la nuance est mon fardeau, et plus rien n’est noir ni blanc. Sinon il faut penser à l’existence flexible au changement constant. À l’identité mutable. L’évolution donne le vertige, où va tout ce que je perds de moi à chaque instant? Je m’égare dans un labyrinthe de repères qui ne tiennent pas la route. Inventée dans le ciment, je n’ai réussi qu’à me faire mentir. J’ai oublié qui j’étais.

On oublie trop souvent qu’on a un jour été enfant. Car on se croit heureux de l’abandonner, cet enfant, exactement au moment où on le perd. On le délaisse quelque part sous la douillette, avec l’ourson rabougri qui a déjà eu un visage, qui a déjà parlé lui aussi. Et un jour à vingt ans on se demande pourquoi on est déjà en retailles et pourquoi ce deuil en nous d’une personne que l’on a été alors que l’on n’est encore personne. Et quelque chose ici, une pièce détachée, murmure ; ne m’oublie pas. Grandir c’est consentir au mutisme. Je retourne aux draps pour guérir.

Quand je me repose ici le drap est trop léger sur mon corps maintenant grand et je me rappelle l’enfant fragile la tête enfouie. Même quand la cachette est mon seul lieu et que mon petit cœur fait l’équilibriste entre les couvertures, je n’ai plus besoin d’être l’autre chose de moi. Le drap est assez lourd pour me protéger, assez lourd pour que je m’endorme.

.

2ème Prix attribué à Alexandre Gontier

bic.

Les enfants n’ont pas de maison 

ils doivent toujours marcher 

comme des cerveaux qui se vident 

en procession ils coulent dans des jouets mâchouillés
et tout le reste. 

.

Pour ne pas se perdre

ils ont les mains attachées aux voisines

attachées deux par deux et ils marchent. 

.

Régulièrement on les accusent 

aléatoirement
toi tu as les mains sales
toi tu vas te laver les mains. 

.

Ils sont
sales malgré eux 

habillés malgrés eux 

parlés
et ils sont décidés. 

.

Il faut marcher
il faut dire ce qu’on fait
il faut retrouver le bouchon avant que ça ne sèche 

et ne pas gaspiller ses larmes. 

.

Avec quatre pattes 

cherche un bouchon. 

.

En défilant ils brandissent des mains pleines de poux. 

On les photographie et on leur ment.
Jamais ils ne verront les photographies. 

.

Qui m’a raturé mes doigts? Personne c’est moi.
Je les mords jusqu’à me rappeler que ma bave
est la plus sale. Maintenant mes mains sont recouvertes 

comme dans un projet qui sent la gouache. 

J’encre à l’envers, à partir de mes bouts, je joue. 

J’appuie avec ma main sur la surface d’une table parfaitement lisse.

Chacun de mes doigts a éclaté comme une fontaine à dix jets.

Je me lève et comme un enfant qui passe.
Je demande où mes stylos peuvent trouver refuge. 

On me pointe le sol, et je recommence à chercher. 

.

3ème Prix attribué à Chingy

Vers une vulnérabilité choisie

J’ai vu des personnes se refermer subitement lorsqu’on a exposé leur grotte à la vue de tous·tes. Leurs bras se sont croisés sur leur ventre et leur visage est devenu sévère. Une personne en qui elles avaient eu confiance avait guidé des inconnu·e·s jusqu’à leur lieu de recueillement ou de solitude. Un chemin avait été tracé jusqu’à leur grotte, et elles ne pouvaient désormais plus être tranquilles : les visiteurs pourraient y revenir sans invitation. Elles n’ont ensuite participé aux conversations que lorsqu’on les a interpellées, et un tranchant est apparu dans leur voix. Elles ont perdu leur ton familier et ont transformé des mots qui habituellement ouvrent en des mots qui ferment (des mots qu’on utilise pour créer une distance). Elles ont acquiescé en disant «effectivement», mais la sécheresse dans leur voix laissait bien savoir à leur auditoire que ce marqueur de relation ne serait suivi d’aucune explication.

Bien que certaines personnes laissent paraître leur paysage interne comme une vaste plaine sans refuge, je sais que tout le monde a une grotte et qu’on choisit judicieusement les personnes qu’on y accueille ainsi que la durée de leur séjour. Les invitations sont toujours à renouveler et rares sont les personnes qui y possèdent un accès privilégié.

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Un cœur qui bat des ailes https://www.delitfrancais.com/2023/02/22/un-coeur-qui-bat-des-ailes/ Wed, 22 Feb 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=51073 Et une plume qui gratte le papier.

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Encore une fois, je me retrouve dans cette chambre. C’est la troisième fois cet hiver que j’y suis ; on pourrait dire que je deviens un régulier. Le docteur me connaît bien, les infirmières aussi. Cette boîte, qui me semble rapetisser à chaque visite, n’a qu’une seule tache de couleurs, provenant de cet infâme tableau accroché au mur au bout de mon lit. Franchement, l’artiste manquait sûrement d’inspiration pour peindre un oiseau aussi laid. Il faudrait mieux questionner celui qui a eu la belle idée de placer un tel tableau devant un patient atteint d’une insuffisance cardiaque.

Ma femme Michelle se soucie souvent de mon faible cœur. Elle espère que le docteur nous annoncera bientôt qu’un nouveau cœur me sera transmis. Des médicaments, de nombreuses interventions, une chirurgie, et maintenant un nouveau cœur. J’en ai marre. À vrai dire, j’ai toujours trouvé cette idée étrange : le cœur d’un autre qui bat pour moi… pour ma femme. C’est bien pourtant mon cœur qui est tombé pour elle. Et alors que ma douce femme espère le cœur d’un autre, je ne peux qu’observer cet oiseau. Avec son plumage terne, il n’inspire que la misère. Perché sur sa branche, on dirait un vieillard ravagé.

– Bonjour Monsieur Lemire, comment allez-vous aujourd’hui?

– Aussi bien qu’on peut l’être avec un cœur qui refuse de coopérer.

– Avez-vous vu ma femme?

– Elle est à la cafétéria.

– Monsieur Lemire, j’ai une bonne nouvelle pour vous. On vous a trouvé-

– Ah, enfin, il était temps. Vous avez trouvé un nouveau tableau pour remplacer ce diable d’oiseau! Je ne pense pas pouvoir le supporter une autre journée avec son regard vide.

– Encore mieux monsieur! On vous a trouvé un cœur.

Un nouveau cœur. Ce n’est pas drôle de vieillir, on devient spectateur de notre propre décrépitude. Un nouveau cœur. Malgré son état fané, il est quand même en paix, cet oiseau. Le sommeil m’envahit de plus en plus. Je suis au bout de ma corde. Un nouveau cœur, et pourtant il arrive trop tard.

– Docteur Rolf, qu’est-ce qui me dit que ce cœur est de qualité? Je ne veux pas d’un cœur usagé!

– Mais voyons Monsieur Lemire, vous devriez vous estimer heureux. Après tout, la vie vous donne une deuxième chance.

– Une deuxième chance! Vous osez me dire que ma vie n’a pas de valeur? Où est ma femme?!

– Calmez-vous monsieur, ce n’est pas bon pour votre cœur.

– Bande d’incapables, je vais la trouver moi-même.

– Monsieur Lemire, vous n’êtes pas raisonnable, recouchez-vous.

Insupportable. Dire que j’étais en bonne santé jusqu’à ce que je ne le sois plus. Durant la dernière année, j’ai eu bien du temps, allongé dans mon lit, à me tourner les pouces et repenser à ma vie. C’est ma belle Michelle qui m’a offert une si bonne vie. Je pense que c’était lors d’une excursion en montagne que mon cœur s’est emballé en sa présence pour la première fois. C’est aussi le fait de la voir grimper la montagne devant moi qui m’a toujours fait flotter un sourire au bord des lèvres. De tels moments se sont transformés en souvenirs impérissables, mais ne sont, à présent, que des souvenirs. Je ne suis pas cave. Je sais que mon cœur m’abandonnera un de ces jours, mais c’est ce cœur qui a fondé mon amour pour Michelle. Aucun autre cœur ne pourra aimer ma douce comme le fait mon cœur fragile.

– Code bleu! Cherchez-moi une BiPAP tout de suite!

Au moins, l’oiseau, lui, pourrait s’envoler avec ses longues ailes fripées.

– Il a trop de fluide dans ses poumons! Il relâche à peine un souffle.

Dans ce grand ciel bleu, il doit avoir la plus belle vue des paysages.

– Docteur, le patient ne répond pas au traitement.

Ma belle Michelle, si seulement nous étions des oiseaux.

– Madame Lemire?

– Que se passe-t-il?! 

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Monter sur scène https://www.delitfrancais.com/2023/01/18/monter-sur-scene/ Wed, 18 Jan 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50491 Une nouvelle sur les espaces créatifs cachés.

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«C’est la dernière fois que je fais un spectacle de ballet!» Voici ce que je me disais en enlevant mes pointes après une répétition désastreuse. Mon instructeur m’avait choisie pour le rôle principal de Giselle. Pourtant, je ne cessais d’entendre ses critiques : l’arabesque n’était pas assez haute, ma jambe, pas assez droite, et mon regard, jamais dans le bon sens. Si j’étais aussi talentueuse qu’il le disait, alors pourquoi est-ce que je n’arrivais jamais à être à la hauteur de ses attentes? J’observais mon amie Zoé, qui était restée plus longtemps dans le vestiaire puisqu’elle avait un plus petit rôle. D’une certaine manière, je l’enviais. Elle n’avait pas à endurer toute cette pression d’être parfaite, puisqu’elle avait moins de responsabilités que moi. Je la voyais discuter avec d’autres danseuses, quand tout à coup, elle a quitté le groupe pour venir me parler. En voyant ma figure déconfite, son sourire a été remplacé par une expres- sion remplie d’inquiétude. «Est-ce que ça va? Tu veux en parler?», m’a‑t-elle demandé discrètement.
— Bof… Si seulement l’instructeur n’était pas si dur avec moi… Je veux dire… Je ne sais pas comment je pourrais être la Giselle idéale.
— Écoute, Olivia. S’il ne pensait pas que tu étais aussi talentueuse, il ne t’aurait jamais donné le rôle principal. Je crois qu’il veut juste te voir t’améliorer.»
Au même moment, j’ai entendu une notification provenant de son téléphone cellulaire.
Zoé l’a allumé, mais son regard restait fixé sur le message qu’elle avait reçu sur Instagram. Habituellement, elle ne passait pas autant de temps à lire des messages lorsque nous parlions. Cela devait être important. « En passant, mon frère Vincent organise chaque nuit une soirée où les artistes peuvent se réunir, que ce soit pour pratiquer, ou tout simplement parler. Je crois que ce serait une belle opportunité pour toi, tu pourras répéter plus longtemps. Voudrais-tu venir avec moi ce soir? a‑t-elle proposé.

— Es-tu sûre que c’est une bonne idée? ai-je demandé, incertaine.
— Mais oui! C’est vendredi! Il n’y a pas de répétition demain! Au pire, tu dormiras dans mon appartement! Ma coloc’ est partie en voyage cette semaine.» J’hésitais. D’un côté, Zoé avait raison. Je pouvais toujours m’améliorer. Mais d’un autre côté, je n’étais pas du tout habituée à sortir la nuit. Après tout, j’avais encore un couvre-feu à respecter, et je ne sortais jamais après 22h. Et puis, j’ai pensé à ce que Zoé m’avait dit. Et j’ai eu envie d’y aller. J’ai finalement accepté la proposition de mon amie. Par contre, je ne pouvais pas mentir à mes parents : je les aime trop. Je leur ai simplement écrit que je passerais la nuit chez Zoé. Au moins, ils lui faisaient confiance, ce n’était pas comme si j’allais dormir chez un étranger.

Il était 20h quand je suis sortie de chez moi. J’ai vu la voiture de Zoé et j’y suis montée. Pendant tout le trajet, je n’ai pas pu détacher mes yeux du croissant de lune, qui scintillait faiblement à travers la vitre du siège passager. Nous nous sommes finalement arrêtées devant une ruelle vide, et Zoé s’y est stationnée. Cette ruelle était si vide qu’aucune lumière, naturelle ou artificielle, ne pouvait l’éclaircir. Malgré tout, Zoé, qui était si sûre d’elle, ne cessait de dire que c’était le bon chemin. Le trajet n’était pas long, mais m’a semblé durer une éternité. Mon gros manteau d’hiver ne pouvait pas me protéger du froid rigoureux. Le vent glacial de janvier n’a pas amélioré la situation, et je le sentais me couper le visage comme des lames de rasoir.

Quand j’ai essayé d’ouvrir la porte, j’ai failli tomber, mais Zoé m’a rattrapée rapidement. J’ai jeté un coup d’œil par terre et me suis aperçue que j’avais trébuché sur une vieille poupée en porcelaine et une paire de ciseaux, tous les deux emballés dans de vieux journaux. Mon regard s’est tourné vers cette paire d’objets étranges, et je me suis demandé ce qu’ils faisaient dans une ruelle abandonnée. J’ai pensé que comme moi, ils n’avaient pas leur place dans la ruelle. «Que fais-tu?» Zoé me demanda, comme si j’étais un extraterrestre.

Nous avons poussé la porte et j’ai aperçu un vieux théâtre abandonné. Tout y était poussiéreux, sauf l’estrade, qui était sans doute plus propre que plusieurs scènes professionnelles. La grandeur du théâtre ne cessait de m’étonner. Puis, mon regard s’est tourné vers la scène, où je voyais divers artistes, comme ce que Zoé m’avait décrit. J’y ai reconnu des danseurs, des peintres et des écrivains. J’entendais même un pianiste qui jouait le premier mouvement de la Sonate au Clair de lune.
J’ai commencé à pratiquer sur l’estrade pendant que Zoé m’observait. Notre méthode de travail ne changeait pas. Je mettais mes AirPods, écoutais ma musique et suivais la chorégraphie pendant que Zoé me filmait. Nous regardions chaque vidéo et nous faisions des commentaires sur tout ce qui pourrait être amélioré. Elle n’a pas cessé de m’encourager, de dire qu’il y avait une amélioration entre la première et la dernière vidéo, mais je ne la croyais jamais. Pendant les premières minutes, je dansais avec beaucoup d’énergie et il n’était pas difficile de faire preuve de diligence. La fatigue a commencé à m’emporter après trois heures de répétition, et Zoé insistait pour que je prenne une pause. Alors Vincent m’a donné des feuilles et des crayons de couleur. Puis, j’ai fait quelque chose que je n’ai pas fait depuis plus de cinq ans.

J’ai dessiné une ballerine qui faisait une arabesque. Elle n’était pas parfaite. Les proportions n’étaient pas si réalistes ; je trouvais les jambes trop longues pour son petit torse et son visage minuscule. Je ne pouvais même pas dessiner des expressions faciales! En bref, je manquais de minutie. Or, j’aimais cette ballerine telle qu’elle était, même avec ses imperfections. Et si je regardais ses qualités, elles prenaient le dessus sur ses défauts. Les couleurs étaient vives, et je dirais même que j’étais impressionnée par le dégradé. Comment pouvais-je ne pas apprécier ce dessin? Étrangement, je me voyais en elle : nous étions toutes les deux imparfaites. Imparfaites comme ce grand théâtre abandonné qui m’aidait à répéter à mon rythme, sans la pression de mon instructeur… Ou comme le chemin bizarre et sale qui me menait vers ce trésor caché. J’avais négligé toutes ces qualités! Maintenant que j’y pense, peut-être qu’au fond, j’avais ma place sur scène.

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Réflexions d’un myope dans la glace du barbier https://www.delitfrancais.com/2023/01/18/reflexions-dun-myope-dans-la-glace-du-barbier/ Wed, 18 Jan 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=50510 L’ennui par définition.

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Mon barbier ne parle pas. Quand je m’assois dans le fauteuil à bascule, je comprends au coup de menton adressé à mon reflet dans la glace qu’il attend que je décrive la coupe de cheveux désirée, sans jamais prononcer un mot. Il écoute ensuite avec un désespoir à peine voilé la même réponse vague et inutile que je lui sers à chaque fois, sans photo à l’appui pour illustrer mon souhait (parce qu’en fait je n’ai jamais d’idée).

Tous les deux mois, ou presque, c’est le même rituel : je m’installe devant lui en silence, gêné par les longs coups d’œil circulaires qu’il lance autour de mon crâne afin d’évaluer l’ampleur de sa tâche, puis, dans un dernier geste, il retire délicatement mes lunettes. Dès l’instant où les verres quittent mes yeux, c’est l’ennui. L’ennui d’une vue trop faible qui m’empêche de voir la progression de son travail, et de ne rien saisir de ce qui m’environne, ni les objets, ni les visages ; l’ennui de n’avoir rien à dire à quelqu’un qui ne propose pas de m’écouter ; l’ennui, enfin, de me trouver dans un état quasi-végétatif qui me rend bête comme un escalator en panne (ou les courriels du point service de McGill). C’est l’ironie perpétuelle de mes visites au salon de coiffure depuis l’enfance : figé dans la contemplation d’un reflet que je ne peux pas voir, je suis envahi du sentiment tenace d’être un élément superflu de l’univers ; je suis cette petite tache floue, cet être myope qui ne doit sa survie qu’à l’attendrissement de forces invisibles. Quarante minutes, c’est un temps long à meubler quand on a pour soi que son imagination. J’écoute un instant la conversation des autres clients, mais elle ne m’intéresse pas car elle appartient à des gens qui voient nettement ; il y a comme un voile de gaze entre eux et moi qui constitue une barrière vague mais bien sensible entre nos deux réalités. Je vis dans un tableau de Monet et j’aime ça.

«Je suis envahi du sentiment tenace d’être un élément superflu de l’univers»

Les derniers petits cheveux bruns tombent sous mes yeux, comme la neige dans la rue, la caresse du blaireau et finalement le barbier me tend comme un plateau le petit miroir où reposent mes lunettes. Le résultat est à peu près correct (exactement comme je ne l’avais pas imaginé). Je laisse un joyeux «au revoir, à la prochaine!», un généreux pourboire de 25 pourcents et me retrouve dans la rue ; la tête rasée de frais prise dans la bise glacée de l’hiver. Mes yeux jouissent à nouveau de tous les détails du monde, ces mille petites choses qui interpellent le regard et embellissent la vie.

Je pourrais aller voir ailleurs, bien sûr, pousser la porte d’un autre des quelque 1500 salons de coiffure de Montréal, mais je crois que je me suis attaché à ces moments d’ennui qui nourrissent en moi, au sortir du salon, l’envie dévorante de tout voir, de tout connaître ; l’envie de sentir les choses comme si elles pouvaient à tout moment m’échapper.

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