Archives des Culture - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 26 Feb 2025 15:09:57 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 Les Rendez-vous Québec Cinéma https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/les-rendez-vous-quebec-cinema/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57604 Célébrer notre cinéma, affirmer notre culture.

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L e cinéma québécois traverse une période charnière. À l’heure où certains remettent en question son identité même, un festival comme le Rendez-vous Québec Cinéma (RVQC) devient plus qu’un simple événement : il s’impose comme un acte de résistance, un rappel essentiel de la vitalité et de la singularité de notre cinéma. Depuis plus de 40 ans, il demeure le seul festival entièrement consacré à notre filmographie nationale, offrant un panorama foisonnant du 7e art d’ici, des premières œuvres audacieuses aux films des cinéastes les plus établis.

« Pendant neuf jours, le RVQC devient le cœur battant de notre culture, un espace où le cinéma d’ici n’a pas à se justifier, mais simplement à exister, sous toutes ses formes »

Avec près de 200 films, dont une centaine de premières, et une programmation riche en rencontres, discussions et événements gratuits, le RVQC s’acharne à faire vivre le cinéma québécois en rassemblant public, créateurs et artisans de l’industrie. Car qu’est-ce qui définit véritablement notre cinéma? L’origine de ses créateurs? Son financement? Ses thèmes récurrents? Si l’identité du cinéma québécois semble insaisissable, ce festival prouve qu’elle existe bel et bien : mouvante, riche, profondément enracinée dans notre imaginaire collectif. Pendant neuf jours, le RVQC devient le cœur battant de notre culture, un espace où le cinéma d’ici n’a pas à se justifier, mais simplement à exister, sous toutes ses formes.

Premières mondiales

Parmi les nombreuses premières mondiales présentées cette année, deux films se démarquent par leur caractère incontournable : les œuvres sélectionnées pour inaugurer et clôturer le festival.

Le 19 février, Les perdants, documentaire coup-de-poing de Jenny Cartwright, a lancé les festivités. En suivant trois candidats aux élections provinciales de 2022, tous promis à une défaite certaine, le film expose avec une lucidité mordante les failles du système électoral québécois : ses obstacles accrus pour les femmes et les personnes racisées, son financement inéquitable, le poids écrasant des sondages et des médias. Ici, la défaite n’est pas qu’individuelle : c’est celle d’un jeu politique truqué, conçu pour écraser plus qu’élever.

Le jeudi 27 février, lors de la soirée de clôture, c’est MAURICE, documentaire intime de Serge Giguère, qui prendra le relais. Plus qu’un simple portrait de Maurice Richard, icône du hockey et figure emblématique de la culture québécoise, le film puise dans 35 ans d’archives inédites pour révéler l’homme derrière la légende. Entrelacé de témoignages exclusifs et de collaborations artistiques, MAURICE promet une immersion rare dans la vie du « Rocket ».

Les chambres rouges : un lancement sous haute tension

Dans le cadre du festival, j’ai pu assister au lancement du scénario du film Les chambres rouges (2023), à la Cinémathèque québécoise. Gratuit et accessible au public, l’événement proposait une performance en direct de la trame sonore du film, en présence de Pascal Plante, son réalisateur. Le film de Pascal Plante trouble autant qu’il fascine. On y suit une jeune femme, obsédée par le procès du « Démon de Rosemont », un tueur qui diffuse ses crimes sur le dark web. Muée par une curiosité maladive, elle tient mordicus à pénétrer la salle d’audience.

La musique oppressante était reproduite sur scène sans interruptions. Des projecteurs rouges illuminaient les trois musiciens, achevant de créer une ambiance lugubre, parfaitement accordée à l’affiche du film, celle-ci hissée en arrière-plan. Les morceaux oscillaient entre le doux grattement d’une guitare et le martèlement soudain de la batterie : le batteur, Dominique Plante, jouait avec une telle intensité qu’autour de moi, plusieurs spectateurs sursautaient au son des percussions, frappées avec vigueur.

Difficile d’imaginer Les chambres rouges sans sa trame sonore suffocante. Entendue en salle, elle vous prend à la gorge. Performée en direct, comme dimanche soir, elle devient presque physique : un grondement sourd, lancinant, qui pulse sous la peau, comme si l’angoisse avait trouvé sa fréquence. Une expérience à la fois troublante et captivante, qui prolonge l’impact du film bien au-delà de l’écran.

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Essence : quatre artistes montréalaises à l’honneur https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/essence-quatre-artistes-montrealaises-a-lhonneur/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57645 Une célébration de l’art et de l’identité noire dans cette exposition collective.

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Février, Mois de l’histoire des Noirs. Une période où l’on se retrouve, où l’on s’observe dans les reflets de celles et ceux qui nous ont précédés, et où l’on tente, à travers l’art, de raconter nos propres histoires.

Le 22 février dernier, au Quartier Jeunesse de Montréal, Cultur’elles MTL, un organisme dédié à la mise en avant des femmes issues de la diversité dans le domaine de la culture, des arts et des médias, nous a offert un espace pour le faire avec Essence.

Cultur’elles MTL

Dans cette exposition collective mettant en avant le travail de quatre artistes noires de la scène montréalaise, les visiteurs ont pu admirer photographie, peinture, crochet et multimédia dans un même espace. Les artistes mises en avant dans l’exposition étaient Sarah Béguineau, présentant des tableaux où la couleur dorée, symbolisant son vécu, domine ; Toromba Diawara, illustratrice et peintre, explorant ses émotions à travers l’utilisation de cordon et de fil ; BLCKQ, artiste et designer, qui fusionne art et tricotage pour créer des œuvres célébrant l’expression de soi ; et moi, Harantxa Jean, une artiste mêlant photographie conceptuelle et direction artistique, avec des projets comme ma série d’autoportraits CONTRAPPOSTO, engageant une réflexion sur la place des femmes noires dans l’histoire de l’art.

Cultur’elles MTL

Verres à la main, une communauté s’est rassemblée non seulement pour admirer l’exposition, mais aussi pour créer. Les participants ont eu l’opportunité de prendre part à des ateliers de perlage et de tressage animés par l’artiste Amanda Préval, tandis que les sœurs Rivera du spa Rivera Beauty ont ouvert un espace dédié à l’expression à travers le nail art. Assma, étudiante passionnée par le henné, a quant à elle proposé des designs inspirés de son héritage tchadien, et Frizzygyal, une artiste visuelle, nous a éblouis avec une performance de bodypainting en direct où elle a transformé des corps en véritables toiles vivantes.

Cultur’elles MTL

Pour compléter cette expérience immersive, Cultur’elles MTL a organisé un panel de discussion, où les artistes exposées ont été invitées à prendre la parole.

Quatre chaises sur scène, une lumière chaude, et une question posée d’emblée par l’animatrice : Comment intégrez-vous votre identité dans votre art ? Un silence dans la salle suit. Pas un silence pesant, mais plutôt celui d’une attente, d’une introspection collective. Puis Sarah a pris la parole : « Pour moi, l’art est un cheminement vers mes racines. Étant antillaise et française, il y a toujours eu une recherche de mon propre centre. Donc, mon travail, c’est un dialogue avec mon héritage. » Torumba a enchaîné, un sourire en coin : « Moi, c’est simple : mon art, c’est mon mood. Ce que je ressens, ce que je vis, tout passe par mes mains. Et avec cette expo, je voulais explorer de nouvelles matières, tester l’association entre la corde et la peinture. »

Cultur’elles MTL

Quand mon tour est venu, je parle d’absence. Le manque d’images non stéréotypées des femmes noires, l’absence d’un espace où notre beauté et notre force ne sont pas simplement tolérées, mais affirmées : « Grandir en aimant les médias, tout en n’y voyant personne qui me ressemblait, c’est un sentiment complexe. Mon travail, c’est une tentative de renverser ce narratif. De combler ce vide. »

Dans la salle, on acquiesce, on murmure, on se reconnaît. Et dans cette énergie collective, notre décision est claire : continuer de créer.

Le 22 février dernier au Quartier Jeunesse de Montréal, Essence fut une soirée où Montréal a répondu présent et où l’essence même de notre créativité et de notre identité a pleinement trouvé sa place.

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Vierge : une adolescence à l’envers de la foi https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/vierge-une-adolescence-a-lenvers-de-la-foi/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57677 Une jeunesse qui choisit sur quoi faire une croix.

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Touchées par ce portrait fidèle d’une jeunesse noire réunie dans des sous-sols d’église éclairés aux dalles DEL d’un blanc quasi hospitalier, mon amie et moi sommes assises l’une à côté de l’autre dans l’auditoire. Une première pour nous deux : ce témoignage du beau et du laid coexistant dans ces lieux de communauté, sacrés à plus d’un égard. Ode à ces réalités incomprises, Vierge est authentique, candide, mais avant tout nécessaire.

Produite par le Black Theatre Workshop et la Great Canadian Theatre Company, cette œuvre de Rachel Mutombo met en scène la rencontre de quatre adolescentes congolaises qui se réunissent hebdomadairement pour une étude biblique. Or, leurs apprentissages débordent rapidement du texte religieux, alors que se tisse, entre embarras de l’inexpérience et désirs d’appartenance, une amitié. Avec une naïveté enfantine, ces personnages féminins naviguent à travers leurs défis personnels, une prière à la fois.

« Ode à ces réalités incomprises, Vierge est authentique, candide, mais avant tout nécessaire »

Divine, interprétée par Espoir Segbeaya, apparaît la première sur scène, rayonnante de toute cette candeur propre à une jeune fille de 16 ans, plaçant table et chaises avec fébrilité. Cet enthousiasme est vite terni par l’entrée de Grace (Seeara Lindsay) et de Sarah (Joy Mwandemange), demi-sœurs vêtues respectivement des couleurs orange et mauve, qui, comme elles, s’opposent mais se complètent. Un échange gênant s’ensuit, ponctué des rires de l’auditoire, et s’interrompt finalement par l’entrée de Bien Aimé (Symantha Stewart), qui s’auto-désigne médiatrice. C’est au fil de cette dynamique tendue que les quatre personnages apprennent à s’apprécier, au meilleur de leurs capacités. Investi dans le devenir de ce petit groupe, le public tente de déchiffrer les non-dits de leurs conversations, alors que le poids de ces fameux songi-songi (rumeurs) pèse lourd. Notre immersion dans cette intrigue est facilitée par le travail de Zoe Roux à la conception du décor et de l’éclairage. Aux moments charnières, le portrait de Jésus et les longs vitraux placés en hauteur s’illuminent, lueurs d’espoir dans l’obscurité de cette salle pédagogique. L’éclairage se tamise, se concentre sur un personnage ou s’intensifie, marquant les changements de ton. Or, par moments, le jeu des acteurs peine à traduire ces variations d’ambiance : je pense notamment à une scène marquée par un éclairage glacial, austère, de style « salle d’interrogatoire » sans variation conséquente dans l’attitude des personnages.

Les symboles catholiques traversent la pièce, certains plus évidents que d’autres. Le choix des noms, des vêtements et du livre biblique à l’étude, tous porteurs de sens, racontent d’eux-mêmes une histoire sous-jacente. Lors d’interludes musicaux, l’orgue, instrument religieux par excellence, se fond dans une rythmique africaine dansante, représentation du tableau culturel que composent les jeunes filles. Les actrices embrassent leurs rôles avec aisance. Leur jeu est dynamique, et leurs personnages aux éthos distincts interagissent avec humour et tact. Cependant, notre attention se gagne et se perd au fil des échanges, alors que les voix peinent parfois à se projeter et qu’un emboîtement des paroles, dans la frénésie d’une dispute, limite la compréhension de l’auditoire.

Malgré ces bémols, cette pièce a été pour moi un réel coup de cœur. En plus d’être à la fois amusante et émouvante, Vierge était, et je l’ai ressenti, une œuvre sincère. Mon amie et moi avons vu sur cette scène nos souvenirs joués de style grandeur nature dans ces personnages nous rappelant nos cousin·e·s. Et alors qu’au début de la pièce, une voix hors champ nous rappelait les horreurs se déroulant présentement en République démocratique du Congo, j’ai repensé à l’importance de pièces de théâtre montrant au grand public québécois le portrait de communautés que trop peu représentées.

La pièce Vierge est présentée jusqu’au 2 mars au Centre Segal des arts de la scène. Des billets sont en vente sur le site segalcentre.org.

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Dandysme, histoire et fierté : aux origines du Met Gala 2025 avec Dre Monica L. Miller  https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/dandysme-histoire-et-fierte-aux-origines-du-met-gala-2025-avec-dre-monica-l-miller/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57518 Entrevue exclusive avec la créatrice du thème du Met Gala 2025 et de l’exposition Superfine: Tailoring Black Style.

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Depuis 1948, le Met Gala marque le lancement de l’exposition de l’Institut du costume du Metropolitan Museum of Art de New York (Met). Chaque premier lundi du mois de mai, la crème de la crème d’Hollywood se réunit au Met, transformant ses marches mythiques en un théâtre où haute couture rencontre mise en scène, réinterprétant ainsi le thème de l’exposition annuelle à travers des créations spectaculaires.

Cette année, le thème du Met Gala, qui se tiendra le 5 mai sous la coprésidence d’Anna Wintour, rédactrice en chef de Vogue, rend hommage à un héritage stylistique majeur avec Superfine : Tailoring Black Style, une exposition explorant l’importance du dandysme noir dans la construction des identités et du style afro-descendant. Pour donner vie à cette célébration, Wintour invite à la coprésidence le septuple champion du monde de Formule 1 Lewis Hamilton, l’acteur nommé aux Oscars Colman Domingo, les rappeurs récompensés aux Grammy Awards Pharrell Williams et A$AP Rocky, ainsi que l’icône de basketball LeBron James, qui officiera en tant que président honorifique.

Sport, cinéma, et musique confondus, ces hommes incarnent à la fois l’audace et le raffinement du dandy, soit d’un homme pour qui le style vestimentaire est un mode d’expression. Leurs origines afro-descendantes et leur port fréquent de complets sur-mesure renforcent d’autant plus le thème du dandysme noir et du tailleur (tailoring), nous laissant déjà entrevoir les looks du gala et les œuvres de l’exposition, qui seront dévoilées en mai prochain.

Pour enrichir mes réflexions, je prends contact avec celle qui a imaginé cette exposition seize ans auparavant : Dre Monica L. Miller, créatrice et architecte intellectuelle du thème du Met Gala 2025. En effet, c’est son étude magistrale sur le dandysme noir publiée en 2009, intitulée Slaves to Fashion : Black Dandyism and the Styling of Black Diasporic Identity, qui sert d’inspiration pour l’exposition Superfine : Tailoring Black Style, dont elle est également la co-commissaire. C’est dans cet ouvrage que la professeure au Barnard College de l’Université Columbia m’éclaire notamment sur l’importance du vêtement comme outil de liberté.

Alors, en me préparant à notre échange, je décide d’incarner, à ma manière, l’esprit dandy. J’enfile ma veste de complet bicolore aux boutons d’argent, prête à converser avec celle qui a donné au dandysme noir son badge de noblesse.

Pourquoi le dandysme?

Il est surprenant d’apprendre – lorsque l’on considère l’influence majeure du dandysme sur l’évolution de la mode – que Superfine : Tailoring Black Style est la première exposition de l’Institut du costume du Met à se concentrer sur la mode masculine depuis Men in Skirts (2003). Originaire du 18e siècle en Angleterre, puis adopté en France, le dandysme est avant tout un art de vivre, centré sur l’attitude flamboyante et l’apparence raffinée d’un homme de la haute société. Nombreux sont ceux, moi incluse, qui découvrent cette tradition à travers des figures européennes, telles qu’Oscar Wilde ou Charles Baudelaire. Mais pour Dre Miller, c’est tout le contraire.

Elle m’explique que son intérêt pour le dandysme est né d’un moment précis, une découverte lors de ses études supérieures à l’Université Harvard : « Lors de mes études doctorales, j’ai eu le plaisir de suivre un cours enseigné par Cornel West sur le sociologue W.E.B. Du Bois. Nous avons fait une lecture approfondie de The Souls of Black Folk [1903], (tdlr) », raconte Dre Miller. C’est dans ce contexte que l’idée du dandysme noir s’est imposée à elle, à travers une note de bas de page mentionnant que Du Bois avait été caricaturé en tant que dandy, et qu’il détestait cela. « Du Bois était toujours impeccable dans son apparence, donc ça n’avait pas de sens pour moi parce que d’après ce que je pouvais voir, le dandysme qu’il représentait était positif et au service de sa dignité. »

Mais la réaction de Du Bois, selon Dre Miller, révèle un enjeu plus profond : celui de la perception et de la représentation. « Ce qu’il n’aimait pas, c’est que l’on associait son style aux formes de divertissement de grimage en Noir [blackface], qui, au début du 19e siècle, se produisait encore régulièrement », poursuit Miller. Elle m’explique qu’il n’a jamais voulu que son éducation, ses choix vestimentaires et son attitude soient associés à la moquerie et à la dévalorisation du peuple noir. Ce moment a été un tournant décisif, l’amenant à creuser davantage sur le sujet, devenant ainsi le sujet de sa thèse à Harvard.

Au-delà de ses recherches universitaires, la professeure se souvient aussi de ses premières influences, qui remontent à son adolescence : « En réalité, mon intérêt pour la mode remonte plus loin que l’école doctorale. En parlant avec un ami, je me suis rendu compte qu’au secondaire, j’avais déjà commencé à écrire sur la mode et sur ses éléments classiques dans un journal étudiant. » C’est un moment d’introspection que nous avons en commun, alors que je lui partage que j’ai moi aussi commencé à écrire sur la mode dans mon journal étudiant, alors que j’étais encore au primaire ; une habitude que j’ai d’ailleurs ravivée dans la section Culture du Délit. Cependant, notre intérêt commun pour la mode est peut-être moins anodin que je ne le pense.

L’histoire du dandysme noir peut, en effet, être envisagée sous deux angles. « Il y a, d’une part, une origine liée aux premiers contacts entre Africains et Européens et, d’autre part, une origine plus individuelle, marquée par une inclinaison personnelle à jouer avec le style vestimentaire », m’explique Dre Miller. Durant la traite négrière transatlantique, la professeure souligne que les captifs étaient dépouillés de leurs vêtements durant la traversée, pour ensuite recevoir une tenue uniforme en arrivant en Amérique. Cette observation peut projeter l’idée que l’élégance des Noirs serait née uniquement au contact des Européens, mais ce que Dre Miller nous montre, c’est que, même dans la contrainte de l’esclavage, il y avait une intention, un choix.

« Il y a cette tension entre la manière dont les Noirs ont été représentés par les autres, et la manière dont ils se sont toujours efforcés de se représenter eux-mêmes, et la politique de cette représentation est à la fois difficile et libératrice. Pour les esclaves, leurs identités étaient effacées par ces vêtements standardisés, mais, en même temps, certains tentaient de se distinguer. Parfois, c’était un simple bouton, un accessoire, une manière particulière de porter une pièce qui signalait une identité propre. » Elle rajoute un élément essentiel : certains esclaves domestiques [house slaves] étaient vêtus avec ostentation pour refléter la richesse de leur maître, un phénomène qu’elle qualifie de « déshumanisant, car ce n’était pas leur choix ». Cependant, sous cette obligation, les domestiques comprennent « immédiatement que l’habit a un pouvoir, et qu’il peut être utilisé pour façonner une identité ».

« Cette année, le thème du Met Gala rend hommage à un héritage stylistique majeur avec Superfine : Tailoring Black Style, une exposition explorant l’importance du dandysme noir dans la construction des identités et du style afro-descendant »

Cet aspect identitaire se révèle important lorsqu’elle évoque également l’influence de sa famille dans son attrait au dandysme noir : « Chaque famille noire compte des membres qui accordent une attention particulière à leur style, et la mienne ne fait pas exception. » En effet, ce désir de s’habiller soigneusement dépasse une question du goût : il relève d’une science, celle de l’enclothed cognition – la manière dont nos habits façonnent notre attitude. Dre Miller nous fait comprendre que cette notion est en relation avec le dandysme : « La mode, le vêtement, le style, et le dandysme en particulier, ont été utilisés par les Noirs comme un outil. Parfois pour affronter des réalités difficiles, mais aussi pour transcender ces réalités, pour atteindre la joie, pour s’autodéfinir, autant que possible. »

Donc, pourquoi le dandysme? Parce qu’il est partie intégrante de l’émancipation des Noirs. Durant et après l’abolition de l’esclavage, le dandysme est pour les peuples afro-descendants un outil de résistance face aux perceptions sociales. Désormais présenté sur la plus grande scène de l’industrie de la mode, le Met Gala et l’exposition inspirée de Slaves to Fashion démontreront comment l’héritage du Black dandy continue d’évoluer.

Superfine : Tailoring Black Style

S’appuyant sur l’essai Characteristics of Negro Expression (1934) de Zora Neale Hurston, l’exposition Superfine: Tailoring Black Style explore les caractéristiques du dandysme noir à travers 12 catégories, allant de Propriété, Présence et Distinction, à Beauté, Cool et Champion. Bien que Dre Miller ne m’ait mentionné dans quelle catégorie figurera une partie fondamentale de l’exposition, c’est en apercevant un dessin de Toussaint Louverture dans la vidéo promotionnelle de l’exposition que mon cœur a bondi.

Étant d’origine haïtienne, je ne pouvais ignorer la résonance entre la Révolution haïtienne de 1804 et la manière dont le dandysme noir, à travers l’histoire, a façonné la perception du héros noir. Dre Miller acquiesce : « C’est une excellente observation. Ce qui est fascinant, c’est que, dans mon livre, Haïti n’est mentionné que brièvement, mais dans l’exposition, le pays occupe une place centrale. » Elle poursuit : « Nous avons une section entière de l’exposition qui explore la tenue militaire et la façon dont elle confère une certaine prestance. Nous avons des images de Toussaint Louverture, avec son habit militaire soigneusement porté, mais aussi une galerie entière de portraits d’hommes politiques haïtiens qui lui ont succédé. Ils dégagent une prestance royale qui, bien que semblable à celle des dirigeants européens, avait une signification radicalement différente. »

Je l’écoute, fascinée. La Révolution haïtienne ne représente pas seulement un moment clé dans l’histoire des Noirs, mais aussi un tournant dans la manière dont ils se sont représentés à travers le vêtement. Dre Miller enfonce le clou : « À l’époque, voir des Noirs libérés s’auto-représenter ainsi suscitait un mélange de fascination et de crainte. Une crainte respectueuse, car ces hommes s’imposaient non seulement par leur statut libre, mais aussi par la manière dont ils se présentaient au monde. » Combien de fois a‑t-on parlé de la mode haïtienne sous cet angle? Trop rarement. « C’est pourquoi il était essentiel pour nous d’en faire un point central de l’exposition », affirme-t-elle.

Avançons à l’ère actuelle, et l’héritage du dandy noir est omniprésent. Impossible de ne pas créditer l’influence d’André Leon Talley, le premier directeur artistique noir de Vogue, dans la conception du dandy moderne que l’on peut voir chez Colman Domingo par exemple, que Dre Miller qualifie d’ailleurs comme « l’un de [ses] dandys modernes préférés ».

« La mode, le vêtement, le style, et le dandysme en particulier, ont été utilisés par les Noirs comme un outil. Parfois pour affronter des réalités difficiles, mais aussi pour transcender ces réalités, pour atteindre la joie, pour s’autodéfinir, autant que possible »

- Dre Monica L. Miller, créatrice du thème du Met Gala 2025

Je demande alors à Dre Miller si, malgré les racines coloniales du dandysme, son esthétique conserve sa portée radicale, ou si elle a été récupérée par le mainstream [le courant dominant]. Quelles sont les implications, par exemple, lorsque des icônes comme A$AP Rocky sont célébrées pour leur « swagger » ou leur « drip », alors que les racines historiques de ces expressions stylistiques sont ignorées? Cela amoindrit-il la signification du dandy noir?

Dre Miller secoue la tête : « Non, je ne pense pas que cela la diminue. Une des choses qui m’a frappée en transformant mon livre en exposition, c’est à quel point cette histoire, même quand elle n’est pas explicitement reconnue, est toujours là, présente, implicite, vivante. » Pour Miller, ce n’est pas seulement une question de vêtements, mais d’attitude : « Le dandysme, on le définit souvent par le complet. Mais ce qui compte, ce n’est pas juste le complet, mais ce que la personne fait avec. Comment il est porté, comment il est stylisé, comment il bouge. J’étudie comment la personne habite le vêtement. »

Elle insiste sur le fait que des styles populaires, enracinés dans les cultures afro-descendantes, ne disparaissent pas, même lorsqu’ils ne sont pas revendiqués ouvertement : « L’histoire ne s’arrête pas. Quand on regarde les figures contemporaines du style, on voit ces traditions évoluer, parfois explicitement, parfois implicitement. Même si elles ne sont pas reconnues par tous, certaines personnes les perçoivent. Et avec cette exposition, j’espère que davantage de gens apprendront à les voir. »

Dre Miller souligne également que le dandysme est une performance : « Il y a une part d’incarnation et une part de public. Et parfois, ce public, c’est soi-même. » Sans même le savoir, j’assiste à une exclusivité. La semaine dernière, le code vestimentaire du Met Gala a été révélé : Tailored for You [Conçu pour soi-même]. Les invités devront honorer la thématique du sur-mesure en revisitant l’élégance du complet, une pièce propre à l’histoire du dandy noir.

Avec cette réflexion en tête, comment anticiper les choix vestimentaires des invités? Dans Slaves to Fashion, Dre Miller écrit à la page 14 que « deux hommes, un noir et un blanc, vêtus du même complet et du même chapeau, ne le porteront presque jamais exactement de la même manière. » Il ne reste plus qu’à attendre l’apothéose annuelle de la mode, le 5 mai prochain, pour voir quelles célébrités et designers s’approprieront le plus efficacement ledit complet…

Le Met Gala aura lieu le 5 mai 2025 au Metropolitan Museum of Art de New York. Présentée par Louis Vuitton, l’exposition Superfine : Tailoring Black Style sera visible au Met du 10 mai au 26 octobre 2025.

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Une femme en tête https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/une-femme-en-tete/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57539 Critique de la pièce Sa dernière femme.

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Sa dernière femme, écrite par l’autrice canadienne Kate Henning et traduite par Maryse Warda, modernise le récit du personnage historique de Kate Parr, sixième épouse de Henri VIII, qui a changé le cours de l’histoire des femmes en se battant pour permettre aux héritières du roi britannique d’accéder au trône. Elle raconte son ascension au pouvoir et ses désirs de réformes, en plus d’explorer le thème universel de l’amour. Cette pièce féministe nous accompagne pendant 2h30 de tension et de retournements.

Sa dernière femme met en lumière le parcours des femmes dans l’histoire et met de l’avant un discours féministe souvent ignoré. On y voit des personnages féminins forts, qui doivent travailler à l’intérieur d’un système qui les rejette, et toutes les tensions et contradictions qui accompagnent ce processus. Kate Parr et les filles de Henri VIII doivent renoncer à des valeurs qui leur sont chères et une part de leur intégrité afin de favoriser leur accession au trône. Elles se perdent parfois dans le jeu dangereux du pouvoir et doivent participer à leur propre oppression dans le but d’arriver à leurs fins. Mais la fin justifie-t-elle les moyens?

Les personnages mis en scène par Eda Holmes sont complexes et bien travaillés ; le roi Henri VIII, que l’on souhaiterait détester à tout prix, révèle un côté parfois humain et vulnérable, ce qui ajoute une dimension plus profonde à son personnage. Les moments d’intimité entre le roi et sa femme sont touchants et donnent l’impression au spectateur d’être seul dans la chambre avec le couple, avec un éclairage focalisé sur leur lit placé au centre de la scène. L’aspect intime de cette disposition détonne avec l’arrière-plan gris à l’allure de béton, ce qui crée une impression de « cellule spatiale » ; il n’y a que la chambre qui existe. Les comédiens portent bien leur rôle : Marie-Pier Labrecque endosse celui de Kate Parr avec habileté et mène la pièce de façon impressionnante. L’interprète d’Henri VIII, Henri Chassé, lui renvoie la réplique avec autant d’assurance. Il n’y a pas de temps mort dans le jeu des acteurs ; les personnages prennent vie devant nos yeux. La pièce prend le pari de la modernité : les costumes contemporains et le décor à l’allure industrielle, ainsi que le registre actuel des répliques contribuent à la réactualisation du sujet.

Toutefois, il s’agit d’un pari plus ou moins réussi. La modernisation du texte contraste avec le récit et les dialogues, ce qui peut parfois nous faire décrocher de la pièce. Si à d’autres moments, elle nous en rapproche, en rendant l’intrigue et les références historiques plus accessibles, certains aspects historiques liés à la monarchie et à la bureaucratie royale britannique du 16e siècle complexifient inutilement l’histoire, la rendant moins accessible au grand public. De plus, ils contribuent à allonger la durée du spectacle, qui, rappelons-le, s’étend sur 2h30 avec un entracte de seulement quinze minutes.

Malgré tout, l’hommage à Kate Parr demeure réussi. Dans le contexte social et politique actuel, où certains dirigeants portent des propos dégradants sur les femmes de façon publique, il est d’autant plus pertinent de monter ce genre de pièce, qui nous rappelle que les femmes ont toujours joué un rôle actif dans l’histoire et que leurs voix ne seront pas effacées.

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Un pari audacieux, relevé avec brio https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/un-pari-audacieux-releve-avec-brio/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57542 Six Characters in Search of an Author au Tuesday Night Cafe Theatre.

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Une mise en scène audacieuse, une troupe investie et un spectacle qui ne laisse pas indifférent·e : la toute première mise en scène de Solène Chevalier est une réussite. Plus qu’une pièce de théâtre, il s’agissait d’un véritable « passion project » pour la metteuse en scène.

Six characters in Search of an Author (Six Personnages en quête d’auteur) met en scène une troupe de théâtre en pleine répétition, interrompue par l’arrivée de six personnages inachevés, qui cherchent un auteur pour donner vie à leur drame. Le metteur en scène et ses acteur·rice·s, d’abord sceptiques, se retrouvent entraînés dans cette confrontation troublante entre fiction et réalité, où les frontières du théâtre vacillent.

Malgré la tempête qui faisait rage ce soir-là, le public était au rendez-vous pour assister à la création du Tuesday Night Café Theatre, troupe affiliée au département d’anglais de l’Université McGill. Voilà une belle preuve du succès de cette adaptation. L’esprit de camaraderie de la troupe y est sans doute pour beaucoup. Selon Solène, c’est d’ailleurs ce qui en fait la force. Dans les coulisses ou sur scène, cette chimie d’équipe transparaît. Les derniers préparatifs avant la représentation se font dans le rire et la bonne humeur, au gré des jeux d’improvisation et des exercices vocaux loufoques.

« Une mise en scène audacieuse, une troupe investie et un spectacle qui ne laisse pas indifférent·e : la toute première mise en scène de Solène Chevalier est une réussite »

Il faut dire que mettre en scène Six Characters in Search of an Author représentait un véritable défi. Lorsque Solène a soumis sa candidature au Tuesday Night Café Theatre, elle ne mesurait pas encore l’ampleur de la complexité du texte : sa structure non conventionnelle, marquée par des ruptures et un langage riche en double sens, rendait la mise en scène particulièrement exigeante.

Les monologues sont nombreux, parfois interminables, mais ils captivent grâce à une diction impeccable et à des interprétations solides. La Belle-fille (Leah) et le Père (Nikhil), qui ont les rôles les plus denses, s’imposent naturellement par la puissance de leur jeu. Malgré une répartition inégale du texte, chaque comédien·ne parvient à se démarquer. La Mère (Annabel) bouleverse par ses cris poignants et son regard larmoyant, tandis que le Fils (Hugo) captive par une colère contenue qui menace d’exploser à tout instant. Le rôle silencieux de l’Enfant, interprété par Édouard James, est une autre belle surprise. Sans prononcer un mot, le jeune comédien parvient à transmettre une gamme d’émotions saisissantes uniquement par le regard et les expressions du visage.

L’exploitation de l’espace scénique est particulièrement réussie : les acteur·rice·s ne se contentent pas du plateau, ils·elles débordent dans la salle, interagissent avec le public, font leur entrée par la même porte que les spectateur·rice·s. Cette forme de théâtre interactif se prolonge dans une mise en abyme orchestrée par le personnage du Metteur en scène (Mazdak). Accompagné de deux acteur·rice·s professionnel·le·s (Nicholas et Kyle), il s’évertue à reproduire le récit tragique des membres de cette étrange famille. Ce trio d’artistes insuffle une légèreté bienvenue grâce à un timing comique parfaitement maîtrisé, qui se double d’une réflexion sur la nature du théâtre.

Au-delà de son aspect métathéâtral, la complexité de la pièce relève de thèmes plus sombres, parmi lesquels la prostitution et le suicide. Si ceux-ci sont dévoilés dès le lever du rideau en guise de traumavertissements, leur traitement sur scène en est tout autre. Plutôt que de les exposer frontalement, la mise en scène les suggère habilement : un projecteur rouge qui isole la Belle-fille et le Père suffit à faire planer une menace palpable. De même, les trois coups de cloche en hommage aux trois coups de bâton classiques du théâtre marquent l’entrée dans cet univers troublant ; un clin d’œil au dénouement de la pièce, qui (alerte, divulgâcheur) se solde par un suicide, mais aussi une allusion à la Comédie Française – une institution que Solène apprécie particulièrement – qui souligne le début de chaque acte par le son de clochettes.

Malgré les nombreuses coupures effectuées, la pièce conserve toute sa puissance dramatique, à laquelle s’ajoute une série de scènes comiques : le jeu volontairement exagéré de Nicholas et Kyle, qui ironise sur le flair théâtral du Père et de sa Belle-fille, une série d’allusions pince-sans-rire aux monologues incessants du Père… Tous des moments qui sèment le rire parmi l’assemblée et qui contrebalancent le drame de la pièce.

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AUTS : une production digne de Broadway https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/auts-une-production-digne-de-broadway/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57337 Company sur scène au Théâtre Plaza.

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Si, comme moi, vous ignoriez l’existence de la Arts Undergraduate Theater Society (AUTS), l’engouement autour de leur plus récente production, Company, une comédie musicale signée Stephen Sondheim, aura tôt fait de vous captiver. Une équipe de 40 étudiant·e·s, dont 14 interprètes, un orchestre en direct et des répétitions acharnées depuis le mois d’octobre garantissaient d’emblée le succès de l’entreprise. Plus de 200 billets vendus lors de la première représentation et une salle pleine à craquer lors des suivantes ; le charme du Théâtre Plaza, hôte de la production, laissait présager le professionnalisme de la troupe. Avant le spectacle, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Anna Brosowsky, la metteuse en scène, ainsi que deux comédien·ne·s de la troupe, Henry Kemeny-Wodlinger, dans le rôle de Larry, et Kaya Edwards, dans celui de Jenny.

Pour Anna Brosowsky et Sam Snyders, chargés de la mise en scène, le choix de la comédie musicale Company s’est imposé comme une évidence : leur amour commun pour la pièce et les thèmes intemporels de celle-ci en faisaient une pièce idéale pour AUTS. « Les metteurs en scène adorent cette comédie musicale », me mentionne Kaya. « C’est leur préférée, alors [cet amour pour la pièce, ndlr] transparaît dans leur direction. Ils ont confiance en ce spectacle, et en nous : c’est motivant. Nous sommes chanceux de les avoir. » Henry renchérit : « Nous sommes très chanceux. Tout le monde veut être là […] et tout le monde a trouvé sa place dans cette troupe. »

Henry et Kaya soulignent aussi le défi que représentent les compositions de Stephen Sondheim, « l’un des compositeurs de théâtre musical [dont la musique, ndlr] constitue presque un genre en soi. Adapter Sondheim, ce n’est pas seulement difficile en ce qui a trait au drame, mais aussi à la musique. Il sait vraiment ce qu’il fait », m’explique Kaya.

En effet, la singularité des pièces de Sondheim surprend par son niveau de sophistication élevé, qui combine des harmonies et modulations complexes. Dans le cas de Company, il s’agit également d’une déconstruction du théâtre plus traditionnel. La comédie musicale met donc en scène le 35e anniversaire de Robert, affectueusement surnommé Bobby, le dernier célibataire de la bande. Plutôt que de privilégier un fil narratif linéaire, Sondheim propose une structure fragmentée, divisée en plusieurs saynètes, où Robert dîne en compagnie de différents couples, posant un regard sur leurs réalités respectives. Un « théâtre conceptuel » propre à Sondheim.

« Le fait que l’on puisse faire un spectacle de cette envergure, en étant tous des étudiant·e·s, c’est réellement un tour de force »

Le numéro d’ouverture instaure immédiatement le ton de la pièce : nous avons ici affaire à des passionné·e·s, et cette passion transparaît sur scène. Le professionnalisme de la troupe crève les yeux – les répétitions depuis le mois d’octobre et le talent indéniable des interprètes donnent lieu à un spectacle à couper le souffle. Après chaque numéro, les applaudissements semblent gonfler davantage. Au terme de chaque solo, mon admiration pour ces étudiant·e·s et leur indéniable talent grandit. Il faut dire que les réactions positives de la foule semblent nourrir l’interprétation : d’un numéro à l’autre, l’énergie semble se décupler, la puissance de la voix retentit plus fort, le jeu devient plus naturel, plus comique. On pourrait presque croire que les comédien·ne·s tentent de se surpasser l’un·e l’autre.

Ainsi, tour à tour, Marta (Jessica O’Gorman), Joanne (Irene Newman Jiminez) et Robert (Frank Willer) peuvent étaler l’ampleur de leurs prouesses vocales. Si la plupart des étudiant·e·s de la troupe n’étudient pas le théâtre, Henry et Kaya évoquent un amour collectif pour l’art de la scène. Plusieurs membres de la troupe ont de l’expérience en la matière ; Henry s’est d’ailleurs impliqué au sein d’autres clubs similaires à McGill. Avec Company, il s’implique pour une première fois dans une comédie musicale. Son expérience lui a décidément été bénéfique ; il incarne Larry, un homme dans la mi-trentaine, marié à Joanne, qui en est à sa troisième union. Bien que Joanne ne se laisse pas marcher sur les pieds et semble parfois intransigeante avec son mari, la saynète qui les met en vedette – toujours en compagnie du fameux Bobby – s’avère sans doute l’un des numéros les plus remarquables du spectacle : le synchronisme comique de Larry, combiné à la puissante voix de Joanne, achève de marquer les esprits. La performance d’Irene épate la foule et iel récolte sans doute les applaudissements les plus nourris de la soirée, dans une interprétation époustouflante de « The Ladies Who Lunch ».

Lorsque je l’interroge sur les spécificités d’AUTS par opposition à d’autres troupes de théâtre à McGill, Henry cite d’abord la quantité d’étudiant·e·s impliqué·e·s dans la production : « Il y a beaucoup de gens qui travaillent là-dessus. C’est presque professionnel, du moment qu’on a un bon ensemble et un bon duo de metteur·euse·s en scène – et c’est le cas cette année. […] Il y a beaucoup de temps consacré à la préparation de ce spectacle, et beaucoup de gens derrière sa réussite. » Kaya abonde dans ce sens : « C’est tellement un projet d’équipe. […] Tout le monde a de l’expérience en théâtre, mais ce n’est le métier de personne [à proprement parler, ndlr]. Le fait que l’on puisse faire un spectacle de cette envergure, en étant tous·tes des étudiant·e·s, […] c’est réellement un tour de force. »

En effet, aux metteur·euse·s en scène et aux 14 interprètes s’ajoutent une trentaine de technicien·ne·s et un orchestre, dirigé par le prodigieux Jeremy Green, dont l’assurance, du haut de ses 17 ans, attirait les regards vers les coulisses de la scène. Seule critique à cet égard, la musique parfois trop forte enterrait les voix des interprètes lors des passages de dialogues chantés. Ainsi, depuis mon siège, je peinais à entendre les mots de « Getting Married Today », où le personnage d’Amy, interprété par Miranda De Luca, éprouve une série de doutes face à son mariage imminent avec Paul (Adam Siblini). Le flot de paroles débité à une vitesse hallucinante par le personnage en faisait de toute évidence une performance mémorable et un tour de force monumental de la part de son interprète, mais il aurait été d’autant plus impressionnant s’il avait été plus audible.

Mention honorifique au numéro mettant en scène Sarah (Odessa Rontogiannis) et Harry (Chris Boensel), celui ayant suscité le plus de rires de la part du public, où devant le regard effaré de Bobby, le couple se livre à un combat de karaté. Sans jamais se détacher de leurs rôles, Odessa et Chris multiplient les courbettes et les contorsions ; face contre terre, ils demeurent immobiles, suspendus dans le temps, alors que la Company chante la réalité des mariages mis en scène.

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Un voyage entre ciel et terre https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/un-voyage-entre-ciel-et-terre/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57443 Saint-Exupéry: lorsque repousser les limites est une question de survie.

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« J’ai une idée. » C’est ainsi que commencent la plupart des répliques de Louis Garrel, l’interprète principal de Saint-Exupéry, le nouveau film du réalisateur franco-argentin Pablo Agüero. Sorti au Québec le 24 janvier 2025, le long-métrage retrace l’épopée d’Antoine de Saint-Exupéry, rendant hommage à ce pilote « mort pour la France ».

L’histoire nous ramène en 1930, en Argentine, du temps où la compagnie française Aéropostale, pour laquelle travaillait Antoine, acheminait du courrier en Patagonie. Lorsque son patron évoque la fermeture potentielle de l’entreprise, Antoine de Saint-Exupéry et Henri Guillaumet, deux pilotes talentueux, tentent d’augmenter leur efficacité par le biais d’un chemin plus direct, mais plus dangereux. Or, Guillaumet, le premier à tester leur nouvelle idée, ne revient jamais : son avion est introuvable. Il n’en tient qu’à Saint-Exupéry de tenter le même vol que son ami pour le retrouver…

Tout au long du film, des scènes de vol nous permettent d’admirer les paysages de la Cordillère des Andes et de la Patagonie, où la majorité du tournage a d’ailleurs pris place. Les prises de vue s’attardent au relief et à l’esthétique de la nature, à sa beauté presque intouchable. Au-delà de l’attention portée à l’esthétique du film, les émotions transmises par les personnages sont puissantes. Joie, peur, angoisse et tristesse se succèdent à l’écran et nous frappent de plein fouet. L’espoir et le découragement des personnages sont notamment palpables. On a presque envie de tendre la main à travers l’écran pour les réconforter. L’interprète de Noëlle Guillaumet, Diane Kruger, est particulièrement époustouflante. Elle transmet parfaitement la peur de perdre son mari et son impuissance face à la situation, contrainte à espérer que Saint-Exupéry retrouve miraculeusement le disparu. Le lien entre Noëlle et Saint-Exupéry se renforce au fil des aventures, chacun devenant la bouée de sauvetage de l’autre. L’inquiétude est palpable à chaque fois que son mari monte à bord de son avion : et s’il ne revenait jamais, la laissant seule devant l’énormité de son deuil? Louis Garrel nous fait lui aussi parfaitement ressentir le calme qui s’installe chez Saint-Exupéry lorsque ce dernier se retrouve dans les nuages. Le rare silence dans la trame sonore amplifie ce sentiment d’extase et de fébrilité fugace.

Jade Lê | Le Délit

« Le rare silence dans la trame sonore amplifie ce sentiment d’extase et de fébrilité fugace »

La créativité de Saint-Exupéry est mise de l’avant : on y voit notamment le journal chaotique de ce dernier, qui y dessine tout ce qu’il voit afin de mieux percevoir ce qui se trouve devant lui. La témérité du pilote est également un élément important de l’histoire puisque c’est son goût pour le risque qui le poussera à tenter de retrouver son ami Henri Guillaumet, incarné par Vincent Cassel.

Jade Lê | Le Délit

Le film présente différents aspects moins connus de Saint- Exupéry, parmi lesquels sa passion pour l’aviation et le dessin. Ses œuvres littéraires sont très brièvement mentionnées, et bien qu’il ne soit pas nécessaire de connaître le passé du pilote pour apprécier le film, faire une courte recherche avant votre visionnement pourrait s’avérer judicieux. Plusieurs allusions discrètes au Petit Prince (1943) ou encore à sa jeunesse et à son expérience en tant que pilote sont évoquées, des clins d’oeil agréables lorsque l’on est en mesure de les interpréter. Saint-Exupéry est un excellent film pour découvrir Antoine de Saint-Exupéry à travers les expériences qui l’ont inspiré pour ses œuvres littéraires.

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https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/57458/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57458 L’article est apparu en premier sur Le Délit.

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Rencontre avec Matthew Rankin, réalisateur du film canadien sélectionné pour les Oscars https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/rencontre-avec-matthew-rankin/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57151 Le cinéaste nous dévoile Une langue universelle.

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Retourner à la maison, s’occuper de sa maman : ce sont ces motivations empreintes de tendresse qui poussent Matthew, un fonctionnaire, à quitter Montréal pour retourner à Winnipeg, sa ville natale. Dans Une langue universelle, la quête du chez-soi, un foyer où l’on est inclus plutôt qu’invité, constitue le cœur du récit. Ce chez-soi, Matthew Rankin, co-scénariste, réalisateur et acteur s’interprétant lui-même, le traduit avec une telle sensibilité que le film est retenu comme candidat canadien dans la Liste Courte du meilleur film international des 97e Oscars de 2025. Mais le pays de l’érable que Rankin dépeint n’est pas celui que l’on connaît : dans ce film, sélectionné parmi le Top 10 des meilleurs films canadiens de l’année 2024, le Canada est un univers unique et biscornu, où le persan et le français sont les langues officielles du pays.

L’histoire s’ouvre au sein d’une école d’immersion française, où un professeur acariâtre enseigne à des élèves intrigués par une dinde et des lunettes disparues, nous plongeant au cœur d’un enchaînement d’événements improbables. Dans un autobus en direction de Winnipeg, ce même professeur croise la route de Matthew, à la recherche de sa maison d’enfance, tandis que deux écolières poursuivent un billet de 500 riels gelé sous la glace. Massoud, un guide touristique, s’ajoute à ce tourbillon où les destins et les corps semblent se confondre. Vous l’aurez compris : pour le deuxième long métrage de fiction du cinéaste, tout s’entrelace. Couronné du prix du public au Festival de Cannes, ce récit fascinant explore des liens invisibles et des hasards troublants. Cela dit, je n’ai pu m’empêcher de questionner les racines autobiographiques du film, où Rankin se met en scène, ainsi que l’imaginaire derrière ce Canada franco-perse, si singulier. Alors que les crédits défilaient, le film m’a laissée à mes songes – heureusement, Rankin a répondu à mes questions.

« Ce film, par son espace doux et fluide, a trouvé une résonance universelle, et c’est peut-être pour cela qu’il a touché tant de gens »

Matthew Rankin, réalisateur d’Une langue universelle

Le Délit (LD) : Une langue universelle propose un univers hybride où se rencontrent des éléments de la culture iranienne, du persan et du français dans un Canada réinventé. Qu’est-ce qui vous a conduit à mélanger ces influences culturelles?

Matthew Rankin (MR) : Oui, c’est un film très hybride. Pour moi, il repose sur trois grands piliers : un amour du cinéma iranien, du cinéma winnipégois et du cinéma québécois. C’est un amalgame, un peu comme une pizza hawaïenne, qui fusionne différents codes cinématographiques. L’idée était de créer un film qui dépasse les frontières, qui soit « sans nation ». Ce n’est ni un film canadien, ni iranien, ou québécois : c’est une œuvre à la confluence de ces univers, un reflet de nos vies qui sont, en réalité, beaucoup plus fluides que les frontières et catégories que nous leur imposons. Ila Firouzabadi [co-scénariste et actrice dans Une langue universelle, ndlr] et moi avons ressenti un désir de représenter cette absence de barrières et d’explorer un espace surréaliste, mais aussi authentique, qui reflète nos expériences de vie collective.

LD : Votre film regorge de références historiques et nationales, comme une murale représentant Brian Pallister, ancien premier ministre du Manitoba, serrant la main de Justin Trudeau. En tant que diplômé en histoire à McGill et à l’Université Laval, ces références étaient-elles intentionnelles pour ancrer votre récit dans un contexte historique précis?

MR : Oui, ces références font partie des codes du film, mais nous avons voulu les subvertir en les examinant sous un autre prisme. Par exemple, à Winnipeg, les spectateurs ont vu dans le film un miroir de leur identité, même s’il est en persan et en français, des langues peu parlées là-bas. À Téhéran, les spectateurs ont eu une réaction similaire. Ce que nous avons cherché à créer, c’est un espace liminal, un lieu entre-deux. C’est là où la plupart de nous existons : dans des zones de transition, dans un écosystème complexe et souvent absurde. Ces codes, tout en ancrant le film dans un contexte, nous permettent aussi de questionner les cadres binaires qui organisent notre monde.

Maison4tiers

LD : Le film explore le thème de la défamiliarisation, avec un protagoniste qui, partout où il va, reste un invité. En quoi ces thèmes sont-ils liés à vos expériences personnelles?

MR : C’est un reflet direct de mes expériences. J’ai grandi à Winnipeg, mais après 20 ans d’absence, je ne m’y sens plus complètement chez moi. Je suis à la fois un étranger et un ancien local. À Montréal, où je vis depuis longtemps, c’est un peu la même chose : je suis Québécois, mais pas au sens traditionnel. Ces tensions ont créé une histoire qui dépasse les appartenances géographiques. Winnipeg, par exemple, partage des similitudes avec Téhéran, que ce soit dans l’architecture ou l’humour noir. Le film reflète ces espaces « entre » et « au-delà » que nous naviguons tous.

LD : Le titre « Une langue universelle » semble paradoxal, compte tenu du fait que le film est en persan et en français. Pourquoi ce choix?

MR : Le titre fait référence à l’espéranto, une langue conçue pour unir les peuples. Ila et moi travaillons d’ailleurs sur un autre projet portant sur l’espéranto [rires]. Au-delà des langues parlées, une « langue universelle » peut être une forme de communication fondamentale : un langage cinématographique, un geste tendre ou même un regard. Puis, mon intérêt pour les langues indo-européennes, que j’ai étudié à McGill d’ailleurs, m’a aussi influencé. Ces dernières proviennent du latin, une langue-mère oubliée, mais on en ressent encore l’influence. Similairement, ce film explore cette idée de résonance universelle, au-delà des mots.

LD : Votre film a été accueilli avec enthousiasme sur la scène internationale, notamment avec une sélection dans la liste courte pour l’Oscar du meilleur film international. Comment percevez-vous cette reconnaissance, et influence-t-elle votre vision du cinéma canadien?

MR : Ce qui me fait rire, c’est que malgré nos efforts pour créer un film sans étiquette nationale – ni canadien, ni iranien, ni québécois – il soit classé comme « canadien » [rires]. Le film est simplement canadien à cause de notre citoyenneté. Une langue universelle est transnational, construit autour des connexions improbables qui nous unissent. Sa fluidité rejette les oppositions rigides que l’on utilise pour structurer le monde. Je pense que nous vivons dans une époque en pénurie de tendresse, et ce film, par son espace doux et fluide, a trouvé une résonance universelle, et c’est peut-être pour cela qu’il a touché tant de gens.

Le film prendra l’affiche partout au Québec le 7 février 2025.

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Réminiscence & traditions https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/reminiscence-traditions/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57177 De génération en génération.

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Quand j’y songe, il m’est impossible de dissocier le Nouvel An chinois d’une ambiance familiale ; j’entends les enfants jouer et courir sans crier gare, tandis que les adultes les hèlent par vigilance, tout en apportant deux plats de la cuisine, où on entend le hachoir chinois rythmer la cadence en tranchant le porc grillé. Un chœur qui accompagne la sérénade de rires, de conversations en teochew [langue parlée à au Sud-Est de la Chine, ndlr], le tout tel un canon lyrique. On se situe dans une pièce de vie chaleureuse et l’on soupçonne déjà olfactivement, avec impatience, les plats à venir (même si le salon est embaumé d’encens). Oui, cet événement me paraît telle une madeleine de Proust. Et ce, même en étant né et en ayant grandi en France.

Chez moi, la tradition se perpétue dans l’hexagone et continue de se transmettre de génération en génération. D’enfant à adolescent, de jeune adulte à adulte, puis à senior, nous incarnons des rôles bien différents à mesure que les années passent. Les mœurs, quant à elles, demeurent immuables :

- L’enfant le vit presque comme une grande cousinade ; il sait qu’il va se régaler et avoir de l’argent de poche via les enveloppes rouges (hóngbāo). Il va juste brûler quelques faux billets, bijoux et ornements, afin de transmettre vers les cieux, de l’argent et ces offrandes à feu ses ancêtres. À l’instar de cette coutume, la fumée de l’encens fait également parvenir les prières aux défunts. Les enfants sont parfois même vêtus de tenues traditionnelles, généralement faites de soie et de couleurs vives (rouge, bleu, jaune flamboyant).

- Dès l’adolescence, il est progressivement amené à aider « les grands » : disposer les tables en longueur, compter la cinquantaine de personnes et placer les tabourets en conséquence. Il interdit les plus jeunes de piquer de la nourriture, disposée telle une exposition, le temps d’un bâton d’encens, afin que les défunts aient pu « dîner » avant.

- Une fois jeune adulte, on lui octroie même la supervision de la gestion du feu, dehors, pour faire brûler aux plus jeunes, les faux billets, tout en gardant un œil sur eux. C’est aussi à ce moment-là, qu’il peut leur expliquer, les principes et subtilités de ce rituel. Si le jeune adulte est marié, il doit cette fois lui aussi, contribuer à distribuer les enveloppes rouges aux plus jeunes, en guise de porte-bonheur (la somme d’argent à l’intérieur importe peu et n’est que symbolique). À tout le moins, s’il a des enfants, c’est également aux autres adultes d’offrir ces hóngbāo à ses enfants.

- Les adultes plus agés sont appelés aux mêmes devoirs mais endossent bien souvent les rôles de chefs cuisiniers. Une consigne est alors instruite aux plus jeunes : pour les remercier d’avoir fait à manger, on leur garde des places sur la table des « grands ». Ils sont mêlés aux seniors qui eux, supervisent ici et là, doucement, mais préféreront profiter des petits-enfants, en leur contant des anecdotes sur leurs parents, tout en feuilletant des albums photo.

En somme, tel un Noël européen, le Nouvel An chinois, c’est une véritable réunion de famille autour d’un grand repas et bien de nombreux convives. Un moment joyeux de retrouvailles qui appelle à la bonne humeur, la fraternité et la solidarité. Le temps passe, les familles s’agrandissent et deviennent des familles à part entière, l’oncle et la tante devenus eux-mêmes grands-parents, les grands-parents n’étant plus de ce monde, ou mon père étant devenu lui-même grand-père! Chaque famille se subdivise et célèbre cela dans son coin. La teinte devient plus triste lorsqu’elle se résume à quelques vœux et emojis partagés via WhatsApp.

Aujourd’hui, c’est ainsi avec plus de nostalgie que je vis ces dernières célébrations lunaires, sans ruminer ou me plaindre de cette fracture de foyers, qui n’est que somme toute, logique. J’évoque par ailleurs la lune car c’est le calendrier lunaire chinois et l’astrologie chinoise (et les 12 signes qui en découlent) qui sont suivis. Ma famille adorait écouter les prédictions de ma mère qui était l’une des rares à savoir lire le chinois. Elle n’est plus de ce monde mais j’aimerais, dans un avenir proche, lui faire parvenir les prières de mes enfants, à mon tour, et ainsi lui offrir le plus beau des hóngbāo. Pour le moment, je lui dédie au moins cette photographie car elle était couturière à Paris et c’est elle, à travers cette machine notamment, qui aura tant œuvré pour notre famille.

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Dans les rues de Hanoï https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/dans-les-rues-de-hanoi/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57240 Janvier 2023

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Constamment entre New York et Hanoï, je peine à trouver l’endroit auquel j’appartiens, ressentant sans cesse cette aliénation inévitable envers ma ville natale. La photographie est mon refuge. C’est ainsi que je parviens à appartenir. C’est ainsi que je parviens à préserver ces moments précieux.

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Vies brisées, voix retrouvées https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/vies-brisees-voix-retrouvees/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57250 Monstres et les récits des enfants de la DPJ.

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Le théâtre, par son langage universel et sa capacité à faire résonner le non-dit, s’impose comme un médium pour transposer l’indicible en une expérience sensible et collective. C’est exactement ce que les Créations Unuknu nous offrent avec la pièce Monstres présentée au Théâtre Denise-Pelletier : un miroir éclaté de l’enfance marquée par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), où se mêlent cauchemars et espoirs.

« La famille, ça passe par des gens qu’on a choisis. »

Il ne faut que quelques minutes avant que le spectateur ne soit confronté à l’effondrement du quatrième mur, lorsque l’une des anciennes jeunes suivies par la DPJ se présente comme conférencière pour partager son parcours, son récit de triomphe. Après son adoption, elle gravit les échelons sociaux, tel qu’elle le raconte dans son livre fictif. Face à cette histoire « trop parfaite », un spectateur se lève pour l’interroger sur son récit de conte de fées, dans un échange si malaisant que j’ai instinctivement échangé un regard perplexe avec mes voisins.

En parallèle, nous suivons le parcours de Moineau, une jeune fille, et sa famille dysfonctionnelle, au sein d’une société qui ne sait que la déplacer de foyers d’accueil aux centres jeunesse. Elle s’enlise dans une spirale de souffrance et d’errance, laissée à elle-même, et confrontée aux réalités brutales de l’abus et de la rue.

« L’alternance visuelle des deux fragments de maison qui composent le décor renforce la dichotomie des récits et des réalités sociales explorées »

La pièce est ponctuée de ces interludes où des témoignages audios sont livrés par de jeunes adultes du Collectif Ex-placé DPJ. Ces voix, empreintes de franchise et d’une lucidité touchante, s’expriment à travers des mots comme « amour », « peur », « famille » pour dévoiler un aspect de leur histoire encore plus humain. Leur transcription en alphabet phonétique rend hommage à la diversité des accents, des prononciations et de la parole de ceux qui communiquent leur expérience.

Lors d’une séance de discussion avec les ex-placés à la fin de la pièce, j’ai interrogé la metteuse en scène Marie-Andrée Lemieux et l’autrice Marie-Ève Bélanger afin de mieux comprendre pourquoi avoir utilisé l’art comme première approche pour recruter le comité. Leur réponse, marquée par une profonde humilité, traduisait une volonté de collaboration sincère : « On ne voulait tellement pas s’approprier leurs idées », confient-elles avant d’ajouter : « C’était important pour nous d’arriver avec nos idées dès le début […] il y a des choses que je n’aurais jamais trouvées dans l’écriture [sans l’aide des jeunes du collectif, ndlr] comme le fait que “ce ne sont pas des placements qu’on vit, mais des déplacements”, […] “on va au trou, on fait notre temps” […] [ je voulais tellement] mettre ça dans la bouche d’un personnage. » L’écriture dramatique trouve ici un écho dans une mise en scène qui déploie une énergie rythmée entre jeux sonores, chorégraphie et scénographie d’une fluidité impressionnante. L’alternance visuelle des deux fragments de maison qui composent le décor renforce la dichotomie des récits et des réalités sociales explorées. La pièce présente parfois des choix de mise en scène proches de la comédie musicale. L’exagération de certains personnages loufoques en tenue extravagante frôle un peu l’excès dans les moments où la tonalité bascule vers une légèreté presque enfantine. Bien que l’intention soit sans doute de retrouver une certaine légèreté dans l’œuvre, ces instants semblent affaiblir la gravité du propos, forçant une impression d’artificialité qui détonne. Ces petites ruptures de ton n’enlèvent rien à la force de l’œuvre dans son ensemble. Car au-delà de ces touches comiques, ce qui persiste, c’est la résonance de l’histoire racontée grâce à la mise en scène qui a permis d’offrir une véritable catharsis, un espace de parole libéré et nécessaire. Monstres n’est pas seulement une œuvre théâtrale, mais un véritable acte de partage et de résilience.

Monstres est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 8 février 2025.

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Lancement de la 23e édition de la revue Lieu Commun https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/lancement-de-la-23e-edition-de-la-revue-lieu-commun/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57254 Rendez-vous au pied de la lettre.

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Éditer c’est rendre les mots tangibles. C’est rendre accessible l’histoire qui ne vit que par son auteur, pour son auteur. Éditer, c’est partager. C’est pourquoi Lieu Commun nous a offert un moment d’échange lors du lancement de son 23e numéro, celui de l’automne 2024.

Revue mcgilloise depuis 2012

Lieu Commun est l’unique revue littéraire francophone de l’Université McGill, qui réalise chaque semestre un appel de textes. Ce dernier se base sur un thème : une expression de la langue française, telle que « l’ombre au tableau » de l’édition d’hiver 2024, que l’équipe éditoriale vous invite à déconstruire, à réinventer. Pour montrer que les mots ne sont pas figés, pour titiller votre réflexion, votre imagination. Si la revue prend racine à l’Université McGill, les soumissions sont toutefois ouvertes à tous.

Synonyme de partage

Tenu à la librairie N’était-ce-pas l’été, dans le quartier de la Petite Italie, le lancement a permis la rencontre entre auteur·rice·s, éditeur·rice·s et lecteur·rice·s. La soirée s’est ainsi ouverte sur les mots d’Alexandra Girlovan, éditrice et coordinatrice de la revue, accompagnée des autres membres du comité éditorial : Océane Nzeyimana, César Al-Zawahra, Irina Kjelsen, Julie Nicomette, Naomi Degueldre et moi-même. Puis, les auteur·rice·s présent·e·s ont eu l’occasion de lire leur texte édité, plongeant l’auditoire dans un moment suspendu où seuls les mots comptent. Le cadre propice à la découverte a permis un moment « inspirant », comme le souligne Robin Cros, un étudiant présent pour l’occasion, créant un véritable écrin de bienveillance. Certaines phrases ont marqué les esprits, des images ont provoqué des conversations sur le rôle de l’écriture et son importance.

« Pour montrer que les mots ne sont pas figés, pour titiller votre réflexion, votre imagination »

Immergés au milieu des livres, dans une ambiance chaleureuse et conviviale, tous ont eu l’opportunité, l’espace de quelques heures, de pousser la porte de l’univers littéraire. C’est par ailleurs ce que m’a souligné Franck Menelik, étudiant de HEC : « Les lectures ont touché des cordes sensibles en moi […] c’est toujours si agréable de réaliser qu’on n’est pas le seul à écrire. C’est, sans aucun doute, une communauté qui rapproche et qui crée des liens. »

Chacun a ainsi pu repartir avec un exemplaire de la revue. Cet exemplaire gratuit restera une part tangible de cette parenthèse hors du temps, un souvenir des mots échangés, des rêves évoqués et des conversations inachevées qui se poursuivent à l’extérieur. Le lancement s’est terminé sur l’annonce du thème pour l’édition d’hiver 2025 : « La mer à boire», de l’expression « ce n’est pas la mer à boire ». Si, originalement, cette formule s’emploie pour dédramatiser une situation, libre à vous de la déjouer, de la défaire. Libre à vous de penser différemment. Et c’est par ailleurs ce que comptent faire plusieurs personnes interrogées lors du lancement ; leurs esprits fourmillent déjà d’idées. Alors, si l’inspiration vous vient, si les mots coulent de source, si vous rêvez de tenter une nouvelle aventure, n’hésitez plus et écrivez. Soumettez votre texte. Qu’il soit retenu ou non, vous aurez parcouru la plus grande partie du chemin en acceptant de vous livrer sur le papier ; en cherchant à voir plus loin que ce que les thèmes peuvent signifier.

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Tết loin de chez soi https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/tet-loin-de-chez-soi/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57141 Entre nostalgie, adaptation et redécouverte.

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C’est ma quatrième année à célébrer le Tết loin de chez moi. Vivre le temps du Tết, plutôt que de le fêter. Une étrange indifférence s’installe en moi et elle me fait peur : étreinte oppressante à l’idée de me perdre. L’excitation usuelle qui m’habite est désormais inexistante. Je repense au Nouvel An 2021 célébré à Hanoï, quand je suis rentrée dans la maison après avoir « franchi son seuil ». Selon cette coutume, la première personne à le faire, le premier jour de la nouvelle année, doit être choisie à l’avance, en fonction des signes du zodiaque porteurs de chance. Je crois que c’était mon frère qui était le premier à entrer. Chez nous, on achetait aussi des thés aux perles. Une tradition simple et familiale, en raison de mon anniversaire et de celui de mon frère qui tombaient étrangement – deux années de suite – le jour du Nouvel An. Mon père me serre dans ses bras, me souhaitant la santé et le bonheur. Je me souviens vivement lui avoir dit que ce serait la dernière fois, pour très longtemps, que je fêterais le Nouvel An à la maison.

Tous les objets, parfums et sensations me reviennent tendrement. Lì xì, enveloppe d’argent porte-bonheur. La rue Hàng Mã, ornée de décorations festives. Occasionnellement, les gens vêtus de áo dài [robe traditionelle vietnamienne, ndlr]. Il m’est difficile de décrire cette excitation palpable suspendue dans l’air frais, comme si tout autour était baigné dans une atmosphère festive. Chez nous, il y a toujours un kumquat, un petit abricotier, et mon favori : un grand pêcher forestier, rose pâle et non rose vif, qui occupe toute l’entrée menant au salon. Sur la table du salon, une multitude de grignotines : des fruits confits (ô mai), des bonbons, des chocolats et des biscuits, mais mes préférés ont toujours été les graines de citrouille et les pistaches. Une théière, constamment maintenue au chaud, car la maison ne cesse de recevoir des visiteurs. Pour le repas, on mange des rouleaux impériaux (nem), du poulet bouilli, et surtout du bánh chưng, un gâteau fait de riz gluant, rempli de haricots mungo et de viande. Chez nous, le bánh chưng se mange avec du chè kho, un pudding sucré à base de ces mêmes haricots, spécialité de ma grand-mère. Il y a des chansons de fête qui résonnent partout : à la télé, dans la voiture de mon père, dans la rue, dans les cafés et les restaurants. Pourtant, le matin du Nouvel An, toute la ville se plonge dans un silence paisible et tellement doux. On sort pour rendre visite à la famille. Le deuxième jour, on part à la campagne pour brûler des encens en l’honneur de nos ancêtres.

Présentement, à Montréal, cette excitation et cette joie vibrante sont absentes. Je sors de l’école à 19 heures, la nuit étincelée de cristaux de neige. Il ne fait pas froid, du moins pas ce froid qui giflait comme au Vietnam, même si la température là-bas ne descendait que rarement en dessous de 10°C. Ici, tout est blanc.

Dans mes souvenirs, tout était rouge.

Une nostalgie amère s’empare de moi. Il est difficile de parler des expériences qu’on a vécues lorsqu’elles ne sont plus que des souvenirs. Des souvenirs teintés de mélancolie. Du regret de ne pas avoir vécu pleinement ces moments, de ne pas les avoir appréciés lorsque j’en avais l’occasion. D’une envie persistante de revenir en arrière, de redevenir enfant au temps des fêtes, innocente et insouciante. De jouer des pièces de piano pour ceux qui nous rendent visite, de cueillir les pétales de mon arbre fruitier préféré tombés au sol. De manger des plats de Tết tous les jours durant le temps des fêtes.

L’hiver montréalais m’a été pénible. Pourtant, cette année, je le trouve bienveillant. Le froid me caresse. Je pense aux travaux qui m’attendent. Ils me rappellent pourquoi tout cela en vaut la peine. Il est temps pour moi de créer mes propres traditions, loin de mon pays natal, loin de ma famille. Mais une partie en moi craint cet élan. Je m’accroche à mes souvenirs, je mets des chansons que j’écoutais autrefois. Je casse mes pistaches. Elles n’ont plus le même goût qu’à l’époque où j’étais enfant. Les moments de ma jeunesse se transforment en un rêve lointain, auquel je reviens sans cesse, tentant de revivre ce que j’étais. J’essaye de revoir ma maison pendant le Tết, encore et encore, espérant qu’elle y reste à jamais si j’y songe assez longtemps.

Comme Verlaine qui dit,
« Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure »

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Angie Larocque : l’unique designer québécoise à la Semaine de la mode de Paris https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/angie-larocque-lunique-designer-quebecoise-a-la-semaine-de-la-mode-de-paris/ Wed, 22 Jan 2025 21:18:29 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56983 La créatrice nous invite dans les coulisses de son parcours et de son saut à l’étranger.

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La session de mode masculine pour la saison Automne/Hiver 2025–2026 de la Semaine de la mode parisienne a débuté hier, le 21 janvier, promettant de nouvelles collections de marques haute couture à couper le souffle. Si des noms emblématiques comme Louis Vuitton ou Jacquemus marquent cet événement jusqu’au 26 janvier 2025, une nouveauté se prépare pour la Semaine de la mode féminine prévue au mois de mars prochain : Angie Larocque, avec sa marque éponyme, sera la seule québécoise à dévoiler une collection sur cet illustre podium de la mode internationale.

Certains ont pu la voir dans les films Un monde à l’envers (2012) ou Un homme à la mer (2018) avec Eva Longoria, car Larocque est avant tout une personnalité québécoise aux multiples talents. Actrice, danseuse, coiffeuse, designer et entrepreneure, elle fait ses débuts dans la mode en 2022, en présentant sa première collection à l’événement de mode montréalais Festival M.A.D (Mode – Arts – Divertissement). Rapidement, son travail gagne en reconnaissance : l’une de ses créations a été portée par la chanteuse Véda lors du Gala de l’ADISQ en novembre dernier, et ses collections ont été mises en valeur lors des dernières Semaines de la mode de Montréal. Le 8 mars 2025, elle franchira une étape majeure en présentant ses créations dans le cadre enchanteur de la Galerie Bourbon, ancienne résidence de la famille royale d’Espagne.

Le Délit a rencontré Angie pour parler de son évolution artistique, des origines de sa marque et de ses attentes face à la Semaine de la mode de Paris.

Le Délit (LD) : Vous avez eu un parcours très diversifié, allant du ballet classique au cinéma, et maintenant à la mode. Pouvez-vous nous parler de vos débuts artistiques?

Angie Larocque (AL) : Oui! J’ai commencé le ballet classique à l’âge de trois ans en Gaspésie, que j’ai pratiqué jusqu’à mes 20 ans, un peu par intermittence. À l’école, j’étais toujours impliquée dans les arts, le théâtre et surtout l’improvisation. J’ai aussi étudié à l’école artistique FACE à Montréal, où la créativité était très présente. Bref, l’art a toujours fait partie de moi. Plus tard, le cinéma est arrivé par hasard. Une amie m’a appelée pour une audition de figuration dans un film avec une coproduction franco-américaine. À l’époque, je travaillais dans un salon de coiffure, car je suis aussi une coiffeuse diplômée. On m’avait dit : « Si tu n’as pas de nouvelles dans une semaine, ça veut dire que tu n’es pas prise. » Je n’ai pas été rappelée tout de suite, mais un mois plus tard, en plein milieu d’un rendez-vous avec une cliente, j’ai reçu un appel. On m’a offert un troisième rôle pour Un monde à l’envers (2012) et demandé si je pouvais aller aux essayages le jour même. Ce fut mon premier crédit ACTRA (Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists), et tout a déboulé à partir de là.

« La pression vient du fait que Paris, c’est l’élite. Je veux que le Québec soit pris au sérieux. Mais c’est aussi une immense fierté. Je veux montrer que nous avons notre place là-bas, et je compte bien marquer les esprits »

Angie Larocque, designer québécoise

LD : Comment votre expérience d’actrice influence-t-elle votre travail de designer?

AL : Cela m’a appris à prêter attention aux détails et à être à l’écoute de la vision artistique globale. Sur les plateaux, j’étais coiffeuse avant d’être actrice, donc je comprends les deux côtés. Aujourd’hui, en tant que designer, j’ai un contrôle total sur ma vision, et c’est aussi exaltant!

LD : En 2022, vous lancez votre propre marque de vêtements, Angie Larocque. Qu’est-ce qui vous a inspirée à faire ce grand saut dans le design de mode?

AL : Tout a réellement commencé en 2017. Je voulais créer ma propre marque, car j’achetais beaucoup de produits locaux et écoresponsables pour mon fils. Je me suis dit : « Pourquoi ne pas les concevoir moi-même? » J’ai donc lancé une marque de vêtements pour enfants appelée Biggie Smalls : des grands vêtements pour des petites personnes [rires]. Durant la pandémie, j’ai mis ce projet de côté pour me concentrer sur de nouvelles compétences. J’ai suivi des cours à l’École des entrepreneurs du Québec pour apprendre la stratégie, le marketing et la comptabilité. C’est là que j’ai décidé de me tourner vers la création de lingerie avec une collection nommée « Les Aguicheuses », présentée au Festival M.A.D. À travers cette expérience, je me suis rendu compte que ce qui me passionnait vraiment, c’était de créer des robes, et Angie Larocque est née.

JF GALIPEAU Evoto

En ce moment, je veux me diriger vers la haute couture. Ma dernière collection, d’ailleurs, intitulée « Rosa Nera », s’inspire de l’élégance des mariages italiens traditionnels qu’on peut voir dans le film Le Parrain (1972) par exemple. Les robes sont très couvrantes, avec beaucoup de dentelles, mais restent très sensuelles. C’est important pour moi, la féminité, la sensualité ; mettre en valeur le corps de la femme. Lors de mon premier défilé au Festival M.A.D., par exemple, j’ai voulu montrer des corps variés, de la taille Petit à 3X. L’une des mannequins taille plus m’a écrit une lettre bouleversante expliquant comment cette expérience avait changé sa perception d’elle-même. À ce moment-là, je me suis dit : « Je suis vraiment à la bonne place. Si je peux faire une différence chez les femmes à ce niveau-là, pourquoi pas? »

LD : Présenter une collection à Paris, à la Galerie Bourbon, est un événement majeur. Comment gérez-vous la pression et la fierté d’être la seule designer québécoise?

AL : C’est un mélange des deux. La pression vient du fait que Paris, c’est l’élite. Je veux que le Québec soit pris au sérieux. Mais c’est aussi une immense fierté. Je veux montrer que nous avons notre place là-bas, et je compte bien marquer les esprits. À la Gaspésienne, je suis prête à impressionner tout le monde!

LD : Vous avez récemment lancé une campagne de financement. Pouvez-vous nous en parler?

AL : Oui, c’est une campagne pour soutenir les frais de production de ma collection à Paris. Tout le monde peut contribuer, que ce soit par des dons ou en partageant l’information. Chaque geste compte et m’aide à représenter le Québec sur cette grande scène!

LD : Pour finir, quels conseils donneriez-vous à ceux qui souhaitent se lancer dans les industries créatives?

AL : Ne pas avoir peur. La peur est souvent ce qui nous empêche de continuer. Ce n’est pas facile – même aujourd’hui, il m’arrive de douter. Mais être opportuniste, persévérer et croire en soi, c’est essentiel. C’est en surmontant ces moments de peur qu’on avance.

Avec sa présence à la Semaine de la mode de Paris, Angie Larocque ouvre de nouvelles portes pour les talents d’ici. Ne manquez pas de suivre cette étoile montante alors qu’elle illuminera la capitale de la mode le 8 mars prochain!

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Alexandra Stréliski à la salle Wilfrid-Pelletier https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/alexandra-streliski-a-la-salle-wilfrid-pelletier/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56978 La magie de Néo-Romance.

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Je ne me considère pas particulièrement amatrice de musique classique. Je connais mes classiques – sans mauvais jeu de mots – mais je n’ai jamais été particulièrement encline à écouter ce genre de musique instrumentale. En tant qu’étudiante en littérature, les mots occupent une place importante dans mon quotidien, et un morceau de musique sans paroles me paraît de prime abord insipide. Et pourtant, malgré mes réticences à l’égard de ce genre de musique, le troisième album d’Alexandra Stréliski, intitulé Néo-Romance, figure parmi les titres les plus écoutés de mon année 2024.

Artiste complète et lumineuse, Alexandra Stréliski est une pianiste et compositrice québécoise qui transcende les frontières du classique moderne. Sa musique, intime et vibrante, résonne comme un dialogue universel, touchant les cœurs de millions d’auditeurs à travers le monde. Avec plus de 375 millions d’écoutes en continu, huit Félix, et un Prix JUNO, Stréliski s’impose comme une figure incontournable de la scène musicale contemporaine.

Le dimanche 19 janvier, c’est à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts qu’elle clôturait le cycle de Néo-Romance – un album qui lui a valu le Félix de la meilleure interprète féminine deux années de suite. La veille, j’ai eu la chance d’assister à son avant-dernière représentation.

Le pouvoir évocateur de la musique instrumentale

Les lumières se tamisent. Sur scène, un seul piano de concert, installé devant un paravent orné d’une peinture que je reconnais comme étant Diane et Apollon perçant de leurs flèches les enfants de Niobé (1772). Suspendu au plafond, un assemblage de miroirs capte la lumière et multiplie à l’infini les reflets de la musicienne. C’est au sein de ce décor épuré qu’Alexandra Stréliski fait son entrée sur scène, sous un tonnerre d’applaudissements. Elle salue la foule, et sans plus attendre, entame un premier morceau au piano.

Voir jouer Stréliski, c’est une expérience infiniment différente que de simplement l’écouter ; elle n’est pas seulement musicienne, mais aussi performeuse. Sans fioritures ou artifices, elle commande la salle de ses mouvements sur les touches du piano. Le son des notes envahit son corps tout entier, et se répercute partout dans la salle. Je dodeline la tête au son de la musique. Je ne suis pas la seule ; plusieurs spectateurs se laissent bercer par la musique envoûtante de Stréliski. Depuis mon siège, les subtils mouvements de la foule forment une ondulation, qui se meut au rythme des notes du piano. Si la première chanson suffisait à captiver le public par sa douceur et ses accents de mélancolie, les prochaines compositions n’hésitent pas à changer de ton. La musicienne n’est plus seule sur scène désormais, mais bien accompagnée d’un orchestre presque exclusivement féminin – elle tenait à le préciser. Bien que les violons ajoutent indéniablement à la beauté des mélodies, il demeure que certaines chansons trouvent davantage leur éclat sans cet accompagnement instrumental. En effet, sur Changing Winds par exemple, la puissance des violons tend à étouffer la délicatesse du son du piano.

« Si la première chanson suffisait à captiver le public par sa douceur et ses accents de mélancolie, les prochaines compositions n’hésitent pas à changer de ton »

Ainsi, accompagnée par une douzaine d’instruments à cordes et à vent qui font gonfler l’intensité du concert, la pianiste vaque d’un piano de concert à un piano droit, n’hésitant pas à interagir avec la foule entre deux morceaux. D’emblée, elle brise la glace en dénonçant l’étiquette rigide des concerts de musique classique. Avec une touche d’humour, elle affirme n’avoir qu’une seule règle : si, par malheur, nous souffrons d’une quinte de toux, elle nous implore de toussoter « sur le beat ».

Même s’il s’agit de son deuxième concert de la journée – l’après-midi même, elle performait dans cette salle – Stréliski joue avec énergie et émotion. Parfois nostalgique, parfois comique. Tour à tour, elle émeut la salle avec Élégie, un « adieu à quelqu’un que l’on aime », qu’elle dédie avec compassion à « la personne à laquelle vous pensez en ce moment », dit-elle en déposant son micro et en entamant les premières notes de la touchante mélodie. Cet aveu me touche droit au cœur, et je me laisse porter par la musique, au gré de l’histoire qu’elle raconte, et de l’histoire que je m’en fais.

Car Stréliski reconnait le pouvoir évocateur de la musique. Elle « aime raconter des histoires » et prête volontiers son talent aux trames sonores de cinéma. Pour elle, la musique instrumentale ouvre un espace unique, offrant au public une liberté d’imagination sans bornes. Elle nous invite à s’approprier ses morceaux, à en faire « plein de petits films » dans nos têtes. Mention spéciale au morceau Umbra, introduit par une anecdote du passage de la pianiste au Festival d’été de Québec (FEQ). Avec humour, la pianiste raconte comment, inspirée par la performance de The Offspring, elle s’était mise en tête de faire du body surf. C’est sur la chanson Umbra qu’elle se lance. Mission accomplie : les spectateurs la portent à bout de bras tel « le p’tit Jésus ». Bien qu’elle ne reproduise pas l’exploit dans la Salle Wilfrid-Pelletier, Stréliski fournit une performance digne de son body surfing à Québec, qui justifie la puissance électrisante de la pièce.

La performance de la pianiste se clôt sous une véritable ovation, tant et si bien que Stréliski n’a d’autre choix que de regagner la scène, pour faire un dernier rappel avec A New Romance, morceau chouchou de bien des spectateurs, y compris ma voisine de siège, qui peine à contenir sa joie. Les lumières se rallument et je quitte la salle, à la fois bouleversée et euphorique. Telle est la dualité de la musique d’Alexandra Stréliski.

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Iriez-vous sur Mars? https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/iriez-vous-sur-mars/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56989 Retour sur The Mars Project présenté à la Place des Arts.

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Légende de la danse à claquettes, le chorégraphe montréalais Travis Knights a présenté la semaine dernière son spectacle The Mars Project dans le cadre de la 27e saison de Danse Danse, diffuseur associé à la Place des Arts. Knights a été formé par nulle autre que la « Reine des claquettes », Ethel Bruneau, dès l’âge de 10 ans. Depuis, il s’est intéressé à plusieurs disciplines et intègre dans son art la dimension ancestrale afro-américaine de la danse à claquettes, et sa relation symbiotique avec la musique jazz.

Les lumières se tamisent et le rideau se lève sur quatre danseur·se·s s’activant devant des projections d’images qui montrent en alternance déforestation, pollution, et personnes souriantes. Nous sommes sur Terre et nous observons quatre êtres humains produire un seul rythme à l’aide de leurs pieds, en balançant leurs bras chacun à leur manière. L’ambiance est joyeuse et explosive.

Un étudiant mcgillois sur scène

Anecdote intéressante : Greg « Krypto » Selinger, breakeur, danseur contemporain et chorégraphe, qui interprète une intelligence artificielle nommée Krypto – clin d’œil à son surnom? – est un ancien étudiant mcgillois! Il est diplômé au baccalauréat en commerce à la Faculté de gestion Desautels, ainsi qu’au baccalauréat en danse contemporaine et à un programme d’études supérieures à Concordia. Dans ses mots trop humbles, il se qualifie de « Bachelier de tout, maître de rien (tdlr) ».

Il faut de tout pour faire un monde

Les danseur·se·s sont accompagné·e·s sur scène par un groupe de musicien·ne·s et deux chanteurs aux voix époustouflantes. Le travail de synchronicité entre eux·elles rend le tout plus grand que la somme de ses parties – au talent déjà immense. Thomas Moon, Brinae Ali, Reona, Travis Knights et Selinger forment la distribution internationale d’artistes de renom de The Mars Project. Chacun apporte sa couleur à la performance et épate par son excentricité, sa fougue, sa technique ou encore sa multidisciplinarité, comme Ali qui poursuit la tradition orale de la danse à claquettes en rappelant l’histoire douloureuse de l’esclavage en Amérique du Nord.

Les personnages, dans leur désir de fuir leur anxiété et défis personnels, demandent de l’aide à Krypto, qui leur propose un à un de les envoyer sur la « planète de la guerre », Mars. Les terrien·ne·s expatrié·e·s se retrouvent alors confronté·e·s aux mêmes problèmes que sur leur planète d’origine, incapables de fuir les émotions négatives qui les habitent.

Une histoire qui peine à décoller

The Mars Project a une forme singulière, unissant danse, acrobaties, chant, musique en direct et théâtre. Ce dernier aspect de la mise en scène affaiblit quelque peu l’œuvre, en l’enveloppant d’une histoire à laquelle plusieurs spectateur·trice·s que j’ai interrogé·e·s ont eu du mal à adhérer. Le voyage sur Mars, les péripéties spatiales et – attention, divulgâcheur – la révélation qu’il s’agit de simulations répétées rappellent un thriller psychologique de science-fiction, maladroitement adapté au talent des interprètes. Le spectacle demeure néanmoins une prestation sensationnelle de danse de claquettes, qui a été pour moi une initiation marquante.

Danse Danse offre une réduction de 30% sur le prix courant des billets à l’unité aux moins de 30 ans, ainsi que la possibilité de se procurer des billets à « Tarif léger », afin de rendre l’expérience de la danse sur scène plus accessible. Propositions intéressantes pour les étudiant·e·s!

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Babygirl https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/babygirl/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56996 Domination et déceptions.

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Déroutée, seule ou presque dans la salle, je regarde le générique de fin défiler. Nicole Kidman, Harris Dickinson, Antonio Banderas : tous de grands noms du cinéma actuel. Pourtant, un sentiment de malaise – voire de dégoût – m’habite et ne me quitte pas dans les heures qui suivent mon visionnement de Babygirl, la dernière production de la réalisatrice néerlandaise Halina Reijn, aussi connue pour Bodies Bodies Bodies (2022).

Le scénario suit le personnage de Romy, une puissante femme d’affaires à la tête d’une entreprise de robotique qui, à l’arrivée de leur nouvelle cohorte de stagiaires, s’éprend de l’un d’entre eux, Samuel. Le film débute avec une scène où Romy et son mari font l’amour, rien de plus ordinaire. Malgré l’apparente normalité de la scène, nous savons dès lors que l’histoire prendra une tournure des plus particulières, puisque Romy, dès que l’acte est terminé, quitte le lit conjugal pour aller regarder de la pornographie en cachette. Ce détail semble vouloir semer les graines d’un récit centré sur les désirs cachés et la transgression. Cependant, ce qui aurait pu être une exploration audacieuse de la psyché humaine se transforme rapidement en une histoire sordide et, à bien des égards, réductrice.

Alors qu’on aurait pu croire que ce film porte sur l’amour fougueux et interdit naissant entre deux collègues, c’est plutôt une histoire de domination caricaturale que nous offre Babygirl. Bien que les visuels et la musique soient corrects – sans être particulièrement mémorables –, c’est le manque flagrant d’exploration de la psychologie des deux personnages principaux qui rend le visionnement de Babygirl réellement pénible. Ce qui rend les kinks intéressants, c’est souvent l’aspect psychologique sous-jacent, les conflits intérieurs, les tensions entre le pouvoir et la vulnérabilité. Ici, tout est traité de manière simpliste, comme si les choix des personnages étaient dictés par un scénario plus préoccupé par le choc que par la profondeur. La superficialité du traitement offert aux deux personnages principaux ne laisse que très peu d’indices sur leurs motivations respectives. Romy, censée incarner une femme complexe, est dépeinte mécaniquement, comme si ses actions ne suivaient qu’une pulsion unidimensionnelle. De son côté, Samuel reste vide et ne semble exister que pour interpréter le rôle d’objet de désir et de figure de domination.

Ce qui aurait pu être une étude sur les relations de pouvoir se réduit finalement à une reconstitution stérile des mêmes structures patriarcales que le film semble vouloir dénoncer. Le récit n’offre aucune nuance : Romy, pourtant présentée comme une figure puissante et influente, une femme ayant réussi à abattre les standards sociétaux genrés, est réduite à celle qui, au plus profond d’elle, cherche désespérément à être dominée par un homme. Ainsi, le film semble vouloir nous dire que la femme, bien qu’elle puisse en apparence s’émanciper de la domination masculine dans le milieu professionnel, est tout de même désireuse de se soumettre à l’homme dans sa vie intime, constat qui me semble des plus caricaturaux. Le film reproduit donc les clichés les plus éculés sur la soumission féminine : plutôt que de défier ces dynamiques, le film les perpétue, les glorifiant presque.

En quittant la salle, j’ai ressenti un vide important, comme lorsqu’on a été témoin d’une opportunité gâchée. Babygirl aurait pu être une réflexion profonde sur le désir, le pouvoir et la complexité des relations humaines. Le film n’est finalement qu’une représentation bancale de la liaison amoureuse, en rien audacieux, et par dessus tout, inapte à traiter ses sujets avec la nuance qu’ils méritaient.

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Bye Lynch https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/bye-lynch/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57034 Hommage à David Lynch.

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J’étais en plein milieu de mon stage lorsque j’ai appris la nouvelle. C’était par le biais d’une de mes amies et de mon copain. Étrangement, ils ont brisé la glace à deux minutes d’écart l’un de l’autre avec une phrase du genre : « Je suis désolé de devoir t’annoncer la nouvelle, mais David Lynch est décédé ». Quoi?! Mais comment est-ce possible?

Moi et beaucoup d’autres aimions blaguer que quelqu’un d’aussi loufoque que David Lynch ne pouvait pas « s’en aller », que sa présence était telle que d’une façon ou d’une autre, son esprit le porterait encore parmi nous, quand bien même son corps serait tout sec et millénaire. Il semblerait toutefois que cette fantaisie n’ait pas fait long feu, puisque le renommé réalisateur derrière Twin Peaks (1990) et Eraserhead (1977) s’est éteint le 15 janvier dernier.

C’est avec un oeil éclairé et sournois qu’il imprégnait ses textes de profonds regards sur la solitude humaine et qu’il peignait une illustration honnête et rêche de la violence de notre époque. Sa critique des temps actuels possédait le don d’ubiquité et se logeait confortablement dans toutes les formes de média qu’il faisait naître. En outre, par les décors qu’il imaginait, évoquant les quartiers industriels de Montréal, ainsi que par la récurrence des frappes de marteaux contre l’acier et de l’image de l’usine comme motif constant, Lynch possédait un esprit tout à fait unique pour critiquer et observer l’industrialisation depuis sa position derrière la caméra.

C’est avec un talent incroyable qu’il pouvait peindre un absurdisme qui lui était propre, sans pour autant se considérer au-dessus de créer sa propre série David Lynch’s Weather Report sur Youtube lors de la pandémie. Son existence était une célébration de la diversité individuelle et une preuve que ce qui nous rend différent nous rend tout aussi merveilleux.

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