Archives des Culture - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 27 Nov 2024 19:28:23 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.6.2 Le Forum LAB7 des 7 Doigts https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/le-forum-lab7-des-7-doigts/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56677 La technologie a-t-elle sa place chez les arts vivants?

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Le 7 novembre dernier, le collectif de créateur·ice·s de cirque contemporain Les 7 Doigts, originaire de Montréal, a présenté sa deuxième édition du Forum LAB7. Cette journée était consacrée aux échanges professionnels sur le sujet de l’interdisciplinarité entre art vivant et technologie. A‑t-on de la difficulté à percevoir la technologie comme de l’art? Quels sont les défis d’une telle interdisciplinarité? C’est entre autres à ces questions que les discussions se sont attardées, à travers une série de cinq présentations et panels entrecoupés de périodes de réseautage et de démonstrations artistiques.

Obsolescence programmée

L’intérêt de l’utilisation des technologies dans les arts vivants se limite-t-il à la nouveauté? Et une fois qu’elles sont remplacées, est-ce que l’œuvre perd son sens? En réponse à cette question, Laurence Dauphinais, créatrice multidisciplinaire, a décrit les difficultés que rencontrent ces types de projets à trouver leur place. D’une part, le milieu du théâtre ne cherche pas à tout prix l’innovation, et d’autre part, puisque les productions ne reposent pas sur des technologies de pointe, elles ne s’adressent pas non plus au public des arts numériques. Sandra Rodriguez, artiste, chercheuse, directrice de création, productrice et chargée de cours XR+AI au Massachusetts Institute of Technology, ajoute que ces enjeux sont une réalité des arts vivants, mais aussi de plusieurs autres milieux culturels. Pía Balthazar, directrice du développement arts-sciences de la Société des arts technologiques, poursuit en clarifiant que « ce qui compte, ce n’est pas tellement qu’elle [la technologie, ndlr] soit nouvelle, mais que son utilisation corresponde à ce qu’on a besoin d’exprimer ».

C’est dans la relation que le créateur bâtit entre l’utilisation de la technologie et le public que réside la valeur de celle-ci. Isabelle Van Grimde, chorégraphe, fondatrice et directrice artistique de Van Grimde Corps Secrets, conclut en répondant que « c’est important qu’en tant qu’artistes, nous ne devenions pas des vecteurs de démonstration des nouvelles technologies. Elles doivent être au service de notre art, et non l’inverse ». Les arts vivants tirent leur valeur de la performance humaine, en repoussant les limites du corps et de l’espace, devant un public qui s’y reconnaît autant qu’il s’y découvre.

Démonstrations artistiques

Pour conclure la journée, sept numéros ont dévoilé une partie du travail réalisé au LAB7, un laboratoire d’exploration, combinant innovation technologique et performance humaine. Samuel Tétreault, cofondateur et directeur artistique des 7 Doigts et du laboratoire, orchestrait le tout. Les numéros ont été réalisés à l’aide d’un stagiaire programmeur et de quatre artistes finissants de l’École nationale de cirque, qui participaient à la recherche.

Les numéros, courts et improvisés, sont une étape préliminaire d’un projet prévu pour 2025. Alors que les artistes bougent dans l’espace, une caméra de suivi du corps (body tracking) capte leur silhouette, à une vitesse de quatre à dix images par seconde. Une requête faite à une intelligence artificielle générative détermine le contenu des vidéos projetées et la manière dont la silhouette de l’artiste y est intégrée. Je n’avais pas anticipé d’être touchée comme je l’ai été par l’interaction presque symbiotique entre humain et technologie. La vision sensible des 7 Doigts a transformé une simple ébauche en un véritable récit, où la technologie trouvait sa juste place.

Grâce aux artistes qui interrogent tout et transforment ensuite ces réflexions en créations, des innovations émergent. Un logiciel développé dans le cadre d’un petit projet créatif ayant des contraintes spécifiques peut par la suite être réutilisé dans un grand projet d’entreprise technologique. Il y a beaucoup à gagner de cette interdisciplinarité, qui mérite d’être davantage encouragée.

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Kwizinn : culture haïtienne et saveurs du monde https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/kwizinn-culture-haitienne-et-saveurs-du-monde/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56721 En images: recréer l’essence du foyer dans ce restaurant vibrant.

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Casseroles qui claquent, arômes qui dansent, vapeur qui s’élève et épices qui envoûtent — la minuterie sonne : les plats sont prêts. C’est ce que le thème du « chez-soi » évoque à mon esprit. De par mes origines haïtiennes, l’art culinaire de ma mère est au cœur de ce qui transforme notre maison en foyer et où la cuisine prend vie. C’est avec cette même authenticité que le restaurant Kwizinn nous a fait comprendre que le chez-soi est amovible ; un état d’esprit que l’on emporte avec autrui, porté par les odeurs et les souvenirs. Chez Kwizinn, chaque plat raconte une histoire capable de recréer l’essence du foyer, et ce, même au Vieux-Port de Montréal.

Chef Mike Lafaille par Two Food Photographers

Découvrir Kwizinn

Le mot « kwizin », signifiant « cuisine » en créole haïtien, reflète cette volonté de célébrer les saveurs antillaises tout en les réinterprétant avec des influences d’ici et d’ailleurs. Fondé par le copropriétaire et chef Michael Lafaille, d’origine haïtienne, et sa partenaire Claudia Fiorilli, d’origine italienne, Kwizinn incarne l’âme d’une gastronomie sans frontières, qui ne se limite pas à un emplacement. En effet, c’est après avoir conquis le quartier de Verdun que les restaurateurs ont entamé une nouvelle ère cette année, en déménageant dans le cœur du Vieux-Montréal, face au Marché Bonsecours.

Le restaurant Kwizinn nous a fait comprendre que le chez-soi est amovible ; un état d’esprit que l’on emporte avec autrui, porté par les odeurs et les souvenirs.

Les passants n’ont qu’à se faire attirer par l’arôme enivrant du griot (porc grillé) pour se sentir chez soi dans ce restaurant doté de 80 places à l’intérieur et d’une terrasse pouvant accueillir une quarantaine de clients pendant le printemps et l’été. Le menu, à la fois ancré dans la tradition et ouvert sur le monde, est conçu pour séduire à la fois les touristes et les habitués de la métropole. Des accras traditionnels haïtiens (beignets salés farcis) parsemés de pikliz (condiment haitien épicé), au goût des créations uniques comme la poutine au homard, les empanadas colombiennes au griot, ou encore le carpaccio de pieuvre italien, chaque plat est une invitation à voyager et à célébrer la diversité culinaire. Mais ce n’est pas tout : Kwizinn est aussi un lieu où la culture prend vie à travers la musique.

Des soirées musicales

Chaque jeudi soir, dès 18h, les « Soirées Jazz » résonnent sous les notes du groupe BlackBird, tandis que le dimanche, à la même heure, ce sont les mélodies du groupe Havana Mambo qui transforment le restaurant en une « Soirée Cubaine ». Kwizinn est donc une destination de choix pour les amateurs d’ambiance festive, offrant un rendez-vous incontournable pour ceux qui aiment allier gastronomie et culture caribéenne. Ma mère et moi avons d’ailleurs eu le plaisir de découvrir les créations uniques de Kwizinn, et chaque plat nous a conquises.

Dégustons!

Parmi la panoplie de plats que nous avons pu gouter, les « Crevettes giardiniera », grillées à la perfection, accompagnées d’une salade du chef et d’aubergines marinées, ont ouvert le bal avec fraîcheur et saveur. Ensuite, le « Plantain burger gourmand » nous a surprises et séduites : une galette de bœuf juteuse nichée entre deux bananes pesées (bananes plantain frites), relevée par une mayonnaise épicée, du pikliz et des croustilles maison. Enfin, impossible de ne pas goûter au « Griot du Chef Lafaille », ce classique haïtien à base de porc frit, accompagné de bananes pesées et de pikliz. Côté desserts, le « Tiramisu avec Kremas » (boisson haïtienne alcoolisée crémeuse à base de lait), fusion parfaite entre l’Italie et Haïti, et le « Chocolate mamba marble », un gâteau haïtien au beurre d’arachides et au chocolat épicé, ont su clôturer ce repas en beauté.

Pour vivre l’expérience Kwizinn, rendez-vous au 311, rue Saint-Paul Est à Montréal.

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La mémoire d’un territoire https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/la-memoire-dun-territoire/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56722 Kukum au Théâtre du Nouveau Monde.

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L’adaptation théâtrale de Kukum, le roman acclamé de Michel Jean, fait une entrée remarquée sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), portée par la vision audacieuse d’Émilie Monnet. Ancrée dans la culture innue, la pièce se veut un hommage vibrant à la mémoire et à la résilience d’un peuple. Si l’intention est noble et l’exécution visuellement saisissante, le spectacle peine parfois à tenir la promesse de son ambition, avec une narration qui vacille et un rythme parfois déroutant.

Un hommage sonore et visuel

Dès le lever de rideau, l’univers innu se déploie avec éclat grâce à la scénographie immersive de Simon Guilbault. La mise en scène d’Émilie Monnet s’entoure d’une équipe où les voix autochtones brillent non seulement sur scène, mais aussi en coulisses. Les costumes riches en symbolisme conçus par Kim Picard, et les projections d’archives mêlées à l’art visuel de Caroline Monnet plongent le spectateur dans le monde innu, magnifiant les paysages et les traditions évoqués par le texte. Les chants et dialogues en innu-aimun, une première sur la scène du TNM, résonnent comme un puissant acte de réappropriation culturelle. Cependant, ces moments de grâce sont parfois interrompus par des failles techniques – micros défectueux, sous-titres mal synchronisés – qui viennent rompre la fluidité de l’expérience.

Une narration éclatée

L’histoire s’ouvre sur la rencontre entre Almanda et Thomas Siméon, un chasseur innu qui devient son époux. Ce point de départ, d’apparence classique, laisse entrevoir une intrigue centrée sur l’évolution de leur relation. Pourtant, la pièce prend une direction plus fragmentée, où les souvenirs d’Almanda s’entrelacent aux récits ancestraux, tissant une trame davantage poétique que narrative. Loin d’une progression linéaire, le récit évolue au rythme des saisons et des légendes, reflétant une conception du temps propre à la culture innue, où mémoire collective et récits oraux l’emportent sur une structure dramatique conventionnelle.

La poésie comme souffle identitaire

La poésie de Joséphine Bacon, omniprésente dans cette adaptation, transcende la scène. En collaborant avec Laure Morali, Bacon insuffle une force lyrique au texte, conférant à l’innu-aimun une gravité et une beauté rarement entendues sur une scène québécoise. Ce faisant, la langue devient un outil de résistance et de réaffirmation de l’identité innue, un geste qui défie l’hégémonie culturelle et revendique la légitimité de cette culture sur la scène nationale.

C’est dans cette relation, portée par une chimie palpable, que le concept du « chez-nous » prend vie : un espace d’appartenance, et non de propriété.

Le territoire comme chez nous

Au cœur de la pièce, une opposition fondamentale se dessine entre la vision innue du territoire – espace partagé et respecté – et celle imposée par le colonialisme, réduisant la terre à un objet de possession et d’exploitation. Avec délicatesse, la pièce illustre la vie nomade des Innus, un « chez- nous » immatériel façonné par une relation harmonieuse avec la nature et une langue vivante, en contraste brutal avec la violence de la sédentarisation.

L’histoire d’amour entre Almanda et Thomas Siméon – interprétée avec justesse par Étienne Thibeault et Léane Labrèche-Dor – sert de point d’ancrage pour explorer ces thèmes. Si Labrèche-Dor livre une performance sincère, elle peine parfois à transcender les contraintes du texte pour en extraire une intensité dramatique plus viscérale. Leur union, bien que teintée d’idéalisme, incarne une alliance symbolique entre deux mondes tout en interrogeant ce que signifie réellement habiter un territoire. C’est dans cette relation, portée par une chimie palpable, que le concept du « chez-nous » prend vie : un espace d’appartenance, et non de propriété.

Avec Kukum, le Théâtre du Nouveau Monde marque un jalon important pour le théâtre québécois, une ode à la mémoire, à la langue et à l’amour, un rappel puissant que le passé colonial continue d’imprégner notre présent. Une invitation à réimaginer notre propre rapport au territoire, et à reconnaître la sagesse des voix autochtones qui, aujourd’hui plus que jamais, éclairent notre avenir collectif.

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Bergers : un hymne à la liberté https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/bergers-un-hymne-a-la-liberte/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56729 Choisir de partir, choisir de rester.

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Sous le soleil éclatant de Provence et la rigueur des montagnes, Bergers de Sophie Deraspe nous invite à une traversée sensorielle, à mi-chemin entre le conte philosophique et la quête d’identité. Le film raconte l’histoire de Mathyas, un Montréalais qui abandonne une vie urbaine confortable pour devenir berger.

Le chez-soi n’est pas tant un lieu qu’un choix.

Pourquoi tout quitter? Cette question hante le film sans jamais offrir de réponse explicite. Derapse évite les explications faciles ou les justifications grandiloquentes. Ce choix crée une certaine distance, voire une impression de superficialité dans la représentation des personnages, qui peuvent parfois sembler unidimensionnels. Ce faisant, les motivations initiales de Mathyas s’éclipsent pour laisser place à son instinct. Celui qui le pousse à changer de cap, à inventer un risque, à chercher sa place dans un monde qui semble à la fois trop vaste et trop étroit.

Il y a quelque chose de déconcertant, presque naïf, dans cette volonté d’adopter une existence bohémienne, comme si le regard de Mathyas, teinté de fascination, idéalisait cette vie loin du confort métropolitain. Pourtant, au fil du récit, sa quête se dote d’une profondeur inattendue ; elle devient une exploration intime d’une vérité universelle : le chez-soi n’est pas tant un lieu qu’un choix.

Dans le rôle de Mathyas, Félix-Antoine Duval parvient à incarner cette transformation avec finesse. Si son personnage semble d’abordun peu détaché, presque étranger à cet univers qu’il cherche à s’approprier, il gagne en authenticité au fur et à mesure qu’il se confronte à la dureté et à la beauté de sa nouvelle réalité. Peu à peu, l’impression d’une simple expérience « exotique » laisse place à la découverte d’un homme sincèrement habité par son désir d’appartenance à un mode de vie brut. Le rythme contemplatif de la réalisation reflète cette quête intérieure. Deraspe laisse respirer son récit, accordant à chaque image le temps de s’imposer. Les montagnes se déploient, majestueuses, dans des plans à couper le souffle. La trame sonore, envoûtante, amplifie cette immersion : elle accompagne le spectateur dans un voyage entre douceur et rudesse.

Ce sont ces images qui portent le récit, bien plus que les mots. Les réflexions de Mathyas, tentent parfois d’insister sur des vérités déjà évidentes. Portées par une narration hors champ, ces envolées philosophiques tombent parfois dans un lyrisme appuyé, frisant le mélodrame. Ces excès n’enlèvent cependant rien à la sincérité du propos, et traduisent l’effort du personnage pour donner un sens à son expérience, comme s’il avait besoin de justifier ce besoin viscéral de recommencer ailleurs. Mathyas se bâtit un foyer bien à lui, à travers les liens qu’il tisse, les épreuves qu’il traverse, et l’amour qu’il donne à cet environnement sauvage.

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Dessert amer https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/dessert-amer/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56570 Je marche le long d’une routeEt j’emporte toutes mes blessuresCe dessert amer que je goûteChaque fois, censure mon coeurJe voudrais tant enlever ces pensées qui me tourmententJe me suis déjà assez battueMon cœur est troué d’épinesEt mon âme est trop abattue Je ris, je crie, je prieMais est-ce suffisant?Je marche, je cours, je m’enfuisMais est-ce… Lire la suite »Dessert amer

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Je marche le long d’une route
Et j’emporte toutes mes blessures
Ce dessert amer que je goûte
Chaque fois, censure mon coeur
Je voudrais tant enlever ces pensées qui me tourmentent
Je me suis déjà assez battue
Mon cœur est troué d’épines
Et mon âme est trop abattue

Je ris, je crie, je prie
Mais est-ce suffisant?
Je marche, je cours, je m’enfuis
Mais est-ce important?

Je vois disparaître dans les nuages
Les pleurs de mes nuits sans étoiles
Je me cache dans mon coquillage
Et je navigue sans voile
On dit qu’aimer, ça fait mal
C’est sans doute pour cela que je suis anéantie

Souvent, en morceaux j’ai été brisée
Quantité infinitésimale
Je chante des chansons d’amour
Mais je fais la guerre
Vêtue de mon habit de bravoure
Je me relève à terre

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Un lien rouge sang https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/un-lien-rouge-sang/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56587 Le théâtre Denise-Pelletier nous fait réfléchir aux tragédies familiales.

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Avec sa pièce Ma vie rouge Kubrick, le metteur en scène Éric Jean entreprend la tâche complexe d’adapter sur la scène du théâtre Denise-Pelletier le roman éponyme de Simon Roy. Œuvre entre l’autofiction et l’essai, elle relate l’obsession de son auteur pour le film d’horreur The Shining (1980) de Stanley Kubrick, inspiré du roman de Stephen King. Cette idée fixe, partiellement due au passé sinistre de Simon Roy lui-même, lui permet de s’interroger sur la capacité de l’être humain à transcender son héritage tragique familial. Telles des poupées russes, toutes ces œuvres se font écho dans une mise en abîme intertextuelle.

L’œuvre de Simon Roy prend vie sous les traits de Mickaël Gouin et Marc-Antoine Sinibaldi. À eux seuls, ces deux acteurs incarnent le dédoublement, thème récurrent dans toutes les œuvres à l’origine de cette adaptation. Tandis que Gouin, tout de bleu vêtu, incarne Simon Forest – personnage principal de cette auto-fiction – Sinibaldi, habillé en rouge Kubrick, personnifie ses maux générationnels ainsi que les nombreux autres personnages qui lui donnent la réplique. Le jeu de Sinibaldi se distingue par sa capacité à revêtir l’essence de ces multiples personnalités hétérogènes, tandis que Gouin fait preuve d’un jeu d’une versatilité singulière.

On retrouve également l’omniprésence du double à travers un jeu d’ombres astucieux projeté sur le mur qui longe le fond de l’espace scénique. Sur celui-ci défilent ainsi toutes sortes de projections multimédias (photographies, statistiques, définitions et paysages) qui accompagnent et illustrent judicieusement les paroles des acteurs. En effet, la série d’adaptations ayant mené à la création de la pièce ouvre la voie à une véritable transmutation des médias, avec une pièce située à la croisée du film, du livre, et de la scène. Ainsi, par la lecture à voix haute de longs monologues tirés du livre et les projections sur le cyclorama en arrière-plan, la pièce invite l’auditoire à découvrir un hybride entre l’imaginaire et le réel. De plus, l’alternance entre les répliques prononcées simultanément par les deux comédiens et les silences soudains qui envahissent la scène suscitent chez l’auditoire une anxiété qui persiste tout au long de la pièce. La moquette rouge au sol et les éclairages colorés contribuent également à l’ambiance lugubre qui plane dans la salle.

Si l’adaptation est réussie avec brio en ce qui a trait à l’incarnation de l’atmosphère d’angoisse suintante et inconfortable propre au genre de l’horreur, la pertinence de certains choix narratifs décevait par moments. Le livre de Simon Roy et le film de Kubrick abordent de nombreux thèmes qui ne pouvaient vraisemblablement pas tous être représentés dans une pièce de 70 minutes. Malheureusement, la clarté du fil conducteur a été sacrifiée au profit du traitement d’une panoplie d’enjeux hérités du livre. Alors que le livre de Roy tricote délicatement l’enchevêtrement entre l’histoire tragique de sa famille et la trame sanglante de The Shining, la pièce nous perd légèrement et ce n’est qu’à la toute fin que les fils narratifs auparavant disparates sont reliés.

C’est pourquoi il faudrait plutôt considérer la pièce comme la cerise sur le gâteau d’une trilogie dont les pierres angulaires demeurent les œuvres de Roy et Kubrick. Nous vous conseillons donc d’aller voir la pièce si les univers de Kubrick et Roy vous sont familiers ; elle incarne visuellement l’ambiance des deux œuvres précédentes, mais il serait difficile d’en saisir toute la profondeur hors de ce contexte. La pièce reprend effectivement de manière plus légère et moins explicite les interrogations sur la fatalité de la violence qui hantent le film et le livre. Elle nous procure toutefois une ébauche de la réponse esquissée par Simon Roy, en nous offrant une projection opportune et émouvante accompagnée des mots imagés de l’auteur défunt : « Au-dessus de ma tête, le soleil s’évertue à essayer de déjouer les nuages. »

Ma vie rouge Kubrick est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 novembre 2024.

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Cygnus : une pièce d’improvisation et d’émotions https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/cygnus-une-piece-dimprovisation-et-demotions/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56591 L’imprévu au service du théâtre.

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Improviser, c’est laisser l’imagination prendre le dessus. Laisser le théâtre ne faire qu’un avec votre corps, vos gestes, votre voix. Il s’agit d’un art à part entière, d’une prouesse des plus techniques, de sauter à pieds joints dans l’inconnu et d’entraîner avec nous acteurs et spectateurs. C’est ce qu’ont remarquablement réussi à faire les comédiens de Cygnus, en nous livrant une prestation inédite et émouvante.

« La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est
le moteur-même »

Assis autour d’un cercle lumineux à l’allure futuriste, affublés de costumes semblables, les comédiens ont pour tâche de créer chaque soir une nouvelle pièce. Une nouvelle trame, de nouveaux personnages, sans le moindre décor sur lequel s’appuyer. Tout passe par le langage corporel de deux comédiens, qui donnent chacun vie à un personnage qui leur est propre. Ils lui confèrent ainsi avec brio, des mimiques, des intonations, une identité sur l’instant, sans avoir le temps de réfléchir aux possibles développements. L’évolution de leur personnage est imprévisible. L’ensemble s’articule ensuite au fil des interactions entre les deux acteurs. Ces interactions sont d’abord dictées par un cercle, dont le changement de lumière désigne les comédiens devant entrer en scène. Nul ne sait à l’avance qui jouera avec qui, qui sera qui. L’incertitude règne. Si l’improvisation peut laisser place à des incohérences, des moments de flottements, des silences que l’on n’ose briser, le doute est bien vite remplacé par la force des dialogues qui en découlent. Certes, il arrive que les comédiens s’interrompent entre eux, ou que certains personnages ne soient pas parfaitement impliqués dans l’intrigue. Mais c’est aussi cela qui confère son charme à la pièce, et qui lui octroie des intrigues secondaires. Tout se joue dans la spontanéité et l’écoute de l’autre. Les acteurs réagissent du tac au tac, tissent une trame à la fois comique et poignante, créant des situations rocambolesques. Des moments de tension et de légèreté se succèdent, que ce soit le meurtre involontaire d’un chien par intoxication aux cacahuètes, en passant par des conflits familiaux, amoureux, jusqu’à la mise en scène de violences conjugales. La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est le moteur-même. On assiste à des scènes du quotidien, à des aventures surprenantes dont l’authenticité est marquante. Ce qui m’a d’autant plus frappée, c’est la détermination des comédiens à rester dans la peau de leurs personnages, même hors du cercle où se déroulait l’action. Chaque entrée en scène, chaque sortie, chaque séance détenait le même impact.

Après un temps où les comédiens entrent et sortent du cercle à leur guise, sans plus être appelés par les signaux lumineux du cercle, la pièce s’achève sur une brève conclusion. Celle-ci repose sur la parole d’un personnage, choisi au hasard. Cette fin des plus inattendues permet une résolution instinctive, et suscite une surprise totale chez le spectateur. En l’espace de quelques secondes, l’acteur doit réfléchir à la touche finale qu’il désire apporter à la pièce, une tâche capitale, d’autant plus que souvent, c’est la fin qui marque les esprits. En ce qui me concerne, je me souviendrai longtemps de la liste de conseils pour s’occuper d’un chien sur laquelle s’est clôturée la représentation.

Nul ne sait l’issue de la pièce avant qu’elle ne se joue. Quelle intrigue, quels personnages rencontrerez-vous? Personne ne le sait. Plongez dans le mystère de l’improvisation et laissez vous emporter par le jeu et l’intelligence de ces huit acteurs à l’imagination sans pareille. Restez suspendus aux lèvres des comédiens qui sauront, à coup sûr, vous surprendre.

Cygnus se tient du 7 au 16 novembre au Théâtre Rouge du conservatoire d’art dramatique de Montréal.

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La résilience face aux flammes https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/la-resilience-face-aux-flammes/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56607 Les soeurs Talbi adoptent Incendies sur scène.

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Vingt ans après sa publication, la pièce Incendies de Wajdi Mouawad est revisitée sur scène par le duo des sœurs Talbi, dans un contexte à la fois universel et intime, qui dévoile les ravages de la guerre et la résilience de ceux qui en portent les cicatrices. Le récit empreint de souffrance dénonce l’absurdité de la violence, confrontant l’auditoire à une réalité terrible, que l’on ne peut détacher de son contexte géopolitique actuel.

Incendies raconte la quête déchirante de Jeanne et Simon, deux jumeaux qui, à la mort de leur mère Nawal, reçoivent une mission déconcertante : retrouver un père qu’ils croyaient mort et un frère dont ils ignoraient l’existence. La pièce frappe toujours avec la même intensité. Le cycle de la violence qu’elle dénonce, immuable, lui accorde une dimension intemporelle. En unissant des scènes du passé et du présent, le récit devient le témoignage d’une souffrance qui transcende les frontières et les générations.

Le rôle d’une vie

La tâche colossale d’interpréter les différentes étapes de la vie de Nawal incombe à Dominique Pétin, qui relève ce défi avec une aisance déconcertante. Elle incarne son personnage de l’adolescence jusqu’à la mort, transcendant ainsi notre perception du temps. Pétin offre une performance saisissante, rendant tangible la douleur de Nawal, sublimant d’autant plus sa résilience. Chaque épreuve endurée par le personnage est subtilement rendue, et son interprétation, habitée, lui confère une cohésion sensible. Cette fluidité accorde à l’histoire une force singulière, qui permet une exploration de la mémoire de Nawal. La pièce se déploie ainsi comme une rétrospection où la voix de cette femme se fait entendre sans rupture.

Pétin confère à ce personnage une profondeur qui rend justice aux mots de Mouawad, au-delà de la fiction. Les racines autochtones de la comédienne, d’origine huronne-wendate, ajoutent une dimension supplémentaire à la pièce, qui conjugue les horreurs de la guerre à la violence coloniale vécue par les peuples autochtones. Cette résonance intime confronte le public à l’héritage colonial du Canada, qui dissipe l’illusion d’une violence lointaine en l’inscrivant dans une réalité locale. Alors que dans la pièce originale, les origines de Nawal et des jumeaux sont explicites, l’adaptation des sœurs Talbi maintient un flou délibéré à cet égard, dans un rappel subtil de l’universalité de la souffrance, qui s’inscrit à la fois dans le corps, dans le territoire, et dans la mémoire.

Entre jeunesse et sagesse

Les jeunes acteurs de la pièce apportent une forte crédibilité dans l’incarnation des jumeaux, Simon et Jeanne. Sabrina Bégin Tejeda et Neil Elias incarnent à merveille la relève théâtrale, insufflant à l’œuvre une nouvelle vitalité. L’intensité de Simon, porté par une énergie brute et une intensité crue, contraste avec le pragmatisme calme de Jeanne. Cette complémentarité renforce l’opposition de leurs personnalités, tout en soulignant la complexité du lien fraternel, à la fois fragile et indestructible. On peut également saluer la performance impeccable de Denis Bernard, qui démontre l’étendue de son expérience dans le rôle du notaire, chargé de transmettre les dernières volontés de Nawal aux jumeaux. Sa présence apporte une touche de légèreté à cette histoire poignante, offrant des instants de répit à l’auditoire. La tension dramatique demeure suspendue dans un équilibre subtil, habilement dosé entre l’humour et le tragique.

« Il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble »

Une mise en scène symbolique

Enfin, l’ingénieux dispositif scénique, constitué de cubes mobiles qui se transforment et se décomposent au fil des souvenirs, illustre avec finesse l’éclatement de la mémoire et les blessures invisibles de Nawal. La scène en perpétuelle transformation agit comme une métaphore visuelle qui soutient parfaitement la quête des jumeaux, dans une reconstruction du passé douloureux de Nawal, qui s’intègre à l’espace scénique. La scène finale, qui reconstitue le tableau familial sous une chute de pétales rouge sang, est à couper le souffle : une traduction poétique du triomphe de l’amour et de la résilience sur la violence. Car « il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble ».

Incendies est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 30 novembre 2024.

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Cinemania : la francophonie à l’écran https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/cinemania-la-francophonie-a-lecran/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56624 Gros plan sur quatre films en tête d’affiche du festival de cinéma.

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En célébrant ses 30 ans, le Festival Cinemania nous offre une sélection de films aussi diversifiée que captivante, reflétant la richesse du cinéma contemporain. C’est précisément cette variété qui fait de ce festival de films francophone, ayant la plus grande envergure en Amérique du Nord, un événement unique. Faisons un gros plan sur quatre de leurs pépites.

Monsieur Aznavour : petit de taille, mais plus grand que nature

Présenté en première internationale lors de la soirée de gala marquant le 30e anniversaire du Festival Cinemania, Monsieur Aznavour, réalisé par Grand Corps Malade et Mehdi Idir, met en vedette Tahar Rahim dans le rôle du chanteur mythique. Dès les premières images, nous sommes immergés dans les souvenirs d’enfance de Charles Aznavour, fils de réfugiés arméniens installés à Paris, qui grandit au cœur de la Seconde Guerre mondiale et de la pauvreté. Ses débuts modestes sont filmés avec une justesse qui révèle l’essence de l’homme avant la légende, et pose les bases d’un parcours d’opportuniste obstiné. Autodidacte, il écrit, compose et interprète ses chansons ; sa polyvalence témoigne de son désir de réussir et, épaulé par son premier complice de scène Pierre Roche (interprété par Bastien Bouillon), Aznavour arpente les cabarets parisiens pour atteindre ce but.

Ensemble, ils tombent sous le mentorat d’Édith Piaf (interprétée par Marie-Julie Baup), qui les inspire à poursuivre leur carrière à Montréal. La complicité entre Piaf et Aznavour est abordée avec finesse : le film présente l’interprète de L’hymne à l’amour comme une seconde mère qui, par ses gestes tant bienveillants que brusques, contribue à façonner l’Aznavour iconique que l’on connaît. Le film est marqué par des apparitions d’autres figures emblématiques de l’époque qui surprennent, telles que Frank Sinatra, Gilbert Bécaud ou Johnny Hallyday, renforçant l’image d’Aznavour comme un artiste évoluant parmi les grands de son époque. Cependant, les réalisateurs ne cherchent pas à adoucir les difficultés de son parcours. Que ce soit par le racisme auquel il a été confronté, la pression de correspondre à une certaine image, ou ses échecs répétés dans sa quête d’une vie de famille stable, les moments sombres de la vie du chanteur sont révélés.

« C’était un père très présent, je l’ai accompagné dans ses tournées, et j’en garde des beaux souvenirs », témoigne la fille de l’artiste, Katia Aznavour, présente à l’avant-première. Ce témoignage, bien qu’émouvant par son intimité, contraste avec l’image tourmentée de l’artiste que le film expose, notamment avec son rôle de père parfois absent. Vers la fin, le film revêt un ton mélancolique, nous laissant face à un homme vulnérable, contemplant le chemin parcouru. Une interprétation de Hier encore conclut le film, et offre au public un dernier au revoir à l’homme qui, jusqu’à son dernier souffle, a incarné l’intemporalité et la beauté de la chanson française.

Monsieur Aznavour prendra l’affiche au Québec le 29 novembre 2024.

L’Amour ouf : quand la jeunesse réinvente le cinéma

Dans L’Amour ouf, Clotaire et Jackie, deux âmes écorchées, se rencontrent et s’apprivoisent au fil d’une romance douce-amère. Dès les premières notes de la bande sonore, le film nous plonge dans un univers musical à la fois riche et nostalgique, composé de tubes des années 80 et 90 qui évoquent une ambiance rétro.

L’Amour ouf est avant tout une déclaration d’amour au cinéma. Le réalisateur Gilles Lellouche nous livre un film vibrant, plein d’audace, de vitalité et d’une ambition créative intense. Certes, le film tombe parfois dans la surenchère d’effets, mais cette exubérance contribue à l’authenticité et à l’émotion brute qui en émanent.

Même si le scénario est classique et reconnaissable — le bad boy au cœur tendre et la manic pixie girl un peu désabusée — L’Amour ouf parvient à captiver et émouvoir, porté par des personnages incroyablement attachants. La véritable force du film réside dans la chimie entre les jeunes interprètes (Mallory Wanecque et Malik Frikah) qui éclipsent leurs homologues plus âgés (Adèle Exarchopoulos et François Civil). Leurs échanges sont si naturels qu’on se sent presque intrus dans les scènes les plus intimes.

L’Amour ouf n’est certes pas exempt de défauts : les dialogues manquent parfois de finesse, et le montage évoque par moments des transitions Vidéo Star, mais ces éléments ajoutent une touche kitsch qui s’intègre bien au charme du film.

Loin de proposer quelque chose de révolutionnaire, L’Amour ouf réussit cependant un recyclage brillant des clichés, avec un mariage entre modernité et nostalgie qui fait écho aux souvenirs romancés de l’adolescence, dans un film profondément touchant sur la jeunesse.

L’Amour ouf prendra l’affiche au Québec le 1er janvier 2025.

L’Athlète : Stevens Dorcelus sous un nouvel angle

L’Athlète, réalisé par Marie Claude Fournier, offre un regard intime sur la vie de Stevens Dorcelus, une personnalité marquante de la télévision québécoise. Bien que principalement connu pour sa victoire à Occupation Double Dans l’Ouest (2021), Dorcelus est présenté dans ce documentaire comme un jeune homme animé par le désir de concrétiser ses rêves à travers la discipline du saut en longueur. Ses performances font de lui une figure respectée dans le domaine ; mais son histoire ne s’arrête pas à ses médailles. C’est ce que la caméra de Fournier, qui le suit depuis 2013, cherche à révéler.

Dès les premières scènes, l’authenticité se fait ressentir. Les échanges en créole haïtien avec ses proches nous immiscent dans un quotidien sans artifice, où chaque dialogue fait ressortir la chaleur de la famille « tissée serrée » que le jeune Stevens rêve de rendre fière. Issu d’un foyer monoparental, Dorcelus est marqué par un devoir de redonner à sa communauté, sa passion allant au-delà d’une quête personnelle. Ladite passion incarne celle de toute une communauté, celle de la diaspora haïtienne au Québec. À travers ses exploits, il montre aux jeunes, notamment ceux issus de milieux modestes, qu’il est possible de s’élever, de « sortir » des contraintes imposées par leur environnement, et d’accomplir de grandes choses.

En salle dès le 13 décembre 2024.

Les Femmes au Balcon : une ode à la sororité… ratée

Les Femmes au Balcon de Noémie Merlant, écrit en collaboration avec Céline Sciamma, tente de dénoncer le patriarcat à travers une intrigue mêlant surnaturel et satire. Malgré quelques moments de comédie noire réussis, le film échoue à maintenir un ton cohérent, et sa conclusion maladroite affaiblit son propos féministe.

Si l’on espérait une satire piquante ou une comédie d’horreur, seuls certains moments réussissent à éveiller cet esprit irrévérencieux. Ces touches d’humour noir ne sont pas suffisantes pour équilibrer la violence brute qui domine certaines scènes et brime l’intention humoristique initiale. Le film tente également d’introduire des éléments surnaturels de manière inattendue, mais ceux-ci sont finalement sous-exploités, et semblent être aléatoires.

La comédie, bien que souvent volontairement outrancière, passe par des ressorts puérils, et amène même certaines scènes à des registres involontairement sordides, notamment lorsqu’un viol conjugal est présenté comme une plaisanterie de mauvais goût. L’humour grossier se révèle ici totalement dissonant, et manque cruellement de discernement.

La conclusion, une scène qui revendique le mouvement Free the Nipple, manque de nuance et semble presque hors de propos dans le cadre d’un récit du genre cinématographique Rape and Revenge (Viol et vengance). En tentant de toucher à plusieurs thématiques sans les explorer pleinement, le film finit par diluer son message, et amoindrit la portée de sa dénonciation féministe.

Malgré la générosité et l’esprit risqué de Merlant, cette comédie déjantée demeure un film raté. On ressent ici une vision assez limitée : le propos se veut un pamphlet contre le patriarcat, une ode à la sororité, mais l’exécution est en réalité étroite et trop marquée par un féminisme qui se révèle superficiel.

Une représentation de Femmes au Balcon aura lieu le 13 novembre à 21h00 au Cinéma Quartier Latin, dans le cadre de la programmation Cinemania. Le Festival prend fin le 17 novembre 2024.

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Calendrier culturel – Novembre 2024 https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/calendrier-culturel-novembre-2024/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56458 L’article Calendrier culturel – Novembre 2024 est apparu en premier sur Le Délit.

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Séquences étranges : Partie 2 https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/sequences-etranges-partie-2/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56491 Dimanche 13 octobre. Dur réveil. En sursaut, je me lève et m’habille, file au cinéma — le même qu’hier — je dévale les mêmes escaliers roulants, et rejoins Anna dans la file d’attente. Nous n’avons pas lu le synopsis du film que nous nous apprêtons à voir, mais l’affiche est prometteuse : le personnage porte… Lire la suite »Séquences étranges : Partie 2

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Dimanche 13 octobre. Dur réveil. En sursaut, je me lève et m’habille, file au cinéma — le même qu’hier — je dévale les mêmes escaliers roulants, et rejoins Anna dans la file d’attente. Nous n’avons pas lu le synopsis du film que nous nous apprêtons à voir, mais l’affiche est prometteuse : le personnage porte un casque à paillettes, des lunettes noires, un costume que nous interprétons comme le signe d’un film nocturne, scindé de lasers. Pourtant, ce ne sont pas des larmes de joie qui coulent, étincelantes sur les visages éclairés par l’écran géant. Face à nous, une famille tente d’enterrer un passé d’abus sexuels. On Becoming a Guinea Fowl, de la réalisatrice Rungano Nyoni, tisse les non-dits des enfances ternies par un violeur, leur oncle, retrouvé mort au début du film.

Après le générique de fin, nous sortons de la salle, descendons calmement les marches. Sans dire un mot, nous restons attentives aux cris de colère de ces femmes, qui retentissent dans nos oreilles. Devant les portes du cinéma, je vérifie Letterboxd, où Anna a déjà rédigé sa critique. Quatre étoiles : « had to get a sweet treat after this to recover » (j’ai dû m’acheter une gâterie pour me remettre de mes émotions, tdlr). Je me pose au café de la friperie Eva B sur le boulevard St-Laurent, je gobe un biscuit, et avale un café d’une seule gorgée : je ne pense à rien. Mon regard se pose sur les plateaux qui circulent, sur les vêtements que les gens s’arrachent.

J’appelle une amie, la Française, celle qui m’avait accompagnée au festival l’année dernière. Nous nous étions assises à cette même table entre deux séances. Je tente de lui raconter ce que nous venons de sentir mais je bute sur les mots, et mes phrases se déversent dans ma tasse. La nostalgie de l’absence de mon amie remplace rapidement les sentiments moroses et je retourne seule m’affaler dans un siège du cinéma du Quartier Latin.

« Sans dire un mot, nous restons attentives aux cris de colère de ces femmes, qui retentissent dans nos oreilles »

Je chantonne, et entre joyeusement dans le monde de Lola Arias, réalisatrice du documentaire Reas, une reconstitution libre de la vie d’ancien·ne·s détenu·e·s d’une prison de Buenos Aires. Les acteur·ice·s sont des femmes queer, des personnes trans et non-binaires qui revisitent sous l’œil attentif de la caméra le lieu dans lequel iels se sont construit·e·s.

Nous rencontrons les personnages à travers le corps qui s’expriment par la voix, le sport, la créativité. Très vite, je m’attache à ces personnes, en quête d’appartenance à une communauté. Iels chantent, « voguent », jouent au soccer, se marient, mélangent allégrement la fiction aux souvenirs du réel, et m’aident à éteindre les émotions ressenties quelques heures plus tôt. J’aimerais m’enfoncer un peu plus dans mon siège, rester avec iels toute la soirée, en apprendre encore sur leurs rêves, la vie après l’incarcération. Mais l’écran s’éteint et la salle se vide. Je pars aussi, pédale sur la rue Saint-Denis jusqu’à l’avenue Laurier. Arrivée chez moi, je n’enlève pas ma veste, ni mes chaussures. Je m’allonge sur le sofa et regarde un court-métrage sur mon iPhone tout brisé. Je relâche les larmes refoulées, et la fièvre accumulée monte en spirale face aux nouvelles images qui scintillent sur le petit écran. Jusqu’à tard dans la nuit, je draine mon corps à sec en attendant le calme après les pleurs. Les émotions de la journée évacuées, je me couche et dors une nuit sans rêve. Ma tête se vide, j’attends les prochaines séances.

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Être conservatrice d’art : entre vision curatoriale, parité et héritage https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/etre-conservatrice-dart-entre-vision-curatoriale-parite-et-heritage/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56522 Entretien avec Anne-Marie St-Jean Aubre du Musée des Beaux-Arts de Montréal.

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Musée des Beaux-Arts de Montréal, 8 octobre 2024, pavillon Desmarais. J’entre dans la grande salle d’exposition et j’y aperçois une femme, qui brille. Ses traits sont d’ébènes et sa peau d’ivoire ; un sentiment de familiarité m’enveloppe alors que je la fixe dans le blanc des yeux. Dépourvue de pupilles, cette femme n’est nulle autre qu’une sculpture : Ebony in Ivory, I (2022), d’Esmaa Mohamoud. Son profil me rappelle le mien lorsque j’avais des nattes collées plus tôt cette année. Aussi rarissimes soient-elles, c’est dans ces rencontres avec des œuvres qui saisissent l’essence de notre image que l’on se rend compte de la puissance de l’art à représenter autrui. Mais, qui est responsable de la sélection de ces œuvres, et comment se retrouvent-elles entre les murs des musées? Qui détermine les thèmes des expositions, la sélection des artistes, et la mise en scène des œuvres pour qu’elles résonnent en nous? Afin de découvrir ces figures clés qui œuvrent dans l’ombre, je me suis entretenue avec Anne-Marie St-Jean Aubre, conservatrice de l’art québécois et canadien contemporain (datant de 1945 à aujourd’hui) au Musée des Beaux-Arts de Montréal (MBAM). Avec son regard et son expertise, St-Jean Aubre façonne des expositions qui racontent nos histoires, veillant à ce que l’art contemporain nous interpelle et nous représente.

Le Délit (LD) : Pourriez-vous nous parler de votre parcours dans le monde des arts et de ce qui vous a initialement attirée vers ce métier? Y a‑t-il eu un moment décisif qui vous a poussée à choisir cette carrière?

Anne-Marie St-Jean Aubre (AMSJA) : Oui! Mon intérêt pour les arts a commencé avec mes cours en arts visuels au secondaire, qui étaient parmi mes préférés. Cela m’a ensuite orientée vers un baccalauréat en arts visuels. J’y ai choisi un cours de muséologie, qui a déclenché mon intérêt. Le projet principal de ce cours consistait à imaginer une exposition sur papier : concevoir la mise en espace des œuvres et rédiger les textes d’accompagnement. J’ai constaté que ce travail correspondait davantage à mon désir de création. C’est donc ainsi que j’ai décidé de réorienter ma formation en histoire de l’art à l’UQAM, afin de poursuivre une trajectoire qui pouvait me mener à un travail de commissaire d’exposition.

« Avec son regard et son expertise, St-Jean Aubre façonne des expositions qui racontent nos histoires, veillant à ce que l’art contemporain nous interpelle et nous représente »

LD : Pouvez-vous expliquer la différence entre un commissaire d’exposition et un conservateur?

AMSJA : C’est intéressant de noter qu’en anglais, il n’y a pas de distinction entre les deux rôles, car le terme utilisé est « curator ». En français, le commissaire d’exposition est responsable de tout ce qui concerne la création d’une exposition. Cela inclut la sélection des œuvres, l’invitation des artistes, la rédaction des textes d’exposition et la mise en espace. Bien que les conservateurs réalisent également ces tâches, leur rôle se distingue par une responsabilité supplémentaire : le développement d’une collection, ce qui implique un volet d’acquisition et une réflexion sur l’évolution de cette collection. En tant que conservatrice au MBAM, par exemple, je suis responsable de la collection d’arts contemporains québécois-canadiens, qui comprend plus de 8 500 objets. Je dois réfléchir aux artistes inclus dans la collection et à ceux qui ne le sont pas, afin de garantir une représentation complète et pertinente pour orienter la collection vers l’avenir.

LD : Comment se déroule le processus d’acquisition d’œuvres?

AMSJA : Lorsqu’il s’agit d’une acquisition, tous les conservateurs du Musée se réunissent autour d’une table pour en discuter. Je présente l’œuvre que je souhaite soumettre pour acquisition, et nous débattons ensemble avant de prendre une décision collective ; nous cherchons à raconter une histoire à travers la collection, à témoigner d’un moment de création dans le temps. Cette étape se déroule au sein d’un comité interne. Ensuite, l’œuvre est soumise à un comité externe, composé de personnes qui ne sont pas des employés du musée. Leur rôle est de donner leur opinion sur nos choix et d’apporter une perspective extérieure.

LD : Lorsque vous étiez conservatrice d’art contemporain au Musée d’art de Joliette, vous avez mis en avant des femmes artistes et des artistes issus de divers horizons culturels. Comptez-vous poursuivre cet engagement en tant que conservatrice au MBAM?

AMSJA : L’approche que j’ai développée à Joliette est quelque chose que je vais absolument poursuivre ici. Cela reste le moteur de tout mon travail. En observant la collection actuelle du MBAM, je constate qu’elle reflète l’histoire de l’Institution et les priorités de ceux qui m’ont précédée. Malheureusement, cela signifie qu’il y a un manque d’artistes femmes et de voix provenant d’horizons divers. C’est donc un objectif essentiel pour moi [de mettre en valeur ces voix, ndlr] dans le développement de la collection et dans la programmation des expositions. Par exemple, lors de ma première initiative, j’ai repensé l’espace des galeries contemporaines en visant la parité entre artistes femmes et hommes, tout en intégrant divers médiums comme le textile, la sculpture et le dessin. En outre, je souhaite que chaque exposition puisse intéresser autant un spécialiste de l’histoire de l’art qu’une famille qui découvre le musée pour la première fois. Mon objectif est de réussir à aborder un même projet de manière à ce que chacun y trouve quelque chose qui l’interpelle.

« Je souhaite que chaque exposition puisse intéresser autant un spécialiste de l’histoire de l’art qu’une
famille qui découvre le musée pour la première fois »

Anne-Marie St-Jean Aubre

LD : Comment décririez-vous l’art québécois et canadien? Qu’est-ce qui compose notre unicité?

AMSJA : C’est une question très complexe! Par le passé, dans les années 30 à 60, il était plus facile de définir une scène nationale, car il y avait moins de mouvements artistiques. Les artistes étaient conscients de ce qui se faisait ailleurs, mais l’environnement était plus délimité géographiquement. Aujourd’hui, avec l’avènement d’Internet, les artistes sont en constante interaction avec des œuvres du monde entier, ce qui rend la définition d’une scène artistique plus compliquée. Il est donc difficile de concevoir la scène artistique québécoise et canadienne sous un angle unique, car les influences et les inspirations proviennent de partout et sont très diversifiées.

LD : Pour finir, pourriez-vous nous parler de vos projets futurs et des émotions ou messages que vous espérez transmettre au public?

AMSJA : Je suis ravie de partager qu’il y a un projet très prometteur d’une artiste montréalaise, prévu pour 2025. La programmation complète pour l’an prochain sera dévoilée d’ici la fin novembre, mais je préfère garder le suspense. C’est ma première expérience d’exposition avec le musée, et je suis impatiente de la partager avec le public!

Le MBAM s’oriente vers une diversité enrichissante et une accessibilité accrue. Consultez le site du Musée à la fin novembre pour le dévoilement de cette artiste et de sa création. Plus d’informations sur www.mbam.qc.ca

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À la conquête de Trump https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/a-la-conquete-de-trump/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56519 The Apprentice : oser révéler l’envers du décor.

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Depuis qu’il s’est lancé en politique, il y a presque dix ans, Donald Trump semble inébranlable. Malgré une défaite électorale en 2020, de multiples polémiques, et même une inculpation, il est indétrônable au sommet du parti républicain. Mais comment, en tant que témoins contraints, nous sommes-nous retrouvés face à cette tempête tonitruante qu’est Trump? Le nouveau film d’Ali Abbasi, The Apprentice, cherche à répondre à cette question.

Sorti en salle au Canada et aux États-Unis en octobre dernier, The Apprentice est un film biographique qui retrace les pas du jeune Donald Trump dans les années 1970. Interprété par Sebastian Stan, Trump gravit les échelons de la haute société new yorkaise. À travers le film, il forge ses repères et apprend la froideur et l’art de la manipulation. Nous retrouvons aussi son attitude déplaisante à l’égard de la gent féminine : le traitement minable qu’il réserve à sa première femme ne surprend plus personne.

« Dans cette ville dirigée par la haute société, c’est le capitalisme pur qui règne, équipé d’un marteau piqueur qui écrase tout sur son passage »

Entre-temps, Stan incarne l’homme d’affaires avec une performance solide et subtile. Il nous prive (sans regret) de sa voix agaçante, mais il transpose avec brio ses gestes atypiques, si reconnaissables. The Apprentice ne se concentre pas seulement sur Trump, mais aussi sur le personnage crucial de son avocat, Roy Cohn. Le caractère moral abominable de Cohn est incarné par nul autre que Jeremy Strong, l’un des protagonistes de la série télé Succession. L’acteur transperce l’écran : ce rôle plus sérieux lui sied parfaitement. Assez vite, Cohn prend Trump sous son aile, et lui apprend les rouages du monde des affaires. Dans cette ville dirigée par la haute société, c’est le capitalisme pur qui règne, équipé d’un marteau piqueur qui écrase tout sur son passage. Le film sous-entend que, sans Roy Cohn, le Trump si imposant que nous connaissons aujourd’hui n’existerait pas.

Si Abbasi expose sans compromis les vices des deux hommes, il n’hésite pas non plus à montrer leur côté humain. Chez Trump, nous découvrons l’importance qu’il accorde à la famille, un aspect qui a tendance à être oublié par les médias. Avec un frère alcoolique et un père très exigeant, sa jeunesse n’a pas toujours été facile. Abbasi prend soin de dévoiler une part de vulnérabilité, invitant les spectateurs à entrevoir une dimension plus profonde chez Trump.

Ce qui rend ce film si percutant, c’est qu’il ne se revendique pas partisan. Abbasi évite ce piège : sans pour autant offrir une image louable, il se refuse également à la propagation d’un discours anti-Trump. C’est à noter qu’il n’est justement pas Américain. En effet, dans une entrevue avec Democracy Now! Abbasi, souligne « je n’ai pas de parti pris dans cette lutte politique (tdlr) ». D’origine iranienne et actuellement installé au Danemark, il réussit à offrir une perspective externe et neutre sur ces dynamiques et ces personnalités si polarisantes.

Évidemment, ce film n’est pourtant pas indemne de l’actualité politique. Depuis qu’il a été remarqué par le public à Cannes en mai dernier, Trump et sa campagne électorale n’ont cessé de discréditer et de menacer le producteur du film avec des mises en demeure. À l’occasion de sa sortie en salle au mois d’octobre, Trump n’a pas caché ses sentiments à l’égard du long-métrage : sur Truth Social, son propre réseau social, Trump a dénoncé le scénariste, Gabe Sherman, le qualifiant de charlatan (talentless hack), et a insulté tous ceux impliqués dans la production du film, les traitant de vermines (human scum).

The Apprentice ne changera probablement pas votre perception de l’homme qu’est Donald Trump. Rien de bien grandiose, mais cela reste une expérience de visionnement remplie d’humour et recommandable. Toutefois, lorsque défile le générique de fin, cette comédie dramatique d’une période lointaine devient une réalité imminente…

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Chasse aux graffitis https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/chasse-aux-graffitis/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56527 Si tu penses que Montréal ne peut faire aucun tort,Tu n’es jamais parti·e à la chasse aux graffitis,Dans les ruelles de Saint-Laurent,Tout l’après-midi d’un jour gris,Car tu en avais enfin eu le temps,Pensant qu’être à l’extérieur,Ne pouvait être que ce qu’il y aurait de meilleur. Les personnages sur la brique devant toi,Jamais tu ne leur… Lire la suite »Chasse aux graffitis

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Si tu penses que Montréal ne peut faire aucun tort,
Tu n’es jamais parti·e à la chasse aux graffitis,
Dans les ruelles de Saint-Laurent,
Tout l’après-midi d’un jour gris,
Car tu en avais enfin eu le temps,
Pensant qu’être à l’extérieur,
Ne pouvait être que ce qu’il y aurait de meilleur.

Les personnages sur la brique devant toi,
Jamais tu ne leur ressembleras,
Promesse à toi-même qui te terrifia.
Une œuvre ne se cache pas,
Et ce n’est pas entre les portes arrière de cantine,
Aux odeurs de gras,
Qu’on se déploie.
Et tu reconnais au moins que ça,
Tu te le dois.


La chasse aux graffiti fut fructueuse,
Les nouveautés murales nombreuses,
Mais la rumination qui creuse,
Elle te laisse anxieux·se.
Tu renommes la ruelle « l’existentielle »,
Hommage à ta crise silencieuse,
Que tu rends,
En quittant,
Saint-Laurent.

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Choisir la jeunesse à tout prix https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/choisir-la-jeunesse-a-tout-prix/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56355 La violence de l’idéal esthétique dans The Substance.

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En 2021, le jury du Festival de Cannes fait le choix audacieux d’attribuer sa fameuse Palme d’Or au long-métrage Titane, le film de body horror de la réalisatrice française Julia Ducournau. Le président du jury justifie alors sa décision en insistant sur le caractère provocateur du film : « Une femme qui tombe enceinte d’une Cadillac, je n’avais jamais vu ça! » C’est sans doute une logique similaire qui explique l’engouement autour du film The Substance. Ce deuxième long-métrage de la réalisatrice Coralie Fargeat redéfinit le body horror sous toutes ses facettes, dans une exploration viscérale du genre, qui interroge les pressions exercées sur le corps féminin dans la société contemporaine. Lauréat du prix du meilleur scénario à Cannes, le film de Fargeat déconstruit les conventions en place, ne se contentant pas de dénoncer, mais bien de réinventer les tropes mêmes de l’horreur pour servir un propos acéré et féministe, au-delà du choc esthétique.

« Face à ces scènes intransigeantes, le public se glisse ainsi dans la peau du voyeur, confronté à son propre regard fétichisant »

The Substance suit Elisabeth (Demi Moore), une actrice autrefois adulée, qui, face à l’érosion de sa notoriété et au déclin inévitable de sa jeunesse, choisit de s’injecter un mystérieux sérum aux promesses de jouvence. Ce sérum, représentation des injections et chirurgies auxquelles tant de femmes se soumettent pour répondre aux normes de beauté, donne vie à Sue (Margaret Qualley) – jeune, parfaite, séduisante. Ce double, à la fois source de fascination et de répulsion, devient une rivale d’Elisabeth, exacerbant son désir de se conformer aux standards esthétiques, dans un conflit permanent entre sa propre image vieillissante et celle, idéale, de son clone. Qualley et Moore sont tour à tour dénudées sous la lentille austère de la caméra, dans une opposition ingénieuse entre jeunesse et vieillesse, beauté et laideur, perfection et réalisme. Face à ces scènes intransigeantes, le public se glisse ainsi dans la peau du voyeur, confronté à son propre regard fétichisant.

Une scène poignante révèle l’ampleur de la pression esthétique qui écrase Elisabeth : alors qu’elle se prépare pour un rendez-vous, elle s’applique du maquillage, change de tenue, puis, en proie au doute, se démaquille. Le visage de Moore, face au miroir, traduit une douleur muette – celle d’une femme qui, malgré ses efforts, se voit trahie par le temps. Le public est ainsi témoin de ses rouages internes : sa jalousie envers Sue, cette version réinventée d’ellemême, et le regret d’une jeunesse idéalisée qu’elle sait irrévocable. Cette scène souligne la complexité de ses choix, entre la pression de se plier aux normes esthétiques et la désillusion d’être dépassée par une image de perfection inatteignable, accentuant l’emprise des standards de beauté sur ses décisions. Avec une humilité et une vulnérabilité rares, Moore, elle-même figure iconique souvent confrontée aux diktats de l’industrie, s’offre ici dans un rôle dénudé, reflétant l’anxiété et les désillusions vécues par tant de femmes face aux injonctions sociales.

Dans un hommage aux classiques, Fargeat émaille son film de références iconiques. L’apparition de MonstroElisaSue – la créature hybride née de la fusion entre Sue et Elisabeth – provoque un élan d’horreur parmi les spectateurs, évoquant la scène finale de Carrie, où la protagoniste humiliée transforme sa douleur en vengeance sanguinaire. Mais ici, cette créature grotesque en robe à paillettes incarne plus qu’une humiliation : elle incarne le rejet, le malaise, et la vengeance de toute une génération de femmes face aux injonctions qui les défigurent.

Un parallèle s’impose également avec Requiem for a Dream, dans une analogie pertinente qui compare cette quête inlassable de la perfection esthétique à une véritable addiction : en usant d’une esthétique visuelle similaire à celle du film d’Aronofsky, Fargeat insiste sur la violence physique et psychologique rattachée à l’intériorisation de ces normes esthétiques. Elle démontre ainsi que les décisions de conformité ne sont pas de simples actes de vanité, mais bien les produits d’une pression sociale écrasante, qui poussent les femmes à se transformer, souvent au détriment de leur propre identité et santé, pour se soumettre à une image dictée par la société.

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Séquences étranges https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/sequences-etranges/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56351 Un après-midi au Festival du Nouveau Cinéma.

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Samedi 12 octobre. La journée commence en retard, et je cours, je file sur Saint-Denis, un café à la main. Les doigts me brûlent, mais je ne m’arrête pas. J’ai promis à Anna que je serais à l’heure, ou du moins, que nous arriverions toutes les deux en même temps, rouges d’avoir dévalé la pente, puis les escaliers roulants du cinéma Quartier Latin. Sur le chemin, je tente de me souvenir des synopsis, mais tout va trop vite en ce moment et je me rappelle seulement mes propres conclusions. Je texte à Anna des descriptions vagues, espérant la convaincre de m’accompagner à tous les films sur mon programme. Le premier : ça va être queer. Le deuxième : ça va être queer et kinky. Le troisième : c’est une comédie française, ce n’est pas queer, mais on va rire parce qu’Aymeric Lompret a une scène. Elle répond « ok », ce genre de « ok » ferme : l’annonce qu’elle est prête à tout affronter. Nous arrivons dans la salle, montons quelques marches, et nous affalons sur les sièges, déterminées à passer le reste de la journée les yeux plongés dans l’écran géant. Peaches Goes Bananas commence et nous invite dans l’euphorie de la rencontre avec l’artiste ; les images de concerts s’enchaînent et les costumes de vagins nous donnent une idée du personnage. Je me laisse surprendre par la forme documentaire – je n’avais aucun souvenir qu’il en s’agissait d’un – et découvre la chanteuse Peaches. Je shazame ses chansons sous les hochements de tête approbatifs d’Anna.

Nous changeons de cinéma, marchons jusqu’à Parc. Bruce La Bruce, le réalisateur du film queer et kinky, porte une veste sur laquelle est brodé « LUCIFER » : un arc en ciel sortant de chaque lettre. Cette dernière donne le ton du film The Visitor, un indice sur les désirs de son auteur dont je n’avais jamais vu les autres pornos. Les scènes de sexe se sautent dessus, du hardcore en continu sur fond de critique du capitalisme, du gouvernement, des lois anti-immigrations et bien sûr, de l’homophobie. Les slogans de la gauche britannique remixés clignotent et éclairent les visages attentifs. J’ai l’impression d’être dans la tête d’un Gaspard Noé un peu plus tordu. Nous sortons de la salle, allons manger des algues, et parlons sans vraiment savoir par où commencer. Je prends la veste du réalisateur en photo, et nous dégustons en riant de ma piètre description.

« J’ai l’impression d’être dans la tête d’un Gaspard Noé un peu plus tordu »

Charlotte m’appelle : elle est en retard. Nous nous rejoignons pour la diffusion du film Les pistolets en plastique de Jean Christophe Meurisse, dans lequel il invente une vie à Xavier Dupont de Ligonnès, le célèbre tueur en série, rebaptisé Paul Bernardin dans le film. C’est pour l’apparition de l’un de mes humoristes fétiches, Aymeric Lompret, que je ne voulais pas rater la comédie. L’humour noir et les scènes sanglantes n’ont pas tellement plu à mon entourage, et nous retenons davantage le court-métrage Sam & Lola qui avait précédé l’autre : crier « Y’a Marion Maréchal à poil! » dans un bar bondé de policiers pour qu’ils détournent le regard et que les filles à qui ils payent des verres puissent s’échapper de leur emprise dégueulasse, c’était finalement la meilleure réplique entendue de toute la journée.

Nous sortons du cinéma, ahuries par toutes les images encaissées en quelques heures et nous rentrons rêver de ces séquences étranges, qu’on se racontera le lendemain, en file, en attendant les autres séances.

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Derrière l’objectif, sommes-nous objectifs? https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/derriere-lobjectif-sommes-nous-objectifs/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56360 Le photojournalisme : une question d'éthique.

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Tout autour de nous, des images racontent des histoires. Dans un monde qui en est saturé, il est essentiel de s’interroger sur celles qui dépassent le simple visuel pour devenir des récits porteurs de sens. Derrière chaque image se cache l’intention de dévoiler une réalité, parfois brutale, parfois inspirante. Là où d’autres images capturent l’esthétique d’un moment ou le souvenir d’une émotion, le photojournalisme s’impose comme un regard sur le monde, destiné à informer plutôt qu’à séduire. À la croisée des chemins entre art et engagement, cette discipline ne se contente pas de capturer des instants : elle forge notre compréhension des enjeux contemporains.

Photo. Journalisme. Une rencontre entre l’instantané et l’information. Comme son nom l’indique, la distinction entre le photojournalisme et toutes autres formes de photographie réside dans l’intention derrière l’image. C’est lorsque l’image a un mandat publique, celui de fournir des informations précises et honnêtes au public, qu’elle devient photojournalistique. Contrairement aux idées reçues, cette différenciation ne repose pas sur le caractère artistique de l’image. Toutes les photos comportent un aspect esthétique significatif, sans nécessairement être journalistiques. Cela soulève une question essentielle sur la place des artistes dans le journalisme et sur notre rapport à l’information visuelle. Pour répondre à ces questions créatives, techniques et éthiques, Le Délit a interrogé Jasmine, photojournaliste et activiste montréalaise.

La photo comme outil d’information

Aujourd’hui, notre rapport obsessionnel au numérique et aux réseaux sociaux a radicalement changé la manière dont les gens s’informent, suscitant un sentiment de méfiance et de scepticisme à l’égard des médias traditionnels. Ceux qui font le choix de payer un abonnement hebdomadaire au New York Times se font rares. Instagram défie cette barrière sociale élitiste et malgré les restrictions de Meta, la plateforme offre un accès à l’information quasi-universel.

Les médias traditionnels comme Radio-Canada rapportent l’actualité locale d’un point de vue souvent précis, avec un titre accrocheur qui cherche à vendre au lecteur l’intérêt de lire l’article. La confiance du public dans ces médias traditionnels diminue, dû notamment à la quantité d’informations produites quotidiennement. « Nous vivons dans un monde où les gens ne font plus confiance aux journalistes », rapporte Jasmine. Selon elle, c’est cette perte de confiance qui offre à la photo une place comme moyen pour continuer à s’informer. Même si les images peuvent être modifiées sur PhotoShop, ou alors par un usage de l’intelligence artificielle, les photos issues de sources indépendantes sont vitales à une société en quête d’information authentique et démocratisée.

Éthique du photojournalisme

Certains principes des chartes de déontologie du photojournalisme sont particulièrement importants pour Jasmine : ne pas user de méthodes déloyales pour obtenir des photographies, traiter les sujets avec respect et dignité, et ne pas faire intrusion dans les moments intimes de chagrin. Elle souligne également l’importance d’un usage impartial de ces clichés, afin d’éviter toute utilisation dans un contexte éditorial orienté. Pour ces raisons, Jasmine fait le choix de cacher le visage des enfants et de toute autre personne pour qui une image publique pourrait s’avérer nuisible : « L’esthétique de la photo reste importante, alors je vais m’assurer de choisir une photo où le visage est détourné. » Si au Canada, il est légal de photographier des manifestants, pour Jasmine, « il y a des choses qui ne se font pas. » À l’inverse, si quelqu’un se met en position plus visible, en montant sur un podium par exemple, alors ce geste traduit une volonté de détonner de la foule, une adhésion publique à la cause. Il est ainsi évident que le cliché peut être pris.

« Pour bon nombre de photojournalistes, il y a une part d’émotion et d’intérêt personnel et donc de subjectivité dans l’art du photojournalisme, et c’est justement ce qui humanise l’information »

Derrière l’objectif, il y a des rencontres, des êtres humains. Certes, l’objectif principal est d’obtenir la photo qui représente au mieux le message désiré. Pourtant, pour pouvoir photographier un sujet – qu’il s’agisse d’une seule personne, d’un groupe de manifestants, ou d’un événement quelconque – il y a un temps pour écouter, observer, et analyser la situation. Il faut pouvoir mettre à l’aise la personne qui fait face à l’objectif, rester discret et ne pas gêner les actions entreprises, se protéger et protéger son sujet, tout en réfléchissant au bon angle, à la lumière, et à l’esthétique de notre image.

L’objectivité n’existe pas

Pour bon nombre de photojournalistes, il y a une part d’émotion et d’intérêt personnel et donc de subjectivité dans l’art du photojournalisme, et c’est justement ce qui humanise l’information. Mais comment gérer les émotions, les pressions, les biais et les attentes qui accompagnent la couverture d’événements émotionnellement chargés? L’objectivité journalistique est un idéal qui vise soit la neutralité, soit la pluralité d’opinions. Pour assurer cette objectivité, il faudrait préconiser un détachement total, or pour Jasmine « c’est impossible, nous ne pouvons pas être complètement détachés du monde ». C’est pour cela qu’elle décide de couvrir des événements plus partisans comme les manifestations pro-Palestine, ainsi que les campements présents sur le campus de McGill l’été dernier. « Je choisis consciemment à qui et à quoi j’attribue une plateforme malgré mes quelques centaines d’abonnés [sur Instagram, ndlr], parce que ça vaut le coup d’être partagé. » Son but, et celui de beaucoup d’autres photojournalistes indépendants, est de varier les représentations médiatiques, de porter son regard sur les peuples sous-représentés. Au fil de l’histoire des mouvements socio-politiques, des révolutions et des guerres, la photographie a été fondamentale au partage des narratifs. Sans ces images, les acteurs de ces révolutions et les victimes d’injustices systémiques n’auraient pas pu être reconnus à leur juste valeur.

Margaux Thomas | Le Délit

Le risque des manifestations

Jasmine précise qu’elle ne cherche pas à monétiser ses photos. Elle les partage souvent sur Instagram ou les transmet gratuitement aux organisations impliquées, parfois sous couvert d’anonymat – par souci de sécurité. Sous ces publications se retrouvent parfois des commentaires critiques, qu’elle ne censure pas. Avant chaque événement, elle se questionne donc sur les conséquences potentielles de sa participation, même en tant qu’observatrice. C’est justement l’aspect sécuritaire qui demeure un défi constant. Elle reste vigilante, observe le comportement des forces de l’ordre et des manifestants pour anticiper les risques, qui sont d’autant plus élevés sans accréditation de presse officielle. À Montréal, en tant que journaliste, que l’on soit accrédité ou non, identifiable ou non, il est possible d’être agressé et arrêté au même statut qu’un manifestant. Face à une rangée de policiers en armure de combat – comme c’était le cas le 7 octobre dernier sur notre campus universitaire – un appareil photo peut vite être confondu avec une arme par la police. Cela souligne l’importance de l’image dans notre construction de la vérité. Pour Jasmine, il est vrai que les sujets portés par les manifestants sont chargés d’émotions, mais c’est la peur des forces de l’ordre qui lui pèse tout particulièrement. Elle considère que son appareil photo est un outil contre un système défaillant où les violences policières sont en hausse.

Le photojournalisme se situe ainsi à l’intersection de l’émotion et de l’engagement personnel, des éléments qui humanisent l’information tout en posant des défis éthiques. En naviguant entre la nécessité de documenter des événements remplis d’émotions et les risques inhérents à sa présence sur le terrain, la démarche de Jasmine souligne l’importance de la responsabilité éthique dans la couverture médiatique. En fin de compte, le photojournalisme ne se limite pas à capturer des images ; il s’agit de contribuer à une compréhension plus profonde de la vérité, même dans un contexte où la perception et la réalité peuvent se heurter violemment.

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Pourquoi choisissons-nous de revisiter le passé? https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/pourquoi-choisissons-nous-de-revisiter-le-passe/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56389 Découvrons l'héritage de deux opéras de chambre mythiques et de Beethoven.

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La servante et la clairvoyante, une soirée d’opéra présentée à la Salle Pierre-Mercure, et le Marathon Beethoven à la Maison symphonique de Montréal, m’ont immergée dans des expériences captivantes, oscillant entre manipulation et destin. Ces deux événements, par leur exploration de pièces aussi anciennes que La serva Padrona (1733) de Pergolesi et The Medium (1946) de Menotti, ainsi que les symphonies intemporelles de Beethoven, m’ont confrontée à un choix : voyager dans le passé pour y puiser des vérités qui résonnent encore aujourd’hui ou laisser ces œuvres tomber dans l’oubli.

Cela peut sembler un devoir ambitieux, mais ce choix reflète une entreprise commune qui se manifeste au quotidien. Que ce soit par la reprise de films cultes comme American Psycho (2000), qui sera adapté l’an prochain par Luca Guadagnino, ou par le Musée Métropolitain d’Art de New York, préparant l’exposition associée au prochain MET Gala sur l’héritage du dandysme afro-descendant, ce choix n’est pas réservé aux arts de la scène. Même en cette fin du mois d’octobre, la fête d’Halloween, suscitant le revêtement de costumes ancrés dans l’imaginaire collectif, relève cette tendance. Mais choisir de revenir vers des créations du passé, de les adapter et les réinventer, n’est pas uniquement une question de nostalgie. Ici, à Montréal, la scène culturelle semble nous rappeler que revisiter le passé est non seulement naturel, mais nécessaire.

« À Montréal, la scène culturelle semble nous rappeler que revisiter le passé est non seulement naturel, mais nécessaire »

La servante et la clairvoyante : un reflet de la société

Lors de la soirée du 8 octobre dernier, La servante et la clair- voyante nous proposait deux pièces distinctes : La serva Padrona, une comédie enjouée, et The Medium, un drame sombre. La serva Padrona, écrite en 1733 par Giovanni Battista Pergolesi, se présente comme une comédie vivace où le personnage principal, Serpina, incarne l’audace et l’insoumission. Servante de la maison, elle se doit d’obéir à Uberto, son maître vieillissant et impatient. Cependant, elle défie les attentes de son supérieur en utilisant son intelligence et son charme pour
le manipuler, osant même lui interdire de quitter la maison et orchestrer un subterfuge pour qu’il consente à l’épouser.

Pour une œuvre créée il y a près de trois siècles, La serva Padrona est étonnamment actuelle dans sa critique sociale. La représentation d’une femme forte, qui refuse de se plier aux demandes et qui parvient à renverser l’ordre établi, rappelle les revendications féministes actuelles. Dans la version contemporaine de cette pièce, la jeunesse du comédien jouant Uberto efface la dynamique traditionnelle d’un vieil homme manipulé par une jeune servante rusée. Ici, Serpina et Uberto apparaissent comme des égaux, et cette inversion de rapport souligne un message moderne : Serpina refuse de se soumettre aux injonctions qui lui dictent quoi faire de sa vie et de son corps. Pour les spectateurs, un Uberto jeune vient renforcer l’idée qu’au-delà d’une hiérarchie de classe, c’est la dynamique de genre qui est interrogée. Celle-ci nous montre que le contrôle et l’autonomie sont des thèmes intemporels, et qu’une femme peut revendiquer son pouvoir par la simple affirmation de sa volonté.

« Revisiter des récits fait partie intégrante d’une démarche visant à com- prendre des dilemmes sociaux actuels »

En contraste avec ce message porteur d’espoir, The Medium de Gian Carlo Menotti, écrit en 1946, nous plonge dans un univers d’angoisse et de tragédie. Madame Flora, une clairvoyante déchue, utilise des séances de spiritisme truquées pour extorquer de l’argent à ses clients désespérés, manipulant leur douleur pour son propre gain. Son univers bascule lors d’une séance où elle ressent soudainement une main invisible autour de sa gorge, un phénomène qu’elle ne peut expliquer et qui la hante. La pièce explore les ravages de la culpabilité et de la peur qui se transforment en paranoïa. Flora, incapable d’assumer sa propre responsabilité, finit par accuser son serviteur muet, Toby, d’être à l’origine de ces manifestations paranormales. La tension monte jusqu’à un climax dévastateur, où Flora, consumée par la terreur et la folie, abat Toby, croyant qu’il est le fantôme qui la tourmente.

The Medium émet une résonance troublante dans la société actuelle, où la cupidité, les faux-semblants et l’obsession du contrôle causent des souffrances inimaginables. Aveugle face aux conséquences de ses actes, Flora préfère rejeter le blâme sur Toby – une allégorie des conflits modernes où la violence est dirigée vers les plus vulnérables et non vers ceux qui les engendrent. En outre, la mise en scène de François Racine, enrichie par la direction du maestro Simon Rivard et des étoiles montantes de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal, nous démontre que revisiter des récits fait partie intégrante d’une démarche visant à comprendre des dilemmes sociaux actuels.

TamPhotography

Marathon Beethoven : l’éternel retour du destin

Quelques semaines plus tard, le 20 octobre, je me retrouve au spectacle « Beethoven et le destin » du Marathon Beethoven, où Yannick Nézet-Séguin dirige l’Orchestre Métropolitain (OM) dans une interprétation magistrale des symphonies du maître de la musique classique. Un événement d’une rare intensité où la musique vient elle aussi transcender les époques pour captiver les esprits modernes. Mais qu’apporte l’héritage de Beethoven comme message utile à notre société moderne?

Ce n’est pas la première fois que l’Orchestre Métropolitain organise un Marathon Beethoven : 20 ans plus tôt, un événement similaire avait été célébré pour marquer le 25anniversaire de l’orchestre. Cette fois, une nouveauté est ajoutée : l’accent est mis sur l’héritage de Beethoven. Pour valoriser l’influence du compositeur sur les générations lui ayant succédé, l’OM a lancé le concours « Héritage Beethoven », destiné aux compositeurs de moins de 35 ans. Les participants devaient créer une composition inspirée d’une des symphonies de Beethoven ; les compositions des quatre lauréats seraient interprétées lors du Marathon. J’ai ainsi eu la chance d’écouter Ré_Silience de Cristina Garcia Islas, écrite en hommage au compositeur révolutionnaire. Cette œuvre montre combien le génie de Beethoven guide encore de jeunes créateurs, qui y trouvent un élan d’inspiration pour exprimer des émotions actuelles.

Alors pourquoi choisissons-nous de revisiter le passé? Certaines créations résistent tout simplement à l’épreuve du temps. Ce choix nous permet de reconnaître que, malgré nos avancées, des défis demeurent, tout comme la virtuosité d’autres continue de rayonner.

La servante et la clairvoyante a eu lieu à la Salle Pierre-Mercure le mardi 8 octobre 2024 et le Marathon Beethoven s’est tenu du 17 au 20 octobre 2024 à la Maison symphonique de Montréal.

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Entrevue avec la maison d’édition Les coins du cercle https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/entrevue-avec-la-maison-dedition-les-coins-du-cercle/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56212 Étudiant le jour, éditeur la nuit : une maison d’édition accessible.

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Lundi 30 septembre dernier, j’ai retrouvé deux des fondateurs de la nouvelle maison d’édition Les coins du cercle. Ils m’ont accueillie autour d’un petit déjeuner pour discuter de leur bijou entrepreneurial, de leurs ambitions et de littérature. La maison d’édition est composée de trois éditeurs : Alice Leblanc, Kenza Zarrouki et Mattéo Kaiser. Animés par leur passion, ils reviennent dans cet entretien sur leur projet dont le but est de faire rayonner la communauté des écrivains et des lecteurs, en deux mots : créativité et accessibilité.

Les coins du cercle Franco-marocaine, Kenza Zarrouki a déménagé à Montréal pour compléter ses études à l’UdeM. Aujourd’hui, elle poursuit sa scolarité à la maîtrise en études internationales, avec une spécialité en études européennes. Souvent contrainte de lire des revues académiques, elle reste passionnée de littérature, notamment les romans explorant la condition humaine. Kenza aime découvrir de nouveaux ouvrages pour analyser les différentes méthodes de pensée, qui lui permettent d’aborder le monde sous un nouvel angle. « L’un de mes processus de réflexion sur la vie en général, mais aussi sur mes propres émotions, passe par l’écriture et la lecture. [C’est] intime de publier un ouvrage, et il est important que l’auteur se sente à l’aise et en confiance : c’est mon rôle dans cette maison d’édition. »
Les coins du cercle Québécois de naissance, Mattéo Kaiser a grandi dans un système d’éducation francophone tout au long de son parcours académique. Il complète actuellement une maîtrise en littérature comparée, et rédige sa thèse sur la dépersonnalisation à l’UdeM. Ses études lui ont offert un tremplin dans le monde de la rédaction et de la correction. Il est guidé par la créativité et le désir de donner une chance à tous de publier. « J’aimerais justement pouvoir rendre [le monde de l’édition] un peu plus populaire pour faire en sorte que les gens aient envie de se faire publier, aient envie de partager leurs pensées globalement, puis de les proposer au marché intellectuel. »
Les coins du cercle Alice Leblanc, Montréalaise, fait partie du collectif « NOUS » qui étudie la santé mentale des jeunes au Québec, et travaille en tant qu’attachée politique pour le député de Jean-Talon, Pascal Paradis. En janvier 2024, elle publie et édite son premier recueil de poésie Jeune et Vivante chez Les coins du cercle. Alice y décrit son ressenti de jeune femme dans la société québecoise. Sa collègue Kenza salue sa créativité : « C’est un cri du coeur sincère et sensible. C’est très apprécié d’avoir ce genre d’oeuvres-là dans notre société », souligne-t-elle.

Philippine d’Halleine (PH) : Qui êtes-vous et en quoi consiste votre projet d’édition?

Kenza Zarrouki (KZ) : Cela fait maintenant un an que nous avons officiellement créé notre entreprise, mais l’idée existait bien avant. À l’origine, nous voulions simplement créer un cercle de lecture, un espace où passionnés et débutants pouvaient échanger autour de différents ouvrages. Puis, nous avons conclu que nous voulions aller plus loin.

Mattéo Kaiser (MK) : Notre inspiration vient de notre désir de rendre accessible le monde de l’édition aux jeunes dans la vingtaine et aux adolescents en leur proposant des services de conseils pour l’édition de leurs travaux francophones. Notre travail consiste en une relecture littéraire, toujours selon un même axe : garder l’essence du style de l’auteur pour que le travail de son texte demeure le sien.

PH : Votre projet a donc évolué d’un cercle de lecture à une maison d’édition. Comment cette transition s’est-elle effectuée?

MK : Tout a commencé lorsque Alice a souhaité publier son livre. C’est en février dernier que nous avons organisé une soirée de lancement, qui s’est avérée un vif succès. Nous avons ensuite entrepris les démarches pour lancer notre maison d’édition. Lors de cette soirée, j’ai vu quelque chose de beau ; l’image du littéraire est bien trop souvent celle d’une personne recluse, qui lit seule dans son coin. Ce genre de soirée permet de constater le côté plus social de la lecture.

KZ : Au début, après avoir consulté des membres de notre entourage, nous nous sommes demandés si ce n’était pas un projet trop ambitieux. Finalement, seul le processus administratif aurait pu nous faire reculer. Je pense que c’est une très bonne manière pour nous, à titre individuel, d’en apprendre le monde de l’entrepreneuriat.

PH : Comment faite-vous pour gérer le financement?

KZ : Pour l’instant, nous ne correspondons pas aux critères pour obtenir les subventions du Québec parce qu’il faut détenir au moins deux ans d’existence ainsi que quatre publications à notre actif, en vue de prouver notre stabilité, notamment pour ce qui est de nos projections à long terme. Pour l’instant, toutes les dépenses sont à nos frais personnels. Nous avons un site internet qui sera disponible dès la semaine prochaine, sur lequel il sera possible de se procurer les livres, ce qui régulera nos dépenses.

PH : Quels sont vos objectifs d’ici les prochains mois, voire les prochaines années?

KZ : Sur le court à moyen terme, nous travaillons déjà sur trois ouvrages qui seront publiés cet automne, et un quatrième pour l’hiver 2025. C’est une belle première lancée.

MK : La priorité est de recevoir suffisamment de manuscrits pour que l’on puisse commencer à fournir nos services. Pour une maison d’édition, l’objectif, c’est d’imprimer des livres, de voir, devant nous, le produit final. Il y a quelque chose de valorisant là-dedans. C’est du carburant.

PH : Comment se déroule le processus de l’envoi d’un manuscrit?

KZ : Il y a d’abord une prise de contact où nous rencontrons l’auteur, puis nous discutons de ses ambitions et de ce qu’il ou elle veut partager. Il y a évidemment un contrat écrit, qui protège nos intérêts et ceux de l’auteur. Nous organisons des rencontres bi-mensuelles – dépendamment du travail nécessaire – pour discuter de l’oeuvre et de ses points d’amélioration. Nous sommes trois éditeurs à participer à la correction du livre. Ainsi, chacun peut offrir ses conseils de façon constructive. Ce à quoi nous nous attendons, c’est que l’auteur soit capable d’accepter les commentaires et critiques, qu’elles soient positives ou négatives, afin d’assurer le bon déroulement du processus.

PH : Selon vous, quelle est la principale différence entre votre maison d’édition et celles qui sont plus établies?

MK : Nous offrons une accessibilité et un soutien aux jeunes auteurs. L’objectif est de leur offrir une plateforme pour les aider à faire leurs premiers pas dans le milieu de l’édition, en respectant des valeurs comme la liberté d’expression. Nous proposons aussi des services de révision de textes, de correction, et d’analyse créative, en vue d’essayer de développer le scénario ou l’histoire, s’il y a lieu.

PH : Quels conseils donneriez-vous aux jeunes auteurs?

MK : La créativité est la capacité humaine la plus élevée, selon moi. Vraiment, c’est ce qui nous permet de vivre et de nous adapter. Sans elle, nous n’en serions pas là. Quand tu commences à créer, et que tu oses aller jusqu’au bout, tu vois à quel point c’est bénéfique. C’est une expérience très épanouissante. Si tu as envie de te sentir bien : crée.

KZ : Comme le dit Mattéo, la créativité est un cri du coeur que nous avons tous à l’intérieur de nous. C’est par l’expression et l’appréciation des arts, qu’on peut se retrouver à s’élever sur tous les aspects de notre vie. Je dirais : élevez-vous autant que vous le pouvez.

Pour en savoir plus sur la maison d’édition Les coins du cercle, vous pouvez visiter leur site internet, accessible dès maintenant.

Les coins du cercle
Mattéo publie son premier livre cet automne. Nous en avons discuté en primeur lors de notre entretien.

ATOUÇEUKILISENCORE sortira en novembre, un ouvrage qu’il décrit comme léger, mais profond. Ce recueil de réflexions personnelles est assez loin d’un style académique, mais plutôt une invitation à la réflexion accessible, qui mêle humour et philosophie au quotidien. Ce n’est ni un roman traditionnel, ni un essai classique. Au fil des pages, Mattéo souhaite briser la barrière entre l’auteur et le lecteur, en instaurant un dialogue libre et spontané à travers ses écrits. Il encourage ainsi chacun à lire à son propre rythme, sans la moindre pression : « Mon livre, tu peux le lire où tu veux, l’abandonner un moment et le reprendre plus tard. C’est un acte libre : fais-en ce que tu veux. »

L’écriture d’ATOUÇEUKILISENCORE a débuté pendant la pandémie, une période pendant laquelle l’écriture était un moyen d’échappatoire du confinement pour beaucoup. Influencé par les travaux de Dany Laferrière, le livre capture une pensée journalière, à travers un style personnel, québécois et universel à la fois. Le titre, un jeu de mots sans espace, souligne la spontanéité face aux règles strictes de la langue. « Le titre représente aussi ce langage parfois malmené qu’on utilise au quotidien, un clin d’oeil à notre rapport décomplexé au français. Mais à travers cela, il y a du fond et du soin. » Ce faisant, Mattéo nous plonge dans son esprit, tout en laissant au lecteur la liberté d’y entrer ou d’en sortir à sa guise.

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Arrière-saison https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/arriere-saison/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56228 Je te dis adieu. Je reviens au présent. La vie reprend sa régularité morose. Le temps se gèle, les souvenirs s’enracinent, éternisant cette affliction amoureuse. L’ordinaire me tue, la solitude me paralyse. Ton regard, qui me subjuguait autrefois, m’est désormais morne et insoutenable. Je me force à écrire pour faire cesser ce déchirement. À peine… Lire la suite »Arrière-saison

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Je te dis adieu.

Je reviens au présent. La vie reprend sa régularité morose. Le temps se gèle, les souvenirs s’enracinent, éternisant cette affliction amoureuse. L’ordinaire me tue, la solitude me paralyse. Ton regard, qui me subjuguait autrefois, m’est désormais morne et insoutenable.

Je me force à écrire pour faire cesser ce déchirement. À peine ai-je commencé, tout ce qui restait en moi s’évade en un bref instant. Je ne suis plus qu’une âme flottante. Les mots s’enchaînent, se plient et s’entassent pour finir enfouis dans une lettre gribouillée. L’écriture s’achève et me renvoie à mon désarroi initial. La honte m’envahit. Je parle trop pour ne rien dire. Je cherche constamment un regard étranger pour apaiser l’orage qui m’avale. Une escapade futile pour me faire revivre nos passions évanescentes.

Le mal-être de la ville s’empare de moi comme une bête vorace. L’automne, affreusement maussade, ne songe qu’à ta caresse. Mon automne est nostalgique, le tien, je l’ignore. Je blâme cette ville pour ma douleur, je refuse frénétiquement son charme pour me livrer aux cris de ma détresse.

Je déambule dans les rues. Je regarde les couples se tenir la main, les enfants jouer au bord du lac. Je contemple leur vie qui se déroule tranquillement, paisiblement, comme si elle se moquait de mes affres. Je suis perdue dans cet écoulement et son chaos. J’ai ralenti pour être laissée derrière à jamais. La vie continue encore, mais je n’ai plus les moyens pour la rattraper. Je reprends mon souffle, tout devient flou.

Je crains la solitude. J’ai honte de ne pas pouvoir vivre joyeusement avec moi-même.

Je me promène. Les feuilles des arbres saignent, tombant tour à tour, laissant le sol orné des teintes jaunes et rouges. Le ciel, ombragé par le crépuscule, enferme la ville démunie de ses dernières beautés estivales dans une brume ténébreuse et angoissante.

Les branches dépouillées de feuilles, mon coeur dénudé de ses remparts.
Je pourrais être vulnérable devant le monde entier, mais jamais avec toi.

Je ne peux m’empêcher de penser à Apollinaire. Ceci est ma chanson du mal-aimé.

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