Archives des Théâtre - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/artsculture/theatre/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 27 Nov 2024 02:39:38 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.6.2 La mémoire d’un territoire https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/la-memoire-dun-territoire/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56722 Kukum au Théâtre du Nouveau Monde.

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L’adaptation théâtrale de Kukum, le roman acclamé de Michel Jean, fait une entrée remarquée sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde (TNM), portée par la vision audacieuse d’Émilie Monnet. Ancrée dans la culture innue, la pièce se veut un hommage vibrant à la mémoire et à la résilience d’un peuple. Si l’intention est noble et l’exécution visuellement saisissante, le spectacle peine parfois à tenir la promesse de son ambition, avec une narration qui vacille et un rythme parfois déroutant.

Un hommage sonore et visuel

Dès le lever de rideau, l’univers innu se déploie avec éclat grâce à la scénographie immersive de Simon Guilbault. La mise en scène d’Émilie Monnet s’entoure d’une équipe où les voix autochtones brillent non seulement sur scène, mais aussi en coulisses. Les costumes riches en symbolisme conçus par Kim Picard, et les projections d’archives mêlées à l’art visuel de Caroline Monnet plongent le spectateur dans le monde innu, magnifiant les paysages et les traditions évoqués par le texte. Les chants et dialogues en innu-aimun, une première sur la scène du TNM, résonnent comme un puissant acte de réappropriation culturelle. Cependant, ces moments de grâce sont parfois interrompus par des failles techniques – micros défectueux, sous-titres mal synchronisés – qui viennent rompre la fluidité de l’expérience.

Une narration éclatée

L’histoire s’ouvre sur la rencontre entre Almanda et Thomas Siméon, un chasseur innu qui devient son époux. Ce point de départ, d’apparence classique, laisse entrevoir une intrigue centrée sur l’évolution de leur relation. Pourtant, la pièce prend une direction plus fragmentée, où les souvenirs d’Almanda s’entrelacent aux récits ancestraux, tissant une trame davantage poétique que narrative. Loin d’une progression linéaire, le récit évolue au rythme des saisons et des légendes, reflétant une conception du temps propre à la culture innue, où mémoire collective et récits oraux l’emportent sur une structure dramatique conventionnelle.

La poésie comme souffle identitaire

La poésie de Joséphine Bacon, omniprésente dans cette adaptation, transcende la scène. En collaborant avec Laure Morali, Bacon insuffle une force lyrique au texte, conférant à l’innu-aimun une gravité et une beauté rarement entendues sur une scène québécoise. Ce faisant, la langue devient un outil de résistance et de réaffirmation de l’identité innue, un geste qui défie l’hégémonie culturelle et revendique la légitimité de cette culture sur la scène nationale.

C’est dans cette relation, portée par une chimie palpable, que le concept du « chez-nous » prend vie : un espace d’appartenance, et non de propriété.

Le territoire comme chez nous

Au cœur de la pièce, une opposition fondamentale se dessine entre la vision innue du territoire – espace partagé et respecté – et celle imposée par le colonialisme, réduisant la terre à un objet de possession et d’exploitation. Avec délicatesse, la pièce illustre la vie nomade des Innus, un « chez- nous » immatériel façonné par une relation harmonieuse avec la nature et une langue vivante, en contraste brutal avec la violence de la sédentarisation.

L’histoire d’amour entre Almanda et Thomas Siméon – interprétée avec justesse par Étienne Thibeault et Léane Labrèche-Dor – sert de point d’ancrage pour explorer ces thèmes. Si Labrèche-Dor livre une performance sincère, elle peine parfois à transcender les contraintes du texte pour en extraire une intensité dramatique plus viscérale. Leur union, bien que teintée d’idéalisme, incarne une alliance symbolique entre deux mondes tout en interrogeant ce que signifie réellement habiter un territoire. C’est dans cette relation, portée par une chimie palpable, que le concept du « chez-nous » prend vie : un espace d’appartenance, et non de propriété.

Avec Kukum, le Théâtre du Nouveau Monde marque un jalon important pour le théâtre québécois, une ode à la mémoire, à la langue et à l’amour, un rappel puissant que le passé colonial continue d’imprégner notre présent. Une invitation à réimaginer notre propre rapport au territoire, et à reconnaître la sagesse des voix autochtones qui, aujourd’hui plus que jamais, éclairent notre avenir collectif.

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Un lien rouge sang https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/un-lien-rouge-sang/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56587 Le théâtre Denise-Pelletier nous fait réfléchir aux tragédies familiales.

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Avec sa pièce Ma vie rouge Kubrick, le metteur en scène Éric Jean entreprend la tâche complexe d’adapter sur la scène du théâtre Denise-Pelletier le roman éponyme de Simon Roy. Œuvre entre l’autofiction et l’essai, elle relate l’obsession de son auteur pour le film d’horreur The Shining (1980) de Stanley Kubrick, inspiré du roman de Stephen King. Cette idée fixe, partiellement due au passé sinistre de Simon Roy lui-même, lui permet de s’interroger sur la capacité de l’être humain à transcender son héritage tragique familial. Telles des poupées russes, toutes ces œuvres se font écho dans une mise en abîme intertextuelle.

L’œuvre de Simon Roy prend vie sous les traits de Mickaël Gouin et Marc-Antoine Sinibaldi. À eux seuls, ces deux acteurs incarnent le dédoublement, thème récurrent dans toutes les œuvres à l’origine de cette adaptation. Tandis que Gouin, tout de bleu vêtu, incarne Simon Forest – personnage principal de cette auto-fiction – Sinibaldi, habillé en rouge Kubrick, personnifie ses maux générationnels ainsi que les nombreux autres personnages qui lui donnent la réplique. Le jeu de Sinibaldi se distingue par sa capacité à revêtir l’essence de ces multiples personnalités hétérogènes, tandis que Gouin fait preuve d’un jeu d’une versatilité singulière.

On retrouve également l’omniprésence du double à travers un jeu d’ombres astucieux projeté sur le mur qui longe le fond de l’espace scénique. Sur celui-ci défilent ainsi toutes sortes de projections multimédias (photographies, statistiques, définitions et paysages) qui accompagnent et illustrent judicieusement les paroles des acteurs. En effet, la série d’adaptations ayant mené à la création de la pièce ouvre la voie à une véritable transmutation des médias, avec une pièce située à la croisée du film, du livre, et de la scène. Ainsi, par la lecture à voix haute de longs monologues tirés du livre et les projections sur le cyclorama en arrière-plan, la pièce invite l’auditoire à découvrir un hybride entre l’imaginaire et le réel. De plus, l’alternance entre les répliques prononcées simultanément par les deux comédiens et les silences soudains qui envahissent la scène suscitent chez l’auditoire une anxiété qui persiste tout au long de la pièce. La moquette rouge au sol et les éclairages colorés contribuent également à l’ambiance lugubre qui plane dans la salle.

Si l’adaptation est réussie avec brio en ce qui a trait à l’incarnation de l’atmosphère d’angoisse suintante et inconfortable propre au genre de l’horreur, la pertinence de certains choix narratifs décevait par moments. Le livre de Simon Roy et le film de Kubrick abordent de nombreux thèmes qui ne pouvaient vraisemblablement pas tous être représentés dans une pièce de 70 minutes. Malheureusement, la clarté du fil conducteur a été sacrifiée au profit du traitement d’une panoplie d’enjeux hérités du livre. Alors que le livre de Roy tricote délicatement l’enchevêtrement entre l’histoire tragique de sa famille et la trame sanglante de The Shining, la pièce nous perd légèrement et ce n’est qu’à la toute fin que les fils narratifs auparavant disparates sont reliés.

C’est pourquoi il faudrait plutôt considérer la pièce comme la cerise sur le gâteau d’une trilogie dont les pierres angulaires demeurent les œuvres de Roy et Kubrick. Nous vous conseillons donc d’aller voir la pièce si les univers de Kubrick et Roy vous sont familiers ; elle incarne visuellement l’ambiance des deux œuvres précédentes, mais il serait difficile d’en saisir toute la profondeur hors de ce contexte. La pièce reprend effectivement de manière plus légère et moins explicite les interrogations sur la fatalité de la violence qui hantent le film et le livre. Elle nous procure toutefois une ébauche de la réponse esquissée par Simon Roy, en nous offrant une projection opportune et émouvante accompagnée des mots imagés de l’auteur défunt : « Au-dessus de ma tête, le soleil s’évertue à essayer de déjouer les nuages. »

Ma vie rouge Kubrick est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 16 novembre 2024.

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Cygnus : une pièce d’improvisation et d’émotions https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/cygnus-une-piece-dimprovisation-et-demotions/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56591 L’imprévu au service du théâtre.

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Improviser, c’est laisser l’imagination prendre le dessus. Laisser le théâtre ne faire qu’un avec votre corps, vos gestes, votre voix. Il s’agit d’un art à part entière, d’une prouesse des plus techniques, de sauter à pieds joints dans l’inconnu et d’entraîner avec nous acteurs et spectateurs. C’est ce qu’ont remarquablement réussi à faire les comédiens de Cygnus, en nous livrant une prestation inédite et émouvante.

« La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est
le moteur-même »

Assis autour d’un cercle lumineux à l’allure futuriste, affublés de costumes semblables, les comédiens ont pour tâche de créer chaque soir une nouvelle pièce. Une nouvelle trame, de nouveaux personnages, sans le moindre décor sur lequel s’appuyer. Tout passe par le langage corporel de deux comédiens, qui donnent chacun vie à un personnage qui leur est propre. Ils lui confèrent ainsi avec brio, des mimiques, des intonations, une identité sur l’instant, sans avoir le temps de réfléchir aux possibles développements. L’évolution de leur personnage est imprévisible. L’ensemble s’articule ensuite au fil des interactions entre les deux acteurs. Ces interactions sont d’abord dictées par un cercle, dont le changement de lumière désigne les comédiens devant entrer en scène. Nul ne sait à l’avance qui jouera avec qui, qui sera qui. L’incertitude règne. Si l’improvisation peut laisser place à des incohérences, des moments de flottements, des silences que l’on n’ose briser, le doute est bien vite remplacé par la force des dialogues qui en découlent. Certes, il arrive que les comédiens s’interrompent entre eux, ou que certains personnages ne soient pas parfaitement impliqués dans l’intrigue. Mais c’est aussi cela qui confère son charme à la pièce, et qui lui octroie des intrigues secondaires. Tout se joue dans la spontanéité et l’écoute de l’autre. Les acteurs réagissent du tac au tac, tissent une trame à la fois comique et poignante, créant des situations rocambolesques. Des moments de tension et de légèreté se succèdent, que ce soit le meurtre involontaire d’un chien par intoxication aux cacahuètes, en passant par des conflits familiaux, amoureux, jusqu’à la mise en scène de violences conjugales. La seule limite est celle que l’on s’impose. Cette dynamique imprévisible, loin de fragiliser la pièce, en est le moteur-même. On assiste à des scènes du quotidien, à des aventures surprenantes dont l’authenticité est marquante. Ce qui m’a d’autant plus frappée, c’est la détermination des comédiens à rester dans la peau de leurs personnages, même hors du cercle où se déroulait l’action. Chaque entrée en scène, chaque sortie, chaque séance détenait le même impact.

Après un temps où les comédiens entrent et sortent du cercle à leur guise, sans plus être appelés par les signaux lumineux du cercle, la pièce s’achève sur une brève conclusion. Celle-ci repose sur la parole d’un personnage, choisi au hasard. Cette fin des plus inattendues permet une résolution instinctive, et suscite une surprise totale chez le spectateur. En l’espace de quelques secondes, l’acteur doit réfléchir à la touche finale qu’il désire apporter à la pièce, une tâche capitale, d’autant plus que souvent, c’est la fin qui marque les esprits. En ce qui me concerne, je me souviendrai longtemps de la liste de conseils pour s’occuper d’un chien sur laquelle s’est clôturée la représentation.

Nul ne sait l’issue de la pièce avant qu’elle ne se joue. Quelle intrigue, quels personnages rencontrerez-vous? Personne ne le sait. Plongez dans le mystère de l’improvisation et laissez vous emporter par le jeu et l’intelligence de ces huit acteurs à l’imagination sans pareille. Restez suspendus aux lèvres des comédiens qui sauront, à coup sûr, vous surprendre.

Cygnus se tient du 7 au 16 novembre au Théâtre Rouge du conservatoire d’art dramatique de Montréal.

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La résilience face aux flammes https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/la-resilience-face-aux-flammes/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56607 Les soeurs Talbi adoptent Incendies sur scène.

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Vingt ans après sa publication, la pièce Incendies de Wajdi Mouawad est revisitée sur scène par le duo des sœurs Talbi, dans un contexte à la fois universel et intime, qui dévoile les ravages de la guerre et la résilience de ceux qui en portent les cicatrices. Le récit empreint de souffrance dénonce l’absurdité de la violence, confrontant l’auditoire à une réalité terrible, que l’on ne peut détacher de son contexte géopolitique actuel.

Incendies raconte la quête déchirante de Jeanne et Simon, deux jumeaux qui, à la mort de leur mère Nawal, reçoivent une mission déconcertante : retrouver un père qu’ils croyaient mort et un frère dont ils ignoraient l’existence. La pièce frappe toujours avec la même intensité. Le cycle de la violence qu’elle dénonce, immuable, lui accorde une dimension intemporelle. En unissant des scènes du passé et du présent, le récit devient le témoignage d’une souffrance qui transcende les frontières et les générations.

Le rôle d’une vie

La tâche colossale d’interpréter les différentes étapes de la vie de Nawal incombe à Dominique Pétin, qui relève ce défi avec une aisance déconcertante. Elle incarne son personnage de l’adolescence jusqu’à la mort, transcendant ainsi notre perception du temps. Pétin offre une performance saisissante, rendant tangible la douleur de Nawal, sublimant d’autant plus sa résilience. Chaque épreuve endurée par le personnage est subtilement rendue, et son interprétation, habitée, lui confère une cohésion sensible. Cette fluidité accorde à l’histoire une force singulière, qui permet une exploration de la mémoire de Nawal. La pièce se déploie ainsi comme une rétrospection où la voix de cette femme se fait entendre sans rupture.

Pétin confère à ce personnage une profondeur qui rend justice aux mots de Mouawad, au-delà de la fiction. Les racines autochtones de la comédienne, d’origine huronne-wendate, ajoutent une dimension supplémentaire à la pièce, qui conjugue les horreurs de la guerre à la violence coloniale vécue par les peuples autochtones. Cette résonance intime confronte le public à l’héritage colonial du Canada, qui dissipe l’illusion d’une violence lointaine en l’inscrivant dans une réalité locale. Alors que dans la pièce originale, les origines de Nawal et des jumeaux sont explicites, l’adaptation des sœurs Talbi maintient un flou délibéré à cet égard, dans un rappel subtil de l’universalité de la souffrance, qui s’inscrit à la fois dans le corps, dans le territoire, et dans la mémoire.

Entre jeunesse et sagesse

Les jeunes acteurs de la pièce apportent une forte crédibilité dans l’incarnation des jumeaux, Simon et Jeanne. Sabrina Bégin Tejeda et Neil Elias incarnent à merveille la relève théâtrale, insufflant à l’œuvre une nouvelle vitalité. L’intensité de Simon, porté par une énergie brute et une intensité crue, contraste avec le pragmatisme calme de Jeanne. Cette complémentarité renforce l’opposition de leurs personnalités, tout en soulignant la complexité du lien fraternel, à la fois fragile et indestructible. On peut également saluer la performance impeccable de Denis Bernard, qui démontre l’étendue de son expérience dans le rôle du notaire, chargé de transmettre les dernières volontés de Nawal aux jumeaux. Sa présence apporte une touche de légèreté à cette histoire poignante, offrant des instants de répit à l’auditoire. La tension dramatique demeure suspendue dans un équilibre subtil, habilement dosé entre l’humour et le tragique.

« Il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble »

Une mise en scène symbolique

Enfin, l’ingénieux dispositif scénique, constitué de cubes mobiles qui se transforment et se décomposent au fil des souvenirs, illustre avec finesse l’éclatement de la mémoire et les blessures invisibles de Nawal. La scène en perpétuelle transformation agit comme une métaphore visuelle qui soutient parfaitement la quête des jumeaux, dans une reconstruction du passé douloureux de Nawal, qui s’intègre à l’espace scénique. La scène finale, qui reconstitue le tableau familial sous une chute de pétales rouge sang, est à couper le souffle : une traduction poétique du triomphe de l’amour et de la résilience sur la violence. Car « il n’y a rien de plus beau que d’être ensemble ».

Incendies est présentée au Théâtre Duceppe jusqu’au 30 novembre 2024.

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Peau d’âne : une adaptation extravagante https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/peau-dane-une-adaptation-extravagante/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56227 Une aventure abracadabrante au cœur de la pièce de théâtre.

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Porteurs de magie et de morale, les contes de fées ont bercé notre enfance. Pourtant, sous une lentille contemporaine, ils peuvent être controversés et véhiculer une image dégradante de la femme ou des relations amoureuses stéréotypées. En effet, n’est-ce pas dans Peau d’âne que le prince tombe éperdument amoureux de la princesse déguisée, car elle lui a cuisiné le meilleur gâteau qu’il n’ait jamais goûté? C’est donc dans l’optique de rétablir une image féminine, autrefois moulée dans les convictions patriarchales, et de porter un message féministe fort que la pièce Peau d’âne a été mise en scène par Sophie Cadieux et Félix-Antoine Boutin.

Adaptée au théâtre Denise-Pelletier, la pièce prend vie avec deux comédiens : Eric Bernier, une bonne fée marraine des plus extravagantes et farfelues, aux convictions marquées et aux costumes des plus fantasques, et Sophie Cadieux, qui interprète une Peau d’âne aussi désopilante que naïve. Cadieux incarne une enfant seule et perdue qui devra apprendre à se battre pour ses droits, pour son futur, pour son indépendance.

Contrairement au conte classique, ici, pas de père tangible, pas de prince volant à la rescousse d’une demoiselle en détresse. En effet, le roi n’est nul autre qu’un tourne-disque immense, à l’aura menaçante sous les lumières et les sons lugubres. Ce choix, audacieux et perturbant, tend à déstabiliser le spectateur, mais permet surtout de mettre en lumière le côté inhumain de ce personnage.

Mais qu’en est-il du prince? De l’histoire originale? Soyez sans crainte, l’ânesse est toujours présente, la ruse pour échapper au mariage également. Or, l’unique évocation de l’amour entre le prince et la princesse surgit dans les paroles de la bonne fée, sous forme d’une leçon empreinte de dérision à l’égard du conte original, offerte comme un contre-exemple à la jeune fille ; Peau d’âne devient sa propre héroïne, sa propre sauveuse. Figure de courage et de résilience, elle apprend à combattre ses démons, son passé, ou encore l’amour, que ce dernier soit en lien avec l’inceste – dont elle a été victime – ou en lien avec ce sentiment que la bonne fée qualifie de « mièvre ». De plus, ce dernier apparaît comme un antagoniste débilitant, mettant à mal l’indépendance féminine. Le tabou de l’inceste, qui occupe une place insidieuse dans la version de Charles Perrault, est nommé clairement, distinctement dans la pièce. Si cela peut choquer l’auditoire, ce qui le touche davantage est l’ignorance de Peau d’âne, qui semble ne rien savoir de ce terme.

S’il est vrai que le rire est une forme de lutte, un moyen de combattre les injustices et les traumatismes, il vient ici freiner l’expression sincère de sentiments. En effet, la pièce fluctue constamment entre le comique et le ridicule, frôlant trop souvent l’absurde et le burlesque, au détriment d’une dimension plus réflective, qui aurait méritée sa place au sein de cette adaptation. À mon sens, c’est l’authenticité qui s’avère clé pour transmettre un message. Les couches de costumes, les voix criardes, les gestes surjoués, les lumières trop vives créent une atmosphère effervescente, moins propice à l’épanchement et au partage d’émotions.

Peau d’âne demeure toutefois une revisite intrigante et audacieuse aux choix artistiques percutants. Que ce soit par les changements de costumes à même la scène, ou alors les « dialogues » entre l’ânesse et le personnage Peau d’âne (qui ne sont en vérité qu’un dialogue entre la princesse et une autre version d’elle-même), la pièce pousse notre imagination dans ses retranche- ments, en proposant une version tout à fait inédite d’un conte familier de tous. Une mise en garde cependant : cette interprétation du conte de Perrault n’est décidément pas adaptée à un jeune public, ni aux férus de contes plus traditionnels.

Ainsi, si vous rêvez d’une plongée dans l’absurde en l’espace d’une soirée, rendez-vous au théâtre Denise-Pelletier : une salle à l’allure féérique qui vous entraîne dans un autre monde. Prenez un instant pour regarder les dorures, les moulures, installez-vous confortablement dans les fauteuils capitonnés de rouge et laissez-vous porter par la magie du théâtre.

Peau d’âne est présentée au Théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 19 octobre 2024.

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La femme qui refuse https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/la-femme-qui-refuse/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56143 Le TNM nous fait connaître la vie de Suzanne Meloche.

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La Femme qui fuit marquait la première pièce présentée au Théâtre du Nouveau Monde (TNM) sous son sixième directorat. Après plus de 30 ans à la direction de l’une des institutions théâtrales les plus respectées en Amérique du Nord, Lorraine Pintal a cédé sa place à la relève en début septembre en nous offrant en héritage trois derniers spectacles auxquels elle aura ajouté un peu de sa magie (La femme qui fuit, Je t’écris au milieu d’un bel orage, Kukum). Le premier de ces derniers reprend le succès littéraire éponyme d’Anaïs Barbeau-Lavalette, paru en 2015, et s’annonce être une oeuvre profondément féminine avec l’adaptation théâtrale sous la plume de Sarah Berthiaume et une mise en scène d’Alexia Bürger.

Le récit d’Anaïs Barbeau-Lavalette est à la fois un travail de recherche et d’imagination qui romance la vie de sa grand-mère, Suzanne Meloche, faute de l’avoir connue. Sarah Berthiaume et Alexia Bürger affrontent ici un défi de taille en faisant l’adaptation théâtrale d’un tel roman, dont l’essence est évanescente, sur laquelle on ne peut mettre la main ; qui fuit. S’ajoute à ce défi la pression de mettre en scène une histoire dont la popularité est encore actuelle : le public a l’image de Suzanne telle qu’évoquée par le roman encore présente dans son esprit. C’est donc par une adaptation très proche du texte original — qu’une grande partie des répliques reprennent mot pour mot — que Sarah Berthiaume approche la reprise théâtrale.

La narration à la deuxième personne s’adapte merveilleusement au théâtre, et l’habileté avec laquelle la voix de la narratrice, interprétée par Catherine de Léan, se fond dans le récit, tient autant de la diction de la comédienne que du choix de l’agencement des répliques.

De son côté, Alexia Bürger vient chercher la dualité fuite/recherche par une mise en scène qui surplombe le spectateur : d’énormes marches s’élèvent à partir de la scène en s’éloignant du public, l’appelant à poursuivre celle qui se trouve au sommet. De plus, la distance et la séparation entre ce que nous apercevons de Suzanne et qui elle est réellement se veut explicité par un immense cadre que la narratrice chevauche : c’est par sa lentille seule qu’il nous est permis de découvrir celle qui fuit. Outre cet escalier colossal, le décor simple n’est rehaussé que par des changements de lumière, laissant le récit être porté par les 18 acteurs qui, en toute harmonie, s’échangent autant la parole que le rôle de Suzanne. Cette simplicité des décors est parfois au détriment de la pièce, alors que les acteurs ont recours à des caricatures pour rappeler au public leur personnage. Parfois inutile, comme dans le cas de Paul-Émile Borduas, et d’autres fois une banalisation excessive qui relève du kitsch, comme pour l’archevêque ; ces raccourcis minent les personnages et les tableaux dont ils font part en les rejetant comme des farces tandis qu’ils sont formateurs. La vigueur du jeu d’acteur sur lequel repose donc l’histoire surcompense et le public devient quasiment intime avec Suzanne : ce n’est plus la femme qui fuit, mais bien la femme qui refuse. Proche de Suzanne, le spectateur n’a plus l’impression d’être à la poursuite de la poète, mais bien d’être à ses côtés, de l’accompagner. Son abandon de François et de Mousse n’est plus une fuite pour la liberté, mais un refus d’en prendre soin ; ses départs pour l’Europe ou l’Amérique non plus des échappatoires de chagrin, mais bien des refus de le confronter. Cette femme que l’on cherche tout au long du roman d’Anaïs Barbeau-Lavalette n’est plus lointaine, ni effacée, ni même en fugue par rapport à l’auditoire. Elle est là, sous nos yeux, et nous l’accompagnons dans sa fuite.

L’adaptation théâtrale de La Femme qui fuit du Théâtre du Nouveau Monde échoue à nous faire ressentir la fugacité propre de l’oeuvre littéraire, mais ce n’était peut-être pas son objectif. Par cette représentation, le public a l’impression de mieux connaître Suzanne, d’être plus près d’elle qu’à travers la lecture du roman. Qu’en penser alors? Si vous voulez savoir qui était Suzanne Meloche, allez voir la pièce. Si vous voulez savoir qui était la femme qui fuit, lisez le roman.

La Femme qui fuit est présentée au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 13 octobre 2024. Pour plus de renseignements, consultez le site internet du TNM.

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(Re)connecter avec ses racines en voyageant au Vietnam https://www.delitfrancais.com/2024/09/25/reconnecter-avec-ses-racines-en-voyageant-auvietnam/ Wed, 25 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55988 La pièce La démagogie des dragons, un joyeux chaos culturel.

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Comment comprendre qui l’on est alors que l’on grandit à Montréal en tant qu’asiatique et que le seul rapport que nous entretenons avec notre culture, c’est d’aller chercher un bubble tea au L2 du quartier chinois? Comment reconnecter avec son héritage vietnamien alors qu’on connaît seulement trois mots appris sur Duolingo? Comment renouer avec ses racines? Est-ce possible?

Mon premier article pour Le Délit, écrit en mars 2023, s’intitule « Conflit intérieur d’une eurasienne ». Pour la première fois, je sentais que j’avais besoin d’écrire, mais surtout que j’avais besoin d’être lue. Je me disais que mon expérience, si personnelle soit-elle, pouvait résonner avec bien plus de monde que ce que je pouvais imaginer. N’importe qui considérant avoir une identité hybride : quelqu’un qui grandit loin de son pays d’origine, quelqu’un qui ne ressemble pas tout à fait à ses parents, ni à ses camarades de classe, ou même quelqu’un qui se regarde dans le miroir et ne saurait définir son ethnicité en un seul mot pourrait comprendre ma réalité. Connais-toi toi-même. Pas facile quand notre visage, notre langue, notre culture, et nos valeurs sont à la fois un peu asiatiques, mais pas vraiment, un peu québécoises, mais pas vraiment, un peu françaises, mais pas vraiment.

L’autrice Tamara Nguyen et le metteur en scène Vincent Kim s’attaquent justement à cette question dans leur nouvelle pièce La démagogie des dragons présentée au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui (CTDA). Claudia Chan Tak et Dominick Rustam interprètent respectivement l’autrice et le metteur en scène. Ils se prénomment donc Tamara et Vincent dans la pièce qui retrace leur rencontre, leurs interrogations sur leur héritage asiatique, et surtout, leur premier voyage au Vietnam. Ce n’est pas tout à fait autobiographique car l’enchaînement des événements ne correspond pas exactement à celui de la vraie vie, mais largement inspiré de l’expérience de ces deux artistes.

On pense souvent que se rendre dans le pays d’origine de ses parents permettra une sorte de déclic. Comme si, dès l’arrivée à l’aéroport, quelque chose se réveillait en nous et nous connectait instantanément avec la population là-bas. Comme si, tout à coup, on comprenait qui on est. Pourtant, la réalité demeure que, pour la majorité, un pèlerinage de la sorte ne change pas grand-chose. Il en va de même pour Tamara et Vincent qui, lorsqu’ils se rendent au Vietnam, ne se sont pas tout de suite sentis chez eux. Pourtant, ce voyage a été une étape importante dans leur développement personnel, qui leur a permis de mieux se comprendre. Parce qu’ils ont compris que l’endroit où ils habitent, là où ils ont grandi et la langue qu’ils parlent importe peu. Ce message est d’ailleurs explicité à la fin de la scène, lorsqu’un témoignage de l’autrice et du metteur en scène est projeté au public. Tamara a beau être française et vietnamienne et Vincent coréen, vietnamien et québécois, ce qui leur importe, ce n’est pas de s’identifier à une origine précise, c’est que ce joyeux mélange de cultures leur a permis de devenir qui ils sont aujourd’hui. C’est au sein d’une ambiance chaleureuse que se déroule la pièce : des lampions colorés tendus sur une guirlande au-dessus du public ; une bande-son typiquement vietnamienne qui me rappelle le CD que ma grand-mère joue en boucle dans sa voiture. On y retrouve également des éléments asiatiques : un écran de projection avec des bordures rouges tel un sanctuaire Shinto ; une áo dài (robe traditionnelle) suspendue ; le fameux chat porte-bonheur qui ne se lasse jamais de dire bonjour ; une statue du Bouddha et des oranges dans une coupelle dorée, des offrandes, comme celles qu’on retrouve à l’entrée des restaurants asiatiques ou des temples bouddhistes.

J’aime la façon dont la nourriture est placée au premier plan. Dans mon premier article au Délit j’expliquais que ce qui me fait d’abord sentir vietnamienne, c’est mon amour pour le pho. Similairement, dans la pièce, la quête de soi de Tamara se transforme en une quête désespérée lors de son voyage pour dénicher la soupe tonkinoise qui aura exactement le goût de celle de sa grand-mère. Malgré les incertitudes des deux amis et leurs difficultés à se faire comprendre et à se sentir chez eux, leur rapport envers la nourriture s’établit comme un lien tangible avec une culture qui est la leur. Ce rapprochement me rappelle un livre que j’ai énormément aimé, Pleurer au Supermarché (ou Crying in H Mart), écrit par Michelle Zauner dans lequel l’autrice, moitié coréenne et moitié américaine, découvre que de se rendre au supermarché asiatique et apprendre à préparer les plats de son enfance est la seule façon pour elle de reconnecter avec son côté coréen suite au décès de sa mère.

En parallèle de l’histoire jouée par les deux comédiens, la pièce est rythmée par des témoignages vidéos projetés sur un grand écran. Ces projections apportent un contexte historique et permettent au public de prendre le temps de réfléchir. Aussi touchant que troublant, il y a notamment le récit d’une grand-mère qui a immigré au Canada en 1975 – tout comme ma grand-mère – et qui nous raconte la façon dont elle s’est sentie forcée d’effacer chaque trait vietnamien de son apparence afin de faciliter son intégration au Québec et celle de ses enfants, qui ne parlent maintenant plus vietnamien. Ces discours remplis d’émotion résonnent auprès de nombreuses familles immigrantes, et permettent de mieux comprendre le traumatisme intergénérationnel vécu par ces personnes.

La démagogie des dragons, est une pièce que l’on ressent. Ce qui est important, ce ne sont ni les retrouvailles entre Tamara et Vincent des années après le secondaire, ni l’histoire de leur voyage et leurs péripéties à Hanoi, ni les tentatives désespérées de Tamara qui tente de devenir influenceuse sur Tiktok en forçant Vincent à apprendre des chorégraphies de K‑pop. En fin de compte, l’essentiel de la pièce réside dans les réflexions qu’elle provoque inévitablement chez son auditoire. Les doutes des deux personnages, les remarques racistes qu’ils subissent, leur difficulté à connecter avec leur héritage, et leur relation mouvementée nous forcent à réfléchir à notre propre histoire, à notre relation avec une culture qui peut nous paraître si familière, mais pourtant si lointaine.

La démagogie des dragons est présentée au CTDA jusqu’au 11 octobre. Vous pouvez vous procurer des billets sur leur site Internet.

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Cordes : trois frères, trois inconnus, un absent https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/cordes-trois-freres-trois-inconnus-un-absent/ Wed, 18 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55866 Une traversée au fil des liens familiaux.

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Présentée au Théâtre de La Licorne depuis le 9 septembre, la pièce de théâtre Cordes nous dépeint l’histoire de trois frères, qui s’embarquent dans un voyage des plus tumultueux. Avec l’insistance de leur père, voltigeur connu qu’ils n’ont plus revu depuis leur enfance, ils se rendent à son dernier numéro : une traversée sur un fil tendu entre deux tours.

On y retrouve Peter, l’aîné cherchant à se défaire du modèle paternel et à se construire une vie stable et Paul, bavard farfelu souffrant de son statut d’enfant du milieu. Enfin, Prince, le petit dernier à l’allure décontractée, est en couple avec la mystérieuse Andrea — au grand dam de son frère aîné. Leur périple s’annonce dès lors chaotique. C’est sans compter quelques secrets, une once de rancœur, une pointe de jalousie et une bonne dose de retenue.

Cordes. Un nom évocateur pour une pièce qui traite des liens familiaux, ces liens qui se tordent, se distendent, s’entremêlent, et parfois, se rompent. Ces liens dont nous sommes tous les détenteurs, à l’image de Peter, Paul et Prince. Des garçons qui ont grandi en l’absence de leur père, des hommes qui se sont forgés en l’absence de leurs frères. Des personnages hauts en couleurs, poignants, uniques, vulnérables.

Car derrière leur carapace, leurs tics et leurs mimiques se cachent des émotions profondes, des doutes, des regrets, des peurs. Des blessures qui demeurent et qu’ils croient nécessaire de dissimuler. Des blessures illustrées par des instants suspendus, où se croisent français et espagnol, souvenirs d’enfance et traumatismes, des monologues hors du temps dont la metteure en scène est à l’origine.

Cet ajout ingénieux nous plonge dans l’univers intérieur de chaque personnage, les dévoilant petit à petit et; nous rapprochant d’eux. Car oui, cette pièce est à la fois une traduction et une adaptation, qui conserve certaines répliques en espagnol, nous permettant de mieux comprendre les origines des personnages, de rendre les émotions plus authentiques. Comme me l’a si bien témoigné la metteure en scène Margarita Herrera Dominguez, ce mélange linguistique nous permet de « sortir de l’exotisme de l’Amérique latine », en abordant des thèmes qui nous touchent tous et dont pourtant, il n’est pas simple de discuter. Des thèmes actuels, issus du « plus profond des quartiers », tel que me l’a confié Victor Cuéllar, l’acteur jouant Prince. Comment oser dire à son père qu’il ne nous « voit pas »? Comment exprimer le manque, cette impression de ne pas être « assez »? Comment supporter le poids, la certitude de ne jamais parvenir à ressembler à ceux qui sont nos modèles? Comment se relever, sans toujours avoir un filet de sécurité?

Avec un décor composé uniquement de blocs et de murs portatifs se dessine sous nos yeux une scène de vie, plus vraie que nature, où chaque détail a son importance. Chaque parole, quand bien même elle semble n’être présente que pour combler le vide, a un poids. Un sens. Cette profusion de détails peut cependant tendre à déstabiliser l’auditoire, à l’éloigner de l’essence même du texte, et des émotions qu’il cherche à traduire.

Parfois, la simplicité permet de mieux transmettre les sentiments, d’apporter une touche de profondeur supplémentaire. Certes, la pièce ne manque pas en émotions, mais les jeux de lumière, de voix et de sons ne doivent pas être au détriment du texte, ni du fil narratif. En effet, en discutant avec des membres de l’audience, certains m’ont avoué avoir perçu une perte de celui-ci à certains moments, ce qui ne fut toutefois pas mon cas.

Entre hilarité et sensibilité, Cordes nous plonge, l’espace d’une soirée, dans une réalité que l’on préfère parfois oublier. Car là réside toute la magie du théâtre : transmettre une vérité par la fiction. Si je peux me permettre de vous conseiller une seule chose : ne partez pas trop vite. Car c’est là que l’on fait les rencontres les plus intéressantes, que l’on s’interroge, que l’on apprend. Alors, prenez le temps et restez un peu plus longtemps dans cette atmosphère chaleureuse et familiale avant de retrouver votre quotidien.

La pièce Cordes sera représentée au Théâtre de La Licorne jusqu’au 2 octobre 2024.

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Notre Père https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/notre-pere/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55352 Lorsque la vieillesse s’invite dans notre intimité.

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Jeudi dernier avait lieu la première représentation de la plus récente création du Théâtre du Nouveau Monde : Le Père. Annoncée par une campagne publicitaire inondant le métro, cette pièce écrite par Florian Zeller débarque de ce côté de l’Atlantique en réponse à l’appel de la société québécoise ; les nombreux baby boomers vieillissants, les affiches luxuriantes qui invitent aux résidences privées pour aînés, et le traumatisme des centres d’hébergement et de soins de longues durées (CHSLD) dont nous venons tout juste de sortir témoignent de la force de la vieillesse au Québec. Le Père est une invitation à cette dernière : on l’invite simultanément chez soi et sur scène, pour lui parler et en parler, pour en rire et la craindre, pour en discuter et la comprendre.

Ingénieur à la retraite, vivant seul dans son appartement, André reçoit des visites quotidiennes de sa fille Anne. Voilà le premier tableau qui nous est dressé : un salon bien décoré, une peinture impressionniste au mur, des étagères garnies de romans et une armoire à alcool à envier. Comme tous ceux qui rencontrent André pour la première fois, l’auditoire ne peut qu’être charmé par le personnage de Marc Messier. C’est avec une aimable courtoisie et un humour auto-dérisoire qu’André gagne la bienveillance du public : beau parleur qui ne manque pas l’occasion de complimenter, il n’hésite pas non plus à frôler le ridicule lorsqu’il commence à danser les claquettes. Comme il le dit lui même, André n’est pas de ces vieux qui sont tous ramollis, incapables de parler, de marcher ou de se nourrir seuls. Lui est encore en forme, est assez autonome pour vivre seul et n’a besoin de personne. C’est la subtile ironie de paroles comme celles-là qui font le tragique de cette farce.

Anne nous révèle bientôt qu’une nouvelle proche aidante sera engagée, décision qu’elle a prise au vu du fardeau trop imposant pour elle seule qu’était le soin de son père. La nature de l’incapacité d’André, à l’inverse du préjugé qu’il porte sur ceux de son âge, n’est pas physique, mais bien mentale. Oublis, pertes, changements de décors et d’apparence des personnages : la neurodégénérescence d’André se témoigne d’abord et avant tout par la décadence du temps. Symbolisé par sa montre disparaissante, et représentée dans l’enchaînement asynchrone des tableaux, l’oubli du temps est l’élément déclencheur de la manie névrosée qui se propage autant à l’intérieur d’André que dans les décors et chez l’auditoire. Nous suivons le père dans l’étourdissement temporel provoqué par les dialogues qui se contredisent d’une scène à l’autre : Anne n’avait-elle pas déménagé avec son mari? N’avons-nous pas déjà préparé le poulet du souper? Suis-je chez moi, chez ma fille ou dans une résidence? La finesse d’Édith Patenaude et l’habileté de la distribution artistique est à louer pour l’immersion dans laquelle sont plongés les spectateurs. Alors qu’on témoigne d’Anne qui change de visage et de cheveux, et de son ami Pierre, qui change de nom et de couleur de peau ; les manières, les attitudes, la diction et la contenance sont révélateurs d’une identité qui ne change pas. Le spectateur se pose les mêmes questions qu’André : est-ce ma mémoire ou mes yeux qui me trahissent? S’ajoute à ce jeu d’acteur envoûtant une scène qui se transforme discrètement et se vide. L’image de ses deux filles devient une peinture morne et abstraite, la table à manger devient une petite table basse, et l’étage du duplex tombe au sous-sol. Autant de détails qui mènent à la confusion et la frustration partagée entre tous dans la salle. Tout au long de la représentation, l’auditoire est plongé dans l’intimité d’André. À la fin de l’heure et demie, ce ne sont pas les médecins, la travailleuse sociale, ni même sa fille qui connaissent le mieux André, mais bien le public, qui a vécu ses tourments avec lui. Par sympathie, les spectateurs commencent à ressentir, comme André, qu’il y a quelque chose qui leur échappe, qu’on leur cache : une vérité qui est connue de tous sauf nous. Sur des scènes qui s’éteignent abruptement à leur climax, Florian Zeller construit le suspens de la révélation tragique.

Le Père tel qu’il a été mis en scène par Édith Patenaude est un ressuscitation du rôle de catharsis qu’a le théâtre. Alors que d’autres Québécois font danser des ombres sur les grands écrans à travers le monde, l’équipe du Théâtre du Nouveau Monde saisit les passions qui animent notre société et les incarne, leur donne vie et les fait mourir afin que nous puissions en rire, en pleurer, pour les comprendre dans l’espoir d’ultimement les aimer.

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Le Mont Analogue : épopée à l’Espace Go https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/le-mont-analogue-epopee-a-lespace-go/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55208 Une exploration interdisciplinaire du conte de René Daumal.

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Le Mont Analogue, spectacle faisant partie de la dernière programmation de Ginette Noiseux, était présentée à l’Espace Go – théâtre contemporain et féministe au coeur de Montréal, du 27 février au 10 mars.

Tirée du roman d’aventures alpines du français René Daumal, adaptée pour la scène par l’artiste et chorégraphe canadienne Wynn Holmes, cette pièce a su captiver le public par son mélange de danse, de musique et de théâtre, offrant une exploration envoûtante de thèmes philosophiques et mystiques.

Écrite entre 1939 et 1944, en pleine seconde guerre mondiale, l’histoire fictive raconte l’ascension du Mont Analogue, une montagne mythique et symbolique, censée être la plus haute au monde et ne pouvant être aperçue que par ceux prêts à la voir. Ce mont est inspiré par plusieurs montagnes sacrées de différentes mythologies comme le mont Kailash, le mont Fuji ou le mont Olympe ; et abriterait des animaux étranges et symboliques tels que les griffons ou les sphynx. La gravir constituerait un voyage initiatique, capable de nous transformer spirituellement.

La pièce de théâtre se déroule trois mois après la publication d’un article sur le Mont Analogue dans la Revue des Fossiles. Malgré la difficulté de son ascension, les écrits suggèrent que son escalade révélera les secrets spirituels les plus profonds de l’humanité. Motivés par cette promesse ou par l’envie d’éprouver le mythe, une équipe hétéroclite d’alpinistes, composée de scientifiques, de linguistes et d’artistes, se lance dans une expédition vers cette montagne légendaire à bord du navire L’Impossible. Situé quelque part au coeur du Pacifique, le Mont Analogue est invisible, caché derrière une coque d’espace courbe – un phénomène physique inventé qui courbe l’espace autour du Mont Analogue pour le rendre invisible à tous ceux qui ne sont pas conscients de sa présence. Cependant, le soleil crée à son lever et son coucher l’ouverture d’un passage, grâce auxquels le groupe va pouvoir entrer.

Pour atteindre leur objectif d’ascension de la montagne, les membres de l’équipage doivent se défaire de leurs
doutes et idées préconçues pour se laisser guider par leur intuition et leur imagination. Cette quête vers le sommet mystérieux promet une aventure poétique dont la magie peut nous rappeler les mondes imaginaires de l’enfance.

Cette production est le fruit d’une collaboration entre BOP Ballet Opéra Pantomime, LFDT Lo-Fi Dance Theory – une troupe de danse performative – et Espace Go. La pièce est à la croisée de plusieurs disciplines artistiques, offrant une expérience immersive où musique, danse et théâtre s’entremêlent pour créer un univers captivant. La direction artistique est prodigieuse, les jeux de lumière et d’ombre permettent au public de vivre pleinement avec les personnages ce voyage initiatique. Au vu de l’ovation debout qui a salué le spectacle, le Mont Analogue a été chaleureusement accueilli par le public. Ce qui rend ce spectacle émouvant c’est avant tout le portrait très juste
qu’il fait de notre relation à l’absolu, et la manière dont cela impacte nos relations interpersonnelles. Les relations se font et se défont au cours du périple, ce qui pose les questions de la place des quêtes individuelles au sein d’un groupe ou plus largement de la nature humaine confrontée aux mystères de l’univers et de la conscience. À travers cette exploration théâtrale, Wynn Holmes et son équipe ont réussi à capturer l’essence du roman de René Daumal. Ils ont offert au public une expérience artistique inoubliable, témoignant du pouvoir de l’art pour éveiller nos questionnements existentiels et notre imagination.

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Identité et tragédie collective https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/identite-et-tragedie-collective/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55097 Critique de la pièce Because of The Mud.

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La pièce Because of The Mud, présentée au théâtre La Chapelle du 19 au 22 février, raconte l’histoire de quatre trembles, un type de peuplier, faisant partie du même petit bois. Leurs identités se confondent dans ce bosquet commun et elles portent toutes le même prénom : Roberta. À leurs côtés, deux roches : l’une en granit et l’autre en quartz. Ils vivent tous sous une pluie incessante, symbole des conséquences du changement climatique. Cette mise en scène, orchestrée par le chorégraphe Nate Yaffe, marque la première représentation du texte éponyme écrit par Corinne Donly. La pièce est jouée en anglais avec des sous-titres français.

L’idée au coeur de la représentation est belle et originale. Le scénario pose des questions cruciales sur la manière dont les identités se fondent lors de catastrophes qui touchent tout un groupe, et la difficulté d’exprimer son besoin de se singulariser dans ce contexte. La pièce touche à des sujets très actuels, qui font échos à la crise climatique comme à de nombreuses tragédies collectives. Le choix de la métaphore du bosquet et des roches qui dépérissent sous la pluie incessante est très poétique et imagé.

Cependant, j’ai trouvé que certains éléments intéressants manquaient parfois quelque peu de développement, qui aurait été nécessaire afin d’avoir l’impact désiré. Par exemple, à la fin de la pièce, l’un des trembles choisit de s’appeler Robert plutôt que Roberta. Je pense qu’il est très intéressant d’avoir voulu aborder le sujet de la transidentité mais que la pièce aurait gagné à développer un peu plus là-dessus. Le discours de Robert sur son mal être de faire partie des Robertas était un peu trop général. Ce mal-être s’est perdu dans celui de toutes les Robertas, accablées de faire partie d’un bosquet qui dépérit sous la pluie, sans pouvoir exprimer leurs identités individuelles. J’ai parfois eu l’impression que la pièce essayait de dire trop de choses en trop peu de temps.La force de certaines propositions était atténuée par leur juxtaposition avec d’autres idées fortes, ce qui faisait que certains sujets pouvaient parfois sembler être amenés maladroitement.

De plus, bien que les acteurs portaient le texte avec un enthousiasme certain, j’ai trouvé que leur jeu sonnait parfois un peu faux. Leur ton et leurs expressions m’ont semblé parfois un peu exagérés, dans un style qui aurait pu tout à fait convenir à un public jeunesse, mais qui apparaissait surjoué pour le public adulte qu’il veut cibler. J’ai trouvé que le manque d’authenticité et de sincérité des personnages rendait assez difficile la tâche de s’attacher à eux, ce qui empêche de ressentir pleinement les enjeux du texte. De plus, certaines blagues manquaient un peu de subtilité et étaient un peu convenues. Quelques spectateurs riaient, mais ce n’est définitivement pas le genre d’humour qui pourrait plaire à tout le monde.

En revanche, la direction artistique était remarquable. L’obscurité constante, interrompue par de brèves éclaircies, plonge les spectateurs dans le même désespoir que les protagonistes qui attendent et espèrent l’arrivée du soleil. Au centre de la salle coule un filet d’eau incessant qui rend l’atmosphère humide.

Si certains acteurs manquent parfois un peu de justesse, ils compensent largement par leur corporalité. Leur manière de danser et d’occuper l’espace est des plus intéressantes. Alexis O’Hara a fait une belle prestation musicale sur scène, très particulière et appropriée à la pièce.

Certains éléments étaient très touchants. La relation entre la Roberta plus âgée et la Roberta plus jeune reflétait bien l’écart intergénérationnel qu’il peut parfois y avoir entre une mère et sa fille. Il y avait beaucoup de justesse dans la représentation de cette relation, avec ses silences, ses paroles, son manque de compréhension mutuelle et sa culpabilité. C’était une facette très juste et sincère, qui fut pour moi la lumière de la pièce.

Because of The Mud possède tous les éléments d’une bonne pièce de théâtre. Bien que j’aie regretté le manque de développement sur certains aspects, la pièce a su aborder un sujet profond et actuel de manière très originale, et l’exploiter avec une direction artistique qui lui a rendu honneur.

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Ulster American : identité et célébrité https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/ulster-american-identite-et-celebrite/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54703 Critique de la pièce Ulster American présentée au théâtre La Licorne.

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Le 6 février dernier, Le Délit a assisté à la pièce Ulster American, écrite par le dramaturge anglais David Ireland et présentée au théâtre La Licorne. Cette comédie noire interprétée par Frédéric Blanchette, Lauren Hartley et Vincent Leclerc, met en scène Ruth, une dramaturge d’Irlande du Nord, Jay, acteur hollywoodien oscarisé, et Leigh, metteur en scène londonien, dans le salon de ce dernier. À la veille de la première répétition, Leigh introduit Ruth et Jay qui ne se sont encore jamais rencontrés.

Un conflit identitaire

Ulster American se présente au premier abord comme un conflit identitaire entre les trois protagonistes. Leurs identités se cristallisent et s’opposent autour du thème de la pièce. L’autrice, Ruth, originaire d’Irlande du Nord, s’identifie comme British, exaspérant le metteur en scène londonien, qui lui explique que tout son succès tient du caractère irlandais de la pièce, et que sans cela, sa pièce et elle-même ne seraient rien. De son côté, Jay, l’américain d’origine irlandaise est perdu dans des subtilités qu’il ne saisit pas : pourquoi Ruth, née en Irlande du Nord, serait British? Est-elle protestante? La tension monte, le ton hausse, et soudain, les masques tombent, et chacun se campe dans son identité respective. Jay, qui vantait les louanges de la pièce à Ruth comme la meilleure qu’il ait lue depuis dix ans, révèle sa profonde ignorance des dynamiques historiques du conflit. Son personnage, qu’il imaginait fervent catholique et pro-indépendance est en réalité un protestant schizophrène pro-Union, qui parcourt les rues de Belfast à la recherche de catholiques à tuer. Impossible pour lui de jouer ce rôle en opposition avec le sang irlandais de ses ancêtres qui coule dans ses veines, alors même qu’il n’y a jamais mis les pieds… Ruth se révèle elle aussi être bien différente des attentes du spectateur et des personnages. Interrogée sur la signification de la violence de sa pièce, la jeune autrice ne cache plus ses idées. Oui, la violence des protestants est regrettable, mais pas injustifiable selon elle. Que faire face à l’armée surentrainée, et suréquipée de l’IRA [Irish Revolutionary Army, ndlr] ? Malgré tous ses efforts, Leigh ne parvient pas à les réconcilier et sombre lui aussi dans le conflit lorsqu’il apprend que son amie est une Torie [électrice des conservateurs, ndlr], et par-dessus tout, pro-Brexit.

Avancer sans se renier

Bien que la pièce traite officiellement de l’identité, la réelle histoire qui se déroule en filigrane est celle de la célébrité. Comment accéder à la célébrité sans se renier soi-même? Chacun des personnages incarne une caricature de sa propre personne ; Jay, l’acteur oscarisé tente sans succès de se donner de la substance mais finit par se ranger derrière sa célébrité mondiale, dernier rempart face aux critiques de Ruth. Leigh tente coûte que coûte de sauver sa pièce qui bat de l’aile, n’hésitant pas à trahir ou à mentir, pour arriver à ses fins. Derrière sa façade lisse de bien-pensance, la colère laisse entrevoir sa vraie nature, sa misogynie latente. Ruth quant à elle est la jeune carriériste qui ne reculera devant rien pour parvenir au succès, prête à faire du chantage, et même à laisser sa propre mère seule à l’hôpital après un accident de voiture.

« Bien que la pièce traite officiellement de l’identité, la réelle histoire qui se déroule en filigrane est celle de la célébrité »

Une fin qui déçoit

Si le spectateur est conquis dès les premières minutes par les dialogues décomplexés, aux contresens aussi drôles que flagrants sur le féminisme ainsi que le racisme systémique, il peine à voir une porte de sortie se dessiner alors que les protagonistes s’enferment dans un conflit identitaire. Comment finir la pièce alors qu’à chaque réplique la réconciliation semble s’éloigner un peu plus? Finalement, et de manière abrupte, la fin s’impose au spectateur, violente, et déplacée, presque trop facile.

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Les mathématiciens sont des êtres sensibles https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/les-mathematiciens-sont-des-etres-sensibles/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54721 Retour sur La Machine de Turing présentée au Rideau Vert.

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On n’en a jamais assez de se faire raconter l’histoire fascinante du mathématicien et cryptologue britannique Alan Turing. Ce héros de l’ombre de la Seconde Guerre mondiale continue de vivre à travers la pièce La Machine de Turing, présentée du 24 janvier au 24 février 2024 au Théâtre du Rideau Vert. Dans la pièce, Turing raconte son travail et ses épreuves traversées pendant et après la guerre, à travers un interrogatoire dans le cadre d’une enquête sur son cas. La Machine de Turing, a été écrite par Benoit Solès, adaptée par Maryse Warda et mise en scène par Sébastien David. Alan Turing (Benoît McGinnis) dialogue avec trois personnages clés de son entourage durant la Seconde Guerre mondiale : son amant Arnold Murray (Gabriel Cloutier Tremblay), le sergent Ross (Étienne Pilon) et le cryptanalyste et champion d’échecs Hugh Alexander (Jean-Moïse Martin).

Une histoire de solitude

Chargé de résoudre Enigma, un dispositif nazi de cryptage de messages, Turing s’acharne à bâtir une machine qui pourra rivaliser efficacement avec les cerveaux humains. Il appelle sa machine Christopher, en l’honneur de son ami d’enfance décédé. La vie de Turing n’a pas toujours été joyeuse. Préférant être mal accompagné que seul, le mathématicien entretient une relation avec Arnold Murray, un jeune homme séduisant et manipulateur. D’autant plus, les relations homosexuelles sont illégales à l’époque, ce qui le force au secret. Pour ajouter à la liste de difficultés dans sa vie, Turing se fait rudoyer par son collègue Hugh Alexander, qui ne croit pas en l’efficacité de sa machine supposée déchiffrer Enigma.

Ceci n’est pas une imitation

Ceux et celles qui ont vu le film Le Jeu de l’Imitation, mettant en vedette Benedict Cumberbatch dans le rôle de Turing, trouveront peut-être des ressemblances dans les scènes et même les répliques de La Machine de Turing. C’est sûrement parce que le film et la pièce sont tous deux basés sur la biographie intitulée Alan Turing : The Enigma écrite par Andrew Hodges. Pourtant, la pièce explore des détails moins connus de la vie de Turing qui ne sont pas abordés dans le film, comme son amour pour l’histoire de Blanche-Neige et l’influence du conte sur son suicide. La pièce met davantage en lumière les épreuves humaines auxquelles fait face Turing, plutôt que les défis mathématiques et techniques de son travail. On rencontre le cœur avant le cerveau.

« Les blagues faciles affaiblissent l’ambiance dramatique montée par le texte et les comédiens. »

L’humour est de trop

Les moments chargés de la pièce, comme les scènes de ménage entre les amants, ou les aveux de Turing au sergent Ross, sont ponctués d’un humour léger, qui vise à soulager le public. Pourtant, les spectateurs n’ont pas besoin d’être distraits lors des moments de tristesse et de douleur. L’histoire de Turing est une série de moments difficiles, qu’on s’est engagés à vivre jusqu’au bout en venant assister à la pièce. Les blagues faciles affaiblissent l’ambiance dramatique montée par le texte et les comédiens.

On ne s’habitue jamais à voir Benoît McGinnis se démener sur scène. Chaque tremblement dans la voix, chaque essoufflement et chaque larme épate par sa justesse, amplifiant la crédibilité du personnage de Turing. On se fait transporter du rire à la compassion, d’un lip sync à la manière de Blanche-Neige à un aveu courageux de son homosexualité lors d’un procès.

Les personnages interprétés par Gabriel Cloutier Tremblay, Étienne Pilon et Jean-Moïse Martin sont plus difficilement accessibles sur le plan émotionnel, mais les comédiens réussissent tout de même à les rendre un
peu haïssables et attachants à la fois. Ensemble, les quatre comédiens et le texte tissent une pièce accessible à un grand public et propice à la réflexion. La Machine de Turing rappelle que les questions comme « Les machines peuvent-elles penser? » attendent une réponse depuis bien avant l’ère de l’intelligence artificielle comme on la connaît aujourd’hui. Pourtant, la pièce dévie elle-même ces questions pour amener le public à s’intéresser plutôt à l’humain derrière la machine.

La Machine de Turing sera présentée au Théâtre du Rideau Vert jusqu’au 24 février 2024.

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Hommage à nos travailleurs essentiels https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/hommage-a-nos-travailleurs-essentiels/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54544 La pièce Diggers pour débuter en beauté le Mois de l’histoire des Noir·e·s.

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Le 1er février, Le Délit a eu la chance d’assister à la première mondiale de la pièce Diggers de Donna-Michelle St. Bernard. La représentation marque le début de la 53e saison du Théâtre Black Theatre Workshop (BTW) et souligne le lancement du Mois de l’histoire des Noir·e·s.

« Diggers est une histoire saisissante qui offre au public un moment collectif de réflexion et de compassion »

Cette pièce, réalisée en coproduction avec le Prairie Theatre Exchange met en scène trois fossoyeurs noirs qui travaillent à l’extérieur de leur village. Successivement exclus, fatigués ou pleins d’espoirs, les trois ouvriers n’ont aucun autre choix que de continuer à creuser. Nous sommes alors invités à questionner le rôle des travailleurs, essentiels dans nos sociétés, de reconnaître leur travail acharné et d’admirer leur résilience. Ce sont en effet des individus qui ont un rôle crucial, mais trop souvent oubliés. L’absence d’indication sur le lieu précis ou l’époque (bien que cela semble se dérouler avant les années 2000) apporte un aspect universel à cette situation : peu importe où et quand, ces travailleurs ignorés sont partout autour de nous. Comme l’écrit Dian Marie Bridge, directrice artistique du Théâtre BTW, « Diggers est une histoire saisissante qui offre au public un moment collectif de réflexion et de compassion ». Posons le décor : Abdul (Chance Jones) et Solomon (Christian Paul) travaillent dans leur cimetière depuis un moment. C’est alors que Bai (Jahlani Gilbert-Knorren), personnage plus jeune, plus naïf et plus innocent, les rejoint. Alors, une maladie frappe la ville, rendant leur travail encore plus difficile. Ils se voient submergés par des montagnes de corps, leur propre pauvreté et le manque de sommeil. Leur charge de travail augmente alors que le soutien de la communauté diminue. C’est sous des pleurs, des rires et des lueurs d’espoirs que le public suit le quotidien difficile de ces trois hommes, séparés du reste de la ville par un mur qui tombe petit à petit en ruine.

En parlant de décor – littéralement, cette fois-ci – il faut dire que Courtney Moses Orbin les a bien pensés. L’absence de scène surélevée permet une réelle connexion entre les acteurs et le public. Au milieu de la pièce, une zone délimitée par une petite clôture blanche. À l’intérieur, des copeaux de bois recouvrent le sol, permettant à nos trois personnages de creuser et d’enterrer les corps. On y retrouve également un patio sur lequel les pelles sont rangées et où les trois hommes se réfugient lorsqu’il pleut. Dans un coin, une vieille pelleteuse abandonnée rappelle au public que les machines ne font pas tout. Cette atmosphère immersive est maintenue tout au long de la pièce : les personnages entrent et sortent de la « scène » en passant par les gradins. Au final, cette clôture ne sépare pas l’audience des acteurs, mais bien les travailleurs de la ville. Le dernier lien qu’ils parviennent à maintenir avec la communauté de la ville s’illustre par la « tante » Sheila (Warona Setshwaelo), qui leur rend visite avec des paniers de provisions.

Cette pièce, dirigée par Pulga Muchochoma, montre de façon juste et remarquable la manière dont nous réagissons en situation de crise, ainsi que l’importance de la solidarité entre les communautés. Cela permet au BTW de poursuivre leur philosophie. Cette compagnie de théâtre se dédie à l’œuvre de la communauté noire au Canada depuis plus de 50 ans en réalisant chaque année une pièce ayant pour but d’éduquer et de divertir leur public, permettant un rapprochement culturel et offrant une meilleure représentation des artistes et des auteur·e·s canadien·ne·s noir·e·s.

Finalement, nos applaudissements sont grandement mérités.

La pièce Diggers se tient au Centre Segal des arts de la scène jusqu’au 17 février 2024. Pour plus d’information, vous pouvez visiter leur site web.

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Quand l’épouvante côtoie l’absurde https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/quand-lepouvante-cotoie-labsurde/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54554 Une aventure déjantée au cœur des Laurentides.

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Le rideau s’ouvre sur un personnage d’horreur mystérieux au visage masqué. Ses premiers mots sont les suivants : « La seule différence entre la réalité et la fiction, c’est que la fiction doit faire sens. » Avec cette citation, l’auteur François Ruel-Côté et le metteur en scène Cédrik Lapratte-Roy annoncent directement la couleur de leur nouvelle pièce : Terrain Glissant.

Cette pièce absurde aux allures de suspense nordique psychologique relate l’aventure en huis clos de cinq amis partis en escapade hivernale dans un chalet à quelques heures de Montréal. Seulement, tout ne se passe pas comme prévu pour le groupe : dès leur rencontre avec le propriétaire Guillaume, venu leur annoncer quelques règles impératives à respecter au chalet, la soirée dégénère.

Les personnages découvrent avec stupéfaction qu’un homme loge dans le grenier de leur chalet. Cet homme est nul autre que l’auteur américain Blake Sniper, surnommé le maître de l’horreur, soupçonné d’avoir tué sa femme. Les personnages apprennent peu après que des êtres étranges peuplent la forêt qui entoure le chalet, des créatures attirées par la peur des humains. C’est alors que l’un des personnages se volatilise et ses amis se retrouvent catapultés au sein d’une étrange enquête pour élucider sa disparition. Tout au long de la pièce, les personnages tentent de donner un sens à ce qui leur arrive, brouillant la frontière entre la réalité et la fiction. Si l’ambiance à l’intérieur du chalet donne à rire, à la nuit tombée, celle dans la forêt suscite l’angoisse. Ce que l’on retient de la pièce, ce sont des acteurs brillants, qui parviennent à nous faire passer du rire aux frissons avec brio. Les effets sonores et l’éclairage sont spectaculaires : le noir complet, les flashs lumineux, et la musique siniste nous plongent dans un monde effroyable et nous tient en haleine tout au long du spectacle. Dès que les lumières se rallument, les personnages enchaînent des blagues d’un humour bien décalé, qui nous font vite oublier l’ambiance angoissante des minutes précédentes.

« Nous sommes plongés dans le roman d’horreur du mystérieux scénariste vivant dans le grenier du chalet »

La pièce se rythme au fil des « chapitres de l’épouvante », dont les titres sont annoncés à chaque rebondissement. Nous sommes plongés dans le roman d’horreur du mystérieux scénariste vivant dans le grenier du chalet. Les protagonistes en viennent eux-même à se demander s’ils ne sont pas devenus les personnages du nouveau roman de l’énigmatique écrivain.

Après une fin tragique, toute forme de réalisme est abandonnée lorsque chaque personnage ressuscite et relate sa version des faits. Tout cela peut donner le tournis. Si une première partie de mon cerveau crie à l’absurde, la deuxième se retrouve complètement immergée dans l’histoire.

Enfin, tout au long de la pièce, une voix hors-scène nous pose des questions philosophiques absurdes : « Si un arbre tombe dans la forêt, mais que personne n’est là pour l’entendre, l’arbre est-il vivant? » Cette pièce atypique essaie-t-elle de transmettre un message plus profond? Je ne saurais dire, mais elle a certainement le don de nous bouleverser.

J’ai également apprécié les références culturelles québécoises tout au long de l’histoire. En filigrane, on y découvre la présence de critiques sociales et politiques. La pièce dénonce en effet le manque de connaissances de la population urbaine sur les parcs nationaux environnants, ainsi que le projet d’y créer un « nouveau Montréal ».

Lorsque la lumière se rallume sur la salle bondée et que les applaudissements se tarissent, j’écoute les discussions de mes voisins. Ils semblent avoir trouvé la pièce saugrenue et difficile à résumer, mais tous paraissent conquis. Si certains spectateurs ont beaucoup ri, d’autres ont eu davantage peur. Une chose est sûre, nous avons tous été traversés par une palette d’émotions.

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Ce que l’on redonne à la société https://www.delitfrancais.com/2024/01/24/ce-que-lon-redonne-a-la-societe/ Wed, 24 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54375 La pièce Bénévolat au théâtre La Licorne.

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Qu’est-ce que ça signifie, « aider la société »? Qu’est-ce que ça implique, individuellement et collectivement, « faire sa part »? Ce sont entre autres ces questions que pose la pièce Bénévolat, de Maud de Palma Duquet, où Amaryllis (Stéphanie Arav), étudiante en sciences, rigide et travaillante, aide Anthony (Mathieu Richard), jeune homme badin détenu pour meurtre, à réussir son français de première secondaire. Amaryllis affirme vouloir redonner à la société, mais révèle plus tard que cette expérience lui permettra d’augmenter ses chances d’être admise en médecine. Anthony veut finir son secondaire pour améliorer son dossier carcéral. Dans une mise en scène de Rose-Anne Déry, se déploient en huis clos les ateliers de français, qui se déroulent au pénitencier sur plusieurs semaines, lors desquels Amaryllis et Anthony apprendront à créer un lien. L’attention est portée sur les acteurs, une table et deux chaises, ainsi qu’une fenêtre derrière laquelle on peut distinguer le temps qu’il fait.

« Si le jeu de Richard semble plus naturel, l’aspect plus saccadé de celui d’Arav montre le côté droit et intransigeant de son personnage »

L’allure des personnages révèle d’emblée leur caractère : le coton ouaté d’Anthony est couvert de divers dessins et griffonnages. Amaryllis porte un tricot par-dessus une chemise, un pantalon propre et des loafers. Anthony pose des questions personnelles, fait des blagues, et remet en question les règles de grammaire. Amaryllis, quant à elle, est carrée, stricte, et veut faire le travail pour lequel elle est venue. On a devant nous deux personnages archétypaux, aux antipodes l’un de l’autre, qui servent à merveille le propos de la pièce et le fil narratif qui se dessine. Amaryllis, qui vient d’une famille privilégiée, souhaite, comme son père, devenir médecin, mais souffre depuis l’enfance d’anxiété de performance, ce qui la pousse à consacrer chaque heure de sa vie à ses études. Lorsqu’Anthony lui demande pourquoi elle veut devenir médecin, Amaryllis ne sait pas quoi lui répondre. Quant à Anthony, il vient d’une famille plus précaire. Élevé seulement par sa mère, résolue à mettre de la nourriture sur la table, Anthony a décroché avant d’avoir fini son secondaire, en proie à un problème de toxicomanie . À 19 ans, pour rembourser une dette de dope, il menace un commis de dépanneur avec un fusil et le tue. Tout sépare ces personnages : leur classe sociale, leurs repères, leur vision du monde. Ils s’apprivoisent malgré tout pendant la pièce, se révèlent graduellement l’un à l’autre, et trouvent bien davantage que ce à quoi ils s’étaient engagés.

Le texte de Maud de Palma Duquet allie moments humoristiques et passages profondément puissants et émotifs, dans un équilibre tout à fait habile. Si la majeure partie de la pièce est construite au fil des échanges entre les personnages, chacun se trouve à révéler son intériorité par des monologues. Amaryllis raconte au public des scènes ayant lieu hors de la prison, tandis qu’Anthony laisse des messages téléphoniques à sa mère. Les premiers échanges sont plutôt rapides et ne laissent pas beaucoup de place à la tension, mais l’actrice et l’acteur livrent tout de même leur texte avec virtuosité ; si le jeu de Richard semble plus naturel, l’aspect plus saccadé de celui d’Arav montre le côté droit et intransigeant de son personnage. La grande force de la pièce se trouve dans l’importante leçon humaine qu’elle porte et dans les questions qu’elle pose sans jugement. Deux personnes se rencontrent et apprennent à se connaître au-delà des apparences, au-delà de ce qui auparavant les séparait, au-delà de leurs origines. Elles apprennent à reconnaître leurs biais, leurs préjugés, leurs angles morts, et arrivent à ressentir de l’empathie l’une pour l’autre. Ce huis clos déjoue les stéréotypes et, avec sensibilité, oriente le regard du spectateur sur des enjeux majeurs, comme la justice et le système carcéral, l’éducation et son élitisme, ainsi que les relations entre hommes et femmes et les dynamiques qu’elles impliquent.

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Engagement collectif durant la pandémie https://www.delitfrancais.com/2024/01/24/engagement-collectif-durant-la-pandemie/ Wed, 24 Jan 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54338 La pièce Nos Cassandre au Théâtre Espace Libre.

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J’entre dans la salle de spectacle en ôtant mon badge d’hôpital et je perçois ces mots en lettres blanches projetés sur un écran noir. « Ce spectacle est dédié aux travailleuses et travailleurs humanitaires. » Une petite légion de spectateurs s’agite, produisant une vibration d’émerveillement et d’émotion avant même le début de la présentation. Cela préparait le terrain pour le déroulement de la pièce Nos Cassandre à l’Espace Libre, écrite par Anne-Marie Olivier et mise en scène par Frédéric Dubois.

Cette œuvre, autant contemplative que documentaire, suit la vie de Dre Joanne Liu (interprétée par Jade Barshee), urgentologue pédiatrique. Dre Joanne Liu a également été présidente internationale de Médecins Sans Frontières pendant six ans. C’est durant cette période qu’elle identifie les lacunes des systèmes politiques, et en appelle à une solidarité sans faille. Elle décide alors de collaborer avec Frédéric Dubois pour raconter sous une approche artistique son parcours. Ainsi, la figure mythique de Cassandre apparaît : celle qui a prédit la chute de Troie, mais que personne n’a crue. Qu’en est-il aujourd’hui? Sommes-nous prêts à écouter les Cassandre de notre époque?

« Deux drames se croisent et se répondent : la chute de Troie avec Cassandre l’oracle, et le récit biographique de Dre Liu »

Tout le long de la pièce, nous accompagnons la docteure dans des zones de guerre, ou régions détruites par des catastrophes naturelles, alors que des questions de solidarité, d’engagement collectif et de responsabilité citoyenne émergent.

L’histoire commence en 1975, par une anecdote qui présageait déjà la prise de conscience de citoyenneté internationale de Dre Liu : alors enfant, Joanne déclare la pomme verte être son fruit favori. Lorsqu’elle apprend
plus tard que ces dernières sont importées d’Afrique du Sud, alors aux prises avec l’apartheid, Joanne arrête soudainement sa consommation de pommes vertes, qui lui rappellent la souffrance d’un pays lointain. L’envie de Dre Liu de travailler au service de ceux qui sont exploités s’est imposée comme une mélodie de basse soutenant
la symphonie de tout un cheminement en interventions humanitaires, inspirée par la lecture de l’ouvrage Et la Paix, docteur? du Dr Jean-Pierre Willem. Dans plusieurs monologues biographiques, Dre Liu réalise un examen clinique des plaies de l’humanité : cruautés, conflits, exploitation, hypocrisie, incohésion sur des continents lointains et chez nous en même temps. En parallèle, seule face au spectateur, l’oracle Cassandre décrit la situation en Libye, la perduration de ces champs de bataille où c’est « chacun pour soi, et tant pis si c’est toi » et nous signale ainsi que l’humanité est malade.

Afin de guérir la maladie, la pièce prescrit une prise de conscience collective. À travers la figure mythologique grecque de Cassandre, oracle qui intervient aux points d’inflexion du tracé des évènements, Dubois et Olivier tentent de nous mettre en garde contre la tragédie de Troie de notre génération. Deux drames se croisent et se répondent : la chute de Troie avec Cassandre l’oracle, et le récit biographique de Dre Liu. L’un distant et oublié, l’autre proche et actuel, qui nous signale l’urgence de la demande de changement. « Si tu crois que t’y arrives pas, t’y arrives », lance Dre Liu à son amie d’enfance Annie (interprétée par Phara Thibault) ainsi qu’au public pour encourager notre « [refus] de s’habituer à la mort », en citant Albert Camus.

Le projet Nos Cassandre est né de l’amour de l’art dans lequel Dre Liu reconnaît un puissant antidote aux moments lugubres. Cet antidote à la souffrance, qui n’est pas seulement la sienne, mais celle de huit milliards d’êtres humains, prouve l’existence d’une identité invisible, partagée.

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Chorégraphies théâtrales https://www.delitfrancais.com/2023/11/29/choregraphies-theatrales/ Wed, 29 Nov 2023 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53815 Génération Danse captive l’essence de l’adolescence.

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Génération Danse, mise en scène par Sophie Cadieux, reflète les inquiétudes et les troubles associés à l’adolescence. Nous suivons l’histoire d’une troupe de danse composée de six filles et d’un garçon, qui s’apprête à participer à une compétition de danse régionale, espérant gagner une place dans la compétition nationale à Tampa, en Floride. Afin d’atteindre cet objectif, l’équipe se prépare à interpréter une chorégraphie « acro-lyrique » ayant pour thème l’héritage de Gandhi. Bien entendu, seulement une danseuse peut interpréter ce rôle, ce qui suscite des tensions parmi les membres de l’équipe, alors qu’un sentiment de rivalité les envahit.

Au fil de la pièce, nous devenons témoins de l’intériorité des personnages, de leurs désirs et de leurs insécurités, alors qu’ils cherchent à se comprendre les uns les autres et à se démarquer au sein de la troupe. Le texte autopsie le rapport au corps, les apparences physiques, le sentiment d’échec et le regard de l’autre. Chaque monologue interprété par les personnages nous donne un aperçu des pensées intimes et des préoccupations de ces adolescents, qui se sentent incompris et impuissants, malgré un fort désir d’indépendance.

Voir ces adolescents s’exprimer avec autant de passion a suscité l’émoi chez le public : l’adolescence est une période fondatrice de l’existence, ponctuées par des premières expériences caractérisées par leur intensité. Les acteurs parviennent avec expertise à rendre compte de ces émotions, exacerbées par des mouvements théâtraux et des expressions faciales exagérées, frôlant parfois le ridicule. Malgré l’écart d’âge entre les personnages et leurs interprètes – la production a accordé le rôle à des adultes plutôt qu’à des adolescents -, les acteurs conservent une énergie juvénile, mise en évidence durant des chorégraphies dynamiques et effrénées. J’ai trouvé particulièrement intéressants les nombreux monologues qui ponctuent la pièce, au fil desquels les personnages s’adressent directement au public, brisant le quatrième mur. Ces monologues transmettent un sentiment d’angoisse, décuplé par les lumières tamisées et le battement de cœur en bruit de fond, qui contraste avec la tonalité comique de la pièce. Ces moments plus dramatiques incitent ainsi les spectateurs à réfléchir sur les thèmes plus sérieux qu’abordent la pièce.

« l’adolescence est une période fondatrice de l’existence, ponctuées par des premières expériences caractérisées par leur intensité. »

Les membres de la troupe de danse discutent de leurs projets d’avenir, hantées par les spectres de ce qu’elles deviendront inévitablement. Génération Danse nous rappelle les drames de l’adolescence, qu’ils soient majeurs ou insignifiants, et leur impact durable sur l’adulte que nous devenons. C’est dans cette optique que le choix d’avoir des acteurs adultes pour interpréter des rôles d’adolescents devient intéressant : il met en avant cette idée qu’une grande partie de ce que nous sommes en tant qu’adulte est liée à nos expériences vécues en tant qu’adolescent.

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Un spectacle qui fait tomber plus d’un mur https://www.delitfrancais.com/2023/11/01/un-spectacle-qui-fait-tomber-plus-dun-mur/ Wed, 01 Nov 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=53128 Retour sur Hedwig et le pouce en furie présentée au Théâtre du Nouveau Monde.

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Le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) se renouvelle avec la présentation d’Hedwig et le pouce en furie, mise en scène, adaptée et traduite par René Richard Cyr à partir de la comédie musicale Off-Broadway Hedwig and the Angry Inch. Dans le rôle d’Hedwig, chanteuse du groupe punk-rock qui donne son nom à la pièce, Benoît McGinnis hypnotise le public. La pièce, qui est à la fois un concert, un quasi-monologue de style stand- up, et un spectacle de drag, va à l’encontre des propositions habituelles du TNM, que l’on pourrait qualifier de « prudentes ».

De rock et de fragilité

Avant de s’extasier sur le jeu hallucinant de Benoît McGinnis dans Hedwig et le pouce en furie, il faut d’abord parler de la pièce elle-même. Écrite par John Cameron Mitchell en collaboration avec le compositeur Stephen Trask, Hedwig et le pouce en furie raconte l’histoire d’Hansel, un jeune homme de Berlin-Est ayant subi une opération de changement de sexe mal effectuée. Hansel prend alors le nom de sa mère, Hedwig, se marie avec un militaire américain, et part s’installer en Amérique. Après une rupture douloureuse, Hedwig se met à faire de la musique rock avec son groupe et avec son ami Tommy Gnosis, qui lui brise le cœur à son tour, en plus de lui voler ses chansons.

Par une coïncidence extraordinaire, Gnosis se produit en concert sur la scène juste derrière celle du TNM – dans la version présentée au TNM, bien sûr – représentée dans le spectacle par une porte, qui, lorsqu’ouverte, laisse le public entendre les discours narcissiques du chanteur. Entre les chansons interprétées par Hedwig, son nouveau mari Yitzhak (Élisabeth Gauthier Pelletier, découverte renversante), et son groupe de musiciens, la rockstar raconte son enfance et les épreuves qu’elle a traversées dans sa quête identitaire, à la recherche de son autre moitié. La pièce, qui aborde les thèmes de l’art du drag et de la transidentité, ne peut être définie seulement par ceux-ci. Elle parle avant tout d’amour, de douleur, de rêves, de trahisons et, bien sûr, de rock ’n’ roll.

McGinnis et le jeu en folie

Pendant l’heure et demie que dure le spectacle, Benoît McGinnis, considéré par plusieurs comme l’un des meilleurs comédiens québécois de sa génération, se démène dans le rôle exigeant qu’est celui d’Hedwig. Il danse, chante, saute, court et joue avec une sensibilité prenante et une énergie contagieuse. Dans le rôle de Gnosis, à la fin de la pièce, la gestuelle de McGinnis adopte toutes les subtilités nécessaires afin de nous faire oublier qu’il interprétait, une dizaine de secondes plus tôt, le rôle d’une femme. La présence sur scène du comédien est telle que, même lorsqu’il est dans l’ombre, par exemple lorsqu’Hedwig permet à Yitzhak d’être sous le feu des projecteurs, c’est lui qu’on regarde.

« La pièce, qui aborde les thèmes de l’art du drag et de la transidentité, ne peut être définie seulement par ceux-ci. Elle parle avant tout d’amour, de douleur, de rêves, de trahisons et, bien sûr, de rock ’n’ roll »

Cela n’enlève toutefois rien au jeu et à la voix impressionnante d’Élisabeth Gauthier Pelletier. Dans le rôle de Yitzhak, elle est choriste pour Hedwig, mais prend plus d’importance au fur et à mesure que la rockstar s’ouvre au public et laisse tomber ses comportements abusifs. La dernière chanson de la comédie musicale est un duo enlevant entre McGinnis et Gauthier Pelletier, qui donne envie de lever les mains en l’air, comme le dit le morceau.

Ce qui se cache derrière la langue

La traduction de la pièce, en particulier des chansons, a sans doute été un défi de taille pour René Richard Cyr et Benoît McGinnis, qui y a participé. La pièce a été adaptée à la langue et à la culture du Québec. Dans la plupart des cas, cela fait en sorte que les blagues et les commentaires d’Hedwig sont mieux reçus par le public. Pourtant, dans les chansons, on sent que le débit souffre de la traduction et que les paroles manquent de vulnérabilité. Leur puissance émotive est affaiblie par la nécessité de les ajuster aux rimes et au rythme. Évidemment, deux langues ne peuvent formuler la même idée d’une même manière ; les modifications de sens sont donc inévitables, mais auraient pu être amoindries. Mis à part ce défi prévisible, Hedwig et le pouce en furie reste une adaptation réussie, rendant accessible à un public francophone cette histoire aussi farfelue que touchante.

Hedwig et le pouce en furie a été présentée du 20 au 28 octobre au Théâtre du Nouveau Monde.

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Scènes de cinéma… au théâtre https://www.delitfrancais.com/2023/10/25/scenes-de-cinema-au-theatre/ Wed, 25 Oct 2023 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=52991 Courville, ou l’enchaînement de décors grandeur nature.

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Pour aller voir Courville, présentée du 12 septembre au 15 octobre au Théâtre du Nouveau Monde, il faut laisser derrière soi ses attentes d’un théâtre classique de Molière. On plonge plutôt dans un univers grandeur nature, avec des marionnettes géantes, des jeux de lumière et un enchaînement audacieux de décors dignes du grand écran!

Courville se démarque par ses personnages principaux qui ne sont pas des comédiens, mais des marionnettes à taille humaine. Leurs voix sont portées par le talent d’un seul interprète, Olivier Normand, tandis que trois marionnettistes habillés
de noir manient habilement les personnages. La cohésion entre les mouvements et les répliques permet de comprendre facilement les conversations entre les personnages : l’acteur offre des tons de voix et des accents propres à chacun, correspondant au langage corporel des pantins. La finesse du jeu des accents québécois et anglophone reflète d’ailleurs pertinemment notre société bilingue.

La pièce dresse le portrait de Simon, un garçon en proie à la phase sombre de l’adolescence, dans la petite ville de Courville. La sexualité, la cohabitation avec sa mère et son oncle qu’il déteste et les traumatismes de l’enfance sont les pistes d’exploration du spectacle. Ce n’est pas tant l’originalité de l’histoire que l’ingéniosité des décors qui rend la pièce mémorable. Le metteur en scène, Robert Lepage, et le directeur de création, Steve Blanchet, ont réussi un coup de maître : proposer une dizaine de tableaux différents, en utilisant la structure d’une maison à deux étages. Le plafond du sous-sol se « baissait » pour devenir le sol d’un nouveau décor. L’ambiance est construite pour recréer des situations au plus proche de leur réalité, avec les contraintes du théâtre. Par exemple, la piscine est représentée par une projection mouvementée d’eau, avec des effets de vaguelettes et un nageur qui fait ses longueurs.

Courville offre beaucoup de talents combinés sur un seul projet, et il aurait été bon de susciter plus d’empathie pour le personnage de Simon. Il semble que ces thèmes de l’adolescence ont déjà été explorés à de nombreuses reprises, et qu’ils ne sont pas assez approfondis pour justifier les trois heures d’attention demandées au spectateur. L’audace de la mise en scène de la pièce est toutefois à saluer.

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