Archives des Société - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/societe/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 27 Nov 2024 19:33:40 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Ententes pour la francophonie https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/ententes-pour-la-francophonie/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56667 Les frais réduits au Québec trahissent-ils un désir de ne sélectionner que les « bons » francophones?

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Peuplé de huit millions de francophones, le Québec se présente aujourd’hui comme le bastion de la francophonie en Amérique du Nord, notamment à travers ses politiques de promotion du patrimoine linguistique. Cultivant son image de province accueillante, le Québec offre une tarification préférentielle pour les études supérieures aux francophones, mais seulement aux étudiants originaires de France et de la communauté francophone de Belgique.

Au cours des cinq dernières années, 865 millions de dollars (soit en moyenne 173 millions de dollars par an) ont été alloués aux étudiants français inscrits dans les universités et cégeps du Québec sous forme de subventions. Ces fonds permettent aux étudiants de premier cycle de payer des frais de scolarité environ deux fois moins élevés que ceux imposés aux autres étudiants internationaux, et même inférieurs à ceux des Canadiens non-résidents du Québec, en raison des récentes augmentations tarifaires les visant. Pour les cycles supérieurs, l’écart est encore plus marqué : lorsqu’ils sont inscrits en maîtrise ou au doctorat, les étudiants français et belges paient les mêmes frais que les résidents québécois, un privilège qui n’est pas même accordé aux Canadiens nonrésidents du Québec.

Cet effort financier a indéniablement fait croître la présence d’étudiants français et belges — et par extension, celle de la francophonie — dans les institutions universitaires québécoises, les intégrant comme des partenaires clés du projet linguistique de la province. Cependant, il soulève des questions sur l’inclusion, l’équité ou encore le sentiment d’appartenance qu’il induit. Qui peut vraiment se sentir chez soi au Québec? Et que révèle cette générosité sélective sur la vision québécoise de la francophonie?

Vers une francophonie à tout prix

Au Québec, les frais de scolarité dépassent la question financière : ils dessinent une frontière nette entre ceux auxquels on permet de s’intégrer et ceux qui sont forcés à rester en marge. Les résidents du Québec, qui bénéficient des tarifs les plus bas, incarnent le cœur battant de la province. Les Canadiens non résidents deviennent quant à eux déjà des « presque-étrangers » en étant sommés de payer des frais deux fois plus élevés que les résidents de la province. L’addition reste considérablement inférieure à celle imposée aux étudiants internationaux, qui se voient ainsi relégués au statut d’appartenance le plus limité.

Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

La préférence tarifaire accordée aux étudiants français et belges, au-delà de constituer une anomalie chez les étudiants internationaux, agit comme un rapprochement symbolique avec les résidents québécois. Elle les invite à se sentir chez eux, à la différence des autres étudiants francophones et des Canadiens originaires d’autres provinces. En favorisant des étrangers plutôt que leurs concitoyens anglophones ou francophones d’ailleurs au Canada, le projet de la francophonie du Québec réaffirme une distinction identitaire qui transcende alors le cadre national et valorise davantage le partage de la langue que celui de la nationalité.

Ce projet de retrouvailles et d’accueil par l’idiome répond toutefois à une logique sélective qui privilégie certaines nations, plutôt que de faire du Québec un espace universel de connexion pour les francophones des quatre coins du monde. Ainsi, les étudiants français et belges, issus de pays plus riches et dotés d’institutions académiques prestigieuses, bénéficient d’un accueil chaleureux dans les établissements universitaires, qui deviennent le lieu tangible de leurs privilèges et de leur appartenance. Les étudiants francophones d’Afrique et du Moyen-Orient, malgré leur contribution à la vitalité de la langue française, se heurtent quant à eux à des barrières économiques et symboliques qui les marginalisent dans ce projet de francophonie à deux vitesses.

Une francophonie conditionnelle : entre privilège et exclusion

Ces politiques soulèvent des interrogations légitimes quant à la hiérarchie culturelle implicite qu’elles révèlent. Les nations perçues comme « compatibles » — riches, blanches et européennes — sont favorisées au détriment des pays du Sud. Bien qu’il existe des accords avec des États comme la Tunisie, Djibouti et la République démocratique du Congo, où le français est parlé respectivement par 52,47%, 50% et 51,37% de la population, ces partenariats restent largement symboliques. Ils profitent seulement à une poignée d’étudiants — souvent moins d’une douzaine par pays chaque année. En comparaison, des milliers d’étudiants français et belges bénéficient de ces ententes à la seule échelle de McGill.

Ce déséquilibre entre les nations du Nord et du Sud n’est pas anodin. Il reflète une logique utilitariste dont les accords sont conclus exclusivement avec des nations présentant des intérêts économiques stratégiques pour le Québec. En faisant de la maîtrise du français un critère d’immigration, ces politiques sélectionnent une population étudiante alignée avec ces mêmes intérêts. Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

L’exemple de l’entente avec la Belgique, qui ne repose pas sur un lien historique particulier avec le Québec, illustre bien ce privilège accordé aux pays du Nord et la dissonance du projet québécois. Paradoxalement, des pays culturellement proches comme la Suisse et le Luxembourg, où le français est parlé par 67,13% et 91,99% de la population, sont exclus de ces tarifs préférentiels. Si cette situation diffère des logiques néocoloniales qui excluent les nations africaines, elle met néanmoins en lumière une politique de « minimum convenable », où certains pays francophones sont négligés faute d’intérêts économiques immédiats.

Ces tendances révèlent une absence de vision idéologique forte autour de la langue française dans les politiques québécoises. Au lieu de devenir une force unificatrice, la francophonie au Québec semble s’enfermer dans un projet utilitariste dicté par des alliances à court terme, et éloigné des idéaux d’universalité et de fraternité historiquement liés à la langue française.

Étendre le sentiment de chez-soi

Si le Québec aspire véritablement à protéger et promouvoir son patrimoine francophone, il devra repenser son approche qui, dans sa forme actuelle, perpétue des exclusions. L’élargissement de la tarification préférentielle à l’ensemble des nations francophones renforcerait un sentiment d’appartenance universel, tout en répondant aux idéaux de solidarité linguistique. Cela offrirait également de nouvelles perspectives académiques et culturelles pour la francophonie, au moyen de mesures alignées sur les objectifs économiques et diplomatiques de la province.

Une politique véritablement inclusive permettrait au Québec de s’affirmer comme un acteur clé de la justice culturelle et linguistique. En s’inspirant de l’homoglosson d’Hérodote, qui définit l’appartenance par la langue partagée plutôt que par l’origine, le Québec pourrait repenser la francophonie comme un espace véritablement ouvert et inclusif. Elle cesserait d’être un cercle exclusif pour devenir un lieu d’échanges, où chaque francophone pourrait se sentir pleinement « chez lui ».

Pour concrétiser cette vision, le Québec doit élargir ses politiques préférentielles afin d’inclure tous les francophones, transformant ainsi la langue française en une véritable force unificatrice. Il renforcerait alors son rôle de foyer pour une francophonie mondiale, où chaque individu, quelle que soit son origine, serait reconnu et valorisé comme membre d’une communauté vraiment inclusive.

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Entre appartenance et culpabilité https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/entre-appartenance-et-culpabilite/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56703 Exister sur des terres volées.

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L’ « indigénéité » – traduction littérale du mot indigeneity (l’état d’être indigène, ou d’être relié à ce qui est indigène, tdlr) – occupe une place grandissante dans la sphère publique québécoise, où l’on discute de plus en plus d’enjeux liés au passé colonial de la province. Ce concept représente bien plus qu’une simple appartenance à un territoire, ou une simple occupation des terres. C’est un lien profond, ancestral, tissé entre un peuple et une terre, marqué dans ce cas- ci par une histoire de résistance face à la colonisation. Pourtant, au Québec, et plus précisément à Montréal (Tiohtiá:ke), ce n’est que très peu d’entre nous qui peuvent se considérer indigènes au territoire. Je ne le suis pas.

Franco-descendante, née ici, j’ai grandi avec l’amour du Québec et l’appréciation du multiculturalisme montréalais. J’attribue une grande part de l’adulte que je suis devenue à la chance que j’ai eue, enfant, de grandir ici. Cette terre a fondé mon identité, a bercé mes années et m’a offert une maison. Pourtant, elle ne m’appartient pas.

Comment être fière d’une identité qui, contre mon gré, est ancrée dans une histoire de domination et de marginalisation?

Il existe en moi un conflit constant, presque viscéral : d’un côté, un attachement à cette terre, ma terre de naissance, empreinte de cet esprit de « chez-soi » ; de l’autre, une culpabilité indéniable et grandissante, à l’idée que cette maison repose sur des terres qui n’appartiennent ni à moi, ni à mes ancêtres. Comme plusieurs Montréalais·e·s, je me heurte à ces sentiments, qui peuvent aux premiers abords sembler inconciliables : aimer l’endroit où l’on a grandi, avec tout ce qu’il représente de souvenirs et d’identité, tout en étant pleinement conscient·e de l’injustice historique qui a permis cet enracinement – une injustice qui continue d’avoir des répercussions sur les peuples autochtones aujourd’hui. Malgré tout, je vous l’assure, ces contradictions me tiraillent l’esprit au quotidien, et ce, encore plus depuis que j’étudie à McGill.

Faire la part des choses

Le Québec est pour moi bien plus qu’un simple lieu géographique, bien plus que là où j’ai grandi. Ce sont ses paysages, ses lacs et ses montagnes qui inspirent la sérénité et qui ont ponctué mes étés, une culture où la musique, la langue et les récits façonnent nos identités. J’ai grandi dans une ville où les bruits du métro, le froid qui pince les joues l’hiver et la renaissance que nous connaissons tous les printemps ont fait de cette province mon chez-moi… Mais à quel prix?

Cet amour pour le Québec est marqué par des paradoxes. La culture québécoise, à laquelle je tiens tant, est un produit de la colonisation, un résultat d’un long processus historique qui a graduellement effacé les voix des Premières Nations, faisant d’elles un simple murmure dont les politicien·ne·s d’aujourd’hui ne se soucient pratiquement pas. Notre langue, symbole de résistance à l’assimilation anglaise, a elle-même été imposée aux peuples autochtones à un coût dévastateur – celui de la perte quasi-totale de leurs propres langues. Comment être fière d’une identité qui, contre mon gré, est ancrée dans une histoire de domination et de marginalisation?

Plus j’en apprends sur l’histoire des Premières Nations – à noter que le curriculum enseigné dans les écoles primaires et secondaires québécoises serait à revoir, puisqu’il continue de peindre les peuples autochtones dans une représentation figée dans un passé lointain – plus je ressens le poids de mon rôle inconscient dans la marginalisation des communautés autochtones. Nos ancêtres ont arraché ces terres, décimé des communautés, abusé de l’autorité qu’ils·elles s’étaient eux·elles-mêmes attribué·e·s, et aujourd’hui encore, les séquelles du colonialisme persistent, omniprésentes : pauvreté, marginalisation, et oppression demeurent des réalités marquant le quotidien de nos Premières Nations. Nous, les Québécois·e·s aimons parler de notre propre oppression sous l’Empire britannique, mais nous oublions souvent que nous avons été, et sommes toujours, des colonisateur·rice·s sur ces terres.

Ce qui semble « impossible » est souvent une construction sociale destinée à préserver le statu quo, et perpétuer la subjugation des communautés marginalisées au profit des communautés dominantes.

Reconnaître sa responsabilité pour réconcilier

Ce poids historique ne doit pas nous paralyser, mais doit plutôt agir comme un agent de transformation. Reconnaître que notre présence ici repose sur des injustices passées est un premier pas, mais ce constat doit être accompagné par des actions concrètes. La décolonisation, bien qu’idéaliste pour certain·e·s, est pourtant une obligation morale. Redistribuer les terres justement, offrir des rétributions financières aux peuples touchés, et soutenir les initiatives menées par les communautés autochtones ne sont pas des gestes hors de l’ordinaire, mais des réparations nécessaires. Bien qu’il est ici question du Québec, c’est à travers le Canada tout entier que l’on doit continuer d’exercer une pression pour que les communautés autochtones cessent d’être traitées comme inférieures.

Dans d’autres contextes, comme celui de la Palestine, des figures comme Francesca Albanese, qui ont su capter l’attention sur les réseaux sociaux dans les dernières semaines, soutiennent que la restitution n’est pas une utopie, mais bien un impératif de justice. Pourquoi serait-ce différent ici? Les obstacles logistiques et politiques ne devraient pas excuser notre inaction. Ce qui semble impossible est souvent une construction sociale destinée à préserver le statu quo, et perpétuer la subjugation des communautés marginalisées au profit des communautés dominantes.

Au quotidien, des gestes simples peuvent aussi soutenir la réconciliation : s’éduquer sur l’histoire autochtone, remettre en question les récits dominants, privilégier les entreprises autochtones, et surtout, écouter. Dialoguer avec humilité et reconnaître que la décolonisation commence par nos choix, autant individuels que collectifs, est essentiel si on espère un jour bâtir une société québécoise réellement inclusive où tous·tes peuvent s’épanouir.

Partager son chez-soi?

Au fil du temps, j’ai appris que l’amour de son chez-soi ne devrait pas être aveugle. On peut chérir sa maison tout en reconnaissant les torts historiques qui la caractérisent. C’est une dualité difficile, mais nécessaire. Le vrai amour, après tout, implique d’affronter les vérités inconfortables, desquelles on aimerait détourner le regard, afin de chercher à réparer ce qui a été brisé.

Pour moi, réconcilier appartenance et culpabilité, c’est reconnaître que mon lien à cette terre n’effacera jamais celui des Premières Nations, et que ce dernier primera toujours sur les sentiments que je peux avoir à l’égard de ma terre de naissance, quels qu’ils soient. Cela implique non seulement de questionner mes privilèges, mais aussi de transformer ma gratitude pour ce territoire en un engagement actif pour un avenir plus juste.

Un « chez-soi » authentique ne peut exister que lorsque tout le monde y trouve sa place. Ce n’est qu’en bâtissant une société où chacun·e – et ce incluant les peuples autochtones – peut vivre avec dignité que nous pourrons aimer notre chez-nous sans honte. Un pas dans la bonne direction serait de commencer par arrêter de détourner les yeux de notre histoire, et au contraire, de la confronter. En tant que Québécoise, j’espère un jour voir un Québec réconcilié avec son passé, où la solidarité n’est pas une aspiration lointaine, mais une réalité. C’est un rêve, oui, mais un rêve qui peut devenir réalité si nous le portons ensemble, main dans la main.

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Notre chez-nous terrien https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/notre-chez-nous-terrien/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56713 Voyage sur la Terre avec Julie Payette, astronaute canadienne.

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Le « chez-nous », peut prendre plusieurs échelles : sa maison, sa ville, sa province, son pays, sa culture ou même sa langue. Toutes ces échelles se confondent lorsqu’on considère un sentiment d’appartenance commun à tous : celui d’être humain, sur une même planète. Nous faut-il voyager dans l’espace pour nous sentir homo sapiens? Dans son livre publié en 1987, le philosophe Frank White met des mots sur l’expérience de voir notre planète de l’extérieur : « l’effet de surplomb. » Celui-ci, défini par le blog de l’Agence spatiale canadienne comme « une expérience intense qui mène à avoir une meilleure appréciation de la Terre et de son apparente fragilité » a été repris dans de nombreuses recherches. Le sentiment d’humilité et d’émerveillement qui en découle pourrait être un moyen de promouvoir des comportements pro-environnementaux. Le Délit s’est donc entretenu avec l’astronaute canadienne Julie Payette, qui a réalisé deux voyages en orbite autour de la Terre à bord de la Station spatiale internationale en 1999 et 2009.

Le Délit (LD) : Quelles sont les premières sensations que vous avez ressenties lors de vos premiers instants dans l’espace?

Julie Payette (JP) : Pendant le lancement, on est très occupé parce qu’on doit se rendre dans l’espace à bord d’une fusée, alors on ne regarde pas forcément la Terre défiler sous nos pieds. Mais lorsqu’on arrive là-haut, on porte son premier coup d’œil sur la surface de la Terre, à seulement 400 km de nous. C’est comme une bille de marbre sur fond d’infini. Une myriade de bleus, de blancs, de bruns, de verts. Depuis la Station spatiale internationale, on perçoit la Terre comme une courbe couverte d’une mince couche, comme une pelure d’oignon bleu qui représente son atmosphère. Depuis la Terre, le ciel nous paraît bleu lorsqu’il fait beau parce qu’on est à l’intérieur de cette petite bande bleue. Dès qu’on en sort avec un véhicule spatial, la vraie couleur du ciel dans tout l’Univers est le noir. Les étoiles ne scintillent pas, elles sont très claires, car leur lumière n’est pas brouillée par la couche de l’atmosphère. Puisqu’un tour de la Terre dure 90 minutes, on passe une partie en orbite de jour et une partie en orbite de nuit. C’est extraordinaire. On a déjà un attachement à la planète avant de partir mais il devient plus clair lorsqu’on revient sur Terre parce que c’est la seule planète que l’on connaît pour l’instant et le seul endroit où on peut vraiment vivre.

LD : Est-ce qu’il y a un sentiment d’irréalité quand on regarde la Terre depuis l’espace?

JP : La lumière qui émane de la Terre est fantastique. Dans les périodes d’orbite de nuit, on voit où est la vie, autant avec les volcans et les éclairs qu’avec les lumières des villes. J’ai eu la chance de voir les villes d’Europe s’illuminer lors de mon deuxième vol, alors que le crépuscule devenait nuit. La péninsule italienne est particulièrement repérable, grâce à sa forme de botte. On voyait les villes s’illuminer, d’abord Gênes, puis Rome, Naples, le sud de l’Italie, les côtes de la Méditerranée. Les villes se trouvent principalement sur les côtes, alors leurs lumières en dessinent les contours. On voit aussi les contrastes depuis l’espace. Par exemple, on peut voir le rouge de l’Etna, volcan reconnaissable grâce à la forme de botte de l’Italie. Cet immense spectacle à nos pieds qui change constamment et qui n’est jamais le même à chaque orbite témoigne que notre planète est vivante, et c’est très rassurant.

LD: À la suite de vos deux expéditions, qu’est-ce qui a changé dans votre rapport à la Terre?

JP : Les gens pensent que l’on en revient bouleversé, chamboulé, complètement changé. Moi, je vous dirais que ce n’est ni mon expérience, ni celle que j’ai pu entendre de mes collègues. On revient très fiers d’avoir participé à ces missions, d’avoir eu la chance d’explorer, d’aller dans l’espace, de travailler là-haut. On était déjà convaincu que la Terre était importante, car sa faune et sa flore en font le seul endroit où l’on peut vivre pour l’instant. On doit donc bien s’en occuper en prenant des décisions collectives parce que ni la Terre ni le climat et la biodiversité ne connaissent de frontières. On doit travailler ensemble pour maintenir les joyaux qu’elle nous procure et la chance qu’elle nous donne de vivre ici. Mais c’est une conviction qui était déjà là avant notre voyage dans l’espace.

C’est comme une bille de marbre sur fond d’infini. Une myriade de bleus, de blancs, de bruns, de verts.

LD : Est-ce que vous retrouvez ces sentiments d’émerveillement sur Terre?

JP : Tout à fait. C’est personnel, mais je m’extasie régulièrement devant la beauté de la nature. On vient de passer un automne formidable au Canada. C’est une féerie chaque année, surtout lorsqu’on monte dans le Nord, et qu’on voit cette forêt multicolore se dérouler sous nos yeux. Ce sont des sentiments que je retrouve quand je plonge le long de murs marins ou quand je me rends au sommet d’un pic de montagne. Il est facile, je crois, de s’émerveiller et d’avoir conscience que nous habitons un joyau.

LD : Vous avez photographié l’Est canadien depuis l’espace. Y avez-vous reconnu votre chez vous?

JP : Je me rappellerai toujours lorsque j’ai vu Montréal pour la première fois, il y a 25 ans, lors de mon premier vol. Ça m’a fait chaud au cœur parce que j’avais une deuxième montre sur mon bras qui était à l’heure de l’Est sur laquelle j’ai pu lire « 5h du matin ». Je savais que chacun était dans son lit en train de dormir. J’ai senti l’appartenance à ma communauté. En tant qu’astronautes, nous étions émerveillés de voir les sites de lancements de fusée depuis l’espace. Je me rappelle survoler celui des fusées russes, qui est au Kazakhstan. On a la même excitation lorsqu’on voit celui de Kennedy Space Center à Cap Canaveral, parce que c’est de là qu’on a été lancé et c’est là où l’on va revenir. C’est fou à dire, mais c’est comme une connexion personnelle. J’espère que de plus en plus de gens iront dans l’espace et qu’il y aura des poètes, des chanteurs, des artistes, des écrivains et des gens qui savent mettre des mots sur cette magnifique planète qu’on habite. de plus en plus de gens iront dans l’espace et qu’il y aura des poètes, des chanteurs, des artistes, des écrivains et des gens qui savent mettre des mots sur cette magnifique planète qu’on habite.

LD : Quelle est la chose la plus intéressante ou la plus surprenante que vous ayez apprise sur l’espace depuis que vous êtes devenue astronaute?

JP : Lors des deux dernières décennies, on a complètement réécrit les livres d’astronomie parce qu’on a découvert des choses incroyables. Lorsque Pluton a été découverte, on pensait que ce morceau là-bas, loin de l’orbite de Neptune, était la neuvième planète de notre système solaire. Plus nos instruments nous ont donné la capacité de voir plus loin et mieux, plus on s’est aperçu que Pluton n’était qu’un objet parmi des milliers d’autres similaires dans une ceinture d’astéroïdes, appelée Kuiper. On a dû enlever son étiquette de planète, car des milliers d’objets là-haut sont solides, terrestres, et il aurait alors fallu déclarer 1 500 planètes dans notre système solaire. Les découvertes en astronomie sont récentes, et révolutionnaires. On a découvert il y a seulement 30 ans qu’il y avait d’autres systèmes solaires, composés d’exoplanètes. On découvre de nouveaux systèmes solaires tous les jours. D’un autre côté, on peut photographier des galaxies autres que la nôtre mais on ne peut pas photographier la nôtre parce qu’on est dedans. Il y a beaucoup à apprendre sur qui nous sommes dans ce domaine.

Cet immense spectacle à nos pieds qui change constamment et qui n’est jamais le même à chaque orbite témoigne que notre planète est vivante, et c’est très rassurant.

LD : Est-ce que vous vous sentez minuscule parfois?

JP : Mais c’est ce que nous sommes. Nous sommes un grain de poussière dans cet immense Univers observable depuis nos télescopes, nos sondes et nos véhicules qu’on envoie. Mais on n’a rien vu, on n’est jamais allé sur une autre étoile, c’est beaucoup trop loin. L’espace est immense, on sait que l’Univers a environ 13,7 milliards d’années, donc on a du chemin à faire. Finalement, on est totalement minuscule, certains diraient « insignifiant ». J’utilise ce mot strictement lorsqu’on parle de comparer notre galaxie à tous les autres objets qui existent dans l’Univers. Si on compare notre système solaire à la quantité infinie d’autres systèmes solaires, on est en effet insignifiant. Mais lorsqu’on regarde toute la vie que permet un seul de ces soleils, le nôtre, sur Terre, en lui donnant de la lumière et donc de l’eau liquide, notre soleil n’est pas insignifiant du tout. Ce système a permis notre existence. La petitesse de notre présence dans l’Univers est une perspective de regard, plutôt que quelque chose d’inquiétant.

LD : Auriez-vous un moment particulier de votre mission qui vous a paru inoubliable à partager?

JP : Je vous dirais que l’arrivée à la Station spatiale internationale est impressionnante. Lors de mon premier vol, j’y suis allée à ses tout débuts, lorsque la station était aussi petite qu’un satellite. Deux modules seulement, personne à bord. Mais la deuxième fois, 10 ans plus tard, la station spatiale était presque en fin de construction et elle était de la grosseur d’un terrain de football avec tous ses panneaux solaires, six personnes à bord et différents modules. Un des moments forts de mon expédition a été notre arrimage, parce qu’on est une petite navette spatiale, avec sept personnes à bord, qui s’accroche à cette énorme infrastructure.

LD : Est-ce que vous avez participé à la construction du centre?

JP : Mes deux missions étaient des missions de construction. Lorsque je vais dans des écoles parler aux jeunes, je leur dis toujours que je suis un travailleur de la construction spatiale. J’étais opératrice de grues et de vaisseaux spatiaux. Je suis très fière de cette Station spatiale internationale. Là- haut dans l’espace, depuis bientôt 25 ans, des gens de différentes cultures travaillent ensemble tous les jours, sept jours par semaine, 24 heures par jour. On a des centres de contrôle aux États-Unis, à Moscou, en Europe, au Japon, et un petit centre de contrôle ici à Montréal pour le bras canadien. On entend rarement dire que ça va mal : les gens collaborent et travaillent ensemble pour faire avancer la connaissance.

LD : Si vous pouviez concevoir votre propre mission ou destination spatiale, où iriez-vous et que feriez-vous?

JP : Je serais très heureuse d’embarquer dans la prochaine mission Artemis II, qui l’année prochaine devrait décoller de la Terre pour faire le tour de la Lune en orbite. Ça va faire plus de 50 ans que nous ne sommes pas retournés si proches de la Lune avec des gens à bord. On a envoyé des sondes, mais personne n’y est retourné depuis 1972. Il y aura un Canadien à bord, Jeremy Hansen. La mission Artemis II a pour but de tester la capsule et les manœuvres pour se rendre aussi loin, et elle est un préalable à la mission Artemis III qui prévoit envoyer des astronautes marcher sur la Lune.

LD : Est-ce qu’on a des choses à chercher sur la Lune?

JP : La Lune est l’endroit où les humains ont été le plus loin. Lorsque vous voyez une photo où on voit la surface de la Lune et la Terre comme un petit point au loin, je dis que c’est la photo de tourisme la plus éloignée qu’on n’ait jamais prise. On a définitivement un intérêt à retourner sur le sol lunaire, entre autres près du pôle Sud de la Lune parce qu’on sait grâce à nos sondes qu’il y a possiblement de la glace dans les cratères au pôle Sud qui ne sont jamais exposés à la lumière du Soleil. Si cette glace est faite d’eau, elle pourrait nous fournir en H2O et en oxygène. On aimerait bien un jour, plusieurs pays ensemble, installer une base sur la Lune pour apprendre à vivre sur un astre inhospitalier, sans atmosphère, pour nous préparer un jour à faire la prochaine étape dans l’exploration humaine qui serait d’aller sur une autre planète. Mars est la prochaine destination. C’est compliqué parce que Mars n’est pas sur la même orbite que la Terre, ce qui fait que les deux planètes ne sont pas toujours alignées. Ce sera donc un long voyage de plusieurs années, qui serait rendu possible en se préparant d’abord avec une base lunaire. Artemis II va faire le tour de la Lune et revenir sur Terre, ce qui est une étape importante pour se rendre à l’objectif de créer cette base.

LD : Quelle serait la première chose que vous feriez si vous posiez le pied sur la Lune?

JP : Regarder si je peux apercevoir la Terre. J’imagine. Mais on ne la voit pas tout le temps. C’est comme nous, ici sur Terre, on ne voit pas toujours la Lune.

LD : C’est quoi, votre chez-vous?

JP : Je pense que j’ai beaucoup d’appartenances. J’ai des appartenances à ma ville, à mon pays, à mon continent, au fait que je fais partie des homo sapiens. Je dis souvent en rigolant que je suis une extraterrestre parce que j’ai eu la chance d’être à l’extérieur de la Terre pendant quelques jours, pendant mes deux missions. Mais je reste une habitante de la planète Terre. Je la partage avec des milliards de personnes.

L’astronaute n’omet pas qu’en 50 ans d’observation depuis l’espace, les effets de la pollution sont
rendus de plus en plus visibles. La grande majorité de ceux qui reviennent de leur un voyage à bord de la Station spatiale internationale deviennent porte-parole des effets dont ils ont témoigné : les déversements pétroliers, la fonte des glaciers, et l’érosion des berges. Bien que l’on puisse prendre des photos de l’espace depuis des satellites, « quand c’est un humain qui regarde et raconte, l’impact est souvent plus grand », conclut l’astronaute canadienne.

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Nos bibliothèques du futur https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/nos-bibliotheques-du-futur/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56598 Le Centre des collections de McGill débarrasse McLennan de ses livres.

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Depuis octobre 2023, les livres de la bibliothèque de McLennan disparaissent petit à petit. C’est un vide auquel il faudra s’habituer : ces ouvrages ont à présent trouvé refuge dans un entrepôt. Chacun a une place bien enregistrée, parmi les 95 092 bacs manipulés quotidiennement par des robots. Fini l’expérience du rayonnage, l’emprunt d’un livre se fait désormais sur la plateforme Sofia, un système interbibliothèquaire utilisé depuis des années par les bibliothèques de McGill. Afin d’en savoir plus, Le Délit a interrogé la doyenne des bibliothèques de McGill, Guylaine Beaudry, et visité le Centre des Collections situé à 45 minutes du centre-ville, guidé par le directeur associé du bâtiment.

« Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces »

Guylaine Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

Le vestige McLennan

En revisitant l’histoire des bibliothèques universitaires, Guylaine Beaudry souligne l’importance des projets de rénovation pour adapter nos espaces à nos besoins actuels. « Le rayonnage dans les bibliothèques tel qu’on le connaît aujourd’hui ne date que depuis la fin de la seconde guerre mondiale » explique la doyenne. « Avant, les grandes bibliothèques universitaires avaient un “magasin”, comme dans les musées, où s’entreposaient les livres jusqu’à ce qu’on ait besoin de les sortir pour les prêter ou les exposer. Les architectes ont pensé ces espaces pour l’entreposage de livres, pas pour l’expérience du public. »

Aujourd’hui, seulement 8% des collections imprimées sont consultées à McGill, soit une baisse de 90% en 30 ans. La consultation numérique a quant à elle dépassé celle papier, et le budget s’est lui aussi adapté : selon la doyenne, 95% du budget des bibliothèques est alloué aux ressources numériques. « Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces » revendique-t-elle. Ainsi, la préservation de la collection générale de 200 ans de travail académique à McGill tient de la responsabilité des bibliothèques. Elles doivent assurer des conditions optimales pour leur conservation : une luminosité réduite, une humidité à 40% et une température de 18 degrés. Cependant, l’évolution de l’utilisation des espaces laisse les étudiants dépourvus de lieux pour se rencontrer, étudier, et créer.

Bibliothèque du XXIe siècle

Le projet de rénovation de la bibliothèque McLennan, FiatLux, en cours de conception depuis 2014, réimagine l’espace pour les étudiants qui veulent y étudier dans le silence autant que pour ceux qui veulent débattre de leurs idées pour un projet d’équipe. « La bibliothèque est un des rares lieux à Montréal où les étudiants peuvent travailler en silence ; et où d’autres viennent pour discuter et travailler en collaboration, dans une ambiance qui ressemblerait à un bistrot », imagine Dr. Beaudry.

Celle-ci réimagine ce que pourrait être une bibliothèque dans la vie des étudiants : « Entre les espaces de silence et “bistrot”, il y a les salles de travail en collaboration, les salles pour pratiquer ses présentations, des espaces pour faire des balados, et expérimenter avec la visualisation des données, des espaces sans Wi-Fi pour minimiser les distractions. » Le but de la bibliothèque est de créer un espace social « fait pour les humains, pas pour les livres », ironise-t-elle.

Anouchka Debionne | Le Délit

Afin de résoudre la question du manque d’espace, McGill s’est inspiré de ce qui se fait dans les autres universités : des centres de collections, bâtiments extérieurs aux bibliothèques de l’université, où sont entreposées les collections et où les livres peuvent être commandés par les étudiants et les employés des institutions académiques. Ça ressemble étrangement aux « magasins » de l’époque, mais on exporte ces magasins pour adapter nos espaces du centre-ville pour les utilisateurs. Cinq universités en Ontario partagent un même centre de collections, dont celles de Toronto et d’Ottawa. Bien qu’elle ait tardivement ouvert son centre en juin 2024, l’Université McGill est la première à y avoir plus de robots que d’employés.

« Nos critères étaient de trouver un lieu à moins d’une heure du centre-ville qui entre dans notre budget », renseigne la doyenne. La construction du centre a ainsi commencé en mars 2022 à Salaberry-de-Valleyfield, à 50 minutes en voiture du centre-ville et à 25 minutes du campus MacDonald. « Les déplacements de livres se font quotidiennement par camions électriques », assure Dr. Beaudry.

Une « usine de connaissances »

Le Délit a visité le centre de collections à Salaberry-de-Valleyfield, accueilli par Carlo Della Motta, directeur associé du centre, et Mary, la superviseure de la bibliothèque du centre. Le bâtiment est divisé en deux grandes unités : l’une est un grand espace de cotravail pour les cinq employés à temps plein, où sont reçus les retours de livres. « Ici, » montre Carlo Della Motta en désignant une grande salle vide avec seulement deux, trois tables, « on entreprend des petites réparations si les matériaux du livre tombent, et ensuite ils peuvent retourner dans l’entrepôt ».

« Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois »

Guylaine Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

Passé deux ensembles de portes, on entre dans un entrepôt où se dresse un mur rouge, derrière lequel s’échafaudent 95 092 bacs contenant 2,4 millions de livres. Les livres proviennent des collections de McLennan et Redpath, ainsi que du gymnase Currie où étaient entreposés les livres de la bibliothèque Schulich lors de ses rénovations de 2019 à 2023. Les robots sont disposés sur des rails juste au-dessus de caisses empilées qui forment un mur de plusieurs mètres de haut. Ils se déplacent pour soulever des bacs afin d’en atteindre d’autres, et faire descendre la caisse qui contient le livre commandé. Les robots sont programmés pour mener un travail d’équipe : chacun à son poste, deux peuvent bouger du nord au sud de la grille, et deux bougent d’est en ouest. Ainsi, les quatre robots orientés vers le sud sont ceux qui peuvent prendre un bac et le livrer au port. Quant aux deux robots orientés vers le nord, leur principale responsabilité est de pré-trier les bacs pour les quatre autres robots. Le personnel cherche ensuite le livre dans le bac, le sort et le traite pour l’envoyer au centre-ville. La fonction du robot se limite donc à récupérer le bac qui se trouve à l’intérieur de la grille. Le reste du travail est effectué par le personnel de la bibliothèque.

Anouchka Debionne | Le Délit

Les livraisons ont commencé en octobre 2023. « Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois », souligne Carlo Della Motta. « On travaille avec trois systèmes indépendants : AutoStore, qui a créé le système automatisé de récupération des caisses et qui localise les caisses et contrôle les robots, le système Dematic, qui suit l’inventaire des livres dans les bacs, et enfin le système interbibliothèques Sofia, utilisé par les utilisateurs pour commander les livres » explique le directeur associé du centre. Ce genre d’entrepôt est d’habitude utilisé par les industries qui entreposent des marchandises. Il a séduit McGill comme une alternative aux autres centres de collections plus traditionnels, qui se font d’habitude avec des chariots élévateurs ou des assistants virtuels. Pour l’instant, les deux personnes interrogées ne connaissent que deux autres lieux au monde qui utilisent cette technologie pour entreposer des documents : le FBI, et un centre d’archives à Abu Dhabi. « Depuis notre mise en service en juin, notre moyenne est d’environ 850 livres commandés par semaine », renseigne Carlo Della Motta. « On s’occupe aussi d’envoyer des livres pour être scannés dans le centre, qui nous sont ensuite retournés. »

Certification faible impact

Le centre de collection a été certifié LEED GOLD (Leadership de conception en énergies et environnement, tdlr) pour ses efforts en termes d’utilisation des ressources énergétiques comme l’électricité et d’aménagement intérieur et extérieur pour les cinq employés qui viennent quotidiennement sur place. « Nous avons un bac à compost, nos meubles viennent du campus du centre-ville et nous avons gagné la certification Pelouse Fleurie pour notre engagement envers la biodiversité de la ville de Valleyfield. On n’utilise pas de pesticides, pas d’engrais, pas de dérogation. Il y a un certain nombre de plantes endémiques nécessaires pour obtenir la certification », raconte Carlo Della Motta. Le bâtiment est fourni d’une salle de conférence, d’une cuisine, et même d’une douche, pour ceux qui voudraient venir à vélo au travail. Les robots chargés avec des batteries de voiture électriques, eux, consomment en 24 heures ce que consomme un aspirateur branché durant 30 minutes.

« Le but de la bibliothèque est de créer un espace social fait pour les humains, pas pour les livres »

Projet de rénovations retardé

Le Centre des Collections a accueilli les premiers livres à Salaberry-de-Valleyfield en octobre 2023 afin de vider la bibliothèque McLennan pour le début des travaux en 2025. « C’est seulement après avoir déplacé les livres que le projet de rénovation a été mis en pause » informe Carlo Della Motta. Les travaux, retardés dû à « une augmentation des coûts dans la construction », ont été impactés par l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants hors Québec. La doyenne Dr. Beaudry précise : « c’est certain que ça a contribué, parce que c’est la santé financière de McGill qui a été touchée, et la capacité d’emprunt de notre Université ». Les plans de rénovation sont actuellement retravaillés afin de rentrer dans le budget. La doyenne précise que les étagères de McLennan resteront vides et ne seront pas démantelées tout de suite : « Pour le moment, on a confiance que d’ici au printemps, on saura où on s’en va. Si l’on démantèle les rayons et qu’on crée des espaces avec les moyens qu’on a, on risque de devoir tout changer à nouveau au printemps, quand on aura plus de visibilité sur la poursuite des travaux. »

Anouchka Debionne | Le Délit

Le futur du centre

Le centre ne restera donc pas seulement un entrepôt durant les travaux, et compte d’ailleurs accueillir les collections d’autres universités. Selon Carlo Della Motta, « lorsque d’autres bibliothèques, comme la bibliothèque d’Études islamiques, le campus MacDonald ou celle de l’École de musique commenceront à manquer d’espace, nous devrons mettre en place des protocoles et des procédures pour qu’elles puissent déplacer des documents ici. Nous ne sommes pas encore au maximum de notre capacité ». Le centre de Collections accueille actuellement 2,4 millions de livres, et la doyenne mentionne qu’ils prévoient le retour de 400 à 500 000 livres dans la bibliothèque McLennan. « On se pose la question en discutant avec les étudiants mais aussi avec les professeurs : de quelles collections a‑t-on besoin au centre-ville? » S’y retrouveront sûrement les livres qui ont été empruntés récemment, les nouveaux livres achetés par l’Université et ceux qui figurent sur les syllabus des professeurs.

Ainsi, les bibliothèques sont des espaces dans lesquels les étudiants passent un grand pourcentage de leur temps : le centre de Collection est une première étape vers l’adaptation de nos bibliothèques pour nos besoins numériques du XXIe siècle.

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Nous, le Nord https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/nous-le-nord/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56620 Ce qui restera au Canada après l’élection de Trump.

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C’est aux alentours de 22 heures lundi dernier que j’ai eu l’impression de revivre 2016 pour la première fois, et que les souvenirs de la dernière défaite démocrate ont commencé à me revenir à l’esprit. C’est à ce moment que je me suis revu âgé de tout juste 13 ans, regardant seul les résultats de l’élection présidentielle être annoncés, et comprendre que non, Hillary Clinton ne deviendrait pas la première femme présidente des États-Unis d’Amérique – et ne briserait ainsi pas le dernier plafond de verre en politique. Cette fois, Elliott, 21 ans, comprenait que non, Kamala Harris ne deviendra pas non plus la première femme présidente des États-Unis et que ce plafond de verre allait une fois de plus résister. Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente.

Pour commencer, les femmes ont aujourd’hui moins de droits qu’elles en avaient il y a de cela huit ans déjà, lors de la première victoire du MAGA (Make America Great Again). En effet, si en 2016 une loi fédérale prévoyait et garantissait l’accès à l’avortement pour les femmes à l’échelle des États-Unis, aujourd’hui, ce sont les États qui décident s’ils vont offrir – ou non – ce service. Un service de santé que je juge essentiel et qui, je dois le rappeler, sauve la vie de femmes qui dans de nombreux cas doivent faire usage de la procédure à la suite de complications qui les mettent en danger. Maintenant que cette légalisation nationale de l’avortement est chose du passé, on n’a qu’une personne à remercier : Donald J. Trump. Il s’en est largement vanté d’ailleurs, disant à plusieurs reprises qu’il est le seul président à avoir réussi à renverser Roe v. Wade, le jugement de 1973 qui avait rendu légal l’avortement dans tout le pays.

Sous cette nouvelle administration Trump, on doit s’attendre à encore plus de réglementation entourant la santé et le corps des femmes. Au-delà du fait qu’il aura la charge de l’appareil exécutif, Trump risque d’enraciner la majorité conservatrice à la Cour Suprême et de remplir l’administration américaine de certains de ses collaborateurs tels que Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr., deux hommes qui se sont déjà prononcé contre l’avortement. Bref, l’entièreté du gouvernement fédéral américain étant sous le joug de Trump et de ses alliés anti-choix, les femmes devront faire preuve de courage et de résistance alors que les droits fondamentaux et sacrés de leur personne sont sous-pression et qu’ils seront assurément attaqués. Deuxièmement, alors que Trump avait été élu en 2016 avec une plateforme qui ne disait pas grand-chose sur les droits des membres de la communauté LGBTQ2+, en 2024, son agenda y est fermement opposé. Les dernières semaines de la campagne nous l’ont démontré alors qu’à coup de millions de dollars, Trump menait une campagne médiatique axée sur un discours anti-trans dans les États pivots pour remporter la MaisonBlanche. De plus, le fameux projet 2025, un manifeste écrit par certains de ses plus proches collaborateurs et qui fait office de plateforme de campagne, nous fait comprendre dans quelle direction cette nouvelle administration compte se diriger, au détriment des minorités de genres et sexuelles. Si le projet 2025 est mis en application, nous risquons de voir une interdiction nationale des chirurgies de réassignement de sexe avant la majorité, la remise en application d’une interdiction pour les personnes trans d’entrer dans l’armée ou encore limiter leur capacité à joindre des équipes professionnelles de sport. Pour les minorités sexuelles, comme l’a affirmé le juge controversé et ultra-conservateur de la Cour Suprême, Clarence Thomas, c’est aussi la légalisation nationale du mariage entre conjoints de même sexe qui risque d’être renversée, à l’instar de l’arrêt Roe v. Wade. Un tel recul en arrière serait tout autant un crève-cœur pour les défenseurs de la cause du mariage pour tous, sachant qu’il a fallu attendre des décennies pour que la plus haute instance judiciaire du pays reconnaisse sa légalité à l’échelle du pays. En somme, avec Trump de retour dans le rôle de président, on doit s’attendre à ce que les droits des communautés sexuelles et de genre soient remis en question ou simplement supprimés.

« Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente »

Avec ce rapide comparatif entre la première élection de Trump et sa réélection, on comprend que non seulement le contexte qui a permis au candidat républicain de devenir le président des ÉtatsUnis a changé, mais aussi que le candidat et la nature de ses politiques ont changé. Ceux et celles qui pensent que 2024–2028 sera une continuité avec le premier mandat de Trump se leurrent. Le septagénaire s’est radicalisé et il risque de faire encore plus de ravages pour les plus faibles. Cette fois-ci, Trump menace d’aller encore plus loin et de s’attaquer à des tranches de la population qui avaient jusqu’ici été épargnées.

En terminant, permettez-moi de m’adresser directement à vous, chers lecteurs du Délit. Les États-Unis ont fait leur choix la semaine dernière. Ils ont élu Trump. D’une incroyable manière, des États pourtant traditionnellement démocrates sont tombés dans le giron républicain et d’autres, comme la Virginie, ont failli eux aussi succomber à la marée rouge. Pour la première fois en 20 ans, le candidat républicain à gagné le vote populaire. Maintenant, le Canada devra aussi faire un choix, et ce rapidement. On devra décider comment se positionner face aux États-Unis dirigés par un extremiste et comment on fera la politique chez nous. Je ne sais pas ce qu’on décidera de faire. Je ne sais pas non plus ce qui nous attend. Ce que je sais, cependant, c’est qu’on devra serrer les dents et se tenir droit devant la Maison-Blanche. Parfois, ce qu’on va voir au sud de notre frontière choquera, ça fera mal au cœur. Plus d’une fois, on sera témoin de terribles injustices, mais on ne peut pas se permettre de sombrer avec eux. Nous, le nord, nous devrons faire preuve de force et de résilience. Nous, le Canada, nous devrons nous serrer les coudes pour nous assurer que ce genre de dérives totalitaires ne se rendent pas jusqu’à chez nous. On devra aussi renforcer nos autres alliances, parce qu’avec Trump à Washington, le Canada n’aura pas besoin de se chercher d’ennemi. Nous, le nord, nous devons leur faire face, ensemble.

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Concours d’écriture de chroniques journalistiques https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/concours-decriture-de-chroniques-journalistiques-2/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56578 Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques… Lire la suite »Concours d’écriture de chroniques journalistiques

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Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des quatre meilleures chroniques.


Khudadadi : une réfugiée qui incarne l’esprit des Jeux
Jacob Shannon, Contributeur

Voilà bien une image qui illustre la joie immense d’un rêve enfin réalisé. C’est Zakia Khudadadi, la paralympienne qui a marqué l’histoire en remportant la première médaille de l’équipe des réfugiés à Paris, en taekwondo. À ses côtés, son entraîneuse Haby Niare, la porte triomphalement. Lorsque la nouvelle de sa médaille de bronze a été annoncée, Niare a soulevé la championne dans un geste de soutien qui a fait le tour des réseaux sociaux.

Pour l’équipe olympique des réfugiés, ce podium est un premier, mais pour Khudadadi, il représente une plateforme de visibilité qu’elle peut utiliser pour sensibiliser à la situation des femmes afghanes opprimées. Les Jeux ont fait de Khudadadi une icône paralympique, et à juste titre : elle incarne l’esprit de persévérance de ces femmes en luttant à la fois pour elle-même et pour leur droit à l’égalité.

Devenir paralympienne était un rêve pour Khudadadi, mais à l’origine, elle voulait représenter son pays natal, l’Afghanistan. Elle s’était préparée à Kaboul pour les Jeux de 2021, mais elle a dû fuir le pays lors de la prise de pouvoir des Talibans. Désormais en sécurité en France, elle concourt pour l’équipe des réfugiés tout en restant engagée dans la cause des femmes afghanes. Alvin Koualef, journaliste pour Ouest France, souligne que Khudadadi est une inspiration non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais aussi pour les réfugiés. En effet, son accomplissement est déjà porteur d’une grande signification pour cette nouvelle équipe.

Eileen Davidson | Le Délit

Ceci étant dit, la vie n’est pas toujours idyllique pour une réfugiée. Sophie Hienard, journaliste pour Le Point, explique que Khudadadi a risqué non seulement sa vie, mais aussi sa participation aux Jeux de Tokyo en fuyant l’Afghanistan. Soutenue dans sa fuite par plusieurs pays, elle n’a pu rester en France que deux semaines avant de devoir repartir pour les Jeux de Tokyo. Même face à une situation nécessitant du repos, le choix de Khudadadi de participer souligne un dilemme pour les athlètes réfugiés qui doivent trouver l’équilibre entre leur bien-être et la reconnaissance du public.

Aujourd’hui, l’athlète profite de sa liberté pour vivre pleinement et pour s’exprimer sur la situation en Afghanistan. Dans une entrevue accordée à France 24, la paralympienne a déclaré croire que sa notoriété découlait de son histoire unique, dans laquelle ses sympathisants se reconnaissaient. En effet, son parcours atypique s’inscrit dans les valeurs des Jeux : elle est admirée pour avoir surmonté des difficultés considérables afin d’obtenir une vie meilleure. Ses supporteurs n’acclament pas qu’elle : ils soutiennent toutes les femmes afghanes qui ne connaîtront peut-être jamais une telle liberté.

Les Jeux paralympiques nous émeuvent parce qu’ils nous rappellent l’importance de persévérer. La réponse du public à la victoire de Khudadadi démontre la nécessité d’avoir une équipe de réfugiés et démontre que ses athlètes incarnent véritablement l’esprit des Jeux. Le handicap de Khudadadi la définit comme paralympienne, mais c’est sa capacité à devenir un phare d’espoir qui fait d’elle un symbole si puissant des Jeux paralympiques.


Votre cinquième tasse Stanley ne protège pas la planète
Claire Ambrozic, Contributrice

En décembre 2023, une vidéo publiée sur TikTok a récolté des millions de mentions « j’aime » et des centaines de milliers de partages, tout en attirant l’attention des journaux. La vidéo montrait l’agitation provoquée par la mise en vente des fameuses bouteilles d’eau réutilisables de la marque Stanley dans un magasin Target. La collection vendue exclusivement dans cette chaîne de grande surface a disparu en moins de quatre minutes. Selon Statista, les ventes annuelles de la compagnie Stanley ont atteint 750 millions de dollars américains en 2023. Ce succès s’explique par une véritable frénésie pour ces produits réutilisables, publicisés comme « écologiques ». Pourtant, il semble que les bouteilles Stanley font plus de mal que de bien : l’obsession qu’elles ont suscité chez les acheteurs illustre notre société de surconsommation.

La surconsommation

Selon Jessica Katz, journaliste d’Analyst News, l’engouement face aux bouteilles Stanley provient de l’incitation à collectionner plusieurs couleurs et styles différents. Les fanatiques de la marque accumulent des dizaines de bouteilles même s’ils n’en utilisent véritablement qu’une seule à la fois. Ceci démontre une tendance à choisir le plaisir immédiat d’avoir ce qui est à la mode et ce que l’on considère beau, plutôt que de considérer l’utilité du produit à long terme. De plus, bien que les bouteilles soient composées à 90% d’acier inoxydable recyclé, une entrevue publiée dans un article de Radio-Canada a révélé que Stanley n’a pas de programme de reprise ou d’options de recyclage en fin de vie pour ses propres produits. La production d’un si grand nombre de bouteilles réutilisables en acier inoxydable détruit la planète de sa propre manière, ce qui remet en question les véritables motifs de ceux qui achètent une cinquième Stanley « pour la planète ».

Eileen Davidson | Le Délit

Une bouteille en vogue

La bouteille réutilisable est devenue un accessoire de mode, ce qui indique que son usager la remplacera un jour par une bouteille considérée plus tendance. Une journaliste de Radio-Canada remarque que ce qu’on observe actuellement avec les Stanleys s’est déjà produit plusieurs fois avec d’autres marques, notamment Yeti, Hydro flask, S’well, Nalgene, et Owala. Ainsi, les Stanley accumuleront de la poussière au fond de nos placards, pour qu’on puisse les remplacer par la prochaine bouteille attrayante.

Un discours d’écoblanchiment

La vidéo virale contraste avec le discours d’écoblanchiment de la compagnie Stanley. Selon ses dirigeants, la compagnie se veut construire un monde plus durable, adoptant le slogan « Built for Life » (Conçu pour la vie, tdlr). Cependant, un article du Frontier Group révèle qu’en janvier dernier, la compagnie a sorti 17 nouvelles couleurs, encourageant les fans de la marque à acheter plus d’une bouteille. De plus, les bouteilles d’eau sont vendues en édition limitée, créant un sentiment de rareté qui incite les consommateurs à acheter une nouvelle couleur avant qu’elle ne soit plus disponible. « Stanley » est une entreprise et conséquemment, sa priorité est le profit et l’efficacité de production. Malgré son slogan, les produits de Stanley sont principalement fabriqués en Chine et au Brésil, ce qui entraîne un transport sur de longues distances, contribuant ainsi à une empreinte carbone importante avant d’atteindre leur principal marché en Amérique du Nord. Même si son produit est « écologique », le fonctionnement de l’entreprise ne l’est pas.

En somme, la vidéo nous oblige à réévaluer notre perception des bouteilles d’eau Stanley, ainsi que les produits « réutilisables » en général. Acheter une autre bouteille simplement parce qu’elle est à la mode perpétue un cycle de surconsommation. Enfin, en dépit des belles promesses écologiques de Stanley, l’entreprise est bien consciente du fait que son succès dépend de notre surconsommation. Aussi faudra-t-il se satisfaire des belles bouteilles d’eau qui se trouvent déjà chez nous.


Quand la liberté d’expression artistique suscite l’indignation de l’Église
Emilie Fry, Contributrice

Madonna, Lady Gaga, Lil Nas X, Sabrina Carpenter : chacun de ces artistes a choqué l’Église avec son choix de clip vidéo. Les démonstrations sexuelles dans les espaces sacrés et les représentations irrespectueuses des figures religieuses dans ces clips ont suscité une réaction brutale de la part des communautés religieuses. Cela dit, les critiques sont-elles justifiées, ou devrions-nous reconnaître la liberté d’expression artistique de ces chanteurs?

Un clip vidéo controversé

Le 31 octobre 2023, la chanteuse pop américaine Sabrina Carpenter a sorti un clip pour sa chanson « Feather », dans laquelle elle marque la fin d’une relation amoureuse toxique en chantant qu’elle se sent « légère comme une plume, (tdlr) ». Dans la scène qui a fait réagir, la chanteuse porte une robe noire aguichante et danse de manière provocatrice sur l’autel d’une église, en évoquant la métaphore de l’enterrement de sa relation toxique. Suite à ce clip vidéo, la communauté chrétienne a critiqué l’utilisation inappropriée d’un lieu de culte allant à l’encontre des valeurs catholiques de chasteté et de pureté. En dépit des critiques, le clip a été visionné plus d’un million de fois en moins de 24 heures suivant sa publication et, depuis lors, ce nombre a augmenté à 88 millions. De plus, la chanteuse continue à gagner en popularité avec son nouvel album « Short n’ Sweet » et sa tournée internationale qui vient de passer à Montréal le 11 octobre.

Eileen Davidson | Le Délit

En plus des critiques qui ciblent Sabrina Carpenter, l’Église catholique a démis de ses fonctions le pasteur Monseigneur Jamie Gigantiello comme administrateur de l’Église Annunciation of the Blessed Virgin Mary à New York, qui a permis le tournage du clip à cet endroit. Dans une lettre d’excuses, Gigantiello a expliqué que, faute de détails communiqués par les réalisateurs du clip, il a donné son aval au projet en vue de renforcer les liens entre l’Église et la communauté artistique. De façon à se faire pardonner, les 5 000 dollars reçus par l’église pour le tournage du clip seront donnés à la fondation Bridge to Life, qui offre des services aux femmes vivant des grossesses non planifiées.

Liberté d’expression

En explorant l’histoire de clips controversés, on découvre qu’il en existe plusieurs qui ont suscité une réaction comparable à celle de la vidéo de Sabrina Carpenter. Le mélange d’érotisme et de religion dans le clip « Like a Prayer » de Madonna a suscité la même polémique, et continue de le faire encore 25 ans après sa sortie. En 2011, Lady Gaga a scandalisé l’Église avec son titre « Judas », de façon similaire au clip de Lil Nas X sorti cette année dans lequel il incarne Jésus Christ. Les motivations de ces artistes varient : elles vont de messages sur les enjeux sociaux, comme le racisme abordé dans le clip de « Like a Prayer », aux critiques des normes religieuses, en particulier concernant l’exclusion des personnes LGBTQIA+. Mais les artistes font aussi appel à l’illustration métaphorique de leurs expériences, comme celle employée par Lil Nas X à travers la réincarnation de Jésus pour approfondir son message de retour sur la scène musicale. Bien qu’ils aient été parfois condamnés, ces artistes ont conservé leur popularité, puisque leurs admirateurs se reconnaissent dans leurs messages. On pourrait donc penser que Sabrina Carpenter, à travers ses clips, tente de critiquer la sensibilité religieuse de la société ou de se distancer de ses débuts plus innocents de façon à développer sa carrière.

Quelles que soient les motivations des artistes qui attisent ce type de controverse, cela remet en question les limites de la liberté d’expression à laquelle les artistes ont droit. Les clips vidéos permettent aux membres de la société d’exprimer leurs opinions de manière créative sous forme artistique. L’encadrement du contenu artistique, sous prétexte d’éviter les offenses ou les critiques, s’avère fâcheux, puisqu’il contreviendrait à la liberté d’expression. Voilà pourquoi, plutôt que d’établir des contraintes aux sujets sur lesquels portent les arts, il vaudrait mieux comprendre les motivations des artistes afin d’apprécier leur art sans y trouver offense.


La laïcité française est-elle en contradiction avec l’esprit des JO?
Momoka Chosa, Contributrice

Alors que le monde entier se prépare à célébrer la diversité aux Jeux Olympiques (JO), une controverse éclate : l’interdiction du port du hijab pour les athlètes françaises. Cette décision, perçue par certains comme une atteinte à la liberté religieuse, a rapidement enflammé le public. Elle a également mis en lumière le fossé entre les idéaux du pays et la diversité de sa société. En mettant en place cette interdiction, la France défend sa conception de la laïcité, mais à quel prix? Est-ce une mesure nécessaire à la mise en œuvre de la laïcité ou est-ce une exclusion injuste qui travestit l’esprit des JO? En tant que pays qui valorise l’égalité, la liberté et la fraternité, l’imposition de cette règle pose une question fondamentale : la France est-elle en train de compromettre ses propres valeurs au nom d’une laïcité inflexible? Cette interdiction repose sur un plan rigide de la laïcité, concept hérité de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.

Comme événement international, les JO représentent un espace dans lequel le respect des valeurs universelles doit prévaloir. En ce sens, la France va à contre-courant de l’esprit-même des JO. Bien qu’il soit légal et compatible avec les règles du Comité International Olympique d’imposer un code vestimentaire aux JO selon un article du Figaro (2023) : « JO 2024 : l’interdiction de porter le hijab pour les Françaises est compatible avec les règles olympiques », le pays risque de marginaliser les athlètes musulmanes qui ne devraient pas avoir à choisir entre leur foi et leur passion pour le sport. D’un autre côté, certains soutiennent cette interdiction, car elle promeut la neutralité religieuse des athlètes. Cependant, je pense qu’il ne faut pas que la neutralité devienne un synonyme de l’uniformité imposée où chacun est obligé de sacrifier son identité pour se conformer.

Eileen Davidson | Le Délit

Le sport est un vecteur puissant pour l’intégration sociale. Notamment, les athlètes voilées sont des modèles pour de nombreuses jeunes filles à travers le monde, qui montrent qu’il est possible de concilier la foi et le sport. En les excluant, nous envoyons un message de rejet à toute une génération. Par exemple, un incident lors de la cérémonie d’ouverture a créé une vive polémique. Sounkamba Sylla, coureuse de relais de l’équipe française, a participé à la cérémonie en portant une casquette après que le port de son voile ait été interdit. Cet acte, perçu comme une forme de défiance par la société, a capté l’attention de divers médias et souligné l’absurdité de l’interdiction. Par exemple, Amnistie internationale, une organisation pour la défense des droits humains, dénonce la discrimination flagrante à l’égard des athlètes musulmanes. Pour les athlètes voilées, cette interdiction représente non seulement une violation de la liberté religieuse, mais aussi une exclusion injustifiée qui vise à effacer une partie de leur identité.

Selon moi, cette interdiction est une manière de contrôler l’expression de la foi sous le prétexte de neutralité. Il n’est donc plus seulement question de sport, mais plutôt d’un débat sur l’acceptation de la diversité dans les espaces publics. En empêchant les athlètes voilées de participer aux JO, la France rate une opportunité unique de montrer que la laïcité peut être un cadre d’inclusion et non d’exclusion. Si l’objectif est de maintenir un environnement où chacun se sens respecté dans ses croyances personnelles, ne devrions-nous pas accepter les croyances des athlètes, quelles qu’elles soient? Il faut que nous réfléchissions à la manière dont nous appliquons nos principes, car une société tolérante doit faire place à tous et toutes, sans exception.

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Quand l’anxiété académique s’installe https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/quand-lanxiete-academique-sinstalle/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56486 Réflexions d’une étudiante en littérature anglaise.

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Mes questionnements se multiplient à mesure que les échéances pour les candidatures aux maîtrises approchent. Au lieu de laisser l’anxiété qui émane de toutes mes inquiétudes non-répondues me ronger, je pense qu’au contraire, il faut en parler. Parce que l’expérience que je vis est celle de milliers d’autres étudiant·e·s à McGill et ailleurs. Parce qu’en parlant à mes ami·e·s, j’ai vite réalisé que je n’étais pas la seule à avoir des doutes, à m’inquiéter et à être stressée. Cet article est dédié à toutes ces personnes qui se sentent comme moi. Ce sont mes mots, des phrases simples et des réflexions banales mais qui, je l’espère, feront sentir certain·e·s de mes lecteur·rice·s moins seul·e·s.

Je suis maintenant dans ma troisième année d’études dans le programme de littérature anglaise. Bien que je sois passionnée par la lecture et l’écriture en anglais, le simple fait de poursuivre un diplôme dans une langue qui ne m’est pas maternelle est source de questionnements. Évidemment, je ne suis pas la seule dans cette situation. Les étudiant·e·s internationaux·ales représentent près de 30% de l’effectif total de McGill, ce qui veut dire qu’une grande partie de ces 12 000 personnes sont, tout comme moi, en train de prendre des cours au niveau universitaire dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle. Bien sûr, le niveau de langue anglaise de toutes ces personnes, moi comprise, est techniquement élevé, puisque c’est une condition à remplir pour être admis·e à McGill. Cependant, « avoir le niveau » ne veut pas forcément dire être constamment confiant·e, surtout dans un programme comme le mien, où la langue est au coeur des discussions. J’ai récemment ressenti ce qu’on appelle communément le « syndrome de l’imposteur ». Selon l’Association médicale canadienne, c’est « une tendance psychologique à la peur et à la remise en question ». Ainsi, la personne atteinte doute de ses réussites et ressent une « peur persistante et internalisée d’être présentée comme un escroc, et ce, malgré ses capacités démontrées ». C’est ainsi que je me sens en ce moment : j’ai l’impression de ne pas être à ma place et de ne pas avoir atteint le niveau, que ce soit en anglais ou académiquement.

D’où vient le stress?

Les causes de ce problème me semblent évidentes : la comparaison – ou l’absence de comparaison directe. À première vue, l’université semble être un endroit où la comparaison n’est pas un problème. Chacun étudie des choses différentes, et à part la GPA (Moyenne Pondérée Cumulative), il n’y a pas de moyenne générale par devoir ou par groupe dans mon programme, donc pas de compétition. Pourtant, toutes ces choses sont paradoxalement ce qui me cause de l’anxiété. Je trouvais cela rassurant de partager le même emploi du temps que mes camarades au secondaire, d’avoir les mêmes cours, les mêmes devoirs, les mêmes notes à comparer. Maintenant, lorsque j’entends mes ami·e·s dans une autre faculté s’exclamer qu’ils·elles sont tristes d’avoir obtenu un B, je me dis que je dois mal faire quelque chose dans mes propres devoirs, où un B me paraît déjà satisfaisant. Pourtant, nos programmes sont bien différents, les exigences sont différentes, et c’est quelque chose que j’apprends à accepter.

« Parfois, j’ai l’impression d’avoir tant à faire que je ne peux rien faire »

Cette année, au sein de mon programme, la chose qui me fait le plus douter de moi-même sont les publications de discussions (discussion posts). La majorité de mes professeur·e·s de littérature me demandent de publier chaque semaine un court texte sur les livres que nous étudions. En théorie, c’est une bonne idée : ça permet d’échanger avec ses camarades, de découvrir d’autres perspectives et de nous inciter à ne pas accumuler de retard sur nos lectures. Cependant, depuis que ce mode d’évaluation m’a été introduit, je me sens particulièrement stressée. Chaque semaine, je lis des dizaines de messages postés par des personnes qui semblent savoir mieux analyser et mieux réfléchir que moi.

En plus des exigences personnelles que nous nous imposons, la surcharge de travail et la difficulté à trouver un équilibre entre vie personnelle, travail et études présentent aussi une source d’anxiété. Parfois, j’ai l’impression d’avoir tant à faire que je ne peux rien faire. Je n’arrive pas à être productive et, démoralisée, je finis par passer ma journée dans mon lit. Cette culpabilité me ronge : c’est comme être dans un cycle sans fin.

Exigences académiques

Dans une université comme McGill, ce stress de comparaison est encore plus élevé. On nous le répète sans cesse : « c’est une université réputée », « tout le monde est intelligent. » Tous ces discours ne font que nourrir les doutes qui grandissent en moi. Nous avons beau savoir que nous avons été acceptés pour une raison, cela ne nous empêche pas de douter de nos capacités.

En plus de cela, après avoir pris un cours de poésie canadienne, j’ai aussi réalisé que de nombreuses personnalités dans le monde de la littérature ont fréquenté les couloirs de McGill. Chaque fois que je me rends dans le bâtiment des Arts (Arts Building), je m’imagine A.M. Klein, Irving Layton, ou encore Leonard Cohen se diriger vers les mêmes salles que moi. Je trouve cela passionnant, de me dire que, des années auparavant, ces personnes ont elles-aussi publié dans le McGill Daily. Par ailleurs, cela produit une pression inconsciente vis-à-vis de mon travail. Je ressens le devoir de rendre hommage à ces artistes, de révolutionner la littérature comme ils·elles sont parvenu·e·s à le faire à mon âge.

Des solutions à adopter?

Malgré ce stress et l’apparence négative de mes réflexions, je reste convaincue qu’il existe des solutions. Je vais recevoir mon diplôme à la fin de la session prochaine, c’est donc une période charnière qui s’avère intense émotionnellement. Pourtant, je continue de rester optimiste. Personnellement, je trouve refuge dans ma cuisine. Prendre le temps de me préparer un bon repas le soir après une journée chargée est ma façon de me relâcher. Une playlist jazz en fond, je découpe consciencieusement mes légumes, je regarde l’eau bouillir et je profite des bonnes odeurs de mes plats. Je trouve qu’il y a un côté réconfortant dans les routines. Chaque soir, je prends soin d’allumer une bougie, de mettre des vêtements confortables après ma douche et de me préparer une tisane pour étudier à mon bureau. Ce sont des petites choses qui paraissent insignifiantes pour certain·e·s, mais qui me détendent considérablement. Ce sont aussi ces choses qui rendent la vie étudiante plus facile à vivre ; ces choses qui me font apprécier le fait de vivre seule, bien que loin de ma famille. Je suis convaincue qu’il est essentiel pour chacun·e d’avoir un échappatoire. Que ce soit la cuisine, la musique, le dessin, l’écriture d’un journal, ou les jeux vidéos, notre seule façon de récupérer physiquement et mentalement est le repos. Ce repos, qui paraît parfois impossible à envisager, est pourtant bel et bien nécessaire.

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Les échecs du REM https://www.delitfrancais.com/2024/11/06/les-echecs-du-rem/ Wed, 06 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56511 Des trajets de près de trois heures par jour pour les étudiants de la Rive-Sud.

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Le Réseau express métropolitain (REM) est-il un cadeau empoisonné pour les habitants de la Rive-Sud? C’est bien le sentiment que partagent de nombreux utilisateurs, en particulier les étudiants, relayés au second plan dans la planification des horaires et du service de ce nouveau réseau de transport en commun, fonctionnel depuis le mois d’août 2023.

Le problème concerne tout particulièrement les individus qui n’habitent pas à distance de marche d’une station de métro. Ils se plaignent alors du manque décourageant de places de stationnement d’auto gratuites devant le REM, qui se fait ressentir de manière grandissante depuis la rentrée scolaire en septembre. « Récemment, si j’arrive à 7h30 du matin à ma station du REM, il n’y a déjà plus de places. Il faut que j’arrive avant 7h si je veux avoir une chance de trouver une place! » raconte Sabrina*, étudiante en droit à McGill. Cette situation est d’autant plus frustrante puisque Sabrina, comme de nombreux autres étudiants, ne commence parfois ses cours qu’en début d’après-midi. Elle se retrouve donc malheureusement contrainte de partir tôt le matin afin de s’assurer d’avoir une place de stationnement.

L’incapacité du réseau à répondre aux besoins des étudiants se reflète notamment dans le service d’autobus transportant les résidents des zones plus éloignées de la Rive-Sud vers les stations du REM. Ces bus ne circulent que tôt le matin et en fin d’après-midi, suivant les horaires des travailleurs traditionnels, de 9h00 à 17h00. Dans le cas de Sabrina, le dernier bus passant devant chez elle le matin part à 8h09 et le dernier bus pouvant la ramener en soirée passe aux alentours de 18h00. Un véritable casse-tête pour un étudiant qui, par exemple, n’aurait cours qu’entre 17h00 et 19h00. « J’en ai souvent pour près de trois heures de transports par jour dans ces conditions », se désole Sabrina. « Ce système est peut-être pratique pour les parents travaillant de 9h00 à 17h00, mais certainement pas pour les étudiants! » Face à cette situation, Sabrina est parfois tentée de reprendre sa voiture, espérant miraculeusement trouver une place de stationnement près de sa station REM. « Il y a quelques jours, je n’ai rien trouvé. J’étais tellement désespérée que j’ai garé ma voiture à une place interdite et j’ai eu une amende.»

Cette situation est d’autant plus problématique que le REM est désormais la seule option de transport en commun pour les citoyens de la Rive-Sud. Depuis la mise en service du REM le 31 juillet 2023, une clause de non-concurrence hautement controversée empêche les autobus de traverser le pont Champlain, ce qui contraint ainsi les utilisateurs à emprunter le REM, puisqu’il s’agit de la seule option leur étant offerte. Un choix politique lourd de conséquences, qui se traduit par un achalandage démesuré des stations et par des stationnements bondés de voitures.

En d’autres termes, les étudiants sont pris au piège, avec peu d’options pour des trajets sereins et efficaces. Que ce soit par une augmentation des services de bus circulant entre les stations du REM et les différentes zones de la Rive-Sud, un accroissement des places de stationnement ou un abandon de la clause de non-concurrence, des solutions doivent être envisagées!

*Nom fictif

Eileen Davidson | Le Délit

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Remettre les femmes à leur place https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/remettre-les-femmes-a-leur-place/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56338 Carrière ou famille : un choix trop souvent genré.

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Eilearwah Rizqy, députée québécoise, a relancé un débat sociétal majeur à travers sa déclaration à l’Assemblée il y a plusieurs semaines : « Aujourd’hui, je n’annonce pas ma démission. J’annonce simplement que je ne reviens pas en 2026, car moi, personnellement, je n’arrive pas à tout conjuguer. » Concilier carrière professionnelle et vie de famille est un vrai dilemme, et ne semble pas être un choix personnel pour beaucoup de femmes. Entre les attentes des superwomen qui arrivent à tout combiner, les stigmatisations sur les femmes sans enfants, et le jugement porté à celles qui restent à la maison, il semblerait que tous ces choix portés par les femmes deviennent un poids sur leurs épaules. Mais quels sont les facteurs qui influencent ce choix? Comment choisir entre prioriser sa carrière ou sa famille? Ou alors comment arriver à concilier les deux?

Différents milieux

Il y a encore des grandes différences entre les milieux à prédominance masculine et féminine : ces derniers ont été le théâtre de luttes sociales qui ont permis aux femmes de gagner en flexibilité au travail pour pouvoir répondre à l’appel de leur vie de famille. Jessica Riel, professeure à l’UQAM en études féministes et bien-être au travail, soulève les différences de la réalité des femmes dans les milieux à prédominance masculine et ceux à prédominance féminine. « Dans les milieux masculins, c’est très difficile de penser avoir un horaire différent. Je parle des métiers où les horaires commencent avant les heures de la garderie et se terminent après les heures de garderie, comme le secteur de la construction qui a parfois des quarts de travail de douze heures. » Dans les milieux de l’éducation et des centres de la petite enfance, où la majorité des employées sont des femmes, « il y a une certaine flexibilité pour gérer des choses familiales au travail, faire des appels pendant les pauses avec le médecin ou la maison », ajoute Dre Riel. « Il y a aussi des mesures, gagnées par les syndicats, pour que les employées gardent leur ancienneté au retour de congé de maternité. » Ce sont les combats syndicaux des milieux féminins qui ont permis des mesures adaptées à la conciliation de vie de famille et vie de travail des employées, « ce dont les hommes pourraient aussi bénéficier », défend la professeure.

La différence avec les milieux à prédominance masculine se remarque aussi à l’embauche, notamment par des remarques discriminatoires quant au choix d’avoir des enfants. Dre Riel raconte : « Lors de mes recherches, nous avons obtenu des témoignages de femmes qui se sont fait offrir un poste à condition de ne pas avoir d’enfants avant d’avoir trois ans d’ancienneté. » Ana de Souza doctorante à l’Institut d’études religieuses de McGill, remarque que ces commentaires ne semblent pas s’appliquer à part égale aux deux sexes : « Je pense que lorsque [les patrons, ndlr] voient des pères avec de jeunes enfants, ils ne supposent pas que le congé de paternité va affecter leur travail de manière significative. »

La peur que l’efficacité d’une femme au travail soit affectée par ses enfants motive ses collègues à confier des tâches à d’autres collègues masculins, lorsqu’ils en ont le choix. C’est la pénalité causée par la maternité (« motherhood penalty »). « Nous pensons, même inconsciemment, que cette femme a peut-être un enfant, ou alors qu’elle en aura un dans le futur », précise Darren Rosenblum, professeur·e à la faculté de droit de McGill, et spécialisé·e dans les démarches prises par les entreprises pour favoriser la diversité et l’égalité des genres. Cette pénalité semble s’atténuer lorsque la femme atteint la quarantaine, mais les différences hiérarchiques se font toujours ressentir.

« Si vous avez de l’aide, ou si vous faites appel à quelqu’un d’autre, si vous ne le faites pas de vos propres mains, vous n’êtes pas une aussi bonne mère »

Ana de Souza, doctorante à l’Institut d’études religieuses de McGill

La place du congé familial

Au Québec, le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) finance le congé à hauteur de 70% du salaire : quatre mois pour la mère, cinq semaines pour le deuxième parent et une banque commune de 32 semaines à se partager au choix. Dre Riel constate que le congé parental commun est généralement attribué à la mère : « C’est souvent la travailleuse qui a un plus petit salaire que le père de l’enfant, donc c’est légitime que ce soit elle à qui revient le congé. C’est absurde, car ça reproduit les rôles sociaux. » Ana ajoute que le « choix » que fait la femme de rester à la maison s’étend au-delà du congé parental : « Disons que le coût de la garde d’enfants est égal ou supérieur au salaire de la femme, et que son mari gagne plus. La carrière en vaut-elle vraiment la peine? »

Eileen Davidson

Les pays scandinaves, quant à eux, mettent en place des politiques qui encouragent le partage plus égalitaire de la responsabilité parentale. « Dans les pays scandinaves, si le deuxième parent prend aussi son congé parental, la famille reçoit beaucoup plus de compensations », explique Darren Rosenblum. « Ça encourage notamment les hommes à être présents dès le début de la vie de l’enfant et à bâtir un monde où il est typique, voire même obligé, pour les hommes qui ont des nouveaux-nés de prendre congé. » Montrer l’exemple grâce à cette démarche, c’est la décision qu’a prise le ministre de la Défense finlandais, Antti Kaikkonen en 2022, lorsqu’il a pris son congé de paternité pendant deux mois à l’occasion de la naissance de son deuxième enfant. « Je crois que quelque chose qui a eu un grand effet dans les pays scandinaves, c’est quand les dirigeants, qui sont des hommes, prennent leur congé comme ils doivent le faire », affirme Rosenblum. Dans le cas de Kaikkonen, en effet, l’impact fut d’autant plus retentissant, car la Finlande, en pleine négociation d’adhésion à l’OTAN, traversait une situation politique critique.

Cependant, Ana de Souza souligne que le congé n’est pas nécessairement vécu de la même manière par les deux parents, puisque la femme doit récupérer physiquement de l’accouchement : « Le simple fait d’accorder du temps [aux hommes, ndlr] ne permet pas d’égaliser les chances, car la relation à la parentalité est très différente. »

« Personne ne devrait avoir à choisir entre sa carrière et ses enfants. Personne ne devrait avoir à se prouver Superwoman »

Jessica Riel, professeure à l’UQAM en études féministes

Le sacrifice de la santé

La conciliation de la garde d’enfants avec un emploi du temps de travail se fait au détriment de la santé des femmes, surtout dans les métiers où elles ont l’option de travailler la nuit. « Il y a des femmes qui préfèrent travailler la nuit pour pouvoir voir leurs enfants, alors qu’on sait que le travail de nuit trouble les rythmes de sommeil, prédispose au cancer du sein et pose d’autres risques sur la santé », déplore Dre Riel. « Les besoins de souplesse pour la conciliation travail-famille se font surtout pressants lorsque l’enfant a entre zéro et cinq ans, avant qu’il ne rentre à l’école. » Une triste ironie semble parcourir le secteur de la santé : les plus jeunes travailleuses sont en « bas de la hiérarchie » et sollicitées par leur supérieur à travailler la nuit. Ce sont également elles qui sont plus enclines à avoir de jeunes enfants, et elles se trouvent dans la tranche d’âge la plus à risque pour le cancer du sein.

Elles ont également permis d’obtenir le droit au « retrait préventif » visant à ce que les travailleuses enceintes ne soient pas exposées à des risques chimiques ou ergonomiques. Ce droit, enchâssé dans la Loi sur la santé et sécurité du travail, concerne surtout les postes où la travailleuse est debout, dans les secteurs alimentaires et manufacturiers. « Si l’employeur n’est pas en mesure de faire des changements pour accommoder la travailleuse par rapport à ce qui est indiqué dans le certificat médical du médecin, il doit la retirer de son poste pour ne pas qu’elle soit exposée à ces risques-là, et lui attribuer un autre poste du même niveau de compétence. S’il n’est pas en mesure de le faire, la femme est retirée du travail et elle reçoit une indemnité qui équivaut à 90% de son salaire », explique Dre Riel.

Culpabilité du « lien maternel »

Attribuer un congé parental aux femmes davantage qu’aux hommes pourrait provenir de l’instinct sociétal du « lien maternel », qui se construit tout au long de la grossesse : « La femme (en supposant qu’elle ait été enceinte) est beaucoup plus impliquée dans l’existence de l’enfant. Ce lien s’exprime différemment chez l’homme, et cela le pousse à travailler plus dur pour obtenir des promotions et essayer de fournir davantage de revenus. Mais je pense que parce qu’elle est plus impliquée dans la vie quotidienne de l’enfant et qu’elle en est la source physique, la femme a tendance à penser qu’il est de sa responsabilité de gérer les enfants », affirme Ana de Souza. Cependant, selon elle, cette logique reposerait en partie sur l’intériorisation de l’existence de ce lien maternel, qui serait encouragée par la société : « Je pense qu’il y a une tendance sociétale à faire culpabiliser les femmes. Si vous avez de l’aide, ou si vous faites appel à quelqu’un d’autre, si vous ne le faites pas de vos propres mains, vous n’êtes pas une aussi bonne mère ».

Le susdit lien maternel est sujet aux controverses, puisqu’il apparaît plus comme une invention de la société pour justifier l’absence de l’homme dans l’éducation directe de ses enfants, et non pas comme un phénomène propre au genre féminin. Au Canada, les luttes féministes ont permis de rendre les centres de la petite enfance accessibles à tous, afin d’accorder aux mères le temps de travailler. Des listes d’attente existent cependant partout au Québec à cause de la saturation des centres, empêchant la réinsertion des femmes sur le marché du travail. L’organisme à but non lucratif Ma place au travail a organisé une grève d’occupation cet été devant l’Assemblée nationale pour manifester au gouvernement l’urgence de la situation.

« Il faut créer une société qui lie moins le fait d’être parent au sexe biologique, et imaginer un monde où les femmes ne sont pas nécessairement obligées d’être le parent primaire »

Darren Rosenblum, professeur·e à la faculté de droit de McGill

Le modèle du travailleur idéal

« Je pense que le système dans lequel nous évoluons a été conçu selon des normes qui ne fonctionnent ni pour les femmes, ni pour les hommes », énonce Dre Riel. « Elles s’inscrivent dans un modèle du travailleur idéal, qui est disponible tout le temps, qui n’a pas d’enfant, ou qui a une femme qui s’en occupe. Cela fait en sorte que le milieu professionnel n’est pas adapté pour une conciliation travail-famille saine. » La culture de la performance aurait un impact direct sur les caractéristiques qu’une femme se doit de combiner, aux yeux de la société : « Je pense que l’image de ce qu’est une “bonne” femme a beaucoup évolué », explique Ana de Souza. « Aujourd’hui, il s’agit d’avoir une carrière, des enfants et d’être en pleine forme. Je voudrais que la culture devienne plus saine, ce qui aiderait les femmes à se sentir moins obsédées et plus à l’aise avec qui elles sont, plutôt que d’encourager des pratiques mauvaises pour la santé. »

« Avoir un équilibre, ce n’est pas juste pour les femmes et/ou les hommes, ça devrait être pour tout le monde », ajoute Dre Riel. « Personne ne devrait avoir à choisir entre sa carrière et ses enfants. Personne ne devrait avoir à se prouver “ Superwoman ”. Il y a quelque chose à repenser au niveau de la place du travail [dans la société, ndlr], des conditions de travail, mais aussi de la performance attendue, et ça passe par une reconsidération de la “norme”. »

La place des hommes

Les changements sociétaux et culturels ne peuvent se profiler sans la participation active des hommes, d’abord en tant que pères, et dans leurs postes politiques et d’entreprise. Ana ne doute pas de la motivation masculine à établir ces changements, puisqu’ils sont eux aussi impactés par le problème de la conciliation du travail et de la famille : « Je pense qu’ils devraient être motivés parce que cela va au-delà de l’intérêt personnel ; la plupart des personnes ayant des enfants en bas âge veulent que la vie soit plus facile, ce qui inclut la santé mentale de son ou sa partenaire. » Rosenblum appuie ce constat : « Il faut créer une société qui lie moins le fait d’être parent au sexe biologique, et imaginer un monde où les femmes ne sont pas nécessairement obligées d’être le parent primaire. »

Le chemin vers une conciliation travail-famille reste complexe, mais d’abord faut-il s’assurer que ce choix demeure féminin, et non pas sociétal. Les rôles sociétaux offrent des modèles à suivre, celui de la femme qui s’occupe des enfants ou celle qui gère tout à la fois, ou encore la « femme à chat sans enfants » comme le dit Vance, le vice-président du candidat à l’élection présidentielle américaine. « C’est le choix de chaque femme d’avoir des enfants ou pas, c’est tout autant le choix de chaque femme de prendre son congé ou pas et d’être parent comme elle le veut », conclut Rosenblum. « Si une femme veut continuer à travailler, c’est vraiment à elle seule de le décider, ce n’est pas à nous [la société, ndlr] et ce n’est pas au grand public de juger. Il n’y a qu’une personne qui peut prendre ces décisions, et il s’agit d’elle-même. »

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Liberté et affects https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/liberte-et-affects/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56337 Viser plus haut que la démocratie libérale.

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« Lorsque le peuple vote, le peuple gagne. » Ces mots résonnent depuis plusieurs mois dans le paysage politique à travers le monde, alors que le populisme prospère sur le terreau d’une fracture sociale toujours plus béante. Les crises économiques, la peur et la xénophobie définissent maintenant notre conjoncture, transformant le débat démocratique en une scène de division et de désillusion. Si ces slogans sont souvent plus opportunistes que sincères, ce qui importe est de comprendre si le choix représente un aspect concret et pertinent de nos démocraties — ou si les conditions le transforment en illusion. Autrement dit, le vote confère-t-il une puissance d’agir, au sens spinoziste, à l’électeur? Ou bien le jeu politique est-il arrangé d’avance, fonctionnant au moyen et bénéficiant de cette illusion de choix qu’il confère aux citoyens?

La liberté contrainte du vote

Témoin des idéaux révolutionnaires, le vote symbolise aujourd’hui la liberté individuelle et la souveraineté collective au cœur de nos démocraties libérales. Autrefois perçue comme antagoniste à l’idée républicaine, la démocratie a trouvé sa place en adoptant la représentativité, un système où l’électeur cède sa souveraineté en vertu d’un « choix » qui, selon Francis Fukuyama, marque la « fin de l’Histoire » – l’idée qu’il n’existerait aucun système politique plus abouti que la démocratie libérale.

L’électeur, qui est cependant tenu entre le libre arbitre et les déterminismes d’un système aux structures rigides, est-il véritablement en mesure d’agir selon son essence? Spinoza nous rappelle que la liberté ne réside pas dans le simple fait de choisir, mais dans la capacité à exprimer sa propre nature, à affirmer une « puissance d’agir ». En politique, cela impliquerait que le vote confère à l’électeur une autonomie réelle, un pouvoir de décision ancré dans l’expression de soi, et non une imitation de la liberté. La réalité des démocraties représentatives cantonne néanmoins ce « choix » par des forces qui échappent au contrôle du citoyen. Celui-ci est contraint d’adhérer à un système façonné par les élites politiques et économiques, les médias et les structures institutionnelles, au nom d’un contrat social informel et contraignant. Plutôt que d’incarner une force libre, l’électeur semble réduit à une position de spectateur, invité à valider des options déterminées en amont. Dans ce cadre, le vote devient l’instrument d’une souveraineté d’apparence, qui maintient la population dans une impression de contrôle tout en limitant sa capacité d’action.

Une société des affects : illusion de choix

Ce qui se joue en politique dépasse toutefois les simples institutions : il s’agit de gouverner les affects, ces forces intimes qui unissent et dirigent les individus. Frédéric Lordon, s’inspirant de Spinoza, décrit cette « société des affects » dans laquelle des émotions collectives comme la peur, le besoin d’appartenance, ou la colère deviennent des leviers de contrôle redoutablement efficaces, à l’image du maccarthysme américain des années 50 (ou la « Peur du Rouge »), ou de la montée du nazisme dans l’Allemagne des années 30 (notamment par la propagande orchestrée par Joseph Goebbels). La démocratie libérale, loin de favoriser un choix éclairé, repose en grande partie sur ces affects afin de structurer la puissance d’agir des citoyens, leur donnant l’illusion d’une liberté qui leur appartient — en apparence seulement.

« S’ils souhaitent être élus, les deux candidats doivent composer avec les préoccupations des électeurs des états pivots, dont le choix va déterminer le résultat des élections »

Pour Spinoza, le pouvoir politique est en réalité une projection imaginaire des puissances individuelles, transférées au collectif. Ainsi, l’État, loin d’être une entité indépendante, existe comme un canal où s’expriment les affects et désirs individuels. Mais dans cette société des affects, le transfert de puissance, qui pourrait être présumé émancipateur, devient un instrument de stabilisation. Ces émotions – crainte, espoir, désir de sécurité – sont dirigées non pas pour encourager une véritable autonomie des citoyens, mais pour les lier à des choix déjà définis à l’avance.

Dans ce cadre, le choix politique n’est plus une expression véritable de liberté, mais une réponse conditionnée aux affects orchestrés. En s’ancrant dans un quotidien rythmé par des émotions entretenues, l’électeur se trouve captif de ces affects, réagissant aux options qui lui sont offertes. Loin de renforcer son indépendance, cet encadrement affectif le confine à des choix affectivement déterminés, qui ne font que reconduire le statu quo, entretenant l’illusion d’un ordre naturel et incontestable.

Une illusion orchestrée par les médias

Quant aux médias, loin de se limiter à une mission de dissémination de l’information, ils tracent les récits politiques, définissant les contours de ce qui semble acceptable. Pierre Bourdieu, dans Sur la télévision (1966), révèle la manière dont les médias imposent, selon des normes établies, une sélection de figures et d’idées « éligibles », un cadre préconstruit qui se présente comme naturel. Noam Chomsky et Edward Herman, dans La Fabrication du Consentement (1988), vont plus loin, soulignant que ce cadre répond avant tout aux intérêts économiques dominants. Les médias, disent-ils, fabriquent un « consentement » qui ressemble davantage à une adhésion imposée qu’à un choix véritable, offrant aux citoyens une liberté illusoire où le filtrage des options précède même la réflexion individuelle.

Les crises climatiques, sanitaires ou économiques contribuent également à restreindre cet espace de débat, créant un sentiment d’urgence qui justifie des prises de décisions accélérées. Dans cette précipitation, les électeurs se voient offrir des solutions immédiates qui servent à redorer les images politiques plus qu’à créer des avancées durables. Cette dynamique accentue la dépendance des citoyens envers des figures populistes qui capitalisent sur une angoisse dont elles sont souvent les instigatrices, renforçant ainsi l’illusion d’un choix dans le même temps où se resserre l’éventail de possibilités.

Réponse populaire : s’élever au-delà des contraintes

Là où la démocratie représentative porte en elle le paradoxe d’une liberté qu’elle entend garantir mais limite, il revient au citoyen de répondre à cet idéal de liberté sans en trahir l’essence. La véritable puissance d’agir consiste à comprendre les contraintes qui pèsent sur nos vies pour mieux les surmonter, et elle exprime ainsi sa beauté par son potentiel libérateur : en apprenant où se situent les frontières de notre liberté, nous nous donnons les moyens de les étendre. La connaissance des forces qui nous déterminent n’est pas une abdication, mais au contraire, une affirmation.

Ainsi, je crois que s’éprendre de la liberté et de la démocratie nous incombe de ne jamais cesser de lutter pour la connaissance et pour l’évaluation perpétuelle des institutions au sein desquelles s’exerce notre liberté. N’oublions pas ce qu’Aldous Huxley, mentor de Georges Orwell, nous enseignait à ce sujet dans Le Meilleur des Mondes (1932) : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »

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Naviguer sur l’océan Indien depuis McGill https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/naviguer-sur-locean-indien-depuis-mcgill/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56197 Redécouverte de la place de l’environnement dans l’Histoire.

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C’est en préparant le départ pour mon échange universitaire en Australie que j’ai découvert le cours Histoire du monde de l’Océan Indien à McGill (HIST206). Ce cours offre une autre façon d’étudier l’Histoire, en explorant les interactions entre les humains et le monde naturel au fil du temps, et en mettant en lumière les facteurs environnementaux qui ont façonné nos sociétés. Élaborée par Fernand Braudel, la théorie exposée dans le cours avance que les histoires et les cultures des régions sont largement déterminées par leurs environnements géographiques et climatiques. Braudel, né en 1902 en France, a enseigné en Algérie et noté que cette région, influencée par l’environnement méditerranéen, diffère profondément de la France. Cela l’a amené à élaborer une théorie, en collaboration avec l’École des Annales, soulignant l’importance des facteurs géographiques dans l’évolution des sociétés et des civilisations. Cette théorie admet comme prémisse que des événements significatifs pour l’humanité, tel que les famines et les migrations, peuvent avoir pour origine des facteurs environnementaux. Un autre exemple serait les changements climatiques comme des variations de températures causées par les éruptions volcaniques. Ainsi, il est véritablement surprenant de constater que ce concept, qui semble évident, est peu connu de la majorité des étudiants.


Histoire environnementale

La façon de naviguer à travers l’océan Indien dans ce cours remet au centre l’interconnexion indubitable entre notre histoire et environnement. Depuis les débuts de l’humanité, les écosystèmes ont connu des transformations qui ont influencé l’évolution des sociétés. Prendre en compte l’environnement est crucial pour obtenir une vue d’ensemble de notre histoire. Gwyn Campbell est un pionnier dans ce domaine, en tant qu’auteur de nombreuses études complètes et détaillées sur les droits humains, l’Histoire et l’économie en Asie et en Afrique. Né à Madagascar et élevé au pays de Galles, le professeur Campbell possède des diplômes en histoire économique des universités de Birmingham et du pays de Galles. Il a enseigné en Inde (avec le Service Volontaire Outre-mer) ainsi que dans des universités à Madagascar, en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, en Belgique et en France. De plus, il a été consultant académique pour le gouvernement sud-africain lors d’une série de réunions intergouvernementales qui ont conduit à la création d’une association régionale de l’océan Indien en 1997. Durant les premières années de sa carrière universitaire, le professeur Campbell s’est spécialisé dans l’histoire de Madagascar, où la population parle le malgache, une langue austronésienne originaire de l’Indonésie. Les Malgaches présentent des gènes à la fois africains et austronésiens, ce qui suppose des échanges séculaires anciens à travers l’océan Indien. Cette découverte l’a incité à explorer l’histoire globale des riverains de l’océan Indien, en se concentrant sur l’histoire économique et environnementale de la région. Ce projet, initié lors de son séjour en Afrique du Sud et en France, s’est concrétisé grâce à la Chaire de recherche financée par l’Université McGill, où il enseigne aujourd’hui.

« La façon de naviguer le monde de l’océan Indien dans ce cours remet au centre l’interconnexion entre notre histoire et notre environnement »

L’océan Indien à McGill

Le professeur Campbell est le directeur-fondateur de l’Indian Ocean World Centre (IOWC, Centre du monde de l’océan Indien, tdlr) à McGill. Fondé en 2007, le Centre a formé de nombreux étudiants devenus professeurs dans d’autres établissements. Il a pour mission de promouvoir l’étude de l’histoire, de l’économie et des cultures des terres et des peuples de l’océan Indien, qui s’étend entre le Moyen-Orient, l’Asie du sud-est et le sud de l’Afrique. Il a accueilli des chercheurs et professeurs invités du monde entier, et organisé des colloques sur des sujets tels que l’esclavage, les maladies, la monnaie et les échanges d’animaux dans cette région. « Dans trois ans, nous célébrerons le 20e anniversaire du Centre. Depuis sa création, il a su se distinguer comme le meilleur au monde pour les études sur l’océan Indien », affirme-t-il. Le Centre publie une revue universitaire : le Journal of Indian Ocean World Studies (JIOWS, Journal des études de l’Océan Indien), en collaboration avec la Presse universitaire Johns Hopkins. « [Le journal JIOWS, ndlr] publie des articles originaux évalués par des pairs et rédigés par des chercheurs établis et émergents dans les sciences sociales, les sciences humaines et les disciplines connexes qui contribuent à une compréhension du monde de l’océan Indien et de ses éléments constitutifs depuis les premiers temps. » Il ajoute que le journal a pour but de réexaminer les paradigmes spatiaux, temporels et thématiques eurocentrés qui ont dominé les perceptions académiques des régions et des sociétés non-européennes, que la plupart considèrent comme les principaux éléments déclencheurs de l’histoire. En effet, les travaux du journal contribuent à la compréhension du monde de l’océan Indien et de ses composantes, des temps anciens à aujourd’hui, selon les interactions humains-environnement.


Partager l’océan

En 2019, l’IOWF lance un balado éponyme intitulé « Indian Ocean World Podcast » (Le balado du monde de l’océan Indien, tdlr). Ce projet s’inscrit dans le partenariat actuel avec le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) nommé « Évaluation des risques », qui implique des partenaires et collaborateurs internationaux d’Amérique du Nord, d’Europe, d’Afrique, d’Asie et d’Australasie. Le Dr. Campbell affirme que la plupart des intervenants présentent des exposés sur divers aspects de l’histoire environnementale de l’océan Indien, abordant des sujets tels que les relations entre l’homme et l’animal aujourd’hui, les maladies et les voyages océaniques, la science météorologique coloniale du 19e siècle, ainsi que le patrimoine environnemental actuel et les perceptions du passé. « Ils utilisent également les méthodes des Systèmes d’Information Géographique (SIG) dans la gestion des catastrophes », soutient le professeur Campbell. Le Centre a publié un total de 53 épisodes, la plupart diffusés durant les semestres d’automne et d’hiver sur les plateformes de diffusions en ligne et sur le site Internet du centre.

L’influence et la reconnaissance internationale du Centre ont ainsi permis au professeur Campbell de proposer une nouvelle initiative : la Speaker Series. Cette série de conférences permet au centre de transmettre les connaissances de ses chercheurs. « Nous invitons des conférenciers de toutes disciplines et possédant un large éventail d’expériences : anglophones et francophones ; des universitaires et des étudiants établis ; et sur des sujets qui couvrent toutes les régions du monde de l’océan Indien, de l’Afrique de l’Est à la Chine, et sur des sujets divers », ajoute-t-il. Les intervenants de la Speaker Series présentent des versions préliminaires de leurs travaux afin d’obtenir des commentaires constructifs d’un public dynamique. Le professeur Campbell souligne: « Ce sont des discussions savantes, mais dans un environnement amical et solidaire ». Tel que l’indique le site Internet du IOWC, les conférences se tiennent généralement le mercredi après-midi à 15 heures dans le hall Peterson 116. Le programme complet est disponible sur le site du Centre pour tout le monde, dont les novices au sujet, curieux d’en apprendre sur l’océan Indien.

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Les trois solitudes https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/les-trois-solitudes/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56220 Colonisé et colonisateur: le Québec ne célèbre pas la Journée de la Vérité et de la Réconciliation.

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Depuis trois ans déjà, le Canada célèbre la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Il s’agit d’une initiative du gouvernement fédéral adoptée par les provinces, qui vise à honorer et commémorer les survivants des pensionnats autochtones, ainsi que les victimes des autres atrocités de la colonisation. Pour ceux et celles qui l’ignoreraient, c’est dans un contexte politique tendu que la journée dédiée aux peuples autochtones est apparue. Dès le début des années 2010, les différentes communautés autochtones des quatre coins du pays se sont rassemblées pour demander des actions concrètes à Ottawa. Cette mobilisation a mené à la publication des recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2019. Cette commission avait pour mission de mettre en lumière les nombreux abus qui sévissaient dans les réserves autochtones, et ce, spécialement auprès des femmes. Elle se devait aussi de dénoncer l’aveuglement populaire, qui se présente souvent sous la forme d’un réflexe persistant à vouloir tout cacher sous le tapis et faire comme si la réalité troublante dans les réserves autochtones n’était que pure imagination. Pendant quelques années, Ottawa semblait résister à la pression, fermement déterminée à ignorer la triste réalité des peuples autochtones. Le coup de grâce frappa en 2021 avec la macabre découverte de lieux de sépulture non-marqués près d’anciens pensionnats, signe incontestable que de jeunes autochtones avaient été assassinés et maltraités dans ces lieux dits « destinés à leur éducation ». La découverte avait engendré un véritable scandale, ouvrant les yeux du public sur les abus que les autochtones dénonçaient depuis déjà plusieurs années. Ottawa a ainsi dû se résigner à les écouter et a changé son fusil d’épaule.

« Après tout, les nations les plus fortes sont celles qui ne craignent pas de mettre un genou à terre et d’avouer leurs faiblesses »

Alors, le matin du 30 septembre dernier, alors que je naviguais comme à mon habitude sur les réseaux sociaux, la majorité des publications qui apparaissaient sur mon fil d’actualité étaient naturellement liées aux commémorations. On pouvait notamment y voir le premier ministre Justin Trudeau, la gouverneure générale Mary Simon (elle-même autochtone) et divers chefs autochtones parler d’une seule et même voix. Dans leur discours, une profonde tristesse, une résilience et même une certaine confusion étaient palpables, comme si des années plus tard, on ne comprenait toujours pas pourquoi ni comment on s’était rendu jusque-là collectivement.

Comment nous, le Canada, la nation championne des droits de l’Homme, avait-elle pu se rendre non seulement complice d’atrocités, mais aussi instigatrice de telles horreurs ? Et j’ose affirmer ici que c’est exactement le but de ces journées commémoratives que l’impératif de se poser des questions sur notre passé et sur notre identité nationale. Parfois, comme nation, ce n’est pas toujours agréable de se regarder dans le miroir : on risque de ne pas aimer ce que l’on voit, on risque d’être déçue, mais parfois, c’est plus que nécessaire. Après tout, les nations les plus fortes sont celles qui ne craignent pas de mettre un genou à terre et d’avouer leurs faiblesses.

Alors que je continuais à faire défiler les publications sur X, j’ai aussi vu d’autres politiciens souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, des politiciens provinciaux québécois cette fois-ci. Puis, alors que je les écoutais parler, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de bizarre dans leurs discours, quelque chose qui sonnait différemment en comparaison avec leurs homologues fédéraux. Leur analyse de la situation des peuples autochtones semblait teintée par un certain malaise, comme s’ils parlaient à demi-mot, qu’ils n’étaient pas prêts à prendre position sur la question, et qu’il y avait une sorte de déconnexion entre ce qu’ils avançaient et la réalité. Bien que cela m’ait semblé étrange à première vue, le constat y était : au Québec, on aborde différemment notre passé complexe avec les peuples autochtones. J’ai alors creusé la question.

« Pour eux, il est donc dur d’admettre ou seulement de concevoir que le Québec ait pu être responsable de l’anéantissement d’un autre peuple, car une nation ne peut être à la fois victime et bourreau »

La conclusion à laquelle je suis parvenu réside dans le nationalisme identitaire québécois qui s’est construit au cours des années. Les nationalistes d’ici ont de la difficulté à admettre que le Québec a été complice des atrocités commises à l’égard des autochtones, parce que ça ne suit pas le narratif qu’ils se sont construits. Après tout, l’histoire du Québec et des francophones partout au Canada demeure une histoire de résistance. Après avoir été assujettis par la couronne britannique, des lois injustes ont été mises en place contre l’intérêt des francophones afin de tenter de les assimiler. Pour eux, il est donc dur d’admettre ou seulement de concevoir que le Québec ait pu être responsable de l’anéantissement d’un autre peuple, car une nation ne peut être à la fois victime et bourreau. Comment un peuple conquis pourrait-il en conquérir un autre? Ailleurs dans le pays, cette admission n’est pas aussi compliquée parce que les citoyens ne perçoivent pas leur province comme ayant été contrôlée, ou encore malmenée par l’occupation coloniale. Dans l’esprit des gens, il n’existe donc pas cette dualité entre agresseur et agressé. Donc, lorsque l’on dit que le Québec a aussi pris part au génocide contre les peuples autochtones, la pilule est, pour plusieurs, plus difficile à avaler.

Même dans la couverture médiatique d’ici, la Journée fût soulignée différemment. Malheureusement, des nationalistes comme Sophie Durocher ou Rémi Villemure sont tombés dans le panneau du déni. Récemment, les deux personnalités ont mené une chronique à la radio, où ils remettaient en doute le simple fait que des autochtones aient été tués dans les pensionnats. Ils attribuaient la présence de tombes non marquées près des pensionnats à de simples maladies au lieu d’un système bien implanté de meurtres et d’abus d’enfants.

Bien que les francophones aient souffert comme les autochtones de la présence britannique, la différence fondamentale entre les deux peuples demeure que les francophones, contrairement aux autochtones, ont pu se construire une entité étatique, et s’assurer de la reconnaissance de leurs droits. Ils ont bénéficié d’une représentation politique et de pouvoirs constitutionnels. Ce ne fut jamais le cas des autochtones. Remettre en question le passé colonial du Québec ne nous fera pas avancer collectivement. Douter n’effacera pas les blessures du passé. Pointer du doigt ne nous réconciliera pas. Si l’on souhaite vraiment atteindre la réconciliation avec les peuples autochtones, nous nous devons d’être honnêtes vis-à-vis de qui nous sommes et envers le peuple que nous avons été. Comme je l’ai déjà dit, la vérité n’est pas agréable à entendre, mais c’est la seule manière d’avancer. Oui, le Québec et les francophones en général ont été victimisés par le régime britannique qui parfois nous aura maltraités. Non, le Québec n’est pas immunisé contre les abus parce qu’il fut lui aussi abusé.

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Ôde à la créativité en milieu académique https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/ode-a-la-creativite-en-milieu-academique/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56107 Rencontre avec le Building 21, incubateur d’idées créatives.

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Parfois nos idées nous paraissent « trop ». Trop grandes. Trop abstraites. Trop étranges. Elles ne rentrent pas dans les normes universitaires. Et face aux défis qui nous attendent, nous devons justement apprendre à nous défaire de ces cadres. Alors, en 2017, le professeur Ollivier Dyens a mis en place une initiative : il codirige avec Anita Palmar le Building 21. Cette organisation extérieure à McGill offre un cadre à tous ces étudiants désireux de s’impliquer dans la communauté et prêts à partager un projet personnel qu’ils souhaiteraient pouvoir réaliser. Son but? Donner aux étudiants les clés pour sortir des sentiers battus, de manière à « enrichir notre parcours intellectuel », comme le souligne le codirecteur. Ce dernier m’a en effet confié s’être penché sur les questions suivantes : l’université est-elle assez créative pour le siècle qui nous attend? Pour ceux encore à venir? L’éducation permettra-t-elle d’obtenir des outils de résolution efficaces face aux problèmes qui nous attendent? Sa réponse fut sans appel : non.

Des idées inspirées par Google et MIT

Ollivier Dyens s’est inspiré de deux modèles américains. D’une part, Google X, un laboratoire créatif de la multinationale, qui concrétise des idées ambitieuses et invraisemblables en projets technologiques réalisables. D’autre part, Building Twenty-One, au Massachussets Institute of Technology (MIT), fait office d’incubateur d’idées dont est sorti pas moins de neuf prix Nobel. Ainsi, Ollivier Dyens a fondé le Building 21, situé au 651 Sherbrooke Ouest, un bâtiment souvent méconnu de la communauté étudiante, qui offre pourtant des ressources créatives, de partage et d’imagination collective. Ce bâtiment à la porte verte accueille de nouveau les étudiants, après avoir été momentanément fermé lors des vacances d’été.

« Cette organisation extérieure à McGill offre un cadre à tous ces étudiants désireux de s’impliquer dans la communauté et prêts à partager un projet personnel qu’ils souhaiteraient pouvoir réaliser »

Pluridisciplinarité et humilité

Le Building 21 accueille cette semaine sa première lighting session : un cercle de discussion au cours duquel chacun des étudiants présents parle de son projet ; on peut penser par exemple au projet de Rebecah Kaplun et de sa recherche sur ce qu’est la sagesse. Ils conversent pendant deux heures sur leurs idées, leurs doutes et leurs réussites. Ils partagent leur point de vue sur les projets des autres et reçoivent des pistes de réflexion sur le leur, qu’il soit artistique, axé sur la science, la sociologie, la phénoménologie ou encore pluridisciplinaire. Deux étudiants ont par exemple centré leur recherche sur la formule mathématique du sublime.

Le professeur Dyens explique que nous sommes façonnés par notre éducation, on pense comme on a été formé à « penser ». Il peut nous arriver de manquer d’opportunités nouvelles d’exploration, comme les études académiques peuvent porter les étudiants à une réflexion scientifique uniforme. Le Building 21 aspire à ne pas laisser les étudiants manquer de pistes jusqu’alors inexplorées et invisibles. Ainsi, outre les lighting sessions, le Building 21 propose de nombreux ateliers tel que le catlab, mêlant poterie et art numérique. Selon le codirecteur, la pluridisciplinarité et le partage enseignent l’humilité. En effet, les étudiants sont constamment en contact avec des personnes aux compétences et connaissances variées. De ce fait, il y existe toujours quelqu’un « plus » informé qu’eux, de plus compétent concernant un domaine particulier. L’humilité se trouve alors dans l’acte d’avouer que l’on est ignorant sur tel ou tel sujet, d’oser demander, d’oser se tromper.

Building 21 s’axe également sur « l’exploration libre des idées », notamment à travers un atelier qui se tient ce lundi 30 octobre intitulé : « discussion sur des sujets inhabituels ». Chaque idée mérite d’être réfléchie, chaque question mérite d’être posée et débattue. Par exemple : la sirène est-elle un mammifère ou un poisson? Malgré l’apparente étrangeté de cette question, elle nous amène à réfléchir quant à notre perception du monde et la façon dont nous le catégorisons.

« Les étudiants partagent leur point de vue sur les projets des autres et reçoivent des pistes de réflexion sur le leur, qu’il soit artistique, axé sur la science, la sociologie, la phénoménologie ou pluridisciplinaire »

Ancrer son imaginaire dans des rencontres

Le Building 21 offre des moments de rencontres avec des invités de tous les horizons, dont la politique, avec notamment une rencontre avec le délégué général du Québec, qui y a expliqué comment faire son entrée en diplomatie. Un des seuls résultats escomptés au Building 21 est un changement d’état d’esprit, de façon de penser. Dans ce lieu où les notes et l’obligation de fournir des résultats concrets et tangibles sont abolies, la seule attente véritable est l’apprentissage : l’apprentissage de soi-même, d’autrui, du monde qui nous entoure et du monde tel qu’il pourrait être.

Collectifs étudiants : collaboration et engagement

Des collectifs étudiants sont également présents au Building 21 et tendent à s’y impliquer davantage. C’est notamment le cas de la Collation, le collectif de poésie francophone de McGill. Il est important de souligner que les membres des collectifs étudiants doivent s’impliquer dans la communauté du Building 21. C’est-à-dire participer à des lighting sessions une fois par semaine, entre autres. Un exemple de collaboration créative réalisée au Building 21 a été la traduction musicale et numérique d’un poème écrit dans le cadre d’un atelier de la Collation. Comme me l’indique André, coordinateur de la Collation, le Building 21 permet d’appuyer les collectifs à qui l’Université offre moins de soutien, en leur offrant de nouvelles opportunités, ainsi que la création d’un véritable réseau.

Bourses et soutien

Afin d’encourager les étudiants, le Building 21 a mis en place en 2018 la bourse BLUE (Beautiful Limitless Unconstrained Exploration, Belle Exploration Illimitée et Sans contraintes, tdlr). À hauteur de 3 000 dollars canadiens, elle est accordée aux étudiants montrant un fort engagement dans la communauté afin qu’ils puissent aller jusqu’au bout de leur processus de réflexion et de réalisation de leur projet sans contraintes financières. Cette dernière est ouverte à tous les étudiants membres du Building 21, peu importe leur nationalité.

Un objectif d’expansion du projet

Les codirecteurs du Building 21 partagent des objectifs d’expansion, sans compromettre l’échelle humaine de la communauté. Ils souhaitent ainsi en préserver l’essence : l’attention personnelle qui est intimement liée au nombre restreint d’étudiants. L’idée est de multiplier le principe du Building 21 dans le monde, en conservant ses valeurs tout en l’adaptant aux conditions et aux préoccupations locales, et prévoir par la suite des mises en relation entre les diverses institutions. Des échanges entre universités sont également envisagés, notamment avec l’Université Catholique de Lille, avec qui le codirecteur est actuellement en contact. Chaque pays apporte en effet sa façon de percevoir le monde. En créant des échanges entre des instituts créatifs, c’est une collectivité qui se mettra en marche vers des solutions aux enjeux politiques, sociaux, économiques ou encore écologiques. L’objectif du Building 21 est de permettre aux étudiants de partager leurs connaissances, d’apprendre d’autres cultures. De ce fait, en rencontrant, en débattant, en acceptant l’inconnu, ils n’affrontent pas l’incertitude de l’avenir mais seront capables de le créer.

Un appel à la créativité

Cette semaine, des ateliers et événements ouverts à tous invitent chacun à découvrir ce « laboratoire inversé », qualifié de « home away from home » (second chez-soi, tdlr) par le Professeur Dyens. Si cela vous intéresse, passez la porte verte, laissez vos souliers à l’entrée et trouvez votre place dans cet espace d’innovation.

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Mademoiselle, s’il-vous-plaît! https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/mademoiselle-sil-vous-plait/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56112 La réalité éreintante du service de restauration à Montréal.

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Débit ou crédit? La machine tendue vers le·la client·e, l’écran propose 10, 15 ou 20% de pourboire en fonction du service. Ancré dans la culture nord-américaine, la valeur du service rendu est explicitement attribuée à un chiffre, qui viendra s’additionner à celui de la nourriture. À Montréal, l’un des emplois étudiants les mieux payés est celui de serveur·se : selon les chiffres de l’Association Restauration Québec (ARQ), le salaire horaire moyen d’un·e serveur·se est de 38,63$ – un dollar de plus que celui des TAs (Teaching Assistant ou auxiliaires d’enseignement, tdlr) de McGill. Bien que ce soit une option de revenus alléchante pour une population étudiante qui a besoin de payer ses courses, son loyer et ses sorties, la pression dans le milieu de la restauration ne vaut parfois pas parfois la quantité de dollars sur la paie. Pour tenter de comprendre leur réalité qui est invisible aux yeux du·de la consommateur·rice, Le Délit s’est entretenu avec six serveur·se·s étudiant·e·s.

Des relations humaines malsaines

Dans un milieu de travail qui mélange toutes les générations et toutes les expériences de vie, les comportements abusifs sont fréquents : les serveur·se·s interrogé·e·s mentionnent avoir vécu des expériences comme des « tapes aux fesses », des frôlements aux hanches, et se sont même vu·e·s offrir de l’alcool par un gérant à la fin d’un quart de travail. Angelo, ancien serveur dans un bar proche de McGill, remarque qu’ « à McGill, les gens qui nous entourent sont “woke”, on a l’impression que ces comportements n’existent pas. Pourtant, dans ce milieu-là, il y a encore de l’homophobie et des comportements déplacés en masse ». Rania, qui travaille dans un restaurant au quartier chinois, précise que les comportements déplacés viennent aussi des client·e·s : « On est souvent confronté à des clients qui flirtent avec nous et souvent on ne sait pas comment réagir ». L’intensité des demandes des client·e·s et des gérant·e·s rend les relations humaines sur le lieu de travail toxiques. Marie, qui a servi dans un restaurant étoilé et un bar à cocktails à Montréal, se souvient que son travail était teinté d’un rapport malsain avec ses gérants : « Je respecte énormément les gens qui font ça toute leur vie, mais je ne pourrai pas. Entre micromanagement (microgestion) et sexisme constant, tu reçois des remarques sur ton physique et sur tes relations privées. Mes collègues hommes me prenaient pour leur assistante et me parlaient très mal lors du service. Il n’y a pas de bureau d’éthique ou de ressources humaines en restauration, ce genre de comportement est banalisé. Si tu oses te plaindre, t’es ingrate, t’es faible. » Rania a vécu une expérience similaire : « Il y a beaucoup de drames et de manigances avec les managers [qui ont l’âge de Rania, ndlr] et les gérants. Les managers parlent dans le dos des employés et les gérants essayent de faire en sorte que l’on se batte pour nos shifts (quarts de travail). » Charlotte, étudiante à McGill et ancienne serveuse dans deux bars du boulevard Saint-Laurent, relève aussi les relations très hiérarchisées dont elle a souffert : « Je trouve qu’il y a, en tout cas dans mon expérience, beaucoup de gossip (potins). C’était malsain à long terme. La hiérarchie entre managers et employés rendait aussi le travail instable – ils ont le pouvoir de me renvoyer d’un jour à l’autre ».

« Il n’y a pas de bureau d’éthique ou de ressources humaines en restauration »

- Marie, serveuse en restaurant étoilé

Un rythme éreintant

Au-delà des relations épuisantes avec le·la client·e et avec les gérant·e·s, la réalité du métier de serveur·se est teinté de conditions de travail épuisantes. Bien que le code canadien du travail stipule que tout·e employé·e a droit à une pause non rémunérée d’au moins 30 minutes pour chaque période de cinq heures consécutives de travail, cette règle n’est souvent pas respectée en restauration. En effet, les client·e·s arrivent en continu à l’heure des repas, rendant le travail particulièrement physique. « En restauration tu n’as pas de pauses, sauf quand tu fais un double shift », remarque Ylan, serveuse dans un restaurant aux nombreuses tables sur la Rive-Sud de Montréal. « Même si tu as une pause dîner à deux heures, on peut te demander d’aider les serveurs sur le plancher à cause de l’achalandage, et tu n’auras donc pas le temps de prendre une bouchée avant quatre heures. En plus du manque de temps pour manger, c’est un travail physique : il faut apporter des gros plateaux qui peuvent être très lourds, et, surtout, on est constamment debout en train de courir partout. » Eva, étudiante serveuse pendant l’été, ajoute à ça la difficulté de se concentrer pendant une longue période : « Il faut avoir le sourire et ne pas perdre sa concentration pendant tellement de temps. Il faut vraiment avoir un bon cardio. »

Pas des machines

Les petits pots sur les comptoirs de service où l’on dépose des « pourboires » sont à l’origine disposés pour que les gens pressés puissent recevoir un service plus rapide. Aujourd’hui, le pourboire est rendu presque obligatoire pour un service de table, et tous les client·e·s se sentent prioritaires et pressé·e·s. Marie et Charlotte soulignent que, dans le service à la clientèle, la patience et l’humanité peuvent se perdre : le·la client·e a tendance à oublier que le service de leur nourriture est assuré par des humains, des étudiant·e·s qui ont une vie en dehors de leur lieu de travail : « Les clients ont du mal à comprendre qu’on peut aussi avoir une mauvaise journée, recevoir une mauvaise nouvelle, que l’on est fatiguée après huit heures sur nos pieds et que si l’on ne sourit pas ou que l’on regarde mal ça n’a rien à voir avec lui. » Selon Rania, reconnaître l’humanité de celles et ceux qui nous servent peut se traduire dans des gestes concrets : « J’aimerais que l’on sache qu’on apprécie toujours les clients qui empilent les couverts et les assiettes, et qui déplacent les plats quand on en apporte un nouveau. Ceux qui ne nous regardent pas galérer sans broncher. »

Une consommation d’alcool systématique

Il est aujourd’hui amusant de s’imaginer que le pourboire eut été un temps offert aux serveur·se·s pour leur permettre de se payer un verre à boire. Aujourd’hui, la consommation d’alcool est non seulement accessible pour les serveur·se·s, mais elle est également encouragée. Charlotte, qui a travaillé dans deux bars sur le Boulevard Saint-Laurent et le Plateau Mont-Royal, soulève que la consommation d’alcool est normalisée au travail, autant par les client·e·s que par l’équipe. « Dans le premier bar où j’ai travaillé, les clients me payaient énormément de boissons et c’est dur de dire non à quelqu’un que tu sers, parce que c’est cette personne qui va te tip (donner un pourboire). Au deuxième bar, l’équipe avait la tradition de taper sur une certaine lampe et on prenait tous un shot ensemble – et ce, plusieurs fois par soir. Ça dépendait du bartender (serveur de bar), quand il voulait. Si toute l’équipe prend un shot comme ça en tapant la lampe devant tout le monde dans le bar, toi aussi, tu es incité à en prendre un. À la fin de la soirée, l’équipe entière est alcoolisée. Certain·e·s consomment même du cannabis et d’autres drogues. »

Outre ces vices qui peuvent accompagner l’emploi dans le monde nocturne, la pression est telle dans le milieu de la restauration que certain·e·s serveur·se·s peuvent être incité·e·s à prendre des drogues pour tenter de maintenir un rythme pendant le service. D’après nos sources, la réouverture des restaurants à la suite de la pandémie de COVID-19 a été particulièrement achalandée. Le stress généré par une demande exponentielle et des équipes en sous-effectif a amené certain·e·s à devenir dépendant·e·s, au détriment de leur santé.

Devenir plus humain

Avoir un emploi étudiant a le bienfait de comprendre l’autre côté du tablier, et développer de l’empathie dans toutes les sphères du service à la clientèle. Marie remarque qu’elle arrive à mieux comprendre la personne qui la sert : « Tu te rends compte à quel point la plus simple gentillesse est hyper importante. Bonjour, merci, un compliment, bonne journée, bon courage, un sourire. Toutes ces choses là, si simples à faire, permettent de rendre le travail du serveur un peu plus simple et agréable. Être patient et comprendre que l’on ne sait pas ce qu’il se passe dans la vie des autres ». Rania, elle, s’assure de « toujours empiler les plats avant de partir », et Ylan offre un plus grand pourboire.

Montréal est une ville vibrante qui regorge de restaurateur·rice·s et d’expériences gustatives, et le message unanime de leurs employé·e·s est d’ouvrir les yeux sur la réalité de celui ou celle qui sert!

Le Délit se dégage de toute incitation à consommer Alcool et Drogues.

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Garder tout et pour toujours https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/garder-tout-et-pour-toujours/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56125 Le hoarding chez les étudiant·e·s universitaires.

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La semaine dernière, ma mère m’a forcée à faire un grand ménage de mon placard, me poussant à trier les vêtements que j’ai accumulés depuis déjà plusieurs années, mais dont j’avais refusé de me départir. J’ai fait trois piles : les « je garde absolument, je ne pourrais jamais les donner », les « bof, je sais pas trop », et les « ça, personne, pas même la personne la moins stylée sur Terre, ne voudrait le mettre ». Après quelques heures de tri, j’ai fini par constater que la vaste majorité de mes vêtements se retrouvaient inévitablement dans la pile « à garder » , et que la pile de dons demeurait obstinément assez modeste. Je me suis alors demandée si je n’étais pas, comme ma grande-tante l’avait été avant moi, une hoarder (syllogomaniaque).

« Ces objets, bien qu’ils aient pu avoir une place chère à notre cœur, évoquent aujourd’hui une signification émotionnelle disproportionnée, et les abandonner devient alors bien plus difficile que prévu »

Selon le dictionnaire Cambridge, un·e hoarder est « une personne qui souffre d’un trouble mental les menant à vouloir conserver un grand nombre d’objets qui ne sont pas nécessaires ou qui n’ont pas de valeur (tdlr) ». Traditionnellement associé aux personnes âgées, le terme hoarder est généralement péjoratif et sous-entend une tendance à l’excès, une dégénération, souvent caractérisée par une perte de contrôle totale de ses moyens face à l’accumulation impressionnante d’objets. Or, ce tri de ma garde-robe m’a fait comprendre que le hoarding n’est pas un phénomène réservé aux personnes âgées. Bien que ce soit à une échelle différente dans mon cas, j’en étais victime. Je crois d’ailleurs qu’il est beaucoup plus répandu chez les jeunes adultes qu’on ne le pense, en particulier chez celles et ceux de notre âge. Nous accumulons aussi, mais notre hoarding revêt une forme différente de celui qu’on associe aux personnes âgées vivant recluses avec pour seule compagnie leur panoplie d’objets inutiles. À notre niveau, ce sont souvent des objets de moindre valeur matérielle, auxquels on accorde toutefois une grande valeur émotionnelle. Pour moi, ce sont ces vêtements que je ne porte jamais, mais dont je n’arrive pas à me départir, parce que je les associe à des souvenirs ou à des moments marquants de ma vie, alors que pour d’autres, ce pourrait être la robe portée à leur graduation, le fameux t‑shirt Frosh, ou ce collier offert par un·e ex-partenaire. Ces objets, bien qu’ils aient pu avoir une place chère à notre cœur, évoquent aujourd’hui une signification émotionnelle disproportionnée, et les abandonner devient alors bien plus difficile que prévu.

Le hoarding émotionnel chez les jeunes adultes

Le hoarding chez les jeunes adultes, en particulier chez les étudiant·e·s, peut être alimenté par plusieurs facteurs, notamment le stress, la peur du changement, ou encore le désir d’occuper un espace qui leur est propre. L’université représente souvent un moment de transition, qui implique de nombreux départs, changements de vie et expériences qui forgent l’identité. Ainsi, les objets personnels, que ce soit des bibelots ou des vêtements, peuvent devenir des ancres, des repères émotionnels dans un monde en constante évolution. L’attachement à ces objets est souvent un moyen de préserver un lien avec des moments passés ou des relations anciennes.

Cette accumulation n’est pas forcément considérée comme problématique tant qu’elle ne dépasse pas des proportions excessives. On pourrait dire que beaucoup de jeunes adultes sont des « hoarders en devenir » : leur collection d’objets émotionnels augmentant discrètement avec le temps. Dans mon cas, c’est la quantité de vêtements que je possédais qui avait atteint une ampleur démesurée, et il a fallu que ma mère m’accule au pied du mur pour que je prenne conscience de l’état de mon placard.

Les applications de revente

Heureusement, l’ère numérique nous donne accès à des plateformes comme Depop, Vinted, ou Facebook Marketplace qui permettent à la fois de vendre et d’acheter des articles de seconde main. Mais, ces plateformes offrent-elles un soulagement pour les hoarders, leur permettant de se départir de leurs biens, ou sont-elles plutôt des outils faciliant leurs tendances pernicieuses? Ces applications offrent une nouvelle perspective sur le processus de désencombrement : plutôt que de jeter ou donner, on peut vendre ses biens, leur permettant ainsi de circuler et d’avoir une seconde vie chez autrui, qui saura, on l’espère, les apprécier à leur juste valeur.

Cependant, ces plateformes ne permettent pas seulement de désencombrer ses placards, mais aussi de les renflouer. En effet, elles favorisent l’achat à bas prix, ce qui introduit une dynamique hautement contradictoire. Bien qu’elles offrent un moyen pratique de se débarrasser de vêtements, elles facilitent aussi l’accumulation en rendant l’achat de nouveaux articles presque aussi – voire plus – simple que la vente. Beaucoup de jeunes comme moi, en particulier dans un contexte universitaire où l’on doit jongler avec un budget serré, se voient tenté·e·s d’acheter à moindre coût. Cela crée un cycle où les placards se vident d’un côté, mais se remplissent de l’autre, sans qu’on ait réellement réduit la quantité d’objets possédés. Dans certains cas, se débarrasser de certains objets offre même le prétexte idéal pour racheter, menant à une accumulation perpétuelle.

« L’université représente souvent un moment de transition, qui implique de nombreux départs, changements de vie et expériences qui forgent l’identité. Ainsi, les objets personnels, que ce soit des bibelots ou des vêtements, peuvent devenir des ancres, des repères émotionnels dans un monde en constante évolution »

Ainsi, ces plateformes se situent à la croisée des chemins : elles peuvent être vues comme des outils pour réduire l’encombrement et la consommation excessive, mais elles peuvent tout aussi bien alimenter de nouvelles formes d’accumulation. À mon avis, la population universitaire est malheureusement victime de la facilité d’utilisation et des prix alléchants que ces plateformes offrent. Cela souligne à quel point le rapport aux objets dans la vingtaine est complexe : la tentation d’acheter reste toujours présente, même au milieu d’une démarche de désencombrement.

En somme, le hoarding dans la vingtaine est un phénomène souvent ignoré, mais, comme j’en témoigne, bien réel, particulièrement dans le milieu universitaire. Bien qu’il soit généralement perçu comme un problème affectant les personnes plus âgées, il est aussi important de souligner sa place chez les jeunes adultes. Les plateformes de revente comme Depop et Vinted offrent des solutions modernes à ce dilemme, permettant aux jeunes adultes de désencombrer sans se heurter à la difficulté émotionnelle de se débarrasser de leurs objets précieux. Dans ce processus de lâcher-prise souvent difficile à affronter, il est important de se rappeler que même si l’on peut ressentir un certain vide dans l’instant, les objets que l’on abandonne trouveront une nouvelle vie entre les mains d’un·e prochain·e, qui saura tout autant les apprécier.

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Souffler : quand l’espoir renaît enfin https://www.delitfrancais.com/2024/09/25/souffler-quand-lespoir-renait-enfin/ Wed, 25 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55951 Trump, Biden et Harris nous en auront fait voir de toutes les couleurs.

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En matière de politique américaine, les consensus se sont fait rares au cours des deux dernières décennies. En effet, depuis le début des années 2000, la société américaine s’est fortement polarisée. De plus, n’importe qui s’intéressant un tant soit peu à ce qui se passe chez nos voisins du sud vous dira que cet été a été long, rempli de surprises et de rebondissements. Cette période aura certainement été insoutenable pour nos pauvres nerfs. En quatre mois seulement, on a été témoin des spéculations entourant Biden et de son pénible déclin, qui a culminé lors de sa désastreuse prestation au débat présidentiel. On a aussi connu deux tentatives d’assassinat contre Trump et l’avènement de la messe républicaine qui voyait déjà son candidat à la Maison-Blanche. Dans le camp démocrate, c’est l’abandon à a course présidentielle de Biden, la formation de l’unité démocrate autour de Kamala Harris et enfin l’espoir qui s’est établi lors de la convention démocrate. Bref, on en a vu beaucoup. Beaucoup à analyser, beaucoup à traiter, beaucoup à démystifier.

Une année électorale rocambolesque

Comme on le dit trop souvent, nous vivons des moments historiques sans précédent. Jamais auparavant un président en fonction n’avait décidé de se désister si tard dans le processus électoral. Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter son parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée.

Comme beaucoup, toutes ces nouvelles variables inconnues dans l’équation des présidentielles américaines m’ont fait peur. J’ai passé plus d’heures que j’aimerais admettre sur X à regarder les sondages, à analyser les mille et unes façon dont Harris pourrait atteindre le chiffre magique de 270 grands électeurs (le nombre requis pour gagner la présidence) le 5 novembre prochain et à écouter les rallyes des deux candidats. Pour moi, toute bribe d’information, tous les détails étaient importants et devaient être analysés. Ils me permettaient de prendre le pouls du peuple américain, de voir dans quelle direction on s’en allait. Pourtant, quand j’y pense, c’est futile. Je ne suis pas Américain. Je ne pourrai pas voter. Je ne pourrai pas faire de dons à la campagne démocrate.

Comme beaucoup des lecteurs du Délit, la seule chose que je puisse faire, c’est prendre une grande inspiration et attendre. Attendre. Par contre, la seule idée de revoir Trump à la tête de l’appareil américain me rend malade et je ne peux m’y résoudre. Et là, quelque chose de concret est arrivé ; le débat du 10 septembre. On y a découvert une nouvelle dynamique, une nouvelle candidate; bref, une toute nouvelle campagne. On rebrasse les cartes et on recommence à zéro.

« Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter les couleurs du parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée »

Un débat réconfortant

J’ai écouté le débat avec mes deux meilleures amies à la soirée organisée par Democrats at McGill. J’avais le cœur serré et j’étais dans l’appréhension la plus totale. Un verre à la main, puis deux, pour calmer mon esprit, j’ai tout regardé. Le laid comme le plus beau. Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable.

Bon, bon, bon… Je vous vois venir, me dire que je suis un maudit vendu, que je dirais n’importe quoi qui est dans le meilleur intérêt de Harris…Et moi je vous répondrais que ce que j’affirme ici, je tente de le dire au-delà de mon biais définitivement pro-démocrate. Je le dis parce que je tente de me mettre dans la peau d’un républicain et tout ce que je vois, c’est que Trump est mal paru. Ce n’est un secret pour personne, nous avons des attentes différentes pour les deux candidats. Pour Harris, on s’attend à ce qu’elle soit forte, qu’elle soit préparée, qu’elle soit intelligente, mais pas trop (elle ne doit pas faire comme Hillary Clinton), qu’elle soit souriante et qu’elle articule ses idées autour de projets rassembleurs pour faire avancer la démocratie américaine. Pour Trump, on veut qu’il soit un homme fort, on veut qu’il dise des petites folleries qui nous feront rire, qu’il dénonce le statu quo, qu’il nous fasse sortir du « vieux » modèle politique.

« Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable »

Donc, quand on y pense, toute la pression était sur les épaules de la vice-présidente. Elle qui est moins connue que son adversaire devait prouver beaucoup plus à l’électorat que Trump. Dans cet esprit, on comprend que Harris a réussi à faire ce qu’elle avait à faire : elle est arrivée sur la scène en possession de ses moyens, lumineuse, ferme et préparée. Trump, lui, paraissait vieux, aigri et faible. Mais surtout, il n’a pas offert un spectacle drôle et original comme sa base en attendait de lui. Non, il était simplement ennuyeux et revanchard. Je pourrais vous dire toutes les choses folles qu’il s’est permis de dire, mais je m’y refuse. Je refuse de faire le messager, de continuer à lui donner de l’attention. Tout ce que je veux retenir de ce débat c’est que j’ai soufflé. Pas pour longtemps, juste un petit souffle ; mais tout de même un souffle de soulagement, d’encouragement pour ce qu’il y à venir.

En somme, le 5 novembre demeure encore loin aujourd’hui. Beaucoup de choses risquent de se passer d’ici là. Comme cet été nous l’aura appris, rien ne peut être tenu pour acquis. Si Harris veut gagner les clés de la Maison Blanche, elle devra travailler fort, elle devra bûcher, aller là où les démocrates ne sont pas allés depuis longtemps, visiter les sept états pivots (Caroline du Nord, Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Géorgie, Arizona et le Névada), montrer sa vision et serrer le plus de mains possible pour former la plus grande coalition possible. Trump, lui, s’il veut gagner, il devrait se taire un peu et se concentrer sur les faiblesses démocrates comme la frontière sud et l’économie chancelante, héritage de Biden, mais je crains pour lui que ce ne soit pas dans sa nature. Bien que je ne connaisse pas l’issue du 5 novembre, je me permets d’être résilient et quelque peu optimiste pour les chances de Kamala Harris. Elle n’est ni parfaite, ni ma politicienne favorite, mais elle n’est pas Donald Trump. Pour moi, c’est tout ce qui me faut. Juste assez pour souffler.

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Horizon 2035, un tri à la fois https://www.delitfrancais.com/2024/09/25/horizon-2035-un-tri-a-la-fois/ Wed, 25 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55964 Enquête sur les réussites et freins sur la route du zéro déchet à McGill.

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Dans les 70 bâtiments fréquentés par plus de 40 000 étudiant·e·s et employé·e·s, les poubelles se remplissent au même rythme que les têtes « forgées par McGill » : des emballages de nourriture, de café, des papiers, des maquettes d’architecture, des chaises cassées ou encore des matières de laboratoire. « Qui n’a pas retrouvé une tasse de café dans les trois poubelles de tri?! », ironise le Dr Grant Clark, professeur du cours de Gestion des détritus organiques au campus Macdonald. Selon un sondage mené par le Bureau de développement durable de McGill et communiqué au Délit par sa directrice, seulement 33% des étudiant·e·s sont au courant des objectifs du projet Zéro Déchet 2035 et de neutralité carbone 2040 de l’Université. Ce pourcentage n’est pas totalement alarmant, mais les objectifs sont ambitieux et les erreurs de tri et le manque de bennes de compost dans les bâtiments y sont des freins. Continuer la mise en place de mesures infrastructurelles sans éduquer les cerveaux qui devront les utiliser ne permettra pas d’atteindre ces objectifs. À l’échelle d’une communauté diversifiée regroupant étudiant·e·s et employé·e·s, tant locaux·les qu’étranger·ère·s, faire avancer tout le monde d’un même geste peut s’avérer être un casse-tête.


En s’entretenant avec la directrice du Bureau de Durabilité de McGill, Shona Watt, le professeur de sciences environnementales, Dr Grant Clark, ainsi que la conseillère d’orientation du Département de géographie, Michelle Maillet, Le Délit tente de démystifier les freins aux pratiques de recyclage à McGill.

« Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent dans les décharges et deviennent une source importante de méthane »

Dr. Grant Clark, professeur en Gestion des déchets organiques à McGill

Le compost comme angle d’attaque pour le zéro déchet

Contrairement à ce que suggère son nom, le zéro déchet ne signifie pas que l’on ne pourra plus rien jeter à McGill. La certification internationale du zéro déchet est attribuée aux entreprises et communautés qui réacheminent 90% de leurs déchets hors des décharges et des incinérateurs – en éduquant la population et en offrant des solutions de recyclage et de compost. L’enfouissement des déchets ou leur combustion étant une source importante de méthane, un gaz à effet de serre 30 fois plus polluant que le dioxyde de carbone, ce but s’inscrit dans l’objectif de McGill d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040.

Le Dr Grant Clark explique l’importance du compost pour réduire la quantité de déchets dans les décharges et l’impact de leurs émissions. « Lorsqu’ils sont acheminés dans les décharges, comme celle de Terrebonne pour l’agglomération de Montréal, les déchets sont entassés en montagne que l’on recouvre d’argile. Les déchets organiques, qui représentent 40% des déchets résiduels, se décomposent sous l’argile et deviennent une source importante de méthane. Pour diminuer son émission, ils doivent être séparés du reste des déchets et traités en contact avec l’oxygène (tdlr). » Le méthane étant un gaz à effet de serre que la plupart des gouvernements, dont celui du Canada, visent à réduire, le compost est une alternative privilégiée qui est graduellement mise en place par d’autres institutions et municipalités du pays. Le Dr Clark explique les enjeux liés au mélange des déchets organiques et généraux : « Nous avons besoin d’une séparation claire entre les flux de déchets organiques et autres déchets, car ils se contaminent l’un et l’autre lorsqu’ils sont en contact. Si des déchets généraux se retrouvent dans le bac de compost, celui-ci sera contaminé de déchets qui ne se décomposent pas, et, à l’échelle microscopique, pourra être contaminé de plastiques qui se retrouveront dans les sols fertilisés par le compost. Si les déchets généraux sont contaminés par des déchets organiques, ils produiront plus de méthane, comme expliqué plus tôt ».

« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi »


Shona Watt, Directrice du Bureau de développement durable à McGill


Pratiquer ce que l’on prêche

En 2024, McGill réachemine 45% de ses déchets hors des décharges, via son système de recyclage et de compost. L’installation de stations de triage dans plusieurs bâtiments et sites extérieurs du campus a été le mandat principal de sa stratégie de réduction et de réacheminement des matières résiduelles 2018 – 2025. Shona Watt, directrice associée au Bureau de la durabilité de McGill, informe des actions entreprises ces cinq dernières années : « Depuis 2018, nous avons installé plus de 715 stations de tri des déchets à flux multiples dans des emplacements centraux à travers 27 bâtiments universitaires majeurs. Depuis l’introduction du flux de compostage, la quantité de déchets organiques collectés est passée de 0% des déchets collectés en 2015 à 7% en 2022 ».

Cependant, l’installation de poubelles de tri prend du temps et certains bâtiments en sont encore dépourvus. Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie, déplore le manque de compost dans le pavillon Burnside, qui accueille pourtant des étudiant·e·s en programme de Développement durable, sciences et société. « On est une institution qui fait de la recherche de haut niveau sur ces enjeux-là, c’est frustrant de ne pas pouvoir pratiquer ce que l’on prêche. » Le Dr Grant Clark ajoute que face à une poubelle à deux flux (général et recyclage, sans compost), il est préférable de jeter les ustensiles « compostables » dans le bac général, car ils ne sont pas faits de matériaux recyclables. « S’ils sont mis dans la poubelle de recyclage, ils seront simplement triés à nouveau, ou ils contamineront le matériau recyclable et diminueront sa qualité globale ou conduiront à son rejet ».

Michelle Maillet ne se sentirait pas légitime de promouvoir son programme en Développement durable, sciences et société sans participer à son échelle à une transition vers le zéro déchet. Faute de poubelles compost dans le pavillon Burnside, elle a elle même créé et imprimé des affiches pour renseigner sur les endroits où trouver les bennes de compost sur le campus.

Lors de l’événement d’orientation de son département, elle a dû également elle-même repasser derrière le tri des déchets mené par les étudiant·e·s. « On a été certifié événement durable par le bureau de développement durable de McGill, on m’a donné des bacs de compost, mais les déchets étaient mélangés dans chaque bac », raconte ‑t-elle. Cela soulève une autre problématique : celle du manque d’éducation et de renseignements immédiatement disponibles proche des flux de tri.

Enjeux d’une communauté étudiante diversifiée

« Encourager des milliers d’étudiant·e·s, de professeur·e·s et de membres du personnel très occupé·e·s à réduire et à trier de manière réfléchie leurs déchets quotidiens sur le campus est un véritable défi » confie Shona Watt. Le site de McGill offre une base de connaissance sur le gaspillage qui permet d’apprendre les pratiques de séparation des déchets, et de mettre à l’épreuve ses capacités avec un test. On peut facilement se rendre compte, par nos propres erreurs, qu’il y a encore un fossé dans les connaissances. « Personne ne va sur le site web de McGill chaque fois qu’il a besoin de jeter quelque chose à la poubelle » soulève Michelle Maillet. McGill offre pourtant de nombreuses ressources d’apprentissage et de renseignement sur ses pratiques de tri de déchets. Shona Watt mentionne le module étudiant de durabilité, un cours qui « inclut une étude de cas sur les déchets et une activité sur comment faire des choix réfléchis sur le rejet de ses déchets ». Ce module permet d’avoir des crédits extra-curriculum, qui peuvent être mis en avant sur le CV. Shona Watt mentionne également les ressources médiatiques mises en place par le Bureau de développement durable de McGill, dont l’application Ça va Où et le compte Instagram @sustainmcgill, qui publie dans ses stories à la une des conseils pour trier les différentes composantes des tasses de bubble tea, de café, de contenants de repas à emporter ou encore d’agrafes dans le papier.

« Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles »


Michelle Maillet, conseillère d’orientation du Département de géographie

Une communauté aussi diversifiée que celle de McGill peut également devenir un enjeu à la participation active de tous. « Les gens à McGill sont originaires de pleins d’endroits et de cultures dans le monde, et ne savent pas nécessairement comment trier à Montréal », rappelle Michelle Maillet. « Il y a beaucoup de monde à McGill : est-ce que tout le monde se soucie des enjeux du zéro déchet, ou plus largement, de la durabilité? » questionne le Dr Grant Clark. « L’éducation est une grande partie de la solution, et la mise en application de règles aussi. McGill devra dépenser beaucoup de temps et d’argent pour motiver l’ensemble de sa communauté, investir dans ses établissements et poser des instructions claires. » Le professeur mentionne un des problèmes qui peut survenir lorsqu’on essaye de changer les habitudes de vie d’une communauté aussi large : « Des villes ont déjà mis en place des amendes aux ménages qui ne respectent pas les tris de poubelles. Comment savoir à McGill qui a fait quoi? » Il mentionne aussi qu’il serait idéal mais bien futuriste de reposer sur une technologie qui ouvre les poubelles en fonction du déchet scanné.

Des solutions pour s’engager

Michelle Maillet rappelle que le Fonds des projets durables (FPD) est accessible et disponible pour que les étudiant·e·s entreprennent des projets pour le campus, là où ils sentent qu’il manque d’alignement avec les objectifs de durabilité. « Il y a des fonds qui sont disponibles pour faire bouger les choses, notamment le FPD qui pourrait financer des affiches plus claires au-dessus des poubelles. », dit-elle. Le Fonds des projets de durabilité est un des plus grands fonds de son genre au Canada, estimé à un million de dollars. Financé au moyen de 55 cents par crédit par étudiant·e, il a permis le développement du projet Zéro Déchet 2035 dans les salles à manger de résidences à hauteur de 100 000$, transformant leurs formules pour des buffets « à volonté » et le nouveau projet de 400 000$ de gestion des déchets de laboratoires. Le Dr Clark mentionne également qu’il est impératif d’uniformiser le type de matériaux des emballages distribués. « On devrait regarder en amont dans la chaîne de consommation et changer les produits utilisés. Si tous les contenants et ustensiles étaient compostables, il y aurait moins d’erreurs au moment du tri! » s’engoue-t-il.

Une enquête difficile à mener

Un des objectifs du plan d’action 2020–2025 de la neutralité carbone 2040 est de renseigner la communauté et son gouvernement sur les pratiques responsables. Cependant, l’Université manque parfois de transparence sur les problèmes liés au développement de ses stratégies. Lors de son enquête sur la réalisation des objectifs de chacune des unités responsables, Le Délit s’est fait redirigé à de nombreuses reprises. Le Département des bâtiments et terrains, responsable de la collecte des déchets, ainsi que le Service de logement étudiant et hôtellerie n’ont pas voulu se prononcer autrement que par le biais du Bureau du développement durable – et ce dernier a rassemblé des informations disponibles sur le site. Aucune réponse n’a été apportée à la question de comment les erreurs de contamination sont gérées par le Département des bâtiments et terrains.

L’Université est avant tout un espace où chacun·e peut trouver sa place pour essayer de construire son monde idéal, pour ensuite le traduire dans ses gestes du quotidien. Instaurer ces bonnes habitudes sur des jeunes adultes entraînera leur conscientisation pour la vie et « forgera » des acteurs qui dirigeront entreprises et municipalités. La mise en oeuvre de l’objectif zéro déchet peut être améliorée, notamment avec des affiches plus claires sur toutes les stations de poubelles et des modules obligatoires de test des connaissances sur le tri. Le Dr Clarke salue néanmoins les initiatives : « Bien qu’ils ne seront probablement pas respectés, les objectifs de 2035 ne sont pas inutiles. C’est important de se les fixer pour commencer quelque part ». Cela n’empêche pas l’Université de devoir montrer plus de transparence à sa communauté quant aux lacunes de ses avancements, et à la façon dont ses déchets sont triés au quotidien.

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Lettres à nos vrais amours https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/lettres-a-nos-vrais-amours/ Wed, 18 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55808 L’hégémonie du couple est largement dépassée.

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Cet été, lors d’un voyage à Paris, j’ai retrouvé mon amie Margaux, que je n’avais pas vue depuis un an, et nous avons discuté de nos amours et de nos amitiés. J’ai parlé de mes rencontres de la dernière année. Margaux m’a parlé de sa lecture du moment, Nos puissantes amitiés d’Alice Raybaud. Après un long échange sur les différentes formes que peut prendre l’amour, nous sommes arrivées à la conclusion que les amitiés – bien trop souvent considérées comme futiles ou secondaires – avaient fautivement été remplacées par le couple comme source principale d’amour au quotidien. Toutes deux, nous avons convenu que nous nous devions de refuser la sacralisation du couple, comme la société semble si souvent le faire, parce que nous percevons nos amitiés comme un véhicule unique d’amour qui se doit d’être revalorisé. Nous rêvons d’un monde où le couple est relégué au second plan et où les amitiés sont réimaginées et mises au centre de nos vies.

La place de l’amour dans nos vies

On s’entend tous·tes pour dire qu’être aimé·e est crucial au bon déroulement de nos vies. Quelqu’un·e qui se sent constamment seul·e, ou entouré·e de personnes ne lui accordant pas l’amour qu’il·elle requiert, se sentira vite déprimé·e, abandonné·e. Ceci dit, dans la vingtaine, on semble souvent associer couple et amour comme deux concepts intrinsèquement liés. Néanmoins, cette association omet les formes d’amour platonique, toutes aussi importantes que l’amour romantique. Pour beaucoup, l’amitié offre un réconfort comparable au couple – sinon supérieur – en procurant une connexion profonde et un soutien sans contraintes.

Pourtant, il est normalisé dans notre société de délaisser ces liens amicaux afin de privilégier son·sa partenaire, son travail ou ses enfants. Replacer nos amitiés au centre de nos vies requiert un effort conscient qui peut être difficile lorsqu’on navigue dans un emploi du temps chargé au début de la vingtaine. L’amitié, contrairement aux relations de couple qui peuvent parfois être marquées par la possession ou la dépendance, propose un amour dénué d’attentes exclusives. Elle permet une exploration plus vaste des sentiments, une découverte de soi et de l’autre, où chacun·e peut s’épanouir. C’est pourquoi, comme le note Raybaud dans Nos puissantes amitiés, les amitiés peuvent offrir un sentiment de liberté puissant, souvent initiateur d’émancipation. Ces relations, comme l’autrice le souligne, peuvent faire de l’amitié un outil de révolution, un espace de résistance.

Histoire du couple

Le couple, tel qu’il vit dans notre imaginaire collectif, est loin d’avoir toujours été fondé sur l’amour et le romantisme. Pendant des siècles et encore aujourd’hui selon les cultures, le mariage servait d’abord à consolider des alliances sociales et économiques, au détriment de satisfaire des désirs affectifs. C’est à partir du 20e siècle, avec l’émergence des idéaux bourgeois et la montée d’une société individualiste, que l’amour romantique a pris la place centrale qu’on lui connaît. Adulte, il n’est désormais plus commun de vivre avec nos parents et grands-parents sous le même toit. Alors, on met des attentes irréalistes sur le·la partenaire avec qui on vit, qui doit combiner à la fois le poids émotionnel d’une relation amoureuse, et le rôle de famille. Dès l’enfance, on nous inculque dans les contes de princesses qu’il nous faut trouver un prince charmant et qu’on devrait consacrer la majorité de notre temps à notre partenaire romantique. Aujourd’hui, notre société est organisée de manière couple-centrique, avec une monogamie largement privilégiée. Sur le plan fiscal, les avantages offerts aux couples mariés ou en union civile, comme les réductions d’impôts et les facilités pour l’acquisition de biens immobiliers, renforcent cette norme. La cohabitation avec son·sa partenaire est banalisée et surtout, moins chère à tous les niveaux. Cette incitation à former une famille, souvent réduite à une structure biologique et hétéronormative, marginalise les autres formes de relations.

L’idée que le couple doit être l’unique source d’épanouissement et d’accomplissement personnel est ainsi une construction récente, souvent liée à l’idéal de la famille nucléaire. En retraçant l’Histoire du couple, il devient évident que ce modèle n’a jamais été une réalité fixe mais bien une invention culturelle qui évolue avec le temps. Alors pourquoi ne pas imaginer de nouvelles formes d’organisations sociales, plus adaptées à notre vision de la vie?

« En fin de compte, l’idée n’est pas de rejeter le couple ou de nier son importance pour ceux et celles qui s’y épanouissent, mais de faire de la place à d’autres manières d’aimer et de vivre ensemble »

Remettre l’amitié au cœur de nos vies

Être et vivre en couple n’est pas un problème en tant que tel : le binôme conjugal convient à bon nombre de personnes. Ce que nous jugeons problématique, c’est qu’il s’agisse du seul horizon possible et acceptable pour exister dans l’ensemble du paysage social. L’« amatonormativité », théorisée par la philosophe Elizabeth Brake, décrédibilise et invisibilise toute autre relation d’affection et d’intimité, à commencer par l’amitié. Les personnes aromantiques ou asexuel·le·s, par exemple, sont les premier·ère·s à exprimer d’autres façons de donner et recevoir de l’amour. Sur TikTok, on voit apparaître des hashtags platonic life partnership (partenariat de vie platonique, tdlr) qui accompagnent des vidéos du quotidien d’ami·e·s qui collaborent financièrement et domestiquement, sans sentiment romantique ni attirance sexuelle.

Cette création de liens de communauté revient donc au cœur de la discussion, car nous avons tous·tes besoin de partage, de mise en commun et de solidarité pour se construire individuellement. Mais pourquoi chercher à construire ces relations exclusivement avec des partenaires romantiques, avec qui on a des relations sexuelles ou dont on est amoureux·se? Cette faible valorisation de l’amitié dans les projets de vie est paradoxale. Au quotidien, nous sommes tous·tes d’accord pour dire que les ami·e·s sont essentiel·le·s et que l’on nécessite leurs conseils, leur soutien, leur humour et amour. De même, un deuil amical est tout autant voire plus déchirant qu’un deuil amoureux.

Margaux Thomas | Le Délit

Une nouvelle hiérarchisation de nos relations s’impose. Les réflexions autour de la sororité commencent à grandir avec le féminisme. La vie en communauté attire et c’est grâce à l’influence de la communauté queer – trop souvent amenée à choisir sa famille – que nous avons vu les bienfaits de faire de ses ami·e·s et de sa famille choisie les pilliers de nos vies.

À notre échelle

Il est bien beau de prêcher l’amitié comme forme ultime d’amour, mais comment peut-on appliquer ces belles paroles à notre quotidien? Dans un monde où l’on nous pousse à prioriser carrière, couple et enfants, on peut choisir des modes de vie alternatifs, comme la colocation à un âge plus avancé ou l’éducation d’enfants en coparentalité amicale. Ces choix permettent une remise en question de l’idée que le couple doit être le pilier de toute organisation sociale, et permet de choisir les relations centrales à nos vies.

Cependant, ce sont les avantages institutionnels, légaux et financiers accordés aux couples qui rendent ces changements plus complexes. Acheter une maison ou bénéficier de réductions fiscales sont des privilèges souvent réservés aux couples, reléguant ce choix de mode de vie hors couple aux marges.

Une nouvelle manière de vivre

L’amitié, et toutes les autres formes de relations fraternelles·sororales, est, selon nous, un modèle de vie qui peut s’ajouter à la vie binomiale déjà largement acceptée. Dans l’habitation, la parentalité, la vieillesse, c’est le désir de prendre soin les uns des autres qui prime, et ce besoin de mutualité est loin d’être exclusif au cadre étroit du couple romantique. Ce que Margaux et moi avons envisagé au cours de notre discussion, c’est une nouvelle manière de vivre, où les amitiés ne seraient plus des compléments à nos quotidiens, mais des piliers fondamentaux de nos existences.

En fin de compte, l’idée n’est pas de rejeter le couple ou de nier son importance pour ceux et celles qui s’y épanouissent, mais de faire de la place à d’autres manières d’aimer et de vivre ensemble. D’ailleurs, Mona Chollet nous fait mettre en perspective notre épanouissement amoureux dans son ouvrage que nous vous conseillons, Réinventer l’amour. En réinventant nos relations et en remettant l’amitié au cœur de nos vies, nous ouvrons la voie à des formes de solidarité et d’amour plus inclusives, plus libres, et peut-être, finalement, plus justes.

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Comment poussent mes légumes? https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/comment-poussent-mes-legumes/ https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/comment-poussent-mes-legumes/#respond Wed, 18 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55851 Découverte d’une ferme biologique du Québec avec le WWOOFing.

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Le WWOOFing (World Wide Opportunities on Organic Farms, Opportunités Mondiale Sur Fermes Biologiquestdlr) est une plateforme de mise en relation de fermes biologiques avec des bénévoles dans 132 pays. Au Québec, en échange d’un couvert et d’un toit, les « WWOOFeurs » – nom donné aux utilisateurs du site – contribuent à diverses tâches dans des productions maraîchères, apicoles, d’élevage, ou de récolte de sirop d’érable. La plupart travaillent bénévolement dans les fermes pour découvrir les régions où elles sont établies. Il est également possible de faire du WWOOFing par curiosité d’en apprendre plus sur la culture biologique, pour comprendre la réalité des producteurs, ou pour couper avec le quotidien de la ville.

Le Délit est allé à la rencontre des propriétaires de la ferme des Jardins du Cheval blanc, situés à 50 minutes de Montréal, qui accueillent des bénévoles pour le temps d’une fin de semaine ou de plusieurs mois.

Donner et apprendre

Jean-François, qui a ouvert sa ferme biologique il y a quatre ans, raconte avoir pour projet de bâtir une entreprise éco-responsable, qui produirait de la nourriture de proximité pour la communauté du village de Saint-Antoine-de-Richelieu. Il a commencé à utiliser la plateforme de WWOOF par nécessité de main‑d’œuvre : « On en accueillait entre un et quatre [bénévoles, ndlr]. On s’est finalement plu à rencontrer des gens, à recevoir du monde, à avoir de l’aide, à partager, à échanger. C’est devenu à la fois le moteur des ressources humaines de la ferme et une façon d’offrir un lieu d’apprentissage pour les gens, de donner au suivant. » L’une des bénévoles, Amélia, étudiante à McGill au baccalauréat, s’y est rendue deux jours de fin de semaine au mois de septembre. Elle a offert de son temps à l’entretien de la ferme et à la récolte des légumes de saison. « J’ai eu envie de travailler ici parce que j’entreprends quelque chose de concret, qui fait changement des cours universitaires. J’aimerais bien avoir mon propre potager un jour, et c’est important de savoir comment mettre les mains dans la terre de la bonne façon, et comment faire pousser ses légumes dans un écosystème qui a du sens! »

Amélia Oudinot

Découvrir la réalité d’un projet agricole

Faire du WWOOFing, c’est avant tout être curieux de la façon dont on produit nos fruits et légumes. « Je veux comprendre d’où vient la nourriture que l’on consomme et le travail nécessaire à sa production », explique Amélia. Les échanges lors des repas permettent aux bénévoles de comprendre la gestion d’une ferme. Le rêve de Jean-François est de trouver des fermiers motivés pour former une coopérative : « Il y aurait des gens qui s’occupent des animaux, des gens qui s’occupent des céréales, puis de la transformation des céréales. Nous, on s’occuperait des légumes et on aimerait avoir des arbres fruitiers. On aimerait que ça devienne une espèce d’écosystème avec un étang, des lacs, en suivant un modèle d’agriculture régénératrice. » Ce type de modèle agricole consiste à produire soi-même de quoi fertiliser et semer sa terre : le fumier, aujourd’hui acheté à l’élevage intensif, et l’engrais vert et semences, achetés à des fermes qui ne produisent que ça.

Jean-François évoque un problème auquel font face de nombreux petits agriculteurs : la différence de prix entre le moment où il a établi son plan d’affaires, il y a cinq ans, et le prix actuel des terres. « La location de nos terres, des équipements et les semences ont doublé de prix alors que le prix des légumes a augmenté seulement de 25% ou 30%. C’est en train de ne plus devenir rentable de faire pousser des légumes bio sur des petites surfaces. Il y a énormément de fermes sur notre modèle qui ferment ou qui sont menacées de fermeture en ce moment, dont certaines qui existaient depuis longtemps. » Il mentionne que la seule façon d’être rentable est d’accroître sa production, ou simplement d’en réduire la taille, pour que sa famille soit autosuffisante. « En ce moment, 50 paniers à notre kiosque du marché de Saint-Hilaire, ce n’est pas rentable. Il faut augmenter la production pour pouvoir être rentable parce qu’il y a des frais fixes auxquels on ne peut pas échapper », déplore-t-il.

« Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C’est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi » 

Julie, associée à la ferme Les Jardins du Cheval Blanc

Des valeurs en commun

L’aventure du WWOOFing a motivé Julie, immigrée de France, à s’engager dans la ferme en tant qu’associée. « Dès que je suis arrivée, je me suis sentie vraiment à ma place. C’est incroyable de se dire que là, j’ai préparé la terre, j’ai planté les semences, elles ont poussé, je les ai arrosées, je les ai plantées dans le sol, j’ai préparé les planches et elles deviennent des légumes. » Julie avait déjà eu une expérience de WWOOFing en France, proche de chez elle, avec un couple qui avait le projet de rebâtir une maison en ruine. « Pour moi, c’est vraiment une expérience humaine. C’est rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que toi. » Arrivée depuis mars au Québec, elle a choisi de s’associer à cette ferme, car elle partage la vision de Jean-François : « J’aime l’idée de pouvoir nourrir son monde. Jean-François décide de rester à Saint-Antoine, parce qu’il a envie de nourrir Saint-Antoine. »

Amélia Oudinot

L’image du colibri

Julie continue de travailler à la ferme avant tout parce que c’est un travail gratifiant, non seulement dans le suivi des pousses de ses plants, mais aussi dans le contact humain au marché. « Je suis très adepte de l’image du colibri. Chaque petite action est nécessaire et une toute petite action peut avoir une grande conséquence. C’est une petite ferme, et c’est un travail énorme de faire pousser des légumes. Mais tu l’offres à des gens, tu leur donnes à manger, ils vont souper avec mes légumes le soir, tu leur donnes des idées de recettes. C’est un contact intime avec les gens, de les nourrir et d’y mettre du sien. C’est beaucoup de travail, mais pour la bonne cause. » Julie aime accueillir des « WWOOFeurs » à la ferme, parce qu’elle aime leur enseigner : « Je trouve que c’est vraiment important de savoir pourquoi tu fais les choses. Ce n’est pas simplement: « Je te donne une tâche de désherbage à faire. C’est “je t’explique pourquoi c’est important de désherber cette culture-là et qu’est-ce que ça va faire après.” » Elle ne sépare pas sa journée de travail du reste : pour elle, c’est un tout, un quotidien qu’ils partagent ensemble, dans le champ la journée, et en chantant le soir.

Hugo, présent en même temps qu’Amélia, est étudiant en horticulture. Il apprécie l’impact qu’il peut avoir en tant que main‑d’œuvre extérieure au projet. « J’adore que chacun apporte une aide précieuse à la ferme, et que la plupart des propriétaires soient à l’écoute de nos idées. Parfois cela peut se développer en projet ou plan pour plus tard. »

Bien que les valeurs puissent être communes à la plupart des utilisateurs de la plateforme, c’est la diversité des expériences possibles dans les fermes du Québec ainsi que leur proximité à de grandes villes comme Montréal qui fait leur richesse. Travailler chez un producteur de sa région permet de comprendre ce qui pousse au gré de nos saisons et les enjeux auxquels font face ceux qui remplissent nos assiettes.

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Le luxe de se déconnecter https://www.delitfrancais.com/2024/09/11/le-luxe-de-se-deconnecter/ Wed, 11 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55687 La tendance du minimalisme digital.

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Dès le début de l’été, ma petite sœur a pris la décision de supprimer tous ses réseaux sociaux, ne conservant que les applications essentielles pour écouter de la musique et passer des appels. Sans exagération, j’ai rapidement remarqué un changement dans son comportement : elle est devenue plus calme, plus attentive, et surtout, plus concentrée. En constatant cette nouvelle sérénité, j’ai tout de suite eu envie d’imiter sa démarche de désintoxication digitale, et je n’ai pas été la seule.

Présentement, sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui expriment le désir d’abandonner leurs téléphones. Une véritable fatigue des technologies se fait sentir chez les adolescents et les jeunes adultes. En effet, selon le département américain de la Santé et des Services humains, les jeunes qui passent plus de trois heures par jour sur les réseaux sociaux sont plus susceptibles de présenter des symptômes de dépression et d’anxiété. Beaucoup deviennent également plus sensibles aux questions de confidentialité, soupçonnant Internet d’être un outil de surveillance pour les marques, les gouvernements et les escrocs ; plutôt qu’un espace pour explorer des centres d’intérêts et de services. Ce mouvement vers une sobriété digitale se traduit par une diminution de l’utilisation des réseaux sociaux ou, dans des cas plus extrêmes, par un abandon complet du téléphone. Sammy Palazzolo, une créatrice de contenu sur TikTok âgée de 18 ans, explique qu’elle et ses amies ont opté pour des téléphones à clapet lorsqu’elles sortent, afin de profiter pleinement de leur soirée et éviter d’être absorbées par leurs téléphones. D’autres choisissent même de laisser leur téléphone de côté tous les jours, tentant de naviguer dans notre société hyper-connectée uniquement avec un téléphone à clapet. Récemment, Mattel a même lancé son propre téléphone, le Barbie Flip Phone, qui offre les fonctions essentielles d’appel, de messagerie et quelques jeux. Cette tendance séduit beaucoup de gens à travers sa promesse de libération et de bien-être.

« L’utilisation d’Internet est une action qui est désormais indissociable de la vie courante ; qu’elle soit professionnelle ou personnelle »

Une promesse coûteuse

Cette déconnexion est appréciée non seulement par les jeunes, mais aussi par les parents. Bien que les études de l’impact des technologies sur les performances académiques soient variées et parfois contradictoires, nombreux sont les parents qui préfèrent que leurs enfants limitent leur utilisation d’Internet. L’école Waldorf School of the Peninsula, située dans la Silicon Valley, incarne cette philosophie éducative qui privilégie une déconnexion complète des technologies.

Dans ces établissements, l’utilisation limitée des ordinateurs est justifiée par la volonté de favoriser les interactions humaines, le mouvement physique et la concentration. Selon l’administration, une exposition excessive aux écrans pourrait entraver ces aspects essentiels du développement des enfants. Cette approche, quoique séduisante pour de nombreux parents soucieux de la sur-utilisation des technologies, est loin d’être accessible à tout le monde. Les parents qui choisissent cette école sont souvent bien informés et financièrement aisés pour naviguer dans les complexités de l’éducation sans l’aide immédiate des technologies. En effet, les frais de scolarité dans l’école Waldorf de la Silicon Valley peuvent atteindre jusqu’à 24 400 USD par an pour le secondaire, un montant significatif qui limite l’accès à ces institutions uniquement aux familles avec des moyens financiers importants. Ces parents, qui peuvent se permettre d’investir dans une éducation sans technologie, ont souvent la capacité de fournir un soutien éducatif technologique à domicile lorsque le moment est venu.

Cependant, la question de l’efficacité de cette méthode reste complexe. Bien que les diplômés de l’école Waldorf de la Silicon Valley aient tendance à entrer dans des universités prestigieuses, il est difficile de déterminer si ce succès est directement lié à la faible utilisation de la technologie ou à d’autres facteurs, comme le milieu socio-économique des familles. Une étude du Journal of Youth and Adolescence suggère que ce ne sont pas les technologies en elles-mêmes qui nuisent aux performances académiques, mais plutôt des routines déséquilibrées qui peuvent influencer les développements sociaux et scolaires. Ainsi, l’accent mis par l’école Waldorf sur une éducation sans technologie, bien qu’appréciée par certains parents, n’est pas une solution universelle. Il reflète une philosophie qui, tout en ayant ses avantages, est également étroitement liée à des contextes socio-économiques spécifiques qui permettent à ces familles de faire ce choix.

Toujours 4,4 milliards sans Internet

L’accès à Internet est devenu indispensable dans notre monde contemporain, et ceux qui choisissent de se déconnecter le font souvent d’une position de privilège, car tous n’ont pas ce luxe. Il est crucial de noter que, bien que des individus comme ma sœur, Sammy ou les élèves de l’école Waldorf puissent se permettre une déconnexion partielle tout en conservant un accès à Internet et à des appareils électroniques si nécessaire ; une réalité très différente émerge pour les 4,4 milliards de personnes qui ne sont toujours pas connectées dans le monde. La plupart des familles à faibles ou moyens revenus disposent d’une forme de connexion Internet, mais beaucoup sont sous-connectées, se limitant à un accès mobile et une connexion instable. Le coût reste la principale raison pour laquelle certaines familles n’ont pas d’ordinateur à domicile ou d’accès Internet fixe. Pour les jeunes issus de ces familles, cette déconnexion forcée a des conséquences significatives. Par exemple, pendant la pandémie, de nombreux élèves ont pris du retard en raison du manque de ressources pour suivre le passage de l’éducation aux plateformes en ligne. L’utilisation d’Internet est une action qui est désormais indissociable de la vie courante ; qu’elle soit professionnelle ou personnelle.

Finalement, ma sœur utilise toujours son téléphone. Sammy et ses amies utilisent leurs téléphones pour se préparer avant de sortir. Les élèves de Waldorf auront éventuellement accès à un ordinateur et un téléphone portable. Ainsi, bien que la déconnexion partielle puisse offrir des avantages, il est essentiel de se rappeler qu’elle n’implique pas un abandon total d’Internet. L’accès aux services essentiels tels que l’éducation, la santé et les services bancaires se fait désormais largement en ligne. L’accès à Internet est donc devenu vital dans nos quotidiens et les défis rencontrés par ceux qui en sont privés soulignent l’importance de cette connexion dans notre société moderne. Ce mouvement vers la déconnexion met donc en lumière une inégalité persistante : une majorité de personnes a encore du mal à accéder à ce service essentiel qui semble être une nuisance envahissante pour d’autres.

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