Archives des Société - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/societe/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 26 Feb 2025 04:11:33 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.2 L’abandon des travailleurs étrangers temporaires https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/labandon-des-travailleurs-etrangers-temporaires/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57590 Précariser pour mieux s’en laver les mains.

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L e ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale a annoncé le 23 janvier dernier qu’à compter du 1er février 2025, les travailleurs étrangers temporaires n’auraient plus accès aux services publics d’aide à l’emploi. Cette décision s’inscrit dans une vague plus importante de mesures restrictives sur l’immigration – on peut notamment penser aux mesures visant les étudiants étrangers annoncées en 2024 – qui cherchent visiblement à limiter l’afflux de résidents non permanents au Québec. Cette politique soulève de véritables questions sur la justice et la logique derrière les politiques d’immigration de la Coalition Avenir Québec (CAQ), qui continue de reléguer au second plan la population immigrante québécoise.

Contre-intuitive et injuste

Il semble absurde de refuser des services d’aide à l’emploi à des personnes dont le statut est défini par leur capacité à travailler. L’existence même des travailleurs étrangers temporaires repose sur leur contribution à l’économie du Québec. Pourquoi leur retirer un soutien qui les aiderait à mieux intégrer le marché du travail? C’est une décision qui ne tient pas debout d’un point de vue économique ou social. Le gouvernement prétend favoriser l’emploi des résidents permanents et des citoyens, notant une hausse du taux de chômage au Québec. D’ailleurs, en ce qui concerne le taux de chômage au Québec, il se trouvait en janvier à 5,4%, demeurant largement inférieur au taux de chômage canadien de 6,6%. Il a même connu un recul depuis novembre dernier, alors qu’il atteignait les 5,9%.

Malgré tout, cette politique ne répond pas aux besoins réels du marché du travail. Au lieu d’encourager une intégration efficace des travailleurs temporaires, on leur complique l’accès à l’information et aux ressources essentielles. Les organismes mandatés d’offrir de l’aide en employabilité servent à faciliter l’intégration professionnelle des travailleurs temporaires en les outillant, en les informant sur les standards québécois et en les préparant au milieu de l’emploi spécifique au Québec. À mon avis, ce qui ressemble à une stratégie électoraliste populiste cache d’autres motifs : cette mesure se traduit plutôt par une précarisation forcée de travailleurs étrangers, ceux-ci représentant déjà une part vulnérable de la population.

Une stratégie d’usure calculée

Il ne faut pas voir cette décision comme un simple ajustement administratif, mais plutôt comme une tactique de fragilisation volontaire et consciente. La CAQ est connue pour ses mesures abusives, voire dérisoires quant à l’immigration : l’apprentissage du français en six mois ou une maîtrise préalable de la langue, restrictions accrues sur les domaines d’emploi prioritaires, et j’en passe.

Aujourd’hui, c’est l’exclusion des services publics d’aide à l’emploi pour les travailleurs temporaires. Demain, ce sera autre chose. Ces mesures ne font pas disparaître le besoin de main‑d’œuvre – le gouvernement estime qu’il y aura au-delà de 1,4 million de postes à combler d’ici 2030 – mais rendent le parcours plus difficile pour les étrangers souhaitant s’établir au Québec.

« Aux yeux de la CAQ, ils sont une population transitoire, au même titre que les étudiants étrangers, dont la pré- sence est tolérée tant qu’elle sert les intérêts économiques de la province, mais dont l’intégration durable n’est ni souhaitée ni encouragée »

J’irais même jusqu’à dire qu’on peut lire entre les lignes une volonté caquiste de pousser ces travailleurs à quitter la province, ou le pays, d’eux-mêmes. En rendant leur séjour au Québec plus complexe, la CAQ espère qu’ils repartiront plutôt que de s’accrocher à un système qui leur met constamment des bâtons dans les roues. Il s’agit d’un moyen de réduire la présence des travailleurs étrangers sans avoir à en interdire officiellement l’entrée. Aux yeux de la CAQ, ils sont une population transitoire, au même titre que les étudiants étrangers, dont la présence est tolérée tant qu’elle sert les intérêts économiques de la province, mais dont l’intégration durable n’est ni souhaitée ni encouragée.

Fragiliser l’économie québécoise

D’un point de vue purement pragmatique, cette décision me semble risquée pour l’économie québécoise. Je ne suis en rien économiste, mais, alors que la province fait face à une pénurie de main‑d’œuvre dans plusieurs secteurs, il me semble irrationnel de restreindre l’accès aux services qui facilitent l’employabilité des travailleurs déjà présents sur le territoire. Comment peut-on se permettre de renvoyer ces travailleurs alors que certains secteurs – pensons à l’agriculture, la santé, la restauration – dépendent grandement de la main‑d’œuvre immigrante? En rendant l’accès à l’emploi plus difficile pour ces travailleurs, la CAQ ne fait qu’aggraver la pénurie et met en péril des chaînes de production et de services essentielles. On s’attendrait plutôt à des mesures facilitant l’accès à l’emploi, pas l’inverse.

Une dérive politique plus large

Cette restriction s’inscrit dans un mouvement plus large de fermeture à l’immigration, au Québec et ailleurs. Le gouvernement Legault, souvent critiqué pour sa gestion de l’immigration, semble pourtant s’insérer dans une tendance mondiale de durcissement des frontières et de rejet des populations immigrantes. Dans un contexte où les crises économiques poussent plusieurs pays à resserrer leurs politiques migratoires, la montée de l’extrême droite et de la xénophobie alimente des mesures qui fragilisent les tissus sociaux et s’attaquent aux populations les plus vulnérables. Ces politiques ne règlent en rien les défis structurels du marché du travail, mais répondent plutôt à aux pressions populistes qui cherchent des boucs émissaires plutôt que de véritables solutions.

Dans un climat de compressions budgétaires, les premières victimes de ces politiques sont toujours les plus précaires. Les coupures dans le domaine de la santé, par exemple, affecteront d’abord de manière disproportionnée les personnes à risque ayant un accès limité aux soins. De la même manière, les restrictions sur l’emploi visent un groupe déjà marginalisé, renforçant leur isolement et leur vulnérabilité. Si on regarde à l’échelle mcgilloise, les compressions budgétaires de 45 millions annoncées le 7 février dernier par l’administration impacteront en premier les plus fragiles, les étudiants.

Ce qui se cache derrière ces mesures, c’est une vision de l’immigration comme un fardeau plutôt qu’une ressource. Pourtant, dans un Québec confronté à un vieillissement de la population et à un manque de travailleurs, les travailleurs temporaires, et plus largement, la population immigrante, sont plus que jamais essentiels. L’immigration au Québec est ce qui fait sa beauté, sa richesse, pas le contraire.

Main dans la main

Plutôt que d’imaginer des stratégies pour exclure les travailleurs étrangers temporaires, le gouvernement Legault ferait mieux de reconnaître leur rôle crucial dans le tissu économique et social du Québec. Cette politique est non seulement injuste, mais aussi contre-productive. Elle affaiblit la main‑d’œuvre locale, exacerbe les pénuries et véhicule un message de rejet aux immigrants qui pourraient autrement choisir de s’installer de façon permanente au Québec. Face à ces enjeux, il est essentiel de résister à ces discours d’exclusion et de rappeler que l’immigration n’est pas une menace, mais une force. Les travailleurs étrangers méritent mieux qu’un système qui les pousse vers la sortie au lieu de leur offrir des opportunités.

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Pour la prochaine fois… https://www.delitfrancais.com/2025/02/26/pour-la-prochaine-fois/ Wed, 26 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57658 Proposition pour la libération d’un Québec souverain.

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L’acharnement, si la cause est juste, on appelle ça de la persévérance. On dira peut-être que je m’acharne contre la servilité libérale et sa détestable propension à faire de la politique un risible culte de la personnalité. Pouvez-vous vraiment m’en vouloir? À peine débarrassés du fanatisme frénétique pro-Trudeau, les Québécois vont devoir subir une énième campagne de séduction importée cette fois-ci au provincial. Les dignitaires et attachés (pour ne pas dire ligotés) de presse du Parti libéral du Québec (PLQ) ont jeté leur dévolu sur Pablo Rodriguez – ancien ministre de l’Assimilation québécoise (plus formellement, du Patrimoine canadien) et ministre des Transports sous Trudeau. Moi, l’Honorable Pablo Rodriguez, je le trouve parfaitement correct, parfaitement libéral. Il est aussi parfaitement digne de s’incliner devant un Parti Québécois renaissant de ses cendres. Mais de là à déclencher la Pablomania, à faire de moi (ou quiconque de minimalement sagace) un Pablophile : il y a tout de même des limites!

L’insipide et artificielle partisanerie dont est affublée la politique québécoise paralyse toute possibilité pour le Québec de s’arracher à l’emprise de l’oppresseur fédéral par mesure référendaire. Chaque minuscule enjeu fait l’objet d’une décortication chirurgicale suivie d’une prise de position plus ou moins cohérente, contribuant à la polarisation toujours plus excessive de l’électorat québécois. En voulant faire des gains modérés au prix de pertes mineures, chacun des partis se crée une base militante toujours plus radicale et intolérante au message d’autrui. On veut nous voir voter pour la meilleure politique migratoire, économique, socio-développementale – secteurs essentiels, mais voués à une éphémérité dépendante des allégeances politiques du parti au pouvoir. La plateforme caquiste (CAQ) devient alors complètement incompatible avec les valeurs promulguées par le Parti québécois (PQ) ou Québec Solidaire (QS) – les Québécois reléguant l’idéal indépendantiste au rang d’enjeu secondaire, minable, inatteignable.

Aux charognards fédéralistes de se pourlécher devant la carcasse que devient le camp du OUI. La mort de l’identité québécoise passe par une incompréhension de ce qui la garde réellement en vie. Les trois partis dont la plateforme n’exige pas une soumission humiliante à un Canada néocolonial anglophone sont incapables de délaisser leurs différends idéologiques dans la poursuite de l’indépendance. Un Québec socialiste, dadaïste, anarchiste ou gaulliste : quelle importance s’il est placé sous le joug étouffant d’un Poilièvre ou d’un Carney – deux maudits « francophones » de téléprompteur! La valorisation du Québec comme une nation francophone et identitairement détachée du Canada est une partie intégrante (à des degrés variables) de l’idéologie de la CAQ, du PQ et de QS – comment orienter leurs électorats vers la souveraineté?

Dépolitiser l’indépendance

Ma hantise de la partisanerie factice m’amène à présenter une solution focalisée sur la simple formation d’un Québec par un parti dont c’est le seul objectif. Pas de plateforme compliquée et orchestrée par le désir du plus offrant : un message, une promesse de poursuite acharnée de l’indépendance. Un parti qui, si élu démocratiquement, prévoit le déclenchement d’un référendum – permettant à un éventuel Québec souverain de décider de ses propres fondations par la suite. Il ne faut pas s’imaginer qu’en gagnant son indépendance, le Québec perdrait l’immense richesse politique qui le compose, mais plutôt qu’il serait enfin maître de toutes les facettes de son existence. La protection de la langue, de la culture et de l’autodétermination ne peut se faire autrement que par un référendum, pouvant n’être gagné que par l’union idéologique des Québécois pour la survie de leur identité.

Les fédéralistes dotés d’une capacité pour la lecture insisteront sur le fait qu’une telle initiative est un gaspillage de temps, l’appui référendaire étant d’à peine 34% en date de février 2025. Si seulement ils savaient interpréter ce déclin, forcé par la politisation de l’enjeu de l’indépendance! Si le PQ est encore le meilleur vaisseau disponible pour la sauvegarde du Québec, il reste imparfait, étant donné son incapacité à faire de l’indépendance son unique objectif. Il gagne de précieux votes en se prononçant sur différents enjeux pour gagner une bataille, l’élection de 2026 : en agissant ainsi, est-il en train de perdre la guerre pour la souveraineté du Québec? De ce questionnement émane la pertinence de proposer une alliance nationaliste, souverainiste, indépendantiste (peu importe la désignation de notre libération) : le futur du Québec en dépend. Peu importe le nom qu’elle porte ou le poids idéologique qu’elle sous-tend, notre nation doit prioriser le rejet de l’opprobre fédéral et la création d’un pays francophone.

Le réel combat

Il pourrait m’être proposé qu’être un fédéraliste n’empêche pas d’aimer le Québec, de vouloir son bien par sa présence dans un Canada fort et uni. Quelle manifestation épouvantable du syndrome de Stockholm! Quelle idée insensée de suggérer que le Québec s’épanouit au sein de la Royal Colonial Administration : toutes les mesures prouvent le contraire! Son identité s’effrite, sa langue disparaît inexorablement et sa richesse est partagée avec des profiteurs canadiens qui ne professent leur amour pour le Québec que pendant les campagnes référendaires. Les adorateurs commandités du système fédéral assurent que l’unité est la seule manière de résister à des despotes comme Donald Trump, mais ils plient lâchement l’échine dès la première confrontation! Comment oser prétendre que le Canada ferait mieux que le Québec alors que sa gestion étouffante le détruit de l’intérieur?

Nous, Québécois et Québécoises, plions l’échine depuis 265 ans face au colonialisme, tantôt britannique, depuis canadien. Non pas par lâcheté, mais à cause de l’influence pernicieuse qu’ont exercée le Doric Club, le PLQ et leurs sous-fifres dans la répression des Québécois nés pour la libération de leur peuple. Il est primordial de le constater et de passer outre les divisions artificielles créées dans des efforts de gain en capital politique. Qu’on ne me dise pas que je soutiens un Québec gouverné de manière totalitaire, par une idéologie monolithique! Je veux simplement l’alliance de la multitude pour un objectif qui va permettre la survie de la nation, qui continuera de voir sa politique fluctuer d’un côté à l’autre du spectre politique. L’indépendance, ce n’est pas une idée de droite, de gauche, du centre : c’est une valeur fondamentale de l’existence humaine.

Ce que les Québécois doivent comprendre lorsqu’ils exercent leurs droits démocratiques, c’est que la survie du Québec qu’ils aiment dépend de son indépendance, de sa libération de l’assujettissement fédéral anglophone. La disparition de la culture et de l’identité nationale serait la pire catastrophe dont notre peuple pourrait être la victime : elle est déjà solidement enclenchée. Battons-nous pour l’indépendance, envers et contre tous les opposants fédéralistes qui veulent étouffer la volonté d’exister d’un peuple francophone! La prochaine fois approche… saurons-nous enfin nous unir?

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Le Français: un atout? https://www.delitfrancais.com/2025/02/20/le-francais-un-atout/ Thu, 20 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57531 Enquête sur l’accès à une correction paritaire bilingue à McGill.

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Le Québec peut se vanter d’être la seule province officiellement et véritablement francophone du Canada — muni de maintes lois et chartes visant à protéger l’intégrité de sa langue officielle. Le français est mis de l’avant comme un pilier de sa culture fondatrice, de ses institutions et de ses services : comment se porte-t-il réellement? En vérité, tous ces efforts législatifs semblent se buter à un inexorable déclin de l’utilisation du français comme langue principale au travail et dans les milieux académiques, tous groupes d’âges confondus. Cette détérioration de la langue nationale est sans doute attribuable à une pléthore de facteurs complexes que la présente enquête ne prétend pas identifier, préférant se concentrer sur des enjeux plus pertinents au quotidien des étudiants francophones mcgillois. L’Université McGill, microcosme anglophone au statut protégé, est tenue d’assurer la protection des droits de ses étudiants francophones de naissance, composant le cinquième de sa population inscrite, toutes facultés confondues. Elle redouble d’initiatives et de campagnes publicitaires, faisant la promotion d’activités valorisant la francophonie ou bien l’usage du français sur le campus — efforts louables dont Le Délit est un des principaux bénéficiaires.

Cette enquête passe outre les engagements parascolaires de l’Université et se penche davantage sur l’expérience académique concrète de ceux qui font le choix de remettre leurs travaux universitaires en français. Cette option, un droit acquis et protégé par la Charte de l’Université, est-elle réellement garantie? Les professeurs (et autres professionnels du milieu académique) engagés par McGill sont-ils réellement capables de fournir une correction paritaire, peu importe la langue utilisée par l’étudiant? La Faculté des arts — ses quelque 8 000 étudiants en faisant la plus fréquentée — est le point focal de cette enquête, choisie pour la diversité des disciplines qui y sont enseignées et pour l’importance de la rédaction dans la remise de travaux académiques. Le statut d’université de prestige qu’arbore fièrement l’Université McGill la rend particulièrement attrayante pour les étudiants internationaux, alors que plus de 150 pays sont représentés au sein de sa population étudiante. Cette diversité s’étend à son corps professoral, qui attire des académiciens des quatre coins du monde, permettant une richesse d’expertise inégalable bonifiant certainement l’enseignement offert. Malgré son statut bien défini d’institution unilingue, le recrutement de professionnels hors Québec expose la Faculté des arts à un dilemme quant à sa promesse de parité linguistique de correction.

Le corps professoral se prononce

Considérant la responsabilité de McGill quant à l’embauche d’employés capables d’assurer la correction (ou du moins une supervision de la correction) de travaux en français aussi qualitative qu’en anglais, quelles sont les attentes de l’institution quant au niveau linguistique initial de ses professeurs? Alain Farah, professeur agrégé du Département de littérature française, affirme que « le processus d’embauche n’exige pas du candidat de maîtriser le français — ni l’anglais! » Lui-même professeur de certains des rares cours pouvant exiger la soumission d’un travail dans une langue spécifique, il déclare ne pas se considérer suffisamment compétent en anglais pour corriger des travaux en cette langue à un niveau universitaire. C’est une chose de comprendre une langue et d’en avoir des compétences conversationnelles, mais c’en est clairement une autre d’analyser la pertinence d’un raisonnement complexe dans un domaine souvent très précis. Il révèle que, dans bien des cas, les professeurs sont unilingues anglophones, évidemment incapables de réaliser une quelconque correction autonome d’un travail en français. Sachant cela, quelles sont les ressources mises à la disposition de ces sommités par l’Université pour assurer un respect des mesures sur la protection des droits des francophones du Québec et d’ailleurs? Professeur Farah dit ne pas être au courant d’un tel système, et il n’est pas le seul.

« La question est de savoir si les travaux en français seront corrigés avec la même compétence et considération que leur contrepartie anglophone »

Dr Judith Szapor, professeure agrégée du Département d’histoire, abonde en ce sens. Citant les exigences du contenu de chaque programme de cours de la Faculté des arts, elle insiste sur le fait que la remise de travaux en français est un droit accordé aux étudiants par l’intermède d’une politique interne obligatoire. Cette déclaration, vous la trouverez formellement dans tout document de ce type transmis aux étudiants par les professeurs — qu’en est-il de son application? Bien qu’elle soit elle-même francophone de naissance, elle affirme ne « plus pouvoir corriger de travaux en français au même niveau qu’en anglais », faisant par exemple ses commentaires de correction en anglais sur les copies francophones. Elle nie cependant un quelconque laxisme quant à la correction, affirmant s’armer « d’un dictionnaire et d’outils grammaticaux lorsqu’elle ne comprend pas certaines tournures de phrase » — travail exemplaire dont elle est très fière. Cette fierté professionnelle et académique, me dit-elle, devrait être le standard du corps professoral, mais elle comprend que sa maîtrise du français n’est pas partagée par l’ensemble de ses collègues. De surcroît, elle n’a pas connaissance d’un centre d’aide à la correction pour les professeurs ou les auxiliaires d’enseignement unilingues et cite une problématique supplémentaire encore plus criante. En effet, dans des cours de niveau 300, 400 et 500, le sujet se raffine, la méthodologie individuelle d’enseignement se précise et les perspectives peuvent changer radicalement selon le chargé de cours. Comment alors déléguer la correction et assurer non pas uniquement une bonne compréhension du français, mais simplement une bonne compréhension du sujet?

Une conformité imparfaite

La question de la parité refait surface dans la barrière que peut causer la langue dans l’accès direct au professeur expert. Si les étudiants savent pertinemment que le professeur ne maîtrise pas le français, vont-ils réellement prendre le risque de soumettre leurs travaux en cette langue? Leurs droits sont-ils bafoués non pas par une mauvaise correction, mais plutôt par la seule crainte d’un manque de parité? Selon la Charte de McGill, le droit pour les étudiants d’être unilingues francophones serait protégé par leur droit de remise en français — aucune mention n’est faite des mécanismes pouvant assurer le respect de ce droit fondamental. Il en va de même pour la Charte de la langue française du Québec, qui prévoit aux articles 45–47 des mesures qui empêchent la mise en danger du français dans les processus d’embauche, sans pour autant garantir les droits des francophones. C’est cette nuance qui crée une zone grise, garantissant par exemple qu’on ne peut pas engager quelqu’un sur la seule base de la maîtrise de l’anglais, mais n’exigeant pas qu’elle sache s’exprimer en français — surtout dans une institution anglophone comme McGill.

Dans ces conversations avec les professeurs de différents départements, difficile d’ignorer la tendance du « don’t ask, don’t tell [ne pose pas des questions, ne dit rien, ndlr] » — alors que Dr Szapor avoue ne pas vraiment savoir comment ses collègues unilingues accomplissent une correction paritaire des travaux reçus. Professeur Farah est encore plus sceptique, sans pour autant mettre en question l’intégrité du corps professoral, alors qu’il affirme ne pas connaître à McGill une quelconque instance assurant une correction paritaire. Personne ne semble savoir ni vouloir s’informer sur les pratiques de ses collègues. Après tout, la correction et le contrôle de la qualité de celle-ci relèvent uniquement du professeur titulaire du cours, m’explique Dr Szapor : le silence règne dans les couloirs de la Faculté. La correction paritaire du français n’est pas un sujet de discussion entre collègues. On ne veut pas froisser ou offusquer, en questionnant la compétence d’un professeur, d’un ami.

Stu Doré | Le Délit

L’expérience francophone étudiante à McGill

Outre les témoignages des professeurs, une recherche de la base de services confirme l’absence d’une quelconque instance rendue directement accessible par les chargés de cours des différentes facultés. On relève l’existence des Services linguistiques de McGill — œuvrant dans la correction et la révision de textes en français —, mais une lecture approfondie montre que ce service s’adresse principalement à l’administration pour ses mémos institutionnels et autres documents officiels. Encore une fois, rien n’est rendu disponible aux étudiants ou aux professeurs pour assurer une correction réellement paritaire lorsque le français est utilisé. Malgré l’absence d’un quelconque système d’encadrement de la correction ou d’une vérification de la compétence linguistique des professeurs, certains étudiants persistent à remettre leurs travaux en français.

Éloïse, étudiante de troisième année en sciences politiques, est de ces irréductibles : Le Délit a donc voulu chercher à connaître son expérience quant à la correction de ses travaux. Il n’est pas question pour elle de juger de la capacité des professeurs à comprendre et à corriger en français : elle n’a aucune attente envers ceux-ci, étant donné leur présence dans une institution anglophone. Elle reconnaît également la variabilité indue causée par les différents professeurs, leurs différents barèmes de correction et les autres modalités de leurs cours. Essentiellement, il semble très difficile selon elle d’évaluer proprement le niveau de français du professeur ou de ses auxiliaires. Éloïse défend l’opinion selon laquelle cette correction en français est un droit qui ne lui est jamais refusé ; elle se questionne cependant sur les méthodes utilisées pour assurer le respect de ce droit. Elle ajoute : « je ne serais pas du tout étonnée si les professeurs ou leurs TAs [auxiliaires d’enseignement, ndlr] utilisent Google Translate (ou une autre plateforme similaire) pour faciliter la correction » — relevant une fois de plus la subtilité de l’enjeu dont cette enquête fait état. La question n’est pas de savoir si les travaux en français seront corrigés, mais bien s’ils seront corrigés avec la même compétence et considération que leur contrepartie anglophone. La correction est faite, la note est acceptée par l’étudiant et le cours est complété : justice est-elle donc rendue? Éloïse affirme n’avoir jamais eu de réel problème avec la correction de ses travaux ; pourtant, l’utilisation potentielle d’un logiciel de traduction n’est-elle pas un signe d’iniquité? Cette affirmation fait écho au message des professeurs Szapor et Farah, comme quoi aucune réelle ressource professionnelle n’est mise à la disposition des membres unilingues anglophones du corps professoral.

Comment prétendre à la parité de la correction si une pluralité de professeurs ne peut corriger ou superviser des travaux en français au niveau universitaire et que l’Université ne possède aucune exigence de maîtrise du français à l’embauche? Il semble donc que, malgré une multitude de politiques mises en place pour assurer le respect des droits des étudiants francophones, ceux-ci sont bien souvent soumis à des conditions de correction inégalitaires. Cela dit, le témoignage d’Éloïse ne se veut pas accusateur ni n’a‑t-il pour objectif de se plaindre : sa perception d’étudiante ne décèle pas l’inégalité recensée par les professeurs interrogés. Pas surprenant, selon Dr Szapor, étant donné l’opacité omniprésente au sein du corps professoral quant aux méthodes utilisées pour la correction : il serait difficile de percevoir une inégalité si l’on n’a même pas conscience du système qui la sous-tend.

« Je ne serais pas du tout étonnée si les professeurs ou leurs auxiliaires d’enseignement utilisent Google Translate pour faciliter la correction »

— Éloïse, étudiante de troisième année

Comment responsabiliser l’institution

Que doit retenir la communauté francophone de cette enquête sur la réelle parité des services linguistiques rendus par McGill? Selon Professeur Farah, il faut chercher à plonger plus profondément dans le système et à exiger davantage de comptes des professeurs et de leurs assistants. Le réel problème en soi n’est pas l’intégrité ou le professionnalisme ; il s’agit simplement d’inciter l’Université à fournir toutes les ressources nécessaires pour faire appliquer les politiques qu’elle rend obligatoires. Comme l’affirme le Dr Szapor, si l’Université et sa Faculté des arts obligent les professeurs à inclure ce droit fondamental dans leur programme de cours, elle doit contribuer à son application. Elle croit fermement que c’est la richesse linguistique — pas seulement du bilinguisme mcgillois — qui donne toute sa valeur à l’Université : il s’agit simplement de laisser tous les étudiants s’exprimer et être considérés équitablement.

Il existe tout de même différentes manières de faire valoir les droits des francophones à McGill. Les étudiants peuvent bien sûr, comme conseillé par Professeur Farah, assurer un suivi plus poussé de leurs travaux remis en français, surtout lorsqu’on « ne sait pas exactement qui corrige la copie », comme le souligne Éloïse. Si cette première mesure s’avère insatisfaisante, l’étudiant peut se tourner vers la Commission des affaires francophones (CAF) et plaider sa cause envers cet organe visant à faire valoir les enjeux de la francophonie sur le campus mcgillois. Bien que la population francophone soit minoritaire, la CAF s’assure qu’elle ne soit pas invisible et que ses intérêts soient défendus — incluant bien entendu la promesse de parité linguistique présente à l’article 19 de la Charte constitutive de McGill.

Cette enquête expose la principale faille des promesses faites par McGill à sa population étudiante francophone, mais montre également le bon vouloir de l’Université à assurer la survie du français en ses murs. Il s’agira simplement de rendre plus accessibles des ressources pour assister les professeurs dans leurs corrections et, surtout, d’imposer davantage de transparence quant aux processus individuels de correction. Le français, comme le dit Éloïse, est un droit. Pas une option, pas un privilège, mais bien un droit pour quiconque est inscrit au sein de cette Université — ceux qui l’utilisent ne devraient pas voir leurs résultats être déterminés arbitrairement ou différemment des autres. Comment protéger ce droit sans pour autant heurter l’immense richesse d’expertise contenue dans la Faculté? À vous de jouer, McGill…

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Pablo Rodriguez, pour l’amour du Québec https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/pablo-rodriguez-pour-lamour-du-quebec/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57353 Le PLQ en reconstruction, on a la solution.

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C’est officiel : depuis le 13 janvier, la course à la chefferie du Parti libéral du Québec (PLQ) est lancée. Il faut le dire, cette course est loin d’être anodine, bien au contraire. En fait, elle s’amorce à un moment crucial pour notre formation politique, un moment où le parti est en reconstruction identitaire, allant des valeurs aux politiques. Depuis la défaite de Philippe Couillard en 2018 et celle de Dominique Anglade en 2022, beaucoup se demandent ce qu’il adviendra du parti, qui est désormais réduit à une députation enclavée à Montréal et dans l’Outaouais. Dans ces moments de réflexion, l’identité libérale elle-même est remise en question par plusieurs militants. Après tout, dans une arène politique jusque-là dominée par la Coalition Avenir Québec de François Legault, qu’est-ce que ça signifie d’être libéral? Les jours où le parti de Robert Bourassa, Jean Lesage et Jean Charest remportait le cœur des Québécois semblent révolus. Après de tels rebondissements, il ne restait qu’à mettre la clé sous la porte pour ce parti, qui a pourtant façonné la vie politique québécoise durant les 150 dernières années.Cependant, en politique, il y a parfois des surprises, des coups de théâtre. Cette fois-ci, c’est ce qui est arrivé. Après avoir traversé la rivière des Outaouais, quittant Ottawa pour revenir au Québec, Pablo Rodriguez, l’excellent député fédéral d’Honoré-Mercier, annonce qu’il se lance pour la chefferie du PLQ. On a désormais une course, une vraie

Pablo et le Québec

Né en Argentine de parents opposés au régime brutal de Videla, Pablo quitte la dictature alors qu’il n’a que huit ans, direction Sherbrooke. C’est dans les magnifiques Cantons-del’Est qu’il grandit. Il y apprend le français, se plonge dans la culture, tombe amoureux de nos artistes, comme Paul Piché et Robert Charlebois, et poursuit ses études universitaires. À Sherbrooke, Pablo Rodriguez choisit le Québec et le Québec le choisit. L’histoire de la famille Rodriguez, c’en est une de réussite et d’adaptation à la société québécoise. Cette appartenance au Québec n’est pas que culturelle, elle est aussi politique. Pendant les débats constitutionnels, Pablo se joint à l’influente Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec (CJPLQ) – vraie force politique qui continue de faire vibrer le parti à ce jour. Il y fait ses premiers pas politiques, militant pour un Québec fort dans une union canadienne tout aussi forte. Pendant son temps à la CJPLQ, il parcourt les quatre coins du Québec, rencontre le monde, le vrai, et c’est là qu’il adopte son style bien à lui : l’authenticité. Croyez-moi sur parole, j’ai rencontré de nombreux de politiciens dans ma vie, du municipal au fédéral, en passant par le provincial. Pourtant, je n’ai jamais rencontré une personne comme Pablo ; c’est ce genre de personne spéciale, tout aussi à l’aise de parler avec mon père de la dernière partie de hockey que d’enjeux nationaux à la table des ministres.

« Après avoir traversé la rivière des Outaouais, quittant littéralement Ottawa pour revenir au Québec, Pablo Rodriguez, l’excellent député fédéral d’Honoré-Mercier, annonce qu’il se lance pour la chefferie du PLQ. On a désormais une course, une vraie »

Le bagarreur

Après un parcours remarqué à la CJPLQ, je crois qu’il est devenu évident qu’un tel talent politique ne pouvait pas être perdu dans les limbes. Cela aurait été un vrai gâchis. En 2004, Rodriguez se lance donc sous la bannière du Parti libéral du Canada, alors dirigé par Paul Martin, pour briguer la circonscription montréalaise d’Honoré-Mercier. Alors que le parti se voit retirer la majorité dont il disposait depuis 1993, Pablo conserve la circonscription. Il fait donc son entrée dans l’enceinte de la démocratie canadienne. Il joue un rôle de premier plan dans le caucus du Québec dès son premier mandat. À mes yeux, le plus intéressant dans la carrière de Pablo, ce ne sont pas ses nombreuses victoires, mais sa manière de réagir à la défaite. En 2011, alors que le parti allait mal et qu’il était pris dans multiples scandales, le Nouveau Parti démocratique se présente comme la première force d’opposition face aux conservateurs. C’est donc dans ce contexte que les néodémocrates emportent 59 sièges au Québec ; et, par la même occasion, remportent Honoré-Mercier, une forteresse libérale. Monsieur Rodriguez se retrouve donc évincé du parlement.

Comme tant d’autres, il aurait pu passer à autre chose, il aurait pu se trouver un emploi payant dans le secteur privé. Au lieu de cela, poussé par l’amour de la fonction et par la passion de servir ses concitoyens, pendant les quatre années qui le séparent de la prochaine élection générale, il prépare le terrain pour son grand retour et celui du parti. Alors que le bateau coule, Pablo s’adonne corps et âme pour regagner la confiance de la population. Il construit des ponts entre le parti et les québecois déçus par le passé des libéraux, et soutient un parti en reconstruction. Pour vous démontrer l’ampleur de son implication, il a pigé dans ses économies personnelles pour aider au financement du parti. Donc, ceux et celles qui pensent que Pablo agit en opportuniste en quittant Ottawa pour revenir au Québec se trompent. Rodriguez, c’est un battant. Je le sais, parce qu’en 2015, après de nombreux soupers spaghetti pas toujours glamour et des tonnes d’épluchette de blé d’Inde, il redevient député dans un gouvernement libéral majoritaire. La victoire du parti aurait été impossible sans les personnes qui, comme Pablo, ont mis la main à la pâte pour préparer le terrain.

Le Québec et Pablo

Pour moi, le choix pour Pablo de revenir à ses racines québécoises n’est pas le fruit du hasard. Ce n’est pas seulement le PLQ qui, à l’instar du PLC en 2011, est à la croisée des chemins. C’est aussi le Québec tout entier. En 2018, la CAQ de François Legault se présentait devant la population en offrant des remèdes à tous nos maux. En santé, en éducation, en immigration, les candidats caquistes nous disaient comment ils allaient être en mesure de tout régler. Il n’en demeure pas moins que, près de huit ans plus tard, très peu a été accompli. On attend toujours autant dans les salles d’attente, il y a encore des défis importants en éducation, et l’immigration a été utilisée comme un levier pour faire des gains politiques. Aujourd’hui, avec des enjeux comme celui de la sécurité de la frontière avec les États-Unis, il nous faut une personne d’expérience qui soit capable de nous guider avec brio. Dans des moments incertains, il nous faut un bagarreur. Dans le moment présent, il nous faut un Pablo Rodriguez. Collectivement, on ne peut pas se permettre de faire fi d’une telle candidature

Pablo et moi

En conclusion, je vous avoue que je connais bien Pablo. Je l’ai rencontré pour la première fois en 2015, alors qu’il faisait le tour du Québec pour préparer le parti aux élections générales. Depuis, je l’ai revu à plusieurs reprises, assez pour être convaincu qu’il est la bonne personne pour diriger le Québec lors d’un moment aussi décisif. Une chose qui me frappe à chaque fois que je revois Pablo, c’est son authenticité. C’est une personne qui est aussi drôle que sérieuse, aussi réfléchie que terre à terre. Avec Pablo, what you see is what you get. L’ayant fréquenté à quelques reprises, je ne peux vous dire à quel point il est l’homme de la situation, la personne dont nous avons besoin pour faire rayonner le Québec et le remettre sur les rails. Pablo, tu peux compter sur moi!

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Rage féminine : refuser d’être silencieuse https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/rage-feminine-refuser-detre-silencieuse/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57369 Notre colère est essentielle.

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Cette semaine, j’ai lu un article du Financial Times qui expliquait que l’un des échecs du mouvement woke – idéologie prônant la prise de conscience des inégalités entre les genres, les orientations sexuelles, et autres dénominateurs minoritaires, ainsi que le racisme systémique – accordait une importance trop grande aux différences. Selon l’auteur, il serait plus judicieux de cesser d’insister sur ce qui nous distingue et de plutôt célébrer ce qui nous unit. L’argument, bien qu’il puisse sembler séduisant pour certains, m’a immédiatement repoussée, répugnée même. Comment peut-on ignorer les différences, alors qu’elles sont au cœur même de nos identités et qu’elles façonnent nos existences? Comment demander aux opprimés de taire ce qui les rend marginalisés, invisibilisés?

Cette volonté de nier les fractures sociales ne fait que les creuser davantage, et ne sert que les classes dominantes qui continueront de profiter de l’illusion d’une harmonie factice, tout en maintenant intactes les structures d’oppression qui les avantagent. En essuyant les différences, on ne fait que perpétuer un statu quo où seuls ceux qui n’ont jamais eu à justifier leur place continuent de prospérer, au détriment de celles et ceux dont l’existence même est une lutte pour la reconnaissance. Je ne peux en rien parler au nom de tous les groupes qui subissent en silence le poids du patriarcat blanc, mais je peux parler longtemps du fait que les femmes sont encore aujourd’hui trop souvent mises de côté, ridiculisées et regardées de haut par cette pseudo-élite masculine toute puissante.

Ni dociles, ni désolées

En classe, au travail, à la maison, je raidis – de colère ou d’inconfort, je l’ignore – à l’écho même de l’opposition masculine qui suit, trop souvent, mes interventions – ou celles de mes consœurs. C’est comme si les femmes ne pouvaient jamais avoir raison, ou du moins, pas sans l’approbation des hommes. Comme si chaque prise de parole était un défi lancé à l’ordre établi, une intrusion dans un territoire qui ne nous appartient pas et qui, semblerait-il, ne nous appartiendra jamais. C’est épuisant, insupportable et ça doit cesser. Malgré les avancées en termes d’égalité des genres, paraît-il que nos voix n’écraseront jamais celles de nos contreparties masculines. Le privilège d’être un homme est encore une réalité, malgré ce que ces influenceurs masculinistes tenteront de nous faire avaler. J’en ai marre, c’est dit.

Chaque jour, comme presque toutes les femmes, j’en suis sûre, je me heurte à ces murs invisibles. Des regards condescendants, des interruptions incessantes, des ricanements à peine voilés lorsqu’une femme ose hausser la voix. C’est après une conversation avec une amie que j’ai réalisé l’ampleur du problème : elle soulignait comme quoi, au travail, les hommes prenaient systématiquement plus de place en réunion, s’appropriant ses idées ou reformulant ses propos pour mieux se les attribuer. Elle me racontait aussi comment, lorsqu’elle avait exprimé une opinion tranchée et avait refusé de flancher devant un homme, elle avait été rencontrée par sa supérieure – une femme, d’ailleurs – à la suite d’une plainte la décrivant comme agressive et trop émotive. Ses collègues masculins, dans la même situation, auraient été qualifiés de fermes ou auraient été loués pour leur confiance en eux. J’ai réalisé que ce schéma se répétait partout, dans tous les espaces, peu importe l’échelle, l’expertise ou l’assurance. 2025 avait fait promesse de renouvellement, mais à ce niveau-là, c’est toujours la même galère.

« La féministe enragée dérange. La FEMEN, les seins nus en pleine rue, scandalise. On ne supporte pas l’image d’une femme qui ne demande pas poliment son dû, mais l’exige, qui ne sourit pas, mais hurle »

Ce schéma oppressif à l’égard des femmes n’existe pas que dans les cadres professionnels, mais s’étend aussi aux cercles plus progressifs, comme dans le milieu du militantisme. Le masculinisme s’infiltre partout, au sein même des espaces progressistes. Les manarchistes, ces hommes qui se revendiquent alliés féministes tout en maintenant des comportements patriarcaux, ne sont pas moins oppressants que les conservateurs assumés. Ils prennent la parole en premier, s’arrogent le rôle de représentant des luttes qui ne les concernent pas directement et exigent reconnaissance pour leur simple présence. Pire, ils demandent aux femmes de tempérer leur colère, d’être « constructives », « pédagogues », « ouvertes au dialogue ». Comme si notre rage était un caprice, une impolitesse, plutôt que la réaction légitime à des siècles d’oppression. L’ego masculin est si important qu’il exige d’être ménagé, de ne jamais être confronté aux réalités dénoncées par les femmes, même dans les cercles les plus privilégiés, ceux dotés du capital social pour se révolter.

La femme en colère

La rage féminine est méprisée, ridiculisée, caricaturée. La femme en colère est hystérique, irrationnelle, hors de contrôle. On l’infantilise, on la discrédite. Pourtant, cette rage est essentielle. Elle est la flamme qui alimente les révolutions, la force qui ébranle le statu quo. Chaque cri, chaque manifestation, chaque refus d’obtempérer est une victoire en soi. Mais encore faut-il avoir le droit d’exister en tant que femme en colère, que quelqu’un, quelque part accepte de nous écouter.

Dans cette ère teintée par un masculinisme indécent, les femmes se soulèvent, et avec raison. Nous voyons actuellement les droits des femmes, tenus comme acquis depuis plusieurs décennies dans certains cas, être remis en question juste au sud de notre frontière. Des hommes comme Trump et Musk gagnent de plus en plus de soutien, et il faut se révolter. Des Zuckerberg qui demandent plus « d’énergie masculine (tdlr) » doivent impérativement mener à des soulèvements. Leur misogynie décomplexée se doit d’être combattue avec la même ferveur qu’ils mettent à l’imposer. Comment rester silencieuses face à ce discours qui n’est plus simplement le fruit d’une rhétorique réactionnaire isolée, mais bien un système d’oppression révolu qui se reconstruit petit à petit? L’espace public, politique et médiatique appartient encore majoritairement à ces hommes aux fortunes ahurissantes, et lorsqu’une femme tente de s’y imposer, elle est attaquée, harcelée, réduite au silence. Il suffit d’observer le traitement réservé aux femmes journalistes, aux militantes, aux figures politiques pour comprendre que l’expression féminine représente toujours une menace aux yeux de plusieurs.

La féministe enragée dérange. La FEMEN, les seins nus en pleine rue, scandalise. On ne supporte pas l’image d’une femme qui ne demande pas poliment son dû, mais l’exige, qui ne sourit pas, mais hurle. Pourquoi le cri d’une femme est-il toujours perçu comme un acte de provocation et non comme un acte de justice? Parce que la colère des femmes est subversive, parce qu’elle menace l’équilibre fragile d’un système qui ne fonctionne que si nous acceptons d’y jouer un rôle secondaire. C’est pourquoi il faut réhabiliter la rage féminine. Ne plus la craindre, ne plus s’en excuser. L’assumer, la revendiquer comme un droit fondamental. Être en colère, c’est être vivante. C’est refuser de plier. C’est dire non. Non à la condescendance, non aux inégalités, non à cette injonction au silence. Notre colère n’est pas un caprice. Elle est notre puissance.

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Noir·e·s, ici aussi https://www.delitfrancais.com/2025/02/05/noir%c2%b7e%c2%b7s-ici-aussi/ Wed, 05 Feb 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57372 L’importance de connaître son histoire noire québécoise et canadienne.

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En ce début de Mois de l’histoire des Noir·e·s, peut-être réfléchissez-vous à la manière dont vous choisirez de le célébrer. Sans doute allez-vous démarrer d’importantes réflexions avec des gens les ayant déjà entamées : un échange réfléchi sur les activistes marquants du mouvement des droits civiques, suivi d’une suite mémorisée d’extraits du discours de Dr Martin Luther King ; l’amorce d’une lecture sur le féminisme intersectionnel signée bell hooks ; la succession rapide de dates importantes, à commencer par 1865, la mise en place du 13e amendement ; un rappel de la contribution trop souvent oubliée des personnes noires à la culture états-unienne : « Savais tu que ce sont eux·elles qui ont inventé la musique country? » ; ou alors un autre remerciement, un autre moment de silence, pour ces figures ayant lutté pour la liberté et la dignité de ceux et celles me ressemblant. Or ce mois-ci, j’ai décidé de faire les choses autrement, géographiquement parlant. Car en énumérant le nom de ces activistes, ces écrivain·e·s, ces féministes et ces militant·e·s, le motif m’a happée : j’étais incapable d’en nommer un·e seul·e provenant du Canada. Pire encore, je constatais tout bonnement ne pas être capable de raconter l’histoire noire du pays dans lequel j’étais née, dans lequel j’avais grandi et vécu toute ma vie. Et j’ai très rapidement compris ne pas être la seule dans cette situation. Alors s’est déclenché mon processus de réflexion. Longuement ai-je songé à notre propension généralisée d’omettre le Canada lors de nos commémorations. Un comportement que j’ai souvent adopté, à tort. Notre réflexe est de pointer du doigt les Américain·e·s, d’adopter un ton moralisateur, et de le ponctuer d’un sourire suffisant, nous permettant de passer sous silence les squelettes entassés dans notre placard. Or j’insiste qu’on mette fin à cette habitude une fois pour toutes, car entre le voisin et nous, aucun ne peut se vanter d’avoir une pelouse verte.

« Notre réflexe est de pointer du doigt les Américain·e·s, d’adopter un ton moralisateur, et de le ponctuer d’un sourire suffisant, nous permettant de passer sous silence les squelettes entassés dans notre placard »

En remontant le fil de mes souvenirs, cette omission me semble se manifester dès mon plus jeune âge. À l’école primaire, les éducateur·ice·s nous enseignent ce passé esclavagiste, alors que certain·e·s élèves apprennent pour la première fois de leur vie ce qu’est le racisme contre les Noir·e·s. L’année de l’abolition de l’esclavagisme aux États-Unis devient matière à examen, alors que la date canadienne tarde à être mentionnée. On invoque le rôle de terre de refuge joué par le Canada pour les esclaves émancipés lors du Underground Railroad, sans aucune mention de la traite d’esclaves noir·e·s et autochtones ayant eu lieu seulement une décennie avant. Une dédramatisation des horreurs commises contre les Noir·e·s mettant en vedette les États-Unis d’Amérique dans le rôle du grand méchant loup prend lieu, pour les nombreuses années à suivre. C’est de s’acquitter de tous torts, avec une petite tape dans le dos, pour éviter un travail d’introspection que trop désagréable. C’est d’éviter de reconnaître notre participation et notre complicité dans un passé que trop récent. Bref, c’est de la déculpabilisation pure et dure, et personnellement j’en suis tannée.

Pour moi, être en mesure d’identifier cette histoire est un moyen de consolider mes identités noire et québécoise. C’est un moyen de comprendre un passé commun pour pouvoir mieux comprendre mon présent. Lorsque j’entends François Legault refuser de reconnaître l’existence d’un racisme systémique au Québec, je demeure perplexe. La colère et la frustration infusent mon discours, alors que mon propos s’interrompt, embarrassée par ma méconnaissance d’une histoire qui me permettrait de défendre mon point. Or, comment expliquer au premier ministre qu’une province où la brutalité policière envers les personnes autochtones et noires atteint de nouveaux sommets à chaque année, et où les médecins s’autorisent à faire preuve de négligence médicale envers les minorités visibles, est bâti sur un système foncièrement discriminatoire?

« Pour moi, être en mesure d’identifier cette histoire est un moyen de consolider mes identités noire et québécoise »

Alors, un article à la fois, j’ai appris mon histoire. En débutant avec ce que je connaissais, j’ai ouvert les pages web, cliqué sur les liens URL, naviguant d’un site à un autre. Parmi les onglets ouverts : les photos archivées des expropriations dans le quartier noir de la Petite-Bourgogne au profit d’un réaménagement urbain. Un autre quartier, cette fois-ci en Nouvelle-Écosse, du nom d’Africville, rasé par la ville de Halifax, et encore ce terme, réaménagement urbain. Un nom en bleu, souligné, Portia White : l’une des premières canadiennes noires à recevoir une reconnaissance internationale par sa voix envoûtante. Un lien qui me mène à un article sur la culture musicale noire à Montréal. Le jazz à Montréal. L’histoire du jazz à Montréal. Des initiatives de clubs pour les minorités noires montréalaises : le Colored Women’s Club. Des photos de femmes sans noms. Une exposition d’art au Musée McCord ayant pris fin il y a une semaine. Moi qui me lève dans un café et paye avec un billet de 10$, le visage de Viola Desmond, une pionnière noire, au creux de ma main. Un autre nom gardé près de moi.

Puis, plus récemment : un article sur le racisme vécu par des étudiant·e·s infirmier·ère·s africain·e·s dans un hôpital en Abitibi, des commentaires sur l’offense causée par le discours d’Haroun Bouazzi sur la création d’un « Autre » en Chambre d’Assemblée, un rapport de l’OCPM sur le racisme et la discrimination systémiques. Et finalement, un moment de célébration, en compagnie de mes ami·e·s et collègues, à fêter le début du mois, à consulter la programmation mise en place par La Table Ronde du Mois de l’Histoire des Noirs et à participer à des évènements, à des discussions et à des festivals culturels dans ma ville.

En cette première semaine du mois de février, je vous invite, à mes côtés à reconnaître ce passé, à prendre action localement, à demander à vos politicien·ne·s de reconnaître ces injustices en allouant un budget à cette lutte contre le racisme. À rappeler à votre entourage ce pan oublié de l’histoire, à exiger à ce que ce passé soit enseigné au même titre que celui des États-Unis, mais surtout, à célébrer la contribution et le travail des noir·e·s, ici aussi.

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Les gardiens de la démocratie https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/les-gardiens-de-la-democratie/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57147 Démystifier la pratique et l’encadrement du lobbyisme québécois.

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Le lobbyisme a un problème de personnalité. L’évocation seule du terme rappelle une pléthore de scandales pharmaceutiques (Purdue Pharma), financiers (Crise financière de 2008) ou tabagiques (Affaire Dalli) ; il est, dans l’imaginaire commun, une gangrène sociale cupide. Les reportages sensationnalistes qui vilipendent cet instrument démocratique se concentrent sur un marché dérégulé, voire anarchique – celui des ÉtatsUnis. La mondialisation à laquelle la sphère médiatique est soumise place donc l’ensemble des lobbys et leurs représentants dans une catégorie artificiellement homogénéisée, ignorant les efforts des différents régimes pour l’encadrement de la pratique. Au sein d’une société majoritairement méfiante de la légalité et l’intégrité du lobbyisme et des titulaires de charges publiques (TCP), comment scinder le Québec de l’exemple américain? Présenter le cadre réglementaire québécois – en opposant ses modalités à la perception négative de jeunes universitaires – peut permettre de mettre en lumière le paysage du lobbyisme d’ici. Ainsi, nous saurons si la haine viscérale envers le lobbyisme est justifiée.

Comprendre le système québécois

Si l’on se penche sur les statistiques avancées québécoises, il va sans dire que ce marché parapolitique représente un paradis du plus offrant de par sa nature purement entrepreneuriale. Il ne faut pourtant pas confondre cette flagrante iniquité pour un abus de pouvoir, de confiance ou bien un manquement des élus à leur promesse d’intégrité. L’industrie du lobbyisme est rigoureusement encadrée par Lobbyisme Québec (LQ) – sous-division de l’Assemblée nationale – depuis 2002. Le mot d’ordre : transparence. S’il se révèle sociétalement impossible de combler l’écart des richesses et son influence dans l’accès aux élus, LQ s’assure d’une divulgation complète de toutes les tentatives de lobbyisme effectuées dans la province. Le commissaire au lobbyisme, Jean-François Routhier, œuvre sans cesse pour mettre à jour, réformer, populariser et perfectionner la Loi sur la transparence et l’intégrité en matière de lobbyisme (LTEML). La plateforme de divulgation Carrefour Lobby Québec est primée, moderne, facile d’accès, mais honteusement inconnue. Il semble donc que le problème ne repose pas dans un laxisme législatif, mais plutôt dans une méconnaissance des mécanismes mis en place pour la protection de l’État de droit québécois. Il s’agit donc de comprendre si les jeunes universitaires impliqués en politique sont insatisfaits et trouvent l’effort législatif trop faible ou bien s’ils basent leurs jugements du lobbyisme sur des perceptions injustifiées et externes au Québec.

« La tendance universitaire identifie non pas un manque de transparence, mais plutôt un partage imparfait des pouvoirs et une méconnaissance des ressources de divulgations comme étant la problématique principale »

L’encadrement législatif

La transparence n’est-elle donc que factice si son existence reste inconnue par les masses? À quoi bon la divulgation du moindre murmure d’un lobbyiste envers un élu si personne ne sait comment l’entendre? Selon Eloïse, étudiante en développement international et en environnement à McGill, le problème est bifocal : l’accès à l’information est imparfait et les visées du lobbyisme ne mènent pas à une amélioration des conditions sociales de la population générale. Elle avance que « même si des mécanismes de contrôle existent, le fait même qu’ils soient inconnus du public rend leur efficacité risible », affirmant elle même n’avoir jamais consulté les ressources de transparence telles que CLQ. De plus, « des milieux sous-subventionnés ou moins financés, comme les organisations non gouvernementales et autres organisations environnementales, sociales, communautaires » voient leur accès aux élus complexifié à cause de lobbyistes qui accaparent l’agenda démocratique. Bogdan, étudiant en sciences politiques à McGill, soulève le problème suivant face au lobbyisme : « l’influence des lobbys [américains, ndlr] ne cesse d’augmenter depuis l’arrêt Citizens United v. FEC (2010) et a pris des proportions hallucinantes dans les dernières années. »

Il supporte ainsi l’idée que le lobbyisme américain est endémique au système, parfois à son détriment. Cependant, il note une lueur d’espoir pour le Québec, alors qu’il explique que la province se débrouille assez bien, citant des outils comme « un registre public assez complet […] et un système de vérification rigoureux. »

La tendance universitaire identifie non pas un manque de transparence, mais plutôt un partage imparfait des pouvoirs et une méconnaissance des ressources de divulgations comme étant la problématique principale. Bien que le modèle législatif québécois soit incroyablement avancé et muni de multiples organes de vérification de la conformité du lobbyisme, ce dernier garde sa réputation négative en raison des objectifs qu’il poursuit. Il paraît impossible d’enrayer l’attitude négative face au lobbyisme – même auprès de jeunes universitaires dont les intérêts académiques s’alignent avec des questions d’administration gouvernementale. Sachant que, comme le dit Eloïse : « le lobbyisme est inhérent, et dans une certaine mesure souhaitable dans le démocratie ; le réel problème, ce sont les manigances et autres actes frauduleux », il faut se pencher sur des façons de rendre le processus toujours plus paritaire et transparent.

Le futur d’un lobbyisme transparent

L’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) – organisme œuvrant dans l’avancement dans la recherche socio-économique et la compilation statistique – recommande une multitude d’ajustements réglementaires qui pourraient faire toute la différence pour ce qui est de la confiance envers le processus démocratique. Ils proposent un meilleur encadrement des normes d’après-mandat – empêchant l’effet des « portes tournantes » chez les TCP et les abus de pouvoir et d’influence. L’organisation fait également la promotion de l’empreinte législative, qui divulgue publiquement et au sein de chaque projet de loi l’influence exacte de chaque groupe de représentation d’intérêts. Après avoir été informée de ces recommandations, Eloïse a semblé plus réceptive, affirmant que : « la meilleure visibilité et transparence ne peut qu’être bénéfique, » ajoutant qu’il fallait rester le plus loin possible du « modèle américain ».

Des leçons à tirer?

Que faut-il donc retenir de cette consultation étudiante? Il semblerait que le lobbyisme soit craint non pas pour sa seule pratique, mais pour les écarts éthiques qui y sont souvent attribués. En renforçant le cadre normatif et législatif actuel, il serait possible de rassurer la population sans pour autant que cette dernière ait l’impression d’être dupée. Malgré l’effritement de la confiance envers les institutions démocratiques, force est de constater que tout n’est pas perdu. Bien que le lobbyisme souffre d’un problème de personnalité, on le tolère, on le comprend et éventuellement on l’adoptera pleinement. Le Québec est sur la bonne voie en ce qui a trait à sa réforme de la LTEML : il doit continuer de surveiller et punir les contrevenants ainsi que s’assurer de divulguer de manière accessible et beaucoup plus publique les activités de lobbyisme. La méfiance est un problème d’accès. Il suffira de donner aux Québécois ce qu’ils désirent, ce qui les aidera à comprendre le côté essentiel du lobbyisme et la représentation d’intérêts. Les étudiants ont parlé : c’est au tour du Québec de se rendre digne de son titre de démocratie fonctionnelle et véritablement transparente!

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Découvrir le quotidien des professeur·e·s‑chercheur·se·s https://www.delitfrancais.com/2025/01/29/decouvrir-le-quotidien-des-professeur%c2%b7e%c2%b7s-chercheur%c2%b7se%c2%b7s/ Wed, 29 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57246 Discussion avec Brendan Szendro et Barry Eidlin.

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Trouver un équilibre entre l’enseignement et la recherche est un défi quotidien pour les professeur·e·s‑chercheur·se·s. Ces deux vocations, souvent guidées par les intérêts individuels et les habitudes de travail des professeur·e·s, demandent une gestion rigoureuse de leur temps et des différentes tâches. Comment ces professionnel·le·s parviennent-ils·elles à jongler avec leurs multiples responsabilités? Grâce à deux témoignages de professeurs en sciences sociales et politiques, menant leurs propres projets de recherche, j’ai pu avoir un aperçu des routines, des défis, et des stratégies qu’ils adoptent pour concilier leur double métier. J’ai discuté avec le professeur Brendan Szendro, intéressé en recherche comparative sur les gouvernements et la politique, et le professeur Barry Eidlin, sociologue de recherche historique comparative sur les sujets de classes, inégalités, et changements sociaux.

Au quotidien

Le quotidien du domaine varie beaucoup en fonction de l’horaire et des responsabilités de chacun. Par exemple, combien de cours donnent-ils durant le semestre, combien d’étudiant·e·s ont-ils par classe, ont-ils des assistant·e·s, etc. Szendro explique : « Ce semestre, j’enseigne trois cours, donc, à la place de travailler sur la recherche tous les jours, j’y dédie quelques jours entièrement. Les étés sont plus productifs, parce qu’il y a moins d’obligations liées à l’enseignement (tdlr) ». De plus, relayer les tâches à une équipe de recherche, comme le fait Eidlin, allège sa charge de travail, lui permettant de travailler sur plusieurs projets et de trouver un équilibre avec ses responsabilités de professeur.

Eidlin explique : « Il y a un rythme à la recherche. Il y a l’étape où on conçoit le projet, on développe les idées, on récolte les données, puis il y a l’analyse et la rédaction… mais en vérité, ce n’est pas aussi linéaire. Chaque projet a son propre rythme et chacun a ses contraintes. » La collecte de données qualitative – c’est-à-dire des entrevues individuelles ou en groupe, des questionnaires, et autres – est la méthode la plus courante en sociologie. « Je ne m’assois pas devant l’ordinateur pour faire des calculs et des analyses statistiques, c’est plutôt de la lecture, de la réflexion, de l’analyse des documents, de la recherche des tendances, faire la comparaison entres différentes perspectives. » Tout ce processus demande plus de temps et d’efforts que la collecte de données quantitatives, qui consiste à recueillir des nombres et les codifier pour en faire des statistiques.

Pour mieux séparer travail et vie personnelle, Szendro fréquente un café de son quartier. « Certains jours durant l’été ou le congé d’hiver, je commence la journée en allant à un café prendre quelques notes, ce qui est super relaxant », dit-il. On pourrait définir le café de third space – soit un endroit qui n’est ni la maison (first space), ni le bureau (second space), mais un troisième espace consacré aux loisirs, au social, et dans ce cas-ci, à la recherche. Ce déplacement physique permet au cerveau d’associer chaque lieu avec un état d’esprit spécifique et d’être plus productif.

Être professeur et chercheur

Szendro partage : « Pour certaines personnes, [être professeur et chercheur] s’agit de choses largement distinctes, mais pour d’autres – et c’est l’approche que j’utilise – la recherche constitue la base de ce que nous enseignons. À ce stade, cela devient une question de traduction », afin de rendre la matière accessible autant aux sphères de chercheur·se·s qu’aux étudiant·e·s. Il ajoute que les recherches demandent une approche plus technique et spécialisée, tandis que l’enseignement demande une forme plus éloquente afin de captiver un auditoire.

Pour les nouveaux·lles diplômé·e·s, faire de la recherche permet d’élargir les possibilités de carrière au delà de l’enseignement. Szendro développe que les possibilités d’avancement varie selon ses objectifs personnels et cela l’accorde plus d’indépendance dans la sélection de ses projets. Autant d’indépendance peut être source de stress au début, donc l’enseignement donne une structure sur laquelle se reposer. Finalement, les modes de travail pour les recherches et la structure de l’enseignement s’équilibrent mutuellement.

« C’est comme si on escalade une montagne, et on arrive à ce qu’on pense être le sommet, mais à travers les nuages on voit qu’il y a encore du chemin à faire »
Barry Eidlin, professeur-chercheur de sociologie

Les hauts et les bas

Eidlin partage les craintes des nouveaux·lles diplômé·e·s, qui ont souvent peur de ne pas parvenir à trouver un sujet de recherche, qui ne savent pas où commencer et qui se perdent dans la foule de chercheur·se·s. Il avoue : « J’avais des craintes de ne pas savoir quoi faire, et maintenant j’ai trop à faire. Ça fait en sorte que c’est difficile de poursuivre [les projets] tous en même temps, alors il faut faire des sacrifices. » Il ajoute qu’il faut prioriser quel projet et à quel moment le commencer en fonction de sa pertinence et de sa spécialisation professionnelle. En tant qu’étudiant·e, rendre sa thèse de doctorat semble être l’aboutissement. « C’est comme si on escalade une montagne, et on arrive à ce qu’on pense être le sommet, mais à travers les nuages on voit qu’il y a encore du chemin à faire », décrit Eidlin. Szendro, pour sa part, atteste : « Lorsque vous êtes fier d’un résultat, vous avez vraiment le sentiment d’avoir contribué à l’évolution des connaissances et vous avez le sentiment d’avoir découvert quelque chose d’unique. Cela semble profondément important. »

Tandis que ses recherches portent souvent davantage sur l’histoire, un de ses projets traite d’événements actuels. Je me demandais si, à cause du temps que prend le processus de publication, il est possible que la recherche ne semble pas aussi pertinente une fois publiée. Eidlin explique : « J’ai confiance que les événements que j’étudie actuellement seront toujours importants dans 5 à 10 ans. Je dois faire les recherches en ce moment, mais les trouvailles seront pertinentes dans le futur. »

Le processus d’évaluation par les pairs (peer-review)

Dans certains secteurs de recherche, les revues sont davantage spécialisées. Par exemple, en sociologie, il existe des revues sur la sociologie politique, la sociologie de la famille, des mouvements sociaux, de la vie urbaine, la criminologie, la culture, etc. Il est important pour les chercheur·euse·s de considérer leur auditoire lorsqu’ils·elles établissent leur projet. Cependant, il est possible que la revue rejette leur projet, donc il est préférable d’en sélectionner plusieurs, au cas où. Comme le dit Eidlin : « Une partie intégrale de la vie académique, c’est le rejet. » Un appel aux critiques, qui ont la possibilité d’accepter ou de rejeter la demande. Il ajoute qu’il faut prendre en compte que les chercheur·se·s prennent de leur temps pour donner des évaluations à d’autres projets et ne sont pas rémunéré·e·s pour ce travail.

L’équilibre entre passion et défis

Pour tout dire, l’équilibre entre l’enseignement et la recherche est un défi constant pour les professeur·e·s‑chercheur·se·s. Entre les exigences de collecte de données, la rédaction, l’évaluation par les pairs, et les multiples révisions, ces professionnel·le·s jonglent entre de nombreuses responsabilités qui demandent beaucoup d’organisation et de motivation dans leurs quotidien. Malgré les obstacles et les rejets, le rôle de chercheur·se contribue de manière significative à l’avancement des connaissances et à l’enrichissement des enseignements. Ces efforts, bien que souvent invisibles, façonnent les disciplines académiques et la société en général.

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Votre Trudeau https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/votre-trudeau/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56965 Réponse d’un jeune souverainiste pour le futur de notre pays.

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Cet article se veut une réponse à l’article « Notre Trudeau » – paru dans l’édition du 15 janvier dernier dans la section « Opinion » du journal Le Délit.

L’abdication de Justin Trudeau a déclenché une interminable procession de ses laquais serviles, ses lèchebottes opportunistes carriéristes et autres adorateurs d’un fédéralisme abject. On en appelle à la pitié, au respect, à la consternation ; on fait venir les pleureuses grecques et la Castafiore pour louanger et regretter ce premier ministre de bas étage issu d’un népotisme flagrant. Un similipoliticien, un élu par défaut, un fils à papa médiocre que nul Québécois ne devrait applaudir ni n’aurait dû élire! Et pourtant, voilà qu’ils défilent, larmoyants, ces jeunes qui donneraient tout pour prendre une photo avec le beau Justin en complet-cravate – tu parles d’un culte de la personnalité!

Alors que les stagiaires et porteurs de cafés des ministres fédéraux font leur deuil, rappelons-leur les inconduites de leur patron et guide spirituel. SNC-Lavalin, WE Charity, une gouverneure générale qui ne parle pas français… si c’est ce que le gratin intellectuel libéral considère comme inspirant, on n’a pas fini de souffrir! Leur éloge funèbre relève de la confabulation : on dépeint Justin comme un homme inspirant, déterminé et intègre. On oublie ses inconduites fiscales, ses pitreries en Inde et ses politiques influencées par le plus offrant.

En lisant « Notre Trudeau », je ne peux m’empêcher de me demander comment le Parti libéral du Canada fait pour ensorceler certains jeunes Québécois. Ils deviennent des petits moutons fédéralistes bêlant en cœur un abrutissant refrain : We love you Quebec! You can’t survive without us! Restez dans notre belle confédération franglophone! Scandaleux de ne pas connaître son histoire, de se faire les collaborateurs d’un système qui opprime les Québécois depuis maintenant 265 ans. Trudeau le fils, égal à son père : Trudeau le corrompu, le fédéraliste, le guignol international… comme quoi la pomme est encore solidement accrochée à l’arbre mort et pourrie jusqu’au cœur.

J’aurai sûrement droit au discours typiquement fédéraliste, pratiqué devant le miroir en anglais puis en franglais, prétendant que le projet indépendantiste est contre-productif, administrativement impossible et économiquement abruti. Je mériterais de me faire dire d’arrêter de me plaindre sans cesse, de prendre mon trou, de vivre sous la tutelle canadienne et d’accepter mon sort de confédéré. Pourtant, je me refuse à concéder ma culture, ma langue et mon pays à quelques oligarques et leurs fanatiques sous prétexte que ce serait trop difficile de créer de la monnaie et qu’on ne saurait pas quel hymne national jouer aux parties des Canadiens!

Les hypocrites tout cravatés de rouge défendent l’autodétermination des peuples partout ailleurs sur la planète, mais se contrefichent royalement de leur Québec, leur pays.

Ce que le beau Justin tente de nous faire avaler, c’est la même chose que son père Pierre Elliott Trudeau a voulu faire avaler à nos parents – il faut croire que l’esprit de soumission est congénital! C’est ce qu’on nous fait avaler depuis la Conquête, la crise d’Octobre, le scandale des commandites : on nous dit que nous sommes une fière partie d’un tout. On dit que l’indépendance, c’est dépassé! Le Québec doit lécher les semelles d’un Canada oppressif et anglophone : il doit se résigner, se prostrer et s’humilier. Grâce aux jeunes libéraux québécois, la tâche est plus simple : ils se ridiculisent sans qu’on le leur demande, adulent un Canada qui ne leur donne rien et se mettent à genoux pour une publication LinkedIn dans les bras du fils prodigue!

« Jamais vous ne laisseriez un empire néo-colonialiste contrôler toutes les facettes de votre existence, s’emparer de votre territoire et détruire votre beau patrimoine canadien. Le Québec soumis au Canada, le Canada soumis aux États-Unis : chacun sa souffrance! »

Maudits Québécois, maudits souverainistes! Quand a‑t-on arrêté de s’indigner pour un combat qui est le nôtre? On s’indigne – heureusement et justement – pour les Irlandais et les Catalans, la veuve et l’orphelin – qu’en est-il de la nation souveraine québécoise? En quoi la cause est-elle différente, la portée moindre?

On voit le Canada complètement désemparé, sur le qui-vive face à une menace semi-pertinente d’annexion par les États-Unis. Mes camarades fédéralistes, percevez-vous l’ironie? Jamais vous ne laisseriez un empire néo-colonialiste contrôler toutes les facettes de votre existence, s’emparer de votre territoire et détruire votre beau patrimoine canadien.

Le Québec soumis au Canada, le Canada soumis aux États-Unis : chacun sa souffrance!

Les esprits les plus astucieux et dociles avanceront que le gouvernement fédéral ne largue pas de bombes sur le sol québécois et n’envoie pas la GRC exterminer du petit Québécois de fond de rang. Un raisonnement servilement impeccable : si personne ne meurt, l’indépendance ne peut être qu’un combat capricieux, un trouble d’opposition puéril de quelques hurluberlus qui n’aiment pas Terry Fox ou les Rocheuses.

L’exercice de la polarisation artificielle des enjeux de justice sociale et d’autodétermination fait en sorte que le sensationnel l’emporte sur le concret. C’est dommage qu’on exige des piles de cadavres et des beaux publireportages larmoyants pour grader l’importance d’une lutte. Philosopher avec des « oui, mais » c’est vraiment une aberration, un gaspillage de cortex frontal : pour faire l’indépendance, il faut arrêter de jouer au plus souffrant. Avec un minimum d’introspection, on se rend compte que notre peuple est précaire, en proie à la disparition de sa culture, de sa langue et son identité – pas besoin de se comparer pour comprendre ça! Les statistiques trompeuses des Libéraux ne bernent personne : le français – pilier central de la culture et de l’identité québécoise – est menacé sur tous les fronts. Pour achever notre féodalité, pas besoin d’envoyer le Royal Colonial Regiment : il suffira simplement de continuer vos maintes contributions à l’agonie de la langue québécoise!

Le Québec est un pays, c’est dit.

Le futur du Parti libéral, dans le fond, je n’en ai rien à faire. Ce qui m’écœure vraiment, c’est la trahison de jeunes Québécois qui renient leur identité et choisissent de louanger un homme et son parti au-delà de toute logique idéologique. Paul St-Pierre Plamondon pourrait démissionner demain, je voterais encore pour le Parti québécois : c’est le projet d’indépendance qui m’attire. C’est en se laissant avoir par le marketing de la Hill, par des enjeux mineurs et minables, par le charisme manufacturé d’une belle tête creuse que l’on perd de vue les enjeux qui comptent le plus pour notre peuple.

Je suis loin de m’attaquer ici à la liberté d’opinion, de presse ou bien celle d’être un suiveux soumis. Je critique une mentalité qui fait souffrir le Québec depuis bien trop longtemps, une association volontaire à un mouvement dont le fédéralisme néocolonial est un catalyseur. C’est mon opinion, j’y ai droit. Rendezmoi la pareille, dites-moi ce que vous pensez de mon idéologie ; j’ai hâte de vous voir vous battre contre la liberté, l’autodétermination et l’indépendance.

Je n’arrêterai jamais de m’opposer aux fédéralistes insipides, aux adorateurs du régime et autres employés fédéraux propagandistes. La liberté est le combat d’une vie : il faut croire que, comme Québécois, un jour nous vaincrons, nous arriverons à bout des arrivistes déloyaux qui paralysent le combat pour l’indépendance.

Pour le dire dans des mots que vous devriez comprendre : Just watch me, criss!

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La famille nucléaire à l’épreuve de l’époque contemporaine https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/la-famille-nucleaire-a-lepreuve-de-lepoque-contemporaine/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56968 Faut-il se tourner vers des alternatives pour mieux « faire famille »?

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La famille nucléaire : voilà un terme un peu niché que j’ai découvert dans mes cours de sociologie au lycée. Initialement définie comme une réalité idéale par des sociologues tels que George Murdock dans Social structure (1949) en tant que « groupe social caractérisé par une résidence commune, une coopération économique et la reproduction », la popularisation des modes de vie alternatifs a amené de nombreuses personnes à questionner le modèle de la famille nucléaire.

C’est cela qui m’a conduite à recueillir les témoignages de mes pairs, Pénélope, Anatole* et Thomas – certains étudiant à McGill et d’autres étant de jeunes professionnels montréalais – afin d’explorer ce qu’il reste de cet idéal aujourd’hui. Certains le perçoivent comme un modèle stable mais contraignant, tandis que d’autres y trouvent une source de désillusions. Ces dialogues révèlent comment la famille nucléaire, bien qu’érodée par des changements sociétaux et des défis actuels, reste un repère ambivalent.

Des interrogations autour de la parentalité

Pour certains de mes interlocuteurs, la question de fonder leur famille nucléaire demeure essentielle, mais elle est souvent liée à des considérations dépassant le simple désir de progéniture. Le contexte climatique, comme les incertitudes économiques et sociales, peuvent notamment les amener à réévaluer ce choix. Pénélope, une jeune barista en pause d’études d’histoire de l’art à McGill, me fait part de ses sentiments sur la question : « Dans l’idée, j’aimerais avoir des enfants, mais avec l’instabilité du monde actuel, je me demande si je serais capable d’offrir un cadre de vie aussi sécurisant que celui que mes parents m’ont donné. »

Elle me confie toutefois la pression sociale qu’elle subit lorsqu’elle partage ses doutes sur la maternité : « Je ne comprends pas pourquoi c’est encore le cas aujourd’hui, mais depuis que j’ai passé les 25 ans, on dirait que la question d’avoir des enfants est devenue centrale dans la manière dont les autres me voient. Ce n’est même pas que j’y ai renoncé complètement, mais la possibilité même que je ne materne pas semble heurter la sensibilité de certains. Ils m’expliquent combien je le regretterai plus tard si je n’en ai pas. Moi, j’aime croire que je pourrais être heureuse avec comme sans enfants. »

« En dépit des réalités économiques, climatiques et des évolutions sociales qui l’ont fragilisée, la famille nucléaire continue d’être perçue par certains comme un pilier de stabilité et un modèle structurant dans un monde incertain »

Pour ceux qui tiennent encore au modèle de la famille nucléaire, il s’agit souvent de reproduire une expérience qui fut positive pour eux, ou bien au contraire, qu’ils aimeraient « corriger » en devenant de meilleurs parents que les leurs. Il y a quelques années encore, Anatole, étudiant en science politique à McGill, pensait fonder sa propre famille. Il m’explique : « Je voulais faire mieux que mon père. Ce ne serait pas très dur : j’aurai juste à ne pas lever la main sur mes gamins. Maintenant je crois que l’envie m’est passée, ce n’est sans doute plus aussi important pour mon égo, ou du moins je préfère ma liberté à ce que des enfants pourraient m’apporter. »

Comme d’autres, Anatole questionne le modèle même de la parentalité dans le cadre nucléaire. Il fait partie de ceux qui veulent vivre « différemment » : « J’ai deux loups en moi. D’un côté je contemple la vie tranquille qu’un job confortable pourrait m’apporter, de l’autre, je me vois voyager en bus et rejoindre mes amis ingénieurs son sur des lieux de fêtes, être libre de mes mouvements, faire ce que je veux sans que ça ait de conséquences sur un autre humain. »

Nombreux sont ceux qui envisagent des alternatives, comme la coparentalité entre amis ou les communautés de vie où les responsabilités parentales sont partagées, comme l’éducation des enfants, ou la gestion des tâches quotidiennes pour leur bien-être. Ces modèles, bien qu’encore marginaux, offrent un soulagement des charges mentale et émotionnelle en créant un réseau d’entraide et un équilibre entre vie personnelle et familiale. Ils témoignent d’une volonté croissante de s’éloigner de l’individualisme inhérent à la famille traditionnelle. En ce sens, ils traduisent une quête de solidarité et d’appartenance plus large, qui dépasse le cercle restreint des relations biologiques.

Modèles alternatifs et solidarités nouvelles

Les modèles alternatifs de famille ou d’habitation apparaissent comme des solutions à l’isolement, comme à Montréal où le modèle de la colocation est largement démocratisé. Pour beaucoup, cette configuration offre une manière plus fluide d’aborder les relations humaines, tout en réduisant la pression qui pèse sur les liens familiaux traditionnels. Thomas, qui partage un appartement avec deux autres jeunes professionnelles depuis 3 ans, affirme : « J’ai commencé à vivre avec Aglaé et Marie sans les connaître, à travers un groupe Facebook, quand on était étudiants à McGill et encore tous les trois fauchés. Mais maintenant qu’on travaille, l’excuse économique n’est plus : on décide délibérément de continuer à vivre ensemble. On aime ça se soutenir dans les moments difficiles, mais c’est aussi le fun de rentrer et d’avoir quelqu’un avec qui tout partager, surtout avec l’hiver qui peut vite ralentir les sorties. On a comme l’impression d’être une famille choisie les uns envers les autres, et comme nos histoires romantiques n’ont pas tant pris ces derniers temps, on se rend encore plus compte de la valeur de la stabilité de ce lien en comparaison à celui d’une famille classique qui repose sur l’amour de deux parents. » Il ajoute : « Plus je grandis, plus je réalise comme c’est rare de rencontrer des adultes dans des mariages heureux. Je ne comprends pas pourquoi ça ne se fait pas plus d’essayer autre chose que la vie en couple. »

Cette notion de « famille choisie » dont parle Thomas a été popularisée par les communautés queer, et trouve de plus en plus d’écho auprès des jeunes générations. Dans ces configurations, le lien affectif prime sur le lien biologique, ce qui permet une réelle réinvention des structures relationnelles. En dépit des réalités économiques, climatiques et des évolutions sociales qui l’ont fragilisée, la famille nucléaire continue d’être perçue par certains comme un pilier de stabilité et un modèle structurant dans un monde incertain. Ce modèle permet aussi de concentrer le soutien émotionnel et matériel sur un cercle restreint, tout en facilitant la transmission intergénérationnelle de valeurs, de traditions et de patrimoine. Ces aspects expliquent pourquoi il reste privilégié par ceux qui cherchent une forme de stabilité ou un héritage culturel fort, malgré ses limites perçues. Pour beaucoup, la famille nucléaire garantit néanmoins une organisation claire des rôles et des responsabilités, offrant un cadre rassurant dans une société où les repères changent rapidement. Idéale pour certains et source de rejet pour d’autres, la famille nucléaire incarne ainsi la nostalgie d’une époque perçue comme plus ordonnée, tout en soulignant les contraintes d’un modèle parfois trop rigide pour s’adapter aux attentes contemporaines.

*Nom fictif

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Vivre en résidence : mélange culturel ou simple colocation améliorée? https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/vivre-en-residence-melange-culturel-ou-simple-colocation-amelioree/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57025 McGill : résidences universitaires, entre diversité et repli social.

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Si les étudiant·e·s en première année à l’université font souvent l’expérience de vivre loin de leurs parents, cette transition prend une dimension particulière en résidence universitaire, où la mixité culturelle et les affinités sociales s’entrelacent. Ainsi, lorsqu’ils·elles arrivent à McGill, une question majeure se pose : résidence ou colocation? Cet éloignement de la bulle familiale offre une opportunité unique de rencontrer des personnes aux parcours, langues et habitudes de vie différents, élargissant ainsi le cercle social habituel. En 2022, 29,8 % des étudiant·e·s inscrit·e·s à McGill étaient internationaux·ales. Les résidences concentrent une grande partie de cette population en première année. Dans ce saut vers l’inconnu et face aux défis de l’intégration, la résidence étudiante peut être perçue comme un accélérateur de relations dans un cadre multiculturel souvent bien différent de ce à quoi on a été habitué auparavant. Pourtant, bien que généralement proposée par McGill pour les nouveaux·lles venu·e·s, loger dans une résidence demeure une option coûteuse et qui n’est pas systématiquement envisagée.

Pour mieux cerner l’impact des résidences universitaires sur l’intégration sociale et la diversité culturelle à McGill, j’ai mené plusieurs entretiens avec des étudiantes ayant connu différents parcours. Parmi elles, Rosa Benoit-Levy, en première année, ainsi que Susana Baquero, Auxane Bussac, et Marguerite Lynas, toutes en troisième année, ont partagé leurs expériences dans diverses résidences. Cette enquête explore si ces lieux de vie collective tiennent leur promesse de diversité et favorisent la formation de liens sociaux durables.

La diversité en résidence, une réalité?

Dans les résidences universitaires de McGill, les espaces communs partagés comme les cuisines, les réfectoires ou les salles de bain sont souvent des lieux de socialisation. Ce type d’environnement favorise des interactions fréquentes et informelles entre les résident·e·s, confronté·e·s à la vie en communauté. Auxane Bussac, élève de troisième année, souligne : « En termes de vie sociale ça me paraît évident que vivre en résidence facilite la création de liens avec les autres étudiants pour la simple et bonne raison qu’on vit ensemble 24 heures sur 24 et sept jours sur sept […] il y a aussi l’esprit de communauté qui est non négligeable en résidence, être en permanence à quelques pas les uns des autres et partager une intimité de vie au quotidien ça crée des liens très forts. »

« Les témoignages recueillis auprès de nombreux·ses étudiant·e·s montrent que l’année en résidence constitue un
tremplin important pour l’intégration sociale et l’exploration de la diversité culturelle »

Sur le site officiel du Logement étudiant de McGill, l’Université dit offrir des espaces adaptés à chacun·e (selon le coût, le bruit…) avec son slogan : « Nos résidences reflètent la diversité de la population étudiante ». Cette promesse de diversité est perçue différemment selon les expériences des résident·e·s. Dans les premières semaines, ce contexte si particulier, où l’on ne choisit pas qui sera notre voisin·e, donne l’impression de pouvoir connaître beaucoup de monde, provenant de larges horizons. Et en théorie, oui ; comme le souligne Marguerite Lynas (élève de troisième année ayant vécu à la Nouvelle Résidence) : « Quand tu vis dans la résidence c’est très sympa puisque tu as toujours l’opportunité de rencontrer des nouvelles personnes si tu veux. Cela permet de ne pas te fermer dans un groupe mais de diversifier le genre de personnes que tu vas fréquenter, et les langues que tu vas parler. »

Cependant, en pratique, selon les caractères, langues parlées, expériences vécues… chacun·e a tendance à rester essentiellement avec des personnes de même origine ou parlant la même langue que lui·elle, comme le rapporte Auxane. Cela peut se produire plus naturellement du fait d’une culture, de références, d’habitudes, d’humour, qui peuvent amener à une entente tacite et renforcée par l’éloignement géographique du pays natal. Face à la réalité de ses liens, Auxane explique : « On a tous tendance à rester vachement avec nos pairs. […] Donc je ne dirais pas qu’on est particulièrement confronté à des interactions interculturelles, ça demande de l’effort, mais c’est clair que vivre en résidence ça facilite n’importe quel type d’interactions. »

Comme l’étudiante l’explique par la suite, rencontrer de nouvelles personnes nécessite parfois de sortir de sa zone de confort et d’aller vers les autres : « Tu peux vivre en résidence et pour autant te renfermer sur toi-même et tu feras beaucoup moins de rencontres que d’autres qui ne vivent pas en résidence, mais sont ouverts et avenants. » La résidence n’est donc pas toujours une précondition pour nouer des liens forts avec des personnes provenant du monde entier.

« Un refuge culturel »

Toutefois, pour certain·e·s, les similarités culturelles offrent un confort qui facilite l’adaptation et la confiance dans ce nouvel environnement. Susana Baquero, étudiante colombienne en troisième année, a trouvé un refuge culturel en partageant son étage avec une Panaméenne et une Mexicaine à l’une des Résidences supérieures : « Je me suis sentie plus à l’aise en parlant ma langue natale, je sentais que j’étais entourée de personnes qui comprenaient certaines choses dans ma culture. Ça ne veut pas dire que je ne m’entendais pas avec les autres gens de mon étage, mais ça me faisait me sentir plus proche de la maison. »

À l’inverse, au-delà d’une recherche de diversité culturelle, certaines résidences sont connues pour être dominées par une ou plusieurs nationalités, contrastant avec le slogan affiché sur le site du Logement étudiant. Par exemple, Rosa Benoit-Levy, actuellement en première année, remarque qu’à la Nouvelle Résidence : « Il n’y a pas beaucoup de diversité, dans la mesure où c’est une majorité de Français. Mais après, il y a pas mal d’Américains. Ça m’a plu, même s’il y a moins de diversité à Nouvelle Résidence que dans d’autres résidences. »

Les témoignages recueillis auprès de nombreux·ses étudiant·e·s montrent que l’année en résidence constitue un tremplin important pour l’intégration sociale et l’exploration de la diversité culturelle. Bien qu’aucune résidence ne soit exclusivement composée d’une seule nationalité, des regroupements naturels peuvent influencer l’expérience de la diversité. Néanmoins, la structure inclusive des résidences de McGill offre à tous·tes les étudiant·e·s une opportunité d’interagir dans un cadre multiculturel, même si la pleine exploration de cette diversité dépend de la volonté individuelle de chacun·e à sortir de sa zone de confort.

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Un, deux, trois, pitchez! https://www.delitfrancais.com/2025/01/22/un-deux-trois-pitchez/ Wed, 22 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=57028 Comment les incubateurs universitaires accompagnent-ils les étudiants-entrepre-
neurs vers le succès ?

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Avez-vous déjà imaginé que votre projet de fin de semestre soit plus qu’une présentation PowerPoint et devienne une véritable entreprise? Aujourd’hui, de plus en plus d’étudiants sautent le pas et se lancent dans leur propre aventure entrepreneuriale, et ce, depuis les bancs de l’université. L’entrepreneuriat, aussi stimulant qu’incertain, séduit particulièrement la génération Z, prête à travailler d’arrache-pied pour donner vie à ses idées.

Entre ambitions personnelles, mise à l’épreuve, et soutien institutionnel des incubateurs, nous nous penchons sur le mode de vie et les ressources des étudiants-entrepreneurs sur la voie du succès. Afin de plonger dans la réalité qui se cache derrière les paillettes et les slogans inspirants des start-ups, je suis allée à la rencontre d’étudiants-entrepreneurs et de responsables de l’incubateur Dobson de McGill.

Tremplin ou simple coup de pouce?

Face aux incertitudes de l’entrepreneuriat, de nombreuses universités canadiennes telles que HEC Montréal, l’ÉTS, ou encore Concordia ont créé des incubateurs pour offrir un cadre structuré et maximiser les chances de réussite de leurs étudiants-entrepreneurs. Bien que ces structures jouent un rôle clé dans l’écosystème entrepreneurial, leur efficacité demeure un sujet de débat.

Le Centre Dobson pour l’entrepreneuriat de McGill, actif depuis maintenant 30 ans, incarne bien ce modèle. Ouvert à l’ensemble de la communauté mcgilloise, il propose des programmes structurés et progressifs allant de la conception d’une idée à des tournées internationales. Fonctionnant presque comme un cours, cet incubateur enseigne aux étudiants les étapes clés de la création et de la croissance d’une entreprise, tel que l’art du pitch devant des investisseurs.

« L’outil clé : adopter une posture introspective, se poser des questions sans relâche et accepter que l’échec, loin
d’être une finalité, est une opportunité d’apprentissage »

Selon Marianne Khalil, gestionnaire principale du Dobson Center, l’incubation universitaire présente deux atouts majeurs : un réseau facilitant les connexions avec des investisseurs et des acteurs du secteur, ainsi qu’une réduction des risques grâce à la crédibilité académique. Lors d’une entrevue, elle m’explique que de faire partie d’un incubateur permet avant tout d’avoir un accès direct vers l’industrie visée : « C’est un peu comme du match-making. » En agissant comme un sceau de qualité, l’incubateur rassure les investisseurs et offre aux étudiants un environnement propice à l’innovation. Ces avantages s’illustrent dans l’aventure de l’entreprise Arravon, cofondée par deux étudiants de McGill, qui m’ont expliqué que leur incubation leur a permis de franchir une étape importante. L’un d’eux m’a d’ailleurs confié : « Grâce au centre, j’ai pu rencontrer des investisseurs et des experts qui ont contribué à faire progresser mon projet. »

Rejoindre un incubateur est un atout non négligeable face à toutes les difficultés rencontrées lors d’une aventure entrepreneuriale. Cependant, cela ne garantit pas pour autant le succès. Bien que ces structures offrent un cadre et des conseils précieux, une grande majorité des start-ups incubées finissent tout de même par disparaître. L’entrepreneuriat reste un domaine incertain, où la persévérance et l’agilité sont essentielles. Au-delà du coup de pouce des incubateurs universitaires, la réussite dépend surtout de la capacité des entrepreneurs à s’adapter, à se démarquer et à évoluer dans un milieu de plus en plus compétitif. Pour les étudiants en particulier, réussir à créer une entreprise implique de repenser leur mode de vie afin de trouver un équilibre.

Un mode de vie à double casquette

Le quotidien des étudiants-entrepreneurs repose sur un équilibre délicat entre études et projets professionnels. En effet, bien que beaucoup se lancent initialement pour occuper leur temps libre, rapidement, leurs priorités se réorganisent : leur cursus académique est adapté, presque contraint de répondre aux exigences de leur entreprise. À l’unanimité, on constate que l’entrepreneuriat prend le pas sur les études. « Officieusement, l’entrepreneuriat, c’est mon activité principale, mais il ne faut pas le dire à voix haute », souligne une étudiante anonyme et fondatrice d’une start-up incubée. La gestion de ce double engagement demande une organisation rigoureuse. Il apparaît que les étudiants-entrepreneurs s’accordent à dire qu’il s’agit d’un projet exigeant, nécessitant un engagement total, qui finit par transformer le rapport au temps et aux responsabilités.

Mais dans ce cas pourquoi ne pas attendre pour se lancer? Pour les trois étudiants interrogés, c’est avant tout la recherche de renouveau et de défis qui les motive. L’université représente le terrain de jeu idéal pour expérimenter et faire des erreurs. Cette période de vie, où l’entrepreneuriat ne constitue pas encore une source de revenu principal, limite les risques financiers et les aide à se lancer. Comme le souligne Xavier Niel, fondateur de la station F – un incubateur de start-ups lors d’entrevues : « le moment idéal pour lancer une start-up, c’est celui qui vous met le moins en danger, soit le confort douillet des études. » Il ajoute que « quand vous commencez [votre entreprise] à 19 ans, le risque est faible car c’est la continuité de vos études, que la start-up marche ou non. »

Au-delà des risques, l’ambition joue un rôle clé au sein des étudiants qui choisissent de se lancer : « C’est le plus gros projet sur lequel je pouvais mettre la main », explique Cyril, un étudiant en anthropologie à Concordia ayant lancé deux start-ups dans son temps libre. Cela traduit l’idée que cette opportunité représente un projet d’envergure, qui valorise pleinement leurs capacités et leurs ressources. Cependant, cette valorisation peut être mise à rude épreuve lorsque confrontée à l’échec.

Une jeunesse ambitieuse face aux échecs en entrepreneuriat

Dans le monde de l’entrepreneuriat, les échecs sont non seulement acceptés – quatre idées sur cinq n’aboutissent jamais -, mais sont considérés comme une étape essentielle du processus. Plus que des idées souvent volatiles, c’est la personnalité de l’entrepreneur et la capacité à incarner une vision dans un secteur maîtrisé qui font la différence auprès des investisseurs. « Avoir une idée, ça s’apprend. Ce que tu vends lors d’un pitch, c’est ton ambition », m’explique l’un des cofondateurs d’Arravon Technologie, présentement étudiant à McGill.

Carole Stromboni, autrice du livre Innover en pratique, explique que l’idée représente seulement 10% de l’innovation. Les 90% du chemin restant prennent une dimension profondément personnelle, incluant les premiers grands échecs. Contrairement à l’école ou au monde de l’entreprise, où l’échec peut être dilué parmi les autres, en entrepreneuriat, il semble sans excuses, ni filet de sécurité: ce que l’on crée, c’est soi-même. Cette idée met l’estime de soi à rude épreuve, imposant une capacité à prendre de la distance et se détacher progressivement des échecs. Cyril s’est lancé dans l’entrepreneuriat en fondant Meoria et Jeuno, deux start-ups dédiées à la jeunesse, connaissant à la fois des réussites et des échecs. Il m’explique que la gestion émotionnelle de ces échecs s’avère un long apprentissage, mais demeure essentiel au succès sur le long terme: « Ce n’est pas parce que ça ne fonctionne pas que je ne suis pas fait pour ça. »

Même si l’entrepreneuriat attire une large foule séduite par le prestige, seuls quelques-uns, armés de résilience, parviennent à se démarquer. L’outil clé : adopter une posture introspective, se poser des questions sans relâche et accepter que l’échec, loin d’être une finalité, est une opportunité d’apprentissage. Ainsi, la frontière entre succès et échec se floute, les hauts comme les bas apportant de précieuses leçons.

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Ma vieille amie, la dépression saisonnière https://www.delitfrancais.com/2025/01/15/ma-vieille-amie-la-depression-saisonniere/ Wed, 15 Jan 2025 12:00:50 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56866 Doit-on réellement craindre les mois hivernaux?

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La dépression saisonnière, ce mal insidieux qui s’immisce avec les premières bourrasques de novembre, avec le changement d’heure, ne m’est plus étrangère. Pendant des années, j’ai redouté cette période. Je redoutais les journées qui raccourcissent, le froid qui s’épaissit et les nuits qui semblent s’allonger infiniment. Mais cette année, quelque chose a changé. Cette année, j’ai décidé de l’apprivoiser, d’y voir le beau qu’elle a à offrir.

Cette année, je me soumets à la dépression saisonnière, je choisis d’y trouver du réconfort. Je sors de la bibliothèque et il fait un noir dense. Il me neige gentiment dans les yeux. Je marche vers le métro. Par les années précédentes, la simple pensée du froid montréalais et de la tristesse caractéristique du campus à ce temps-ci de l’année m’aurait donné envie de me mettre en petite boule et d’hiberner jusqu’en mars. Mais cette année, je vois les choses différemment. Cette année, je trouve un charme à la mélancolie hivernale, au froid et à sa solitude.

Cette évolution dans ma perception me surprend et me réjouit à la fois. L’an dernier, à cette même période, j’avais confié au Délit que ma résolution pour l’année 2024 était de « vaincre la dépression saisonnière ». Ironique, me direz-vous, que je choisisse de l’accueillir pleinement cette année. Mais peut-être est-ce justement cela, l’astuce : ne pas chercher à la combattre, mais à la comprendre, à l’accepter, voire à en tirer parti.

Profiter de l’hiver

Il se trouve que dans la dépression saisonnière, cette année tout particulièrement, je trouve un appel à ralentir, à contempler. Les journées qui s’allongent lentement offrent maintenant une promesse presque imperceptible, celle du retour de la lumière. Mais, en attendant, la noirceur m’impose un rythme plus doux, plus intime. Le silence de l’hiver et l’immobilité de la neige encouragent une introspection profonde. Dans l’éloignement et la réflexion, il y a l’occasion de grandir, de regarder en soi, loin de la superficialité souvent associée à l’été. Cette année, je lis plus – pas pour l’école, mais pour mon plaisir personnel. J’écris plus aussi. Je dirais même que je pense plus, plus à moi, plus à ce qui se passe dans ma tête.

En soit, c’est beau de se dire que c’est l’inertie de l’hiver qui me force à me plonger au plus profond de ma tête et à contempler mon esprit. En réalité, il est quelque peu regrettable que je n’en sois pas venue à cette conclusion plus tôt : le calme de l’hiver se doit d’être porteur de changement intérieur, doit me servir à grandir et devenir meilleure.

Pendant l’été, l’insouciance nous porte. Les jours longs et les nuits courtes, les terrasses animées, les amis réunis – tout cela est distrayant et ne permet pas, à mon avis, le même type de réflexion que l’hiver. En hiver, c’est qu’il n’y a nulle part où fuir, nulle part où se cacher. On se retrouve seul avec ses pensées. Et c’est là que réside peut-être la beauté cachée de cette saison : elle nous force à affronter nos démons, à explorer des parties de nous-mêmes que nous n’avions pas osé regarder en face – ou que nous avions ignorées, réprimées, jusque là.

Des résolutions productives

Cette année, je profite de la dépression saisonnière. Je m’alimente mieux, j’ai un horaire stable de sommeil, je prends du temps pour moi. Après des mois de sorties et de sommeil chaotique, cela fait du bien de se concentrer sur soi. Ce sont des gestes simples, mais qui font toute la différence. Peut-être que cette possibilité de me détacher de l’anxiété hivernale provient d’une forme de privilège, un privilège me permettant de ne pas réellement craindre la noirceur de l’hiver. Après tout, j’ai un toit, de quoi manger, et des gens qui m’aiment. Mais je crois aussi qu’il y a quelque chose d’universel dans cette capacité à rééquilibrer ses attentes face à l’hiver québécois. Il y a aussi peut-être une forme de responsabilité qui réside en chacun de nous de s’assurer qu’on ne se laisse pas engloutir par le noir de l’hiver. Alors, plutôt que d’espérer vivre dans les mêmes conditions que l’été, pourquoi ne pas se réjouir de ce que l’hiver a à nous offrir? Pourquoi ne pas tenter de maximiser son potentiel trop souvent sous-estimé, en prenant le temps de se recentrer sur ce qui est important?

L’hiver impose une lenteur qui peut paraître oppressante, mais qui peut aussi être libératrice. On apprend à apprécier les petits plaisirs : mon café matinal, les rayons du soleil qui réchauffent le fond de mon cuir chevelu, les flocons qui se posent sur mes cils. L’an dernier, je vous aurais dit que comme je ne suis pas particulièrement adepte des sports d’hiver, cette saison n’avait rien de bien à m’offrir. Malgré tout, cette année, ce sont ces moments, si insignifiants soient-ils, qui prennent une ampleur nouvelle, puisque j’ai choisi de les remarquer, de les célébrer.

« Mais peut-être est-ce justement cela, l’astuce : ne pas chercher à la combattre, mais à la comprendre, à l’accepter, voire à en tirer parti »

S’adapter à elle

Pour moi, le secret réside dans l’adaptation. Il ne s’agit pas de nier la rudesse de l’hiver ou de prétendre qu’il est facile d’y survivre. Mais on peut – et on devrait – apprendre à danser avec cette réalité, à régler son mode de vie sur le tempo imposé par cette saison. Cela passe par des ajustements concrets : des sorties planifiées pour contrer l’isolement, des activités qui nourrissent l’esprit, et un soin particulier accordé à sa santé mentale et physique. Avec toutes ses stratégies réunies, je crois fermement que l’hiver saura nous révéler toute sa splendeur, et nous permettra de grandir durant ces mois de froid.

Ce processus demande de l’humilité. Accepter que l’hiver ne soit pas parfait, qu’il soit dur, et que la mélancolie qu’il apporte ne puisse être entièrement évitée. Mais dans cette acceptation réside une forme de paix. L’hiver, avec sa solitude, son froid et sa lenteur, devient alors une période de gestation, une pause nécessaire avant le renouveau du printemps. C’est pourquoi cette année, je choisis de ne pas lutter. Je choisis de me laisser porter par la saison, de trouver la beauté dans ses ombres et la chaleur dans ses silences. Et qui sait, peut-être que cette dépression saisonnière, loin d’être une ennemie, pourrait devenir une guide, une muse, une opportunité de grandir, et ma plus grande alliée en cet hiver.

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Notre Trudeau https://www.delitfrancais.com/2025/01/15/notre-trudeau/ Wed, 15 Jan 2025 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56817 Un jeune libéral nous parle du futur de son parti.

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C’est lundi matin que ça s’est finalement fait. À Ottawa, devant la porte de Rideau Cottage, la résidence temporaire qu’occupe Justin Trudeau depuis que le 24 Sussex Drive est en construction, Trudeau a annoncé aux 41 millions de Canadiens qu’il quittait ses fonctions de premier ministre et de chef du Parti libéral du Canada. C’est après une lente agonie que le chef du gouvernement s’est finalement résigné à faire l’annonce de son départ. Pourtant, Justin Trudeau n’est pas le premier ni le dernier à prendre cette décision. Avant lui, son père avait aussi démissionné en 1982 et choisit de prendre le chemin de la retraite. Jean Chrétien a quitté les communes après que des tensions internes sont devenues trop importantes pour préserver l’intégrité de
son leadership. Dans le cas de Trudeau, c’est la démission fracassante de sa ministre des finances, ChrystiaFreeland, qui a été la goutte ayant fait déborder le vase. C’était le dernier coup de couteau que Brutus portait à César, celui qui fut fatal.

« Monsieur Trudeau, vous avez inspiré une génération entière à la politique, nous nous sommes sentis vus, entendus et représentés »

À la suite du départ de Freeland, plusieurs choses se sont bousculées sur le calendrier des communes. Premièrement, Trudeau a annoncé son choix de proroger le Parlement. En d’autres mots, le Parlement ne siégerait pas. Les comités, les périodes de questions, tout ça a été mis en pause jusqu’au 24 mars. Ne vous inquiétez pas, le pays ne cessera pas d’opérer durant cette période. Le cabinet des ministres continue de se rencontrer, Trudeau demeure notre premier ministre. Donc, pour ceux et celles, de bonne ou de mauvaise foi, qui craignaient que le Canada prenne une dérive dramatique au cours des prochains mois, il reste un capitaine à la barre du navire.

Deuxièmement, dans sa conférence de presse, le premier ministre a aussi fait l’annonce qu’une course à la chefferie sera tenue afin d’élire un nouveau chef du Parti libéral. Autrement dit, après que l’exécutif national du parti ait déterminé les règles et conditions, nous, les libéraux, nous trouverons un nouveau chef d’ici mars. Il s’agit d’un moment des plus cruciaux, puisqu’il marque la première course à la chefferie libérale depuis 2013. Ce sera donc un moment parfait pour nous rassembler en tant qu’entité politique, panser nos blessures et nous retrouver en famille pour discuter du futur du parti. Ce sera aussi l’occasion de choisir ce qui est favorable pour le futur de notre formation politique, forte de 158 ans d’histoire, et que l’on espère voir évoluer aussi gracieusement qu’auparavant.

Troisièmement, l’heure des réactions a sonné : elles ont été nombreuses. D’une part, il y a eu les antagonistes. La coutume veut qu’on salue nos opposants lorsqu’ils quittent leurs fonctions publiques, une manière de reconnaître les sacrifices familiaux et personnels auxquels un politicien s’est soustrait pour le bien du pays. C’est une simple formalité, une preuve de civisme dans une arène politique trop souvent sanguinaire.

Pourtant, certains – comme Paul St-Pierre Plamondon, Pierre Poilievre et Jagmeet Singh, à l’image de Trump – ont fait fi des traditions politiques qui maintiennent le bon entendement.

Ils ont opté pour des critiques gratuites et polarisantes envers le premier ministre sortant afin de faire de vulgaires points politiques. Ce faisant, ils nous ont prouvé une chose : que leur bassesse n’a d’égal que leur manque de savoir-vivre et de respect envers les institutions démocratiques. Dans ce genre de moment, je tente de me souvenir d’une phrase de Michelle Obama ; « quand ils s’abaissent au plus bas, nous nous élevons. (tdlr) » C’est ce que je choisis de faire aujourd’hui. Dans le futur, je les remercierai de leur service rendu le jour où ces trois charmants messieurs nous feront le plaisir de quitter la vie politique.

D’autre part, les membres du caucus libéral lui ont tous rendu hommage. Tous, sans aucune exception, les mutins comme les fidèles. À leur manière, beaucoup ont salué le travail du premier ministre dans ses fonctions de chef de gouvernement, chef de parti et finalement comme député de la circonscription de Papineau depuis 2008. En politique, de nos jours, la décence est rare, mais il est bon de voir qu’il y en a toujours.

Pour conclure sur une note plus personnelle, chers lecteurs, permettez-moi de m’adresser à celui qui m’aura tant inspiré. À cet idole qui, alors que j’avais tout juste 11 ans, m’a poussé à prendre part à la vie politique : Monsieur Trudeau, Justin, c’est avec le cœur lourd, mais le sentiment du devoir accompli que je vous dis merci. Merci d’avoir fait du Canada une place où il fait bon vivre. Avec le premier cabinet paritaire dans l’histoire du pays, vous avez commencé en force, démontrant que votre gouvernement refléterait la réalité des gens qu’il sert. C’est à vous, monsieur Trudeau, que l’on doit les avancements dans la réconciliation avec les peuples autochtones – les horreurs commises depuis la colonisation entachant toujours notre histoire nationale. On vous doit aussi la baisse de nos émissions de carbone, un enjeu de plus en plus important. On doit saluer votre travail qui a permis de sortir un million d’enfants de la pauvreté depuis 2015. Mais surtout, on a une dette envers vous, puisque vous avez su montrer à notre jeunesse que la différence n’est pas une faiblesse, mais bien la force du Canada. J’en suis la preuve. Je me souviendrai toujours de vous comme cet homme qui, avec joie, a hissé pour la première fois sur la colline parlementaire le drapeau arc-en-ciel, envoyant un message de tolérance et d’espoir à ceux qui, comme moi à l’époque, n’osaient pas parler de fierté.

Monsieur Trudeau, vous avez inspiré une génération entière à la politique, nous nous sommes sentis vus, entendus et représentés. Vous êtes la preuve que la promesse du Canada n’est pas brisée comme certains voudraient le faire croire. Au contraire, elle est vivante et pleine d’espoir. Merci pour ce que vous nous avez donné. Vous qui avez fait offrande de toutes ces années de vie en famille troquées pour des réceptions pas toujours si palpitantes ou encore cette jeunesse fougueuse par laquelle on vous reconnaît, contre quelques rides et des cheveux blancs. La vie politique est ingrate, personne n’en doute plus aujourd’hui, mais dans un monde rempli de cynisme, vous avez été pour plusieurs notre voie ensoleillée. À mon premier ministre, à mon chef, à mon Justin, je ne peux que vous serrer la main et vous dire un énorme merci.

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Ententes pour la francophonie https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/ententes-pour-la-francophonie/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56667 Les frais réduits au Québec trahissent-ils un désir de ne sélectionner que les « bons » francophones?

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Peuplé de huit millions de francophones, le Québec se présente aujourd’hui comme le bastion de la francophonie en Amérique du Nord, notamment à travers ses politiques de promotion du patrimoine linguistique. Cultivant son image de province accueillante, le Québec offre une tarification préférentielle pour les études supérieures aux francophones, mais seulement aux étudiants originaires de France et de la communauté francophone de Belgique.

Au cours des cinq dernières années, 865 millions de dollars (soit en moyenne 173 millions de dollars par an) ont été alloués aux étudiants français inscrits dans les universités et cégeps du Québec sous forme de subventions. Ces fonds permettent aux étudiants de premier cycle de payer des frais de scolarité environ deux fois moins élevés que ceux imposés aux autres étudiants internationaux, et même inférieurs à ceux des Canadiens non-résidents du Québec, en raison des récentes augmentations tarifaires les visant. Pour les cycles supérieurs, l’écart est encore plus marqué : lorsqu’ils sont inscrits en maîtrise ou au doctorat, les étudiants français et belges paient les mêmes frais que les résidents québécois, un privilège qui n’est pas même accordé aux Canadiens nonrésidents du Québec.

Cet effort financier a indéniablement fait croître la présence d’étudiants français et belges — et par extension, celle de la francophonie — dans les institutions universitaires québécoises, les intégrant comme des partenaires clés du projet linguistique de la province. Cependant, il soulève des questions sur l’inclusion, l’équité ou encore le sentiment d’appartenance qu’il induit. Qui peut vraiment se sentir chez soi au Québec? Et que révèle cette générosité sélective sur la vision québécoise de la francophonie?

Vers une francophonie à tout prix

Au Québec, les frais de scolarité dépassent la question financière : ils dessinent une frontière nette entre ceux auxquels on permet de s’intégrer et ceux qui sont forcés à rester en marge. Les résidents du Québec, qui bénéficient des tarifs les plus bas, incarnent le cœur battant de la province. Les Canadiens non résidents deviennent quant à eux déjà des « presque-étrangers » en étant sommés de payer des frais deux fois plus élevés que les résidents de la province. L’addition reste considérablement inférieure à celle imposée aux étudiants internationaux, qui se voient ainsi relégués au statut d’appartenance le plus limité.

Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

La préférence tarifaire accordée aux étudiants français et belges, au-delà de constituer une anomalie chez les étudiants internationaux, agit comme un rapprochement symbolique avec les résidents québécois. Elle les invite à se sentir chez eux, à la différence des autres étudiants francophones et des Canadiens originaires d’autres provinces. En favorisant des étrangers plutôt que leurs concitoyens anglophones ou francophones d’ailleurs au Canada, le projet de la francophonie du Québec réaffirme une distinction identitaire qui transcende alors le cadre national et valorise davantage le partage de la langue que celui de la nationalité.

Ce projet de retrouvailles et d’accueil par l’idiome répond toutefois à une logique sélective qui privilégie certaines nations, plutôt que de faire du Québec un espace universel de connexion pour les francophones des quatre coins du monde. Ainsi, les étudiants français et belges, issus de pays plus riches et dotés d’institutions académiques prestigieuses, bénéficient d’un accueil chaleureux dans les établissements universitaires, qui deviennent le lieu tangible de leurs privilèges et de leur appartenance. Les étudiants francophones d’Afrique et du Moyen-Orient, malgré leur contribution à la vitalité de la langue française, se heurtent quant à eux à des barrières économiques et symboliques qui les marginalisent dans ce projet de francophonie à deux vitesses.

Une francophonie conditionnelle : entre privilège et exclusion

Ces politiques soulèvent des interrogations légitimes quant à la hiérarchie culturelle implicite qu’elles révèlent. Les nations perçues comme « compatibles » — riches, blanches et européennes — sont favorisées au détriment des pays du Sud. Bien qu’il existe des accords avec des États comme la Tunisie, Djibouti et la République démocratique du Congo, où le français est parlé respectivement par 52,47%, 50% et 51,37% de la population, ces partenariats restent largement symboliques. Ils profitent seulement à une poignée d’étudiants — souvent moins d’une douzaine par pays chaque année. En comparaison, des milliers d’étudiants français et belges bénéficient de ces ententes à la seule échelle de McGill.

Ce déséquilibre entre les nations du Nord et du Sud n’est pas anodin. Il reflète une logique utilitariste dont les accords sont conclus exclusivement avec des nations présentant des intérêts économiques stratégiques pour le Québec. En faisant de la maîtrise du français un critère d’immigration, ces politiques sélectionnent une population étudiante alignée avec ces mêmes intérêts. Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

L’exemple de l’entente avec la Belgique, qui ne repose pas sur un lien historique particulier avec le Québec, illustre bien ce privilège accordé aux pays du Nord et la dissonance du projet québécois. Paradoxalement, des pays culturellement proches comme la Suisse et le Luxembourg, où le français est parlé par 67,13% et 91,99% de la population, sont exclus de ces tarifs préférentiels. Si cette situation diffère des logiques néocoloniales qui excluent les nations africaines, elle met néanmoins en lumière une politique de « minimum convenable », où certains pays francophones sont négligés faute d’intérêts économiques immédiats.

Ces tendances révèlent une absence de vision idéologique forte autour de la langue française dans les politiques québécoises. Au lieu de devenir une force unificatrice, la francophonie au Québec semble s’enfermer dans un projet utilitariste dicté par des alliances à court terme, et éloigné des idéaux d’universalité et de fraternité historiquement liés à la langue française.

Étendre le sentiment de chez-soi

Si le Québec aspire véritablement à protéger et promouvoir son patrimoine francophone, il devra repenser son approche qui, dans sa forme actuelle, perpétue des exclusions. L’élargissement de la tarification préférentielle à l’ensemble des nations francophones renforcerait un sentiment d’appartenance universel, tout en répondant aux idéaux de solidarité linguistique. Cela offrirait également de nouvelles perspectives académiques et culturelles pour la francophonie, au moyen de mesures alignées sur les objectifs économiques et diplomatiques de la province.

Une politique véritablement inclusive permettrait au Québec de s’affirmer comme un acteur clé de la justice culturelle et linguistique. En s’inspirant de l’homoglosson d’Hérodote, qui définit l’appartenance par la langue partagée plutôt que par l’origine, le Québec pourrait repenser la francophonie comme un espace véritablement ouvert et inclusif. Elle cesserait d’être un cercle exclusif pour devenir un lieu d’échanges, où chaque francophone pourrait se sentir pleinement « chez lui ».

Pour concrétiser cette vision, le Québec doit élargir ses politiques préférentielles afin d’inclure tous les francophones, transformant ainsi la langue française en une véritable force unificatrice. Il renforcerait alors son rôle de foyer pour une francophonie mondiale, où chaque individu, quelle que soit son origine, serait reconnu et valorisé comme membre d’une communauté vraiment inclusive.

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Entre appartenance et culpabilité https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/entre-appartenance-et-culpabilite/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56703 Exister sur des terres volées.

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L’ « indigénéité » – traduction littérale du mot indigeneity (l’état d’être indigène, ou d’être relié à ce qui est indigène, tdlr) – occupe une place grandissante dans la sphère publique québécoise, où l’on discute de plus en plus d’enjeux liés au passé colonial de la province. Ce concept représente bien plus qu’une simple appartenance à un territoire, ou une simple occupation des terres. C’est un lien profond, ancestral, tissé entre un peuple et une terre, marqué dans ce cas- ci par une histoire de résistance face à la colonisation. Pourtant, au Québec, et plus précisément à Montréal (Tiohtiá:ke), ce n’est que très peu d’entre nous qui peuvent se considérer indigènes au territoire. Je ne le suis pas.

Franco-descendante, née ici, j’ai grandi avec l’amour du Québec et l’appréciation du multiculturalisme montréalais. J’attribue une grande part de l’adulte que je suis devenue à la chance que j’ai eue, enfant, de grandir ici. Cette terre a fondé mon identité, a bercé mes années et m’a offert une maison. Pourtant, elle ne m’appartient pas.

Comment être fière d’une identité qui, contre mon gré, est ancrée dans une histoire de domination et de marginalisation?

Il existe en moi un conflit constant, presque viscéral : d’un côté, un attachement à cette terre, ma terre de naissance, empreinte de cet esprit de « chez-soi » ; de l’autre, une culpabilité indéniable et grandissante, à l’idée que cette maison repose sur des terres qui n’appartiennent ni à moi, ni à mes ancêtres. Comme plusieurs Montréalais·e·s, je me heurte à ces sentiments, qui peuvent aux premiers abords sembler inconciliables : aimer l’endroit où l’on a grandi, avec tout ce qu’il représente de souvenirs et d’identité, tout en étant pleinement conscient·e de l’injustice historique qui a permis cet enracinement – une injustice qui continue d’avoir des répercussions sur les peuples autochtones aujourd’hui. Malgré tout, je vous l’assure, ces contradictions me tiraillent l’esprit au quotidien, et ce, encore plus depuis que j’étudie à McGill.

Faire la part des choses

Le Québec est pour moi bien plus qu’un simple lieu géographique, bien plus que là où j’ai grandi. Ce sont ses paysages, ses lacs et ses montagnes qui inspirent la sérénité et qui ont ponctué mes étés, une culture où la musique, la langue et les récits façonnent nos identités. J’ai grandi dans une ville où les bruits du métro, le froid qui pince les joues l’hiver et la renaissance que nous connaissons tous les printemps ont fait de cette province mon chez-moi… Mais à quel prix?

Cet amour pour le Québec est marqué par des paradoxes. La culture québécoise, à laquelle je tiens tant, est un produit de la colonisation, un résultat d’un long processus historique qui a graduellement effacé les voix des Premières Nations, faisant d’elles un simple murmure dont les politicien·ne·s d’aujourd’hui ne se soucient pratiquement pas. Notre langue, symbole de résistance à l’assimilation anglaise, a elle-même été imposée aux peuples autochtones à un coût dévastateur – celui de la perte quasi-totale de leurs propres langues. Comment être fière d’une identité qui, contre mon gré, est ancrée dans une histoire de domination et de marginalisation?

Plus j’en apprends sur l’histoire des Premières Nations – à noter que le curriculum enseigné dans les écoles primaires et secondaires québécoises serait à revoir, puisqu’il continue de peindre les peuples autochtones dans une représentation figée dans un passé lointain – plus je ressens le poids de mon rôle inconscient dans la marginalisation des communautés autochtones. Nos ancêtres ont arraché ces terres, décimé des communautés, abusé de l’autorité qu’ils·elles s’étaient eux·elles-mêmes attribué·e·s, et aujourd’hui encore, les séquelles du colonialisme persistent, omniprésentes : pauvreté, marginalisation, et oppression demeurent des réalités marquant le quotidien de nos Premières Nations. Nous, les Québécois·e·s aimons parler de notre propre oppression sous l’Empire britannique, mais nous oublions souvent que nous avons été, et sommes toujours, des colonisateur·rice·s sur ces terres.

Ce qui semble « impossible » est souvent une construction sociale destinée à préserver le statu quo, et perpétuer la subjugation des communautés marginalisées au profit des communautés dominantes.

Reconnaître sa responsabilité pour réconcilier

Ce poids historique ne doit pas nous paralyser, mais doit plutôt agir comme un agent de transformation. Reconnaître que notre présence ici repose sur des injustices passées est un premier pas, mais ce constat doit être accompagné par des actions concrètes. La décolonisation, bien qu’idéaliste pour certain·e·s, est pourtant une obligation morale. Redistribuer les terres justement, offrir des rétributions financières aux peuples touchés, et soutenir les initiatives menées par les communautés autochtones ne sont pas des gestes hors de l’ordinaire, mais des réparations nécessaires. Bien qu’il est ici question du Québec, c’est à travers le Canada tout entier que l’on doit continuer d’exercer une pression pour que les communautés autochtones cessent d’être traitées comme inférieures.

Dans d’autres contextes, comme celui de la Palestine, des figures comme Francesca Albanese, qui ont su capter l’attention sur les réseaux sociaux dans les dernières semaines, soutiennent que la restitution n’est pas une utopie, mais bien un impératif de justice. Pourquoi serait-ce différent ici? Les obstacles logistiques et politiques ne devraient pas excuser notre inaction. Ce qui semble impossible est souvent une construction sociale destinée à préserver le statu quo, et perpétuer la subjugation des communautés marginalisées au profit des communautés dominantes.

Au quotidien, des gestes simples peuvent aussi soutenir la réconciliation : s’éduquer sur l’histoire autochtone, remettre en question les récits dominants, privilégier les entreprises autochtones, et surtout, écouter. Dialoguer avec humilité et reconnaître que la décolonisation commence par nos choix, autant individuels que collectifs, est essentiel si on espère un jour bâtir une société québécoise réellement inclusive où tous·tes peuvent s’épanouir.

Partager son chez-soi?

Au fil du temps, j’ai appris que l’amour de son chez-soi ne devrait pas être aveugle. On peut chérir sa maison tout en reconnaissant les torts historiques qui la caractérisent. C’est une dualité difficile, mais nécessaire. Le vrai amour, après tout, implique d’affronter les vérités inconfortables, desquelles on aimerait détourner le regard, afin de chercher à réparer ce qui a été brisé.

Pour moi, réconcilier appartenance et culpabilité, c’est reconnaître que mon lien à cette terre n’effacera jamais celui des Premières Nations, et que ce dernier primera toujours sur les sentiments que je peux avoir à l’égard de ma terre de naissance, quels qu’ils soient. Cela implique non seulement de questionner mes privilèges, mais aussi de transformer ma gratitude pour ce territoire en un engagement actif pour un avenir plus juste.

Un « chez-soi » authentique ne peut exister que lorsque tout le monde y trouve sa place. Ce n’est qu’en bâtissant une société où chacun·e – et ce incluant les peuples autochtones – peut vivre avec dignité que nous pourrons aimer notre chez-nous sans honte. Un pas dans la bonne direction serait de commencer par arrêter de détourner les yeux de notre histoire, et au contraire, de la confronter. En tant que Québécoise, j’espère un jour voir un Québec réconcilié avec son passé, où la solidarité n’est pas une aspiration lointaine, mais une réalité. C’est un rêve, oui, mais un rêve qui peut devenir réalité si nous le portons ensemble, main dans la main.

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Notre chez-nous terrien https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/notre-chez-nous-terrien/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56713 Voyage sur la Terre avec Julie Payette, astronaute canadienne.

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Le « chez-nous », peut prendre plusieurs échelles : sa maison, sa ville, sa province, son pays, sa culture ou même sa langue. Toutes ces échelles se confondent lorsqu’on considère un sentiment d’appartenance commun à tous : celui d’être humain, sur une même planète. Nous faut-il voyager dans l’espace pour nous sentir homo sapiens? Dans son livre publié en 1987, le philosophe Frank White met des mots sur l’expérience de voir notre planète de l’extérieur : « l’effet de surplomb. » Celui-ci, défini par le blog de l’Agence spatiale canadienne comme « une expérience intense qui mène à avoir une meilleure appréciation de la Terre et de son apparente fragilité » a été repris dans de nombreuses recherches. Le sentiment d’humilité et d’émerveillement qui en découle pourrait être un moyen de promouvoir des comportements pro-environnementaux. Le Délit s’est donc entretenu avec l’astronaute canadienne Julie Payette, qui a réalisé deux voyages en orbite autour de la Terre à bord de la Station spatiale internationale en 1999 et 2009.

Le Délit (LD) : Quelles sont les premières sensations que vous avez ressenties lors de vos premiers instants dans l’espace?

Julie Payette (JP) : Pendant le lancement, on est très occupé parce qu’on doit se rendre dans l’espace à bord d’une fusée, alors on ne regarde pas forcément la Terre défiler sous nos pieds. Mais lorsqu’on arrive là-haut, on porte son premier coup d’œil sur la surface de la Terre, à seulement 400 km de nous. C’est comme une bille de marbre sur fond d’infini. Une myriade de bleus, de blancs, de bruns, de verts. Depuis la Station spatiale internationale, on perçoit la Terre comme une courbe couverte d’une mince couche, comme une pelure d’oignon bleu qui représente son atmosphère. Depuis la Terre, le ciel nous paraît bleu lorsqu’il fait beau parce qu’on est à l’intérieur de cette petite bande bleue. Dès qu’on en sort avec un véhicule spatial, la vraie couleur du ciel dans tout l’Univers est le noir. Les étoiles ne scintillent pas, elles sont très claires, car leur lumière n’est pas brouillée par la couche de l’atmosphère. Puisqu’un tour de la Terre dure 90 minutes, on passe une partie en orbite de jour et une partie en orbite de nuit. C’est extraordinaire. On a déjà un attachement à la planète avant de partir mais il devient plus clair lorsqu’on revient sur Terre parce que c’est la seule planète que l’on connaît pour l’instant et le seul endroit où on peut vraiment vivre.

LD : Est-ce qu’il y a un sentiment d’irréalité quand on regarde la Terre depuis l’espace?

JP : La lumière qui émane de la Terre est fantastique. Dans les périodes d’orbite de nuit, on voit où est la vie, autant avec les volcans et les éclairs qu’avec les lumières des villes. J’ai eu la chance de voir les villes d’Europe s’illuminer lors de mon deuxième vol, alors que le crépuscule devenait nuit. La péninsule italienne est particulièrement repérable, grâce à sa forme de botte. On voyait les villes s’illuminer, d’abord Gênes, puis Rome, Naples, le sud de l’Italie, les côtes de la Méditerranée. Les villes se trouvent principalement sur les côtes, alors leurs lumières en dessinent les contours. On voit aussi les contrastes depuis l’espace. Par exemple, on peut voir le rouge de l’Etna, volcan reconnaissable grâce à la forme de botte de l’Italie. Cet immense spectacle à nos pieds qui change constamment et qui n’est jamais le même à chaque orbite témoigne que notre planète est vivante, et c’est très rassurant.

LD: À la suite de vos deux expéditions, qu’est-ce qui a changé dans votre rapport à la Terre?

JP : Les gens pensent que l’on en revient bouleversé, chamboulé, complètement changé. Moi, je vous dirais que ce n’est ni mon expérience, ni celle que j’ai pu entendre de mes collègues. On revient très fiers d’avoir participé à ces missions, d’avoir eu la chance d’explorer, d’aller dans l’espace, de travailler là-haut. On était déjà convaincu que la Terre était importante, car sa faune et sa flore en font le seul endroit où l’on peut vivre pour l’instant. On doit donc bien s’en occuper en prenant des décisions collectives parce que ni la Terre ni le climat et la biodiversité ne connaissent de frontières. On doit travailler ensemble pour maintenir les joyaux qu’elle nous procure et la chance qu’elle nous donne de vivre ici. Mais c’est une conviction qui était déjà là avant notre voyage dans l’espace.

C’est comme une bille de marbre sur fond d’infini. Une myriade de bleus, de blancs, de bruns, de verts.

LD : Est-ce que vous retrouvez ces sentiments d’émerveillement sur Terre?

JP : Tout à fait. C’est personnel, mais je m’extasie régulièrement devant la beauté de la nature. On vient de passer un automne formidable au Canada. C’est une féerie chaque année, surtout lorsqu’on monte dans le Nord, et qu’on voit cette forêt multicolore se dérouler sous nos yeux. Ce sont des sentiments que je retrouve quand je plonge le long de murs marins ou quand je me rends au sommet d’un pic de montagne. Il est facile, je crois, de s’émerveiller et d’avoir conscience que nous habitons un joyau.

LD : Vous avez photographié l’Est canadien depuis l’espace. Y avez-vous reconnu votre chez vous?

JP : Je me rappellerai toujours lorsque j’ai vu Montréal pour la première fois, il y a 25 ans, lors de mon premier vol. Ça m’a fait chaud au cœur parce que j’avais une deuxième montre sur mon bras qui était à l’heure de l’Est sur laquelle j’ai pu lire « 5h du matin ». Je savais que chacun était dans son lit en train de dormir. J’ai senti l’appartenance à ma communauté. En tant qu’astronautes, nous étions émerveillés de voir les sites de lancements de fusée depuis l’espace. Je me rappelle survoler celui des fusées russes, qui est au Kazakhstan. On a la même excitation lorsqu’on voit celui de Kennedy Space Center à Cap Canaveral, parce que c’est de là qu’on a été lancé et c’est là où l’on va revenir. C’est fou à dire, mais c’est comme une connexion personnelle. J’espère que de plus en plus de gens iront dans l’espace et qu’il y aura des poètes, des chanteurs, des artistes, des écrivains et des gens qui savent mettre des mots sur cette magnifique planète qu’on habite. de plus en plus de gens iront dans l’espace et qu’il y aura des poètes, des chanteurs, des artistes, des écrivains et des gens qui savent mettre des mots sur cette magnifique planète qu’on habite.

LD : Quelle est la chose la plus intéressante ou la plus surprenante que vous ayez apprise sur l’espace depuis que vous êtes devenue astronaute?

JP : Lors des deux dernières décennies, on a complètement réécrit les livres d’astronomie parce qu’on a découvert des choses incroyables. Lorsque Pluton a été découverte, on pensait que ce morceau là-bas, loin de l’orbite de Neptune, était la neuvième planète de notre système solaire. Plus nos instruments nous ont donné la capacité de voir plus loin et mieux, plus on s’est aperçu que Pluton n’était qu’un objet parmi des milliers d’autres similaires dans une ceinture d’astéroïdes, appelée Kuiper. On a dû enlever son étiquette de planète, car des milliers d’objets là-haut sont solides, terrestres, et il aurait alors fallu déclarer 1 500 planètes dans notre système solaire. Les découvertes en astronomie sont récentes, et révolutionnaires. On a découvert il y a seulement 30 ans qu’il y avait d’autres systèmes solaires, composés d’exoplanètes. On découvre de nouveaux systèmes solaires tous les jours. D’un autre côté, on peut photographier des galaxies autres que la nôtre mais on ne peut pas photographier la nôtre parce qu’on est dedans. Il y a beaucoup à apprendre sur qui nous sommes dans ce domaine.

Cet immense spectacle à nos pieds qui change constamment et qui n’est jamais le même à chaque orbite témoigne que notre planète est vivante, et c’est très rassurant.

LD : Est-ce que vous vous sentez minuscule parfois?

JP : Mais c’est ce que nous sommes. Nous sommes un grain de poussière dans cet immense Univers observable depuis nos télescopes, nos sondes et nos véhicules qu’on envoie. Mais on n’a rien vu, on n’est jamais allé sur une autre étoile, c’est beaucoup trop loin. L’espace est immense, on sait que l’Univers a environ 13,7 milliards d’années, donc on a du chemin à faire. Finalement, on est totalement minuscule, certains diraient « insignifiant ». J’utilise ce mot strictement lorsqu’on parle de comparer notre galaxie à tous les autres objets qui existent dans l’Univers. Si on compare notre système solaire à la quantité infinie d’autres systèmes solaires, on est en effet insignifiant. Mais lorsqu’on regarde toute la vie que permet un seul de ces soleils, le nôtre, sur Terre, en lui donnant de la lumière et donc de l’eau liquide, notre soleil n’est pas insignifiant du tout. Ce système a permis notre existence. La petitesse de notre présence dans l’Univers est une perspective de regard, plutôt que quelque chose d’inquiétant.

LD : Auriez-vous un moment particulier de votre mission qui vous a paru inoubliable à partager?

JP : Je vous dirais que l’arrivée à la Station spatiale internationale est impressionnante. Lors de mon premier vol, j’y suis allée à ses tout débuts, lorsque la station était aussi petite qu’un satellite. Deux modules seulement, personne à bord. Mais la deuxième fois, 10 ans plus tard, la station spatiale était presque en fin de construction et elle était de la grosseur d’un terrain de football avec tous ses panneaux solaires, six personnes à bord et différents modules. Un des moments forts de mon expédition a été notre arrimage, parce qu’on est une petite navette spatiale, avec sept personnes à bord, qui s’accroche à cette énorme infrastructure.

LD : Est-ce que vous avez participé à la construction du centre?

JP : Mes deux missions étaient des missions de construction. Lorsque je vais dans des écoles parler aux jeunes, je leur dis toujours que je suis un travailleur de la construction spatiale. J’étais opératrice de grues et de vaisseaux spatiaux. Je suis très fière de cette Station spatiale internationale. Là- haut dans l’espace, depuis bientôt 25 ans, des gens de différentes cultures travaillent ensemble tous les jours, sept jours par semaine, 24 heures par jour. On a des centres de contrôle aux États-Unis, à Moscou, en Europe, au Japon, et un petit centre de contrôle ici à Montréal pour le bras canadien. On entend rarement dire que ça va mal : les gens collaborent et travaillent ensemble pour faire avancer la connaissance.

LD : Si vous pouviez concevoir votre propre mission ou destination spatiale, où iriez-vous et que feriez-vous?

JP : Je serais très heureuse d’embarquer dans la prochaine mission Artemis II, qui l’année prochaine devrait décoller de la Terre pour faire le tour de la Lune en orbite. Ça va faire plus de 50 ans que nous ne sommes pas retournés si proches de la Lune avec des gens à bord. On a envoyé des sondes, mais personne n’y est retourné depuis 1972. Il y aura un Canadien à bord, Jeremy Hansen. La mission Artemis II a pour but de tester la capsule et les manœuvres pour se rendre aussi loin, et elle est un préalable à la mission Artemis III qui prévoit envoyer des astronautes marcher sur la Lune.

LD : Est-ce qu’on a des choses à chercher sur la Lune?

JP : La Lune est l’endroit où les humains ont été le plus loin. Lorsque vous voyez une photo où on voit la surface de la Lune et la Terre comme un petit point au loin, je dis que c’est la photo de tourisme la plus éloignée qu’on n’ait jamais prise. On a définitivement un intérêt à retourner sur le sol lunaire, entre autres près du pôle Sud de la Lune parce qu’on sait grâce à nos sondes qu’il y a possiblement de la glace dans les cratères au pôle Sud qui ne sont jamais exposés à la lumière du Soleil. Si cette glace est faite d’eau, elle pourrait nous fournir en H2O et en oxygène. On aimerait bien un jour, plusieurs pays ensemble, installer une base sur la Lune pour apprendre à vivre sur un astre inhospitalier, sans atmosphère, pour nous préparer un jour à faire la prochaine étape dans l’exploration humaine qui serait d’aller sur une autre planète. Mars est la prochaine destination. C’est compliqué parce que Mars n’est pas sur la même orbite que la Terre, ce qui fait que les deux planètes ne sont pas toujours alignées. Ce sera donc un long voyage de plusieurs années, qui serait rendu possible en se préparant d’abord avec une base lunaire. Artemis II va faire le tour de la Lune et revenir sur Terre, ce qui est une étape importante pour se rendre à l’objectif de créer cette base.

LD : Quelle serait la première chose que vous feriez si vous posiez le pied sur la Lune?

JP : Regarder si je peux apercevoir la Terre. J’imagine. Mais on ne la voit pas tout le temps. C’est comme nous, ici sur Terre, on ne voit pas toujours la Lune.

LD : C’est quoi, votre chez-vous?

JP : Je pense que j’ai beaucoup d’appartenances. J’ai des appartenances à ma ville, à mon pays, à mon continent, au fait que je fais partie des homo sapiens. Je dis souvent en rigolant que je suis une extraterrestre parce que j’ai eu la chance d’être à l’extérieur de la Terre pendant quelques jours, pendant mes deux missions. Mais je reste une habitante de la planète Terre. Je la partage avec des milliards de personnes.

L’astronaute n’omet pas qu’en 50 ans d’observation depuis l’espace, les effets de la pollution sont
rendus de plus en plus visibles. La grande majorité de ceux qui reviennent de leur un voyage à bord de la Station spatiale internationale deviennent porte-parole des effets dont ils ont témoigné : les déversements pétroliers, la fonte des glaciers, et l’érosion des berges. Bien que l’on puisse prendre des photos de l’espace depuis des satellites, « quand c’est un humain qui regarde et raconte, l’impact est souvent plus grand », conclut l’astronaute canadienne.

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Concours d’écriture de chroniques journalistiques https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/concours-decriture-de-chroniques-journalistiques-2/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56578 Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques… Lire la suite »Concours d’écriture de chroniques journalistiques

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Cette semaine, Le Délit vous présente le fruit de la deuxième édition de son projet collaboratif avec le Centre d’enseignement du français à McGill (CEF). Dans le cadre du cours « FRSL 449 – Le français des médias », les étudiant·e·s en apprentissage du français comme langue seconde ont été invité·e·s à soumettre des chroniques qui portent sur des faits marquants de l’actualité, culturelle ou politique, d’ici ou d’ailleurs. Ayant pour thème commun « Une image vaut mille mots », les chroniques développent les points de vue personnels des auteur·rice·s sur les enjeux sociaux illustrés dans des œuvres d’art ou des photos journalistiques qui ont attiré leur attention. Ces textes, préalablement révisés dans un contexte académique par la professeure Élisabeth Veilleux, ont par la suite été sélectionnés pour être publiés dans Le Délit. Nous vous présentons donc notre sélection des quatre meilleures chroniques.


Khudadadi : une réfugiée qui incarne l’esprit des Jeux
Jacob Shannon, Contributeur

Voilà bien une image qui illustre la joie immense d’un rêve enfin réalisé. C’est Zakia Khudadadi, la paralympienne qui a marqué l’histoire en remportant la première médaille de l’équipe des réfugiés à Paris, en taekwondo. À ses côtés, son entraîneuse Haby Niare, la porte triomphalement. Lorsque la nouvelle de sa médaille de bronze a été annoncée, Niare a soulevé la championne dans un geste de soutien qui a fait le tour des réseaux sociaux.

Pour l’équipe olympique des réfugiés, ce podium est un premier, mais pour Khudadadi, il représente une plateforme de visibilité qu’elle peut utiliser pour sensibiliser à la situation des femmes afghanes opprimées. Les Jeux ont fait de Khudadadi une icône paralympique, et à juste titre : elle incarne l’esprit de persévérance de ces femmes en luttant à la fois pour elle-même et pour leur droit à l’égalité.

Devenir paralympienne était un rêve pour Khudadadi, mais à l’origine, elle voulait représenter son pays natal, l’Afghanistan. Elle s’était préparée à Kaboul pour les Jeux de 2021, mais elle a dû fuir le pays lors de la prise de pouvoir des Talibans. Désormais en sécurité en France, elle concourt pour l’équipe des réfugiés tout en restant engagée dans la cause des femmes afghanes. Alvin Koualef, journaliste pour Ouest France, souligne que Khudadadi est une inspiration non seulement pour les personnes en situation de handicap, mais aussi pour les réfugiés. En effet, son accomplissement est déjà porteur d’une grande signification pour cette nouvelle équipe.

Eileen Davidson | Le Délit

Ceci étant dit, la vie n’est pas toujours idyllique pour une réfugiée. Sophie Hienard, journaliste pour Le Point, explique que Khudadadi a risqué non seulement sa vie, mais aussi sa participation aux Jeux de Tokyo en fuyant l’Afghanistan. Soutenue dans sa fuite par plusieurs pays, elle n’a pu rester en France que deux semaines avant de devoir repartir pour les Jeux de Tokyo. Même face à une situation nécessitant du repos, le choix de Khudadadi de participer souligne un dilemme pour les athlètes réfugiés qui doivent trouver l’équilibre entre leur bien-être et la reconnaissance du public.

Aujourd’hui, l’athlète profite de sa liberté pour vivre pleinement et pour s’exprimer sur la situation en Afghanistan. Dans une entrevue accordée à France 24, la paralympienne a déclaré croire que sa notoriété découlait de son histoire unique, dans laquelle ses sympathisants se reconnaissaient. En effet, son parcours atypique s’inscrit dans les valeurs des Jeux : elle est admirée pour avoir surmonté des difficultés considérables afin d’obtenir une vie meilleure. Ses supporteurs n’acclament pas qu’elle : ils soutiennent toutes les femmes afghanes qui ne connaîtront peut-être jamais une telle liberté.

Les Jeux paralympiques nous émeuvent parce qu’ils nous rappellent l’importance de persévérer. La réponse du public à la victoire de Khudadadi démontre la nécessité d’avoir une équipe de réfugiés et démontre que ses athlètes incarnent véritablement l’esprit des Jeux. Le handicap de Khudadadi la définit comme paralympienne, mais c’est sa capacité à devenir un phare d’espoir qui fait d’elle un symbole si puissant des Jeux paralympiques.


Votre cinquième tasse Stanley ne protège pas la planète
Claire Ambrozic, Contributrice

En décembre 2023, une vidéo publiée sur TikTok a récolté des millions de mentions « j’aime » et des centaines de milliers de partages, tout en attirant l’attention des journaux. La vidéo montrait l’agitation provoquée par la mise en vente des fameuses bouteilles d’eau réutilisables de la marque Stanley dans un magasin Target. La collection vendue exclusivement dans cette chaîne de grande surface a disparu en moins de quatre minutes. Selon Statista, les ventes annuelles de la compagnie Stanley ont atteint 750 millions de dollars américains en 2023. Ce succès s’explique par une véritable frénésie pour ces produits réutilisables, publicisés comme « écologiques ». Pourtant, il semble que les bouteilles Stanley font plus de mal que de bien : l’obsession qu’elles ont suscité chez les acheteurs illustre notre société de surconsommation.

La surconsommation

Selon Jessica Katz, journaliste d’Analyst News, l’engouement face aux bouteilles Stanley provient de l’incitation à collectionner plusieurs couleurs et styles différents. Les fanatiques de la marque accumulent des dizaines de bouteilles même s’ils n’en utilisent véritablement qu’une seule à la fois. Ceci démontre une tendance à choisir le plaisir immédiat d’avoir ce qui est à la mode et ce que l’on considère beau, plutôt que de considérer l’utilité du produit à long terme. De plus, bien que les bouteilles soient composées à 90% d’acier inoxydable recyclé, une entrevue publiée dans un article de Radio-Canada a révélé que Stanley n’a pas de programme de reprise ou d’options de recyclage en fin de vie pour ses propres produits. La production d’un si grand nombre de bouteilles réutilisables en acier inoxydable détruit la planète de sa propre manière, ce qui remet en question les véritables motifs de ceux qui achètent une cinquième Stanley « pour la planète ».

Eileen Davidson | Le Délit

Une bouteille en vogue

La bouteille réutilisable est devenue un accessoire de mode, ce qui indique que son usager la remplacera un jour par une bouteille considérée plus tendance. Une journaliste de Radio-Canada remarque que ce qu’on observe actuellement avec les Stanleys s’est déjà produit plusieurs fois avec d’autres marques, notamment Yeti, Hydro flask, S’well, Nalgene, et Owala. Ainsi, les Stanley accumuleront de la poussière au fond de nos placards, pour qu’on puisse les remplacer par la prochaine bouteille attrayante.

Un discours d’écoblanchiment

La vidéo virale contraste avec le discours d’écoblanchiment de la compagnie Stanley. Selon ses dirigeants, la compagnie se veut construire un monde plus durable, adoptant le slogan « Built for Life » (Conçu pour la vie, tdlr). Cependant, un article du Frontier Group révèle qu’en janvier dernier, la compagnie a sorti 17 nouvelles couleurs, encourageant les fans de la marque à acheter plus d’une bouteille. De plus, les bouteilles d’eau sont vendues en édition limitée, créant un sentiment de rareté qui incite les consommateurs à acheter une nouvelle couleur avant qu’elle ne soit plus disponible. « Stanley » est une entreprise et conséquemment, sa priorité est le profit et l’efficacité de production. Malgré son slogan, les produits de Stanley sont principalement fabriqués en Chine et au Brésil, ce qui entraîne un transport sur de longues distances, contribuant ainsi à une empreinte carbone importante avant d’atteindre leur principal marché en Amérique du Nord. Même si son produit est « écologique », le fonctionnement de l’entreprise ne l’est pas.

En somme, la vidéo nous oblige à réévaluer notre perception des bouteilles d’eau Stanley, ainsi que les produits « réutilisables » en général. Acheter une autre bouteille simplement parce qu’elle est à la mode perpétue un cycle de surconsommation. Enfin, en dépit des belles promesses écologiques de Stanley, l’entreprise est bien consciente du fait que son succès dépend de notre surconsommation. Aussi faudra-t-il se satisfaire des belles bouteilles d’eau qui se trouvent déjà chez nous.


Quand la liberté d’expression artistique suscite l’indignation de l’Église
Emilie Fry, Contributrice

Madonna, Lady Gaga, Lil Nas X, Sabrina Carpenter : chacun de ces artistes a choqué l’Église avec son choix de clip vidéo. Les démonstrations sexuelles dans les espaces sacrés et les représentations irrespectueuses des figures religieuses dans ces clips ont suscité une réaction brutale de la part des communautés religieuses. Cela dit, les critiques sont-elles justifiées, ou devrions-nous reconnaître la liberté d’expression artistique de ces chanteurs?

Un clip vidéo controversé

Le 31 octobre 2023, la chanteuse pop américaine Sabrina Carpenter a sorti un clip pour sa chanson « Feather », dans laquelle elle marque la fin d’une relation amoureuse toxique en chantant qu’elle se sent « légère comme une plume, (tdlr) ». Dans la scène qui a fait réagir, la chanteuse porte une robe noire aguichante et danse de manière provocatrice sur l’autel d’une église, en évoquant la métaphore de l’enterrement de sa relation toxique. Suite à ce clip vidéo, la communauté chrétienne a critiqué l’utilisation inappropriée d’un lieu de culte allant à l’encontre des valeurs catholiques de chasteté et de pureté. En dépit des critiques, le clip a été visionné plus d’un million de fois en moins de 24 heures suivant sa publication et, depuis lors, ce nombre a augmenté à 88 millions. De plus, la chanteuse continue à gagner en popularité avec son nouvel album « Short n’ Sweet » et sa tournée internationale qui vient de passer à Montréal le 11 octobre.

Eileen Davidson | Le Délit

En plus des critiques qui ciblent Sabrina Carpenter, l’Église catholique a démis de ses fonctions le pasteur Monseigneur Jamie Gigantiello comme administrateur de l’Église Annunciation of the Blessed Virgin Mary à New York, qui a permis le tournage du clip à cet endroit. Dans une lettre d’excuses, Gigantiello a expliqué que, faute de détails communiqués par les réalisateurs du clip, il a donné son aval au projet en vue de renforcer les liens entre l’Église et la communauté artistique. De façon à se faire pardonner, les 5 000 dollars reçus par l’église pour le tournage du clip seront donnés à la fondation Bridge to Life, qui offre des services aux femmes vivant des grossesses non planifiées.

Liberté d’expression

En explorant l’histoire de clips controversés, on découvre qu’il en existe plusieurs qui ont suscité une réaction comparable à celle de la vidéo de Sabrina Carpenter. Le mélange d’érotisme et de religion dans le clip « Like a Prayer » de Madonna a suscité la même polémique, et continue de le faire encore 25 ans après sa sortie. En 2011, Lady Gaga a scandalisé l’Église avec son titre « Judas », de façon similaire au clip de Lil Nas X sorti cette année dans lequel il incarne Jésus Christ. Les motivations de ces artistes varient : elles vont de messages sur les enjeux sociaux, comme le racisme abordé dans le clip de « Like a Prayer », aux critiques des normes religieuses, en particulier concernant l’exclusion des personnes LGBTQIA+. Mais les artistes font aussi appel à l’illustration métaphorique de leurs expériences, comme celle employée par Lil Nas X à travers la réincarnation de Jésus pour approfondir son message de retour sur la scène musicale. Bien qu’ils aient été parfois condamnés, ces artistes ont conservé leur popularité, puisque leurs admirateurs se reconnaissent dans leurs messages. On pourrait donc penser que Sabrina Carpenter, à travers ses clips, tente de critiquer la sensibilité religieuse de la société ou de se distancer de ses débuts plus innocents de façon à développer sa carrière.

Quelles que soient les motivations des artistes qui attisent ce type de controverse, cela remet en question les limites de la liberté d’expression à laquelle les artistes ont droit. Les clips vidéos permettent aux membres de la société d’exprimer leurs opinions de manière créative sous forme artistique. L’encadrement du contenu artistique, sous prétexte d’éviter les offenses ou les critiques, s’avère fâcheux, puisqu’il contreviendrait à la liberté d’expression. Voilà pourquoi, plutôt que d’établir des contraintes aux sujets sur lesquels portent les arts, il vaudrait mieux comprendre les motivations des artistes afin d’apprécier leur art sans y trouver offense.


La laïcité française est-elle en contradiction avec l’esprit des JO?
Momoka Chosa, Contributrice

Alors que le monde entier se prépare à célébrer la diversité aux Jeux Olympiques (JO), une controverse éclate : l’interdiction du port du hijab pour les athlètes françaises. Cette décision, perçue par certains comme une atteinte à la liberté religieuse, a rapidement enflammé le public. Elle a également mis en lumière le fossé entre les idéaux du pays et la diversité de sa société. En mettant en place cette interdiction, la France défend sa conception de la laïcité, mais à quel prix? Est-ce une mesure nécessaire à la mise en œuvre de la laïcité ou est-ce une exclusion injuste qui travestit l’esprit des JO? En tant que pays qui valorise l’égalité, la liberté et la fraternité, l’imposition de cette règle pose une question fondamentale : la France est-elle en train de compromettre ses propres valeurs au nom d’une laïcité inflexible? Cette interdiction repose sur un plan rigide de la laïcité, concept hérité de la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905.

Comme événement international, les JO représentent un espace dans lequel le respect des valeurs universelles doit prévaloir. En ce sens, la France va à contre-courant de l’esprit-même des JO. Bien qu’il soit légal et compatible avec les règles du Comité International Olympique d’imposer un code vestimentaire aux JO selon un article du Figaro (2023) : « JO 2024 : l’interdiction de porter le hijab pour les Françaises est compatible avec les règles olympiques », le pays risque de marginaliser les athlètes musulmanes qui ne devraient pas avoir à choisir entre leur foi et leur passion pour le sport. D’un autre côté, certains soutiennent cette interdiction, car elle promeut la neutralité religieuse des athlètes. Cependant, je pense qu’il ne faut pas que la neutralité devienne un synonyme de l’uniformité imposée où chacun est obligé de sacrifier son identité pour se conformer.

Eileen Davidson | Le Délit

Le sport est un vecteur puissant pour l’intégration sociale. Notamment, les athlètes voilées sont des modèles pour de nombreuses jeunes filles à travers le monde, qui montrent qu’il est possible de concilier la foi et le sport. En les excluant, nous envoyons un message de rejet à toute une génération. Par exemple, un incident lors de la cérémonie d’ouverture a créé une vive polémique. Sounkamba Sylla, coureuse de relais de l’équipe française, a participé à la cérémonie en portant une casquette après que le port de son voile ait été interdit. Cet acte, perçu comme une forme de défiance par la société, a capté l’attention de divers médias et souligné l’absurdité de l’interdiction. Par exemple, Amnistie internationale, une organisation pour la défense des droits humains, dénonce la discrimination flagrante à l’égard des athlètes musulmanes. Pour les athlètes voilées, cette interdiction représente non seulement une violation de la liberté religieuse, mais aussi une exclusion injustifiée qui vise à effacer une partie de leur identité.

Selon moi, cette interdiction est une manière de contrôler l’expression de la foi sous le prétexte de neutralité. Il n’est donc plus seulement question de sport, mais plutôt d’un débat sur l’acceptation de la diversité dans les espaces publics. En empêchant les athlètes voilées de participer aux JO, la France rate une opportunité unique de montrer que la laïcité peut être un cadre d’inclusion et non d’exclusion. Si l’objectif est de maintenir un environnement où chacun se sens respecté dans ses croyances personnelles, ne devrions-nous pas accepter les croyances des athlètes, quelles qu’elles soient? Il faut que nous réfléchissions à la manière dont nous appliquons nos principes, car une société tolérante doit faire place à tous et toutes, sans exception.

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Nos bibliothèques du futur https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/nos-bibliotheques-du-futur/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56598 Le Centre des collections de McGill débarrasse McLennan de ses livres.

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Depuis octobre 2023, les livres de la bibliothèque de McLennan disparaissent petit à petit. C’est un vide auquel il faudra s’habituer : ces ouvrages ont à présent trouvé refuge dans un entrepôt. Chacun a une place bien enregistrée, parmi les 95 092 bacs manipulés quotidiennement par des robots. Fini l’expérience du rayonnage, l’emprunt d’un livre se fait désormais sur la plateforme Sofia, un système interbibliothèquaire utilisé depuis des années par les bibliothèques de McGill. Afin d’en savoir plus, Le Délit a interrogé la doyenne des bibliothèques de McGill, Guylaine Beaudry, et visité le Centre des Collections situé à 45 minutes du centre-ville, guidé par le directeur associé du bâtiment.

« Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces »

Guylaine Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

Le vestige McLennan

En revisitant l’histoire des bibliothèques universitaires, Guylaine Beaudry souligne l’importance des projets de rénovation pour adapter nos espaces à nos besoins actuels. « Le rayonnage dans les bibliothèques tel qu’on le connaît aujourd’hui ne date que depuis la fin de la seconde guerre mondiale » explique la doyenne. « Avant, les grandes bibliothèques universitaires avaient un “magasin”, comme dans les musées, où s’entreposaient les livres jusqu’à ce qu’on ait besoin de les sortir pour les prêter ou les exposer. Les architectes ont pensé ces espaces pour l’entreposage de livres, pas pour l’expérience du public. »

Aujourd’hui, seulement 8% des collections imprimées sont consultées à McGill, soit une baisse de 90% en 30 ans. La consultation numérique a quant à elle dépassé celle papier, et le budget s’est lui aussi adapté : selon la doyenne, 95% du budget des bibliothèques est alloué aux ressources numériques. « Ça finit par coûter cher, de conserver les ouvrages imprimés sur le campus, et on n’a plus assez de place pour les étudiants qui étudient dans ces espaces » revendique-t-elle. Ainsi, la préservation de la collection générale de 200 ans de travail académique à McGill tient de la responsabilité des bibliothèques. Elles doivent assurer des conditions optimales pour leur conservation : une luminosité réduite, une humidité à 40% et une température de 18 degrés. Cependant, l’évolution de l’utilisation des espaces laisse les étudiants dépourvus de lieux pour se rencontrer, étudier, et créer.

Bibliothèque du XXIe siècle

Le projet de rénovation de la bibliothèque McLennan, FiatLux, en cours de conception depuis 2014, réimagine l’espace pour les étudiants qui veulent y étudier dans le silence autant que pour ceux qui veulent débattre de leurs idées pour un projet d’équipe. « La bibliothèque est un des rares lieux à Montréal où les étudiants peuvent travailler en silence ; et où d’autres viennent pour discuter et travailler en collaboration, dans une ambiance qui ressemblerait à un bistrot », imagine Dr. Beaudry.

Celle-ci réimagine ce que pourrait être une bibliothèque dans la vie des étudiants : « Entre les espaces de silence et “bistrot”, il y a les salles de travail en collaboration, les salles pour pratiquer ses présentations, des espaces pour faire des balados, et expérimenter avec la visualisation des données, des espaces sans Wi-Fi pour minimiser les distractions. » Le but de la bibliothèque est de créer un espace social « fait pour les humains, pas pour les livres », ironise-t-elle.

Anouchka Debionne | Le Délit

Afin de résoudre la question du manque d’espace, McGill s’est inspiré de ce qui se fait dans les autres universités : des centres de collections, bâtiments extérieurs aux bibliothèques de l’université, où sont entreposées les collections et où les livres peuvent être commandés par les étudiants et les employés des institutions académiques. Ça ressemble étrangement aux « magasins » de l’époque, mais on exporte ces magasins pour adapter nos espaces du centre-ville pour les utilisateurs. Cinq universités en Ontario partagent un même centre de collections, dont celles de Toronto et d’Ottawa. Bien qu’elle ait tardivement ouvert son centre en juin 2024, l’Université McGill est la première à y avoir plus de robots que d’employés.

« Nos critères étaient de trouver un lieu à moins d’une heure du centre-ville qui entre dans notre budget », renseigne la doyenne. La construction du centre a ainsi commencé en mars 2022 à Salaberry-de-Valleyfield, à 50 minutes en voiture du centre-ville et à 25 minutes du campus MacDonald. « Les déplacements de livres se font quotidiennement par camions électriques », assure Dr. Beaudry.

Une « usine de connaissances »

Le Délit a visité le centre de collections à Salaberry-de-Valleyfield, accueilli par Carlo Della Motta, directeur associé du centre, et Mary, la superviseure de la bibliothèque du centre. Le bâtiment est divisé en deux grandes unités : l’une est un grand espace de cotravail pour les cinq employés à temps plein, où sont reçus les retours de livres. « Ici, » montre Carlo Della Motta en désignant une grande salle vide avec seulement deux, trois tables, « on entreprend des petites réparations si les matériaux du livre tombent, et ensuite ils peuvent retourner dans l’entrepôt ».

« Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois »

Guylaine Beaudry, doyenne des bibliothèques de McGill

Passé deux ensembles de portes, on entre dans un entrepôt où se dresse un mur rouge, derrière lequel s’échafaudent 95 092 bacs contenant 2,4 millions de livres. Les livres proviennent des collections de McLennan et Redpath, ainsi que du gymnase Currie où étaient entreposés les livres de la bibliothèque Schulich lors de ses rénovations de 2019 à 2023. Les robots sont disposés sur des rails juste au-dessus de caisses empilées qui forment un mur de plusieurs mètres de haut. Ils se déplacent pour soulever des bacs afin d’en atteindre d’autres, et faire descendre la caisse qui contient le livre commandé. Les robots sont programmés pour mener un travail d’équipe : chacun à son poste, deux peuvent bouger du nord au sud de la grille, et deux bougent d’est en ouest. Ainsi, les quatre robots orientés vers le sud sont ceux qui peuvent prendre un bac et le livrer au port. Quant aux deux robots orientés vers le nord, leur principale responsabilité est de pré-trier les bacs pour les quatre autres robots. Le personnel cherche ensuite le livre dans le bac, le sort et le traite pour l’envoyer au centre-ville. La fonction du robot se limite donc à récupérer le bac qui se trouve à l’intérieur de la grille. Le reste du travail est effectué par le personnel de la bibliothèque.

Anouchka Debionne | Le Délit

Les livraisons ont commencé en octobre 2023. « Nous avons reçu environ 20 000 livres par jour du centre-ville, dont le code-barre était numérisé dans les bacs, puis les bacs ont été insérés dans la grille. Ce processus a duré environ six à sept mois », souligne Carlo Della Motta. « On travaille avec trois systèmes indépendants : AutoStore, qui a créé le système automatisé de récupération des caisses et qui localise les caisses et contrôle les robots, le système Dematic, qui suit l’inventaire des livres dans les bacs, et enfin le système interbibliothèques Sofia, utilisé par les utilisateurs pour commander les livres » explique le directeur associé du centre. Ce genre d’entrepôt est d’habitude utilisé par les industries qui entreposent des marchandises. Il a séduit McGill comme une alternative aux autres centres de collections plus traditionnels, qui se font d’habitude avec des chariots élévateurs ou des assistants virtuels. Pour l’instant, les deux personnes interrogées ne connaissent que deux autres lieux au monde qui utilisent cette technologie pour entreposer des documents : le FBI, et un centre d’archives à Abu Dhabi. « Depuis notre mise en service en juin, notre moyenne est d’environ 850 livres commandés par semaine », renseigne Carlo Della Motta. « On s’occupe aussi d’envoyer des livres pour être scannés dans le centre, qui nous sont ensuite retournés. »

Certification faible impact

Le centre de collection a été certifié LEED GOLD (Leadership de conception en énergies et environnement, tdlr) pour ses efforts en termes d’utilisation des ressources énergétiques comme l’électricité et d’aménagement intérieur et extérieur pour les cinq employés qui viennent quotidiennement sur place. « Nous avons un bac à compost, nos meubles viennent du campus du centre-ville et nous avons gagné la certification Pelouse Fleurie pour notre engagement envers la biodiversité de la ville de Valleyfield. On n’utilise pas de pesticides, pas d’engrais, pas de dérogation. Il y a un certain nombre de plantes endémiques nécessaires pour obtenir la certification », raconte Carlo Della Motta. Le bâtiment est fourni d’une salle de conférence, d’une cuisine, et même d’une douche, pour ceux qui voudraient venir à vélo au travail. Les robots chargés avec des batteries de voiture électriques, eux, consomment en 24 heures ce que consomme un aspirateur branché durant 30 minutes.

« Le but de la bibliothèque est de créer un espace social fait pour les humains, pas pour les livres »

Projet de rénovations retardé

Le Centre des Collections a accueilli les premiers livres à Salaberry-de-Valleyfield en octobre 2023 afin de vider la bibliothèque McLennan pour le début des travaux en 2025. « C’est seulement après avoir déplacé les livres que le projet de rénovation a été mis en pause » informe Carlo Della Motta. Les travaux, retardés dû à « une augmentation des coûts dans la construction », ont été impactés par l’augmentation des frais de scolarité pour les étudiants hors Québec. La doyenne Dr. Beaudry précise : « c’est certain que ça a contribué, parce que c’est la santé financière de McGill qui a été touchée, et la capacité d’emprunt de notre Université ». Les plans de rénovation sont actuellement retravaillés afin de rentrer dans le budget. La doyenne précise que les étagères de McLennan resteront vides et ne seront pas démantelées tout de suite : « Pour le moment, on a confiance que d’ici au printemps, on saura où on s’en va. Si l’on démantèle les rayons et qu’on crée des espaces avec les moyens qu’on a, on risque de devoir tout changer à nouveau au printemps, quand on aura plus de visibilité sur la poursuite des travaux. »

Anouchka Debionne | Le Délit

Le futur du centre

Le centre ne restera donc pas seulement un entrepôt durant les travaux, et compte d’ailleurs accueillir les collections d’autres universités. Selon Carlo Della Motta, « lorsque d’autres bibliothèques, comme la bibliothèque d’Études islamiques, le campus MacDonald ou celle de l’École de musique commenceront à manquer d’espace, nous devrons mettre en place des protocoles et des procédures pour qu’elles puissent déplacer des documents ici. Nous ne sommes pas encore au maximum de notre capacité ». Le centre de Collections accueille actuellement 2,4 millions de livres, et la doyenne mentionne qu’ils prévoient le retour de 400 à 500 000 livres dans la bibliothèque McLennan. « On se pose la question en discutant avec les étudiants mais aussi avec les professeurs : de quelles collections a‑t-on besoin au centre-ville? » S’y retrouveront sûrement les livres qui ont été empruntés récemment, les nouveaux livres achetés par l’Université et ceux qui figurent sur les syllabus des professeurs.

Ainsi, les bibliothèques sont des espaces dans lesquels les étudiants passent un grand pourcentage de leur temps : le centre de Collection est une première étape vers l’adaptation de nos bibliothèques pour nos besoins numériques du XXIe siècle.

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Nous, le Nord https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/nous-le-nord/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56620 Ce qui restera au Canada après l’élection de Trump.

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C’est aux alentours de 22 heures lundi dernier que j’ai eu l’impression de revivre 2016 pour la première fois, et que les souvenirs de la dernière défaite démocrate ont commencé à me revenir à l’esprit. C’est à ce moment que je me suis revu âgé de tout juste 13 ans, regardant seul les résultats de l’élection présidentielle être annoncés, et comprendre que non, Hillary Clinton ne deviendrait pas la première femme présidente des États-Unis d’Amérique – et ne briserait ainsi pas le dernier plafond de verre en politique. Cette fois, Elliott, 21 ans, comprenait que non, Kamala Harris ne deviendra pas non plus la première femme présidente des États-Unis et que ce plafond de verre allait une fois de plus résister. Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente.

Pour commencer, les femmes ont aujourd’hui moins de droits qu’elles en avaient il y a de cela huit ans déjà, lors de la première victoire du MAGA (Make America Great Again). En effet, si en 2016 une loi fédérale prévoyait et garantissait l’accès à l’avortement pour les femmes à l’échelle des États-Unis, aujourd’hui, ce sont les États qui décident s’ils vont offrir – ou non – ce service. Un service de santé que je juge essentiel et qui, je dois le rappeler, sauve la vie de femmes qui dans de nombreux cas doivent faire usage de la procédure à la suite de complications qui les mettent en danger. Maintenant que cette légalisation nationale de l’avortement est chose du passé, on n’a qu’une personne à remercier : Donald J. Trump. Il s’en est largement vanté d’ailleurs, disant à plusieurs reprises qu’il est le seul président à avoir réussi à renverser Roe v. Wade, le jugement de 1973 qui avait rendu légal l’avortement dans tout le pays.

Sous cette nouvelle administration Trump, on doit s’attendre à encore plus de réglementation entourant la santé et le corps des femmes. Au-delà du fait qu’il aura la charge de l’appareil exécutif, Trump risque d’enraciner la majorité conservatrice à la Cour Suprême et de remplir l’administration américaine de certains de ses collaborateurs tels que Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr., deux hommes qui se sont déjà prononcé contre l’avortement. Bref, l’entièreté du gouvernement fédéral américain étant sous le joug de Trump et de ses alliés anti-choix, les femmes devront faire preuve de courage et de résistance alors que les droits fondamentaux et sacrés de leur personne sont sous-pression et qu’ils seront assurément attaqués. Deuxièmement, alors que Trump avait été élu en 2016 avec une plateforme qui ne disait pas grand-chose sur les droits des membres de la communauté LGBTQ2+, en 2024, son agenda y est fermement opposé. Les dernières semaines de la campagne nous l’ont démontré alors qu’à coup de millions de dollars, Trump menait une campagne médiatique axée sur un discours anti-trans dans les États pivots pour remporter la MaisonBlanche. De plus, le fameux projet 2025, un manifeste écrit par certains de ses plus proches collaborateurs et qui fait office de plateforme de campagne, nous fait comprendre dans quelle direction cette nouvelle administration compte se diriger, au détriment des minorités de genres et sexuelles. Si le projet 2025 est mis en application, nous risquons de voir une interdiction nationale des chirurgies de réassignement de sexe avant la majorité, la remise en application d’une interdiction pour les personnes trans d’entrer dans l’armée ou encore limiter leur capacité à joindre des équipes professionnelles de sport. Pour les minorités sexuelles, comme l’a affirmé le juge controversé et ultra-conservateur de la Cour Suprême, Clarence Thomas, c’est aussi la légalisation nationale du mariage entre conjoints de même sexe qui risque d’être renversée, à l’instar de l’arrêt Roe v. Wade. Un tel recul en arrière serait tout autant un crève-cœur pour les défenseurs de la cause du mariage pour tous, sachant qu’il a fallu attendre des décennies pour que la plus haute instance judiciaire du pays reconnaisse sa légalité à l’échelle du pays. En somme, avec Trump de retour dans le rôle de président, on doit s’attendre à ce que les droits des communautés sexuelles et de genre soient remis en question ou simplement supprimés.

« Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente »

Avec ce rapide comparatif entre la première élection de Trump et sa réélection, on comprend que non seulement le contexte qui a permis au candidat républicain de devenir le président des ÉtatsUnis a changé, mais aussi que le candidat et la nature de ses politiques ont changé. Ceux et celles qui pensent que 2024–2028 sera une continuité avec le premier mandat de Trump se leurrent. Le septagénaire s’est radicalisé et il risque de faire encore plus de ravages pour les plus faibles. Cette fois-ci, Trump menace d’aller encore plus loin et de s’attaquer à des tranches de la population qui avaient jusqu’ici été épargnées.

En terminant, permettez-moi de m’adresser directement à vous, chers lecteurs du Délit. Les États-Unis ont fait leur choix la semaine dernière. Ils ont élu Trump. D’une incroyable manière, des États pourtant traditionnellement démocrates sont tombés dans le giron républicain et d’autres, comme la Virginie, ont failli eux aussi succomber à la marée rouge. Pour la première fois en 20 ans, le candidat républicain à gagné le vote populaire. Maintenant, le Canada devra aussi faire un choix, et ce rapidement. On devra décider comment se positionner face aux États-Unis dirigés par un extremiste et comment on fera la politique chez nous. Je ne sais pas ce qu’on décidera de faire. Je ne sais pas non plus ce qui nous attend. Ce que je sais, cependant, c’est qu’on devra serrer les dents et se tenir droit devant la Maison-Blanche. Parfois, ce qu’on va voir au sud de notre frontière choquera, ça fera mal au cœur. Plus d’une fois, on sera témoin de terribles injustices, mais on ne peut pas se permettre de sombrer avec eux. Nous, le nord, nous devrons faire preuve de force et de résilience. Nous, le Canada, nous devrons nous serrer les coudes pour nous assurer que ce genre de dérives totalitaires ne se rendent pas jusqu’à chez nous. On devra aussi renforcer nos autres alliances, parce qu’avec Trump à Washington, le Canada n’aura pas besoin de se chercher d’ennemi. Nous, le nord, nous devons leur faire face, ensemble.

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