Archives des Opinion - Le Délit https://www.delitfrancais.com/category/societe/opinion/ Le seul journal francophone de l'Université McGill Wed, 27 Nov 2024 17:55:34 +0000 fr-FR hourly 1 https://wordpress.org/?v=6.7.1 Ententes pour la francophonie https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/ententes-pour-la-francophonie/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56667 Les frais réduits au Québec trahissent-ils un désir de ne sélectionner que les « bons » francophones?

L’article Ententes pour la francophonie est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Peuplé de huit millions de francophones, le Québec se présente aujourd’hui comme le bastion de la francophonie en Amérique du Nord, notamment à travers ses politiques de promotion du patrimoine linguistique. Cultivant son image de province accueillante, le Québec offre une tarification préférentielle pour les études supérieures aux francophones, mais seulement aux étudiants originaires de France et de la communauté francophone de Belgique.

Au cours des cinq dernières années, 865 millions de dollars (soit en moyenne 173 millions de dollars par an) ont été alloués aux étudiants français inscrits dans les universités et cégeps du Québec sous forme de subventions. Ces fonds permettent aux étudiants de premier cycle de payer des frais de scolarité environ deux fois moins élevés que ceux imposés aux autres étudiants internationaux, et même inférieurs à ceux des Canadiens non-résidents du Québec, en raison des récentes augmentations tarifaires les visant. Pour les cycles supérieurs, l’écart est encore plus marqué : lorsqu’ils sont inscrits en maîtrise ou au doctorat, les étudiants français et belges paient les mêmes frais que les résidents québécois, un privilège qui n’est pas même accordé aux Canadiens nonrésidents du Québec.

Cet effort financier a indéniablement fait croître la présence d’étudiants français et belges — et par extension, celle de la francophonie — dans les institutions universitaires québécoises, les intégrant comme des partenaires clés du projet linguistique de la province. Cependant, il soulève des questions sur l’inclusion, l’équité ou encore le sentiment d’appartenance qu’il induit. Qui peut vraiment se sentir chez soi au Québec? Et que révèle cette générosité sélective sur la vision québécoise de la francophonie?

Vers une francophonie à tout prix

Au Québec, les frais de scolarité dépassent la question financière : ils dessinent une frontière nette entre ceux auxquels on permet de s’intégrer et ceux qui sont forcés à rester en marge. Les résidents du Québec, qui bénéficient des tarifs les plus bas, incarnent le cœur battant de la province. Les Canadiens non résidents deviennent quant à eux déjà des « presque-étrangers » en étant sommés de payer des frais deux fois plus élevés que les résidents de la province. L’addition reste considérablement inférieure à celle imposée aux étudiants internationaux, qui se voient ainsi relégués au statut d’appartenance le plus limité.

Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

La préférence tarifaire accordée aux étudiants français et belges, au-delà de constituer une anomalie chez les étudiants internationaux, agit comme un rapprochement symbolique avec les résidents québécois. Elle les invite à se sentir chez eux, à la différence des autres étudiants francophones et des Canadiens originaires d’autres provinces. En favorisant des étrangers plutôt que leurs concitoyens anglophones ou francophones d’ailleurs au Canada, le projet de la francophonie du Québec réaffirme une distinction identitaire qui transcende alors le cadre national et valorise davantage le partage de la langue que celui de la nationalité.

Ce projet de retrouvailles et d’accueil par l’idiome répond toutefois à une logique sélective qui privilégie certaines nations, plutôt que de faire du Québec un espace universel de connexion pour les francophones des quatre coins du monde. Ainsi, les étudiants français et belges, issus de pays plus riches et dotés d’institutions académiques prestigieuses, bénéficient d’un accueil chaleureux dans les établissements universitaires, qui deviennent le lieu tangible de leurs privilèges et de leur appartenance. Les étudiants francophones d’Afrique et du Moyen-Orient, malgré leur contribution à la vitalité de la langue française, se heurtent quant à eux à des barrières économiques et symboliques qui les marginalisent dans ce projet de francophonie à deux vitesses.

Une francophonie conditionnelle : entre privilège et exclusion

Ces politiques soulèvent des interrogations légitimes quant à la hiérarchie culturelle implicite qu’elles révèlent. Les nations perçues comme « compatibles » — riches, blanches et européennes — sont favorisées au détriment des pays du Sud. Bien qu’il existe des accords avec des États comme la Tunisie, Djibouti et la République démocratique du Congo, où le français est parlé respectivement par 52,47%, 50% et 51,37% de la population, ces partenariats restent largement symboliques. Ils profitent seulement à une poignée d’étudiants — souvent moins d’une douzaine par pays chaque année. En comparaison, des milliers d’étudiants français et belges bénéficient de ces ententes à la seule échelle de McGill.

Ce déséquilibre entre les nations du Nord et du Sud n’est pas anodin. Il reflète une logique utilitariste dont les accords sont conclus exclusivement avec des nations présentant des intérêts économiques stratégiques pour le Québec. En faisant de la maîtrise du français un critère d’immigration, ces politiques sélectionnent une population étudiante alignée avec ces mêmes intérêts. Cette instrumentalisation de la francophonie comme outil de sélection compromet néanmoins la possibilité pour le Québec de porter le projet d’une francophonie universelle, éclipsant la solidarité linguistique qui la caractérise au profit d’un pragmatisme économique.

L’exemple de l’entente avec la Belgique, qui ne repose pas sur un lien historique particulier avec le Québec, illustre bien ce privilège accordé aux pays du Nord et la dissonance du projet québécois. Paradoxalement, des pays culturellement proches comme la Suisse et le Luxembourg, où le français est parlé par 67,13% et 91,99% de la population, sont exclus de ces tarifs préférentiels. Si cette situation diffère des logiques néocoloniales qui excluent les nations africaines, elle met néanmoins en lumière une politique de « minimum convenable », où certains pays francophones sont négligés faute d’intérêts économiques immédiats.

Ces tendances révèlent une absence de vision idéologique forte autour de la langue française dans les politiques québécoises. Au lieu de devenir une force unificatrice, la francophonie au Québec semble s’enfermer dans un projet utilitariste dicté par des alliances à court terme, et éloigné des idéaux d’universalité et de fraternité historiquement liés à la langue française.

Étendre le sentiment de chez-soi

Si le Québec aspire véritablement à protéger et promouvoir son patrimoine francophone, il devra repenser son approche qui, dans sa forme actuelle, perpétue des exclusions. L’élargissement de la tarification préférentielle à l’ensemble des nations francophones renforcerait un sentiment d’appartenance universel, tout en répondant aux idéaux de solidarité linguistique. Cela offrirait également de nouvelles perspectives académiques et culturelles pour la francophonie, au moyen de mesures alignées sur les objectifs économiques et diplomatiques de la province.

Une politique véritablement inclusive permettrait au Québec de s’affirmer comme un acteur clé de la justice culturelle et linguistique. En s’inspirant de l’homoglosson d’Hérodote, qui définit l’appartenance par la langue partagée plutôt que par l’origine, le Québec pourrait repenser la francophonie comme un espace véritablement ouvert et inclusif. Elle cesserait d’être un cercle exclusif pour devenir un lieu d’échanges, où chaque francophone pourrait se sentir pleinement « chez lui ».

Pour concrétiser cette vision, le Québec doit élargir ses politiques préférentielles afin d’inclure tous les francophones, transformant ainsi la langue française en une véritable force unificatrice. Il renforcerait alors son rôle de foyer pour une francophonie mondiale, où chaque individu, quelle que soit son origine, serait reconnu et valorisé comme membre d’une communauté vraiment inclusive.

L’article Ententes pour la francophonie est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Entre appartenance et culpabilité https://www.delitfrancais.com/2024/11/27/entre-appartenance-et-culpabilite/ Wed, 27 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56703 Exister sur des terres volées.

L’article Entre appartenance et culpabilité est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
L’ « indigénéité » – traduction littérale du mot indigeneity (l’état d’être indigène, ou d’être relié à ce qui est indigène, tdlr) – occupe une place grandissante dans la sphère publique québécoise, où l’on discute de plus en plus d’enjeux liés au passé colonial de la province. Ce concept représente bien plus qu’une simple appartenance à un territoire, ou une simple occupation des terres. C’est un lien profond, ancestral, tissé entre un peuple et une terre, marqué dans ce cas- ci par une histoire de résistance face à la colonisation. Pourtant, au Québec, et plus précisément à Montréal (Tiohtiá:ke), ce n’est que très peu d’entre nous qui peuvent se considérer indigènes au territoire. Je ne le suis pas.

Franco-descendante, née ici, j’ai grandi avec l’amour du Québec et l’appréciation du multiculturalisme montréalais. J’attribue une grande part de l’adulte que je suis devenue à la chance que j’ai eue, enfant, de grandir ici. Cette terre a fondé mon identité, a bercé mes années et m’a offert une maison. Pourtant, elle ne m’appartient pas.

Comment être fière d’une identité qui, contre mon gré, est ancrée dans une histoire de domination et de marginalisation?

Il existe en moi un conflit constant, presque viscéral : d’un côté, un attachement à cette terre, ma terre de naissance, empreinte de cet esprit de « chez-soi » ; de l’autre, une culpabilité indéniable et grandissante, à l’idée que cette maison repose sur des terres qui n’appartiennent ni à moi, ni à mes ancêtres. Comme plusieurs Montréalais·e·s, je me heurte à ces sentiments, qui peuvent aux premiers abords sembler inconciliables : aimer l’endroit où l’on a grandi, avec tout ce qu’il représente de souvenirs et d’identité, tout en étant pleinement conscient·e de l’injustice historique qui a permis cet enracinement – une injustice qui continue d’avoir des répercussions sur les peuples autochtones aujourd’hui. Malgré tout, je vous l’assure, ces contradictions me tiraillent l’esprit au quotidien, et ce, encore plus depuis que j’étudie à McGill.

Faire la part des choses

Le Québec est pour moi bien plus qu’un simple lieu géographique, bien plus que là où j’ai grandi. Ce sont ses paysages, ses lacs et ses montagnes qui inspirent la sérénité et qui ont ponctué mes étés, une culture où la musique, la langue et les récits façonnent nos identités. J’ai grandi dans une ville où les bruits du métro, le froid qui pince les joues l’hiver et la renaissance que nous connaissons tous les printemps ont fait de cette province mon chez-moi… Mais à quel prix?

Cet amour pour le Québec est marqué par des paradoxes. La culture québécoise, à laquelle je tiens tant, est un produit de la colonisation, un résultat d’un long processus historique qui a graduellement effacé les voix des Premières Nations, faisant d’elles un simple murmure dont les politicien·ne·s d’aujourd’hui ne se soucient pratiquement pas. Notre langue, symbole de résistance à l’assimilation anglaise, a elle-même été imposée aux peuples autochtones à un coût dévastateur – celui de la perte quasi-totale de leurs propres langues. Comment être fière d’une identité qui, contre mon gré, est ancrée dans une histoire de domination et de marginalisation?

Plus j’en apprends sur l’histoire des Premières Nations – à noter que le curriculum enseigné dans les écoles primaires et secondaires québécoises serait à revoir, puisqu’il continue de peindre les peuples autochtones dans une représentation figée dans un passé lointain – plus je ressens le poids de mon rôle inconscient dans la marginalisation des communautés autochtones. Nos ancêtres ont arraché ces terres, décimé des communautés, abusé de l’autorité qu’ils·elles s’étaient eux·elles-mêmes attribué·e·s, et aujourd’hui encore, les séquelles du colonialisme persistent, omniprésentes : pauvreté, marginalisation, et oppression demeurent des réalités marquant le quotidien de nos Premières Nations. Nous, les Québécois·e·s aimons parler de notre propre oppression sous l’Empire britannique, mais nous oublions souvent que nous avons été, et sommes toujours, des colonisateur·rice·s sur ces terres.

Ce qui semble « impossible » est souvent une construction sociale destinée à préserver le statu quo, et perpétuer la subjugation des communautés marginalisées au profit des communautés dominantes.

Reconnaître sa responsabilité pour réconcilier

Ce poids historique ne doit pas nous paralyser, mais doit plutôt agir comme un agent de transformation. Reconnaître que notre présence ici repose sur des injustices passées est un premier pas, mais ce constat doit être accompagné par des actions concrètes. La décolonisation, bien qu’idéaliste pour certain·e·s, est pourtant une obligation morale. Redistribuer les terres justement, offrir des rétributions financières aux peuples touchés, et soutenir les initiatives menées par les communautés autochtones ne sont pas des gestes hors de l’ordinaire, mais des réparations nécessaires. Bien qu’il est ici question du Québec, c’est à travers le Canada tout entier que l’on doit continuer d’exercer une pression pour que les communautés autochtones cessent d’être traitées comme inférieures.

Dans d’autres contextes, comme celui de la Palestine, des figures comme Francesca Albanese, qui ont su capter l’attention sur les réseaux sociaux dans les dernières semaines, soutiennent que la restitution n’est pas une utopie, mais bien un impératif de justice. Pourquoi serait-ce différent ici? Les obstacles logistiques et politiques ne devraient pas excuser notre inaction. Ce qui semble impossible est souvent une construction sociale destinée à préserver le statu quo, et perpétuer la subjugation des communautés marginalisées au profit des communautés dominantes.

Au quotidien, des gestes simples peuvent aussi soutenir la réconciliation : s’éduquer sur l’histoire autochtone, remettre en question les récits dominants, privilégier les entreprises autochtones, et surtout, écouter. Dialoguer avec humilité et reconnaître que la décolonisation commence par nos choix, autant individuels que collectifs, est essentiel si on espère un jour bâtir une société québécoise réellement inclusive où tous·tes peuvent s’épanouir.

Partager son chez-soi?

Au fil du temps, j’ai appris que l’amour de son chez-soi ne devrait pas être aveugle. On peut chérir sa maison tout en reconnaissant les torts historiques qui la caractérisent. C’est une dualité difficile, mais nécessaire. Le vrai amour, après tout, implique d’affronter les vérités inconfortables, desquelles on aimerait détourner le regard, afin de chercher à réparer ce qui a été brisé.

Pour moi, réconcilier appartenance et culpabilité, c’est reconnaître que mon lien à cette terre n’effacera jamais celui des Premières Nations, et que ce dernier primera toujours sur les sentiments que je peux avoir à l’égard de ma terre de naissance, quels qu’ils soient. Cela implique non seulement de questionner mes privilèges, mais aussi de transformer ma gratitude pour ce territoire en un engagement actif pour un avenir plus juste.

Un « chez-soi » authentique ne peut exister que lorsque tout le monde y trouve sa place. Ce n’est qu’en bâtissant une société où chacun·e – et ce incluant les peuples autochtones – peut vivre avec dignité que nous pourrons aimer notre chez-nous sans honte. Un pas dans la bonne direction serait de commencer par arrêter de détourner les yeux de notre histoire, et au contraire, de la confronter. En tant que Québécoise, j’espère un jour voir un Québec réconcilié avec son passé, où la solidarité n’est pas une aspiration lointaine, mais une réalité. C’est un rêve, oui, mais un rêve qui peut devenir réalité si nous le portons ensemble, main dans la main.

L’article Entre appartenance et culpabilité est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Nous, le Nord https://www.delitfrancais.com/2024/11/13/nous-le-nord/ Wed, 13 Nov 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56620 Ce qui restera au Canada après l’élection de Trump.

L’article Nous, le Nord est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
C’est aux alentours de 22 heures lundi dernier que j’ai eu l’impression de revivre 2016 pour la première fois, et que les souvenirs de la dernière défaite démocrate ont commencé à me revenir à l’esprit. C’est à ce moment que je me suis revu âgé de tout juste 13 ans, regardant seul les résultats de l’élection présidentielle être annoncés, et comprendre que non, Hillary Clinton ne deviendrait pas la première femme présidente des États-Unis d’Amérique – et ne briserait ainsi pas le dernier plafond de verre en politique. Cette fois, Elliott, 21 ans, comprenait que non, Kamala Harris ne deviendra pas non plus la première femme présidente des États-Unis et que ce plafond de verre allait une fois de plus résister. Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente.

Pour commencer, les femmes ont aujourd’hui moins de droits qu’elles en avaient il y a de cela huit ans déjà, lors de la première victoire du MAGA (Make America Great Again). En effet, si en 2016 une loi fédérale prévoyait et garantissait l’accès à l’avortement pour les femmes à l’échelle des États-Unis, aujourd’hui, ce sont les États qui décident s’ils vont offrir – ou non – ce service. Un service de santé que je juge essentiel et qui, je dois le rappeler, sauve la vie de femmes qui dans de nombreux cas doivent faire usage de la procédure à la suite de complications qui les mettent en danger. Maintenant que cette légalisation nationale de l’avortement est chose du passé, on n’a qu’une personne à remercier : Donald J. Trump. Il s’en est largement vanté d’ailleurs, disant à plusieurs reprises qu’il est le seul président à avoir réussi à renverser Roe v. Wade, le jugement de 1973 qui avait rendu légal l’avortement dans tout le pays.

Sous cette nouvelle administration Trump, on doit s’attendre à encore plus de réglementation entourant la santé et le corps des femmes. Au-delà du fait qu’il aura la charge de l’appareil exécutif, Trump risque d’enraciner la majorité conservatrice à la Cour Suprême et de remplir l’administration américaine de certains de ses collaborateurs tels que Elon Musk et Robert F. Kennedy Jr., deux hommes qui se sont déjà prononcé contre l’avortement. Bref, l’entièreté du gouvernement fédéral américain étant sous le joug de Trump et de ses alliés anti-choix, les femmes devront faire preuve de courage et de résistance alors que les droits fondamentaux et sacrés de leur personne sont sous-pression et qu’ils seront assurément attaqués. Deuxièmement, alors que Trump avait été élu en 2016 avec une plateforme qui ne disait pas grand-chose sur les droits des membres de la communauté LGBTQ2+, en 2024, son agenda y est fermement opposé. Les dernières semaines de la campagne nous l’ont démontré alors qu’à coup de millions de dollars, Trump menait une campagne médiatique axée sur un discours anti-trans dans les États pivots pour remporter la MaisonBlanche. De plus, le fameux projet 2025, un manifeste écrit par certains de ses plus proches collaborateurs et qui fait office de plateforme de campagne, nous fait comprendre dans quelle direction cette nouvelle administration compte se diriger, au détriment des minorités de genres et sexuelles. Si le projet 2025 est mis en application, nous risquons de voir une interdiction nationale des chirurgies de réassignement de sexe avant la majorité, la remise en application d’une interdiction pour les personnes trans d’entrer dans l’armée ou encore limiter leur capacité à joindre des équipes professionnelles de sport. Pour les minorités sexuelles, comme l’a affirmé le juge controversé et ultra-conservateur de la Cour Suprême, Clarence Thomas, c’est aussi la légalisation nationale du mariage entre conjoints de même sexe qui risque d’être renversée, à l’instar de l’arrêt Roe v. Wade. Un tel recul en arrière serait tout autant un crève-cœur pour les défenseurs de la cause du mariage pour tous, sachant qu’il a fallu attendre des décennies pour que la plus haute instance judiciaire du pays reconnaisse sa légalité à l’échelle du pays. En somme, avec Trump de retour dans le rôle de président, on doit s’attendre à ce que les droits des communautés sexuelles et de genre soient remis en question ou simplement supprimés.

« Pourtant, malgré ses airs de famille avec la victoire républicaine de 2016, celle de 2024 est totalement différente »

Avec ce rapide comparatif entre la première élection de Trump et sa réélection, on comprend que non seulement le contexte qui a permis au candidat républicain de devenir le président des ÉtatsUnis a changé, mais aussi que le candidat et la nature de ses politiques ont changé. Ceux et celles qui pensent que 2024–2028 sera une continuité avec le premier mandat de Trump se leurrent. Le septagénaire s’est radicalisé et il risque de faire encore plus de ravages pour les plus faibles. Cette fois-ci, Trump menace d’aller encore plus loin et de s’attaquer à des tranches de la population qui avaient jusqu’ici été épargnées.

En terminant, permettez-moi de m’adresser directement à vous, chers lecteurs du Délit. Les États-Unis ont fait leur choix la semaine dernière. Ils ont élu Trump. D’une incroyable manière, des États pourtant traditionnellement démocrates sont tombés dans le giron républicain et d’autres, comme la Virginie, ont failli eux aussi succomber à la marée rouge. Pour la première fois en 20 ans, le candidat républicain à gagné le vote populaire. Maintenant, le Canada devra aussi faire un choix, et ce rapidement. On devra décider comment se positionner face aux États-Unis dirigés par un extremiste et comment on fera la politique chez nous. Je ne sais pas ce qu’on décidera de faire. Je ne sais pas non plus ce qui nous attend. Ce que je sais, cependant, c’est qu’on devra serrer les dents et se tenir droit devant la Maison-Blanche. Parfois, ce qu’on va voir au sud de notre frontière choquera, ça fera mal au cœur. Plus d’une fois, on sera témoin de terribles injustices, mais on ne peut pas se permettre de sombrer avec eux. Nous, le nord, nous devrons faire preuve de force et de résilience. Nous, le Canada, nous devrons nous serrer les coudes pour nous assurer que ce genre de dérives totalitaires ne se rendent pas jusqu’à chez nous. On devra aussi renforcer nos autres alliances, parce qu’avec Trump à Washington, le Canada n’aura pas besoin de se chercher d’ennemi. Nous, le nord, nous devons leur faire face, ensemble.

L’article Nous, le Nord est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Liberté et affects https://www.delitfrancais.com/2024/10/30/liberte-et-affects/ Wed, 30 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56337 Viser plus haut que la démocratie libérale.

L’article Liberté et affects est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
« Lorsque le peuple vote, le peuple gagne. » Ces mots résonnent depuis plusieurs mois dans le paysage politique à travers le monde, alors que le populisme prospère sur le terreau d’une fracture sociale toujours plus béante. Les crises économiques, la peur et la xénophobie définissent maintenant notre conjoncture, transformant le débat démocratique en une scène de division et de désillusion. Si ces slogans sont souvent plus opportunistes que sincères, ce qui importe est de comprendre si le choix représente un aspect concret et pertinent de nos démocraties — ou si les conditions le transforment en illusion. Autrement dit, le vote confère-t-il une puissance d’agir, au sens spinoziste, à l’électeur? Ou bien le jeu politique est-il arrangé d’avance, fonctionnant au moyen et bénéficiant de cette illusion de choix qu’il confère aux citoyens?

La liberté contrainte du vote

Témoin des idéaux révolutionnaires, le vote symbolise aujourd’hui la liberté individuelle et la souveraineté collective au cœur de nos démocraties libérales. Autrefois perçue comme antagoniste à l’idée républicaine, la démocratie a trouvé sa place en adoptant la représentativité, un système où l’électeur cède sa souveraineté en vertu d’un « choix » qui, selon Francis Fukuyama, marque la « fin de l’Histoire » – l’idée qu’il n’existerait aucun système politique plus abouti que la démocratie libérale.

L’électeur, qui est cependant tenu entre le libre arbitre et les déterminismes d’un système aux structures rigides, est-il véritablement en mesure d’agir selon son essence? Spinoza nous rappelle que la liberté ne réside pas dans le simple fait de choisir, mais dans la capacité à exprimer sa propre nature, à affirmer une « puissance d’agir ». En politique, cela impliquerait que le vote confère à l’électeur une autonomie réelle, un pouvoir de décision ancré dans l’expression de soi, et non une imitation de la liberté. La réalité des démocraties représentatives cantonne néanmoins ce « choix » par des forces qui échappent au contrôle du citoyen. Celui-ci est contraint d’adhérer à un système façonné par les élites politiques et économiques, les médias et les structures institutionnelles, au nom d’un contrat social informel et contraignant. Plutôt que d’incarner une force libre, l’électeur semble réduit à une position de spectateur, invité à valider des options déterminées en amont. Dans ce cadre, le vote devient l’instrument d’une souveraineté d’apparence, qui maintient la population dans une impression de contrôle tout en limitant sa capacité d’action.

Une société des affects : illusion de choix

Ce qui se joue en politique dépasse toutefois les simples institutions : il s’agit de gouverner les affects, ces forces intimes qui unissent et dirigent les individus. Frédéric Lordon, s’inspirant de Spinoza, décrit cette « société des affects » dans laquelle des émotions collectives comme la peur, le besoin d’appartenance, ou la colère deviennent des leviers de contrôle redoutablement efficaces, à l’image du maccarthysme américain des années 50 (ou la « Peur du Rouge »), ou de la montée du nazisme dans l’Allemagne des années 30 (notamment par la propagande orchestrée par Joseph Goebbels). La démocratie libérale, loin de favoriser un choix éclairé, repose en grande partie sur ces affects afin de structurer la puissance d’agir des citoyens, leur donnant l’illusion d’une liberté qui leur appartient — en apparence seulement.

« S’ils souhaitent être élus, les deux candidats doivent composer avec les préoccupations des électeurs des états pivots, dont le choix va déterminer le résultat des élections »

Pour Spinoza, le pouvoir politique est en réalité une projection imaginaire des puissances individuelles, transférées au collectif. Ainsi, l’État, loin d’être une entité indépendante, existe comme un canal où s’expriment les affects et désirs individuels. Mais dans cette société des affects, le transfert de puissance, qui pourrait être présumé émancipateur, devient un instrument de stabilisation. Ces émotions – crainte, espoir, désir de sécurité – sont dirigées non pas pour encourager une véritable autonomie des citoyens, mais pour les lier à des choix déjà définis à l’avance.

Dans ce cadre, le choix politique n’est plus une expression véritable de liberté, mais une réponse conditionnée aux affects orchestrés. En s’ancrant dans un quotidien rythmé par des émotions entretenues, l’électeur se trouve captif de ces affects, réagissant aux options qui lui sont offertes. Loin de renforcer son indépendance, cet encadrement affectif le confine à des choix affectivement déterminés, qui ne font que reconduire le statu quo, entretenant l’illusion d’un ordre naturel et incontestable.

Une illusion orchestrée par les médias

Quant aux médias, loin de se limiter à une mission de dissémination de l’information, ils tracent les récits politiques, définissant les contours de ce qui semble acceptable. Pierre Bourdieu, dans Sur la télévision (1966), révèle la manière dont les médias imposent, selon des normes établies, une sélection de figures et d’idées « éligibles », un cadre préconstruit qui se présente comme naturel. Noam Chomsky et Edward Herman, dans La Fabrication du Consentement (1988), vont plus loin, soulignant que ce cadre répond avant tout aux intérêts économiques dominants. Les médias, disent-ils, fabriquent un « consentement » qui ressemble davantage à une adhésion imposée qu’à un choix véritable, offrant aux citoyens une liberté illusoire où le filtrage des options précède même la réflexion individuelle.

Les crises climatiques, sanitaires ou économiques contribuent également à restreindre cet espace de débat, créant un sentiment d’urgence qui justifie des prises de décisions accélérées. Dans cette précipitation, les électeurs se voient offrir des solutions immédiates qui servent à redorer les images politiques plus qu’à créer des avancées durables. Cette dynamique accentue la dépendance des citoyens envers des figures populistes qui capitalisent sur une angoisse dont elles sont souvent les instigatrices, renforçant ainsi l’illusion d’un choix dans le même temps où se resserre l’éventail de possibilités.

Réponse populaire : s’élever au-delà des contraintes

Là où la démocratie représentative porte en elle le paradoxe d’une liberté qu’elle entend garantir mais limite, il revient au citoyen de répondre à cet idéal de liberté sans en trahir l’essence. La véritable puissance d’agir consiste à comprendre les contraintes qui pèsent sur nos vies pour mieux les surmonter, et elle exprime ainsi sa beauté par son potentiel libérateur : en apprenant où se situent les frontières de notre liberté, nous nous donnons les moyens de les étendre. La connaissance des forces qui nous déterminent n’est pas une abdication, mais au contraire, une affirmation.

Ainsi, je crois que s’éprendre de la liberté et de la démocratie nous incombe de ne jamais cesser de lutter pour la connaissance et pour l’évaluation perpétuelle des institutions au sein desquelles s’exerce notre liberté. N’oublions pas ce qu’Aldous Huxley, mentor de Georges Orwell, nous enseignait à ce sujet dans Le Meilleur des Mondes (1932) : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. »

L’article Liberté et affects est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Les trois solitudes https://www.delitfrancais.com/2024/10/09/les-trois-solitudes/ Wed, 09 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56220 Colonisé et colonisateur: le Québec ne célèbre pas la Journée de la Vérité et de la Réconciliation.

L’article Les trois solitudes est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Depuis trois ans déjà, le Canada célèbre la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Il s’agit d’une initiative du gouvernement fédéral adoptée par les provinces, qui vise à honorer et commémorer les survivants des pensionnats autochtones, ainsi que les victimes des autres atrocités de la colonisation. Pour ceux et celles qui l’ignoreraient, c’est dans un contexte politique tendu que la journée dédiée aux peuples autochtones est apparue. Dès le début des années 2010, les différentes communautés autochtones des quatre coins du pays se sont rassemblées pour demander des actions concrètes à Ottawa. Cette mobilisation a mené à la publication des recommandations de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2019. Cette commission avait pour mission de mettre en lumière les nombreux abus qui sévissaient dans les réserves autochtones, et ce, spécialement auprès des femmes. Elle se devait aussi de dénoncer l’aveuglement populaire, qui se présente souvent sous la forme d’un réflexe persistant à vouloir tout cacher sous le tapis et faire comme si la réalité troublante dans les réserves autochtones n’était que pure imagination. Pendant quelques années, Ottawa semblait résister à la pression, fermement déterminée à ignorer la triste réalité des peuples autochtones. Le coup de grâce frappa en 2021 avec la macabre découverte de lieux de sépulture non-marqués près d’anciens pensionnats, signe incontestable que de jeunes autochtones avaient été assassinés et maltraités dans ces lieux dits « destinés à leur éducation ». La découverte avait engendré un véritable scandale, ouvrant les yeux du public sur les abus que les autochtones dénonçaient depuis déjà plusieurs années. Ottawa a ainsi dû se résigner à les écouter et a changé son fusil d’épaule.

« Après tout, les nations les plus fortes sont celles qui ne craignent pas de mettre un genou à terre et d’avouer leurs faiblesses »

Alors, le matin du 30 septembre dernier, alors que je naviguais comme à mon habitude sur les réseaux sociaux, la majorité des publications qui apparaissaient sur mon fil d’actualité étaient naturellement liées aux commémorations. On pouvait notamment y voir le premier ministre Justin Trudeau, la gouverneure générale Mary Simon (elle-même autochtone) et divers chefs autochtones parler d’une seule et même voix. Dans leur discours, une profonde tristesse, une résilience et même une certaine confusion étaient palpables, comme si des années plus tard, on ne comprenait toujours pas pourquoi ni comment on s’était rendu jusque-là collectivement.

Comment nous, le Canada, la nation championne des droits de l’Homme, avait-elle pu se rendre non seulement complice d’atrocités, mais aussi instigatrice de telles horreurs ? Et j’ose affirmer ici que c’est exactement le but de ces journées commémoratives que l’impératif de se poser des questions sur notre passé et sur notre identité nationale. Parfois, comme nation, ce n’est pas toujours agréable de se regarder dans le miroir : on risque de ne pas aimer ce que l’on voit, on risque d’être déçue, mais parfois, c’est plus que nécessaire. Après tout, les nations les plus fortes sont celles qui ne craignent pas de mettre un genou à terre et d’avouer leurs faiblesses.

Alors que je continuais à faire défiler les publications sur X, j’ai aussi vu d’autres politiciens souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, des politiciens provinciaux québécois cette fois-ci. Puis, alors que je les écoutais parler, j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de bizarre dans leurs discours, quelque chose qui sonnait différemment en comparaison avec leurs homologues fédéraux. Leur analyse de la situation des peuples autochtones semblait teintée par un certain malaise, comme s’ils parlaient à demi-mot, qu’ils n’étaient pas prêts à prendre position sur la question, et qu’il y avait une sorte de déconnexion entre ce qu’ils avançaient et la réalité. Bien que cela m’ait semblé étrange à première vue, le constat y était : au Québec, on aborde différemment notre passé complexe avec les peuples autochtones. J’ai alors creusé la question.

« Pour eux, il est donc dur d’admettre ou seulement de concevoir que le Québec ait pu être responsable de l’anéantissement d’un autre peuple, car une nation ne peut être à la fois victime et bourreau »

La conclusion à laquelle je suis parvenu réside dans le nationalisme identitaire québécois qui s’est construit au cours des années. Les nationalistes d’ici ont de la difficulté à admettre que le Québec a été complice des atrocités commises à l’égard des autochtones, parce que ça ne suit pas le narratif qu’ils se sont construits. Après tout, l’histoire du Québec et des francophones partout au Canada demeure une histoire de résistance. Après avoir été assujettis par la couronne britannique, des lois injustes ont été mises en place contre l’intérêt des francophones afin de tenter de les assimiler. Pour eux, il est donc dur d’admettre ou seulement de concevoir que le Québec ait pu être responsable de l’anéantissement d’un autre peuple, car une nation ne peut être à la fois victime et bourreau. Comment un peuple conquis pourrait-il en conquérir un autre? Ailleurs dans le pays, cette admission n’est pas aussi compliquée parce que les citoyens ne perçoivent pas leur province comme ayant été contrôlée, ou encore malmenée par l’occupation coloniale. Dans l’esprit des gens, il n’existe donc pas cette dualité entre agresseur et agressé. Donc, lorsque l’on dit que le Québec a aussi pris part au génocide contre les peuples autochtones, la pilule est, pour plusieurs, plus difficile à avaler.

Même dans la couverture médiatique d’ici, la Journée fût soulignée différemment. Malheureusement, des nationalistes comme Sophie Durocher ou Rémi Villemure sont tombés dans le panneau du déni. Récemment, les deux personnalités ont mené une chronique à la radio, où ils remettaient en doute le simple fait que des autochtones aient été tués dans les pensionnats. Ils attribuaient la présence de tombes non marquées près des pensionnats à de simples maladies au lieu d’un système bien implanté de meurtres et d’abus d’enfants.

Bien que les francophones aient souffert comme les autochtones de la présence britannique, la différence fondamentale entre les deux peuples demeure que les francophones, contrairement aux autochtones, ont pu se construire une entité étatique, et s’assurer de la reconnaissance de leurs droits. Ils ont bénéficié d’une représentation politique et de pouvoirs constitutionnels. Ce ne fut jamais le cas des autochtones. Remettre en question le passé colonial du Québec ne nous fera pas avancer collectivement. Douter n’effacera pas les blessures du passé. Pointer du doigt ne nous réconciliera pas. Si l’on souhaite vraiment atteindre la réconciliation avec les peuples autochtones, nous nous devons d’être honnêtes vis-à-vis de qui nous sommes et envers le peuple que nous avons été. Comme je l’ai déjà dit, la vérité n’est pas agréable à entendre, mais c’est la seule manière d’avancer. Oui, le Québec et les francophones en général ont été victimisés par le régime britannique qui parfois nous aura maltraités. Non, le Québec n’est pas immunisé contre les abus parce qu’il fut lui aussi abusé.

L’article Les trois solitudes est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Garder tout et pour toujours https://www.delitfrancais.com/2024/10/02/garder-tout-et-pour-toujours/ Wed, 02 Oct 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=56125 Le hoarding chez les étudiant·e·s universitaires.

L’article Garder tout et pour toujours est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
La semaine dernière, ma mère m’a forcée à faire un grand ménage de mon placard, me poussant à trier les vêtements que j’ai accumulés depuis déjà plusieurs années, mais dont j’avais refusé de me départir. J’ai fait trois piles : les « je garde absolument, je ne pourrais jamais les donner », les « bof, je sais pas trop », et les « ça, personne, pas même la personne la moins stylée sur Terre, ne voudrait le mettre ». Après quelques heures de tri, j’ai fini par constater que la vaste majorité de mes vêtements se retrouvaient inévitablement dans la pile « à garder » , et que la pile de dons demeurait obstinément assez modeste. Je me suis alors demandée si je n’étais pas, comme ma grande-tante l’avait été avant moi, une hoarder (syllogomaniaque).

« Ces objets, bien qu’ils aient pu avoir une place chère à notre cœur, évoquent aujourd’hui une signification émotionnelle disproportionnée, et les abandonner devient alors bien plus difficile que prévu »

Selon le dictionnaire Cambridge, un·e hoarder est « une personne qui souffre d’un trouble mental les menant à vouloir conserver un grand nombre d’objets qui ne sont pas nécessaires ou qui n’ont pas de valeur (tdlr) ». Traditionnellement associé aux personnes âgées, le terme hoarder est généralement péjoratif et sous-entend une tendance à l’excès, une dégénération, souvent caractérisée par une perte de contrôle totale de ses moyens face à l’accumulation impressionnante d’objets. Or, ce tri de ma garde-robe m’a fait comprendre que le hoarding n’est pas un phénomène réservé aux personnes âgées. Bien que ce soit à une échelle différente dans mon cas, j’en étais victime. Je crois d’ailleurs qu’il est beaucoup plus répandu chez les jeunes adultes qu’on ne le pense, en particulier chez celles et ceux de notre âge. Nous accumulons aussi, mais notre hoarding revêt une forme différente de celui qu’on associe aux personnes âgées vivant recluses avec pour seule compagnie leur panoplie d’objets inutiles. À notre niveau, ce sont souvent des objets de moindre valeur matérielle, auxquels on accorde toutefois une grande valeur émotionnelle. Pour moi, ce sont ces vêtements que je ne porte jamais, mais dont je n’arrive pas à me départir, parce que je les associe à des souvenirs ou à des moments marquants de ma vie, alors que pour d’autres, ce pourrait être la robe portée à leur graduation, le fameux t‑shirt Frosh, ou ce collier offert par un·e ex-partenaire. Ces objets, bien qu’ils aient pu avoir une place chère à notre cœur, évoquent aujourd’hui une signification émotionnelle disproportionnée, et les abandonner devient alors bien plus difficile que prévu.

Le hoarding émotionnel chez les jeunes adultes

Le hoarding chez les jeunes adultes, en particulier chez les étudiant·e·s, peut être alimenté par plusieurs facteurs, notamment le stress, la peur du changement, ou encore le désir d’occuper un espace qui leur est propre. L’université représente souvent un moment de transition, qui implique de nombreux départs, changements de vie et expériences qui forgent l’identité. Ainsi, les objets personnels, que ce soit des bibelots ou des vêtements, peuvent devenir des ancres, des repères émotionnels dans un monde en constante évolution. L’attachement à ces objets est souvent un moyen de préserver un lien avec des moments passés ou des relations anciennes.

Cette accumulation n’est pas forcément considérée comme problématique tant qu’elle ne dépasse pas des proportions excessives. On pourrait dire que beaucoup de jeunes adultes sont des « hoarders en devenir » : leur collection d’objets émotionnels augmentant discrètement avec le temps. Dans mon cas, c’est la quantité de vêtements que je possédais qui avait atteint une ampleur démesurée, et il a fallu que ma mère m’accule au pied du mur pour que je prenne conscience de l’état de mon placard.

Les applications de revente

Heureusement, l’ère numérique nous donne accès à des plateformes comme Depop, Vinted, ou Facebook Marketplace qui permettent à la fois de vendre et d’acheter des articles de seconde main. Mais, ces plateformes offrent-elles un soulagement pour les hoarders, leur permettant de se départir de leurs biens, ou sont-elles plutôt des outils faciliant leurs tendances pernicieuses? Ces applications offrent une nouvelle perspective sur le processus de désencombrement : plutôt que de jeter ou donner, on peut vendre ses biens, leur permettant ainsi de circuler et d’avoir une seconde vie chez autrui, qui saura, on l’espère, les apprécier à leur juste valeur.

Cependant, ces plateformes ne permettent pas seulement de désencombrer ses placards, mais aussi de les renflouer. En effet, elles favorisent l’achat à bas prix, ce qui introduit une dynamique hautement contradictoire. Bien qu’elles offrent un moyen pratique de se débarrasser de vêtements, elles facilitent aussi l’accumulation en rendant l’achat de nouveaux articles presque aussi – voire plus – simple que la vente. Beaucoup de jeunes comme moi, en particulier dans un contexte universitaire où l’on doit jongler avec un budget serré, se voient tenté·e·s d’acheter à moindre coût. Cela crée un cycle où les placards se vident d’un côté, mais se remplissent de l’autre, sans qu’on ait réellement réduit la quantité d’objets possédés. Dans certains cas, se débarrasser de certains objets offre même le prétexte idéal pour racheter, menant à une accumulation perpétuelle.

« L’université représente souvent un moment de transition, qui implique de nombreux départs, changements de vie et expériences qui forgent l’identité. Ainsi, les objets personnels, que ce soit des bibelots ou des vêtements, peuvent devenir des ancres, des repères émotionnels dans un monde en constante évolution »

Ainsi, ces plateformes se situent à la croisée des chemins : elles peuvent être vues comme des outils pour réduire l’encombrement et la consommation excessive, mais elles peuvent tout aussi bien alimenter de nouvelles formes d’accumulation. À mon avis, la population universitaire est malheureusement victime de la facilité d’utilisation et des prix alléchants que ces plateformes offrent. Cela souligne à quel point le rapport aux objets dans la vingtaine est complexe : la tentation d’acheter reste toujours présente, même au milieu d’une démarche de désencombrement.

En somme, le hoarding dans la vingtaine est un phénomène souvent ignoré, mais, comme j’en témoigne, bien réel, particulièrement dans le milieu universitaire. Bien qu’il soit généralement perçu comme un problème affectant les personnes plus âgées, il est aussi important de souligner sa place chez les jeunes adultes. Les plateformes de revente comme Depop et Vinted offrent des solutions modernes à ce dilemme, permettant aux jeunes adultes de désencombrer sans se heurter à la difficulté émotionnelle de se débarrasser de leurs objets précieux. Dans ce processus de lâcher-prise souvent difficile à affronter, il est important de se rappeler que même si l’on peut ressentir un certain vide dans l’instant, les objets que l’on abandonne trouveront une nouvelle vie entre les mains d’un·e prochain·e, qui saura tout autant les apprécier.

L’article Garder tout et pour toujours est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Souffler : quand l’espoir renaît enfin https://www.delitfrancais.com/2024/09/25/souffler-quand-lespoir-renait-enfin/ Wed, 25 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55951 Trump, Biden et Harris nous en auront fait voir de toutes les couleurs.

L’article Souffler : quand l’espoir renaît enfin est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
En matière de politique américaine, les consensus se sont fait rares au cours des deux dernières décennies. En effet, depuis le début des années 2000, la société américaine s’est fortement polarisée. De plus, n’importe qui s’intéressant un tant soit peu à ce qui se passe chez nos voisins du sud vous dira que cet été a été long, rempli de surprises et de rebondissements. Cette période aura certainement été insoutenable pour nos pauvres nerfs. En quatre mois seulement, on a été témoin des spéculations entourant Biden et de son pénible déclin, qui a culminé lors de sa désastreuse prestation au débat présidentiel. On a aussi connu deux tentatives d’assassinat contre Trump et l’avènement de la messe républicaine qui voyait déjà son candidat à la Maison-Blanche. Dans le camp démocrate, c’est l’abandon à a course présidentielle de Biden, la formation de l’unité démocrate autour de Kamala Harris et enfin l’espoir qui s’est établi lors de la convention démocrate. Bref, on en a vu beaucoup. Beaucoup à analyser, beaucoup à traiter, beaucoup à démystifier.

Une année électorale rocambolesque

Comme on le dit trop souvent, nous vivons des moments historiques sans précédent. Jamais auparavant un président en fonction n’avait décidé de se désister si tard dans le processus électoral. Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter son parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée.

Comme beaucoup, toutes ces nouvelles variables inconnues dans l’équation des présidentielles américaines m’ont fait peur. J’ai passé plus d’heures que j’aimerais admettre sur X à regarder les sondages, à analyser les mille et unes façon dont Harris pourrait atteindre le chiffre magique de 270 grands électeurs (le nombre requis pour gagner la présidence) le 5 novembre prochain et à écouter les rallyes des deux candidats. Pour moi, toute bribe d’information, tous les détails étaient importants et devaient être analysés. Ils me permettaient de prendre le pouls du peuple américain, de voir dans quelle direction on s’en allait. Pourtant, quand j’y pense, c’est futile. Je ne suis pas Américain. Je ne pourrai pas voter. Je ne pourrai pas faire de dons à la campagne démocrate.

Comme beaucoup des lecteurs du Délit, la seule chose que je puisse faire, c’est prendre une grande inspiration et attendre. Attendre. Par contre, la seule idée de revoir Trump à la tête de l’appareil américain me rend malade et je ne peux m’y résoudre. Et là, quelque chose de concret est arrivé ; le débat du 10 septembre. On y a découvert une nouvelle dynamique, une nouvelle candidate; bref, une toute nouvelle campagne. On rebrasse les cartes et on recommence à zéro.

« Jamais auparavant un délinquant criminel, maintes fois poursuivi en justice, n’avait obtenu la nomination de son parti. Jamais auparavant une femme de couleur n’avait été sélectionnée par la base partisane pour représenter les couleurs du parti. Jamais une élection américaine s’est annoncée être si serrée »

Un débat réconfortant

J’ai écouté le débat avec mes deux meilleures amies à la soirée organisée par Democrats at McGill. J’avais le cœur serré et j’étais dans l’appréhension la plus totale. Un verre à la main, puis deux, pour calmer mon esprit, j’ai tout regardé. Le laid comme le plus beau. Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable.

Bon, bon, bon… Je vous vois venir, me dire que je suis un maudit vendu, que je dirais n’importe quoi qui est dans le meilleur intérêt de Harris…Et moi je vous répondrais que ce que j’affirme ici, je tente de le dire au-delà de mon biais définitivement pro-démocrate. Je le dis parce que je tente de me mettre dans la peau d’un républicain et tout ce que je vois, c’est que Trump est mal paru. Ce n’est un secret pour personne, nous avons des attentes différentes pour les deux candidats. Pour Harris, on s’attend à ce qu’elle soit forte, qu’elle soit préparée, qu’elle soit intelligente, mais pas trop (elle ne doit pas faire comme Hillary Clinton), qu’elle soit souriante et qu’elle articule ses idées autour de projets rassembleurs pour faire avancer la démocratie américaine. Pour Trump, on veut qu’il soit un homme fort, on veut qu’il dise des petites folleries qui nous feront rire, qu’il dénonce le statu quo, qu’il nous fasse sortir du « vieux » modèle politique.

« Après 90 longues minutes, pour la première fois depuis le début de l’été, j’ai soufflé. J’ai soufflé parce que Harris a été formidable et Trump, lui, a été pitoyable »

Donc, quand on y pense, toute la pression était sur les épaules de la vice-présidente. Elle qui est moins connue que son adversaire devait prouver beaucoup plus à l’électorat que Trump. Dans cet esprit, on comprend que Harris a réussi à faire ce qu’elle avait à faire : elle est arrivée sur la scène en possession de ses moyens, lumineuse, ferme et préparée. Trump, lui, paraissait vieux, aigri et faible. Mais surtout, il n’a pas offert un spectacle drôle et original comme sa base en attendait de lui. Non, il était simplement ennuyeux et revanchard. Je pourrais vous dire toutes les choses folles qu’il s’est permis de dire, mais je m’y refuse. Je refuse de faire le messager, de continuer à lui donner de l’attention. Tout ce que je veux retenir de ce débat c’est que j’ai soufflé. Pas pour longtemps, juste un petit souffle ; mais tout de même un souffle de soulagement, d’encouragement pour ce qu’il y à venir.

En somme, le 5 novembre demeure encore loin aujourd’hui. Beaucoup de choses risquent de se passer d’ici là. Comme cet été nous l’aura appris, rien ne peut être tenu pour acquis. Si Harris veut gagner les clés de la Maison Blanche, elle devra travailler fort, elle devra bûcher, aller là où les démocrates ne sont pas allés depuis longtemps, visiter les sept états pivots (Caroline du Nord, Pennsylvanie, Michigan, Wisconsin, Géorgie, Arizona et le Névada), montrer sa vision et serrer le plus de mains possible pour former la plus grande coalition possible. Trump, lui, s’il veut gagner, il devrait se taire un peu et se concentrer sur les faiblesses démocrates comme la frontière sud et l’économie chancelante, héritage de Biden, mais je crains pour lui que ce ne soit pas dans sa nature. Bien que je ne connaisse pas l’issue du 5 novembre, je me permets d’être résilient et quelque peu optimiste pour les chances de Kamala Harris. Elle n’est ni parfaite, ni ma politicienne favorite, mais elle n’est pas Donald Trump. Pour moi, c’est tout ce qui me faut. Juste assez pour souffler.

L’article Souffler : quand l’espoir renaît enfin est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Lettres à nos vrais amours https://www.delitfrancais.com/2024/09/18/lettres-a-nos-vrais-amours/ Wed, 18 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55808 L’hégémonie du couple est largement dépassée.

L’article Lettres à nos vrais amours est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Cet été, lors d’un voyage à Paris, j’ai retrouvé mon amie Margaux, que je n’avais pas vue depuis un an, et nous avons discuté de nos amours et de nos amitiés. J’ai parlé de mes rencontres de la dernière année. Margaux m’a parlé de sa lecture du moment, Nos puissantes amitiés d’Alice Raybaud. Après un long échange sur les différentes formes que peut prendre l’amour, nous sommes arrivées à la conclusion que les amitiés – bien trop souvent considérées comme futiles ou secondaires – avaient fautivement été remplacées par le couple comme source principale d’amour au quotidien. Toutes deux, nous avons convenu que nous nous devions de refuser la sacralisation du couple, comme la société semble si souvent le faire, parce que nous percevons nos amitiés comme un véhicule unique d’amour qui se doit d’être revalorisé. Nous rêvons d’un monde où le couple est relégué au second plan et où les amitiés sont réimaginées et mises au centre de nos vies.

La place de l’amour dans nos vies

On s’entend tous·tes pour dire qu’être aimé·e est crucial au bon déroulement de nos vies. Quelqu’un·e qui se sent constamment seul·e, ou entouré·e de personnes ne lui accordant pas l’amour qu’il·elle requiert, se sentira vite déprimé·e, abandonné·e. Ceci dit, dans la vingtaine, on semble souvent associer couple et amour comme deux concepts intrinsèquement liés. Néanmoins, cette association omet les formes d’amour platonique, toutes aussi importantes que l’amour romantique. Pour beaucoup, l’amitié offre un réconfort comparable au couple – sinon supérieur – en procurant une connexion profonde et un soutien sans contraintes.

Pourtant, il est normalisé dans notre société de délaisser ces liens amicaux afin de privilégier son·sa partenaire, son travail ou ses enfants. Replacer nos amitiés au centre de nos vies requiert un effort conscient qui peut être difficile lorsqu’on navigue dans un emploi du temps chargé au début de la vingtaine. L’amitié, contrairement aux relations de couple qui peuvent parfois être marquées par la possession ou la dépendance, propose un amour dénué d’attentes exclusives. Elle permet une exploration plus vaste des sentiments, une découverte de soi et de l’autre, où chacun·e peut s’épanouir. C’est pourquoi, comme le note Raybaud dans Nos puissantes amitiés, les amitiés peuvent offrir un sentiment de liberté puissant, souvent initiateur d’émancipation. Ces relations, comme l’autrice le souligne, peuvent faire de l’amitié un outil de révolution, un espace de résistance.

Histoire du couple

Le couple, tel qu’il vit dans notre imaginaire collectif, est loin d’avoir toujours été fondé sur l’amour et le romantisme. Pendant des siècles et encore aujourd’hui selon les cultures, le mariage servait d’abord à consolider des alliances sociales et économiques, au détriment de satisfaire des désirs affectifs. C’est à partir du 20e siècle, avec l’émergence des idéaux bourgeois et la montée d’une société individualiste, que l’amour romantique a pris la place centrale qu’on lui connaît. Adulte, il n’est désormais plus commun de vivre avec nos parents et grands-parents sous le même toit. Alors, on met des attentes irréalistes sur le·la partenaire avec qui on vit, qui doit combiner à la fois le poids émotionnel d’une relation amoureuse, et le rôle de famille. Dès l’enfance, on nous inculque dans les contes de princesses qu’il nous faut trouver un prince charmant et qu’on devrait consacrer la majorité de notre temps à notre partenaire romantique. Aujourd’hui, notre société est organisée de manière couple-centrique, avec une monogamie largement privilégiée. Sur le plan fiscal, les avantages offerts aux couples mariés ou en union civile, comme les réductions d’impôts et les facilités pour l’acquisition de biens immobiliers, renforcent cette norme. La cohabitation avec son·sa partenaire est banalisée et surtout, moins chère à tous les niveaux. Cette incitation à former une famille, souvent réduite à une structure biologique et hétéronormative, marginalise les autres formes de relations.

L’idée que le couple doit être l’unique source d’épanouissement et d’accomplissement personnel est ainsi une construction récente, souvent liée à l’idéal de la famille nucléaire. En retraçant l’Histoire du couple, il devient évident que ce modèle n’a jamais été une réalité fixe mais bien une invention culturelle qui évolue avec le temps. Alors pourquoi ne pas imaginer de nouvelles formes d’organisations sociales, plus adaptées à notre vision de la vie?

« En fin de compte, l’idée n’est pas de rejeter le couple ou de nier son importance pour ceux et celles qui s’y épanouissent, mais de faire de la place à d’autres manières d’aimer et de vivre ensemble »

Remettre l’amitié au cœur de nos vies

Être et vivre en couple n’est pas un problème en tant que tel : le binôme conjugal convient à bon nombre de personnes. Ce que nous jugeons problématique, c’est qu’il s’agisse du seul horizon possible et acceptable pour exister dans l’ensemble du paysage social. L’« amatonormativité », théorisée par la philosophe Elizabeth Brake, décrédibilise et invisibilise toute autre relation d’affection et d’intimité, à commencer par l’amitié. Les personnes aromantiques ou asexuel·le·s, par exemple, sont les premier·ère·s à exprimer d’autres façons de donner et recevoir de l’amour. Sur TikTok, on voit apparaître des hashtags platonic life partnership (partenariat de vie platonique, tdlr) qui accompagnent des vidéos du quotidien d’ami·e·s qui collaborent financièrement et domestiquement, sans sentiment romantique ni attirance sexuelle.

Cette création de liens de communauté revient donc au cœur de la discussion, car nous avons tous·tes besoin de partage, de mise en commun et de solidarité pour se construire individuellement. Mais pourquoi chercher à construire ces relations exclusivement avec des partenaires romantiques, avec qui on a des relations sexuelles ou dont on est amoureux·se? Cette faible valorisation de l’amitié dans les projets de vie est paradoxale. Au quotidien, nous sommes tous·tes d’accord pour dire que les ami·e·s sont essentiel·le·s et que l’on nécessite leurs conseils, leur soutien, leur humour et amour. De même, un deuil amical est tout autant voire plus déchirant qu’un deuil amoureux.

Margaux Thomas | Le Délit

Une nouvelle hiérarchisation de nos relations s’impose. Les réflexions autour de la sororité commencent à grandir avec le féminisme. La vie en communauté attire et c’est grâce à l’influence de la communauté queer – trop souvent amenée à choisir sa famille – que nous avons vu les bienfaits de faire de ses ami·e·s et de sa famille choisie les pilliers de nos vies.

À notre échelle

Il est bien beau de prêcher l’amitié comme forme ultime d’amour, mais comment peut-on appliquer ces belles paroles à notre quotidien? Dans un monde où l’on nous pousse à prioriser carrière, couple et enfants, on peut choisir des modes de vie alternatifs, comme la colocation à un âge plus avancé ou l’éducation d’enfants en coparentalité amicale. Ces choix permettent une remise en question de l’idée que le couple doit être le pilier de toute organisation sociale, et permet de choisir les relations centrales à nos vies.

Cependant, ce sont les avantages institutionnels, légaux et financiers accordés aux couples qui rendent ces changements plus complexes. Acheter une maison ou bénéficier de réductions fiscales sont des privilèges souvent réservés aux couples, reléguant ce choix de mode de vie hors couple aux marges.

Une nouvelle manière de vivre

L’amitié, et toutes les autres formes de relations fraternelles·sororales, est, selon nous, un modèle de vie qui peut s’ajouter à la vie binomiale déjà largement acceptée. Dans l’habitation, la parentalité, la vieillesse, c’est le désir de prendre soin les uns des autres qui prime, et ce besoin de mutualité est loin d’être exclusif au cadre étroit du couple romantique. Ce que Margaux et moi avons envisagé au cours de notre discussion, c’est une nouvelle manière de vivre, où les amitiés ne seraient plus des compléments à nos quotidiens, mais des piliers fondamentaux de nos existences.

En fin de compte, l’idée n’est pas de rejeter le couple ou de nier son importance pour ceux et celles qui s’y épanouissent, mais de faire de la place à d’autres manières d’aimer et de vivre ensemble. D’ailleurs, Mona Chollet nous fait mettre en perspective notre épanouissement amoureux dans son ouvrage que nous vous conseillons, Réinventer l’amour. En réinventant nos relations et en remettant l’amitié au cœur de nos vies, nous ouvrons la voie à des formes de solidarité et d’amour plus inclusives, plus libres, et peut-être, finalement, plus justes.

L’article Lettres à nos vrais amours est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Le luxe de se déconnecter https://www.delitfrancais.com/2024/09/11/le-luxe-de-se-deconnecter/ Wed, 11 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55687 La tendance du minimalisme digital.

L’article Le luxe de se déconnecter est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Dès le début de l’été, ma petite sœur a pris la décision de supprimer tous ses réseaux sociaux, ne conservant que les applications essentielles pour écouter de la musique et passer des appels. Sans exagération, j’ai rapidement remarqué un changement dans son comportement : elle est devenue plus calme, plus attentive, et surtout, plus concentrée. En constatant cette nouvelle sérénité, j’ai tout de suite eu envie d’imiter sa démarche de désintoxication digitale, et je n’ai pas été la seule.

Présentement, sur les réseaux sociaux, nombreux sont ceux qui expriment le désir d’abandonner leurs téléphones. Une véritable fatigue des technologies se fait sentir chez les adolescents et les jeunes adultes. En effet, selon le département américain de la Santé et des Services humains, les jeunes qui passent plus de trois heures par jour sur les réseaux sociaux sont plus susceptibles de présenter des symptômes de dépression et d’anxiété. Beaucoup deviennent également plus sensibles aux questions de confidentialité, soupçonnant Internet d’être un outil de surveillance pour les marques, les gouvernements et les escrocs ; plutôt qu’un espace pour explorer des centres d’intérêts et de services. Ce mouvement vers une sobriété digitale se traduit par une diminution de l’utilisation des réseaux sociaux ou, dans des cas plus extrêmes, par un abandon complet du téléphone. Sammy Palazzolo, une créatrice de contenu sur TikTok âgée de 18 ans, explique qu’elle et ses amies ont opté pour des téléphones à clapet lorsqu’elles sortent, afin de profiter pleinement de leur soirée et éviter d’être absorbées par leurs téléphones. D’autres choisissent même de laisser leur téléphone de côté tous les jours, tentant de naviguer dans notre société hyper-connectée uniquement avec un téléphone à clapet. Récemment, Mattel a même lancé son propre téléphone, le Barbie Flip Phone, qui offre les fonctions essentielles d’appel, de messagerie et quelques jeux. Cette tendance séduit beaucoup de gens à travers sa promesse de libération et de bien-être.

« L’utilisation d’Internet est une action qui est désormais indissociable de la vie courante ; qu’elle soit professionnelle ou personnelle »

Une promesse coûteuse

Cette déconnexion est appréciée non seulement par les jeunes, mais aussi par les parents. Bien que les études de l’impact des technologies sur les performances académiques soient variées et parfois contradictoires, nombreux sont les parents qui préfèrent que leurs enfants limitent leur utilisation d’Internet. L’école Waldorf School of the Peninsula, située dans la Silicon Valley, incarne cette philosophie éducative qui privilégie une déconnexion complète des technologies.

Dans ces établissements, l’utilisation limitée des ordinateurs est justifiée par la volonté de favoriser les interactions humaines, le mouvement physique et la concentration. Selon l’administration, une exposition excessive aux écrans pourrait entraver ces aspects essentiels du développement des enfants. Cette approche, quoique séduisante pour de nombreux parents soucieux de la sur-utilisation des technologies, est loin d’être accessible à tout le monde. Les parents qui choisissent cette école sont souvent bien informés et financièrement aisés pour naviguer dans les complexités de l’éducation sans l’aide immédiate des technologies. En effet, les frais de scolarité dans l’école Waldorf de la Silicon Valley peuvent atteindre jusqu’à 24 400 USD par an pour le secondaire, un montant significatif qui limite l’accès à ces institutions uniquement aux familles avec des moyens financiers importants. Ces parents, qui peuvent se permettre d’investir dans une éducation sans technologie, ont souvent la capacité de fournir un soutien éducatif technologique à domicile lorsque le moment est venu.

Cependant, la question de l’efficacité de cette méthode reste complexe. Bien que les diplômés de l’école Waldorf de la Silicon Valley aient tendance à entrer dans des universités prestigieuses, il est difficile de déterminer si ce succès est directement lié à la faible utilisation de la technologie ou à d’autres facteurs, comme le milieu socio-économique des familles. Une étude du Journal of Youth and Adolescence suggère que ce ne sont pas les technologies en elles-mêmes qui nuisent aux performances académiques, mais plutôt des routines déséquilibrées qui peuvent influencer les développements sociaux et scolaires. Ainsi, l’accent mis par l’école Waldorf sur une éducation sans technologie, bien qu’appréciée par certains parents, n’est pas une solution universelle. Il reflète une philosophie qui, tout en ayant ses avantages, est également étroitement liée à des contextes socio-économiques spécifiques qui permettent à ces familles de faire ce choix.

Toujours 4,4 milliards sans Internet

L’accès à Internet est devenu indispensable dans notre monde contemporain, et ceux qui choisissent de se déconnecter le font souvent d’une position de privilège, car tous n’ont pas ce luxe. Il est crucial de noter que, bien que des individus comme ma sœur, Sammy ou les élèves de l’école Waldorf puissent se permettre une déconnexion partielle tout en conservant un accès à Internet et à des appareils électroniques si nécessaire ; une réalité très différente émerge pour les 4,4 milliards de personnes qui ne sont toujours pas connectées dans le monde. La plupart des familles à faibles ou moyens revenus disposent d’une forme de connexion Internet, mais beaucoup sont sous-connectées, se limitant à un accès mobile et une connexion instable. Le coût reste la principale raison pour laquelle certaines familles n’ont pas d’ordinateur à domicile ou d’accès Internet fixe. Pour les jeunes issus de ces familles, cette déconnexion forcée a des conséquences significatives. Par exemple, pendant la pandémie, de nombreux élèves ont pris du retard en raison du manque de ressources pour suivre le passage de l’éducation aux plateformes en ligne. L’utilisation d’Internet est une action qui est désormais indissociable de la vie courante ; qu’elle soit professionnelle ou personnelle.

Finalement, ma sœur utilise toujours son téléphone. Sammy et ses amies utilisent leurs téléphones pour se préparer avant de sortir. Les élèves de Waldorf auront éventuellement accès à un ordinateur et un téléphone portable. Ainsi, bien que la déconnexion partielle puisse offrir des avantages, il est essentiel de se rappeler qu’elle n’implique pas un abandon total d’Internet. L’accès aux services essentiels tels que l’éducation, la santé et les services bancaires se fait désormais largement en ligne. L’accès à Internet est donc devenu vital dans nos quotidiens et les défis rencontrés par ceux qui en sont privés soulignent l’importance de cette connexion dans notre société moderne. Ce mouvement vers la déconnexion met donc en lumière une inégalité persistante : une majorité de personnes a encore du mal à accéder à ce service essentiel qui semble être une nuisance envahissante pour d’autres.

L’article Le luxe de se déconnecter est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
#bratsummer https://www.delitfrancais.com/2024/09/11/bratsummer/ https://www.delitfrancais.com/2024/09/11/bratsummer/#respond Wed, 11 Sep 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55682 Que du bien associé à la tendance de l’été?

L’article #bratsummer est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Tout l’été, du moins pour ceux·celles dit·e·s « chroniquement en ligne » comme moi, nous avons été bombardé·e·s de contenu mettant en avant le nouveau concept du Brat Summer. L’expression qui se traduit en français comme « l’été des pestes (tdlr) » est le fruit du nouvel album de la chanteuse britannique Charli XCX, disponible sur les plateformes d’écoute depuis le début du mois de juin. Depuis, Internet s’est emparé du titre Brat et en a fait son hymne pour l’été, voyant se décupler le nombre de publications utilisant le vert néon caractéristique de l’album, créant dans cet élan l’expression virale de notre été 2024. Mais qu’est-ce qu’implique la philosophie du Brat Summer, et est-ce que son impact sur la jeunesse peut être vu comme positif? Y a‑t-il plus de négatif à mettre en avant une telle idéologie, et est-il possible que cette tendance ait été poussée trop loin?

Historique du Brat Summer

Tout commence le 7 juin dernier, avec le lancement de l’album Brat de la chanteuse pop Charli XCX. Dès lors, les fils d’actualité d’Instagram et Tiktok ont connu une vague déferlante de publications en lien avec l’album. Avant même sa sortie, ce sont les singles, notamment Von Dutch sorti le 29 février dernier, qui faisaient le buzz. Dès juin, avec l’entièreté de l’album désormais disponible à l’écoute, c’est d’abord la chanson Apple qui gagne en momentum sur les réseaux sociaux, grâce à la danse lui étant associée. Sur Tiktok, ce sont 1,6 millions de publications qui utilisent la chanson, devenue pour plusieurs la bande sonore du Brat Summer.

En comparaison au Hot Girl Summer

Une question que j’ai aussi jugée importante de relever quant au Brat Summer, c’est en quoi ce phénomène diffère de l’expression qui avait marqué les derniers étés, le fameux Hot Girl Summer. Selon Charli XCX, « la fille brat est une fille qui est un peu bordélique et qui aime bien faire la fête, qui fait des choses un peu débiles parfois… mais qui est aussi très honnête. » Le Hot Girl Summer, popularisé dès 2019 avec la sortie de la chanson du même titre par Megan Thee Stallion, pour sa part, se définissait comme une attitude confiante et insouciante prônée auprès des femmes, les encourageant à prioriser leur bonheur avant celui des autres. Le Hot Girl Summer valorisait également une attitude positive et inclusive en ce qui a trait à l’image corporelle et célébrait l’individualité de tous·tes et chacun·e.

« Il me semble clair que le Hot Girl Summer avait beaucoup à faire avec le physique et l’inclusion de tous les corps, alors que le Brat Summer représente plutôt une envie collective de se libérer des dogmes sociétaux et de réellement s’émanciper du regard de l’autre »

Si l’on compare ces deux mouvements, il me semble clair que le Hot Girl Summer avait beaucoup à faire avec le physique et l’inclusion de tous les corps, alors que le Brat Summer représente plutôt une envie collective de se libérer des dogmes sociétaux et de réellement s’émanciper du regard de l’autre. D’une part, on avait donc un mouvement centré sur l’acceptation de ses différences, et d’une autre, ce même esprit du je‑m’en-foutisme, mais appliqué à nos actions. Sous l’ère du Brat Summer, c’est alors sans souci de la perception de l’autre que les gestes et actions sont posés.

Et ses impacts?

Le Brat Summer a certainement su créer un sentiment de communauté qui transcende les barrières géographiques. À travers le monde, les jeunes se sont senti·e·s interpellé·e·s par l’envie de liberté qui sous-tend la philosophie mise en avant dans les différents morceaux de l’album. Qui plus est, l’album Brat a connu un écho retentissant au sein de la communauté queer, qui a été particulièrement interpellée par cet esprit de liberté, autant au niveau des actions qu’au niveau de l’expression personnelle. Les fans queer, souvent en quête de liberté face aux normes rigides de la société, se sont identifié·e·s au caractère rebelle et désinvolte du Brat Summer. Cet état d’esprit leur a permis de se réapproprier des espaces où ils·elles peuvent exprimer leur identité sans entraves, où la fête devient un acte de résistance et où la spontanéité devient un moyen d’affirmation de soi.

Stu Doré

Trop loin?

Cependant, il est essentiel de se questionner sur les potentielles dérives d’une telle philosophie. Si le Brat Summer encourage une certaine forme d’émancipation, il peut également normaliser des comportements irresponsables sous prétexte de liberté, des actions entreprises dans un esprit de « je le peux, donc je le fais ». Dans certains cas, le fait de glorifier l’insouciance et de minimiser les conséquences de certaines actions peut mener à des situations où l’on se sent autorisé·e·s à franchir certaines limites, qu’elles soient légales, morales, ou personnelles. On peut donc, sous le prétexte du Brat Summer, poser des actions qui heurtent les gens qui nous entourent ou encore nous-même. Il reste donc à méditer si notre génération est dotée de lobes frontaux assez développés pour discerner où se trouvent les limites de l’acceptable.

Un album quelque peu controversé

Je crois également impératif de discuter des principales controverses associées à la sortie de l’album de Charli XCX. La polémique est née du soutien de Charli à la candidate présidentielle démocrate, Kamala Harris, déduit du tweet de la chanteuse britannique publié le 22 juillet, où elle écrivait « Kamala IS brat ». Rapidement, la campagne électorale de Harris a adopté le vert néon de l’album, certainement par envie d’interpeller le jeune électorat américain. Ceci dit, Charli XCX, qui ne peut d’ailleurs pas voter aux États-Unis, a reçu de nombreuses critiques en lien avec son soutien pour Harris, notamment en ce qui concerne le passé de la candidate aux élections présidentielles comme procureure en Californie, ainsi que ses opinions quant au génocide qui a actuellement lieu en Palestine. Au final, Charli a offert comme réponse que « sa musique n’est pas politique » et qu’elle espérait que ce tweet, soit « positif et léger ».

Dans la même veine, Charli a aussi été critiquée pour son amitié avec Dasha Nekrasova, co-animatrice du podcast Red Scare. Celle qui aurait d’ailleurs inspiré le morceau Mean girls a vu une vidéo d’elle faire surface, où elle habillait sa cible en carton dans un centre de tir avec une keffiyeh, dont le port est actuellement largement associé à la lutte palestinienne. Leur amitié a donc attiré l’attention des fans de la chanteuse – et avec raison – et mené à des questions quant aux prises de position politiques de Charli.

Le titre 365 a lui aussi beaucoup fait parler. La controverse entourant cette chanson est principalement liée à son traitement explicite de la consommation de drogues, notamment de la cocaïne. En effet, les paroles font une référence directe à l’usage de cette substance, ce qui a provoqué de vives critiques de la part de certains auditeur·rice·s, choqué·e·s par une telle banalisation, voire glamourisation de l’usage de drogues dures, en particulier auprès de ses jeunes fans. Bien que certain·e·s défendent le titre, en disant qu’il reflète une réalité sombre et personnelle plutôt qu’une incitation à consommer, cette dimension de la chanson a ravivé un débat sur la responsabilité des artistes pop dans la manière dont ils abordent des sujets sensibles, comme l’usage de drogues, récréatif ou non.

Brat Summer : Bien ou pas?

Pour conclure, le mouvement peut parfois risquer de basculer dans une glorification excessive du chaos, faisant passer au second plan des valeurs importantes telles que la bienveillance, l’esprit critique ou la responsabilité sociale. Ceci étant dit, tout comme le Hot Girl Summer a marqué une génération, il est indéniable que le Brat Summer a su incarner un souffle nouveau pour l’été 2024 et continuera certainement d’inspirer la Génération Z. Il aura su redéfinir les contours de la liberté individuelle, de choix et d’expression, dans une période post-pandémique où l’envie de légèreté et de festivité a pris une importance particulière. Le véritable défi réside alors dans la capacité de cette nouvelle tendance à trouver un équilibre entre l’expression de soi et le respect des autres et du monde qui nous entoure. Somme toute, je crois que le Brat Summer aura su être un été de fêtes, d’amitiés et de sourires, du moins en ce qui me concerne. J’espère donc qu’on gardera à l’esprit cette frivolité qui a rendu l’été 2024 tant mémorable.

L’article #bratsummer est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
https://www.delitfrancais.com/2024/09/11/bratsummer/feed/ 0
S’enrichir l’esprit à en oublier son privilège https://www.delitfrancais.com/2024/08/28/senrichir-lesprit-a-en-oublier-son-privilege/ Wed, 28 Aug 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55521 Voyager dans la vingtaine, c’est une chance.

L’article S’enrichir l’esprit à en oublier son privilège est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Cet été, j’ai eu la chance de pouvoir partir en voyage pendant un mois et demi. Pour tout vous dire, c’est un heureux concours de circonstances : les étoiles se sont alignées en ma faveur, ce qui m’a permis de prendre un mois de vacances que j’ai pu passer en Europe. À l’instant même, j’y suis toujours, et tous les jours, je me répète que c’est un privilège immense que de pouvoir se permettre de telles vacances, d’une part au niveau financier, et d’une autre en termes de temps.

Je vous rassure, ce n’est pas parce que j’oublie mon privilège que je choisis de réitérer de façon quotidienne ma gratitude de pouvoir voyager. C’est plutôt à cause des discours auxquels j’ai pu être confrontée durant ce voyage, qui m’ont forcée à constater que nombreux·euse sont les voyageur·euse·s de mon âge qui tiennent pour acquis ce privilège – celui-ci est d’ailleurs offert à une infime partie de la population – et qui ont tendance à minimiser la chance qu’ils·elles ont de pouvoir s’offrir de telles expériences à un si jeune âge. Je pense notamment à mes parents, qui ont grandi moins nantis que leurs enfants, et qui n’ont pu se permettre de voyager que passé la trentaine.

Rome et Selma

Durant les quelques jours que j’ai passés à Rome, j’ai fait la rencontre de Selma*, jeune voyageuse égyptienne dans sa vingtaine, qui elle aussi voyageait en solo et se trouvait à passer quelques jours en Italie entre deux destinations européennes. C’est elle qui a initié ma réflexion sur le privilège, parce qu’en discutant avec elle, j’ai rapidement remarqué que le discours qu’elle tenait à l’égard des voyages entrait en contradiction directe avec les conceptions que j’avais rencontrées en ce qui a trait au voyage. Autour d’un café qui nous avait à peine coûté deux euros, elle se plaignait des prix en Italie qu’elle trouvait odieux, des touristes qui, selon elle, rendaient la ville invivable, ainsi que de la chaleur qui était – je lui accorde – accablante. La pauvre Selma, qui en était à sa sixième journée de voyage sur un total d’environ 10 jours, avait déjà hâte de rentrer. Elle avait hâte de rentrer en Égypte non parce qu’elle s’ennuyait de sa famille ou de ses ami·e·s, mais bien parce qu’elle ne reconnaissait pas la beauté ou la grandeur de ce qui se trouvait sous ses yeux et préférait s’attarder sur les quelques problèmes qu’elle avait pu vivre. Pour elle, les petits désagréments du voyage pesaient si lourd dans la balance qu’elle en oubliait de profiter, de saisir tous les petits moments et d’en garder des souvenirs mémorables. Parler avec elle a remis en perspective mon avis sur le voyage, et m’a poussée à vouloir encore plus découvrir tout et tout absorber, malgré les possibles dérangements qui font partie intégrante de l’expérience du·de la jeune voyageur·euse.

Voyager, c’est un privilège qu’on oublie trop souvent.

À Montréal, certain·e·s en ont marre du voyage

En prenant des nouvelles de certain·e·s ami·e·s durant mes vacances, un sujet qui est revenu à plusieurs reprises lors de nos appels, c’est ce discours qui se propageait au sein de nos entourages qui soulignait qu’après un certain temps en vacances, il était normal d’avoir hâte de rentrer à Montréal, et ce pour retrouver son confort. C’est vrai que les longs voyages peuvent engendrer un certain sentiment de mal du pays, mais à mon avis, c’est extrêmement privilégié de se plaindre qu’on s’ennuie de son lit quand on vit le voyage dont certain·e·s ont possiblement rêvé toute leur vie.

Aujourd’hui, ça fait un mois tout juste que je suis en Europe. C’est vrai que j’ai parfois hâte de retrouver mes ami·e·s, ma mère, mon chat ; mon confort quoi. Mais à chaque fois que ces pensées font surface, je me rappelle à quel point j’ai travaillé fort pour m’offrir ces vacances. J’ai de la chance d’avoir un emploi étudiant qui paye assez bien, de ne pas avoir une famille qui dépend de ce salaire, de vivre chez mes parents de bénéficier de prêts qui payent mes études, et j’en passe. Tous ces facteurs réunis ont créé un scénario qui m’a permis de pouvoir prendre ce temps et m’offrir ce voyage. En parlant avec certain ·e·s de mes ami·e·s, on m’a dit à quel point j’étais chanceuse de pouvoir partir en vacances parce qu’eux·elles n’avaient pas de vacances, parce qu’eux·elles avaient un loyer à payer, ou encore parce qu’ils·elles ne pouvaient pas se permettre de partir aussi longtemps, car ils·elles devaient prendre soin d’un parent. Voyager, c’est un privilège qu’on oublie trop souvent.

Jeanne Marengère | Le Délit

Morale de l’histoire

Ce qu’il faut tirer de mon expérience, c’est que chaque voyage, quel que soit sa durée ou sa destination, est une opportunité d’apprentissage bien plus importante que les moments passagers qui nous font remettre en question ce qu’on gagne à voyager. C’est bien plus qu’une simple pause dans notre routine quotidienne, c’est un moment pour grandir, pour découvrir le monde, et surtout, pour mieux se comprendre soi-même. Lorsque je regarde en arrière, je réalise que le voyage n’est pas seulement un luxe matériel, mais aussi un luxe au niveau personnel. C’est une parenthèse dans le quotidien où l’on peut enfin sortir de sa routine, rencontrer de nouvelles personnes, découvrir des cultures, et se reconnecter avec le monde qui nous entoure.

Je ne dis pas que chaque instant du voyage est parfait. Comme Selma a su me le souligner, j’ai moi aussi eu des moments d’agacement, de fatigue et même de frustration face à des imprévus ou des aspects de mon voyage que je n’avais pas anticipés. Malgré tout, ce sont ces quelques complications, ces dérangements, qui donnent tout son relief, toute sa richesse, à l’aventure qu’est le voyage à notre âge. Ils nous rappellent que, même si tout ne se déroule pas toujours comme prévu, ce sont ces souvenirs qui marqueront nos esprits et qui sauront nous faire grandir.

À présent, avec quelques jours encore devant moi en Europe, je me sens pleine de gratitude pour chaque instant vécu, même ceux qui n’étaient pas toujours plaisants. Pour tout vous dire, je dirais même que ce sont ceux pour lesquels je suis la plus reconnaissante, parce que ce sont ces moments qui mettent en perspective toutes les belles choses que j’ai pu vivre et pour lesquelles je suis tant heureuse d’avoir pu faire ce voyage à mon âge. Si je pouvais donner un conseil à toute personne qui voyage, ce serait de toujours se rappeler que ce qu’on vit n’est pas donné à tout le monde, et que ce voyage qui nous a par moment semblé long est profondément formateur parce qu’il a su nous forcer à renoncer à notre confort auquel on est souvent bien trop attaché.

*nom fictif

L’article S’enrichir l’esprit à en oublier son privilège est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Aux femmes de ma vie https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/aux-femmes-de-ma-vie/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55334 Pour la Journée internationale des droits des femmes, je fais l’éloge des femmes qui m’inspirent.

L’article Aux femmes de ma vie est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Le 8 mars dernier, nous avons célébré la Journée internationale des droits des femmes. À une époque où les inégalités basées sur le genre sont toujours présentes et où les droits des femmes sont constamment menacés, il y a autant de choses à souligner en cette journée qu’il y a de femmes sur la Terre. En tant qu’homme cisgenre, bien évidemment que j’ai une relation différente avec cette journée, mais loin de moi l’idée de faire du mansplaining sur son importance. Cependant, j’ai réfléchi à ce que cette journée signifiait pour moi. J’ai voulu comprendre ce qui rendait cette occasion si importante à mes yeux, et ce pourquoi j’avais eu autant envie d’en faire la promotion, de crier sur tous les toits que le 8 mars était la Journée internationale des droits des femmes.

D’abord, j’ai pensé aux suffragettes, à celles qui se sont battues pour faire reconnaître les droits politiques et sociaux des femmes. Je me suis dit que leur combat acharné était assez inspirant pour expliquer mon attachement au 8 mars. Leur courage, leur force de caractère, ainsi que leur détermination étaient monumentaux. C’était une partie de la réponse, mais pas toute.

Ensuite, j’ai pensé aux icônes féminines présentes dans la culture populaire, aux femmes artistes, politiciennes et athlètes. Celles qui nous font rêver, celles qui nous inspirent. Encore là, c’était un bout de la réponse sous-tendant
ma connexion à cette journée, mais il manquait toujours un morceau à ma réflexion.

Et j’ai compris. Ce qui rend cette journée si spéciale pour moi, ce qui me donne tant envie de parler de cette journée, ce sont les femmes de ma vie, celles qui marquent mon quotidien. Depuis tout jeune, les femmes de mon
entourage ont été mes plus grandes alliées. De par leur expérience de la vie, elles m’ont façonné, épaulé, et fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sans les femmes de ma vie, il n’y aurait pas d’Elliott. Elliott George Grondin serait moins curieux, moins conscient du monde qui l’entoure, moins drôle, moins heureux, plus fade. Il faut dire que j’ai grandi entouré de modèles féminins inspirants, des personnes brillantes, fortes, des femmes d’opinion qui ne demandaient pas avant d’agir : elles le faisaient tout simplement. Des modèles pour moi et le monde entier. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai bénéficié de leur compagnie, de leurs conseils, de leurs histoires et de leur écoute. Aujourd’hui c’est à mon tour de leur rendre hommage et de les remercier pour le grand impact qu’elles ont eu et qu’elles continuent d’avoir sur ma personne.

« De par leur expérience de la vie, elles m’ont façonné, épaulé, et fait de moi qui je suis aujourd’hui. Sans les femmes de ma vie, il n’y aurait pas d’Elliott »

Premièrement, il y a mes deux grands-mères. Aussi différentes soient-elles, toutes les deux sont féministes sans même le savoir. Elles sont féministes à leurs dépens, car tout au long de leur existence, elles auront repoussé les limites, elles se seront battues de manière différentes, mais leurs victoires auront bénéficié à toutes les femmes.

Ma grand-mère paternelle s’est divorcée à une époque où les divorces étaient peu communs. Avec deux fils à sa charge, elle a quitté le foyer pour trouver un emploi afin de subvenir aux besoins de la famille. Je ne crois pas qu’être une mère sans spécialisation professionnelle qui retourne sur le marché du travail a toujours été facile pour elle, mais elle ne s’en est jamais plaint. Elle a gardé la tête haute, relevé ses manches et fait le travail qui devait être fait. Elle ne s’est pas contenté d’offrir à ses enfants le minimum, elle leur offrait le meilleur, elle leur offrait le mieux d’elle. Encore aujourd’hui, ma grand-mère est une de ces femmes humbles, qui serait gênée de savoir que je parle d’elle. Non pas par fausse modestie, mais bien parce qu’elle me dirait qu’elle ne se considère pas comme étant particulièrement forte. Pour moi, ma grand-mère m’aura appris la force et la résilience. Merci.

Ma grand-mère maternelle est une femme qui s’est toujours impliquée dans le monde politique. Elle aura milité pour toutes les causes sociales. Elle a toujours refusé de voir les femmes comme des choses fragiles qui doivent être câlinées. Elle est entrée dans l’arène et a récupéré son dû, et par extension, celui de toutes les femmes. C’est le genre de femme qui me dit souvent : « Le monde actuel va mal Elliott, mais il a pourtant été créé par des hommes. Et si on essayait de voir comment les femmes s’y prenaient pour une fois? Ça peut difficilement être pire! » Elle est persuadée que le monde se porterait mieux avec des femmes à sa tête. Elle est devenue l’une des premières femmes élues au Conseil municipal de ma ville natale et elle en est fière, avec raison. J’en suis fier aussi, comment ne pas l’être? Ma grand-mère maternelle m’a montré la force des convictions et la conviction dans la force. Merci.

Ensuite, il y a ma mère. Mon premier grand amour, celle qui est devenue mère à seulement 21 ans parce qu’avoir des enfants était son plus grand rêve. C’est celle qui aura tout donné à ma fratrie et à moi-même : l’amour, la présence et tout son temps. Elle a même ouvert une garderie en milieu familial pour nous garder près d’elle, pour nous voir grandir, pour nous aimer du plus près possible. Tout tourne autour de la famille avec ma mère. J’ai longtemps eu de la difficulté à comprendre ses choix. Pour moi, le fait de rester à la maison était antiféministe ; une femme ne devrait pas rester à la maison comme dans les années 1950. Pour moi, c’était trop réducteur à l’égard des femmes et de la lutte pour l’égalité des genres. Pourtant, je crois que ma mère aura su me prouver le contraire. Le féminisme c’est l’égalité des genres et la possibilité de jouir de ses propres choix. Ma mère nous aura choisis. Toujours. C’est aussi le genre de mère qui a entamé et terminé un diplôme universitaire à distance, juste pour nous montrer que c’était possible, afin de nous prouver qu’elle en était capable, qu’on en était tous capables. Ma mère m’aura montré l’amour inconditionnel. Merci.

Il y a aussi ma petite sœur. Elle me fait beaucoup penser à moi, et parfois c’est dur de se voir comme dans un miroir. Pourtant, elle n’est pas exactement comme moi, ni comme mon frère. Elle est la meilleure version de nous deux. Elle a le meilleur de mon frère et le meilleur de moi. Elle est plus drôle, plus intelligente, plus fonceuse. Elle est tout simplement plus. Ma sœur m’aura appris l’art de la finesse. Merci.

Finalement, mes amies, mes plus vieilles alliées. À mon plus bas, tout comme à mon plus haut, elles ne se seront pas contentées d’être à mes côtés, elles m’auront guidé. Elles ont été les premières à me savoir perdu dans ma vie
pendant une époque plus tumultueuse, et les premières à me montrer un futur plus simple. Architectes de mes joies, elles sont l’épaule sur laquelle je peux me poser et la raison pour me relever. Ma plus grande tragédie c’est d’être incapable de les aimer comme je le voudrais ; romantiquement. Mes amies m’auront montrer comment aimer. Merci.

Ce que je vous souhaite, c’est d’avoir des femmes dans votre vie comme celles qui sont dans la mienne. Denise, Françoise, Marie, Sandrine, Valérie, mes amies : je vous souhaite une joyeuse Journée internationale des droits des femmes.

L’article Aux femmes de ma vie est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Rendre le monde indisponible https://www.delitfrancais.com/2024/03/27/rendre-le-monde-indisponible/ Wed, 27 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55302 Lire Hartmut Rosa pour réfléchir au sens de la vie.

L’article Rendre le monde indisponible est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Vous etes vous déjà questionné sur le sens de vos actions? En tant qu’étudiants, on a souvent le nez dans les livres, parce qu’on se dit toujours dit qu’il fallait « travailler dur pour pouvoir choisir ce qu’on fera plus tard », comme si travailler dur et « réussir » était une promesse de l’accomplissement de nos désirs, et donc, d’accès au bonheur. Mais s’est-on déjà réellement posé la question quant à la raison pour laquelle on s’obstine à vouloir toujours « réussir »? Dans son livre Rendre le monde indisponible, le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa s’intéresse à cette idée selon laquelle la réussite et le progrès sont la source du bonheur. Voici quelques applications de sa pensée, à notre société, et à notre quotidien d’étudiant.

La modernité tardive [le monde contemporain, ndlr] a fait de cette logique productiviste son mantra. Elle est aujourd’hui ancrée à peu près partout, et conditionne nos actions et nos modes de pensée. En tant qu’étudiants, nous n’y échappons pas, et nous subissons de plein fouet ce déterminisme social qui régit nos actions. Dès l’enfance, nous sommes conditionnés par la nécessité d’avoir les meilleures notes possibles à l’école, et de s’améliorer au fil des ans, afin de s’assurer cette « réussite » et un avenir prospère.

Aujourd’hui encore à l’université, bien que nous étudions quelque chose qui nous intéresse (enfin, je l’espère pour vous), il est facile de se perdre dans cette course à la performance et d’en oublier le but premier : s’épanouir par l’apprentissage. Dans cette course effrénée, on veut toujours aller plus loin, avoir de meilleures notes pour s’assurer d’atteindre des maîtrises encore plus prestigieuses par la suite. En effet, poursuivre son parcours dans une institution moins prestigieuse que l’actuelle s’avérerait un échec cuisant.

La course à la disponibilité

Pour Hartmut Rosa, cette course effrénée atteste de l’accélération de notre monde, et de notre culture capitaliste, qui pose la nécessité de toujours croître, d’approprier et maîtriser davantage. Tout comme la croissance économique est perçue comme nécessaire au bonheur des sociétés contemporaines, accéder à plus de choses et progresser [selon la même logique que la croissance économique, ndlr] est présenté comme une promesse, si ce n’est une condtion au bonheur individuel. Dans son livre, Rosa explique que cette accélération a pour motif de rendre toujours plus de choses « disponibles », c’est-à-dire appropriables, maîtrisables.

Cette logique a su convaincre toute la société, et nous aussi les étudiants. Animés par cette idée selon laquelle la « réussite » est une promesse au bien-être parce qu’elle rend les choses disponibles (notamment par l’argent qu’elle procure), nous souhaitons toujours faire plus, en moins de temps possible : si j’ai écrit une dissertation en deux jours la semaine dernière, je veux maintenant l’écrire en un jour aujourd’hui, tout en maintenant la même qualité, voire améliorer mon texte. Pourtant, si nous présentons souvent la réussite comme le fait d’avoir les meilleures notes possibles, il nous est néanmoins difficile de la définir clairement (si vous aussi vous souhaitez « réussir », posez-vous d’abord la question : c’est quoi réussir?).

« Cette course effrénée atteste de l’accélération de notre monde, et de notre culture capitaliste, qui pose la nécessité de toujours croître, d’approprier et maîtriser davantage »

Hartmut Rosa considère que cette course effrénée visant à « rendre le monde disponible » a entraîné l’aliénation de nos sociétés. Elle n’est plus un moyen pour aboutir à une fin (le bonheur), mais une fin en tant que telle. Pour Rosa, ce phénomène cause des dommages importants sur nos sociétés toutes entières ; à travers cette logique qui dirige leurs vies, les individus deviennent étrangers à eux-mêmes et semblent « ne plus se reconnaître », ce qui donne parfois naissance à des crises identitaires et professionnelles, comme le burn-out.

L’indisponibilité du bonheur

Si la réussite nous permet d’accéder à plus de choses en les rendant plus « disponibles », pourquoi ne promet-elle
pas un accès au bonheur? Pour répondre à cette question, Rosa nous appelle à ne pas confondre « disponibilité » et « résonance ». Ce qui nous rend réellement heureux, c’est-à-dire les sentiments de bonheur et de bien-être, ne sont ni contrôlables, ni appropriables. Ce n’est pas parce que les choses nous sont disponibles qu’elles éveillent en nous un sentiment de bonheur. Par exemple, ce n’est pas parce que vous voyagez à Tokyo ou à Venise que ces villes vous toucheront et créeront en vous un sentiment particulier. Selon lui, pour vivre de telles émotions, l’accès et la disponibilité ne suffisent pas, il faut aussi « entrer en résonance ». Rosa décrit cette résonance comme l’entrée en relation cognitive, affective, ou corporelle entre un sujet et son environnement, son prochain, ou son action. Ce phénomène n’est pas contrôlable et demande davantage qu’une simple disponibilité. Elle demande à l’individu d’être suffisamment ouvert pour pouvoir se laisser « toucher » émotionnellement par son expérience du monde.

Rosa concède que son concept de « résonance » est opaque. En revanche, il en donne un exemple tout à fait parlant dans son livre : l’amour. Une relation amoureuse est une relation de résonance entre deux êtres humains. C’est une relation qui « touche » les individus. Si une personne peut mettre le plus de choses en œuvre afin d’accroître ses chances de tomber amoureuse le plus vite possible, en se rendant « disponible » lors des moments où elle rencontre une autre personne, la création de la relation amoureuse en tant que telle reste pour elle tout à fait indisponible : ses propres sentiments ne sont pas contrôlables, ni ceux de l’autre personne concernée. Nous ne pouvons pas savoir si la relation se créera, et c’est justement pour cela qu’elle a de la valeur pour nous. Une relation aurait-t-elle de la valeur si elle était pleinement prévisible et contrôlable? Selon Rosa, ce qui est « rendu calculable et maîtrisable [disponible, ndlr], ne perd pas seulement sa magie et sa couleur, mais aussi son sens ». Pour revenir à notre idée principale, la réussite et la mise à disposition du monde ne sont donc pas une promesse au bonheur. Ce dernier découle plutôt d’une relation de résonance, qui elle-même appelle à l’indisponibilité.

«Ne voyons pas le bonheur comme quelque chose de futur, faisons en plutôt quelque chose du présent. »

Une solution : ralentir

Rosa nous fait donc comprendre que notre obstination à toujours réussir et accomplir plus de choses n’est pas, contrairement à ce que nous pensons, la voie d’accès au bien-être et au bonheur. En réalité, la résonance nous est fondamentalement indisponible : on ne peut la contrôler. Cela ne veut pas pour autant dire qu’on ne peut rien faire pour s’ouvrir des voies vers le bien-être. Sans forcément s’assurer d’entrer en résonance, on peut garder des portes ouvertes pour se laisser toucher par notre monde. Rosa montre que c’est d’ailleurs pour cela que les gens vont au musée, pour potentiellement être marqués par une œuvre, sans pour autant en être certains.

Si Hartmut Rosa pouvait nous donner un conseil à nous les étudiants, ce serait sans doute de ne pas gâcher nos études en nous obstinant à avoir des bonnes notes, dans un but très vague de réussite. Il nous conseillerait de profiter de nos études pour faire ce que l’on aime, et d’utiliser cette période pour s’ouvrir à la discipline que l’on étudie. Si nous pouvions définir clairement ce qu’est la réussite, elle s’apparenterait sans doute à cette capacité à profiter du moment présent, et à se laisser toucher par son environnement, ses proches, et ses intérêts. Ne voyons pas le bonheur comme quelque chose de futur, faisons en plutôt quelque chose du présent.

L’article Rendre le monde indisponible est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Laissons aux femmes le droit de choisir https://www.delitfrancais.com/2024/03/20/laissons-aux-femmes-le-droit-de-choisir/ Wed, 20 Mar 2024 11:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55176 Pourquoi les hommes ont-ils encore leur mot à dire sur l’habillement féminin dans le sport?

L’article Laissons aux femmes le droit de choisir est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Depuis que le sport compétitif nécessite des vêtements, celui-ci a été régi par des règles concernant l’habillement des athlètes. Ces restrictions existent pour plusieurs raisons, incluant la sécurité des participant·e·s, pour maximiser leur performance, ainsi que pour rendre le sport plus visuellement attrayant pour les spectateur·trice·s. Cependant, ces règles ont une tendance pernicieuse : celle de mettre en avant les corps des athlètes féminines afin de plaire au regard masculin. L’histoire du sport est marquée par de multiples instances où les femmes ont dû se soumettre à des normes strictes en matière d’apparence, souvent dictées par les standards sociaux découlant du patriarcat et de l’objectifiation historique des corps féminins. Dans le sport compétitif, l’hypersexualisation du corps féminin perpétue des préjugés sexistes injustes sur les femmes athlètes, et aujourd’hui, elles en ont assez d’être traitées comme de la chair servant à attirer le spectateur masculin.

Victimes du regard masculin

Va-t-on un jour laisser à nos athlètes féminines la chance de choisir leur tenue? Il semblerait que ce n’est pas pour tout de suite : les dernières années ont été ponctuées d’incidents liés aux revendications d’athlètes féminines
concernant des restrictions leur étant imposées quant à l’habillement. On pense à l’équipe norvégienne de handball de plage qui a été forcée à payer une amende de plus de 2 000 dollars canadiens pour avoir opté pour des cuissards au lieu du bikini traditionnellement imposé lors d’un championnat européen en 2021. Des gymnastes allemandes ont aussi été ciblées par la critique après s’être présentées aux qualifications des Jeux olympiques de Tokyo en 2021 habillées de combinaisons couvrant les jambes et les bras, au lieu des léotards échancrés auxquels le public est habitué. Il aura fallu attendre 2023 pour que le tournoi de tennis Wimbledon assouplisse ses restrictions ultra-strictes quant à l’habillement complètement blanc qui était imposé aux joueurs
comme aux joueuses, mais qui était depuis bon temps remis en question par les joueuses qui se disaient inconfortables de devoir porter du blanc durant leurs menstruations. Ce qu’il faut en comprendre, c’est que les femmes dans le sport ont toujours été contraintes par des tenues inconfortables, inadéquates ou tout simplement trop révélatrices.

Une tendance se dessine en ce qui concerne les questions esthétiques dans le sport féminin : celle de la prévalence du male gaze dans les décisions prises à l’égard des tenues féminines dans le sport compétitif. Il semblerait qu’il soit nécessaire que le spectateur masculin se sente interpellé par les tenues légères des athlètes –
et non par leurs prouesses sportives – pour daigner s’intéresser au sport féminin. À mon avis, il est déplorable qu’on réduise encore aujourd’hui les femmes athlètes à leur apparence physique plutôt qu’à leurs performances sportives, et qu’on accorde autant d’importance au fait que leurs jambes soient dévoilées au lieu de leur offrir la reconnaissance qu’elles méritent.

« Ce qu’il faut en comprendre, c’est que les femmes dans le sport ont toujours été contraintes par des tenues inconfortables, inadéquates ou tout simplement trop révélatrices »

Je pense aussi qu’on se doit de souligner la prédominance des hommes sur les comités responsables de légiférer sur les tenues vestimentaires imposées aux athlètes féminines. Si on se penche sur le cas du Comité international olympique (CIO), on remarque rapidement que les neuf présidents ayant été à sa tête sont des hommes depuis
sa création en 1894. En date de décembre 2023, sur les 16 personnes administrant le CIO, seules cinq étaient des femmes. Cette inclination n’existe pas seulement au sein du CIO, mais aussi dans de nombreuses autres instances dirigeantes du monde sportif. Cette sous-représentation féminine dans les organes décisionnels renforce les inégalités de genre et influence sans doute les politiques qui régissent les tenues sportives féminines.

Le pouvoir de choisir

Selon Guylaine Demers, membre du Groupe de travail fédéral sur l’équité des genres en sport et professeure titulaire à l’Université Laval, c’est bien plus qu’une controverse sur le port du bikini : il s’agit d’une question
d’autonomie et de choix. En effet, les femmes dans le milieu sportif réclament bien plus que la simple autorisation de porter certains vêtements, mais une réelle considération de leurs préférences, de leur confort et de leur liberté de choix en ce qui concerne leur apparence et leur habillement lors de leur participation aux évènements sportifs. Dans ses mots : « L’enjeu n’est pas d’interdire le bikini et d’imposer le short, mais que les athlètes puissent prendre des décisions par et pour elles-mêmes, qu’elles puissent se réapproprier leur corps. »

« Il semblerait qu’il soit nécessaire que le spectateur masculin se sente interpellé par les tenues légères des athlètes – et non par leurs prouesses sportives – pour daigner s’intéresser au sport féminin »

Cela m’a fait penser à l’interdiction du port du hijab pour les athlètes féminines françaises lors des Jeux olympiques de 2024. Dans la foulée du mouvement de laïcité en France, l’équipe olympique française a annoncé l’automne dernier son intention de bannir le port du hijab pour ses athlètes. Bien qu’il existe des explications culturelles sous-tendant cette interdiction, il m’apparaît clair que c’est encore une fois une forme de légifération sur les corps féminins qui n’a pas lieu d’être. Il est malheureux qu’encore une fois, on force ces athlètes à devoir
choisir entre leur passion pour le sport qu’elles pratiquent et leur religion.

Il est impératif de reconnaître que la lutte pour l’égalité dans le sport va bien au-delà de la simple question de vêtements. Ceci étant dit, l’habillement reste un combat central à la cause féministe dans le sport de haut niveau, puisque ces règles reflètent souvent des normes sexistes et patriarcales qui réduisent les femmes à leur apparence physique plutôt qu’à leurs compétences athlétiques. L’histoire du sport est marquée par de multiples situations où
les femmes ont été contraintes de se conformer à des normes esthétiques injustes, souvent dictées par le regard masculin. Il est essentiel que les athlètes féminines aient le pouvoir de choisir leurs tenues en fonction de leurs préférences, de leur confort et de leur liberté individuelle. En donnant aux femmes athlètes la possibilité de se réapproprier leur corps et de prendre des décisions autonomes, nous pouvons travailler vers un sport plus inclusif et équitable pour tous·tes. Enfin, de récentes controverses entourant notamment le port du hijab dans le sport mettent en lumière la nécessité de lutter contre toute forme de légifération sur les corps féminins. Il est temps de mettre fin à ces pratiques discriminatoires et d’adopter une approche plus respectueuse de la diversité et de l’autonomie des athlètes féminines.

L’article Laissons aux femmes le droit de choisir est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Boycotter pour faire entendre sa voix https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/boycotter-pour-faire-entendre-sa-voix/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55063 Nos actions parlent souvent plus que nos mots.

L’article Boycotter pour faire entendre sa voix est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Dans un monde de plus en plus interconnecté et conscientisé, le pouvoir du boycott comme véhicule de protestation et comme outil pour initier le changement social n’a jamais été aussi prégnant. Au cœur de ce mouvement se trouve l’acronyme BDS, signifiant Boycott, Divest, Sanctions, une campagne mondiale de boycott économique et culturel visant à faire pression sur Israël afin de les contraindre à se conformer au droit international en ce qui concerne les droits des Palestinien·ne·s. Sur leur site, on peut lire : « BDS soutient le simple principe que les Palestinien·ne·s ont droit aux mêmes droits que le reste de l’humanité (tdlr) ». Cette initiative, qui trouve ses racines dans la société civile palestinienne et la diaspora, s’est étendue à travers le monde, suscitant un débat passionné sur les questions de justice, de droits de l’Homme, mais surtout, sur les résultats concrets de telles mesures. Malgré sa popularité, un discours continue de circuler au sein des cercles universitaires, soulevant un doute quant à l’efficacité du boycott, particulièrement pour les jeunes qui ont un pouvoir d’achat limité. Aujourd’hui, dans le contexte sociopolitique actuel, je juge qu’il est crucial de boycotter, peu importe qui nous sommes, peu importe notre sentiment de petitesse face aux grandes entreprises.

« À notre niveau, les sanctions ne sont peut-être pas de notre ressort, mais il est crucial qu’en tant que jeunesse consciente et révoltée, nous continuions de réclamer des sanctions économiques et diplomatiques sur le régime génocidaire sioniste »

Boycott, Divest, Sanctions

Le mouvement BDS repose sur une stratégie non violente visant à faire entendre la voix des Palestinien·ne·s et de leurs allié·e·s afin de mettre fin à l’occupation israélienne de la Palestine, ainsi qu’à d’autres politiques discriminatoires imposées par le régime colonial d’Israël. En réponse à cette campagne, des individus, des organisations et même des États ont pris des mesures pour boycotter des produits, des entreprises et des événements ayant des liens directs ou indirects avec Israël. Le boycott peut prendre plusieurs formes : on peut penser à la Ligue arabe qui, de 1945 à 1980, a mis en place un boycott massif de tous produits dit « sionistes » ou encore à nos choix du quotidien, incluant le boycott d’institutions montréalaises qui peuvent avoir tenus des propos répréhensibles vis-à-vis du génocide en Palestine.

Le boycott d’Israël est donc un acte concret d’opposition à l’État sioniste, qui consiste à refuser de participer à son économie ou à sa culture, dans le but de limiter les gains économiques résultant de l’oppression des Palestinien·ne·s, tout en refusant d’accorder une quelconque légitimité à l’État. Dans notre ère, teintée par l’attrait du consumérisme, le boycott conscient de certains produits représente la seule avenue pour faire entendre aux grandes industries et aux sionistes – notre désaccord avec leur rôle, actif ou passif, dans le génocide des Palestinien·ne·s. À tous les niveaux, que notre portefeuille soit bien garni ou que nous soyons étudiant·e·s avec un budget limité, nous pouvons faire front commun contre le traitement inhumain des Palestinien·ne·s.

Le boycott en proie à la critique


Cependant, le boycott comme prise de position politique n’est pas sans controverse. Certain·e·s le voient comme un outil légitime pour exercer une pression pacifique en faveur du changement, tandis que d’autres le condamnent, allant parfois même jusqu’à dire qu’il est inutile. Ces appréhensions quant à l’efficacité du boycott proviennent souvent d’un sentiment d’impuissance. On pourrait comparer un tel discours aux gens qui disent « Pourquoi voter? Mon vote ne sera pas celui qui fera la différence. » Effectivement, nous vivons dans une ère où nous sommes constamment bombardé·e·s de nouvelles accablantes, nous pouvons donc parfois être sous l’impression d’être impuissant·e·s face aux grandes entreprises qui sont parties prenantes dans plusieurs enjeux globaux actuels. Néanmoins, c’est bien dans ce contexte que les petites actions du quotidien comptent le plus.

Selon mon expérience, le boycott fonctionne. Depuis le 7 octobre, j’ai moi-même participé au boycott de plusieurs institutions et produits aux affiliations répréhensibles aux côtés de plusieurs ami·e·s et connaissances. Je ne mentirai pas, ce n’est pas simple quand nous sommes habitués à consommer certains produits au quotidien et que soudainement, nous sommes confronté·es à la dure réalité qu’il faut boycotter pour rester fidèles à nos valeurs. Ceci étant dit, il m’est clair que depuis, le boycott a su faire sentir ses effets sur les plus grandes entreprises. Je pense notamment à la chaîne de cafés Starbucks : nombreux·euses sont ceux·celles qui ont choisi d’arrêter d’y acheter leurs boissons après avoir entendu parler d’un nouvel incident avec la compagnie, qui a d’ailleurs un historique assez controversé en ce qui a trait à la situation en Palestine.

Cette fois-ci, c’est la réponse de Starbucks à une publication sur X d’un de ses syndicats, le Starbucks Workers United, où il était mentionné « Solidarité avec la Palestine » accompagné d’une image montrant une clôture délimitant la bande de Gaza se faisant démolir, qui est à la source du boycott. Après cette publication, Starbucks s’est empressé de condamner l’union pour sa prise de position, menant à un boycott massif de la fameuse compagnie de café. Depuis, des employé·e·s ont témoigné que les succursales connaissent des temps difficiles, avec moins de client·e·s et une chute du prix de l’action de 7%, en date de décembre dernier. On peut également penser à la filiale de Starbucks en Égypte, où des coupures importantes ont eu lieu suite aux attaques meurtrières commises sur le peuple palestinien depuis octobre. On peut donc constater que le boycott fonctionne si suffisamment d’individus se sentent interpellé·e·s par la cause pour agir, pour en faire un mouvement d’action collective.

« Aujourd’hui, dans le contexte sociopolitique actuel, je juge qu’il est crucial de boycotter, peu importe qui nous sommes, peu importe notre sentiment de petitesse face aux grandes entreprises »

Le désinvestissement et les sanctions

Chez les étudiant·e·s, ayant été témoins des conséquences d’un boycott bien orchestré, la question qui persiste est celle à savoir si le boycott est un moyen de pression suffisant lorsqu’il opère seul. Je pense en effet qu’il est crucial de rappeler que le boycott c’est bien, mais que ce n’est pas assez. Pour maximiser son impact, il est important qu’il soit jumelé à d’autres initiatives qui imposent une pression similaire sur les institutions qu’on cherche à faire flancher. Jeudi dernier, le 22 février, le groupe SPHR (Students for Palestinian Human Rights) a organisé une action collective impliquant l’obstruction de l’entrée du bâtiment Bensadoun pendant une journée entière, empêchant ainsi la tenue régulière des cours de la Faculté de gestion Desautels. Cette protestation servait spécifiquement à demander à l’Université de mettre fin à un de ses programmes d’échange avec des universités en Israël. D’autres formes de mobilisation organisées sur le campus incluent la grève de la faim (@mcgillhungerstrike), qui dure déjà depuis le 19 février.

À notre niveau, les sanctions ne sont peut-être pas de notre ressort, mais il est crucial qu’en tant que jeunesse consciente et révoltée, nous continuions de réclamer des sanctions économiques et diplomatiques sur le régime génocidaire sioniste. Le désinvestissement, pour sa part, est entre nos mains : si nous continuons de nous organiser autour de la cause palestinienne, les institutions comme McGill finiront bien par entendre la voix de ceux·celles qui lui permettent de fonctionner, et se devront d’agir de pair avec l’opinion étudiante. Bien que cela puisse venir avec son lot de difficultés, c’est maintenant que nous devons prendre action, et le boycott n’est qu’une façon parmi tant d’autres de faire entendre son désaccord. Boycottons maintenant, boycottons pour faire entendre nos voix!

L’article Boycotter pour faire entendre sa voix est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Qui restera-t-il à mon mariage? https://www.delitfrancais.com/2024/02/28/qui-restera-t-il-a-mon-mariage/ Wed, 28 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=55038 Réflexions sur la complexité des relations sociales à l’université.

L’article Qui restera-t-il à mon mariage? est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Un narratif très particulier encadre la vie sociale à l’université : celui d’une promesse de liberté. Cette belle histoire, fruit de l’imagination collective, des souvenirs de nos anciens, des réseaux et des séries B, a tendance à définir les années universitaires comme les plus belles d’une vie, et ce surtout sur le plan social. Un environnement si riche et divers, regorgeant d’individus tous les plus intéressants les uns que les autres, ça ne peut être qu’un idéal relationnel, n’est-ce pas? Les fêtards vont en boîte de nuit, les curieux participent aux nombreux événements organisés par les associations étudiantes, et les intellos peuvent prendre part au légendaire club de génie en herbe. Tant d’opportunités de tisser des liens et tant de souvenirs qui, selon la croyance populaire, dureront toute une vie.

Nous estimons que la réalité est bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Le mythe de la vie sociale universitaire, cultivé par le tsunami médiatique dont nous faisons tous l’expérience au quotidien, est loin d’être l’idylle sociale au cœur de laquelle les amitiés se nouent et se renforcent sans effort. Des efforts, chacun se doit d’en faire pour s’accrocher au rêve d’une vie sociale universitaire épanouie. Attention, notre but n’est pas d’effrayer le lecteur et d’avoir l’air de grands-parents donneurs de leçons! Des merveilles peuvent arriver au sein du monde universitaire, et des discussions très superficielles au coin de la cafétéria peuvent aboutir en relations magnifiques et durables. Néanmoins, la nuance doit être de mise. Si l’idylle populaire comporte du vrai, c’est également le cas pour son contraire : en tant qu’étudiants, il est important de reconnaître que nous sommes sous la pression constante de devoir faire des rencontres, toujours plus de rencontres, à une telle échelle que nous atteignons bien souvent le trop, le beaucoup trop. C’est alors que les discussions deviennent machinales, que l’intérêt authentique disparaît, que les prénoms s’effacent des mémoires. C’est alors que nous nous noyons.

Superficialité et popularité

C’est le début de l’année : on participe à Frosh, on enchaîne les bars et les soirées, on s’abonne à des dizaines de personnes sur Instagram, auxquelles on ne reparlera sûrement jamais, et on rencontre nos voisins de palier. Ça y est, nous y sommes : nous entrons dans le cycle infernal de la vie sociale à l’université. Au début ça peut être drôle. Beaucoup viennent de s’installer dans une nouvelle ville où ils ne connaissent personne. On est loin de chez soi, de ses amis, de sa famille, on a besoin de ces moments partagés. Cependant, on s’interroge sur la superficialité de ces soi-disant amitiés. En parlant d’expérience, j’ai rencontré des étudiants durant les diverses soirées d’intégration organisées par l’Université. De toutes ces personnes, seulement deux sont encore à mes côtés, après un an et demi. Je pense qu’il n’y a pas d’explication plus simple : ces soirées, c’est la course aux abonnés, une compétition silencieuse entre chaque personne présente pour parler à un maximum de monde. Bien sûr, ce n’est pas le cas de tous. Certains cherchent réellement à créer des amitiés fortes et solides. Mais, la plupart n’ont qu’un objectif : documenter leur popularité sur les réseaux. Difficile de créer de réelles connexions, profondes et humaines lorsque l’on a l’impression de se retrouver dans un océan d’influenceurs. J’entends souvent les gens autour de moi en parler: « Il faut que je me désabonne de certaines personnes pour avoir plus d’abonnés que d’abonnement » ; « Ce soir, je demande les comptes de tout le monde, il faut absolument que j’atteigne mille abonnés… »

« Le mythe de la vie sociale universitaire, cultivé par le tsunami médiatique dont nous faisons tous l’expérience au quotidien, est loin d’être l’idylle sociale au cœur de laquelle les amitiés se nouent et se renforcent sans effort »

Je me souviens être entrée en contact avec une personne qui semblait partager des intérêts communs avec moi. Pendant une dizaine de minutes, je lui ai parlé de livres et de poèmes et elle m’a raconté sa passion pour Sylvia Plath. Quelle surprise, c’est aussi mon autrice préférée! Il me semblait que nous l’avions, cette réelle connexion, qu’il y avait là le début d’une amitié sincère, une flamme qu’il ne suffisait plus qu’à nourrir et faire grandir. Autant dire que j’avais bien rêvé. Après trois tentatives de planifier une discussion littérature autour d’un bon café, je finis par abandonner, acceptant la dure vérité qu’elle ne voulait tout simplement pas être mon amie. Cet événement est loin d’être isolé. J’ai eu par la suite de nombreuses conversations avec mes proches qui m’ont, eux aussi, partagé des expériences similaires durant leurs premières semaines à l’université.

Maintenir des relations

Les mois passent et d’autres difficultés surgissent. Si tu n’es parvenu qu’à créer des relations superficielles, tu te sens maintenant bloqué. Tu as cette sensation d’obligation de rester aux côtés de personnes avec lesquelles tu préfèrerais ne plus parler. Il est vrai que, après avoir passé plusieurs semaines à s’envoyer des messages et des reels sur Instagram, tu te vois mal annoncer de façon décontractée que tu ne veux plus de cette amitié. C’est une situation difficile à laquelle beaucoup sont confrontés. Tiraillé entre ton envie d’être sincère et celle de ne pas vouloir blesser la personne, tu continues à parler avec des gens qui – et ça tu ne peux que le réaliser maintenant– ne s’alignent pas avec tes valeurs, ta personnalité, ou tes centres d’intérêts.

Dans le cas où tu as malgré tout réussi à créer des amitiés sincères, félicitations, tu as passé le niveau 1. Qu’en est-il du niveau 2? Parviens à maintenir ces relations avec des emplois du temps différents, les semaines de relâche et les périodes d’examens. Bon courage! Tu as beau avoir un groupe d’amis idéal, tu fais face
à un nouvel obstacle : organiser des sorties. Être étudiant, c’est un travail à temps plein. Peu importe ton programme d’étude, on est tous plus débordés les uns que les autres. S’il s’avère que tu n’as aucun cours en commun avec tes amis, tu vas vite réaliser qu’il est bien compliqué d’entretenir des relations. Les semaines de relâche sont aussi un moment où beaucoup signent la fin de leurs amitiés. À l’université, il est probable que les gens que tu rencontres habitent dans une province ou un pays différents. Entre le décalage horaire et le manque d’investissement de certains qui n’envoient jamais le premier message, ce n’est pas parce que tu rencontres la personne, que tu vas forcément continuer à la voir. Tu te sens alors coupable. Cette culpabilité te ronge de plus en plus et s’ajoute au stress des examens. Et voilà, c’est ça être étudiant…

Chemins parallèles

Le rêve de la vie sociale apparaît ainsi comme une vaste pièce de théâtre dans laquelle tout le monde doit jouer son rôle, ou du moins s’y résoudre de manière relativement imposée par le narratif dominant. Mais comme dans tout bon narratif, il existe des cas d’exceptions, que certains à l’université aiment qualifier d’intrus ou d’asociaux. Beaucoup peuvent trouver du bonheur et de la satisfaction personnelle dans le fait d’éviter la vie sociale, ou du moins de ne pas forcer la chose. Alors que certains préfèrent éviter une pression additionnelle en limitant leur nombre d’interactions, d’autres ne sont pas fermés à la vie sociale, au contraire, mais valorisent dans une plus grande mesure les amitiés réelles et authentiques, celles dont le sujet de discussion n’est pas seulement : « Et sinon, toi, c’est quoi ton programme à McGill? » Beaucoup d’étudiants ont déjà des amis avant d’entrer à l’université, et priorisent l’entretien d’une amitié de longue date avec quelqu’un de confiance plutôt que d’essayer de transformer leur environnement relationnel de A à Z. Il est raisonnable d’estimer que le « rôle » que le narratif veut assigner à chacun ne nous correspond tout simplement pas.

Enfin, la pression sociale est cruciale, et a souvent tendance à être sous-estimée. Les évènements, les soirées, les obligations, les sorties ; autant de données qui s’additionnent au cœur de l’équation déjà bien remplie qu’est la charge mentale étudiante. Pour beaucoup, les cours suffisent déjà, et sont parfois même trop conséquents sans aucune autre activité parallèle. La passerelle vers la vie adulte que représente l’université présente de nombreux défis, et l’épanouissement personnel est souvent incompatible avec l’overdose relationnelle, un trop plein de superficialité et de manque d’authenticité.

L’article Qui restera-t-il à mon mariage? est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
L’abandon de nos garçons https://www.delitfrancais.com/2024/02/21/labandon-de-nos-garcons/ Wed, 21 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54918 Pierre Poilièvre gagne en popularité chez les jeunes hommes à travers le pays

L’article L’abandon de nos garçons est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Les sondages se multiplient et une tendance se dessine à l’horizon : la droite et son représentant fédéral, Pierre Poilièvre, sont premiers dans les sondages. Depuis plusieurs mois, le camp conservateur creuse son avance sur le gouvernement libéral. Là où Poilièvre semble gagner beaucoup de terrain, c’est au niveau du soutien marqué dont il bénéficie auprès des jeunes hommes. Comment se l’expliquer?

MeToo et nous

Dans les dernières années, les hommes et le modèle patriarcal ont été mis sous la loupe. Le mouvement MeToo en est sûrement l’investigateur. Depuis son apogée, nous avons été témoins d’un mouvement international qui invitait les femmes à dénoncer leurs agresseurs sexuels. Grâce à la prise de parole de ces femmes, des discussions sur la place de la femme et de la manière dont elle est traitée se sont invitées dans nos foyers et dans le reste de la société. De plus en plus de parents ont tenu à initier une discussion sur le respect de la femme avec leurs fils. MeToo nous a confrontés à notre propre reflet dans la glace, et il va sans dire qu’il n’était pas toujours beau.

La réponse masculiniste

Comme à chaque fois qu’un mouvement émerge, son contre-mouvement lui emboîte le pas. Dans ce cas, il s’agit de l’apparition d’un mouvement réactionnaire masculiniste farouchement antiféministe. En effet, en réponse au mouvement MeToo, certains influenceurs utilisant une rhétorique machiste ont surgi dans notre quotidien. Ces influenceurs ayant pour figure de proue Andrew Tate prônent une vision forte de la masculinité en réponse au mouvement féministe, qui représenterait une menace pour les hommes occidentaux. Pour eux, l’homme parfait, c’est celui qui va au gym, qui souffre en silence, qui ne fait jamais preuve de faiblesse, de sentimentalisme, et surtout de considération envers les femmes. Tate et ses sbires se sont dotés d’une fixation maladive pour les années 50 et son paradigme représentant l’âge d’or de la masculinité et de l’homme guerrier. Toujours selon eux, les femmes seraient devenues des Marie-Madeleine à la recherche d’attention depuis la libération sexuelle et les enseignements égalitaires féministes. Celles-ci seraient animées par un ressentiment misandre, ce qui les pousserait à vouloir remplacer l’homme dans les hautes sphères de la société. Juste à écrire ces lignes, j’en ai un haut le cœur.

Malheureusement, pleins de garçons sont tombés dans le panneau. Ils voient le féminisme comme étant une mouvance fondamentalement anti-homme. Pour eux, si on accorde plus de pouvoir aux femmes à travers des politiques plus équitables, les hommes s’en trouvent forcément diminués. Au fond, c’est un raisonnement foncièrement enfantin. Comme si, lorsqu’on donne quelque chose à un autre, c’est impérativement parce qu’on l’enlève à d’autres. En omettant d’enseigner à nos jeunes garçons qu’en redistribuant la force de pouvoir aux femmes c’est toute la société qui en bénéficiait, nous avons créé une horde de jeunes hommes qui se sentent perdus et dépossédés de leurs droits fondamentaux. C’est une souffrance qu’on se doit d’adresser et de rectifier à travers l’enseignement pour le bien de la cohésion sociale. Et c’est là que la politique entre en jeu.

« Si Poilièvre peut compter sur un appui aussi considérable chez les jeunes hommes, c’est qu’il courtise une tranche extrémiste de cette partie de l’électorat. Le chef conservateur vient consoler ceux qui se sentent délaissés par les politiciens et la société en général, en écoutant et en validant leurs théories absurdes sur le genre »

Flirter avec le masculinisme


Avec ce mouvement masculiniste, une communauté d’hommes qui se sentent désabusés par le système actuel est apparue de par la création de réseaux d’hommes partageant ce sentiment. Pierre Poilièvre l’a compris et l’utilise à son avantage. Poilièvre et son parti ont tiré bénéfice de cette réelle souffrance en utilisant des hashtags cachés dans leurs publications sur les réseaux sociaux. Ces hashtags permettaient aux conservateurs d’utiliser des codes et des normes présents dans ces groupes. Par exemple, en utilisant des mots connotés dans le milieu masculiniste comme MGTOW, ce qui signifie men going their own way, les conservateurs s’assurent d’apparaître sur le fil d’actualité de ces cercles misogynes. Poilièvre s’est créé un discours basé sur ces croyances pour faire écho à ses potentiels électeurs. De ce fait, il a attiré leur attention et a été le premier politicien au Canada à courtiser cette tranche de la population. Il offre un refuge politique à de jeunes hommes qui en veulent au système qui les auraient abandonnés.

De plus, afin de consolider son soutien au sein de cette démographie, Poilièvre a dépeint ses adversaires de manière à ce que les masculinistes se sentent interpellés. Il a présenté le premier ministre Trudeau comme étant un homme rose, un féministe enragé et déconnecté, bref un homme faible et soumis au mouvement féministe soi-disant extrémiste. De ce fait, Poilièvre dépeint Trudeau comme un activiste anti-homme, qui suit un agenda woke, un politicien qui voue une aversion aux hommes, les vrais, ceux qui vont au gym et qui ne pleurent jamais.

Si Poilièvre peut compter sur un appui aussi considérable chez les jeunes hommes, c’est qu’il courtise une tranche extrémiste de cette partie de l’électorat. Le chef conservateur vient consoler ceux qui se sentent délaissés par les politiciens et la société en général, en écoutant et en validant leurs théories absurdes sur le genre. Poilièvre vient cautionner une rhétorique qui menace la santé et la sécurité des femmes dans notre société par des hashtags ridicules, mais qui représentent une réelle menace. À mes yeux, c’est un jeu extrêmement dangereux qui n’en vaut certainement pas la chandelle. Il attise la haine envers les femmes et cautionne les sentiments de ces masculinistes, qui intrinsèquement en veulent à celles-ci. Pour un homme qui aspire à occuper la plus haute fonction de notre nation, c’est une honte, c’est un danger pour notre démocratie. Néanmoins, je pense qu’il est primordial d’écouter les souffrances de ces jeunes hommes, parce qu’elles traduisent une réelle aliénation. Bien que je me refuse à accorder quelque crédit que ce soit à ces théories antiféministes et profondément misogynes, certains y croient et en souffrent. Ces souffrances sont perçues comme étant réelles, mais je refuse de les valider. De ce fait, une partie de nos fils se sentent perdus et déboussolés. Il serait imprudent d’ignorer cette mouvance ; des gens mal intentionnés se feraient un malin plaisir à réconforter leurs maux et sauraient sans doute les pousser à l’extrémisme. En les ignorant, nous les poussons directement dans les bras de personnes cachant un agenda dangereux. Il faut donc les écouter pour déboulonner les mythes sur l’égalité des sexes et pour assurer la pérennité du tissu social.

L’article L’abandon de nos garçons est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Mettre la Saint-Valentin à la poubelle https://www.delitfrancais.com/2024/02/14/mettre-la-saint-valentin-a-la-poubelle/ Wed, 14 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54729 Pourquoi s’agit-il d’une fête dépassée?

L’article Mettre la Saint-Valentin à la poubelle est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Ce matin, en entrant à la pharmacie, j’ai été témoin de l’annuelle prise d’assaut des tablettes par les cœurs rouges et roses, les chocolats aux emballages thématiques, ainsi que les peluches tout aussi insignifiantes les unes que les autres. Dans l’esprit de cette effervescence éphémère et rituelle, j’ai constaté que cette année encore, la Saint-Valentin se trouvait à nos portes. Une journée teintée par le rouge de la passion pour certain·e·s, pour d’autres par l’horreur d’être encore seul·e·s cette année, la Saint-Valentin n’a plus de raison d’être en 2024. Certain·e·s diront que la fête de l’amour a encore un rôle important aujourd’hui, qu’elle nous permet de consacrer une journée à l’amour, mais il me semble plus que clair que sa période glorieuse est depuis longtemps révolue. Cette frénésie annuelle n’est en réalité que le fruit d’un travail méticuleusement orchestré par les doigts agiles du capitalisme et des normes sociales rigides : la Saint-Valentin n’est aujourd’hui rien de plus qu’un prétexte pour se dire « je t’aime ». Dans cet océan d’hétéronormativité et de consumérisme, il est grand temps de remettre en question la superficialité de cette célébration ponctuelle de l’amour, et de se questionner sur la nécessité d’une telle journée.

Célébration de l’hétéronormativité

Cupidon par ci, « veux-tu être mon·ma valentin·e » par là, la Saint-Valentin est une fête qui trouve sa pérennité dans le confort que représente le couple hétérosexuel. Cette fête est en réalité profondément enracinée dans des normes sociales étroites et rigides, limitant l’inclusivité d’une fête qui, au contraire, devrait être ancrée dans l’amour, peu importe qui cela unit. Cette célébration perpétue un récit romantique qui ne correspond plus toujours à la réalité des couples d’aujourd’hui : nombreux·euses sont ceux·celles qui disent ne plus s’identifier avec la célébration traditionnelle de cette fête. En se focalisant principalement sur les partenariats hétérosexuels et les expressions d’affection conformes aux normes sociétales, la Saint-Valentin exclut implicitement de nombreuses autres formes d’amour et de relations. De plus, pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans l’image hétérogenrée du couple, cette journée devient souvent un rappel malheureux de leur manque d’inclusion au sein de la société. Bien que plusieurs tentent de se réapproprier la Saint-Valentin afin d’en faire une fête à leur image, les couples non conventionnels, ceux qui sortent des normes de genre peuvent se sentir exclu·e·s ou invisibilisé·e·s par cette fête centrée sur des idéaux romantiques stéréotypés. En réalité, la Saint-Valentin, loin d’être une célébration universellement accueillante de l’amour, reflète plutôt les limites et les préjugés de nos normes sociales établies.

Appel au consumérisme capitaliste

Un aspect déjà longuement dénoncé de cette fête est son incitation à la consommation matérielle excessive. Escapade au spa, bouquets de fleurs qui finiront à la poubelle d’ici la semaine prochaine, cartes personnalisées ou encore bijoux aux prix exorbitants : la Saint-Valentin est une invitation à dépenser sans réfléchir aux potentiels impacts de notre consommation. La fête est reconnue par tous·tes les amoureux·euses comme l’occasion de faire plaisir à son·sa partenaire en lui offrant du chocolat, des fleurs ou encore toute sorte de cadeaux hors de prix. Effectivement, peu se questionnent sur le besoin réel d’offrir quelque chose de matériel au-delà de sa présence pour l’être aimé : plusieurs se contenteraient de passer une belle journée en compagnie de leurs êtres chers, sans pour autant céder à la pression commerciale inhérente à cette fête. En effet, l’industrie capitaliste profite largement de la Saint-Valentin en bombardant les consommateur·rice·s avec une multitude de produits soi-disant essentiels à l’expression de leur amour. L’industrie crée ainsi un climat de compétition sociale où l’expression de l’affection est mesurée en fonction de la valeur monétaire des cadeaux offerts. Pourtant, l’amour véritable est loin de se mesurer à une valeur monétaire, et devrait plutôt l’être en gestes sincères et en moments partagés. Cette commercialisation de la Saint-Valentin perpétue une culture de la consommation où l’amour est souvent réduit à une transaction financière. La véritable essence de l’amour réside dans les petites attentions quotidiennes, la présence attentive et le soutien mutuel, bien loin des artifices matérialistes imposés par la société de consommation.

« C’est triste de constater que nous avons besoin d’une célébration ponctuelle commune pour accorder du temps à l’amour, alors que chaque jour devrait être une opportunité de cultiver et de nourrir nos relations de manière spontanée et sincère »

Pour une vision plus authentique de l’amour

À mes yeux, la Saint-Valentin s’est développée à travers les années comme une fête vide de sens, j’irais même jusqu’à dire fake. Les œillères que la société s’est imposées quant à la célébration de la Saint-Valentin limitent l’infinité de formes que peut prendre l’amour. En effet, l’amour ne peut être canalisé en une unique journée : il s’agit d’un concept plus grand qui devrait transcender l’ensemble de nos actions et pensées. Qu’on ait envie de passer notre Saint-Valentin avec nos ami·e·s, avec notre famille, ou encore avec notre partenaire, on devrait mettre au placard le stigma qui existe autour de l’amour atypique. L’amour, platonique comme romantique, devrait avoir sa place au sein de la société et se doit de recevoir la même reconnaissance, peu importe sa forme. Il ne devrait pas y avoir de pression à célébrer cette journée avec quiconque en particulier, considérant que préférer être entre ami·e·s, en famille ou seul·e, est tout aussi légitime que passer la journée avec un·e partenaire romantique. Devoir s’entendre sur cette date, le 14 février, pour démontrer tous en cœur notre amour perpétue une vision étroite de l’affection, où l’expression des sentiments est dictée par les conventions sociales plutôt que par le désir organique de montrer notre amour. C’est triste de constater que nous avons besoin d’une célébration ponctuelle commune pour accorder du temps à l’amour, alors que chaque jour devrait être une opportunité de cultiver et de nourrir nos relations de manière spontanée et sincère.

Vers un futur plus amoureux

Dans un article satirique publié au Délit en 2018, l’autrice suggérait à McGill de faire de la Saint-Valentin un congé férié. Bien que cela puisse sembler loufoque, ce serait véritablement la manière de permettre une célébration de la fête de l’amour en bonne et due forme : on pourrait ainsi s’accorder une journée complète de célébration qualitative avec les gens qu’on aime. Bien qu’il y ait une part de bon à assigner une journée internationale à l’amour, je plaiderais en faveur d’une reconsidération de sa valeur, et proposerais de faire de nos vies une célébration continue de l’amour, incitant tous·tes à chérir les gens qui les entourent au quotidien. Ça peut paraître cynique, mais j’irais même jusqu’à dire qu’on devrait abolir la Saint-Valentin. Sachant que ce n’est pas près d’arriver, je suggère qu’en tant que communauté, nous nous contentions d’un effort conscient visant à faire de nos vies une célébration perpétuelle des gens qu’on aime, tout en accordant une attention particulière à la déconstruction des normes sociales qui sous-tendent la célébration de cette fête.

L’article Mettre la Saint-Valentin à la poubelle est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Capitalisme Noir : Entre solidarité et exploitation https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/capitalisme-noir-entre-solidarite-et-exploitation/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54505 Que croire, le succès ou ses mirages?

L’article Capitalisme Noir : Entre solidarité et exploitation est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
En ce Mois de l’histoire des Noir·e·s, une multiplication de produits, de collaborations et de campagnes de commercialisation mettent en avant cet événement. Chaque année, mes amis et moi nous interrogeons sur la pertinence de ces pratiques et discutons de la signification derrière cette soudaine solidarité. La plupart du temps, nous sommes d’accord sur le caractère performatif de ces représentations, qui visent principalement à attirer une clientèle plutôt qu’à exprimer une réelle pensée authentique. Cette année, notre réflexion s’est tournée vers une situation au caractère ambigu : qu’en est-il des entrepreneur·euse·s noir·e·s?

Le capitalisme noir propose d’encourager les afro-américain·e·s à supporter des entreprises dirigées par des personnes noires oeuvrant au profit de la communauté. Ce mouvement réactionnaire essaye de combattre les infrastructures économiques américaines qui ont historiquement rendu l’enrichissement des Noir·e·s américain·e·s presque impossible, comme le détaille Earl Ofari Hutchinson dans The Continuing Myth of Black Capitalism. Bien que l’attrayante proposition de la création d’une nouvelle économie noire soit basée sur la collectivité et la fraternité, plusieurs activistes critiquent ce genre de capitalisme. Le problème récurrent avec cette méthode est le succès d’un petit nombre d’entrepreneur·euse·s uniquement. La majorité des communautés noires continue à participer à cette économie ségrégationniste en achetant et en travaillant avec l’espoir de surmonter leurs inégalités financières. À première vue, l’encouragement d’entreprises noires est bénéfique, mais ne change pas les systèmes économiques racistes dont plusieurs sont victimes. Pour les penseur·euse·s comme Angela Davis, combattre le racisme par l’intérim du capitalisme est une mission impossible.

« À première vue, l’encouragement d’entreprises noires est bénéfique, mais ne change pas les systèmes économiques racistes dont plusieurs sont victimes. Pour les penseurs comme Angela Davis, combattre le racisme par l’intérim du capitalisme est une mission impossible »

Camélia Bakouri

Le livre Marxisme noir de Cedric Robinson, un politologue américain, introduit une notion importante, celle du capitalisme racial. Robinson explique que le capitalisme n’est pas une révolution contre le système féodal comme la pensée marxiste l’interprète, mais plutôt une évolution du système féodal et du racisme. Le capitalisme racial dépend de l’exploitation humaine se traduisant en esclavage, en impérialisme et en violence. En d’autres termes, le système capitaliste a historiquement utilisé des mécanismes racistes pour justifier et perpétuer l’oppression, en particulier à travers des structures économiques et politiques qui ont favorisé l’exploitation des groupes raciaux spécifiques.

Ces dynamiques de disparité peuvent être reprises par des entrepreneur·euse·s noir·e·s. En effet, en 2021, Beyoncé s’est associée à Tiffany & Co, la marque de bijoux estimée à plus de 16 milliards de dollars, pour la campagne de l’album About Love en collaboration avec son mari, Jay‑Z. Dans les photographies promotionnelles, l’artiste portait fièrement le diamant jaune Tiffany, un diamant de 128,54 carats. Elle fut la première femme noire à arborer ce joyau. Cependant, le diamant jaune Tiffany a été extrait en Afrique du Sud en 1877, durant la période coloniale où l’exploitation des mineurs africains et la destruction de leurs communautés était monnaie courante. Cette image présentée par Beyoncé n’est pas celle de la libération noire, mais plutôt une représentation de richesse et surtout d’un « symbole douloureux de colonialisme » comme le décrit Karen Attiah, rédactrice et chroniqueuse au Washington Post dans l’article intitulé « Sorry, Beyoncé, but Tiffany’s blood diamonds aren’t a girl’s best friend ».

Plus récemment, la compagnie Savage X Fenty, dirigée par Rihanna, récolte les résultats les plus bas selon le Fashion Accountability Report, une évaluation comprenant une analyse de la transparence et de la responsabilité des marques sur les catégories suivantes : la traçabilité, le salaire et le bien-être des employé·e·s, les pratiques commerciales, les matières premières, la justice environnementale et la gouvernance. Sur 150 points, Savage X Fenty n’a obtenu que quatre points. Pourtant, la chanteuse, interprète et designer a inspiré des groupes marginalisés à travers le monde en partant de la Barbade, un petit pays des Caraïbes, pour devenir une femme d’affaires accomplie. La marque de Rihanna tire profit de l’utilisation de l’inclusivité comme un élément central des stratégies de marketing, tout en négligeant les mesures de base pour protéger les droits fondamentaux de ses travailleur·se·s.

Au-delà de la perpétuation du cycle d’exploitation par les riches noir·e·s, le capitalisme noir attire également d’autres entreprises. La demande pour plus de diversité dans les médias est constante. Depuis quelques années, les industries sautent sur l’opportunité d’agrandir leur marché en créant l’illusion d’une réussite imminente, en utilisant l’image de personnes noires prospères. Dans le monde de la mode, l’utilisation de l’inclusivité est souvent commercialisable et évite la nécessité d’un changement structurel substantiel. Pour répondre à la demande, des mannequins noir·e·s sont souvent engagés. Pour ce faire, les agent·e·s ne cherchent pas de nouveaux profils, mais plutôt des jeunes femmes qui ressemblent à une tendance préétablie. Avec l’émergence de mannequins tels qu’Alek Wek, née au Soudan du Sud et arrivée en Angleterre en tant que réfugiée, l’industrie de la mode pourrait jouer le rôle d’actrice humanitaire. Cette histoire inspirante, comme celle de Rihanna, est précisément ce que les agences de mannequins tentent de reproduire en cherchant de nouveaux talents dans le camp de réfugié·e·s de Kakuma. Situé dans le comté de Turkana, au nord-ouest du Kenya, ce camp a été créé en 1992 par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans le but de relocaliser les personnes déplacées du Soudan et de l’Éthiopie. Plus de la moitié de ses habitant·e·s viennent du Soudan du Sud en raison de l’insécurité alimentaire extrême et de la violence causée par la deuxième guerre civile ayant duré 22 ans. Les aspirant·e·s mannequins du camp de réfugié·e·s de Kakuma sont recruté·e·s avec la promesse d’une opportunité de quitter le camp, d’obtenir un permis de travail et de se lancer dans l’industrie du mannequinat. En Europe, on leur propose un logement et une allocation hebdomadaire bidon de 70 à 100 euros. Cependant, l’industrie du mannequinat fonctionne sur un système de dette. Toutes les dépenses initialement couvertes par les agences doivent être remboursées, et si les mannequins échouent à obtenir suffisamment de travail rémunéré ou sont jugé·e·s inaptes par les agences, les mannequins sont renvoyé·e·s au camp avec une dette importante. Selon une enquête du Sunday Times, la facture envoyée aux mannequins « échoué·e·s » peut atteindre jusqu’à 3 000 euros. Cette forme brutale d’exploitation se cache derrière une poursuite de diversification des distributions artistiques. Comme l’a écrit le directeur général de l’agence Select Model Management, Matteo Puglisi : « Voulez-vous revenir à des défilés de mode tous blancs? (tdlr) » Ce système de repêchage pseudo-inclusif exploite l’image d’une personne noire accomplie pour attirer des client·e·s qui souhaitent soutenir des figures qui les représentent.

Le capitalisme noir n’a pas pour but de perpétuer les inégalités raciales, mais plutôt d’offrir une voie de sortie d’un système généralement discriminatoire. Néanmoins, il est difficile de s’éloigner des habitudes néfastes profondément ancrées lorsqu’on utilise un modèle basé sur l’exploitation, comme le capitalisme. Ces instances d’abus ne devraient pas être considérées comme une impossibilité de libération, alors qu’elles mettent plutôt en valeur le besoin d’une solidarité noire. Aaron Ross Coleman, journaliste spécialisé en économie, propose dans son article « Black Capitalism Won’t Save Us » une entraide qui ne considère pas les personnes noires comme des consommateur·rice·s, mais comme des citoyen·ne·s actif·ve·s. Les organisations sociales, les mouvements de boycott et les médias servent de tribunes pour mettre en lumière les inégalités sociales et économiques, une profondeur que les entreprises ne peuvent pas offrir.

L’article Capitalisme Noir : Entre solidarité et exploitation est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Ce qui ne va pas https://www.delitfrancais.com/2024/02/07/ce-qui-ne-va-pas/ Wed, 07 Feb 2024 12:00:00 +0000 https://www.delitfrancais.com/?p=54522 Réflexions d’une étudiante noire.

L’article Ce qui ne va pas est apparu en premier sur Le Délit.

]]>
Lorsque j’ai désespérément voulu décrire à des conseillers d’orientation blancs ou encore à des hommes ce que c’était que d’être noire et féminine dans le monde des études supérieures, leur réponse était toujours de m’expliquer le concept du syndrome de l’imposteur. Pensaient-ils que c’était du jamais vu pour moi, pour nous? Je savais que c’était une tentative de relier leurs expériences aux miennes. C’est humain de le faire. Mais cette expérience, être noire et féminine dans le milieu des études, ne concerne que nous. J’écris féminine par faute de meilleurs mots pour désigner une identité et une réalité qui nous est imposée et qui ne correspond pas nécessairement à notre perception interne du soi : vivre en tant que femme noire, que nous nous identifions ou non comme telle.

L’école est généralement parmi les premiers endroits où nous commençons à soupçonner que quelque chose ne va pas. Et parce que nous n’avons pas encore appris que les adultes peuvent se tromper, nous nous blâmons. Ceci dit, il est évident que quelque chose ne cloche pas en nous. Au moment où les marées changent, peut-être sommes-nous tombées sur un livre, un film, une entrevue ou une conversation qui nous a poussées à entamer le démantèlement de nos croyances antérieures, le mal est déjà fait. Beaucoup d’entre nous, ayant conclu que nous ne sommes tout simplement pas faites pour l’école, abandonnent les études. Dans ce cas-là, nous n’avons pas eu le temps de nous demander si c’était peut-être l’école qui n’était pas faite pour nous, et non l’inverse. Pour celles d’entre nous qui poursuivent des études supérieures, nous essayons toujours de réparer notre passé et de faire nos preuves auprès de nos pairs. Comment appelez- vous cela lorsque vous vous sentez fière de recevoir la validation
de votre professeur blanc qui donne un cours sur la race alors qu’il applaudit vos « observations » poignantes? L’avez-vous observé ou l’avez-vous vécu? Il y a des choses que nous savons, non pas grâce à une démarche scientifique, mais grâce à des expériences vécues précieuses et souvent douloureuses. Que devons-nous alors penser de ces innombrables fois où nous avons regardé nerveusement la porte en chuchotant une prière silencieuse, en attendant que quelqu’un entre et nous épargne le fardeau d’être, une fois de plus, la seule femme noire dans la classe? Que devons-nous alors penser du « aucun résultat trouvé », qui apparaît chaque fois que nous recherchons une étude se concentrant sur les femmes noires? Je ne prétends pas détenir la réponse à ces questions, mais j’ai constaté que nous n’obtiendrons pas les réponses aux questions que nous n’osons pas poser. Je ne crois pas que la révolution naît dans des salles de classe, mais nous nous devons d’en faire des milieux où peut se cultiver l’esprit révolutionnaire.

À quel moment notre expérience prend-elle sa forme unique? C’est peut-être la première fois qu’un éducateur décide qu’il peut nous évaluer en un seul regard. Cette évaluation qui conclut que nous sommes forcément
perturbatrices et lentes. J’ai surmonté ces étiquettes, non pas parce que j’étais particulièrement sage ou douée. Je lisais simplement beaucoup et j’étais profondément anxieuse, ce qui me rendait calme et timide dans la plupart des cours. Qu’arrive-t-il alors à la fille noire qui ne peut pas rester assise, qui ose être une enfant enjouée, enthousiaste et sans peur? Elle est souvent punie.

« Beaucoup d’entre nous, ayant conclu que nous ne sommes tout simplement pas faites pour l’école, abandonnent les études. Dans ce cas-là, nous n’avons pas eu le temps de nous demander si c’était peut-être l’école qui n’était pas faite pour nous, et non l’inverse »

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu une relation particulière avec l’école. D’une part, je ne me souviens pas d’une époque où je n’ai pas rêvé d’être enseignante. Je trouve que la dynamique entre l’enseignant
et l’élève a quelque chose de précieux, qui permet aux deux de s’enseigner et d’apprendre mutuellement. Je n’avais pas besoin d’être convaincue de la nécessité et de l’importance des enseignants ; je les admirais pour leur capacité à bâtir toute une génération. Je ne savais pas qu’ils pouvaient aussi facilement inspirer la confiance d’un
enfant qu’ils pouvaient anéantir ses espoirs. Et malheureusement, il est plus probable qu’un enseignant brise les rêves des jeunes qui me ressemblent. Il se pourrait que dans ma quête pour devenir professeure se cache un désir de réparer les torts que j’ai subis au cours des premières années de mon éducation conventionelle. Après tout, n’y a t‑il pas en chacune d’entre nous une enfant blessée qui souhaite qu’on lutte pour elle? D’ailleurs, c’est précisément ce combat qui me ronge. Devoir lutter pour se faire respecter, pour être traitée également, pour être écoutée, pour être crue dès notre entrée à l’école. Le rôle d’activiste nous est assigné sans qu’on ait eu la chance d’être des enfants insouciants au même titre que nos camarades de classe. Dans ma poursuite d’une carrière en
enseignement, je vois surtout de l’espoir. Je ne peux pas faire de retour dans mon passé, peu importe à quel point je le souhaite, mais je pourrais changer le cours de l’avenir d’une étudiante noire, si ce n’est qu’en lui offrant un espace où elle n’a pas besoin d’être en lutte contre la misogynoire du système scolaire.

« Je ne crois pas que la révolution naît dans des salles de classe, mais nous nous devons d’en faire des milieux où
peut se cultiver l’esprit révolutionnaire »

J’avais l’habitude de me moquer des gens qui utilisaient à l’excès la représentation comme un mot en vogue dans toute conversation qui constituait une véritable tentative d’examination et de proposition de solutions possibles. Une plus grande représentation dans le milieu scolaire, aussi nécessaire soit-elle, ne sera jamais l’objectif final. Pourtant, ce serait une faute de la considérer comme insignifiante. Je me considère chanceuse, car du primaire au
secondaire, je n’ai jamais été la seule fille noire de ma classe. Cependant, je n’ai jamais eu d’instructrice noire, et cela s’est avéré plus difficile. Je ne voulais pas admettre mon mécontentement à ce sujet, car j’aurais fait n’importe quoi pour ne pas avoir à faire face à la douleur et à la déception que je ressentais. Comme le dit le dicton affiché sur les murs de nombreuses écoles québécoises : « L’expert dans la classe, c’est le prof ». Ils étaient l’autorité et ils choisissaient les règles. On peut alors imaginer l’impact que ça a eu sur nous quand la tolérance et la grâce qu’ils accordaient n’étaient pas les mêmes pour tous. À cette époque, ce qui me permettait de persévérer, c’était de partager et de me défouler avec mes soeurs – au sens figuré et littéral. Nous nous sommes consolées, validées et édifiées les unes et les autres. Avant tout, la communauté est, en effet, notre outil le plus puissant.

Le monde des études supérieures continue d’être pour beaucoup d’entre nous une source d’aliénation. Ces institutions n’ont pas été construites pour nous accueillir. Les programmes d’études n’ont pas été faits pour nous apprendre. Plus tôt nous pourrons faire la paix avec cela, plus tôt nous commencerons à comprendre qu’il
y a effectivement quelque chose qui ne va pas, mais pas en nous. En fin de compte, notre objectif devrait être de faire en sorte que, lorsque les autres filles noires à l’école commencent à se douter que quelque chose ne va
pas, elles ne dirigent pas leurs soupçons vers elles-mêmes, car cela peut déterminer la suite de leur parcours scolaire. Nous voulons nous émanciper sur le plan académique, donc nous devons assurer notre présence
en plus grand nombre. Si le premier obstacle qui s’y oppose est la conviction que nous n’avons pas notre place ici, alors notre travail commence par là.

L’article Ce qui ne va pas est apparu en premier sur Le Délit.

]]>